Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 16, 17, 18

Chapitre 16 – Peines du purgatoire

Ce qui montre encore la rigueur du purgatoire, c’est que le temps le plus court y paraît très long. Tout le monde sait que les jours de joie passent vite et paraissent courts, tandis que nous trouvons très long le temps de la souffrance. Oh ! combien lentement s’écoulent les heures de la nuit pour les pauvres malades qui les passent dans l’insomnie et les douleurs ! Oh ! combien longue paraîtrait une minute, s’il fallait, pendant cette minute, tenir la main plongée dans le feu ! L’on peut dire que, plus les peines qu’on souffre sont intenses, plus la plus courte durée en paraît longue. Cette règle nous fournit un nouveau moyen d’apprécier les peines du purgatoire.

Saint Antonin, le religieux malade

On trouve dans les Annales des Frères-Mineurs, sous l’année 1285, un fait que rapporte aussi saint Antonin dans sa Somme, partie IV, § 4. Un religieux souffrant depuis longtemps d’une douloureuse maladie, se laissa vaincre par le découragement et supplia Dieu de le laisser mourir afin d’être délivré de ses maux. Il ne songeait pas que le prolongement de sa maladie était une miséricorde de Dieu, qui voulait par-là lui épargner des souffrances plus rigoureuses.

En réponse à sa prière, Dieu chargea son ange gardien de lui offrir le choix, ou de mourir immédiatement et de subir trois jours de purgatoire, ou d’endurer sa maladie pendant une année encore, et d’aller ensuite directement au ciel. Le malade ayant à choisir entre trois jours de Purgatoire et une année de souffrances, ne balança pas et prit les trois jours de purgatoire. Il mourut donc sur l’heure et alla au séjour de l’expiation.

Au bout d’une heure son ange vint le visiter dans ses souffrances. En le voyant, le pauvre patient se plaignit de ce qu’il l’avait laissé si longtemps dans ces supplices. Cependant, ajouta-t-il, vous m’aviez promis que je n’y serais que trois jours. – Combien de temps, demanda l’ange, pensez-vous avoir déjà souffert ? – Au moins plusieurs années, répondit-il, et je ne devais souffrir que trois jours. – Sachez, reprit l’ange, qu’il y a une heure seulement que vous êtes ici. La rigueur de la peine vous trompe sur le temps: elle fait qu’un instant vous paraît un jour, et une heure des années. – Hélas ! dit-il alors en gémissant, j’ai été bien aveugle, bien inconsidéré dans le choix que j’ai fait. Priez Dieu, mon bon ange, qu’il me pardonne et me permette de retourner sur la terre: je suis prêt à souffrir les plus cruelles infirmités, non seulement pendant deux ans, mais aussi longtemps qu’il lui plaira. Plutôt dix ans de maladies affreuses, qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables angoisses.

Le P. Rossignoli, durée d’un quart d’heure au purgatoire

Le trait suivant est tiré d’un pieux auteur cité par le Père Rossignoli (Merv. 17.). Deux religieux d’éminente vertu s’excitaient mutuellement à mener la vie la plus sainte. L’un d’eux tomba malade et connut par vision qu’il mourrait bientôt, qu’il serait sauvé, et qu’il serait seulement au purgatoire jusqu’à la première messe qu’on célébrerait pour lui. – Plein de joie à cette nouvelle, il s’empressa d’en faire part à son ami, et le conjura de ne pas tarder après sa mort à célébrer la messe qui devait lui ouvrir le ciel.

Il mourut le lendemain matin, et son saint compagnon, sans perdre de temps, alla offrir pour lui le saint sacrifice. Après la messe, comme il faisait son action de grâces et continuait à prier pour le défunt, celui-ci lui apparut rayonnant de gloire; mais d’un ton de plainte amicale, il lui demanda pourquoi il avait tant différé de célébrer cette seule messe dont il avait eu besoin ? – « Mon bienheureux frère, répondit le religieux, j’ai tant différé, dites-vous ? Je ne vous comprends pas. – Eh ! ne m’avez-vous pas laissé souffrir plus d’une année, avant de dire la messe pour moi ? – En vérité, mon frère, j’ai commencé le saint sacrifice aussitôt après votre décès: il n’y a pas eu un quart d’heure d’intervalle. » – Le bienheureux le regardant alors avec émotion, s’écria: « Qu’elles sont donc terribles ces peines expiatrices, puisqu’elles m’ont fait prendre quelques minutes pour une année ! Servez Dieu, mon frère, avec une exacte fidélité afin d’éviter de tels châtiments. Adieu, je vole au ciel, où vous viendrez bientôt me joindre. »

Le Frère Angélique

Cette rigueur de la divine justice à l’égard des âmes les plus ferventes, s’explique par l’infinie sainteté de Dieu qui découvre des taches dans ce qui nous paraît le plus pur. Les annales de l’Ordre de Saint-François (Chronique des Frères Min. p. 2. 1. 4. c. 8. Cf. Rossign. Merv. 36.) parlent d’un religieux que son éminente piété avait fait surnommer l’Angélique. Il mourut saintement dans un couvent de Frères-Mineurs à Paris; et un de ses confrères, docteur en théologie, persuadé qu’après une vie si parfaite il était allé droit au ciel et qu’il n’avait nul besoin de prières, omit de célébrer pour lui les trois messes d’obligation selon l’institut pour chaque défunt. – Au bout de quelques jours, comme il se promenait en méditant dans un endroit solitaire, le défunt se présenta à lui tout environné de flammes et lui dit d’une voix lamentable: « Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi. – Eh quoi ! frère Angélique, vous avez besoin de mon secours ? – Je suis retenu dans les feux du purgatoire, et j’attends le fruit du saint Sacrifice que vous deviez offrir trois fois pour moi. – Frère bien-aimé, j’ai cru que vous étiez déjà en possession de la gloire. Après une vie fervente et exemplaire comme la vôtre, je n’ai pu m’imaginer qu’il vous restât quelque peine à subir. – Hélas ! hélas ! reprit le défunt, personne ne croirait avec quelle sévérité Dieu juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre dans nos meilleures actions des côtés défectueux, des imperfections qui lui déplaisent. Il nous fait rendre compte jusqu’à la dernière obole usque ad novissimum quadrantem. »

Chapitre 17 – Peines du purgatoire

La Bienheureuse Quinziani

Dans la vie de la Bienheureuse Étiennette Quinziani (Auctore Franc. Seghizzo. Cf. Merv. 42. Marchese 2 janv.), religieuse dominicaine, il est parlé d’une sœur, appelée Paule, qui mourut au couvent de Mantoue, après une longue vie, sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l’église et placé à découvert dans le chœur, au milieu des religieuses. Pendant l’office, la Bienheureuse Quinziani s’était agenouillée auprès de la bière, recommandant à Dieu la défunte qui lui avait été fort chère; lorsque celle-ci tout à coup, laissant tomber le crucifix qu’on lui avait mis entre les mains, étend le bras gauche, et saisissant la main droite de la bienheureuse, la serre étroitement, comme ferait une malade qui dans les ardeurs de la fièvre demande secours à une amie. Elle la tint serrée pendant un temps considérable, puis retira son bras qui retomba inanimé dans le cercueil. Les religieuses, étonnées de ce prodige, en demandèrent l’explication à la bienheureuse. Elle répondit que lorsque la défunte lui serrait la main, une voix non articulée lui avait parlé au fond du cœur, disant: « Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j’endure. Oh ! si vous saviez la sévérité du Juge qui veut notre amour, quelle expiation il exige des moindres fautes avant de nous admettre à la récompense ! Si vous saviez combien il faut être pur pour voir la face de Dieu ! Priez, priez et faites pénitence pour moi, qui ne peux plus m’aider. »

La Bienheureuse, touchée de la prière de son amie, se livra à toutes sortes de pénitences et d’œuvres satisfactoires, jusqu’à ce qu’une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.

La conclusion naturelle qui ressort de ces terribles manifestations de la divine justice, c’est qu’il faut se hâter de satisfaire en cette vie. Certes, un coupable condamné à être brûlé vif, ne refuserait pas une peine plus légère si on lui en laissait le choix. Supposez qu’on lui dise: Vous pouvez vous libérer de ce terrible supplice, à condition que durant trois jours vous jeûniez au pain et à l’eau; s’y refuserait-il ? Celui qui préférerait le tourment du feu à cette légère pénitence, ne serait-il pas regardé comme ayant perdu la raison ? Or, préférer le feu du purgatoire à la pénitence chrétienne en cette vie, est une extravagance incomparablement plus grande.

L’empereur Maurice

L’empereur Maurice le comprit et fut plus sage. L’histoire rapporte (Bérault, Histoire ecclés. année 602) que ce prince, malgré ses bonnes qualités qui l’avaient rendu cher à saint Grégoire-le-Grand, commit sur la fin de son règne une faute considérable, et l’expia par un repentir exemplaire.

Ayant perdu une bataille contre le Kan ou roi des Avares, il refusa de payer la rançon des prisonniers, quoiqu’on ne demandât par tête que la sixième partie d’un sou d’or, ce qui faisait moins de vingt sous de notre monnaie. Ce refus sordide mit le vainqueur barbare dans une telle colère, qu’il fit massacrer sur-le-champ les soldats Romains, au nombre de douze mille. Alors l’empereur reconnut sa faute et la sentit si vivement, qu’il envoya de l’argent et des cierges aux principales églises et aux principaux monastères, afin qu’on y priât le Seigneur de le punir en cette vie plutôt qu’en l’autre.

Ces prières furent exaucées. L’an 602, ayant voulu obliger ses troupes à passer l’hiver au-delà du Danube, elles se mutinèrent avec fureur, chassèrent leur général Pierre, frère de Maurice, et proclamèrent empereur un simple centurion, nommé Phocas. La ville impériale suivit l’exemple de l’armée. Maurice fut obligé de s’enfuir de nuit, après avoir quitté toutes les marques de sa puissance, qui ne faisaient plus que son effroi. Il n’en fut pas moins reconnu.

On l’arrêta avec sa femme, cinq de ses fils et ses trois filles, c’est-à-dire tous ses enfants, excepté l’aîné de ses fils, nommé Théodose, qu’il avait fait déjà couronner empereur, et qui échappa pour lors au tyran. Maurice et ses cinq fils furent impitoyablement égorgés, près de Chalcédoine. Le carnage commença par les jeunes princes, qu’on fit mourir sous les yeux de cet infortuné père, sans qu’il lui échappât un seul mot de plainte. Songeant aux peines de l’autre vie, il s’estimait heureux de pouvoir souffrir dans la vie présente; et durant tout le massacre, on n’entendit sortir de sa bouche que ces paroles du psaume: Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable. Ps. 118.

Chapitre 18 – Peines du purgatoire

Comme nous l’avons dit plus haut, la peine du sens a divers degrés d’intensité: elle est moins terrible pour les âmes qui n’ont pas de péchés graves à expier, ou qui ayant fini déjà cette expiation plus rigoureuse, approchent de leur délivrance. Beaucoup de ces âmes ne souffrent plus alors que la seule peine du dam, même elles commencent déjà à briller des premiers rayons de la gloire et à goûter comme les prémices de la béatitude.

Sainte-Perpétue

Lorsque Sainte-Perpétue (7 mars. – (2) 15 novembre. Revelationes Gertrudianœ ac Mechtildianœ. Henri Oudin, Pictav. 1875.) vit au purgatoire son jeune frère Dinocrate, cet enfant ne semblait pas soumis à de cruelles tortures. L’illustre martyre écrivit elle-même le récit de cette vision, dans sa prison de Carthage, où elle avait été enfermée pour la foi de Jésus-Christ, lors de la persécution de Septime-Sévère, l’an 205. Le purgatoire lui apparut sous la figure d’un désert aride, où elle vit son frère Dinocrate qui était mort à l’âge de sept ans. L’enfant avait un ulcère au visage, et tourmenté par la soif, il cherchait vainement à boire des eaux d’une fontaine, qui était devant lui, mais dont les bords étaient trop élevés pour qu’il y pût atteindre.

La sainte martyre comprit que l’âme de son frère était au lieu des expiations et réclamait le secours de ses prières. Elle pria donc pour lui; et trois jours après, dans une nouvelle vision, elle vit le même Dinocrate au milieu d’un jardin délicieux: son visage était beau comme celui d’un ange, il était revêtu d’une très belle robe, les bords de la fontaine étaient abaissés devant lui, il puisait dans ses eaux vives avec une coupe d’or, et se désaltérait à longs traits. – La sainte connut alors que l’âme de son jeune frère jouissait enfin des joies du paradis.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les révélations de sainte Gertrude (2), qu’une jeune religieuse de son monastère, qu’elle aimait singulièrement à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus beaux sentiments de piété. Pendant qu’elle recommandait ardemment cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase, et eût une vision. La défunte lui fut montrée devant le trône de Dieu, environnée d’une brillante auréole et couverte de riches vêtements. Cependant elle paraissait triste et préoccupée: ses yeux étaient baissés, comme si elle eût eu honte de paraître devant la face de Dieu; on eût dit qu’elle voulait se cacher et s’enfuir. – Gertrude, toute surprise, demanda au divin Époux des vierges, la cause de cette tristesse et de cet embarras dans une âme si sainte: Très-doux Jésus, s’écria-t-elle, pourquoi dans votre bonté infinie n’invitez-vous pas votre épouse à s’approcher de vous et à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi la laissez-vous à l’écart triste et craintive ? » – Alors Notre-Seigneur, avec un sourire d’amour, fit signe à cette sainte âme de s’approcher ; mais elle, de plus en plus troublée, après avoir hésité un peu, toute tremblante, s’inclina profondément et s’éloigna.

A cette vue sainte Gertrude, s’adressant directement à l’âme: « Eh ! quoi, ma fille, lui dit-elle, vous vous éloignez quand le Seigneur vous appelle ? Vous qui avez soupiré toute votre vie après Jésus, maintenant qu’il vous tend les bras, vous reculez devant lui ! » – « Ah ! ma mère, répondit cette âme, je ne suis pas digne encore de paraître devant l’Agneau immaculé; il me reste des souillures que j’ai contractées sur la terre. Pour s’approcher du soleil de justice, il faut être plus pur que le rayon de la lumière: je n’ai pas encore cette pureté parfaite qu’il veut contempler dans ses saints. Sachez que, si la porte du ciel m’était ouverte, je n’oserais en franchir le seuil, avant d’être entièrement purifiée des plus petites taches; il me semble que le chœur des vierges qui suivent les pas de l’Agneau, me repousserait avec horreur. – Et pourtant, reprit la sainte Abbesse, je vous vois environnée de lumière et de gloire ! – Ce que vous voyez, répondit l’âme, n’est que la frange du vêtement de la gloire: pour revêtir cette robe ineffable du ciel, il faut ne plus avoir une ombre de souillure. »

Cette vision nous montre une âme bien près de la gloire; mais elle indique en même temps que cette âme est éclairée tout autrement que nous sur l’infinie sainteté de Dieu. La connaissance claire de cette sainteté lui fait rechercher, comme un bien, les expiations dont elle a besoin pour être digne des regards du Dieu trois fois saint.

Sainte Catherine de Gênes

C’est, du reste, ce qu’enseigne expressément Sainte-Catherine de Gênes. On sait que cette sainte a reçu de Dieu des lumières toutes particulières sur l’état des âmes dans le purgatoire: elle a écrit un opuscule, intitulé Traité du purgatoire, qui jouit d’une autorité semblable aux œuvres de sainte Thérèse. Or, au chapitre VIII, elle s’exprime ainsi: « Le Seigneur est tout miséricorde: il se tient, vis-à-vis de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois aussi que cette divine essence est d’une telle pureté, que l’âme ne saurait soutenir son regard, à moins d’être absolument immaculée. Si elle trouvait en soi le moindre atome d’imperfection, plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté infinie, elle se précipiterait au fond de l’enfer. – Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s’y élance; et elle estime que c’est par l’effet d’une grande miséricorde, qu’un lieu lui est donné pour se délivrer de l’empêchement au bonheur suprême qu’elle voit en elle. »

Le Frère Jean de Via

L’Histoire de l’origine de l’Ordre séraphique (Partie 4. n. 7. Cf. Merv. 83.) fait mention d’un saint religieux, appelé le Frère Jean de Via, qui mourut pieusement dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, le Frère Ascension, était en prière dans sa cellule et recommandait à Dieu l’âme du défunt, lorsque tout à coup il aperçut devant lui un religieux de son ordre, mais qui paraissait transfiguré: il était tout radieux et remplissait la cellule d’une douce clarté. Le frère tout hors de lui, ne le reconnut pas, mais s’enhardit assez pour lui demander qui il était et quel était le sujet de sa visite. – « Je suis, répondit l’apparition, l’esprit du Frère Jean de Via: je vous rends grâces pour les prières que vous faites monter au ciel en ma faveur, et je viens vous demander encore un acte de charité. Sachez que, grâce à la divine miséricorde, je suis dans le lieu du salut, parmi les prédestinés à la gloire: la lumière qui m’environne en est une preuve. Cependant je ne suis pas digne encore de voir la face du Seigneur, à cause d’un manquement qu’il me faut expier. Durant ma vie mortelle, j’ai omis par ma faute, et cela plusieurs fois, de réciter l’office pour les défunts, lorsqu’il était prescrit par la règle. Je vous conjure, mon frère, par l’amour que vous avez pour Jésus-Christ, de faire en sorte que ma dette soit acquittée en cette matière, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. »

Le Frère Ascension courut au Père Gardien, raconta ce qui lui était arrivé, et on s’empressa d’acquitter les offices demandés. Alors l’âme du bienheureux Frère Jean de Via se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore: elle était en possession de la félicité complète.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 13, 14, 15

Chapitre 13 – Peines du purgatoire

Antoine Pereyra

Aux deux faits qui précèdent ajoutons un troisième, tiré des annales de la Compagnie de Jésus. Nous parlons du prodige arrivé dans la personne d’Antoine Pereyra, frère conducteur de cette Compagnie, qui mourut en odeur de sainteté au collège d’Evora en Portugal, le 1er août 1645. Quarante-six ans auparavant, en 1599, cinq ans après son entrée au noviciat, ce frère fut atteint d’une maladie mortelle dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores; et peu d’instants après qu’il eut reçu les derniers sacrements, sous les yeux de toute la communauté qui assistait à son agonie, il sembla rendre l’âme, et devint bientôt froid comme un cadavre. L’apparence presque imperceptible d’un léger battement de cœur empêcha seule de l’ensevelir sur-le-champ. On le laissa donc trois jours entiers sur son lit de mort, et l’on découvrait déjà dans son corps des signes évidents de décomposition; lorsque tout à coup, le quatrième jour, il ouvrit les yeux, respira et parla.

Il lui fallut alors par obéissance raconter à son supérieur, le P. Louis Pinheyro, tout ce qui s’était passé en lui, depuis les dernières transes de son agonie; et voici l’abrégé de la relation qu’il en écrivit de sa propre main: « D’abord je vis, dit-il, de mon lit de mort, mon Père Saint-Ignace, accompagné de quelques-uns de nos Pères du ciel, qui venait visiter ses enfants malades, cherchant ceux qui lui sembleraient dignes d’être offerts par lui et par ses compagnons à Notre-Seigneur. Quand il fut près de moi, je crus un moment qu’il m’emmènerait, et mon cœur tressaillit de joie; mais bientôt il me signala ce qu’il fallait me corriger avant d’obtenir un si grand bonheur. »

Alors néanmoins, par une disposition mystérieuse de la Providence, l’âme du F. Pereyra se détacha momentanément de son corps; et aussitôt, la vue d’une hideuse troupe de démons, se précipitant vers elle, la remplit d’effroi. Mais en même temps son ange gardien, et Saint-Antoine de Padoue, son compatriote et son patron, descendant du ciel, mirent en fuite ses ennemis, et l’invitèrent à venir, en leur compagnie, entrevoir et goûter un moment, quelque chose des joies et des douleurs de l’éternité. « Ils me conduisirent donc tour à tour, ajoute-t-il, vers un lieu de délices, où ils me montrèrent une couronne de gloire incomparable, mais que je n’avais pas encore méritée; puis, sur les bords du puit de l’abîme, où je vis les âmes maudites tomber dans le feu éternel aussi pressées que les grains de blé, jetés sous une meule tournant sans relâche; le gouffre infernal était comme un de ces fours à chaux, où par moments, la flamme est comme étouffée sous l’amas des matériaux qu’on y précipite, mais pour se relever, en s’en nourrissant, avec une effroyable violence. »

Mené de là au tribunal du souverain Juge, Antoine Pereyra s’entendit condamner au feu du purgatoire; et rien ne saurait ici-bas, assure-t-il, faire comprendre ce qu’on y endure, ni l’état d’angoisse où l’on y est réduit par le désir et le délai de la jouissance de Dieu et de sa bienheureuse présence.

Aussi, lorsque son âme eut été de nouveau réunie à son corps par le commandement de Notre-Seigneur ni les nouvelles tortures de la maladie, qui acheva pendant six mois entiers de faire tomber par lambeaux, avec le secours journalier du fer et du feu, sa chair irrémédiablement attaquée par la corruption de cette première mort; ni les effrayantes pénitences, auxquelles il ne cessa plus de se livrer, autant que l’obéissance le lui permettrait, durant les quarante-six ans de sa nouvelle vie, ne purent apaiser sa soif de douleurs et d’expiations. « Tout cela, disait-il, n’est rien, auprès de ce que la justice et la miséricorde infinies de Dieu m’ont fait, non seulement voir, mais endurer. »

– Enfin comme sceau authentique de tant de merveilles, le F. Pereyra découvrit en détail à son supérieur les secrets desseins de la Providence sur la future restauration du royaume du Portugal, encore éloignée alors de plus d’un demi-siècle. Mais on peut sans crainte ajouter, que la plus irrécusable garantie de tous ces prodiges fut la surprenante sainteté à laquelle Antoine Pereyra ne cessa plus un seul jour de s’élever.

La vénérable Angèle Tholoméi

Citons encore un fait analogue, et qui confirme en tout point ceux qu’on vient de lire. Nous le trouvons dans la vie de la vénérable servante de Dieu, Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine. Elle fut ressuscitée de la mort par son propre frère; et rendit à la rigueur des jugements de Dieu un témoignage entièrement conforme à ceux qui précèdent.

Le Bienheureux Jean-Baptiste Tholoméi, que ses rares vertus et le don des miracles ont fait élever sur les autels, avait une sœur, Angèle Tholoméi, dont l’héroïcité des vertus a été aussi reconnue par l’Église. Elle tomba gravement malade et son saint frère demanda sa guérison par d’instantes prières. Le Seigneur lui répondit, comme autrefois aux sœurs de Lazare, qu’il ne guérirait pas Angèle; mais qu’il ferait plus, qu’il la ressusciterait pour la glorification de Dieu et le bien des âmes.

Elle mourut, en effet, en se recommandant aux prières de son saint frère. Comme on portait son corps au tombeau, le Bienheureux Jean-Baptiste, obéissant sans doute à un mouvement du Saint-Esprit, s’approcha du cercueil, et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sœur d’en sortir. Aussitôt elle se réveilla comme d’un profond sommeil et revint à la vie.

Cette âme si sainte paraissait toute frappée de stupeur et racontait de la sévérité des jugements de Dieu des choses qui font frémir. Elle commença en même temps à mener une vie qui prouvait bien la vérité de ses paroles. Sa pénitence était effrayante: non contente des exercices ordinaires usités par les saints, tels que les jeûnes, les veilles, les cilices, les disciplines sanglantes; elle allait jusqu’à se jeter dans les flammes, et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée. Son corps martyrisé était devenu un objet de pitié et d’horreur. On la blâmait hautement, on l’accusait de dénaturer par des excès la vraie pénitence chrétienne; elle n’en continuait pas moins, et se contentait de répondre: « Si vous connaissiez la rigueur des jugements de Dieu, vous ne parleriez point ainsi. Qu’est-ce que mes faibles pénitences, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie aux infidélités qu’on se permet si aisément en ce monde ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. »

Il ne s’agit pas ici, comme on voit, des peines qu’ont à subir au purgatoire les grands pécheurs, quand ils se convertissent avant la mort; mais des châtiments que Dieu inflige à une religieuse fervente pour les fautes les plus légères.

Chapitre 14 – Peines du purgatoire

Apparition de Foligno

La même rigueur se révèle dans une apparition plus récente, où une religieuse, morte après une vie exemplaire, manifesta ses souffrances de manière à jeter l’effroi dans toutes les âmes. L’événement arriva le 16 novembre 1859 à Foligno, près d’Assise, en Italie. Il produisit un grand retentissement dans la contrée; et, outre la preuve sensible qu’il laissa après lui, une enquête faite en due forme par l’autorité compétence en établit la vérité incontestable.

Il y avait au couvent des tertiaires franciscaines de Foligno une sœur, appelée Thérèse Gesta, qui était depuis de longues années maîtresse des novices, et à la fois chargée du pauvre vestiaire de la communauté. Elle était née à Bastia, en Corse, l’an 1707, et était entrée au monastère en février 1826.

La sœur Thérèse était un modèle de ferveur et de charité; il ne faudrait pas s’étonner, disait le directeur, si Dieu la glorifiait par quelque prodige après sa mort. Elle mourut subitement le 4 novembre 1859 d’un coup d’apoplexie foudroyante.

Douze jours après, le 16 novembre, une sœur, nommée Anna-Félicie, qui la remplaçait dans son office, montait au vestiaire et allait y entrer, lorsqu’elle entendit des gémissements qui semblaient venir de l’intérieur de cette chambre. Un peu effrayée, elle s’empressa d’ouvrir la porte: il n’y avait personne. Mais de nouveaux gémissements se firent entendre, si bien accentués, que, malgré son courage ordinaire, elle se sentit envahie par la peur. Jésus ! Marie ! s’écria-t-elle, qu’est-ce que cela ? – Elle n’avait pas fini, qu’elle entendit une voix plaintive, accompagnée de ce douloureux soupir: Oh ! mon Dieu, que je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! – La sœur stupéfaite reconnut aussitôt la voix de la pauvre sœur Thérèse. Alors, toute la salle se remplit d’une épaisse fumée, et l’ombre de sœur Thérèse apparut, se dirigeant vers la porte, en se glissant le long de la muraille. Arrivée près de la porte, elle s’écria avec force: Voici un témoignage de la miséricorde de Dieu. En disant ces mots, elle frappa le panneau le plus élevé de la porte, et y laissa l’empreinte de sa main droite, brûlée dans le bois comme avec un fer rouge; puis elle disparut.

La sœur Anna-Félicie était restée à moitié morte de frayeur. Toute bouleversée, elle se mit à pousser des cris et à appeler au secours. Une de ses compagnes accourt, puis une autre, puis toute la communauté; on s’empresse autour d’elle, et toutes s’étonnent de sentir une odeur de bois brûlé. La sœur Anna-Félicie leur dit ce qui vient de se passer et leur montre sur la porte la terrible empreinte. Elles reconnaissent aussitôt la main de sœur Thérèse, laquelle était remarquablement petite. Épouvantées, elles s’enfuient, courent au chœur, se mettent en prière, passent la nuit à prier et à faire des pénitences pour la défunte, et le lendemain toutes communient pour elle.

La nouvelle se répand au dehors, et les diverses communautés de la ville joignent leurs prières à celles des Franciscaines. – Le surlendemain, 18 novembre, sœur Anna-Félicie étant entrée dans sa cellule pour se coucher, s’entendit appeler par son nom, et reconnu parfaitement la voix de sœur Thérèse. Au même instant, un globe de lumière tout resplendissant apparaît devant elle, éclairant la cellule comme en plein jour, et elle entend sœur Thérèse qui, d’une voix joyeuse et triomphante, dit ces paroles: Je suis morte un vendredi, le jour de la passion; et voici qu’un vendredi je m’en vais à la gloire ! Soyez fortes pour porter la croix, soyez courageuses pour souffrir, aimez la pauvreté. Puis ajoutant avec amour: Adieu, adieu, adieu ! elle se transfigure en une nuée légère, blanche, éblouissante, s’envole au ciel et disparaît.

Dans l’enquête qui fut ouverte aussitôt, le 23 novembre, en présence d’un grand nombre de témoins, on ouvrit le tombeau de sœur Thérèse, et l’empreinte brûlée de la porte se trouva exactement conforme à la main de la défunte. – La porte avec l’empreinte brûlée, ajoute MGR de Ségur est conservée dans le couvent avec vénération. La mère abbesse, témoin du fait, a daigné me la montrer elle-même.

Voulant m’assurer de la parfaite exactitude de ces détails, rapportés par PGR de Ségur, j’en ai écrit à l’évêché de Foligno. On m’a répondu en m’envoyant une relation circonstanciée parfaitement d’accord avec le récit qui précède, et accompagnée d’un fac-similé de l’empreinte miraculeuse. Cette relation expliquait la cause de la terrible expiation que subit la sœur Thérèse. Après avoir dit: Ah ! combien je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! elle ajouta, que c’était pour avoir, dans l’exercice de son office du vestiaire, manqué à quelques points de la stricte pauvreté prescrite par la règle.

La divine justice punit donc bien sévèrement les moindres fautes. On pourrait ici demander pourquoi l’apparition, en faisant la mystérieuse empreinte sur la porte, l’appela un témoignage de la miséricorde de Dieu ? C’est parce qu’en nous donnant un semblable avertissement, Dieu nous fait une grande miséricorde: il nous presse d’aider les âmes et de pourvoir à nous-mêmes.

Le religieux dominicain de Zamora

Puisque nous avons parlé d’une empreinte brûlée, rapportons un fait analogue, arrivé en Espagne et qui eut dans ce pays une grande célébrité. Voici comment le raconte Ferdinand de Castille, dans son Histoire de saint Dominique. Un religieux dominicain vivait saintement dans son couvent de Zamora, ville du royaume de Léon. Il était lié d’amitié avec un frère franciscain, comme lui homme de grande vertu. Un jour qu’ils s’entretenaient ensemble des choses éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait, si Dieu voulait bien le permettre, apparaîtrait à l’autre pour lui donner des avis salutaires. Le frère mineur mourut le premier; et un jour que son ami, le fils de saint Dominique, préparait le réfectoire, il lui apparut. Après l’avoir salué avec respect et affection, il lui dit qu’il était du nombre des élus; mais qu’avant de pouvoir jouir du bonheur céleste, il lui restait beaucoup à souffrir pour une infinité de petites fautes dont il n’avait pas eu assez de repentir pendant sa vie. Rien sur la terre, ajout a-t-il, ne peut donner une idée des tourments que j’endure, et Dieu me permet de vous en montrer un effet sensible. – En disant ces mots, il étendit la main droite sur la table du réfectoire et la marque en resta empreinte dans le bois carbonisé, comme si l’on y eût appliqué un fer rouge.

Telle fut la leçon de ferveur que le franciscain défunt donna à son ami vivant. Elle profita non seulement à lui, mais à tous ceux qui virent cette marque de feu, si profondément significative. Car cette table devint un objet de piété, qu’on venait contempler de tout part; on la voit encore à Zamora, dit le P. Rossignoli, au moment où j’écris; pour la garantir on l’a recouverte d’une feuille de cuivre. Elle s’est conservée jusqu’à la fin du siècle dernier; depuis, les révolutions l’ont fait disparaître, comme tant d’autres souvenirs religieux.

Chapitre 15 – Peines du purgatoire

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, dans sa célèbre vision où les différentes prisons du purgatoire lui furent montrées, aperçut l’âme de son frère, qui était mort après avoir mené une vie fort chrétienne. Cependant cette âme était retenue dans les souffrances pour certaines fautes qu’elle n’avait pas expiées sur la terre. « Ce sont, dit la sainte, des souffrances intolérables et cependant supportées avec joie. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leur croix ici-bas ! ». Toute saisie du douloureux spectacle qu’elle venait de contempler, elle courut chez sa prieure, et se jetant à genoux. « O ma Mère, s’écria-t-elle, qu’elles sont terribles les peines du purgatoire ! Jamais je ne les aurais crues telles, si le Seigneur ne me les eût montrées…Et néanmoins je ne puis les appeler cruelles, elles sont plutôt avantageuses, ces peines qui conduisent à l’ineffable félicité du paradis. »

Pour impressionner davantage nos sens, il a plu à Dieu de faire sentir à quelques saints personnages une légère atteinte des peines expiatrices: comme une goutte de la coupe amère que les âmes ont à boire, comme une étincelle du feu qui les dévore.

Stanislas Chocosca

L’historien Bzovius, dans son Histoire de Pologne, sous l’année 1590, rapporte un événement miraculeux, arrivé au vénérable Stanislas Chocosca, l’une des lumières de l’Ordre de saint Dominique en Pologue (Cf. Rossign. Merv. 67). Un jour que ce religieux, plein de charité pour les défunts, récitait le saint Rosaire, il vit apparaître près de lui une âme toute dévorée de flammes. Comme elle le suppliait d’avoir pitié d’elle et d’adoucir les intolérables douleurs, que le feu de la divine justice lui faisait endurer, le saint homme lui demanda si ce feu était plus douloureux que celui de la terre ? – « Ah ! s’écria cette âme, tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire, sont comme un souffle rafraîchissant. Ignes alii levis aurœ locum tenent, si cum ardore meo comparentur. » – Stanislas avait peine à le croire. – « Je voudrais, dit-il, en faire l’épreuve. Si Dieu le permet, pour votre soulagement et pour le bien de mon âme, je consens à endurer une partie de vos peines. – Hélas ! vous ne le sauriez. Sachez qu’un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt, supporter un tel tourment. Toutefois Dieu vous permet d’en ressentir une légère atteinte: étendez la main. » – Chocosca étendit la main, et le défunt y laissa tomber une goutte de sa sueur, ou du moins d’un liquide qui en avait l’apparence. A l’instant le religieux, poussant un cri perçant, tomba par terre sans connaissance, tant la douleur était affreuse.

Ses frères accoururent et s’empressèrent de lui donner les soins que réclamait son état. Quand il revint à lui, tout plein encore de terreur, il raconta l’effroyable événement qui lui était arrivé et dont tous voyaient la preuve. « Ah ! mes pères, ajouta-t-il, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne commettrions le moindre péché; et nous ne cesserions de faire pénitence en cette vie, pour ne pas devoir la faire en l’autre. »

Stanislas se mit au lit dès ce moment; il vécut encore une année dans les cruelles souffrances que lui causait l’ardeur de sa plaie, puis, exhortant une dernière fois ses frères à se souvenir des rigueurs de la divine justice dont il avait fait une si terrible expérience, il expira dans la paix du Seigneur. – L’historien ajoute que cet exemple ranima la ferveur dans tous les monastères de cette province.

La Bienheureuse Catherine de Racconiggi

Nous lisons un fait analogue dans la vie de la Bienheureuse Catherine de Racconigi (Diario Domenicano, 4 septemb. Cf. Rossig Merv. 63.). Un jour qu’elle était fort souffrante, au point d’avoir besoin de l’assistance de ses sœurs, elle pensa aux âmes du purgatoire; et, pour tempérer les ardeurs de leurs flammes, elle offrit à Dieu les ardeurs que la fièvre lui faisait éprouver. En ce moment entrant en extase, elle fut conduite en esprit dans le lieu des expiations, où elle vit les flammes et les brasiers où les âmes sont purifiées avec d’immenses douleurs. Pendant qu’elle contemplait pleine de compassion ce lamentable spectacle, elle entendit une voix qui lui dit: Catherine, afin que tu procures plus efficacement la délivrance de ces âmes, tu vas éprouver quelque peu leurs tourments et en faire une expérience sensible. – A l’instant, une étincelle se détache et vient la frapper à la joue gauche. Les sœurs présentes virent très bien cette étincelle, et elles virent aussi avec terreur le visage de la malade s’enfler aussitôt d’une manière prodigieuse. Il demeura plusieurs jours en cet état, et, comme la bienheureuse le racontait à ses sœurs, les souffrances que cette simple étincelle lui avait fait éprouver surpassaient de loin tout ce qu’elle avait souffert dans le cours de plusieurs maladies douloureuses.

Jusque-là Catherine s’était employée avec charité à soulager les âmes du purgatoire; mais à partir de ce moment elle redoubla de ferveur et d’austérités pour accélérer leur délivrance; parce qu’elle savait par expérience le grand besoin qu’elles ont de notre secours.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 10, 11, 12

Chapitre 10 – Peines du purgatoire. – Peine du dam

Après avoir entendu les théologiens et les docteurs de l’Église, nous allons écouter des docteurs d’un autre genre: ce sont les Saints qui parlent des peines de l’autre vie, et qui racontent ce que Dieu leur en a montré par des communications surnaturelles.

Sainte Catherine de Gênes

Sainte Catherine de Gênes, dans son Traité du purgatoire (Chap. II, VIII.), dit que « les âmes éprouvent un tourment si extrême, qu’aucune langue ne pourrait le raconter, ni aucun entendement en concevoir la moindre notion, si Dieu ne le faisait connaître par une grâce spéciale.»

Aucune langue, ajoute-t-elle, ne saurait exprimer, aucun esprit ne saurait se faire une idée de ce qu’est le purgatoire. Quant à la grandeur de la peine, elle égale l’enfer. »

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse, dans le Château de l’âme (Sixième demeure, chap. XI.), parlant de la peine du dam, s’exprime ainsi: « La peine du dam ou la privation de la vue de Dieu, surpasse tout ce qu’on peut imaginer de plus douloureux: parce que les âmes, poussées vers Dieu, comme vers le centre de toutes leurs aspirations, en sont continuellement repoussées par sa justice. Qu’on se figure un naufragé qui, après s’être longtemps débattu contre les flots, va toucher le rivage, mais qui s’en voit éloigné sans cesse par une main irrésistible: quelles douloureuses angoisses ! Celles des âmes du purgatoire le sont mille fois davantage. »

Le Père Nieremberg

Le Père Nieremberg de la Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté à Madrid en 1658, rapporte (De pulchritud. Dei 1. 2. c. XI.) un fait arrivé à Trèves, et qui fut reconnu, dit le P. Rossignoli (Merveille 69. p.50 fin p.51 ), par le vicaire général de ce diocèse comme présentant tous les caractères de la vérité. Le jour de la Toussaint, une jeune fille d’une rare piété vit apparaître devant elle une dame de sa connaissance, morte peu de temps auparavant. L’apparition était vêtue de blanc, un voile de même couleur sur la tête, et tenant un long rosaire à la main, signe de la tendre dévotion qu’elle avait toujours professée pour la Reine du ciel. Elle implorait la charité de sa pieuse amie, disant qu’elle avait fait vœu autrefois de faire célébrer trois messes à l’autel de la sainte Vierge, et que n’ayant pu l’accomplir, cette dette ajoutait à ses souffrances. Elle la pria donc de s’en acquitter à sa place.

La jeune personne accorda volontiers la charité qu’on lui demandait; et quand les trois messes eurent été célébrées, la défunte lui apparut de nouveau, lui témoignant sa joie et sa reconnaissance. Elle continua même à lui apparaître tout le mois de novembre, presque toujours dans l’église. Son amie la voyait en adoration devant le saint sacrement, abîmée dans un respect dont rien ne saurait donner une idée; ne pouvant encore voir son Dieu face à face, elle semblait vouloir s’en dédommager en le contemplant au moins sous les espèces eucharistiques. Pendant le divin Sacrifice de la messe, au moment de l’élévation, son visage s’irradiait de telle sorte, qu’on eût dit un séraphin descendu du ciel; la jeune fille en était dans l’admiration et déclarait n’avoir jamais rien vu de si beau.

Cependant les jours se passaient, et, malgré les messes et les prières offertes pour elle, cette sainte âme demeurait en son exil, loin des Tabernacles éternels. Le 3 décembre, fête de Saint François-Xavier, sa protectrice devant communier à l’église des Pères Jésuites, l’apparition l’accompagna à la sainte table et se tint ensuite à ses côtés, durant tout le temps de son action de grâces, comme pour participer au bonheur de la sainte Communion et jouir aussi de la présence de Jésus-Christ.

Le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, elle revint encore, mais si brillante que son amie ne pouvait la regarder. Elle approchait visiblement du terme de son expiation. Enfin le 10 décembre, pendant la sainte messe elle apparut dans un éclat plus merveilleux encore: après s’être inclinée profondément devant l’autel, elle remercia la pieuse fille de ses prières et monta au ciel en compagnie de son ange gardien.

Quelque temps auparavant cette sainte âme avait fait connaître qu’elle ne souffrait plus que la peine du dam, ou de la privation de Dieu; mais elle ajouta que cette privation lui causait un supplice intolérable. – Cette révélation justifie la parole de saint Chrysostome dans sa quarante-septième homélie: Supposez, dit-il, tous les tourments du monde, vous n’en trouverez point qui égale celui d’être privé de la vue béatifique de Dieu.

En effet, le supplice du dam, dont il s’agit ici, est, selon tous les saints et tous les docteurs, bien plus rigoureux que la peine du sens. Il est vrai que dans la vie présente nous ne saurions le comprendre, parce que nous connaissons trop peu le souverain bien pour lequel nous sommes créés. Mais dans l’autre vie, cet ineffable bien apparaît aux âmes comme le pain à un homme affamé, comme l’eau vive à celui qui meurt de soif, comme la santé à un malade torturé par de longues souffrances; il excite en elles des désirs brûlants qui les tourmentent sans pouvoir se satisfaire.

Chapitre 11 – Peine de sens

Tourment du feu et tourment du froid

Si nous sommes faiblement impressionnés par la peine du dam, il en est tout autrement de la peine du sens: le tourment du feu, le supplice d’un froid âpre et intense, effraye notre sensibilité. C’est pourquoi la divine miséricorde, voulant exciter dans nos âmes une sainte frayeur, ne nous parle guère de la peine du dam; mais elle nous donne sans cesse le feu, le froid et autres tourments qui constituent la peine du sens. C’est ce que nous voyons dans l’Évangile et dans les révélations particulières, par lesquelles il lui plaît de manifester de temps en temps à ses serviteurs les mystères de l’autre vie.

Le vénérable Bède et Drithelme

Citons quelques-unes de ces révélations. Voici d’abord celle que rapporte, d’après le vénérable Bède, le pieux et savant cardinal Bellarmin.

L’Angleterre a été témoin de nos jours, écrit Bède, d’un prodige insigne, comparable aux miracles des premiers siècles de l’Église. Pour exciter les vivants à craindre la mort de l’âme, Dieu a permis qu’un homme, après s’être endormis du sommeil de la mort, revint à la vie corporelle et révélât ce qu’il avait vu dans l’autre monde. Les détails effrayants, inouïs, qu’il raconta, et sa vie de pénitence extraordinaire qui répondait à ses paroles, produisirent dans tout le pays la plus vive impression. Je résumerai les principales circonstances de cette histoire.

Il y avait dans le Northumberland un homme appelé Drithelme, qui vivait fort chrétiennement avec toute sa famille. Il tomba malade, et son mal s’aggrava de jour en jour au point qu’il fut enfin réduit à l’extrémité, et mourut à la grande désolation de sa femme et de ses enfants. Ceux-ci passèrent la nuit en pleurs auprès de son corps; mais le lendemain, avant de l’ensevelir, ils le virent tout d’un coup reprendre vie, se soulever et se mettre sur son séant. A cette vue ils furent saisis d’une telle frayeur qu’ils prirent tous la fuite, à l’exception de la femme, qui resta seule toute tremblante avec son mari ressuscité. Il la rassura aussitôt: Ne craignez point, lui dit-il, c’est Dieu qui me rend à la vie: il veut montrer en ma personne un homme ressuscité de la mort. Je sois vivre encore quelques temps sur la terre; mais ma nouvelle vie sera bien différente de celle que j’ai menée jusqu’ici.

Alors il se leva plain de santé, s’en alla droit à la chapelle ou église du lieu, et y demeura longtemps en prière. Il ne rentre chez lui, que pour prendre congé de ceux qui lui avaient été chers sur la terre, il leur déclara qu’il ne voulait plus vivre que pour se préparer à la mort et les engagea tous à en faire autant. Puis ayant partagé son bien en trois parts, il en donna une à ses enfants, une autre à sa femme et se réservé la troisième pour en faire des aumônes. Quand il eut tout distribué aux pauvres et se fut réduit lui-même à une extrême indigence, il alla frapper à la porte d’un monastère et supplia l’abbé de la recevoir comme un religieux pénitent, qui serait le serviteur de tous les autres.

L’abbé lui donna une cellule à l’écart, qu’il habita le reste de sa vie. Trois exercices partageaient tout son temps, la prière, les plus durs travaux et des pénitences extraordinaires. Les jeûnes les plus rigoureux étaient pour lui peu de choses; de plus, on le voyait en hiver se plonger dans l’eau glacée et y demeurer des heures et des heures en prières, jusqu’à réciter tous les psaumes du psautier de David.

La vie si mortifiée de Drithelme, ses yeux toujours baissés, les traits même de son visage, dénotaient une âme frappée de la crainte des jugements de Dieu. Il gardait un silence perpétuel, mais on le pressa de dire pour l’édification des autres ce que Dieu lui avait montré après sa mort. Alors il racontait ainsi sa vision.

Au sortir de mon corps, je fus accueilli par un personnage bienveillant qui me pris sous sa conduite: il avait le visage rayonnant et paraissait environné de lumière. Nous arrivâmes dans une vallée large, profonde, et d’une étendue immense, toute de feu d’un côté, toute de neige et de glace de l’autre; ici des brasiers et des tourbillons de flammes, là le froid le plus intense et le souffle d’un vent glacial.

Cette vallée mystérieuse était pleine d’âmes innombrables qui, agitées comme par une furieuse tempête, se portaient sans cesse d’un côté à l’autre. Quand elles ne pouvaient pas supporter la violence du feu, elles cherchaient à se rafraîchir au sein des glaces et des neiges; mais n’y trouvant qu’un nouveau supplice, elles se rejetaient au milieu des flammes.

Je considérais avec stupeur ces vicissitudes continuelles d’horribles tourments; et aussi loin que ma vue pouvait s’étendre, je ne voyais que des multitudes d’âmes, qui souffraient toujours et n’avaient jamais de repos. Leur seul aspect inspirait l’effroi. Je crus d’abord que je voyais l’enfer; mais mon guide, qui marchait devant, se tourna vers moi et me dit: « Non, ce n’est pas ici l’enfer des réprouvés, comme vous le pensez. Savez-vous, continua-t-il, quel est ce lieu ? – Non, répondis-je. – Sachez, reprit-il, que cette vallée où vous voyez tant de feu et tant de glace, est le lieu où sont punies les âmes de ceux qui ont négligé toute leur vie de se confesser et qui ont différé leur conversion jusqu’à la fin. Grâce à une miséricorde spéciale de Dieu, ils ont eu avant de mourir le bonheur de se repentir sincèrement, de confesser et de détester leurs péchés. C’est pourquoi elles ne sont point réprouvées, et entreront dans le royaume des cieux au grand jour du jugement. Plusieurs même d’entre eux obtiennent leur délivrance avant ce temps, par le mérite des prières, des aumônes et des jeûnes faits par les vivants en leur faveur, surtout par la vertu du Sacrifice de la messe, qu’on offre pour leur soulagement. »

Tel était le récit de Drithelme. Quand on lui demandait pourquoi il traitait si rudement son corps, pourquoi il se plongeait dans l’eau glacée ? il répondait qu’il avait vu d’autres tourments et un froid autrement rigoureux.

Si l’on s’étonnait qu’il pût soutenir ces étranges austérités: j’ai vu, disait-il, des pénitences autrement surprenantes. – Aussi, jusqu’au jour où Dieu le rappela à lui, il ne cessa d’affliger son corps; et bien qu’il fût cassé de vieillesse, il ne voulut accepter aucun adoucissement.

Cet événement produisit une profonde sensation en Angleterre: grand nombre de pécheurs, touchés des discours de Drithelme et frappés par l’austérité de sa vie, se convertirent sincèrement.

Ce fait, ajoute Bellarmin, me paraît d’une vérité incontestable: outre qu’il est conforme à ces paroles de l’Écriture: Ils passeront du froid des neiges aux brûlantes ardeurs du feu, le vénérable Bède le rapporte comme un événement récent et bien connu. De plus, il fut suivi de la conversion d’un grand nombre de pécheurs, ce qui est signe des œuvres de Dieu qui a coutume d’opérer des prodiges pour produire du fruit dans les âmes.

Chapitre 12 – Peines du purgatoire

Le savant et pieux cardinal rapporte ensuite l’histoire de sainte Christine l’admirable, qui vécut en Belgique à la fin du douzième siècle, et dont le corps se conserve aujourd’hui à Saint-Trond, dans l’église des Pères Rédemptoristes. La vie de cette illustre vierge fut, dit-il, écrite par Thomas de Cantimpré, religieux de l’Ordre de saint Dominique, auteur très-digne de foi et contemporain de la Sainte. Le cardinal Jacques de Vitry, dans la préface de la Vie de sainte Marie d’Ognies, parle d’une foule de saintes femmes et d’illustres vierges; mais celle qu’il admire au-dessus de toutes, est sainte Christine, dont il résume des étonnantes actions.

Cette servante de Dieu, après avoir passé dans l’humilité et la patience les premières années de sa vie, mourut à l’âge de trente-deux ans. Lorsqu’on allait l’ensevelir et que son corps était déjà dans l’église, couché dans une bière ouverte, selon l’usage de l’époque, elle se leva plaine de vie, jetant dans la stupeur toute la ville de Saint-Trond, témoin de cette merveille. L’étonnement fut bien plus grand, quand on apprit de sa bouche ce qui lui était arrivé après sa mort. Écoutons-la raconter elle-même son histoire.

« Aussitôt, dit-elle que mon âme fut séparée de mon corps, elle fut reçue par les anges, qui la conduisirent dans un lieu fort sombre et tout rempli d’âmes. Les tourments qu’elles y souffraient me semblaient si excessifs, qu’il est impossible d’en exprimer la rigueur. Je vis, parmi elles beaucoup de personnes de ma connaissance, et profondément touchée de leur triste état, je demandais quel était ce lieu, car je croyais que c’était l’enfer. Mon guide me répondit que c’était le purgatoire, où l’on punissait les pécheurs qui, avant de mourir, s’étaient repentis de leurs fautes, mais qui n’en avaient pas fait à Dieu une digne satisfaction. – De là je fus conduite dans l’enfer, et j’y reconnus aussi quelques malheureux réprouvés, que j’avais vu autrefois.

« Les anges alors me transportèrent dans le ciel, jusqu’au trône de la Majesté divine. Le Seigneur me regarda d’un œil favorable, et j’en eu une extrême joie, parce que je croyais obtenir la grâce de demeurer éternellement auprès de lui. Mais mon père céleste voyant ce qui se passait dans mon cœur, me dit ces paroles: Sans doute, ma chère fille, vous serez ici avec moi un jour. Pour le moment néanmoins je vous permets de choisir, ou bien d’être avec moi dès à présent, ou de retourner encore sur la terre pour y remplir une mission de charité et de souffrance. Afin de délivrer des flammes du purgatoire ces âmes qui vous ont inspiré tant de compassion, vous souffrirez pour elles sur la terre, vous endurerez de très grands tourments sans portant en mourir. Et non seulement vous soulagerez les défunts, mais l’exemple que vous donnerez aux vivants et votre vie pleine de souffrances portera les pécheurs à se convertir et à expirer leurs crimes. Après avoir achevé cette nouvelle vie, vous retournerez ici comblée de mérites.

« A ces paroles, voyant les grands avantages qui m’étaient offerts pour les âmes, je répondis sans hésiter, que je voulais reprendre la vie, et je suis ressuscitée au même instant. C’est dans le seul but de m’employer au soulagement des trépassés et à la conversion des pécheurs que je suis revenue dans ce monde. C’est pourquoi ne soyez pas étonnés des pénitences que vous me verrez faire ni de la vie que je mènerai désormais: elle sera si extraordinaire que jamais on n’aura rien vu de semblable. »

Tout ce récit est de la Sainte; voici ce que l’historien ajoute dans les divers chapitres de sa vie. Christine commença aussitôt à faire les choses pour lesquelles elle était envoyée de Dieu. Rejetant tous les adoucissements de la vie, se réduisant à un extrême dénuement, elle vivait sans feu ni lieu, plus misérable que les oiseaux du ciel qui ont un nid pour s’abriter. Non contente de ces privations, elle recherchait tout ce qui pouvait la faire souffrir et la tourmenter. Elle se jetait dans des fournaises ardentes, et y souffrait de si terribles douleurs, que, n’en pouvant plus, elle poussait des cris effroyables. Elle se tenait longtemps dans le feu, et quand elle en sortait, il ne paraissait dans son corps nulle marque de brûlure. – En hiver, quand la Meuse était glacée, elle s’y plongeait, et demeurait dans ce bain affreux, non seulement des heures et des jours, mais des semaines entières, priant Dieu tout ce temps et implorant sa miséricorde. – Quelquefois quand elle priait dans les eaux glaciales, elle se laissait emporter par le courant jusqu’à un moulin, dont la roue l’enlevait et la faisait tourner horriblement, sans pourtant briser ni disloquer aucun de ses os. – D’autres fois, poursuivie par des chiens qui la mordaient et la déchiraient, elle courait en les agaçant parmi les halliers et les épines, jusqu’à ce qu’elle fût toute en sang; néanmoins, quand elle était de retour, on ne lui voyait ni blessure ni cicatrice.

Bellarmin et sainte Christine l’admirable

Voilà quelques traits des admirables pénitences, décrites par l’historien de sainte Christine. Cet auteur était évêque, suffragant de l’archevêque de Cambrai; et nous avons, dit Bellarmin, tout sujet d’ajouter foi à son témoignage, tant parce qu’il a pour garant un autre très grave auteur, Jacques de Vitry, évêque et cardinal; que parce qu’il rapporte ce qui était arrivé de son temps et dans la province même qu’il habitait. D’ailleurs ce que souffrait cette admirable vierge n’était point caché: tout le monde a pu la voir au milieu des flammes, sans qu’elle fût consumée, et couverte de plaies volontaires, sans qu’il en parût la moindre marque un moment après. Ce qui plus est, sa merveilleuse vie dura quarante-deux ans, depuis quelle fut ressuscitée, et Dieu montra clairement que tout en elle se faisait par la vertu d’en haut. Les conversions insignes qu’elle opéra pendant sa vie et les miracles évidents qu’elle fit après sa mort firent voir manifestement le doigt de Dieu et la vérité de ce que, après sa résurrection, elle avait révélé de l’autre vie.

Ainsi, conclut Bellarmin, Dieu voulut fermer la bouche à ces libertins qui font profession de ne rien croire, et qui ont la témérité de dire en raillant: Qui est revenu de l’autre monde ? Qui n’a jamais vu les tourments de l’enfer et du purgatoire ? Voilà deux témoins fidèles: ils assurent qu’ils les ont vus et qu’ils sont épouvantables. Que s’ensuit il donc, sinon que les incrédules sont inexcusables ? mais ceux qui croient, et néanmoins de font pas pénitence, sont plus condamnables encore.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 7, 8, 9

Chapitre 7 – Lieu du purgatoire

Sainte Lidvine de Schiedam

Citons une troisième vision concernant l’intérieur du purgatoire, celle de sainte Lidvine de Schiedam (1), qui mourut le 11 avril 1433, et dont l’histoire, écrite par un prêtre son contemporain, est de la plus parfaite authenticité. Cette admirable vierge, vrai prodige de patience chrétienne, fut en proie à toutes les douleurs des plus cruelles maladies durant le long espace de trente-huit ans. Ses douleurs lui rendant le sommeil impossible, elle passait ses longues nuits dans la prière, et alors souvent ravie en esprit, elle était conduite par son ange gardien dans les régions mystérieuses du purgatoire. Elle y voyait des demeures, des prisons, des cachots divers, plus tristes les uns que les autres, elle y rencontrait des âmes qu’elle connaissait, et on lui montrait leurs châtiments divers.

On pourrait demander quelle était la nature de ces voyages extatiques ? et il est difficile de l’expliquer; mais on peut conclure de certaines autres circonstances qu’ils avaient plus de réalité qu’on ne serait porté à le croire. La sainte malade faisait des voyages analogues et des pèlerinages sur la terre, aux saints lieux de Palestine, aux églises de Rome et aux monastères du voisinage. Elle rapportait des endroits ainsi parcourus les connaissances les plus exactes. Un religieux du monastère de sainte Élisabeth, s’entretenant un jour avec elle, et parlant des cellules, du chapitre, du réfectoire de sa communauté, elle lui fit de toute sa maison une description exacte et détaillée, comme si elle y eût passé toute sa vie. Le religieux lui en ayant témoigné sa surprise: « Sachez, mon père, dit-elle, que j’ai parcouru votre monastère, j’ai visité toutes les cellules, j’ai vu les anges gardiens de tous ceux qui les habitent. » – Or voici un des voyages de notre Sainte dans le purgatoire.

Un malheureux pécheur, engagé dans les routes perdues du monde, s’était enfin converti, grâce aux prières de Lidvine et à ses pressantes exhortations, il fit une confession sincère de tous ses désordres, en reçut l’absolution, mais n’eut pas le temps de pratiquer beaucoup de pénitences, parce qu’il mourut de la peste peu après.

La sainte offrit pour son âme beaucoup de prières et de souffrances; et quelque temps après, ayant été conduite par son ange au purgatoire, elle désira savoir s’il y était encore et quelle était sa situation. – « Il y est, dit son guide céleste, et il souffre beaucoup. Seriez-vous disposée à endurer quelque peine pour diminuer les siennes ? – Sans doute, répondit-elle, je suis prête à tout pour l’aider. « – Aussitôt l’ange la conduisit dans un lieu de tortures effroyables: « Est-ce donc ici l’enfer, mon frère, demanda la sainte fille, saisie d’horreur ? – Non, ma sœur, répondit l’ange; mais cette partie du purgatoire est contiguë à l’enfer. »

En regardant de tout côté, elle aperçut comme une immense prison, entourée de murailles d’une hauteur prodigieuse, dont la noirceur et les pierres monstrueuses faisaient horreur. En approchant de cette sinistre enceinte, elle entendit un bruit confus de voix lamentables, de cris de fureur, de chaînes, d’instruments de torture, de coups violents que des bourreaux déchargeaient sur leurs victimes. Ce bruit était tel que tous les fracas du monde dans les tempêtes et les batailles ne sauraient y être comparés. – « Quel est donc cet horrible lieu ? demanda Lidvine à son bon ange. – C’est l’enfer, répondit-il. Voulez-vous que je vous le fasse voir ? – Non, de grâce, dit-elle, glacée d’épouvante: le bruit que j’entends est si affreux que je n’y puis tenir davantage; comment pourrais-je supporter la vue de ces horreurs ? »

(1) En continuant sa route mystérieuse, elle vit un ange tristement assis sur le bord d’un puits. « Quel est cet ange, demanda-t-elle à son guide ? – C’est, répondit-il, l’ange gardien du pécheur dont le sort vous intéresse. Son âme est dans ce puits où elle fait un purgatoire spécial.» – Lidvine à ces mots jeta sur son ange un regard expressif: elle désirait voir cette âme qui lui était chère, et travailler à la retirer de cet affreux cachot. Son ange, qui la comprit, ayant soulevé le couvercle de ce puits par un acte de sa puissance, un tourbillon de flammes s’en échappa ainsi que des cris plaintifs. – « Reconnaissez-vous cette voix, lui dit l’ange. – Hélas ! oui, répondit la servante de Dieu. – Désirez-vous voir cette âme, ajouta-t-il ? » – Sur sa réponse affirmative il l’appela par son nom; et aussitôt notre vierge vit paraître à l’ouverture du puits, un esprit tout en feu, semblable à un métal incandescent, qui lui dit d’une voix mal articulée: « Ô Lidvine, servante de Dieu, qui me donnera de pouvoir contempler la face du Très-Haut ! »

La vue de cette âme en proie au plus terrible tourment du feu produisit en notre sainte un tel saisissement, que sa ceinture, toute neuve et très forte qu’elle portait autour du corps, se rompit en deux; et que ne pouvant plus longtemps soutenir cette vue, elle revint subitement de son extase. Les personnes présentes, s’apercevant de son effroi, lui demandèrent ce qu’elle avait ? – « Hélas ! répondit-elle, qu’elles sont affreuses les prisons du purgatoire ! C’est pour aider les âmes que je consens à y descendre. Sans ce motif, on me donnerait le monde entier que je ne voudrais pas subir les terreurs que me cause un si affreux spectacle. »

Quelques jours après, le même ange qu’elle avait vu si triste, lui apparut avec un visage joyeux: il lui apprit que l’âme de son protégé était sortie du puits et avait passé au purgatoire ordinaire. Ce soulagement partiel ne pouvait suffire à la charité de Lidvine: elle continua à prier pour le pauvre patient et à lui appliquer le mérite de ses souffrances, jusqu’à ce qu’elle vît s’ouvrir devant lui les portes du ciel.

Chapitre 8 – Lieu du purgatoire

Saint Grégoire le Grand. – Le diacre Paschase et le prêtre de Centumcelle

Selon saint Thomas et d’autres docteurs, comme nous avons vu plus haut, dans des cas particuliers la divine justice assigne un lieu spécial sur la terre à la purification de certaines âmes. Ce sentiment se trouve confirmé par plusieurs faits; parmi lesquels nous citerons en premier lieu les deux que rapporte saint Grégoire-le-Grand dans ses Dialogues (Dialogor. IV, 40. p.38 fin p.39). « Lorsque j’étais jeune et encore laïque, écrit le saint Pape, j’ai entendu raconter aux anciens qui étaient bien informés, comment le diacre Paschase apparut à Germain, évêque de Capoue. Paschase, diacre de ce siège apostolique, de qui nous possédons encore les excellents livres sur le Saint-Esprit, était un homme d’éminente sainteté, adonné aux œuvres de charité, zélé pour le soulagement des pauvres, et fort oublieux de lui-même. Une contestation s’étant élevée au sujet d’une élection pontificale, Paschase se sépara des Évêques et embrassa le parti de celui que l’épiscopat n’avait point approuvé. Or, il mourut bientôt, avec une réputation de sainteté que Dieu confirma par un miracle: Une guérison éclatante eut lieu le jour de ses funérailles, au simple attouchement de sa dalmatique.

« Longtemps après, Germain, Évêque de Capoue, fut envoyé par les médecins aux bains de Sant-Angelo, dans les Abruzzes. Quel ne fut pas son étonnement d’y trouver, employé aux derniers offices des bains, le même diacre Paschase ! – J’expie ici, lui dit l’apparition, le tort que j’eus de me ranger au parti mauvais. Je vous en supplie, priez pour moi le Seigneur: vous saurez que vous êtes exaucé dès que vous cesserez de me voir en ces lieux. »

Germain commença de prier pour le défunt, et, au bout de quelques jours, étant revenu, il chercha vainement Paschase, qui avait disparu. – Il n’eut à subir, ajoute saint Grégoire, qu’un châtiment temporaire après cette vie, parce qu’il avait péché par ignorance et non par malice. »

Le même saint Pape parle ensuite d’un prêtre de Centumcellae, aujourd’hui Civitavecchia, qui lui aussi était allé aux eaux thermales. Un homme se présenta pour le servir dans les derniers offices de la domesticité, et durant plusieurs jours lui donna ses soins avec une complaisance et un empressement extrême. Le bon prêtre, pensant qu’il devait récompenser tant d’égards, arriva le lendemain porteur de deux pains bénits, et, après le service ordinaire, les offrit au complaisant serviteur. Celui-ci, d’un air triste, lui répondit: Pourquoi, mon père, me présenter ce pain ? Je ne puis le manger. Moi, que vous voyez, je fus ici le maître autrefois, et, après ma mort, pour l’expiation de mes fautes, j’y ai été renvoyé dans l’état que vous voyez. Si vous me voulez du bien, oh ! je vous en prie, offrez pour moi le Pain Eucharistique.

A ces mots il disparut subitement, et celui qu’on avait cru un homme, montra en s’évanouissant qu’il n’était qu’un esprit. Pendant toute une semaine le prêtre se livra aux exercices de la pénitence, et offrit chaque jour l’Hostie salutaire en faveur du défunt; puis étant retourné aux mêmes bains, il ne l’y trouva plus, et en conclut qu’il était délivré.

Le Bienheureux Étienne, franciscain et le religieux dans sa stalle

Il semble que la divine justice condamne parfois les âmes à subir leur peine au lieu même où elles commirent leurs fautes. On lit dans les chroniques des Frères-Mineurs (Liv. 4, chap. 30. Cf. Rossignoli, Merveilles du purgatoire. Merv. 27.), que le bienheureux Étienne, religieux de cet institut, avait pour le Saint-Sacrement une dévotion singulière, qui lui faisait passer en adoration une partie de ses nuits. Dans une de ces circonstances, étant seul à la chapelle au milieu des ténèbres, que rompait l’unique lueur d’une petite lampe, il aperçoit tout à coup dans une stalle un religieux, profondément recueilli et la tête ensevelie dans son capuchon. Étienne s’approche de lui, et demande s’il a bien la permission de quitter sa cellule à pareille heure ? – Je suis un religieux défunt, répond-il. C’est ici que je dois accomplir mon purgatoire, d’après un arrêt de la justice de Dieu, parce que c’est ici que j’ai péché par tiédeur et négligence dans l’office divin. Le Seigneur me permet de vous faire connaître mon état, afin que vous m’aidiez par vos prières.

Ému de ces paroles, le Bienheureux Étienne se mit à genoux aussitôt pour réciter le De profundis et autres prières; et il remarqua que pendant qu’il priait, le visage du défunt exprimait la joie. – Plusieurs fois encore, les nuits suivantes, l’apparition se montra de la même manière, plus heureuse chaque fois, à mesure qu’elle approchait de sa délivrance. Enfin après une dernière prière du Bienheureux Étienne, elle se leva de sa stalle toute radieuse, témoigna sa reconnaissance à son libérateur, et disparut dans les clartés de la gloire.

Théophile Renaud et la malade de Dôle

Le fait suivant a quelque chose de si merveilleux, que nous hésiterions, dit le chanoine Postel, à le reproduire, s’il n’avait été consigné en maint ouvrage, d’après le Père Théophile Raynaud, théologien et controversiste distingué du XVIIe siècle (Dans son ouvrage intitulé Heteroclita spiritualia, part. 2, sect. 3, punct. 5 (Grenoble, 1646 in-4o), alias punct. 6, quaesit. 9, Cf. Rossignoli, Merv. 99.), qui le rapporte comme un événement arrivé de son temps et presque sous ses yeux. L’abbé Louvet ajoute que le vicaire général de l’archevêque de Besançon, après en avoir examiné tous les détails, en avait reconnu la vérité. – L’an 1629, à Dôle en Franche-Comté, Huguette Roy, femme de médiocre condition, était retenue au lit par une fluxion de poitrine qui faisait craindre pour sa vie. Le médecin ayant cru devoir la saigner, eut la maladresse de lui couper l’artère du bras gauche: ce qui la réduisit promptement à toute extrémité.

Le lendemain, à la pointe du jour, elle voit entrer dans sa chambre une jeune fille, toute vêtue de blanc, d’un maintien fort modeste, qui lui demande si elle consent à accepter ses services et à être soignée par elle. La malade, heureuse de cette offre, répond que rien ne lui sera plus agréable; et aussitôt l’étrangère allume le feu, en approche Huguette, la remet doucement dans son lit; puis continue de la veiller et de la servir comme ferait l’infirmière la plus dévouée. Chose merveilleuse ! Le contact des mains de cette inconnue était si bienfaisant, que la mourante s’en trouva grandement soulagée et se sentit bientôt entièrement guérie. Alors elle voulut absolument savoir quelle était cette aimable inconnue, et l’appela pour l’interroger, mais elle s’éloigna en disant qu’elle reviendrait le soir. – Cependant l’étonnement, la curiosité furent extrêmes, quand on eut connaissance de cette guérison soudaine, et il n’était bruit dans toute la ville de Dôle que de ce mystérieux événement.

Quand l’inconnue revint le soir, elle dit à Huguette Roy, sans plus chercher à se cacher: « Sachez, ma chère nièce, que je suis votre tante, Léonarde Collin, qui mourut il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière de son petit bien. Grâce à la bonté divine, je suis sauvée, et c’est la sainte Vierge Marie, pour laquelle j’eus une grande dévotion, qui m’a obtenu ce bonheur. Sans elle j’étais perdue. Quand la mort est venue me frapper subitement, j’étais en péché mortel; mais la miséricordieuse Vierge m’obtint à ce moment un mouvement de contrition parfaite, et me sauva ainsi de la damnation éternelle. Depuis lors je suis au purgatoire, et le Seigneur me permet de venir achever mon expiation en vous servant pendant quarante jours. Au bout de ce temps, je serai délivrée de mes peines, si de votre côté vous avez la charité de faire pour moi trois pèlerinages à trois sanctuaires de la sainte Vierge. »

Huguette étonnée, ne sachant que penser de ce langage, ne pouvant croire à la réalité de cette apparition, et craignant quelque piège de l’esprit malin, consulta son confesseur, le père Antoine Rolland, jésuite, qui l’engagea à menacer l’inconnue des exorcismes de l’Église. Cette menace ne la troubla point; elle dit tranquillement qu’elle ne craignait pas les prières de l’Église: « Elles n’ont de force, ajouta-t-elle, que contre les démons et les damnés, nullement contre des âmes prédestinées, et en grâce avec Dieu, comme je le suis. » – Huguette n’était pas convaincue: « Comment, dit-elle à la jeune fille, pouvez-vous être ma tante Léonarde ? Celle-ci était vieille et cassée, désagréable et quinteuse; tandis que vous êtes jeune, douce et prévenante. – Ah ! ma nièce, répondit l’apparition, mon véritable corps est dans le tombeau, où il restera jusqu’à la résurrection; celui que vous me voyez est un autre corps, formé miraculeusement de l’air, pour me permettre de vous parler, de vous servir et d’obtenir vos suffrages. Quant à mon caractère difficile, colérique, dix-sept ans de terribles souffrances m’ont bien appris la patience et la douceur. Sachez d’ailleurs, qu’en purgatoire on est confirmé en grâce, marqué du sceau des élus, et par là même exempt de tous les vices. »

Après de telles explications, l’incrédulité n’était plus possible. Huguette, à la fois émerveillée et reconnaissante, reçut avec bonheur les services qui lui étaient rendus, pendant les quarante jours marqués. Elle seule pouvait voir et entendre la défunte, qui venait à certaines heures et disparaissait ensuite. Dès que ses forces le lui permirent, elle accomplit pieusement les pèlerinages qu’on lui avait demandés.

Au bout des quarante jours, les apparitions cessèrent. Léonarde se montra une dernière fois pour annoncer sa délivrance: elle était alors dans l’état d’une incomparable gloire, étincelante comme un astre et portant sur son visage l’expression de la plus parfaite béatitude. Elle témoigna à son tour sa reconnaissance à sa nièce, lui promit de prier pour elle et pour toute sa famille, et l’engagea à se souvenir toujours, au milieu des peines de la vie, du but suprême de notre existence, qui est le salut de notre âme.

Chapitre 9

Peines du purgatoire, leur nature, leur rigueur

Il y a dans le purgatoire comme dans l’enfer une double peine, la peine du dam et la peine du sens. La peine du dam (damnum, dommage) consiste à être privé, pour un temps de la vue de Dieu, qui est le bien suprême, l’objet béatifique pour lequel nos âmes sont faites, comme nos yeux pour la lumière. C’est une soif morale dont l’âme est tourmentée.

La peine du sens, ou la douleur sensible, est semblable à celle que nous éprouvons dans notre chair. La nature n’en est pas définie par la foi; mais c’est le sentiment commun des docteurs qu’elle consiste dans le feu et autres genres de souffrances. – Le feu du purgatoire est de la même nature, disent les pères, que celui de l’enfer dont parle le Mauvais Riche: Quia crucior in hac flamma, je souffre, dit-il, cruellement dans cette flamme.

Quant à la rigueur de ces peines, comme elles sont infligées par la plus équitable justice, elles sont proportionnées à la nature, à la gravité et au nombre des fautes. Chacun reçoit selon ses œuvres, chacun doit acquitter les dettes dont il se trouve chargé devant Dieu. Or ces dettes sont très-inégales. Il y en a qui, accumulées durant toute une longue vie, s’élèvent aux dix mille talents de l’Évangile, c’est-à-dire à des millions et des milliards; tandis que d’autres se réduisent à quelques oboles, faible reste de ce qui n’a pas été expié sur la terre. – Il s’ensuit que les âmes subissent des peines très différentes, qu’il y a dans les expiations du purgatoire d’innombrables degrés et que les unes sont incomparablement plus rigoureuses que les autres.

Toutefois, parlant en général, les docteurs s’accordent à dire que ces peines sont très-rigoureuses. C’est le même feu, dit saint Grégoire, qui tourmente les damnés et purifie les élus (In psalm. 37.). Presque tous les théologiens, dit Bellarmin, enseignent que les réprouvés et les âmes du purgatoire souffrent l’action du même feu (De purgat. 1. 2. cap. 6.).

Bellarmin

Il faut tenir pour certain, écrit le même Bellarmin (De gemitu columbœ, lib. 2. cap. 9.), qu’il n’y a point de proportion entre les souffrances de cette vie et celles du purgatoire. Saint Augustin le déclare nettement dans son commentaire sur le psaume 31: Seigneur, dit-il, ne me punissez pas dans votre fureur, et ne me rejetez pas avec ceux à qui vous direz: Allez au feu éternel; mais ne me châtiez pas non plus dans votre colère: purifiez-moi plutôt tellement en cette vie, que je n’aie pas besoin d’être purifié par le feu dans l’autre. Oui, je crains ce feu qui a été allumé pour ceux qui seront sauvés il est vrai, mais qui ne le seront, qu’en passant auparavant par le feu (1 Cor. III, 15.). Ils seront sauvés, sans doute, après l’épreuve du feu; mais cette épreuve sera terrible, ce tourment sera plus insupportable que tout ce qu’on peut souffrir de plus douloureux en ce monde. – Voilà ce que dit saint Augustin, et ce qu’ont dit après lui saint Grégoire, le vénérable Bède, saint Anselme, saint Bernard. – Saint Thomas va même plus loin, il soutient que la moindre peine du purgatoire, surpasse toutes les peines de cette vie, quelles qu’elles puissent être. – La douleur, disait le Bienheureux Pierre Lefèvre, est plus profonde et beaucoup plus intime quand elle saisit directement l’âme et l’esprit, que quand elle n’y atteint que par l’intermédiaire du corps. Le corps mortel et les sens eux-mêmes absorbent et détournent une partie des peines physiques ou même morales (Sentim. du Bienheureux Lefèvre sur le purg. Messager du Sacré C. novembre 1873.).

Doctrine des théologiens

L’auteur du livre de l’Imitation exprime cette doctrine par une sentence pratique et saisissante. En parlant en général des peines de l’autre vie: Là, dit-il, une heure dans le tourment sera plus terrible qu’ici cent années de la plus rigoureuse pénitence (I, chap. 24.). Pour prouver cette doctrine, il est constant, ajoute Bellarmin, que toutes les âmes souffrent au purgatoire la peine du dam. Or cette peine surpasse toute souffrance sensible. Mais pour ne parler que de la seule peine du sens, nous savons combien terrible est le feu, si faible qu’il soit, que nous allumons dans nos maisons, et combien la moindre brûlure cause de douleur: or il est bien autrement terrible ce feu qui ne se nourrit ni de bois ni d’huile, et que rien ne saurait éteindre. Allumé par le souffle de Dieu pour être l’instrument de sa justice, il s’attaque aux âmes et les tourmente avec une activité incomparable.

Saint François de Sales – Crainte et confiance

Ce que nous venons dire et ce que nous avons à dire encore est bien propre à nous inspirer cette crainte salutaire qui nous est recommandée par Jésus-Christ. Mais de peur que certains lecteurs, oubliant la confiance chrétienne qui doit tempérer nos craintes, ne se livrent à une frayeur excessive, rapprochons de la doctrine précédente celle d’un autre docteur de l’Église, saint François de Sales, qui présente les peines du purgatoire tempérées par les consolations qui les accompagnent.

« Nous pouvons, disait ce saint et aimable directeur des âmes, tirer de la pensée du purgatoire plus de consolation que d’appréhension. La plupart de ceux qui craignent tant le purgatoire, songent plutôt à leur propre intérêt qu’aux intérêts de la gloire de Dieu; ce qui provient de ce qu’ils envisagent uniquement les peines de ce lieu, sans considérer en même temps les félicités et la paix que Dieu y fait goûter aux âmes. Il est vrai que les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de cette vie n’y peuvent être comparées; mais aussi les satisfactions intérieures y sont telles, qu’il n’y a point de prospérité ni de contentement sur la terre qui les puisse égaler.» Les âmes y sont dans une continuelle union avec Dieu. Elles y sont parfaitement soumises à sa volonté; ou, pour mieux dire, leur volonté est tellement transformée en celle de Dieu, qu’elles ne peuvent vouloir que ce que Dieu veut: en sorte que, si le paradis leur était ouvert, elles se précipiteraient plutôt en enfer, que de paraître devant Dieu avec les souillures qu’elles voient encore en elles. Elles s’y purifient volontairement et amoureusement, parce que tel est le bon plaisir divin. Elles veulent y être en la façon qu’il plaît à Dieu, et pour autant de temps qu’il lui plaira.»

Elles sont impeccables, et ne peuvent avoir le moindre mouvement d’impatience ni commettre la moindre imperfection. Elles aiment Dieu plus qu’elles ne s’aiment elles-mêmes et plus que toute chose: elles l’aiment d’un amour accompli, pur, désintéressé. – Elles sont consolées par les anges. Elles sont assurées de leur salut et remplies d’une espérance qui ne peut être confondue dans son attente. – Leur amertume très amère est dans une paix très-profonde. Si c’est une espèce d’enfer quant à la souffrance, c’est un paradis quant à la douceur répandue dans leur cœur par la charité: charité plus forte que la mort et plus puissante que l’enfer; charité dont les lampes sont tout de feu et de flammes. (Cantic. VIII.) »

Heureux état, continue le saint Évêque, heureux état, plus désirable que redoutable, puisque ces flammes, sont des flammes d’amour et de charité (Esprit de saint François de Sales, p. 16, chap. 9.). » Voilà les enseignements des docteurs: il en résulte que si les peines du purgatoire sont rigoureuses, elles ne sont pas sans consolations. Le bon Jésus, qui a bu son calice si amer sans aucun adoucissement, a voulu adoucir le nôtre. En nous imposant sa croix dans cette vie, il y répand son onction, et en purifiant les âmes du purgatoire comme l’or dans la fournaise, il tempère leurs ardeurs par des consolations ineffables. Nous ne pouvons perdre de vue cet élément consolateur, ce côté lumineux, dans les tableaux parfois bien sombres que nous aurons à contempler.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 4, 5, 6

Chapitre 4

Lieu du purgatoire

Bien que la foi ne nous dise rien de précis sur le lieu du purgatoire, l’opinion la plus commune, celle qui s’accorde le mieux avec le langage de l’Écriture et qui est plus généralement reçue parmi les théologiens, le place dans les entrailles de la Terre, non loin de l’enfer des réprouvés. Les théologiens sont presque unanimes, dit Bellarmin (Catech. Rom. cap. 6.), à enseigner que le purgatoire, du moins le lieu ordinaire des expiations, est situé dans le sein de la terre, que les âmes du purgatoire et les, réprouvés sont dans les mêmes espaces souterrains, dans ces régions profondes que l’Écriture appelle les enfers.

Doctrine des théologiens – Catéchisme du Concile de Trente.

Quand nous disons dans le Symbole des apôtres, que Jésus-Christ après sa mort est descendu aux enfers, « le nom d’enfers, dit le catéchisme du Concile de Trente, signifie ces lieux cachés, où sont détenues les âmes qui n’ont point encore obtenu la béatitude éternelle. Mais ces lieux sont de plusieurs espèces. L’un est une prison noire et obscure, où les âmes des réprouvés sont continuellement tourmentées, avec les esprits immondes, par un feu qui ne s’éteint jamais. Ce lieu, qui est l’enfer proprement dit, s’appelle encore géhenne et abîme.»

Il y a un autre enfer, où est le feu du purgatoire. C’est là que les âmes des justes souffrent pendant un certain temps, pour être entièrement purifiées, avant que l’entrée leur soit ouverte dans la céleste patrie; car rien de souillé ne saurait y entrer jamais. »

Un troisième enfer, était celui où étaient reçues, avant la venue de Jésus-Christ, les âmes des saints, et dans lequel elles jouissaient d’un repos tranquille, exemptes de douleurs, consolées et soutenues par l’espérance de leur rédemption. Ce sont ces âmes saintes qui attendaient Jésus-Christ dans le sein d’Abraham, et qui furent délivrées lorsqu’il descendit aux enfers. Le Sauveur alors répandit subitement au milieu d’elles une brillante lumière, qui les remplit d’une joie infinie, et les fit jouir de la souveraine béatitude, qui est dans la vision de Dieu. Alors se vérifia cette promesse de Jésus au larron: Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis. »

Saint Thomas

« Un sentiment très-probable, dit saint Thomas (Supplém. Part. 3. Quest. Ult.), et qui répond d’ailleurs aux paroles des saints et aux révélations particulières, c’est qu’il y aurait pour l’expiation du purgatoire un double lieu. Le premier serait destiné à la généralité des âmes, et il est situé en bas, près de l’enfer; le second serait pour des cas particuliers, et c’est de là que seraient sorties tant d’apparitions. » – Le saint docteur admet donc, comme beaucoup d’autres avec lui, que parfois la justice divine assigne un lieu spécial à la purification de certaines âmes, et permet même qu’elles apparaissent, soit pour instruire les vivants, soit pour procurer aux défunts les suffrages dont ils ont besoin, soit pour d’autres raisons dignes de la sagesse et de la miséricorde de Dieu.

Tel est l’aperçu général de la doctrine sur le lieu du purgatoire. Comme nous ne faisons pas un traité de controverse, nous n’ajoutons ni preuves ni réfutations: on peut les voir dans les auteurs tels que Suarez et Bellarmin. Nous nous contenterons de faire remarquer que l’opinion des enfers souterrains n’a rien à craindre de la science moderne. Une science purement naturelle est incompétente dans les questions, qui appartiennent comme celle-ci à l’ordre surnaturel. Nous savons d’ailleurs que les esprits peuvent se trouver dans un lieu occupé par des corps comme si ces corps n’existaient pas. Quel que soit donc l’intérieur de la terre, qu’il soit tout en feu, comme les géologues le disent communément, ou qu’il soit en tout autre état, rien n’empêche qu’il ne serve de séjour à des esprits, même à des esprits revêtus d’un corps ressuscité. L’apôtre saint Paul nous apprend que l’air est rempli d’une foule d’esprits de ténèbres: Nous avons à combattre, dit-il, contre les puissances des ténèbres, contre les esprits malins répandus dans l’air (Ephes. VI, 12). D’autre part, nous savons que les bons anges qui nous protègent, ne sont pas moins nombreux en ce monde. Or, si les anges et autres esprits peuvent habiter notre atmosphère sans que le monde physique en éprouve la moindre modification, comment les âmes des morts ne pourraient-elles pas demeurer dans le sein de la terre?

Chapitre 5 – Lieu du purgatoire – Révélations des saints

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse avait une grande charité pour les âmes du purgatoire et les aidait autant qu’il était en elle par ses prières et ses bonnes œuvres. Pour la récompenser Dieu lui montrait fréquemment les âmes qu’elle avait délivrées; elle les voyait au moment de leur sortie de l’expiation et de leur entrée dans le ciel. Or, elles sortaient généralement du sein de la terre.

« On m’annonça, écrit-elle (Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, chap. 38. Fête, 15 octobre p.26 fin p.27), la mort d’un religieux, qui avait été jadis provincial de cette province, et qui l’était alors d’une autre; j’avais eu des rapports avec lui, et il m’avait rendu de bons offices. Cette nouvelle me causa un grand trouble. Quoique ce fût un homme recommandable par bien des vertus, j’appréhendais pour le salut de son âme, parce qu’il avait été durant vingt ans supérieur, et que je crains toujours beaucoup pour ceux qui ont charge d’âmes. Je m’en allai fort triste à un oratoire; là je conjurai Notre Seigneur d’appliquer à ce religieux le peu de bien que j’eusse fait en ma vie, et de suppléer au reste par ses mérites infinis, afin de tirer son âme du purgatoire. »

Pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur dont j’étais capable, je vis, à mon côté droit, cette âme sortir du fond de la terre et monter au ciel dans des transports d’allégresse. Bien que ce Père fût fort âgé, il m’apparut sous les traits d’un homme qui n’avait pas encore trente ans, et avec un visage tout resplendissant de lumière. Cette vision fort courte dans sa durée me laissa inondée de joie, et sans ombre de doute sur la vérité de ce que j’avais vu. Comme j’étais séparée par une grande distance de l’endroit où ce serviteur de Dieu avait fini ses jours, je n’appris qu’après un certain temps les particularités de sa mort édifiante: tous ceux qui en furent témoins ne purent voir sans admiration la connaissance qu’il garda jusqu’au dernier moment, les larmes qu’il versait, et les sentiments d’humilité dans lesquels il rendit son âme à Dieu. »

Une religieuse de ma communauté, grande servante de Dieu, était décédée il n’y avait pas encore deux jours. On célébrait l’office des morts pour elle dans le chœur; une sœur disait une leçon, et j’étais debout pour dire le verset: à la moitié de la leçon, je vis l’âme de cette religieuse sortir, comme celle dont je viens de parler, du fond de la terre, et s’en aller au ciel. Cette vision fut purement intellectuelle, tandis que la précédente s’était présentée à moi sous des images. Mais l’une et l’autre laissent à l’âme une égale certitude.»

Dans ce même monastère venait de mourir, à l’âge de dix-huit ou vingt ans, une autre religieuse, vrai modèle de ferveur, de régularité et de vertu. Sa vie n’avait été qu’un tissu de maladies et de souffrances patiemment supportées. Je ne doutais point qu’après avoir ainsi vécu, elle n’eût plus de mérites qu’il ne lui en fallait pour être exempte du purgatoire. Cependant, tandis que j’étais à l’office, avant qu’on la portât en terre, et environ quatre heures après sa mort, je vis son âme sortir également de terre et monter au ciel. » – Voilà ce qu’écrit sainte Thérèse.

Saint Louis Bertrand

Un fait analogue est rapporté dans la vie de saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique. Cette vie écrite par le P. Antist, religieux du même ordre, qui avait vécu avec le saint, est insérée dans les Acta Sanctorum, sous le 10 octobre. – L’an 1557, lorsque saint Louis Bertrand résidait au couvent de Valence, la peste se déclara dans cette ville. Le terrible fléau multipliant ses coups, menaçait tous les habitants et chacun tremblait pour sa vie. Un religieux de la communauté, le P. Clément Benet, voulant se préparer avec ferveur à la mort, fit au saint une confession générale de toute sa vie; et en le quittant, « mon Père, lui dit-il, s’il plaît maintenant à Dieu de m’appeler, je viendrai vous faire connaître mon état dans l’autre vie.»

– Il mourut en effet peu de temps après, et la nuit suivante il apparut au saint. Il lui dit qu’il était retenu au purgatoire pour quelques fautes légères qui lui restaient à expier, et le supplia de le faire recommander à la communauté. Le saint communiqua aussitôt cette demande au père prieur, qui s’empressa de recommander l’âme du défunt aux prières et aux saints sacrifices de tous les Frères réunis au chapitre.

Six jours après, un homme de la ville, qui ne savait rien de ce qui s’était passé au couvent, étant venu se confesser au père Louis, lui dit « que l’âme du P. Clément lui était apparue. Il avait vu, disait-il, la terre s’entrouvrir et l’âme du Père défunt en sortir toute glorieuse: elle ressemblait, ajoutait-il, à un astre resplendissant et s’élevait dans les airs vers le ciel.»

Sainte Madeleine de Pazzi

Nous lisons dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi (25 mai), écrite par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de Jésus, que cette servante de Dieu fut rendue témoin de la délivrance d’une âme dans les circonstances suivantes. Une de ses sœurs en religion était morte depuis quelque temps, lorsque la sainte, se trouvant en prière devant le très-saint Sacrement, vit sortir de terre l’âme de cette sœur, captive encore dans les prisons du purgatoire. Elle était enveloppée d’un manteau de flammes, au-dessous duquel une robe d’une éblouissante blancheur la protégeait contre les trop vives ardeurs du feu; et elle demeura une heure entière au pied de l’autel, adorant, dans un anéantissement indicible, le Dieu caché sous les espèces eucharistiques. Cette heure d’adoration que Madeleine lui voyait faire, était la dernière de sa pénitence; cette heure expirée, elle se leva et prit son vol vers le ciel.

Chapitre 6 – Lieu du purgatoire

Sainte Françoise de Rome

Il a plu à Dieu de faire voir en esprit les tristes demeures du purgatoire à quelques âmes privilégiées, qui devaient ensuite révéler ces douloureux mystères pour l’édification de tous les fidèles. De ce nombre fut l’illustre sainte Françoise (1), fondatrice des Oblates, qui mourut en 1440 à Rome, où ses vertus et ses miracles jetèrent le plus vif éclat. Dieu la favorisa de grandes lumières sur l’état des âmes dans l’autre vie. Elle vit l’enfer et ses horribles supplices; elle vit aussi l’intérieur du purgatoire, et l’ordre mystérieux, je dirais presque la hiérarchie des expiations, qui règne dans cette partie de l’Église de Jésus-Christ. Pour obéir à ses supérieurs, qui crurent devoir lui imposer cette obligation, elle fit connaître tout ce que Dieu lui avait manifesté; et ses visions, écrites sous sa dictée par le vénérable chanoine Matteotti, directeur de son âme, ont toute l’authenticité qu’on peut demander en ces matières.

Or la servante de Dieu déclara qu’après avoir subi avec un inexprimable effroi la vision de l’enfer, elle sortit de cet abîme et fut conduite par son guide céleste, l’archange Raphaël, dans les régions du purgatoire. Là ne régnait plus ni l’horreur du désordre, ni le désespoir, ni les ténèbres éternelles; la divine espérance y répandait sa lumière, et on lui dit que ce lieu de purification s’appelait aussi séjour de l’espérance. Elle y vit des âmes qui souffraient cruellement, mais des anges les visitaient et les assistaient dans leurs souffrances.

Le purgatoire, dit-elle, est divisé en trois parties distinctes, qui sont comme les trois grandes provinces de ce royaume de la douleur. Elles sont situées l’une au-dessus de l’autre, et occupées par des âmes de diverses catégories. Ces âmes sont ensevelies d’autant plus profondément qu’elles sont plus souillées et plus éloignées de la délivrance.

La région inférieure est remplie d’un feu très ardent, mais qui n’est pas ténébreux comme celui de l’enfer: c’est une vaste mer embrasée, jetant d’immenses flammes. D’innombrables âmes y sont plongées: ce sont celles qui se sont rendues coupables de péchés mortels, qu’elles ont dûment confessés, mais non suffisamment expiés durant la vie. La servante de Dieu appris alors que, pour tout péché mortel pardonné il reste à subir une peine de sept années de purgatoire. – Ce terme ne peut se prendre évidemment comme une mesure fixe, puisque les péchés mortels diffèrent d’énormité; mais comme une taxe moyenne. Quoique les âmes soient enveloppées dans les mêmes flammes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes; elles diffèrent selon le nombre et la qualité de leurs anciens péchés.

Dans ce purgatoire inférieur la sainte distingua des laïques et des personnes consacrées à Dieu. Les laïques étaient celles qui, après une vie de péché, avaient eu le bonheur de se convertir sincèrement; les personnes consacrées à Dieu étaient celles qui n’avaient pas vécu selon la sainteté de leur état: elles se trouvaient dans la partie la plus profonde. En ce moment même, elle y vit descendre l’âme d’un prêtre qu’elle connaissait, mais dont elle s’abstient de révéler le nom. Elle remarqua qu’il avait la tête enveloppée d’un voile qui couvrait une souillure, la souillure de la sensualité. Bien qu’il eût mené une vie édifiante, ce prêtre n’avait pas toujours gardé une stricte tempérance et avait trop cherché les satisfactions de la table.

La sainte fut conduite alors dans le purgatoire inter- médiaire, destiné aux âmes qui ont mérité des peines moins rigoureuses. Il y avait là trois espaces distincts: l’un ressemblait à une vaste glacière, où régnait un froid inexprimable; la seconde, au contraire, était comme une chaudière immense remplie d’huile et de poix bouillantes; la troisième, comme un étang de métal liquide, qui ressemblait à de l’or ou de l’argent en fusion. Le purgatoire supérieur, que la sainte ne décrit pas, est le séjour des âmes qui, ayant été purifiées par les peines du sens, ne souffrent plus guère que la peine du dam, et approchent de l’heureux moment de leur délivrance.

Telle est en substance la vision de sainte Françoise relative au purgatoire.

Sainte Madeleine de Pazzi

Voici maintenant celle de sainte Madeleine de Pazzi, carmélite de Florence, telle qu’elle est rapportée dans sa vie par le P. Cépari. C’est un tableau détaillé du purgatoire, tandis que la vision précédente n’en a tracé que les grandes lignes.

Quelque temps avant sa sainte mort, qui arriva en 1607, la servante de Dieu Madeleine de Pazzi, se trouvant sur le soir avec plusieurs religieuses dans le jardin du couvent, fut ravie en extase et vit le purgatoire s’ouvrir devant elle. En même temps, comme elle le fit connaître plus tard, une voix l’invita à visiter toutes les prisons de la divine justice, afin de voir de près combien sont dignes de pitié les pauvres âmes qui les habitent.

En ce moment on l’entendit dire: Oui, j’en ferai le tour. Elle acceptait de faire ce douloureux voyage.

En effet, elle commença à circuler autour du jardin qui est fort grand, pendant deux heures entières, en s’arrêtant de temps en temps. Toutes les fois qu’elle interrompait sa marche, elle considérait attentivement les peines qu’on lui montrait. On la voyait alors se tordre les mains par commisération: son visage devenait pâle, son corps se courbait sous le poids de la douleur en présence du spectacle qu’elle avait sous les yeux.

Elle commença par s’écrier d’une voix lamentable: « Miséricorde, mon Dieu, miséricorde! Descendez, ô Sang précieux, et délivrez ces âmes de leur prison. Pauvres âmes, vous souffrez si cruellement, et cependant vous êtes contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison de ceux-ci, étaient des jardins délicieux. Cependant il en est de plus profonds encore. Que je m’estimerais heureuse si l’on ne m’y faisait pas descendre!»

Cependant elle y descendit, car on la vit continuer sa route. Mais quand elle eut fait quelques pas, elle s’arrêta épouvantée, et, poussant un grand soupir, elle s’écria: Eh quoi! des religieux aussi dans ces tristes lieux ! Bon Dieu, comme ils sont tourmentés ! Ah, Seigneur ! Elle n’expliquait pas leurs souffrances; mais l’horreur qu’elle éprouvait en les contemplant, la faisait soupirer presque à chaque pas.

Elle passa de là dans des lieux moins lugubres: c’était les cachots des âmes simples et des enfants, dont l’ignorance et le peu de raison atténuent beaucoup les fautes. Aussi leurs tourments lui parurent beaucoup plus tolérables que ceux des autres. Il n’y avait là que de la glace et du feu. Elle remarqua que ces âmes avaient auprès d’elles leurs anges gardiens, qui les fortifiaient beaucoup par leur présence; mais elle voyait aussi des démons, dont l’aspect horrible aggravait leurs souffrances. Ayant fait quelques pas elle vit des âmes beaucoup plus malheureuses, et on l’entendit s’écrier: « Oh ! que ce lieu est horrible ! il est plein de démons hideux et d’incroyables tourments ! Quels sont donc, mon Dieu, les tristes victimes si cruellement torturées ? Hélas ! on les perce avec des glaives aigus, et on les coupe en pièces. » – Il lui fut répondu que c’étaient les âmes dont la conduite avait été entachée d’hypocrisie. En avançant un peu, elle vit une grande multitude d’âmes qui étaient foulées et comme écrasées sous un pressoir; et elle comprit que c’étaient des âmes qui pendant la vie, avaient été sujettes à l’impatience et à la désobéissance. En les contemplant, son regard, ses soupires, toute en attitude exprimait la compassion et l’effroi.

Un moment après, elle parut plus consternée et poussa un cri d’épouvante: c’était le cachot du mensonge qui venait de s’ouvrir à ses regards. Après l’avoir considéré avec attention, elle dit d’une voix fort haute: « Les menteurs sont placés dans un lieu voisin de l’enfer, et leurs peines sont bien grandes. On leur verse dans la bouche du plomb fondu; je les vois brûler et trembler de froid en même temps. »

Elle arriva ensuite à la prison des âmes qui avaient péché par faiblesse, et on l’entendit s’écrier: « Hélas ! je vous croyais avec celles qui ont péché par ignorance: mais je me trompais, vous brûlez dans un feu plus ardent. »

Plus loin, elle aperçut les âmes qui furent trop attachées aux biens de ce monde et péchèrent par avarice. « Quel aveuglement, dit-elle, de tant chercher une fortune périssable ! Ceux qui autrefois étaient insatiables de richesses, sont rassasiés ici de tourments: ils se liquéfient comme le métal dans la fournaise. »

De là passant au lieu où sont renfermées les âmes qui se souillèrent jadis du vice de l’impureté, elle les vit dans un cachot si sale et si infect qu’il lui faisait soulever le cœur. Elle détourna promptement les yeux de cette vue dégoûtante.

Ayant aperçu les ambitieux et les superbes, elle dit: « Voilà ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi les hommes: maintenant ils sont condamnés à vivre dans cette effrayante obscurité. »

On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers Dieu. Elles étaient en proie à des tourments indicibles et comme noyées dans un lac de plomb fondu, pour avoir desséché par leur ingratitude la source de la piété.

Enfin, on lui montra, dans un dernier cachot, les âmes qui n’eurent aucun vice bien saillant, mais qui, ne veillant pas assez sur elles-mêmes, avaient commis toutes sortes de fautes légères; elle remarqua que ces âmes avaient part aux châtiments de tous les vices, dans un degré mitigé, parce que les fautes commises, comme en passant, rendent moins coupables que les habitudes.

Après cette dernière station, la sainte sortit du jardin, en priant Dieu de ne plus la rendre témoin d’un si déchirant spectacle: elle ne sentait plus la force de le supporter. Cependant son extase durait encore, et, conversant avec son Jésus, elle lui dit: « Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein en me découvrant ces prisons terribles que je connaissais si peu et que je comprenais encore moins?

Ah ! je le vois à cette heure: vous avez voulu me faire connaître votre infinie sainteté et me faire haïr davantage les moindres péchés, si abominables à vos yeux. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 1, 2, 3

Abbé François-Xavier Schouppe,s.j. (1823-1904) 
Le Dogme du Purgatoire illustré par des Faits et des Révélations Particulières

Chapitre préliminaire

But de l’ouvrage. – A quelle classe de lecteurs il s’adresse. – Ce qu’on est obligé de croire, ce qu’on peut croire pieusement, et ce qu’on est libre de ne pas admettre. – Visions et apparitions. – Crédulité aveugle et incrédulité outrée.

Le dogme du purgatoire est trop oublié de la plupart des fidèles; l’Église souffrante, où ils ont tant de frères à secourir, où ils doivent prévoir qu’ils passeront bientôt eux-mêmes, semble leur être étrangère.

Cet oubli, vraiment déplorable, faisait gémir saint François de Sales. « Hélas! » disait ce pieux docteur de l’Église, « nous ne nous souvenons pas assez de nos chers trépassés: leur mémoire semble périr avec le son des cloches. »

La cause principale en est dans l’ignorance et le manque de foi: nous avons au sujet du purgatoire des notions trop vagues, une foi trop faible.

Il nous faut donc considérer de plus près cette vie d’outre-tombe, cet état intermédiaire des âmes justes, non dignes encore d’entrer dans la Jérusalem céleste, afin de nous faire des notions plus distinctes et de raviver notre foi.

C’est le but de cet ouvrage: on s’y propose, non de prouver l’existence du purgatoire à des esprits sceptiques; mais de le faire mieux connaître aux pieux fidèles, qui croient d’une foi divine ce dogme révélé de Dieu. C’est à eux proprement que ce livre s’adresse, pour leur donner du purgatoire une idée moins confuse, je dirais volontiers une idée plus actuelle qu’on n’en a communément, en répandant sur cette grande vérité de la foi le plus de jour possible.

À cet effet nous possédons trois sources de lumière bien distinctes. Premièrement, la doctrine dogmatique de l’Église; ensuite la doctrine explicative des docteurs de l’Église; en troisième lieu, les révélations des Saints et les apparitions, qui viennent confirmer l’enseignement des docteurs.

  1. La doctrine dogmatique de l’Église au sujet du purgatoire, comprend deux articles que nous indiquerons plus bas au chapitre 3. Ces deux articles sont de foi, et doivent être crus par tout catholique.
  2. La doctrine des docteurs et théologiens, ou, si l’on veut, leurs sentiments et explications sur plusieurs questions relatives au purgatoire (voir aussi plus bas, chapitre 3 et suivants), ne s’imposent pas comme des articles de foi; on peut ne pas les admettre sans cesser d’être catholique. Toutefois il serait imprudent, téméraire même de s’en écarter; et c’est l’esprit de l’Église de suivre les opinions les plus communément enseignées par les docteurs.
  3. Les révélations des saints, appelées aussi révélations particulières, n’appartiennent pas au dépôt de la foi, confié par Jésus-Christ à son Église; ce sont des faits historiques basés sur le témoignage humain. Il est permis de les croire et la piété y trouve un aliment salutaire. On peut aussi ne pas les croire sans pécher contre la foi; mais s’ils sont constatés, on ne les peut rejeter sans offenser la raison: parce que la saine raison commande à tout homme de donner son assentiment à la vérité, quand elle est suffisamment démontrée.

Pour éclaircir davantage cette matière, expliquons d’abord la nature des révélations dont nous parlons.

Les révélations particulières sont de deux sortes: les unes consistent dans des visions, les autres dans des apparitions. On les appelle particulières, parce que, à la différence de celles qui se trouvent dans la sainte Écriture, elles ne font point partie de la doctrine révélée pour tous les hommes, et que l’Église ne les propose pas à croire comme des dogmes de foi.

Les visions proprement dites sont des lumières subjectives, que Dieu répand dans l’intelligence d’une créature pour lui découvrir ses mystères. Telles sont les visions des prophètes, celles de saint Paul, celles de sainte Brigitte et de beaucoup d’autres saints. Les visions ont lieu d’ordinaire dans l’état d’extase: elles consistent dans certains spectacles mystérieux, qui se présentent aux yeux de l’âme, et qui ne doivent pas se prendre toujours à la lettre. Souvent ce sont des figures, des images symboliques, qui représentent d’une manière proportionnée à notre intelligence des choses purement spirituelles, dont le langage ordinaire ne saurait donner une idée.

Les apparitions sont, au moins souvent, des phénomènes objectifs, qui ont un objet réel, extérieur. Telle fut l’apparition de Moïse et d’Élie sur le Thabor, celle de Samuël évoqué par la Pythonisse d’Endor, celle de l’ange Raphaël à Tobie, celle de beaucoup d’autres anges; enfin telles sont les apparitions des âmes du purgatoire.

Que les esprits des morts apparaissent quelquefois aux vivants, c’est un fait qu’on ne saurait nier. L’Évangile ne le suppose-t-il pas clairement ? Quand Jésus ressuscité apparut la première fois à ses disciples réunis, ceux-ci crurent voir un esprit. Le Sauveur, loin de dire que les esprits n’apparaissent pas, leur parle ainsi: Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi ces pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c’est moi-même; touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai. Luc. XXIV, 37 suivants

Les apparitions des âmes qui sont au purgatoire, ont lieu fréquemment. On les trouve en grand nombre dans les Vies des saints, elles arrivent même parfois aux fidèles ordinaires. Nous avons recueilli et nous présentons au lecteur ceux de ces faits qui paraissent les plus propres à l’instruire ou à l’édifier.

Mais, nous demandera-t-on, tous ces faits sont-ils historiquement certains ? -Nous avons choisi les plus avérés (1). Si quelque lecteur en trouve dans le nombre qui lui semblent ne pouvoir soutenir la rigueur de la critique, il peut ne pas les admettre.

Toutefois, pour ne pas donner dans une sévérité excessive et voisine de l’incrédulité, il est bon de remarquer que, parlant en général, les apparitions des âmes ont lieu, et ne sauraient être révoquées en doute, qu’elles arrivent même fréquemment.

(1) C’est dans les vies des Saints, honorés comme tels par l’Église, et d’autres illustres serviteurs de Dieu, que nous avons recueilli la plupart des faits que nous citons. Le lecteur qui voudra contrôler ces faits et les estimer à leur juste valeur, pourra sans peine recourir aux premières sources à l’aide de nos indications. Si le récit est tiré d’une vie de Saint, nous indiquons le jour où son nom est marqué dans le martyrologe, ce qui suffit pour consulter les Acta Sanctorum. Si nous mentionnons quelque personnage vénérable, comme le P. Joseph Anchieta, apôtre et thaumaturge du Brésil, dont la vie n’est pas insérée dans les volumes des Bollandistes, il faudra recourir alors à des biographies et des histoires particulières. – Pour les traits que nous empruntons au P. Rossignoli, Merveilles divines dans les âmes du purgatoire (trad. Postel, Tournai, Casterman), ou qui, du moins, se retrouvent en cet ouvrage, nous nous contentons d’indiquer le numéro de la Merveille, parce que l’auteur y a marqué une ou plusieurs sources où lui-même a puisé.

« Ces sortes d’apparitions, dit l’abbé Ribet (La mystique divine, distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines. Paris, Poussielgue), ne sont pas rares. Dieu les permet pour le soulagement des âmes, qui viennent exciter notre compassion, et aussi pour nous faire entendre à nous-mêmes combien sont terribles les rigueurs de sa justice contre les fautes que nous réputons légères. »

Saint Grégoire dans ses Dialogues rapporte plusieurs exemples, dont on peut, il est vrai, contester la pleine authenticité; mais qui, dans la bouche du saint Docteur, prouvent du moins qu’il croyait à la possibilité et à l’existence de ces faits. D’autres auteurs en grand nombre, non moins recommandables que saint Grégoire par la sainteté et la science, rapportent des faits analogues.

Au reste, ces sortes de récits surabondent dans l’histoire des saints: pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les tables des Acta Sanctorum. Toujours l’Église souffrante a imploré les suffrages de l’Église de la terre; et ce commerce, empreint de tristesse, mais aussi plein d’instruction, est pour l’une une source intarissable de soulagement, et pour l’autre une excitation puissante à la sainteté.

La vision du purgatoire a été accordée à plusieurs saintes âmes. Sainte Catherine de Ricci descendait en esprit au purgatoire toutes les nuits des dimanches; sainte Lidvine pénétrait pendant ses ravissements dans ce lieu d’expiation, et, conduite par son ange gardien, y visitait les âmes dans leurs tourments. Un ange conduit également la Bienheureuse Osanne de Mantoue à travers ces sombres abîmes. La Bienheureuse Véronique de Binasco, sainte Françoise de Rome et bien d’autres, reçoivent des visions tout à fait semblables, avec les mêmes impressions de terreur.

Plus souvent ce sont les âmes souffrantes elles-mêmes qui s’adressent aux vivants et réclament leur intercession. Plusieurs apparurent ainsi à la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, à une foule d’autres saints personnages. Les âmes des défunts imploraient fréquemment la pitié de Denys le Chartreux. On demandait un jour à ce grand serviteur de Dieu combien de fois ces pauvres âmes lui apparaissaient ? « Oh ! cent et cent fois », répondit-il. »

Sainte Catherine de Sienne, pour épargner à son père les peines du purgatoire, s’était offerte à la justice divine pour souffrir à sa place durant la vie. Dieu l’exauça, lui infligea de vives douleurs d’entrailles jusqu’à la mort, et admit dans la gloire l’âme de son père. En retour, cette âme bienheureuse apparaissait fréquemment à sa fille, pour la remercier et lui faire les révélations les plus utiles. »

Les âmes du purgatoire, lorsqu’elles apparaissent aux vivants, se présentent toujours dans une attitude qui excite la compassion, tantôt sous les traits qu’elles avaient de leur vivant ou à leur mort, avec un visage triste, des regards suppliants, en habits de deuil, avec l’expression d’une douleur extrême; tantôt comme une clarté, une nuée, une ombre, une figure fantastique quelconque, accompagnée d’un signe ou d’une parole qui les fait reconnaître. D’autres fois, elles accusent leur présence par des gémissements, des sanglots, des soupirs, une respiration haletante, des accents plaintifs. Souvent elles apparaissent environnées de flammes. Quand elles parlent, c’est pour manifester leurs souffrances, pour déplorer leurs fautes passées, pour demander des suffrages, ou même pour adresser des reproches à ceux qui devraient les secourir.

Une autre sorte de révélation, ajoute le même auteur, se fait par des coups invisibles que reçoivent les vivants, par des frappements à la porte, des bruits de chaînes, des bruits de voix. Ces faits sont trop multipliés pour qu’on puisse les révoquer en doute: la seule difficulté est d’établir leur rapport avec le monde de l’expiation. Mais quand ces manifestations coïncident avec la mort de personnes chéries, et qu’elles cessent après qu’on a offert à Dieu des prières et des réparations, n’est-il pas raisonnable d’y voir des signes par lesquels ces âmes avertissent de leur détresse ?

Aux divers indices que nous venons de signaler, on reconnaîtra les pauvres âmes du purgatoire. Mais il est un cas où l’apparition devrait être tenue pour suspecte: c’est lorsqu’un pécheur scandaleux, surpris inopinément par la mort, vient implorer les prières des vivants pour être délivré du purgatoire. Le démon est intéressé à faire croire que l’on peut vivre dans les plus grands désordres jusqu’à la mort, et échapper cependant à l’enfer. Toutefois, même dans ces rencontres, il n’est pas défendu de penser que l’âme qui apparaît s’est repentie, et qu’elle est dans les flammes de l’expiation temporaire, ni, conséquemment de prier pour elle; mais il convient d’observer la plus grande réserve sur ces sortes de visions et sur la créance qu’on leur donne (Ribet, Mystique divine, t. II, chap. X.). »

Les détails dans lesquels nous venons d’entrer, suffisent pour justifier aux yeux du lecteur la citation des faits qu’il trouvera dans le cours de cet ouvrage.

Ajoutons que le chrétien doit se garder d’être trop incrédule dans les faits surnaturels, qui se rattachent aux dogmes de sa foi. Saint Paul nous dit que la charité croit tout (I. Cor. XIII, 7.), c’est-à-dire, comme expliquent les interprètes, tout ce que l’on peut croire prudemment, et dont la croyance ne saurait être nuisible. S’il est vrai que la prudence réprouve une crédulité aveugle et superstitieuse, il est vrai aussi qu’on doit éviter un autre excès, celui que le Sauveur reproche à l’Apôtre saint Thomas: Vous croyez, lui dit-il, parce que vous avez vu et touché; il fallait croire au témoignage de vos frères. En exigeant davantage vous avez été incrédule: c’est une faute, que doivent éviter tous mes disciples: Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu. Ne soyez pas incrédule mais croyant. (Joan. xx, 27.)

Bellarmin

Le théologien qui démontre les dogmes de la foi, doit être sévère dans le choix de ses preuves; l’historien aussi doit procéder avec une critique rigoureuse dans la relation des faits; mais, l’écrivain ascétique, quand il cite des exemples et des faits pour éclaircir les vérités et édifier les fidèles, n’est pas tenu à cette stricte rigueur. Les personnages les plus autorisés dans l’Église, tels que saint Grégoire, saint Bernard, saint François de Sales, saint Alphonse de Liguori, Bellarmin, et bien d’autres, aussi distingués par leurs lumières que par leur piété, n’ont pas connu en écrivant leurs excellents ouvrages, les exigences rigoureuses de notre époque, exigences qui ne constituent nullement un progrès.

En effet, si l’esprit de nos pères dans la foi était plus simple, quelle est la cause qui a fait disparaître parmi nous cette ancienne simplicité ? N’est-ce pas le rationalisme protestant, qui de nos jours se déteint sur beaucoup de catholiques ? N’est-ce pas cet esprit raisonneur et critique sorti de la réforme luthérienne, propagé par le philosophisme français, qui leur fait envisager les choses de Dieu d’une manière tout humaine, qui les rend froids et étrangers à l’esprit de Dieu ? Le vénérable abbé Louis de Blois, parlant des Révélations de sainte Gertrude, dit que « ce livre renferme des trésors. Les hommes orgueilleux et charnels, ajoute-t-il, qui n’entendent rien à l’esprit de Dieu, traitent de rêveries les écrits de la vierge sainte Gertrude, de sainte Mechtilde, sainte Hildegarde et autres; c’est qu’ils ignorent avec quelle familiarité Dieu se communique aux âmes humbles, simples et aimantes; et comment, dans ces communications intimes, il se plaît à illuminer ces âmes des pures lumières de la vérité sans aucune ombre d’erreur (Ludov. Blos. Epist. ad florentium, § 4.) ».

Ces paroles de Louis de Blois sont graves. Nous n’avons pas voulu encourir les reproches de ce grand maître de la vie spirituelle; et tout en évitant une crédulité blâmable, nous avons recueilli avec une certaine liberté les faits qui nous ont paru à la fois les plus avérés et les plus instructifs. Puissent-ils accroître dans ceux qui les liront, la dévotion envers les défunts ! Puissent-ils imprimer profondément dans les âmes la sainte et salutaire pensée du purgatoire !

PREMIÈRE PARTIE – LE PURGATOIRE, MYSTÈRE DE JUSTICE

Chapitre 1er

Le purgatoire dans le plan divin

Le purgatoire occupe une grande place dans notre sainte religion: il forme une des parties principales de l’œuvre de Jésus-Christ, et joue un rôle essentiel dans l’économie du salut des hommes.

Rappelons-nous que la sainte Église de Dieu, considérée dans sa totalité, se compose de trois parties: l’Église militante, l’Église triomphante et l’Église souffrante, ou le purgatoire. Cette triple Église constitue le corps mystique de Jésus-Christ, et les âmes du purgatoire ne sont pas moins ses membres que les fidèles sur la terre et les élus dans le ciel.

L’Église dans l’Évangile est appelée d’ordinaire le Royaume des cieux; or, le purgatoire, tout comme le ciel et l’Église terrestre, est une province de ce vaste Royaume.

Les trois Églises-sœurs ont entre elles des relations incessantes, une communication continuelle, qu’on appelle la communion des saints. Ces relations n’ont d’autre objet que de conduire les âmes à la gloire, terme final où tendent tous les élus. Les trois Églises s’entraident à peupler le Ciel, qui est la cité permanente, la Jérusalem glorieuse.

Si nous considérons les rapports que nous autres, membres de l’Église militante sur la terre, nous avons avec les âmes du purgatoire, ils consistent à les secourir dans leurs peines. Dieu nous a mis dans les mains les clefs de leurs prisons mystérieuses: c’est la prière pour les défunts, c’est la dévotion pour les âmes du purgatoire.

Chapitre 2

Prière pour les défunts

La prière pour les défunts, les sacrifices, les suffrages pour les morts font partie du culte chrétien, et la dévotion envers les âmes du purgatoire est une dévotion que le Saint-Esprit répand avec la charité dans le cœur des fidèles. C’est une pensée sainte et salutaire, dit l’Écriture, de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés (II Machab. XII, 46.).

Crainte et confiance

Pour être parfaite, la dévotion envers les défunts doit être animée tout à la fois d’un esprit de crainte et de confiance. D’un côté la sainteté de Dieu et sa justice nous inspirent une crainte salutaire; de l’autre, son infinie miséricorde, nous donne une confiance sans bornes.

Dieu est la sainteté même bien plus que le soleil n’est la lumière, et aucune ombre de péché ne peut subsister devant sa face. Vos yeux sont purs, dit le prophète, et ils ne peuvent supporter la vue de l’iniquité. (Habac. I) Aussi, quand l’iniquité se produit dans les créatures, la sainteté de Dieu en exige l’expiation; et lorsque cette expiation se fait dans toute la rigueur de la justice, elle est terrible. C’est pourquoi l’Écriture dit encore: Son nom est saint et terrible (Ps. 110): comme si elle disait: sa justice est terrible parce que sa sainteté est infinie.

La justice de Dieu est terrible et elle punit avec une extrême rigueur les fautes les plus légères. La raison en est que ces fautes, légères à nos yeux, ne le sont nullement devant Dieu. Le moindre péché lui déplaît infiniment, et à cause de la Sainteté infinie qui est offensée, la plus petite transgression prend des proportions énormes, réclame une énorme expiation. C’est ce qui explique la terrible sévérité des peines de l’autre vie, et ce qui doit nous pénétrer d’une sainte frayeur.

La crainte du purgatoire est une crainte salutaire: elle a pour effet de nous animer non seulement d’une charitable compassion pour les âmes souffrantes; mais encore d’un zèle vigilant pour nous-mêmes. Pensez au feu du purgatoire, et vous tâcherez d’éviter les moindres fautes; pensez au feu du purgatoire et vous pratiquerez la pénitence, pour satisfaire à la divine justice en ce monde plutôt qu’en l’autre.

Gardons-nous toutefois d’une crainte excessive et ne perdons pas la confiance. N’oublions pas la miséricorde de Dieu, qui n’est pas moins infinie que sa justice. Votre miséricorde, Seigneur, surpasse la hauteur des cieux, dit le prophète (Ps. 107); et ailleurs: Le Seigneur est plein de miséricorde et de clémence, il est patient et prodigue de miséricorde (Ps. 144). – Cette miséricorde ineffable doit calmer nos trop vives appréhensions, et nous remplir d’une sainte confiance, selon cette parole: In te Domine speravi, non confundar in œternum, j’ai mis en vous ma confiance, ô mon Dieu, jamais je ne serai confondu (Ps. 70). Si nous sommes animés de ce double sentiment, si notre confiance en la miséricorde de Dieu égale la crainte que nous inspire sa justice, nous aurons le véritable esprit de la dévotion envers les défunts.

Or ce double sentiment se puise naturellement dans le dogme du purgatoire bien compris, dogme qui renferme le double mystère de la justice et de la miséricorde: de la justice qui punit, de la miséricorde qui pardonne.

C’est à ce double point de vue que nous allons envisager le purgatoire et en illustrer la doctrine.

Chapitre 3

Le mot purgatoire

Le mot purgatoire se prend tantôt pour un lieu, tantôt pour un état intermédiaire entre l’enfer et le ciel. C’est proprement la situation des âmes qui, au moment de la mort, se trouvent en état de grâce, mais n’ont pas complètement expié leurs fautes, ni atteint le degré de pureté nécessaire pour jouir de la vision de Dieu.

Le purgatoire est donc un état passager, qui se termine à la vie bienheureuse. Ce n’est plus une épreuve, où l’on peut mériter et démériter; mais un état de satisfaction et d’expiation. L’âme est arrivée au terme de sa vie mortelle: cette vie était un temps d’épreuve, temps de mérite pour l’âme, et temps de miséricorde de la part de Dieu. Ce temps une fois expiré, il n’y a plus de la part de Dieu que justice; et l’âme de son côté ne peut plus ni mériter ni démériter. Elle est fixée dans l’état où la mort l’a trouvée; et comme elle a été trouvée dans la grâce sanctifiante, elle est sûre de ne plus déchoir de cet heureux état et de parvenir à la possession immuable de Dieu. Cependant, comme elle est chargée de certaines dettes de peines temporelles, elle doit satisfaire la divine justice en subissant ces peines dans toute leur rigueur.

Telle est la signification du mot purgatoire, et la situation des âmes qui s’y trouvent.

Doctrine catholique

Or l’Église propose à ce sujet deux vérités nettement définies comme dogmes de foi: premièrement, qu’il y a un purgatoire; secondement, que les âmes, qui sont dans le purgatoire, peuvent être secourues par les suffrages des fidèles, surtout par le saint sacrifice de la messe.

Concile de Trente – Questions controversées.

Outre ces deux points dogmatiques, il y a plusieurs questions doctrinales que l’Église n’a pas décidées, et qui sont plus ou moins clairement résolues par les docteurs. Ces questions se rapportent:

  1.  au lieu du purgatoire;
  2. à la nature des peines;
  3. au nombre et à l’état des âmes qui sont au purgatoire;
  4. à la certitude qu’elles y ont de leur béatitude;
  5. à la durée de leurs peines;
  6. à l’intervention des vivants en leur faveur et à l’application des suffrages de l’Église.

Se préparer à accueillir le pardon du seigneur

Le Sacrement du pardon

Dans le sacrement du Pardon (la confession), nous rencontrons Jésus Christ qui, après être ressuscité des morts appela le souffle de l’Esprit Saint sur les Apôtres -les premiers prêtres – et leur accorda le pouvoir de pardonner les fautes en son nom (Jn 20:23). Le Cœur du Christ est brûlant d’amour pour nous. Son seul désir est que nous fassions l’expérience de sa grande et profonde miséricorde, en accueillant son pardon par la confession de nos péchés. Ce sacrement nous accorde la consolation du pardon reçu du Seigneur et fait grandir notre relation avec le Christ et son Église.

Guide préparatoire à la confession

Prière à marie avant la confession

« Marie, Mère de Jésus et ma Mère, ton Fils est mort sur la croix pour moi. Aide-moi à confesser mes péchés avec humilité et en toute foi en la miséricorde de Dieu, pour que je puisse accueillir son pardon et sa paix. »

Reconnaître son péché pour grandir en sainteté

En tant que disciples de Jésus, il nous faut des révisions de vie afin d’y reconnaître nos manquements en pensées, en paroles, par actions et par omissions et les offrir au Seigneur pour en obtenir le pardon. Il faut avoir recours régulièrement à un tel examen de conscience, en toute confiance dans l’amour miséricordieux de Dieu et dans l’efficacité du sacrement du Pardon. Tous et toutes, nous commettons le péché. Par contre nous ne le reconnaissons pas. Il faut être probe et courageux pour revenir sur nos refus de la grâce de Dieu et sur nos rejets de sa loi d’amour. La société contemporaine refuse souvent de regarder en face la réalité du péché et va parfois jusqu’à présenter certains comportements et styles de vie de péché comme des biens à désirer et à poursuivre. Dans son encyclique Réconciliation et Pénitence, le pape Jean-Paul II suggère que le péché caractéristique des temps modernes consiste en «la perte du sens du péché ». Tenons compte du conseil de saint Jean : « Si nous disons que nous n’avons pas péché, nous nous décevons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. ». (1 Jn 1:8)

Le péché consiste en la transgression de la loi divine. S’il est vrai que le péché fait miroiter des biens et un bonheur illusoire, il est aussi vrai qu’il en résulte un tort causé au pécheur qui se trouve toujours la victime première du péché. L’Église enseigne qu’il existe deux sortes de péchés.

Le péché mortel consiste en un choix libre et délibéré d’un objet connu comme gravement mauvais et qui détruit l’amitié avec Dieu et nous en sépare. (cf. 1 Jn 5:16-17). Chacune des trois conditions suivantes est requise pour qu’un péché soit mortel : (1) il doit porter sur un objet grave ; (2) il doit être commis avec connaissance suffisante de sa gravité ; (3) il doit être commis dans un geste de volonté libre suffisante.

Le péché véniel consiste en une légère offense envers Dieu et qui affaiblit notre relation avec lui mais ne la détruit pas. Le sacrement du Pardon est la façon ordinaire de se faire remettre ses péchés. C’est un lieu de rencontre avec la miséricorde du Dieu Vivant et où celui-ci nous accueille dans notre faiblesse et notre péché. C’est également un lieu où s’approfondit notre croissance psychologique et spirituelle. Source de nombreuses grâces, on devrait célébrer ce sacrement régulièrement et chaque fois qu’on en ressent le besoin. La confession mensuelle s’avère un moyen sain et efficace de nous rapprocher de Dieu et pour mener une vie équilibrée, centrée sur le Christ.

La contrition

La contrition – ou la douleur de nos péchés – est nécessaire pour recevoir le sacrement du Pardon et celle-ci doit comporter le ferme propos de changer notre comportement en évitant les occasions prochaines de péché – c’est-à-dire les situations, les personnes, les lieux et les choses qui nous entraînent au péché. La contrition de nos péchés est très différente de la tristesse ou de la haine de soi. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Dieu, notre sens du péché et la contrition de notre péché s’approfondissent, tout comme notre joie, la paix de notre cœur et la pureté de notre conscience.

Acte de contrition

Mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé, parce que vous êtes infiniment bon et que le péché vous déplaît. C’est pourquoi, je prends la ferme résolution, avec le secours de votre sainte grâce, de ne plus vous offenser, de faire pénitence et d’éviter toute occasion prochaine de péché.

Comment se confesser

  • Priez l’Esprit Saint de vous inspirer la connaissance de vous-même et la confiance en la miséricorde de Dieu.
  • Examinez votre conscience, ayez la contrition sincère de vos péchés et prenez la résolution de changer de vie.
  • Approchez-vous du prêtre et faites le Signe de la croix. En vous accueillant, le prêtre dira : « Que le Seigneur qui éclaire chaque cœur vous aide à connaître vos péchés et à vous confier en sa miséricorde » ou autres paroles semblables tirées de l’Écriture. Vous répondez : Amen.
  • Et vous ajoutez : « Bénissez-moi, mon père, parce que j’ai péché. Il y a ____ semaines / mois / années depuis ma dernière confession. ».
  • Faites un aveu franc et sincère de vos péchés, en commençant d’abord par tous les péchés mortels, en donnant le nombre de fois pour chacun. Vous pouvez ensuite confesser vos péchés véniels. (Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire de confesser les péchés véniels, l’Église recommande de le faire.) Si vous ne savez pas si un péché est mortel ou véniel, demandez au prêtre. Si vous n’avez pas de péché mortel, confessez les péchés véniels commis depuis votre dernière confession ; vous pouvez aussi renouveler l’aveu d’un péché mortel de votre vie passée que vous regrettez particulièrement, en indiquant que vous l’avez déjà confessé.
  • Écoutez alors les conseils que le prêtre daignera vous donner. Si jamais certaines questions sur la foi, la croissance en sainteté ou la gravité de telle ou telle action vous inquiètent, consultez le prêtre en toute liberté et confiance. Alors le prêtre vous donnera une pénitence.
  • Dites votre acte de contrition au moment où le prêtre vous y invitera.
  • Écoutez pendant que le confesseur vous donne l’absolution de vos péchés et réjouissez-vous de ce que le Seigneur vous a vraiment libéré de tous vos péchés. Si jamais vous oubliez de confesser un péché mortel, vous en êtes quand même pardonné, mais vous devez le mentionner lors de votre prochaine confession.
  • Remplissez la pénitence reçue du confesseur prêtre. Si vous avez des inquiétudes ou que vous ne savez pas comment procéder, apportez le guide suivant avec vous ou dites-le au prêtre et il vous facilitera la tâche.

Guide pour bien examiner sa conscience

  1. Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu Le serviras. (…) Vous n’irez pas à la suite d’autres dieux.
    • Est-ce que je cherche à aimer Dieu de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces ? (Dt 6:5)
    • Est-ce que je fais passer quelqu’un au-dessus de Dieu ? Est-ce que je prie tous les jours ?
    • Ai-je été impliqué dans des affaires d’occultisme, telles que sorcellerie, séances, cartes tarot, cristaux Nouvel-Âge, tireuses de cartes, etc. ? Ai-je fait confiance aux horoscopes ?
    • Ai-je communié en état de péché mortel ?
    • Ai-je abusé du sacrement du Pardon en mentant au prêtre ou en omettant délibérément un péché mortel ?
    • Ai-je renoncé à une vérité de foi par souci ou par respect pour l’opinion d’une autre personne?
  2. Le nom du Seigneur est saint. C’est pourquoi tu ne peux en abuser.
    • Ai-je manqué de respect envers le nom du Seigneur ?
    • Ai-je injurié le Seigneur, l’Église, la Sainte Vierge ou les saints et saintes ? Ai-je juré en utilisant des noms de lieux saints ou d’objets sacrés ?
  3. Souviens-toi du Jour du Seigneur pour le sanctifier.
    • Est-ce que je m’efforce de faire du dimanche un jour de prière, de repos et de relâche en évitant tout travail inutile ?
    • Suis-je arrivé en retard à la messe ou ai-je quitté l’église avant la fin sans raison valable ?
  4. Honore ton père et ta mère.
    • Est-ce que je manifeste révérence et respect envers mes parents ?
    • Ai-je fait du tort à mes parents délibérément ?
    • Est-ce que je traite mes enfants avec amour et respect ?
    • Est-ce que j’apporte mon soutien à tous les membres de la famille ? Est-ce que je vois au bien-être de chacun et chacune ?
    • Ai-je négligé mes devoirs familiaux ?
    • Est-ce que j’honore et respecte mes supérieurs légitimes ?
  5. Tu ne tueras pas.
    • Ai-je fait du tort à quelqu’un en connaissance de cause?
    • Ai-je eu un avortement ou ai-je encouragé quelqu’un à avorter ?
    • Ai-je fait des tentatives suicide ? Y ai-je pensé sérieusement ?
    • Ai-je abusé d’alcool ou de drogues ?
    • Ai-je conduit quelqu’un à faire le mal par mauvais exemple ou en l’encourageant à le faire ?
  6. Tu ne commettras pas d’adultère.

Pour les personnes mariées

  • Suis-je fidèle à mon époux (mon épouse) tant en pensées qu’en actions ?
  • Ai-je eu recours à la contraception ou à la stérilisation ?
  • Mon mariage a-t-il été célébré en dehors de l’Église sans autorisation officielle ?

Pour les personnes célibataires

  • Ai-je eu des relations sexuelles avec quelqu’un d’un sexe ou l’autre ?

Pour tous et toutes

  • Est-ce que, délibérément, je me suis arrêté à de la documentation pornographique : revues, vidéos ou sites internet ?
  • Me suis-je adonné à la masturbation ?
  • Ai-je utilisé un langage impudique ou raconté des histoires sales ?
  • Ma tenue vestimentaire est-elle modeste?
    1. Tu ne voleras pas.
      • Ai-je volé ou accepté des objets volés ?
      • Ai-je délibérément détruit la propriété d’autrui ?
      • Ai-je triché mes créanciers ?
      • Est-ce que j’abuse du jeu ?
      • Est-ce que je partage mes biens avec les pauvres et l’Église, selon mes moyens ?
      • Ai-je piraté du matériel électronique : vidéos, musique, logiciels ?
    2. Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
      • Ai-je raconté des mensonges ? Ai-je fait de faux serments ?
      • Ai-je eu recours au plagiat ou à la tricherie académique ?
      • Me suis-je adonné au commérage ? Ai-je révélé des secrets ou des renseignements confidentiels sans raison valable ?
      • Ai-je détruit la réputation d’une autre personne en répandant des faussetés à son sujet ou en révélant ses défauts, ses fautes ou ses péchés.

Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.

  • Ai-je délibérément et consciemment entretenu des pensées d’ordre sexuel à l’égard d’une personne autre que mon époux ou mon épouse ?
  • Est-ce que je maîtrise mon imagination et mes sens ?
  • Ai-je assisté à des pièces de théâtre ou à des films, regardé des émissions de télé ou des revues contenant des scènes impudiques avec l’intention délibérée d’en éprouver des sensations érotiques ? Est-ce que j’exerce du discernement dans mes choix de lectures ?

Se préparer à accueillir le pardon du seigneur

Dans le sacrement du Pardon (la confession), nous rencontrons Jésus Christ qui, après être ressuscité des morts appela le souffle de l’Esprit Saint sur les Apôtres -les premiers prêtres – et leur accorda le pouvoir de pardonner les fautes en son nom (Jn 20:23). Le Cœur du Christ est brûlant d’amour pour nous. Son seul désir est que nous fassions l’expérience de sa grande et profonde miséricorde, en accueillant son pardon par la confession de nos péchés. Ce sacrement nous accorde la consolation du pardon reçu du Seigneur et fait grandir notre relation avec le Christ et son Église.

Guide préparatoire à la confession

Prière à marie avant la confession

« Marie, Mère de Jésus et ma Mère, ton Fils est mort sur la croix pour moi. Aide-moi à confesser mes péchés avec humilité et en toute foi en la miséricorde de Dieu, pour que je puisse accueillir son pardon et sa paix. »

Reconnaître son péché pour grandir en sainteté

En tant que disciples de Jésus, il nous faut des révisions de vie afin d’y reconnaître nos manquements en pensées, en paroles, par actions et par omissions et les offrir au Seigneur pour en obtenir le pardon. Il faut avoir recours régulièrement à un tel examen de conscience, en toute confiance dans l’amour miséricordieux de Dieu et dans l’efficacité du sacrement du Pardon. Tous et toutes, nous commettons le péché. Par contre nous ne le reconnaissons pas. Il faut être probe et courageux pour revenir sur nos refus de la grâce de Dieu et sur nos rejets de sa loi d’amour. La société contemporaine refuse souvent de regarder en face la réalité du péché et va parfois jusqu’à présenter certains comportements et styles de vie de péché comme des biens à désirer et à poursuivre. Dans son encyclique Réconciliation et Pénitence, le pape Jean-Paul II suggère que le péché caractéristique des temps modernes consiste en «la perte du sens du péché ». Tenons compte du conseil de saint Jean : « Si nous disons que nous n’avons pas péché, nous nous décevons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. ». (1 Jn 1:8)

Le péché consiste en la transgression de la loi divine. S’il est vrai que le péché fait miroiter des biens et un bonheur illusoire, il est aussi vrai qu’il en résulte un tort causé au pécheur qui se trouve toujours la victime première du péché. L’Église enseigne qu’il existe deux sortes de péchés.

Le péché mortel consiste en un choix libre et délibéré d’un objet connu comme gravement mauvais et qui détruit l’amitié avec Dieu et nous en sépare. (cf. 1 Jn 5:16-17). Chacune des trois conditions suivantes est requise pour qu’un péché soit mortel : (1) il doit porter sur un objet grave ; (2) il doit être commis avec connaissance suffisante de sa gravité ; (3) il doit être commis dans un geste de volonté libre suffisante.

Le péché véniel consiste en une légère offense envers Dieu et qui affaiblit notre relation avec lui mais ne la détruit pas. Le sacrement du Pardon est la façon ordinaire de se faire remettre ses péchés. C’est un lieu de rencontre avec la miséricorde du Dieu Vivant et où celui-ci nous accueille dans notre faiblesse et notre péché. C’est également un lieu où s’approfondit notre croissance psychologique et spirituelle. Source de nombreuses grâces, on devrait célébrer ce sacrement régulièrement et chaque fois qu’on en ressent le besoin. La confession mensuelle s’avère un moyen sain et efficace de nous rapprocher de Dieu et pour mener une vie équilibrée, centrée sur le Christ.

La contrition

La contrition – ou la douleur de nos péchés – est nécessaire pour recevoir le sacrement du Pardon et celle-ci doit comporter le ferme propos de changer notre comportement en évitant les occasions prochaines de péché – c’est-à-dire les situations, les personnes, les lieux et les choses qui nous entraînent au péché. La contrition de nos péchés est très différente de la tristesse ou de la haine de soi. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Dieu, notre sens du péché et la contrition de notre péché s’approfondissent, tout comme notre joie, la paix de notre cœur et la pureté de notre conscience.

Acte de contrition

Mon Dieu, j’ai un très grand regret de vous avoir offensé, parce que vous êtes infiniment bon et que le péché vous déplaît. C’est pourquoi, je prends la ferme résolution, avec le secours de votre sainte grâce, de ne plus vous offenser, de faire pénitence et d’éviter toute occasion prochaine de péché.

Comment se confesser

  • Priez l’Esprit Saint de vous inspirer la connaissance de vous-même et la confiance en la miséricorde de Dieu.
  • Examinez votre conscience, ayez la contrition sincère de vos péchés et prenez la résolution de changer de vie.
  • Approchez-vous du prêtre et faites le Signe de la croix. En vous accueillant, le prêtre dira : « Que le Seigneur qui éclaire chaque cœur vous aide à connaître vos péchés et à vous confier en sa miséricorde » ou autres paroles semblables tirées de l’Écriture. Vous répondez : Amen.
  • Et vous ajoutez : « Bénissez-moi, mon père, parce que j’ai péché. Il y a ____ semaines / mois / années depuis ma dernière confession. ».
  • Faites un aveu franc et sincère de vos péchés, en commençant d’abord par tous les péchés mortels, en donnant le nombre de fois pour chacun. Vous pouvez ensuite confesser vos péchés véniels. (Bien qu’il ne soit pas strictement nécessaire de confesser les péchés véniels, l’Église recommande de le faire.) Si vous ne savez pas si un péché est mortel ou véniel, demandez au prêtre. Si vous n’avez pas de péché mortel, confessez les péchés véniels commis depuis votre dernière confession ; vous pouvez aussi renouveler l’aveu d’un péché mortel de votre vie passée que vous regrettez particulièrement, en indiquant que vous l’avez déjà confessé.
  • Écoutez alors les conseils que le prêtre daignera vous donner. Si jamais certaines questions sur la foi, la croissance en sainteté ou la gravité de telle ou telle action vous inquiètent, consultez le prêtre en toute liberté et confiance. Alors le prêtre vous donnera une pénitence.
  • Dites votre acte de contrition au moment où le prêtre vous y invitera.
  • Écoutez pendant que le confesseur vous donne l’absolution de vos péchés et réjouissez-vous de ce que le Seigneur vous a vraiment libéré de tous vos péchés. Si jamais vous oubliez de confesser un péché mortel, vous en êtes quand même pardonné, mais vous devez le mentionner lors de votre prochaine confession.
  • Remplissez la pénitence reçue du confesseur prêtre. Si vous avez des inquiétudes ou que vous ne savez pas comment procéder, apportez le guide suivant avec vous ou dites-le au prêtre et il vous facilitera la tâche.

Guide pour bien examiner sa conscience

  1. Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu Le serviras. (…) Vous n’irez pas à la suite d’autres dieux.
    • Est-ce que je cherche à aimer Dieu de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces ? (Dt 6:5)
    • Est-ce que je fais passer quelqu’un au-dessus de Dieu ? Est-ce que je prie tous les jours ?
    • Ai-je été impliqué dans des affaires d’occultisme, telles que sorcellerie, séances, cartes tarot, cristaux Nouvel-Âge, tireuses de cartes, etc. ? Ai-je fait confiance aux horoscopes ?
    • Ai-je communié en état de péché mortel ?
    • Ai-je abusé du sacrement du Pardon en mentant au prêtre ou en omettant délibérément un péché mortel ?
    • Ai-je renoncé à une vérité de foi par souci ou par respect pour l’opinion d’une autre personne?
  2. Le nom du Seigneur est saint. C’est pourquoi tu ne peux en abuser.
    • Ai-je manqué de respect envers le nom du Seigneur ?
    • Ai-je injurié le Seigneur, l’Église, la Sainte Vierge ou les saints et saintes ? Ai-je juré en utilisant des noms de lieux saints ou d’objets sacrés ?
  3. Souviens-toi du Jour du Seigneur pour le sanctifier.
    • Est-ce que je m’efforce de faire du dimanche un jour de prière, de repos et de relâche en évitant tout travail inutile ?
    • Suis-je arrivé en retard à la messe ou ai-je quitté l’église avant la fin sans raison valable ?
  4. Honore ton père et ta mère.
    • Est-ce que je manifeste révérence et respect envers mes parents ?
    • Ai-je fait du tort à mes parents délibérément ?
    • Est-ce que je traite mes enfants avec amour et respect ?
    • Est-ce que j’apporte mon soutien à tous les membres de la famille ? Est-ce que je vois au bien-être de chacun et chacune ?
    • Ai-je négligé mes devoirs familiaux ?
    • Est-ce que j’honore et respecte mes supérieurs légitimes ?
  5. Tu ne tueras pas.
    • Ai-je fait du tort à quelqu’un en connaissance de cause?
    • Ai-je eu un avortement ou ai-je encouragé quelqu’un à avorter?
    • Ai-je fait des tentatives suicide ? Y ai-je pensé sérieusement ?
    • Ai-je abusé d’alcool ou de drogues ?
    • Ai-je conduit quelqu’un à faire le mal par mauvais exemple ou en l’encourageant à le faire ?
  6. Tu ne commettras pas d’adultère.

Pour les personnes mariées

    • Suis-je fidèle à mon époux (mon épouse) tant en pensées qu’en actions ?
    • Ai-je eu recours à la contraception ou à la stérilisation ?
    • Mon mariage a-t-il été célébré en dehors de l’Église sans autorisation officielle ?

Pour les personnes célibataires

    • Ai-je eu des relations sexuelles avec quelqu’un d’un sexe ou l’autre ?

Pour tous et toutes

  • Est-ce que, délibérément, je me suis arrêté à de la documentation pornographique : revues, vidéos ou sites internet ?
  • Me suis-je adonné à la masturbation ?
  • Ai-je utilisé un langage impudique ou raconté des histoires sales ?
  • Ma tenue vestimentaire est-elle modeste?
  1. Tu ne voleras pas.
    • Ai-je volé ou accepté des objets volés ?
    • Ai-je délibérément détruit la propriété d’autrui ?
    • Ai-je triché mes créanciers ?
    • Est-ce que j’abuse du jeu ?
    • Est-ce que je partage mes biens avec les pauvres et l’Église, selon mes moyens ?
    • Ai-je piraté du matériel électronique : vidéos, musique, logiciels ?
  2. Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.
    • Ai-je raconté des mensonges ? Ai-je fait de faux serments?
    • Ai-je eu recours au plagiat ou à la tricherie académique ?
    • Me suis-je adonné au commérage ? Ai-je révélé des secrets ou des renseignements confidentiels sans raison valable ?
    • Ai-je détruit la réputation d’une autre personne en répandant des faussetés à son sujet ou en révélant ses défauts, ses fautes ou ses péchés.
  3. Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.
    • Ai-je délibérément et consciemment entretenu des pensées d’ordre sexuel à l’égard d’une personne autre que mon époux ou mon épouse ?
    • Est-ce que je maîtrise mon imagination et mes sens ?
    • Ai-je assisté à des pièces de théâtre ou à des films, regardé des émissions de télé ou des revues contenant des scènes impudiques avec l’intention délibérée d’en éprouver des sensations érotiques ? Est-ce que j’exerce du discernement dans mes choix de lectures ?
  4. Tu ne convoiteras pas les biens de ton prochain.
    • Ai-je des ressentiments de jalousie envers les biens, les talents, les habiletés, la beauté des autres ?
    • Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
    • Est-ce que j’aime mon prochain ? Y a-t-il quelqu’un que je n’aime pas ou que je refuse d’aimer ?
    • Ai-je souhaité du mal ou de la malchance à quelqu’un ?
    • Est-ce que je pardonne de tout cœur les personnes qui m’ont blessé ? Est-ce que j’entretiens de la haine ou de la rancune à leur égard ? Est-ce que je prie pour mes ennemis ?
    • Ai-je ridiculisé ou humilié quelqu’un ?
    • Est-ce que je cherche à venir en aide aux personnes dans le besoin ?
    • Est-ce que je m’aime comme le Seigneur m’aime ?
    • Est-ce que j’ai soin de ma santé – physique, émotive et spirituel?
    • Est-ce que je me pardonne mes fautes après les avoir présentées au Seigneur dans le sacrement du Pardon ?

Les préceptes de l’Église

    • Ai-je manqué délibérément la messe le dimanche ou les jours de fête sans raison valable ?
    • Est-ce que je me confesse au moins une fois l’an lorsque j’ai des péchés graves ?
    • Est-ce que je vais communier au moins une fois l’an durant le Temps pascal ?
    • Est-ce que je participe aux grandes fêtes du Seigneur, de la Sainte Vierge et des saints et saintes?
    • Est-ce que je «fais maigre» le vendredi durant le Carême (pour les personnes de 14 ans ou plus) et est-ce que je jeûne lors d’un repas principal le Mercredi des cendres et le Vendredi Saint (pour les personnes entre l’âge de 18 et 59 ans) ? Est-ce que j’observe le jeûne
    • eucharistique d’une heure avant la communion ?
    • Est-ce que je contribue aux biens matériels de l’Église ?

Le château intérieur ou les demeures – Septièmes demeures

CHAPITRE I – Des grandes faveurs que Dieu accorde aux âmes qui sont entrées dans les Septièmes Demeures. De certaines différences entre l’âme et l’esprit bien que ici deux ne fassent qu’un. Ce chapitre contient des choses dignes de remarque.

  1. Peut-être, mes sœurs, ai-je si longuement parlé de cette voie spirituelle qu’il ne semble y avoir rien d’autre à dire. Le croire serait une grande erreur ; puisque la grandeur de Dieu est sans bornes, ses œuvres ne sauraient en avoir. Cessera-t-on jamais de narrer ses miséricordes et ses grandeurs ? C’est impossible, ne vous étonnez donc point de ce qui fut dit et de ce qui reste à dire, ce n’est qu’un abrégé de tout ce qu’on peut conter de Dieu. Il s’est montré fort miséricordieux en communiquant ces choses à quelqu’un dont nous pouvons les apprendre, afin que nous louions ses grandeurs d’autant plus que nous savons qu’il communique avec les créatures, et nous nous efforcerons de ne pas mésestimer les âmes en qui le Seigneur se complaît. Nous avons tous une âme, mais nous ne l’apprécions pas comme le mérite une créature faite à l’image de Dieu, nous ne comprenons donc pas les grands secrets qui sont en elle. Plaise à Sa Majesté, si Elle le veut, de diriger ma plume, et de m’aider à vous parler un peu de tout ce qu’il y a à dire ; Dieu le fait comprendre à ceux qu’il introduit dans cette Demeure. J’ai vivement supplié Sa Majesté, Elle sait que mon intention est de faire en sorte que ses miséricordes ne restent pas cachées, afin que son nom soit mieux loué et glorifié.
  2. J’ai l’espoir que Dieu me fera cette faveur, pour l’amour de vous, mes sœurs, et non pour moi, pour que vous compreniez ce qui vous sera précieux, et que, par votre faute, votre Époux ne manque pas de célébrer ce mariage spirituel avec vos âmes, puisqu’il entraîne tous les bienfaits que nous verrons. Ô grand Dieu ! Une créature aussi misérable que moi peut trembler de parler d’une chose que je suis loin de mériter de comprendre. C’est vrai, j’ai été dans une grande confusion, et je me suis demandé s’il ne serait pas préférable de conclure cette Demeure en quelques mots, on va croire, je le suppose, que je la connais d’expérience, et j’en ai une honte extrême, car me connaissant comme je me connais, c’est chose terrible. D’autre part, il m’est apparu qu’il y a là une tentation, une faiblesse, si mal que vous me jugiez. Mais que Dieu soit un petit peu mieux loué et compris, et que tout le monde me crie après ; d’autant plus qu’il se peut que je sois morte quand ceci verra le jour. Béni soit Celui qui vit et vivra à jamais. Amen.
  3. Quand Notre-Seigneur consent à prendre en pitié cette âme qui a souffert et souffre de désir et qu’il a déjà prise spirituellement pour épouse, avant la consommation du mariage spirituel il l’introduit dans sa Demeure qui est cette Septième ; de même qu’il a une demeure au ciel, il doit trouver dans l’âme une chambre où Sa Majesté habite seule : nous pouvons dire un autre ciel. Il est très important pour nous, mes sœurs, de comprendre que l’âme n’est pas quelque chose d’obscur ; car comme nous ne la voyons pas, nous pouvons croire, d’ordinaire, qu’il n’existe pas d’autre lumière intérieure, sauf celle que nous voyons, et qu’il règne dans notre âme une certaine obscurité. Je parle de l’âme qui n’est pas en état de grâce, ce n’est pas la faute du Soleil de Justice qui est en elle et qui lui donne l’être, mais c’est elle qui est incapable de recevoir la lumière, et je crois avoir dit dans la première Demeure ce que certaine personne a compris à ce sujet : ces âmes infortunées sont comme dans une prison obscure, les pieds et les mains liés, aveugles et muettes, pour qu’elles ne puissent faire le bien qui les aiderait à acquérir des mérites. Nous pouvons les plaindre, considérer qu’il fut un temps où nous nous sommes vues dans le même état, et que le Seigneur peut leur faire miséricorde, à elles aussi.
  4. Ayons particulièrement soin, mes sœurs, de l’en supplier, ne l’oublions pas, c’est faire une très grande charité que de prier pour ceux qui sont en état de péché mortel ; bien plus grande que celle que nous ferions au chrétien que nous verrions les mains liées derrière le dos par une forte chaîne, attaché à un poteau, et mourant de faim, non par faute de nourriture, car il a auprès de lui des mets d’extrême délicatesse, mais il ne peut les prendre pour les porter à sa bouche ; bien qu’il éprouve un vif dégoût et se voire prés d’expirer, non de la mort d’ici-bas mais de celle qui est éternelle, ne serait-ce pas extrêmement cruel de le regarder sans approcher de sa bouche de quoi manger ? Qu’adviendrait-il si, par vos prières, on lui ôtait ses chaînes ? Vous voyez bien. Je vous le demande pour l’amour de Dieu, ayez toujours un souvenir pour ces âmes-là dans vos prières.
  5. Ce n’est pas à elles que nous parlons en ce moment, mais à celles qui, par la miséricorde de Dieu, ont fait pénitence de leurs péchés, et qui sont en état de grâce ; nous ne pouvons la considérer cette âme, comme une chose limitée à un recoin, mais comme un monde intérieur qui contient les belles et nombreuses demeures que vous avez vues ; il est juste qu’il en soit ainsi, puisqu’il y a dans cette âme une demeure pour Dieu. Quand il plaît à Sa Majesté de lui accorder la faveur de ce mariage divin, Elle commence par l’introduire dans Sa demeure ; Sa Majesté ne se contente plus des ravissements qu’Elle lui a déjà fait connaître, où elle l’unit à Elle, à ce que je crois, ni de l’oraison d’union dont j’ai parlé où l’âme n’avait pas le sentiment d’être aussi nettement appeler à pénétrer dans son centre qu’elle l’est, ici, dans cette demeure, mais dans sa partie supérieure seulement. Peu importe : d’une manière ou d’une autre, le Seigneur l’unit à lui ; mais c’est en la rendant aveugle et muette, comme ce fut le cas pour saint Paul lors de sa conversion (Ac 9,8), et en lui retirant la faculté de sentir ce qu’est cette faveur, et comment elle en jouit : car la grande délectation de cette âme est de se voir tout près de Dieu. Quand il l’unissait à lui, elle ne comprenait plus rien, puisque toutes ses puissances étaient aliénées.
  6. Ici, il en est autrement. Notre bon Dieu, maintenant, veut faire tomber les écailles de ses yeux ; pour lui faire voir et comprendre quelque chose de la faveur qu’il lui fait, il use d’un procédé extraordinaire ; introduite dans cette Demeure par une vision intellectuelle, on lui montre, par une sorte de représentation de la vérité, la Très Sainte Trinité, toutes les trois personnes, dans un embrasement qui s’empare d’abord de son esprit à la manière d’une nuée d’immense clarté ; et de ces personnes distinctes, par une intuition admirable de l’âme, elle comprend l’immense vérité ; toutes les trois personnes sont une substance, un pouvoir, une science, et un seul Dieu. Ce que nous croyons par un acte de foi, l’âme, donc, le saisit ici, on peut le dires de ses yeux, sans qu’il s’agisse toutefois des yeux du corps ni des yeux de l’âme, car ce n’est pas une vision imaginaire. Ici, toutes les trois personnes se communiquent à elle, elles lui parlent, elles lui font comprendre ces paroles du Seigneur que rapporte l’Évangile : qu’il viendrait, Lui, et le Père, et le Saint-Esprit, demeurer avec l’âme qui l’aime et qui observe ses commandements (Jn 14,23).
  7. Ô Dieu secourable ! Qu’il est donc différent d’entendre ces paroles, de les croire, ou de comprendre de cette manière-là combien elles sont vraies ! L’âme s’en étonne chaque jour davantage, car il lui semble que les Trois Personnes ne l’ont jamais quittée, elle les voit, manifestement, à l’intérieur de son âme ; au très très intime d’elle-même, dans quelque chose de très profond qu’elle ne saurait décrire car elle n’est point docte, elle sent en elle cette divine compagnie.
  8. Il va vous sembler, d’après cela, qu’elle doit être hors de sens, si absorbée qu’elle ne peut plus s’occuper de rien. En fait, bien mieux que naguère, en tout ce qui touche au service de Dieu, ou lorsqu’elle n’a pas d’occupation, elle vit dans cette agréable compagnie ; et si cette âme ne fait pas défaut à Dieu, jamais il ne manquera, ce me semble, de lui faire discerner très clairement sa présence ; elle a la ferme confiance que Dieu ne l’abandonnera point, il ne lui a pas accordé cette faveur pour qu’elle la perde ; et elle est en droit de le penser, sans cesser toutefois d’être plus attentive que jamais à ne lui déplaire en rien.
  9. Cette présence dans laquelle elle vit, comprenez-le, n’est pas aussi totalement manifestée, je précise, aussi clairement, que la première fois, et certain nombre d’autres, où Dieu voulut lui faire ce don ; s’il en était ainsi, il lui serait impossible de s’occuper de quoi que ce soit, et même de vivre au milieu des gens ; mais bien que cette présence ne s’accompagne pas d’une lumière aussi claire, elle constate toujours qu’elle se trouve en cette compagnie. On peut la comparer à une personne qui serait avec d’autres dans une pièce très claire, mais on ferme les fenêtres, et elle reste dans l’obscurité : l’absence de lumière l’empêche de les voir, elle ne les verra pas jusqu’à ce que la lumière revienne, elle ne cesse toutefois pas de comprendre qu’elles sont là. On peut demander si lorsque la lumière revient il lui est possible de les revoir à son gré. Ça n’est pas en son pouvoir, il faut que Notre-Seigneur consente à ouvrir la fenêtre de l’entendement ; il témoigne d’une grande miséricorde en lui permettant de comprendre si clairement qu’il ne la quitte jamais.
  10. Il semble que la divine Majesté veuille, ici, par cette admirable compagnie, disposer l’âme à recevoir davantage ; il est clair que cela l’aidera fort à avancer dans la perfection en toutes choses et perdre les craintes que lui ont parfois inspirées les autres faveurs que Dieu lui a faites, comme nous l’avons dit. Et il en fut ainsi, elle faisait, en tout, des progrès, il lui semblait que malgré tant d’épreuves et d’affaires, l’essentiel de son âme ne quittait jamais cette Demeure. Comme s’il y avait, en quelque sorte, des compartiments dans son âme, peu après cette faveur que lui accorda Dieu, elle eut à s’occuper de grands travaux, elle s’en plaignit, comme Marthe se plaignit au Seigneur de Marie (Lc 10,40) qui jouissait toujours à son gré de cette quiétude, et qui lui laissait tant de travail, tant d’occupations, qu’elle ne pouvait jouir de sa compagnie.
  11. Vous jugerez que c’est de la folie, mes sœurs, mais cela se passe vraiment ainsi, bien qu’on comprenne que l’âme est une ; ce que j’ai dit n’est pas une idée que je me forge, car telle est l’impression qu’on a ordinairement. J’en ai donc déduit qu’on voit des choses intérieures dans lesquelles on distingue vraiment certaines différences, fort visibles, entre l’âme et l’esprit, malgré que tout soit un. La division qu’on perçoit est si subtile que l’âme et l’esprit semblent parfois agir différemment, comme sont différentes les saveurs que le Seigneur veut leur donner. Il me semble aussi que l’âme diffère des puissances, qu’elles ne sont pas une seule chose. Il y a tant de ces différences, et si délicates, dans l’intime de nous-même que je serais bien téméraire si je me mettais à les expliquer. Nous verrons cela là-haut, si, dans sa miséricorde, le Seigneur nous fait la grâce de nous conduire là où nous comprendrons ces secrets.

CHAPITRE II – Suite du même sujet. De subtiles comparaisons aident à comprendre la déférence qu’il y a entre l’union spirituelle et le mariage spirituel.

  1. Venons-en donc à parler du mariage spirituel et divin, bien que cette haute faveur ne doive pas atteindre à sa perfection de notre vivant, puisque nous perdrions cet immense bienfait si nous nous écartions de Dieu. La première fois que Sa Majesté accorde cette faveur par une vision imaginaire, Elle veut montrer à l’âme sa très Sainte Humanité pour qu’elle en ait la pleine connaissance et n’ignore rien du don souverain qu’elle reçoit. A d’autres personnes, le Seigneur pourra se présenter sous une autre forme ; à celle dont nous parlons, alors qu’elle venait de communier, il apparut, dans la splendeur, la beauté, la majesté qu’on lui vit après sa résurrection ; Il lui dit qu’il était temps qu’elle s’occupe de ses affaires à lui, qu’il s’occuperait des siennes, et d’autres paroles plus sensibles que communicables (Relations, chap. 35).
  2. Il n’y avait là, semblera-t-il, rien de nouveau, puisque le Seigneur s’était déjà manifesté à cette âme de cette manière. Ce fut toutefois si différent qu’elle en fut bien affolée et effrayée ; d’abord, parce que cette vision fut fort intense, ensuite, à cause des paroles que le Seigneur lui dit, enfin, parce qu’il se manifesta à l’intérieur de son âme, ce qui ne s’était jamais produit, sauf dans la vision précédente. Comprenez-le, la différence est immense entre toutes les visions précédentes et celles de cette Demeure ; entre les fiançailles spirituelles et le mariage spirituel il y a la même différence qu’entre l’état de deux fiancés et celui de ceux qui ne pourront désormais se séparer.
  3. J’ai déjà dit que malgré ces comparaisons dont j’use à défaut d’en trouver de meilleures, il faut entendre qu’ici il n’est pas plus question du corps que si l’âme ne l’habitait point, et qu’elle ne soit qu’esprit ; son rôle est encore bien moindre dans le mariage spirituel ; cette union secrète s’accomplit au centre le plus profond de l’âme où doit se tenir Dieu lui-même, et, ce me semble, il n’a pas besoin de porte pour y entrer. Je dis qu’il n’a pas besoin de porte, parce que tout ce qui a été dit jusqu’ici semble se réaliser au moyen des sens et des puissances et il doit en être ainsi de cette apparition de l’Humanité du Seigneur ; mais l’union dans le mariage spirituel est bien différente. Le Seigneur apparaît en ce centre de l’âme non pas dans une vision imaginaire, mais intellectuelle, plus subtile toutefois que les précédentes : il apparut ainsi aux Apôtres, sans entrer par la porte, quand il leur dit :  » Pax vobis  » (Lc 24,35). Ce que Dieu communique alors à l’âme en un instant est un si grand mystère, une faveur si haute, la délectation de l’âme est si immense, que je ne sais à quoi la comparer ; je puis seulement dire que le Seigneur veut lui manifester à ce moment la gloire du ciel avec plus d’élévation que par toutes les visions ou plaisirs spirituels. D’après ce qu’on comprend, et on ne saurait dire plus, l’âme, c’est-à-dire l’esprit de cette âme, ne fait plus qu’une avec Dieu ; Sa Majesté, qui Elle aussi est esprit, pour montrer son amour pour nous, veut faire concevoir à certaines personnes jusqu’où va cet amour, pour que nous louions sa grandeur ; Dieu a tenu à s’unir à la créature si intimement que comme ceux qui ne peuvent désormais se séparer, il ne veut pas se séparer d’elle.
  4. Il en est autrement des fiançailles spirituelles, car souvent les fiancés se séparent, et l’union également est différente ; car bien que l’union soit la jonction de deux choses en une, elles peuvent, enfin, se séparer, et chacune d’elles se retrouver seule ; ainsi, à l’ordinaire, cette faveur du Seigneur passe vite, l’âme ensuite est privée de cette compagnie, c’est-à-dire qu’elle ne la perçoit plus. Dans cette autre faveur du Seigneur, non : l’âme demeure en ce centre avec son Dieu. On peut comparer l’union à deux cierges de cire qui s’uniraient si étroitement que leurs lurnières ne feraient qu’une, ou que la mèche, et la lumière, et la cire, ne sont qu’une même chose ; on peut toutefois séparer les cierges l’un de l’autre, et il reste deux cierges, comme on peut séparer la mèche de la cire. Ici encore, il en est comme de l’eau du ciel qui tombe dans une rivière ou dans une fontaine, tout se confond en une eau unique, jamais on ne pourra séparer ni trier l’eau de la rivière de l’eau tombée du ciel ; de même, si un petit ruisseau se jette dans la mer, il n’y aura nul moyen de l’en séparer ; et dans une pièce percée de deux fenêtres par où pénètre une vive clarté, les deux clartés, divisées à l’arrivée, se fondent en une seule.
  5. C’est peut-être ce que dit saint Paul à propos de ce sublime mariage, supposant que Sa Majesté se rapproche de l’âme par l’union :  » Celui qui s’unit au Seigneur ne fait qu’un esprit avec Lui  » (Cor 6,17). Il dit aussi :  » Mihi vivere Christus est, mori lucrum  » (Ph 1,21) ; il me semble que l’âme peut dire la même chose ici, car c’est là que le petit papillon dont nous avons parlé meurt dans une immense joie, puisque sa vie est déjà le Christ.
  6. On discerne mieux cette faveur, le temps aidant, par ses effets, car on comprend clairement que c’est Dieu qui donne vie à notre âme par de secrètes aspirations souvent si vives qu’on ne peut aucunement en douter ; l’âme les perçoit clairement, mais elles sont inexprimables ; ce sentiment est si fort qu’il se traduit parfois en paroles caressantes qu’elle ne peut contenir :  » Ô vie de ma vie et substance qui me sustente !  » et autres choses de ce genre. Car de ce sein divin, où Dieu semble continuellement nourrir l’âme, jaillissent des rayons de lait qui fortifient tous les habitants du château ; il apparaît que le Seigneur veut qu’ils jouissent un peu de tout ce dont jouit l’âme, de ce fleuve opulent où la petite fontaine s’est perdue, il jaillit parfois un jet de cette eau pour soutenir ceux qui doivent pour le corporel servir ces deux époux. Et comme une personne inattentive sentirait qu’on la baigne soudain dans cette eau et ne pourrait manquer de le sentir, ainsi, et même avec plus de certitude, on perçoit les opérations dont je parle. Car de même qu’un jet d’eau ne pourrait jaillir de rien, comme je l’ai dit, on comprend clairement qu’il y a à l’intérieur quelqu’un qui lance ces flèches et donne vie à cette vie, un soleil d’où provient une grande lumière qui se projette de l’intérieur sur les puissances. L’âme, comme je l’ai dit, ne bouge pas de ce centre, et ne perd point la paix ; car celui qui l’a donnée aux Apôtres (Jn 20,19) quand ils étaient réunis peut la lui donner, à elle aussi.
  7. Il me vient à l’idée que cette salutation du Seigneur devait signifier beaucoup plus qu’elle n’en a l’air, ainsi que ce qu’il a dit à la glorieuse Madeleine :  » Va en paix  » (Lc 7,50), car les paroles du Seigneur ont en nous valeur d’actes, elles devaient donc agir dans ces âmes déjà bien disposées, éloigner de l’âme tout ce qui est corporel afin que, pur esprit, elle puisse s’unir par cette union céleste à l’esprit incréé ; et il est très vrai que lorsque nous nous vidons de toute créature, que nous nous en détachons pour l’amour de Dieu, ce même Dieu doit nous emplir de Lui. Ainsi, un jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur priait pour ses Apôtres, je ne sais où on le dit, il demanda que tous soient un avec le Père et avec Lu, comme Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans le Père et le Père en Lui (Jn 17,21). Je ne sais s’il peut exister un plus grand amour que celui-là ! Et ne manquons point d’y pénétrer tous, puisque Sa Majesté a dit : e ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi, qui, grâce à leur parole, croiront en moi (Jn 17,20) et Elle dit aussi : Je suis en eux (Jn 17,23).
  8. Ô Dieu secourable, que ces paroles sont vraies, et comme l’âme qui le voit par elle-même dans cette oraison les comprend ! Et comme nous les comprendrions toutes, si nous n’y faisions pas obstacle par notre faute, puisque les paroles de Jésus-Christ notre Roi et Seigneur ne peuvent manquer de s’accomplir ! Mais nous commettons l’erreur de ne pas nous y disposer en nous écartant de tout ce qui peut faire obstacle à cette lumière, nous ne nous voyons donc pas dans ce miroir que nous contemplons, et où notre image est gravée.
  9. Pour revenir à ce que nous disions : lorsque le Seigneur a introduit l’âme dans Sa demeure, qui est le centre de l’âme elle-même, de même que le ciel empyrée où se tient Notre-Seigneur ne se meut pas, dit-on, comme les autres, dès que cette âme y pénètre, tout mouvement cesse en elle ; ni les puissances, ni l’imagination, ne peuvent lui porter tort ni lui enlever la paix. J’ai l’air de vouloir dire que lorsque l’âme a obtenu de Dieu cette faveur elle est assurée de son salut et de ne pas retomber, mais je ne dis rien de tel : chaque fois que je parlerai de cette sécurité apparente de l’âme, il s’entend qu’il en est ainsi tant que la Divine Majesté la tient par la main, pour que l’âme ne l’offense point. J’ai du moins la certitude que cette âme, bien qu’elle ait vécu dans cet état, et cela pendant des années, ne s’estime pas en sûreté ; elle craint au contraire bien plus que naguère d’offenser Dieu moindrement, elle a le vif désir de Le servir, comme on le verra plus loin, elle vit dans la peine et la confusion, sachant le peu qu’elle est capable de faire, alors qu’elle lui a tant d’obligation ; ça n’est pas une petite croix, mais une fort sérieuse mortification ; toutefois, plus cette âme se mortifie, plus grandes sont ses délices. Lorsque Dieu lui ôte la santé et les forces dont elle a besoin pour faire pénitence, c’est là sa vraie mortification ; j’ai déjà dit ailleurs le chagrin que cela cause, mais il est bien plus grand ici, et tout doit venir à l’âme du sol où elle plante ses racines; car de même que l’arbre qui est proche d’une eau courante est le plus frais, celui qui produit plus de fruits, peut-on s’étonner des désirs qu’éprouve cette âme dont l’esprit véritable ne fait qu’un avec l’eau céleste dont nous avons parlé ?
  10. Pour en revenir, donc, à ce que je disais, il ne faut pas croire que les puissances, et les sens, et les passions, jouissent toujours de cette paix ; l’âme, oui. Dans les autres Demeures, il est des combats, des moments d’épreuves et de fatigue, mais à l’ordinaire cela ne lui ôte ni sa paix, ni sa place. Ce centre de notre âme, ou cet esprit, est chose si difficile à décrire, il est même si difficile d’y croire, que je crains, mes sœurs, que faute d’avoir su m’exprimer vous ne soyez tentées de ne pas me croire ; car il est difficile de dire qu’il y a là des épreuves et des peines, mais que l’âme reste en paix. Je vais faire une ou deux comparaisons : plaise à Dieu qu’elles m’aident à expliquer quelque chose, mais si je n’y réussissais pas, je sais que je dis la vérité.
  11. Le Roi est dans son Palais, la guerre et bien des choses pénibles sévissent dans son royaume, mais il n’en reste pas moins à sa place ; de même, ici ; bien qu’il y ait un grand tumulte, beaucoup de bêtes venimeuses, dans les autres Demeures, et que tout cela fasse grand bruit, rien ne pénètre dans cette Demeure-là, et ne force l’âme à en sortir ; les choses qu’elle entend, qui toutefois lui font un peu de peine, ne parviennent pas à l’agiter et à lui ôter la paix ; les passions, déjà vaincues, ont peur de pénétrer dans cette Demeure, car elles en sortent plus asservies. Le corps tout entier nous fait mal, mais si la tête est saine, nous n’aurons pas mal à la tête du fait que nous avons mal au corps. Je ris toute seule de ces comparaisons dont je ne suis pas satisfaite, mais je n’en trouve pas d’autres ; Pensez ce que vous voudrez : tout ce que j’ai dit est la vérité.

CHAPITRE III – Des grands effets de cette oraison. L’attention et la réflexion sont nécessaires, car elle diffère des états précédents d’une manière admirable.

  1. Nous disions donc que ce petit papillon est mort dans l’immense allégresse d’avoir trouvé le repos, et que le Christ vit en lui. Voyons comment il vit, ou comment cette vie diffère de celle qu’il a connue quand il était vivant ; ce sont les effets produits dans l’âme par cette oraison qui nous montreront si ce qui fut dit est vrai. A ce que je puis entendre, ces effets sont les suivants.
  2. Le premier, un tel oubli d’elle-même que l’âme semble vraiment n’être plus, comme je l’ai dit ; elle est dans un état où elle ne se connaît plus, elle ne se souvient plus qu’il doive y avoir pour elle ni ciel, ni vie, ni honneur, tout entière occupée de l’honneur de Dieu; les paroles de Sa Majesté semblent avoir eu force d’acte lorsqu’elle lui a dit de s’inquiéter de Ses affaires, et qu’Elle s’inquiéterait des siennes. Ainsi, l’âme ne se soucie pas de ce qui peut advenir, elle est dans un étrange oubli de toute chose, car, comme je l’ai dit, elle semble n’être plus, et elle voudrait n’être rien en rien, si ce n’est lorsqu’elle comprend qu’elle peut contribuer à accroître d’un point la gloire et l’honneur de Dieu ; elle exposerait alors sa vie de très bon cœur.
  3. N’entendez pas par là, mes filles, qu’elle cesse de tenir compte de manger et de dormir, car ce n’est pas le moindre de ses tourments, ainsi que d’accomplir toutes les obligations de son devoir d’état ; nous parlons des choses intérieures, car il n’y a que peu à dire des actions extérieures ; sa peine est plutôt de voir que ses propres forces sont désormais néant. Elle ne renoncerait pour rien au monde à faire tout son possible lorsqu’elle comprend qu’il s’agit du service de Notre- Seigneur.
  4. Le second de ces effets est un grand désir de souffrir, mais il n’est plus capable de l’inquiéter, comme naguère ; son désir de voir la volonté de Dieu s’accomplir en elle est si absolu que tout ce que fait Sa Majesté lui semble bon ; s’il veut qu’elle souffre, à la bonne heure ; si non, ce refus ne la tue point, comme avant.
  5. Ces âmes éprouvent aussi une grande joie intérieure dans la persécution, et une paix croissante, sans aucune inimitié envers ceux qui leur nuisent ou cherchent à le faire ; elles s’éprennent plutôt pour eux d’un amour particulier, s’affligent tendrement si elles les voient en peine, et endureraient bien des choses pour les en libérer ; elles les recommandent à Dieu de bien bon cœur, et se réjouiraient de perdre les grâces que leur accorde Sa Majesté pour qu’Elle les reverse sur eux, afin qu’ils n’offensent plus Notre-Seigneur.
  6. Et voilà surtout ce qui m’ébahit, quand on a vu les peines et afflictions que leur causait leur désir de mourir pour jouir de Notre-Seigneur : elles ont maintenant un si grand désir de le servir, d’obtenir qu’il soit loué, et, si possible, d’aider quelques âmes, que non seulement elles ne désirent plus mourir, mais vivre de très longues années, dans les plus grandes épreuves, au cas où elles mériteraient ainsi que le Seigneur soit loué, ne serait-ce que de bien peu de chose. L’assurance que leur âme jouirait de Dieu dès qu’elle quitterait leur corps ne les influencerait point, pas plus que de songer à la gloire des saints ; elles ne désirent pas y accéder pour le moment. Elle mettent leur gloire dans l’aide qu’elles peuvent apporter au Crucifié, en particulier lorsqu’elles voient combien on l’offense, combien rares sont ceux qui considèrent vraiment son honneur, détachés de tout le reste.
  7. Il est vrai que lorsqu’il lui arrive d’oublier cela, ses désirs de jouir de Dieu et de sortir de cet exil la reprennent tendrement, surtout lorsqu’elle voit le peu de services qu’elle lui rend, mais elle se reprend bientôt, elle considère-la continuité de Sa présence en elle, et elle offre à Sa Majesté sa volonté de vivre comme l’offrande la plus coûteuse qu’elle puisse lui faire. La mort, elle ne la craint nullement, pas plus qu’elle ne craindrait un doux ravissement. Le fait est que celui qui lui communiquait ces désirs avec d’excessifs tourments lui donne maintenant ceux dont nous parlons. Qu’il soit à jamais loué et béni.
  8. Enfin, le désir de ces âmes n’est plus jamais orienté vers les régals et les plaisirs, car le Seigneur lui-même est avec elles, et c’est Sa Majesté, maintenant, qui vit en elles. Il est clair que sa vie ne fut qu’un tourment continuel, et c’est ce qu’il fait de la notre, du moins en ce qui concerne nos désirs ; quant au reste, il nous dirige en faibles que sommes, quoiqu’il nous emplisse de sa force quand il voit que nous en avons besoin. Un grand détachement de toutes choses, avec le désir constant de vivre dans la solitude, ou occupés à aider une âme. Ni sécheresses, ni épreuves intérieures, mais le souvenir de Notre-Seigneur, dans une telle tendresse que l’âme voudrait ne rien faire d’autre que de le louer ; lorsqu’elle s’en distrait, le Seigneur lui-même la réveille comme je l’ai dit, car on voit très clairement que cette impulsion, – je ne sais quel autre mot employer, – vient de l’intérieur de l’âme comme les transports dont j’ai parlé. Elle se manifeste maintenant avec une grande douceur, mais elle ne procède ni de la pensée ni de la mémoire, ni de rien qui puisse suggérer que l’âme ait agi d’elle-même. Ce réveil se produit si habituellement, et si fréquemment, qu’il a été possible de bien l’examiner ; de même qu’un feu ne projette pas sa flamme vers le bas mais vers le haut, si grand soit le feu qu’on veuille allumer, on constate ici que ce mouvement intérieur vient du centre de l’âme et éveille les puissances.
  9. Certes, quand bien même on ne trouverait sur cette voie de l’oraison d’autre bénéfice que celui de comprendre le soin particulier que Dieu a de communiquer avec nous et de nous prier de nous y prêter, car on ne peut y voir autre chose, enfin, de nous garder auprès de lui, j’estime bien employées toutes les peines par lesquelles on passe pour jouir de ces attouchements de son amour, si suaves et si pénétrants. Cela, mes sœurs, vous l’avez sans doute éprouvé ; car lorsqu’on atteint à l’oraison d’union, je pense que le Seigneur y veille, si nous ne négligeons pas d’observer ses commandements. Lorsque cela vous arrivera, rappelez-vous ce qu’il en est de cette Demeure intérieure où Dieu vit en notre âme, et louez-le beaucoup ; car, vraiment, il vient de lui, ce message, ou billet écrit avec tant d’amour, de manière à vous signifier qu’il veut que vous- soyez seule à comprendre cette écriture, et ce qu’il vous demande. Ne manquez sous aucun prétexte de répondre à Sa Majesté, même si vous êtes occupée extérieurement et en conversation avec plusieurs personnes, car il arrivera souvent que Notre-Seigneur veuille vous faire en public cette faveur secrète, et comme votre réponse doit être intérieure, il est très facile d’agir comme je le dis par un acte d’amour, ou en disant comme saint Paul :  » Que voulez-vous de moi, Seigneur ?  » Il vous enseignera bien des façons de lui être agréable, au moment même où nous croyons comprendre qu’il nous écoute ; et cet attouchement si délicat dispose presque toujours l’âme à accomplir ce qui lui a été demandé avec une ferme volonté.
  10. Cette Demeure se différencie donc des autres par ce que je viens de dire : on n’y trouve presque jamais la sécheresse ni les agitations intérieures qu’on a connues par moments dans toutes les autres, mais l’âme y est presque toujours dans la quiétude ; ne craignez pas que le démon puisse contrefaire ce si haut état de grâce, mais soyez intimement persuadée qu’il provient de Dieu seul ; car, comme je l’ai dit, ni les sens ni les puissances n’ont rien à voir ici ; Sa Majesté s’est découverte à l’âme, Elle l’a introduite avec elle là où à mon avis le démon n’oserait entrer et d’ailleurs le Seigneur ne le lui permettrait point ; toutes les grâces qu’il accorde ici ne doivent rien aux efforts de l’âme elle-même, comme je l’ai dit, sauf celui de se livrer tout entière à Dieu.
  11. Les progrès que le : Seigneur fait ici accomplir à l’âme, les enseignements qu’il lui donne, tout cela se passe dans un silence qui me rappelle la construction du temple de Salomon, où on ne devait entendre aucun bruit ; ainsi, dans ce temple de Dieu, dans cette sienne demeure, Lui seul et l’âme jouissent l’un de l’autre, dans un immense silence. L’entendement n’a aucune raison de s’agiter ni de chercher ; le Seigneur qui l’a crée veut l’apaiser ici, et qu’il regarde par une étroite rainure ce qui se passe. Il est des moments où il ne voit plus rien, car on ne lui permet plus de regarder, mais ces intervalles sont brefs ; car, ce me semble, on ne perd pas ici l’usage des puissances, mais elles n’agissent pas, et sont comme ébahies.
  12. Je le suis de voir que lorsque l’âme elle arrive là, elle cesse d’avoir des ravissements, (j’entends en particulier la perte des sens) si ce n’est de temps en temps, et alors même sans rapts ni envols de l’esprit ; ils sont très rares et n’ont presque jamais lieu en public, comme naguère où c’était fréquemment le cas ; ils ne sont plus provoqués comme alors par ce qui excitait sa dévotion, car lorsqu’elle voyait une image pieuse ou entendait un sermon, ne fût-ce qu’un fragment, ou de la musique, le pauvre petit papillon était si anxieux que tout l’étonnait, et qu’il s’envolait. Maintenant, soit que l’âme ait trouvé son repos, soit qu’elle ait vu tant de choses en cette Demeure elle ne s’estompe plus de rien, elle n’est plus comme naguère, solitaire, puisqu’elle jouit d’une telle compagnie, Enfin, mes sœurs, j’en ignore la cause, mais dés que le Seigneur commence à montrer à l’âme ce qui se trouve en cette Demeure et à l’y introduire, elle est guérie de la grande faiblesse qui lui a causé tant de peines et dont jamais auparavant elle ne s’était libérée. Il se peut que le Seigneur l’ait fortifiée, élargie, et habilitée ; il se peut aussi qu’il veuille montrer publiquement ce qu’il a opéré secrètement dans ces âmes, à des fins que Sa Majesté connaît seule, car Ses jugements dépassent tout ce que nous pouvons imaginer ici-bas.
  13. Ces effets, comme tous les autres dont nous avons dit qu’ils sont bons dans les degrés d’oraison déjà décrits, Dieu les suscite lorsqu’il attire l’âme à Lui, et lui donne le baiser que réclamait l’épouse ; car j’entends que ce qu’elle demandait s’accomplit dans cette Demeure. Ici, à cette biche blessée, on donne l’eau en abondance. Ici, elle se délecte dans le tabernacle de Dieu. Ici, la colombe que Dieu envoya voir si la tempête était apaisée trouve l’olive, signe qu’elle a trouves la terre ferme sous les eaux et les tempêtes de ce monde. Ô Jésus ! Que ne puisée connaître tout ce que doivent contenir les Écritures pour décrire cette paix de l’âme ! Mon Dieu, qui en connaissez la valeur, faites que les Chrétiens veuillent bien la chercher, et, dans votre miséricorde, ne la retirez pas à ceux à qui vous l’avez donnée ; car, enfin, jusqu’à ce que vous leur accordiez la véritable paix, et que vous les conduisiez là où elle ne finira jamais, nous devons vivre dans la crainte. Lorsque je parle de la véritable paix, je n’entends pas que celle-ci ne soit point vraie, mais que la guerre pourrait éclater de nouveau si nous nous écartions de Dieu.
  14. Qu’éprouvent ces âmes lorsqu’elles voient qu’un si grand bien pourrait leur faire défaut ? Cela les oblige à plus de vigilance, à tirer force de faiblesse pour ne rien négliger par leur faute de ce qui s’offre à elles pour mieux plaire à Dieu. Plus Sa Majesté les favorise, plus elles sont craintives et plus elles ont peur d’elles- mêmes. Et comme au milieu de ces grandeurs elles ont mieux connu leurs misères et que leurs péchés leur semblent d’autant plus graves, souvent, comme le Publicain, elles n’osent plus lever les yeux ; il en est d’autres qui désirent cesser de vivre pour être en sécurité, mais bientôt, pour l’amour de Lui, elles recommencent à vouloir vivre pour le servir, comme je l’ai dit et remettent tout ce qui les concerne à sa miséricorde. Quelquefois, l’excès des faveurs les anéantit à tel point qu’elles craignent quel n’en soit d’elles comme d’un navire si lourdement chargé qu’il coule à pic.
  15. Je vous le dis, mes sœurs, elles n’en portent pas moins leur croix, mais cela ne les inquiète point et ne leur ôte pas la paix ; quelques tempêtes passent vite, comme une vague, et le calme revient ; car la présence constante du Seigneur en elles leur fait tout oublier. Qu’il soit toujours béni et loué par toutes ses créatures. Amen.

CHAPITRE IV – Des buts que poursuit Notre-Seigneur quand il accorde à l’âme de si hautes faveurs, et de la nécessité pour Marthe et Marie de vivre unies. Chapitre fort profitable.

  1. N’allez pas croire, mes sœurs, que ces effets dont j’ai parlé soient immuables dans ces âmes ; c’est pourquoi, lorsque j’y pense, je précise que tel est, à l’ordinaire, leur état ; car Notre-Seigneur les abandonne parfois à leur naturel et on dirait alors que toutes les bêtes venimeuses des faubourgs et premières Demeures de ce château se conjurent pour se venger du temps où elles ne les ont pas elles à leur portée.
  2. Il est vrai que cet état dure peu ; souvent un jour, ou un peu plus. Et dans ce grand tumulte, suscité d’ordinaire par une circonstance quelconque, on voit ce que l’âme gagne à vivre en si bonne compagnie ; le Seigneur lui donne une grande fermeté pour qu’elle ne se détourne jamais de le servir et tienne ses bonnes résolutions ; ces résolutions semblent plutôt se fortifier, elle ne s’en écarte même pas d’un infime premier mouvement. Comme je le dis, les écarts sont rares, mais Notre-Seigneur veut que l’âme ne perde pas le souvenir de ce qu’elle est, d’abord pour qu’elle soit toujours humble, ensuite pour qu’elle comprenne mieux ce qu’elle doit à Sa Majesté, la grandeur de la faveur qu’elle reçoit, et qu’elle l’en loue.
  3. Il ne doit pas non plus vous passer par l’esprit que du fait que ces âmes ont le si vif désir et la si ferme détermination de ne faire pour rien au monde quoi que ce soit d’imparfait, elles ne succombent jamais et ne commettent aucun péché. Volontairement, non, et le Seigneur doit leur accorder pour cela une aide toute particulière. Je parle de péchés véniels, car, autant qu’elles puissent le déceler, elles sont affranchies des mortels ; ce n’est toutefois pas une certitude, le moindre de leurs tourments n’est pas de se demander si elles n’en ont pas commis qu’elles ignorent. Un autre de leurs tourments, ce sont les âmes qui se perdent ; bien qu’elles aient en quelque sorte grand espoir de ne pas être dans ce cas, quand elles se souviennent de certains personnages dont il est dit dans l’Écriture qu’ils semblaient favorisés de Dieu, tel un Salomon, qui eut des rapports si étroits avec Sa Majesté, elles ne peuvent manquer d’avoir des craintes, comme je l’ai dit. Que celle d’entre vous qui serait le plus sure d’elle soit la plus craintive ; car Heureux l’homme qui craint Dieu dit David (Ps 61,1). Plaise à Sa Majesté de nous garder toujours ; la plus grande assurance que nous pussions avoir est de toujours supplier Dieu de ne pas nous permettre de l’offenser. Qu’il soit loué à jamais. Amen.
  4. Il sera bon, mes sœurs, de vous dire dans quel but le Seigneur accorde tant de faveurs en ce monde. Les effets ont du vous le faire comprendre, si vous avez été attentives, mais je veux toutefois vous en reparler ici, pour qu’aucune d’entre vous n’imagine qu’il ne cherche qu’à choyer ces âmes, ce serait une grave erreur ; Sa Majesté ne peut nous accorder une plus grande faveur que de nous faire vivre dans l’imitation de la vie de son Fils tant aimé ; j’ai donc la certitude que ces faveurs tendent à fortifier notre faiblesse, comme je l’ai parfois dit ici, afin que nous sachions, à son exemple, beaucoup souffrir.
  5.  Nous avons toujours vu ceux qui ont vécu le plus près du Christ Notre-Seigneur subir les plus grandes épreuves. Considérons celles de sa glorieuse Mère et des glorieux Apôtres. Par quel moyen supposez-vous que saint Paul ait pu supporter ses immenses épreuves ? Nous pouvons juger d’après lui des effets des vraies visions et de la contemplation quand elles émanent de Notre-Seigneur et qu’il ne s’agit pas de nos imaginations ou d’une tromperie du démon. Est-il allé se cacher, d’aventure pour jouir de ces délices, sans s’occuper de rien d’autre ? Vous le voyez, jamais il n’eut de répit le jour, à notre connaissance ; et il ne dut pas non plus en avoir la nuit, puisqu’il l’employait à gagner de quoi manger (1Th 2,9). J’aime beaucoup saint Pierre, qui, lorsque Notre-Seigneur lui apparut alors qu’il s’enfuyait de prison lui dit qu’il allait à Rome pour être crucifié à nouveau. Jamais nous ne célébrons la fête où ce fait est conté sans que ce me soit un réconfort tout particulier. Qu’en fut-il de saint Pierre après cette faveur du Seigneur, ou que fit-il ? Marcher immédiatement à la mort ; et qu’il trouve quelqu’un pour la lui donner ne fut pas la moindre des miséricordes du Seigneur.
  6. Ô mes sœurs, quel oubli de son repos, quel mépris de son honneur, quel éloignement de toute recherche d’estime, chez l’âme qu’habite si particulièrement le Seigneur ! Comme elle vit beaucoup avec Lui, il est juste qu’elle ne pense guère à elle-même ; sa mémoire s’emploie toute à chercher le meilleur moyen de le contenter, que faire dans ce but, et comment lui montrer son amour. Tel est le but de l’oraison, mes filles ; voilà à quoi sert ce mariage spirituel : donner toujours naissance à des œuvres, des œuvres.
  7. C’est à cela qu’on reconnaît vraiment que cette faveur est octroyée par Dieu, comme je vous l’ai déjà dit ; car il ne m’est guère utile de vivre très recueillie dans la solitude, d’agir avec Notre-Seigneur, de proposer et promettre de réaliser des merveilles à son service si, aussitôt sortie de là, à la moindre occasion, je fais tout le contraire. En disant que ça n’est guère utile, je me suis mal exprimée, car tout le temps qu’on passe avec Dieu est fort utile, et ces résolutions, même si nous sommes ensuite trop faibles pour les accomplir, Sa Majesté nous donnera un jour ou l’autre le moyen de les respecter, même malgré nous, comme c’est souvent le cas ; car lorsque le Seigneur voit qu’une âme est fort lâche, il lui impose une très lourde épreuve, contre sa volonté, mais dont elle tire grand avantage ; par la suite, l’âme qui a compris cela perd toute crainte de s’offrir à Lui plus généreusement. J’ai voulu dire que c’est peu de chose, en comparaison de ce qu’on obtient quand les œuvres sont conformes aux actes et aux paroles ; et celle qui n’y parviendrait pas d’un seul coup doit chercher à y arriver peu à peu. Qu’elle travaille à fléchir sa volonté, si elle veut que l’oraison lui soit profitable ; de nombreuses occasions de le faire ne lui manqueront pas, dans le petit recoin où vous vivez.
  8. Considérez que c’est beaucoup plus important que je ne saurais dire. Fixez votre regard sur le Crucifix, et tout vous semblera facile. Alors que Sa Majesté nous a manifesté son amour par tant d’actes et d’épouvantables tourments, comment voulez-vous ne le satisfaire qu’avec des mots ? Être un vrai spirituel, savez- vous ce que cela signifie ? C’est se faire les esclaves de Dieu ; ceux-là sont marqués, au fer, du signe de la croix, car ils lui ont déjà aliéné leur liberté pour qu’il puisse les vendre comme esclaves à tout le monde, comme il le fut lui-même ; il ne leur fait ainsi nulle injure, mais une grande faveur. Que ceux qui ne se résoudraient pas à cela n’aient crainte, ils ne feront pas de grands progrès, car, comme je l’ai dit, l’humilité est le fondement de tout cet édifice ; le Seigneur ne voudra pas les élever très haut, si elle n’est pas très sincère ; cela, pour votre bien, afin de leur éviter de s’effondrer. Donc, mes sœurs, pour que cet édifice ait de bonnes fondations, tâchez d’être la plus petite de toutes, l’esclave de toutes vos sœurs, cherchez comment et en quoi vous pouvez leur être agréable et les servir ; ce que vous ferez ainsi, vous le ferez pour vous plus que pour elles, car vous poserez des pierres si solides que votre château ne pourra s’écrouler.
  9. Je répète qu’il faut pour cela que vos fondations ne portent pas seulement sur la prière et la contemplation, car si vous ne recherchez pas les vertus, si vous ne vous exercez pas à les pratiquer, vous ne serez jamais que des naines ; et même plaise à Dieu qu’il ne s’agisse que de ne pas grandir, vous savez que celui qui ne croît pas décroît ; et j’estime impossible que l’amour là où il est, se contente d’être toujours le même.
  10. Il vous semblera que je parle à ceux qui, ayant débuté, peuvent désormais se reposer. Je vous ai déjà dit que le repos intérieur dont jouissent ces âmes aboutit à leur retirer en partie leur repos extérieur, et à leur faire désirer de n’en avoir aucun. A quoi tendent, selon vous, ces inspirations dont j’ai parlé, ou pour mieux dire, ces aspirations, ces messages que l’âme envoie du centre intérieur aux gens du sommet du château et aux demeures situées à l’extérieur de celle où elle se trouve ? Sont-ce des invitations à se coucher pour dormir ? Non, non, non ; pour que les puissances, les sens, et tout ce qui est corporel ne restent pas oisifs, elle leur fait bien plus rudement la guerre qu’elle ne la leur a jamais faite quand elle souffrait avec eux ; car alors elle ne comprenait pas le si grand bienfait que sont les épreuves dont Dieu s’est servi, d’aventure, pour l’amener où elle est, et la compagnie qu’elle trouve ici lui donne plus de force qu’elle n’en a jamais eu. David dit que nous serons saints avec les saints (Ps 17,26), nous ne pouvons donc pas en douter : lorsque l’âme ne fait plus qu’une avec Celui qui est fort par l’union si souveraine de l’esprit avec l’esprit, la force est contagieuse, et nous verrons ainsi celle dont les saints ont fait preuve pour souffrir et mourir.
  11. Il est absolument vrai que l’âme communique la contagion de cette force à tous ceux qui sont dans le château et au corps lui-même, qu’elle semble souvent ignorer ; sa vigueur, soutenue par le vin qu’elle boit dans cette cave où son Époux l’a amenée et d’où il ne la laisse pas sortir, retentit sur le faible corps, comme ici-bas la nourriture qu’on met dans l’estomac donne des forces à la tête et à tout le corps. Le corps est donc bien infortuné, tant qu’il vit : il a beau faire, la force intérieure surpasse de beaucoup la sienne, l’âme lui fait la guerre et estime que ça n’est rien. De là, sans doute, les grandes pénitences auxquelles se sont livrés de nombreux saints, en particulier la glorieuse Madeleine, qui avait été élevée dans un tel bien-être ; et la faim de l’honneur de Dieu qu’éprouva notre Père Élie (1R 19,10), celle que saint Dominique, saint François, ont eue d’inciter les âmes à le louer ! Je vous le dis, oublieux d’eux-mêmes, ils n’ont guère du s’épargner.
  12. Voilà, mes sœurs, ce que je veux que nous tâchions d’atteindre ; et pas pour jouir, mais pour servir, désirons ces forces, et occupons-nous, par l’oraison, de les obtenir. Ne cherchons pas à suivre un chemin non frayé, nous nous y perdrions au meilleur moment, et il serait inouï de croire obtenir ces faveurs de Dieu sur une voie autre que celle qu’il a suivie, et qu’ont parcourue tous ses saints ; que cela ne nous passe pas par l’esprit ; croyez-moi, Marthe et Marie doivent offrir ensemble l’hospitalité au Seigneur, le retenir toujours auprès d’elles, et ne pas lui faire mauvais accueil en ne lui donnant pas à manger. Comment Marie, toujours assise à ses pieds, le nourrirait-elle, si sa sœur ne l’aidait point ? Sa nourriture, c’est l’effort que nous faisons de rapprocher les âmes de Lui par tous les moyens possibles, pour qu’elles se sauvent et ne cessent de le louer.
  13. Vous allez me dire deux choses : d’abord, Il a dit que Marie a choisi la meilleure part (Lc 10,42). Mais elle avait déjà rempli l’office de Marthe et choyé le Seigneur en lui lavant les pieds, en les essuyant de ses cheveux (Lc 7,37-38). Pensez-vous qu’une dame comme elle ne fut guère mortifiée d’aller par les rues, peut-être même seule, car son ardeur était telle qu’elle ne savait ce qu’elle faisait d’entrer là où jamais elle n’était entrée, d’être ensuite en butte aux médisances du pharisien, suivies de bien d’autres dont elle eut a souffrir ? Voir dans la ville une femme comme elle manifester un tel changement, aux yeux, comme nous le savons, de si méchantes gens qui haïssaient le Seigneur à tel point qu’il leur suffisait de voir qu’elle était liée d’amitié avec Lui pour qu’ils évoquent la vie qu’elle avait menée, et disent qu’elle voulait maintenant faire la sainte ; car il est clair qu’elle changea immédiatement ses vêtements et tout le reste. Il en est bien ainsi de nos jours, à propos de personnes qui ont moins de renom : que put-il en être alors ? Je vous le dis, mes sœurs, la meilleure part venait après beaucoup d’épreuves et de mortifications ; voir qu’on haïssait son Maître fut déjà pour elle une épreuve intolérable. Et que n’a-t-elle souffert lors de la mort du Seigneur ? Je crois, à part moi, que si elle n’a pas subi le martyre, c’est que voir mourir le Seigneur fut un martyre pour elle, et les années qu’elle a vécu sans lui furent sans doute aussi un terrible tourment ; on voit donc bien qu’elle n’a pas toujours vécu dans les régals de la contemplation, aux pieds du Seigneur.
  14. Vous direz encore que vous ne pouvez pas, faute de moyen, rapprocher des âmes du Seigneur ; vous le feriez de grand cœur, mais sans pouvoir ni enseigner, ni prêcher comme les Apôtres, vous ne savez comment vous y prendre. J’ai répondu plusieurs fois par écrit à cette question, et peut-être même dans ce Château (Le Chemin de la Perfection, chap 1 et 3) ; Pensées, chap. 2 et 7). Toutefois je ne manquerai pas de le marquer ici, car vu le désir que vous insuffle le Seigneur, je crois que cela vous préoccupe. Je vous ai d’ailleurs dit que le démon, parfois, nous inspire de grands désirs qui nous empêchent de mettre en œuvre ce qui est à portée de notre main pour servir Notre-Seigneur dans les choses possibles, et que nous nous contentions d’avoir désiré faire l’impossible. Sans parler de l’aide que vous apportez avec l’oraison, ne cherchez pas à être utiles au monde entier, mais a celles qui vivent en votre compagnie ; votre action, ainsi, sera plus efficace, et c’est à leur égard que vous avez le plus d’obligations. Pensez-vous n’avoir guère à gagner si, du fait de votre grande humilité ainsi que de votre mortification, serviables envers toutes vos sœurs, débordantes d’une charité jointe à un amour du Seigneur tel que ce feu les embrase toutes, vous les tenez constamment en éveil par tout cela et vos autres vertus ? Ainsi, vous servirez le Seigneur non seulement abondamment, mais d’une manière qui lui sera très agréable, c’est dans vos moyens, et ce que vous accomplirez ainsi montrera à Sa Majesté que vous pourriez faire beaucoup plus ; il vous récompensera donc autant que si vous lui gagniez beaucoup d’âmes.
  15. Vous direz que ce n’est convertir personne, puisque toutes vos sœurs sont excellentes. De quoi vous mêlez-vous ? Leurs louanges seront d’autant plus agréables au Seigneur qu’elles sont meilleures, et leurs prières pour le prochain d’autant plus profitables. Enfin, mes sœurs, voici ma conclusion : ne construisons pas de tour sans fondement, car le Seigneur considère moins la grandeur des œuvres que l’amour avec lequel on les fait ; et si nous faisons ce que nous pouvons, Sa Majesté nous aidera à faire chaque jour davantage si nous ne nous lassons pas bientôt ; le peu de temps que dure cette vie, et elle sera peut-être plus brève que chacune de nous ne l’imagine, offrons intérieurement et extérieurement au Seigneur le sacrifice qui est à notre portée, Sa Majesté l’unira à celui qu’Elle offrit pour nous au Père sur la croix, lui conférant ainsi la valeur que mérite notre amour, même si nos œuvres sont petites.
  16. Plaise à Sa Majesté, mes sœurs et mes filles, de nous réunir toutes là où nous le louerons à jamais, et qu’Elle m’accorde la grâce d’accomplir un peu de ce que je vous recommande, par les mérites de son Fils, qui vit et règne à jamais, amen ; car je vous le dis, ma confusion est grande, je vous demande donc, par ce même Seigneur, de ne pas oublier dans vos prières cette pauvre misérable.
JHS
  1. Lorsque j’ai du commencer à écrire ce qui précède, je fus bien contrariée, comme je l’ai dit au début ; mais depuis que j’ai terminé, ma joie est vive, et je tiens pour bien employée ma peine, qui, d’ailleurs, je le confesse, fut fort légère. Considérant l’étroite clôture dans laquelle vous vivez, et vos rares distractions, mes sœurs, cela joint au fait que vous n’êtes pas assez largement logées dans certains monastères, vous trouverez, je le crois, de la consolation, à vous délecter dans ce château intérieur ; là, sans autorisation des supérieures, vous pouvez entrer et vous promener à n’importe quelle heure.
  2. Il est vrai que vous ne pouvez pénétrer dans toutes les Demeures par vos propres forces, si grandes qu’elles vous paraissent, à moins que le Seigneur du château lui-même ne vous y installe. C’est pourquoi je vous recommande de ne pas insister si vous trouvez la moindre résistance : ce serait tellement le mécontenter que jamais il ne vous laisserait y pénétrer. Il aime beaucoup l’humilité. Si vous vous jugez même incapables de mériter de pénétrer dans les troisièmes Demeures, vous obtiendrez de Lui d’atteindre les cinquièmes beaucoup plus promptement ; et de là, vous pourrez le servir de telle façon que vous y retournerez souvent, et qu’il vous introduira dans la Demeure même qu’il se réserve, à Lui, pour n’en jamais plus sortir, sauf à l’appel de la Prieure, à qui ce grand Seigneur veut que vous obéissiez comme à lui-même. Aussi souvent que vous vous absentiez, vous trouverez la porte ouverte au retour. Et une fois habituée à jouir de ce château, vous trouverez votre repos en toutes choses, si pénibles soient-elles, du seul fait de votre espoir d’y revenir, sachant que nul ne peut vous en empêcher.
  3. Bien que je ne parle que de sept Demeures, elles sont nombreuses dans chacune d’elles, en bas, en haut, sur les côtés, avec de beaux jardins, des fontaines, et des choses si délicieuses que vous souhaiterez vous anéantir dans la louange du grand Dieu qui a créé ce château à son image et ressemblance. Si vous trouvez quelque chose de bien dans ces nouvelles de Dieu que, par ordre, je vous ai données, croyez vraiment que Sa Majesté les a dites pour votre joie ; ce que vous jugerez mal dit est de moi.
  4. Dans mon grand désir de contribuer un peu à vous aider à servir mon Dieu et mon Seigneur, je vous demande, chaque fois que vous lirez ceci, de beaucoup louer Sa Majesté en mon nom, de lui demander l’exaltation de son Église, et la lumière pour les luthériens ; quant à moi, qu’Elle me pardonne mes péchés et me sorte du purgatoire ; j’y serai peut-être, par la miséricorde de Dieu, quand on vous donnera à lire cet écrit, si on estime bon de le faire après que de doctes hommes l’auront examiné. Si J’ai erré en certaines choses, ce sera faute d’avoir compris, puisque je me soumets en toute chose à ce qu’enseigne la sainte Église Catholique Romaine, en qui je vis, et je proteste, et je promets de vivre et mourir. Que Dieu Notre-Seigneur soit à jamais loué et béni. Amen. Amen.
  5. Cet écrit fut achevé dans le Monastère de Saint Joseph d’Avila, année 1627, vigile de la Saint-André, à la gloire de Dieu, qui vit et règne à jamais. Amen.

Le château intérieur ou les demeures – Sixièmes demeures

CHAPITRE I – De l’accroissement des épreuves, lorsque le Seigneur commence à accroître ses faveurs. De ces épreuves, et comment ceux qui ont atteint cette Demeure les supportent. Bon chapitre pour ceux qui subissent des épreuves intérieures.

  1. Venons-en donc, avec la faveur de l’Esprit Saint, à parler des Sixièmes Demeures, où l’âme, déjà blessée de l’amour de l’Époux, recherche davantage la solitude, et, autant que son état le lui permet, évite tout ce qui peut l’en sortir. L’entrevue avec son Époux est si présente à son âme que son unique désir est d’en jouir à nouveau. J’ai déjà dit que dans cette forme d’oraison elle ne voit rien, – ce qu’on peut appeler voir, – pas même en imagination : je parle d’entrevue parce que je me suis déjà servie de cette comparaisons. L’âme est désormais bien décider à ne pas prendre d’autre époux, mais l’époux ne tient pas compte de son vif désir de célébrer immédiatement les fiançailles, il veut qu’elle le désire encore plus vivement et que le plus grand des biens lui coûte un peu de son bien. Elle paie ainsi d’un prix insignifiant un gain immense, mais je déclare, mes filles, que l’avant-goût qu’elle en a, le signe qu’elle a reçu, lui sont bien nécessaires pour la soutenir. Ô Dieu secourable ! que d’épreuves intérieures et extérieures elle endure, jusqu’à ce qu’elle pénètre dans la septième Demeure !
  2. Vraiment, je songe parfois que si on les connaissait d’avance, il serait, je le crains, extrêmement difficile de persuader notre faiblesse naturelle de les souffrir et de les vivre, si grands soient les biens qui lui sont proposés, à l’exception des âmes qui ont atteint la septième Demeure ; car là, il n’est rien que l’âme redoute et ne décide d’affronter, de tout son être, pour Dieu. Elle est presque toujours si étroitement unie à Sa Majesté, que sa force vient de là. Je crois que je ferai bien de vous décrire quelques-unes des épreuves que je suis certaine de connaître. Il se peut que toutes les âmes ne soient pas conduites par ce chemin, je doute toutefois beaucoup que celles qui jouissent parfois bien réellement des choses du ciel soient quittes d’épreuves terrestres d’une manière ou d’une autre.
  3. Je n’avais pas l’intention d’en parler, mais j’ai pensé que ce sera une consolation pour l’âme qui les subit de savoir ce qu’il advient de celles à qui Dieu accorde de semblables faveurs, car, vraiment, alors, tout paraît perdu. Je ne les exposerai pas dans l’ordre, mais au fur et à mesure qu’elles me reviendront en mémoire. Je veux commencer par les plus petites épreuves, les criailleries des personnes de ses relations, et même de celles avec lesquelles elle n’a point de rapports, dont jamais elle n’aurait imaginé qu’elles pourraient s’occuper d’elle :  » Elle fait la sainte « ,  » Elle exagère, pour tromper le monde et abaisser les autres, qui sont meilleurs chrétiens sans ces cérémonies « . II sied de remarquer qu’elle n’a aucune pratique particulière ; elle cherche seulement à bien accomplir ses devoirs d’état. ; Ceux qu’elle croyait ses amis s’éloignent, ce sont eux qui ne font d’elle qu’une bouchée, et montrent de vifs regrets :  » Cette âme se perd, elle vit notoirement dans l’illusion. ;  » Ce sont là choses du démon  » ;  » Il en sera d’elle comme de telle et telle qui se sont perdues, et qui contribuent à ruiner la vertu  » ;  » Elle trompe ses confesseurs « . Et de s’adresser à eux, et de le leur dire, en invoquant l’exemple de ce qui est arrivé à certaines personnes qui se sont perdues de cette façon-là : enfin, mille sortes de moqueries et de sarcasmes.
  4. J’ai connu une personne (La sainte, voir chap. 28 de l’Autobiographie) qui eut grand peur de ne plus trouver à qui confesser, au point où en étaient les choses : je ne puis m’y arrêter, il y aurait trop à dire. Le pis est que cela n’est point passager, mais dure toute une vie ; ils s’avisent les uns les autres de se garder de voir des personnes semblables. Vous me direz qu’il est aussi des gens qui disent du bien d’elles. Ô mes filles, qu’ils sont rares, ceux qui ajoutent foi à ce bien, comparé au nombre de ceux qui les abominent ! D’autant plus que cette épreuve-là est pire que les moqueries ! L’âme voit clairement que si elle possède quelque bien, c’est un don de Dieu, il ne lui appartient nullement, elle s’est vue naguère très pauvre, engloutie dans le péché, et c’est pour elle un tourment intolérable, du moins au début ; elle en souffre moins plus tard, pour plusieurs raisons : premièrement l’expérience lui montre clairement que les gens sont aussi prompts à dire du mal qu’à dire du bien, elle ne fait donc pas plus cas de l’un que de l’autre ; deuxièmement, le Seigneur lui a fait mieux comprendre que rien de bon ne lui appartient, mais procède de Sa Majesté, et oubliant qu’elle y est pour quelque chose, comme s’il s’agissait d’une tierce personne, elle se tourne vers Dieu pour le louer ; troisièmement, si elle voit quelques âmes tirer avantage des faveurs que Dieu lui accorde elle pense que, dans leur intérêt, Sa Majesté permet qu’on la croie bonne sans qu’il n’en soit rien ; quatrièmement, plus occupée de l’honneur et de la gloire de Dieu que de son propre renom, elle n’est plus tentée de croire, comme au début, que ces louanges ont pour but de l’abattre, comme ce fut le cas pour certaines d’entre elles, et peu lui importe qu’on la déshonore, si, en échange, Dieu est loué ne serait-ce qu’une fois et advienne que pourra.
  5. Ces raisons et autres apaisent la vive peine que lui causent ces louanges, non sans regrets, toutefois, sauf si elle n’y prête aucune attention ; mais l’épreuve de bénéficier sans raison de l’estime publique est incomparablement plus pénible que les sarcasmes. Quand l’âme en vient à moins s’affliger des louanges, elle ressent beaucoup moins les moqueries ; elle s’en réjouit plutôt, c’est pour elle une musique très douce. A la vérité, elles fortifient l’âme bien plus qu’elles ne l’effraient. Elle sait déjà d’expérience les grands avantages qu’elle trouve sur cette voie, elle ne croit même pas que ceux qui la persécutent offensent Dieu : Sa Majesté les y autorise pour son plus grand bien ; comme elle en est clairement persuadée, elle s’éprend pour eux d’un amour particulièrement tendre et les tient pour ses meilleurs amis, puisqu’ils lui font gagner plus que ceux qui disent du bien d’elle.
  6. Le Seigneur envoie aussi parfois de très graves maladies. C’est là une épreuve bien pire, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de souffrances aiguës ; si les douleurs sont vives, c’est, me semble-t-il, ce que nous pouvons endurer de pire sur terre : je précise qu’il s’agit de douleurs extérieures, mais elles pénètrent à l’intérieur quand elles le veulent, je dis bien les douleurs très vives. Cela décompose l’intérieur et l’extérieur de telle façon que l’âme oppresser ne sait que devenir, elle préférerait de beaucoup un prompt martyre à ces souffrances-là ; toutefois, lorsque leur acuité est extrême, elles ne se prolongent pas trop longtemps, car, enfin, Dieu ne nous donne rien que nous ne puissions supporter, Sa Majesté commence par nous donner la patience, avec d’ordinaire d’autres grandes douleurs, et toutes sortes de maladies.
  7. Je connais une personne (la sainte elle-même) qui depuis que le Seigneur a commencé à lui accorder la faveur dont j’ai parlé, il y a quarante ans, ne peut dire sincèrement avoir vécu un jour sans douleurs, ou toute autre forme de souffrance ; par manque de santé corporelle, dis-je, sans parler d’autres pénibles épreuves. Il est vrai qu’elle avait été bien vile, et ce qu’elle subissait était peu de chose, puisqu’elle méritait l’enfer. Notre-Seigneur doit en user autrement avec celles qui ne l’ont pas offensé, mais je choisirais quant à moi la souffrance, ne serait-ce que pour imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ, même s’il n’y avait pas d’autre avantage ; or, ils sont toujours très nombreux. Oh ! Que dire alors des souffrances intérieures ! S’il était possible de les décrire, les souffrances extérieures sembleraient infimes, mais elles sont incommunicables.
  8. Commençons par le tourment de tomber sur un confesseur si raisonnable et si peu expérimenté qu’il n’est chose qui ne lui semble dangereuse : il a peur de tout, il doute de tout, lorsque ce qu’il voit sort de l’ordinaire. En particulier, s’il remarque quelque imperfection dans l’âme à qui ces choses arrivent, alors qu’il lui semble que Dieu ne doit accorder ces faveurs qu’à des anges, ce qui est impossible tant qu’elle habite ce corps : immédiatement, il condamne tout, c’est le démon, ou la mélancolie. Cette maladie pullule en ce monde à tel point que cela ne m’étonne point, elle est si fréquente, le démon, par ce moyen, fait tant de dégâts, que les confesseurs ont de fortes raisons de la craindre et d’y regarder de très prés. Mais la pauvre âme qui vit elle-même dans cette crainte s’adresse au confesseur comme à un juge ; s’il la condamne elle ne peut éprouver qu’un trouble si profond et de si grands tourments que seuls ceux qui sont passés par là comprendront quelle rude épreuve elle endure. Voilà encore l’une des grandes épreuves que subiront ces âmes, spécialement si elles ont été coupables : songer que Dieu permet qu’elles soient induites en erreur, en punition de leurs péchés ; même lorsque Sa Majesté leur accorde une faveur, elles ne peuvent croire qu’il s’agisse d’un autre esprit, mais de Dieu, elles en sont certaines ; toutefois, comme cela passe vite et que le souvenir de leurs péchés est toujours présent, elles voient leurs fautes, il y en a toujours, et ce tourment s’ensuit. Quand le confesseur les rassure, elles s’apaisent, mais momentanément ; s’il enchérit sur les craintes, c’est chose presque intolérable, en particulier quand s’ensuit une période de sécheresse où elles imaginent qu’elles n’ont jamais pensé à Dieu, que jamais elles n’y pensent ; et elles entendent parler de Sa Majesté comme d’une personne qu’elles ne connaissent que de loin.
  9. Tout cela n’est rien ; s’il ne s’y ajoute l’idée qu’elles ne savent pas informer leurs confesseurs, et qu’elles les trompent elles ont beau y réfléchir et voir qu’il n’est premier mouvement qu’elles ne lui avouent, tout est inutile ; leur entendement obscurci est incapable de voir la vérité ; il ne croit que ce que l’imagination lui suggère, (elle est alors souveraine), et toutes les folies que le démon veut leur suggérer, avec, semble-t-il, l’autorisation de Notre-Seigneur qui lui permet de les éprouver, et même de leur faire croire qu’elles sont réprouvées de Dieu. Car tant de choses combattent cette âme, elles l’oppressent intérieurement d’une façon si sensible, si intolérable, que l’on ne pourrait comparer ses souffrances à rien d’autre qu’à celles de l’enfer ; et il n’y a aucune consolation dans cette tempête. Si elle veut en trouver auprès de son confesseur, les démons, lui semble-t-il, l’ont persuadé de la tourmenter plus encore. L’un d’eux, qui dirigeait une âme dont l’angoisse lui semblait d’autant plus dangereuse qu’elle était faite de l’accumulation de choses multiples, lui demanda, la crise passée, de le prévenir lorsqu’elle se sentirait à nouveau menacée. Comme son état empirait toujours, il finit par comprendre qu’il ne lui appartenait pas de se dominer. Lorsque cette personne, qui savait bien lire, prenait un livre en castillan, il lui arrivait de n’y rien comprendre, comme si elle eut ignoré le b-a-ba : son entendement en était incapable.
  10. Enfin, il n’est sauvegarde au milieu de cette tempête, sauf d’attendre la miséricorde de Dieu qui au moment le plus inattendu, par un seul mot, ou au hasard d’un événement, dissipe tout si promptement qu’il semble n’y avoir jamais eu de nuages en cette âme qui se retrouve ensoleiller et plus consoler que jamais. Et comme ceux que la victoire a soustraits aux dangers d’une bataille, elle rend grâces à Notre-Seigneur qui a combattu et vaincu ; elle voit clairement qu’elle n’a pas combattu elle-même, elle croit voir aux mains de ses ennemis les armes avec lesquelles elle aurait pu se défendre ; elle perçoit donc clairement sa misère et le peu que nous pouvons faire nous-même si le Seigneur nous abandonne.
  11. On pourrait croire qu’elle n’a plus besoin de ces considérations pour le comprendre, elle est passée par là, l’expérience lui a montré sa totale impuissance, elle a compris notre néant et la misérable chose que nous sommes ; mais la grâce dont elle n’est probablement pas privée, puisqu’elle n’offense pas Dieu dans ces orages et qu’elle ne l’offenserait pour rien au monde, est si cachée, qu’elle ne perçoit pas la plus petite étincelle d’amour de Dieu en elle, et qu’elle n’imagine pas l’avoir jamais aimé ; le bien qu’elle a pu faire, une faveur que Sa Majesté a pu lui accorder, tout lui semble songe, ou imagination ; mais elle est certaine des péchés qu’elle a commis.
  12. Ô Jésus ! quelle vision que celle d’une âme ainsi délaissée, pour qui, comme je l’ai dit, toute consolation terrestre est si peu de chose ! Ne pensez donc point, mes sœurs, s’il vous arrive de vous trouver dans cet état, que les riches, et ceux qui sont libres doivent y remédier mieux que vous. Non, non, je crois, quant à moi, qu’il en est d’eux comme de condamnés à mort à qui on offrirait tout ce qu’il y a de délicieux au monde, cela ne les soulage point, et tendrait plutôt à accroître leur tourment ; il vient d’en haut, et les choses de la terre sont impuissantes. Ce grand Dieu veut que nous voyions en Lui le Roi, et en nous notre misère. C’est très important pour ce qui va suivre.
  13. Que fera donc cette pauvre âme, quand elle passera de longs jours dans cet état ? Si elle prie, c’est comme si elle ne priait point; quant à la consolation, je le précise : toute consolation extérieure est exclue, elle ne comprend pas le sens de sa prière, rien qu’une prière vocale, puisque ce n’est absolument pas le moment de la prière mentale, les puissances en sont incapables ; la solitude accroît plutôt son mal, d’où un autre tourment, celui de vivre en compagnie, et qu’on lui parle. Ainsi, malgré ses efforts, elle extériorise son dégoût, sa mauvaise humeur, très ostensiblement. Saura-t-elle vraiment dire ce qu’elle a ? C’est indicible, il s’agit d’oppressions et de peines spirituelles auxquelles on ne saurait donner un nom. Le meilleur remède, je ne dis pas pour guérir, car je n’en trouve pas, mais pour supporter ce mal, c’est de s’occuper à des œuvres de charité extérieures et d’espérer en la miséricorde de Dieu, qui ne fait jamais défaut à ceux qui espèrent en Lui. Qu’il soit béni à jamais. Amen.
  14. D’autres épreuves que nous infligent les démons sont extérieures, et doivent être moins fréquentes ; il n’y a donc pas lieu d’en parler, elle sont d’ailleurs beaucoup moins pénibles, les démons, pour beaucoup qu’ils fassent, n’arrivent pas ainsi à inhiber les puissances, ce me semble, ni à troubler l’âme de cette manière ; enfin, il reste assez de raison pour penser qu’ils ne peuvent outrepasser ce que le Seigneur leur permet, et quand on n’a pas perdu la raison, tout ce qu’on endure n’est pas grand-chose, comparé à ce que je viens de dire.
  15. Nous parlerons d’autres peines intérieures de cette Demeure en traitant des différences qu’il y a dans l’oraison et dans les faveurs du Seigneur. Bien que certaines de ces souffrances soient encore plus cruelles que ces dernières, comme on le verra par l’état où elles laissent le corps, elles ne méritent pas le nom d’épreuves nous aurions tort de le leur donner, tant ces faveurs du Seigneur sont grandes ; l’âme qui les reçoit le comprend, et conçoit qu’elles sont disproportionnées à ses mérites. Cette grande peine précède l’entrée dans la Septième Demeure, avec beaucoup d’autres ; je parlerai de quelques-unes, il serait impossible de toutes les décrire ni même de les définir, car elles sont d’une tout autre lignée que les précédentes et beaucoup plus élevées ; et si je n’ai pu exposer mieux que je ne l’ai fait celles qui sont de plus basse catégorie, je pourrai d’autant moins expliquer celles-là. Plaise au Seigneur de me donner sa faveur en toutes choses, par les mérites de son Fils. Amen.

CHAPITRE II – De certains dont use le Seigneur pour éveiller les ânes ; il semble qu’on n’ait rien à redouter, bien que ce soit chose très élevée, et que ces faveurs soient grandes.

  1. Nous avons, semble-t-il, bien délaissé le petit papillon, mais il n’en est rien, car ces épreuves tendent à le faire voler plus haut. Commençons donc maintenant à traiter de la façon dont l’époux se comporte à son égard, voyons comment, avant de s’unir tout à fait à l’âme, il le lui fait bien désirer, par des moyens si délicats qu’ils lui sont imperceptibles, et que je me crois incapable d’en parler de manière à me faire comprendre sauf de celles qui sont passées par là ; venues du plus profond de l’âme, ce sont des impulsions si délicates, si subtiles, que je ne puis trouver de comparaison satisfaisante.
  2. C’est fort différent de tout ce que nous pouvons obtenir ici-bas et même des joies intérieures dont il a été parlé, car fréquemment, lorsque la personne est distraite, sans même qu’elle songe à Dieu, il arrive que Sa Majesté l’éveille, brusquement, comme passe une étoile filante, ou comme éclate un coup de tonnerre, mais elle n’entend aucun bruit : l’âme comprend toutefois fort bien que Dieu l’a appelée, elle le comprend même si bien que parfois, surtout au début, elle frémit et gémit, quoique rien lui fasse mal. Elle ressent les effets d’une blessure infiniment savoureuse, sans déceler toutefois comment elle fut blessée, ni par qui ; elle reconnaît bien que c’est chose précieuse et voudrait ne jamais guérir de cette blessure. Elle se plaint à son Époux, parfois même à voix haute, avec des mots d’amour qu’elle ne peut retenir ; elle comprend qu’il est présent, mais qu’il ne veut pas se manifester ni lui permettre de jouir de sa compagnie. C’est une peine bien grande, mais savoureuse et douce ; l’âme ne peut se refuser à la ressentir, jamais même elle n’y consentirait. Elle y puise de bien plus grandes satisfactions que dans le savoureux anéantissement, libre de toute peine, qu’est l’oraison de quiétude.
  3. Je me morfonds du désir de vous faire comprendre, mes sœurs, cette opération, et ne sais comment m’exprimer. Il semble contradictoire de dire que l’Aimé fait clairement comprendre qu’il est avec l’âme, et qu’il semble en même temps l’appeler par un signe si réel qu’elle ne peut en douter, un sifflement si pénétrant, si audible, que cette âme ne peut manquer de l’entendre, car il paraît évident que lorsque l’Époux qui est dans la Septième Demeure parle ainsi, sans toutefois qu’il s’agisse de paroles formulées, les gens qui se trouvent dans les autres Demeures n’osent bouger, ni les sens, ni l’imagination, ni les puissances. Ô mon Dieu tout- puissant, que vos secrets sont grands, et que les choses de l’esprit diffèrent de tout ce qu’on peut voir et entendre ici-bas puisqu’il n’y a aucun moyen d’expliquer cette faveur, pourtant si petite, quand on la compare à tout ce que vous opérez de si grand dans les âmes !
  4. Son action sur l’âme est si forte qu’elle s’anéantit de désir et ne sait que demander, car elle croit percevoir clairement que son Dieu est avec elle. Vous allez me dire : comprenant cela que peut-elle désirer, qu’est-ce qui peut la peiner ? Quel plus grand bien veut-elle ? Je ne le sais ; je sais que cette peine semble l’atteindre aux entrailles, et que lorsque celui qui la blesse arrache la flèche, il semble vraiment les lui arracher aussi, si vif est l’amoureux regret qu’elle éprouve. Je me demande si on ne pourrait pas dire que de ce brasier ardent, qui est mon Dieu, une étincelle jaillit, touche l’âme, et lui transmet sa flamme ardente ; c’est insuffisant pour la brûler, mais si délectable qu’elle reste tout en peine, et il a suffi d’un contact pour susciter cet effet ; telle est, me semble-t-il, la meilleure comparaison que j’aie trouvée. Car cette douleur savoureuse, qui n’est pas une douleur, ne dure pas ; s’il lui arrive de persister un long moment, elle peut aussi disparaître au plus vite, selon ce que le Seigneur veut lui communiquer, car nul moyen humain ne peut l’obtenir. Aussi, bien qu’elle dure parfois un moment, elle disparaît et revient ; enfin, elle n’est jamais permanente, c’est pourquoi elle n’embrase pas l’âme tout entière ; à peine l’étincelle va-t-elle l’enflammer qu’elle s’éteint ; mais l’âme garde le désir de souffrir à nouveau l’amoureuse douleur qu’elle lui a causée.
  5. Il n’y a pas lieu de demander ici si cela provient de notre nature, si la cause en est la mélancolie, ou les tromperies du démon, ou nos imaginations ; on perçoit fort bien que ce mouvement provient du lieu même où se tient le Seigneur, qui est immuable ; ces opérations ne ressemblent pas à d’autres dévotions, où la torpeur des plaisirs spirituels peut susciter le doute. Ici, ni les sens ni les puissances ne sont dans la torpeur, ils considèrent et s’interrogent, impuissants à s’opposer à cette peine délectable comme à l’accroître, incapables d’y échapper, me semble-t-il. Que celui à qui Notre-Seigneur accorderait cette faveur, (il la reconnaîtra lorsqu’il lira ceci) lui rende grâce ardemment, car il n’a pas à craindre d’être abusé ; qu’il ait grand peur de répondre par de l’ingratitude à une si haute faveur, qu’il tâche de servir et d’amender sa vie en toutes choses, il verra ce qui s’ensuit : il recevra de plus en plus. Une personne à qui échut cette faveur vécut ainsi plusieurs années, si satisfaite, que si elle avait dû servir le Seigneur au milieu de grandes épreuves pendant des années infinies, elle se fût jugée bien récompensée. Qu’il soit béni à jamais. Amen.
  6.  Il se peut que vous objectiez : pourquoi y a-t-il plus de sécurité dans ces choses-là que dans d’autres ? A mon avis, pour plusieurs raisons. Premièrement, jamais le démon ne donne une peine aussi savoureuse que celle-là. Peut-être pourrait-il donner une saveur, des délices, qui semblent spirituels ; mais joindre à la peine, et à une si grande peine, la quiétude et le plaisir de l’âme, n’est pas de son ressort ; tous ses pouvoirs sont extérieurs, et ses peines, quand il en inflige, ne sont, à ce qu’il me semble, jamais savoureuses, ni accompagnées de paix : elles inquiètent et suscitent la guerre. Deuxièmement, parce que cette savoureuse tempête provient d’une région sur laquelle il ne peut exercer son empire. Troisièmement, du fait des grands bienfaits que cette faveur communique à l’âme ; ce sont, à l’ordinaire, le désir de subir de nombreuses épreuves, la détermination accrue de s’éloigner des contentements et conversations de la terre, et autres choses semblables.
  7. Il est très clair qu’il ne s’agit pas d’imaginations, car si l’âme recherchait cette faveur, elle ne pourrait la contrefaire. C’est chose si frappante qu’on ne peut s’en faire aucune idée, (je précise, croire qu’on l’a quand on ne l’a point) ni en douter quand on la reçoit ; au cas où quelque doute subsisterait, que l’âme sache alors qu’il ne s’agit pas véritablement de ces élans dont j’ai parlé ; je précise, au cas où elle se demanderait si elle les a éprouvés ou non, que l’âme les perçoit aussi clairement que l’oreille entend un grand cri. Quant à la mélancolie, c’en est fort éloigné ; la mélancolie ne fait et fabrique ses idées que dans l’imagination ; ce dont nous parlons provient de l’intérieur de l’âme. Il se peut que je me trompe, mais tant que je n’entendrai pas quelqu’un qui connaisse cet état me donner d’autres explications, mon opinion ne variera point ; une personne que je connais redoutait fort des illusions, mais jamais elle n’a pu douter de cette forme d’oraison.
  8. Notre-Seigneur a aussi d’autres façons d’éveiller l’âme : au moment le plus inattendu, alors qu’on prie vocalement, distrait de toute chose intérieure, une flambée délicieuse vous saisit, comme si un fort parfum se communiquait soudain à tous les sens, (je ne dis pas que ce soit un parfum, ce n’est qu’une comparaison), ou quelque chose de cette sorte, qui fait sentir que l’Époux est présent ; l’âme s’émeut du désir savoureux de jouir de Lui, elle se trouve disposée à accomplir de grandes actions et à louer Notre-Seigneur. Cette faveur naît de ce que je viens d’évoquer ; mais ici rien ne fait de la peine, le désir même de jouir de Dieu n’est pas pénible : voilà ce que l’âme éprouve d’ordinaire. Ici non plus, il n’y a rien à redouter, ce me semble, pour quelques-unes des raisons que j’ai dites ; mais tâcher de recevoir cette faveur avec les actions de grâces.

CHAPITRE III – Suite du même sujet. Comment Dieu parle a l’âme quand il le veut ; ce qu’il faut faire en cette circonstance, et ne pas suivre son propre sentiment. A quels signes l’âme peut constater que ce n’est pas un leurre, et quand c’en est un. Chapitre fort utile.

  1. Dieu a une autre manière d’éveiller l’âme ; bien que sous certains aspects cette faveur-ci paraisse supérieure aux précédentes, elle peut être plus dangereuse, c’est pourquoi je m’y arrêterai un peu. Il s’agit de paroles adressées à l’âme, de diverses façons ; certaines semblent venir de l’extérieur, d’autres du plus profond ou du plus haut de l’âme ; d’autres viennent de l’extérieur, et elles sont si nettes que l’ouïe les distingue. Quelquefois, souvent même, ce peut être une idée qu’on se fait, en particulier chez les personnes de faible imagination, ou mélancoliques ; je précise : celles dont la mélancolie est notoire.
  2. A mon avis, il ne faut pas faire crédit à ces deux sortes de personnes, même quand elles disent qu’elles voient et qu’elles entendent, ni les inquiéter en leur disant qu’il s’agit du démon, mais les écouter comme des malades ; que la prieure ou le confesseur à qui elles s’en ouvriraient leur disent de ne pas en faire cas, que tel n’est pas le moyen substantiel de servir Dieu, que le démon a trompé nombre de gens par ce moyen, bien que ce ne soit peut-être pas leur cas : cela afin de ne pas ajouter à l’affliction où déjà leur humeur les incline. Si on leur dit que c’est l’effet de la mélancolie, on n’en finira plus ; elles jureront qu’elles voient et entendent, car elles ont cette impression.
  3. Il est vrai qu’il faut avoir le soin de les priver de l’oraison, et obtenir autant que possible qu’elles ne tiennent aucun compte de tout cela ; le démon utilise parfois ces âmes malades, il ne leur nuit pas, à elles, mais à d’autres ; malades et bien portantes doivent toujours redouter ces choses-là jusqu’à ce qu’on en connaisse l’esprit. Je dis donc qu’il est préférable de les vaincre au début, car si elles viennent de Dieu, elles n’en progresseront que mieux : l’épreuve les renforce. Il en est ainsi, mais qu’on ne cherche pas à beaucoup opprimer l’âme, ni à l’inquiéter, car, vraiment, elle n’en peut mais.
  4. Revenant, donc, à mon premier sujet, celui des paroles dites à l’âme, quelle que soit la façon dont elles se présentent, elles peuvent venir de Dieu, mais aussi du démon ou de notre propre imagination. Je dirai, si cela m’est possible avec la faveur de Dieu, à quels signes on les distingue, et dans quelles circonstances ces paroles sont dangereuses. Car parmi les gens d’oraison, nombreuses sont les âmes qui en entendent, et je voudrais, mes sœurs, que vous ne pensiez mal faire ni en ne leur accordant aucun crédit, ni en leur en accordant ; quand elles ne concernent que vous, soit qu’elles vous flattent, soit qu’elles vous éclairent sur vos fautes, peu importe celui qui les dit, et même si c’est une idée que vous vous faites, cela ne va pas loin. Je vous avertis de ceci : même si elles proviennent de Dieu, ne vous croyez pas meilleurs de ce fait ; il a beaucoup parlé aux pharisiens, et tout dépend du profit qu’on tire de ses paroles ; ne faites pas plus cas de celles qui ne seraient pas très exactement conformes aux Écritures que si vous les teniez du démon en personne ; car même si elles sont nées de votre faible imagination, il faut les considérer comme une tentation contre les choses de la foi, donc toujours y résister, afin de les écarter ; et elles s’écarteront, car elles n’ont pas une grande force.
  5. Pour en revenir à ce que je disais au début, soit que les paroles viennent de l’intérieur ou de la partie supérieure de l’âme, soit qu’elles viennent de l’extérieur, cela ne signifie pas qu’elles ne viennent pas de Dieu. Les marques les plus certaines qu’on puisse en avoir sont les suivantes. La première, et la plus sure, c’est la puissance et l’empire qu’elles exercent : ces paroles sont des actes. Je m’explique : l’âme se trouve au milieu des tribulations et de l’agitation intérieures déjà décrites, dans l’obscurité de l’entendement et la sécheresse : il lui suffit d’entendre un mot, rien que  » n’aie pas de peine « , pour s’apaiser, libre de tout chagrin, dans une grande lumière ; cette peine s’évanouit, alors qu’il lui semblait que si le monde entier et les hommes doctes tous ensemble lui avaient donné des raisons de s’en délivrer, leurs efforts ne seraient pas parvenus à soulager son affliction. Elle est affligée, pleine de craintes parce que son confesseur, et d’autres personnes avec lui, lui ont dit que son esprit provient du démon ; mais il suffit qu’on lui dise la parole :  » C’est moi, n’aie pas peur « , pour que tout se dissipe ; elle est parfaitement consolée, persuadée que personne ne pourrait lui faire croire qu’il en est autrement. De même lorsqu’elle est fort en peine d’affaires graves, dont elle ignore ce qu’il en adviendra, elle entend qu’elle doit se calmer, que tout réussira. Elle se retrouve dans la certitude, sans nulle peine. Et il en est ainsi de beaucoup d’autres choses (voir Autobiographie, chap. 25).
  6. Second signe : l’âme se retrouve dans une grande quiétude, dans un recueillement fervent et apaisé, prête à louer Dieu. Ô Seigneur ! Si le mot que vous nous faites dire par l’un de vos pages (puisqu’à ce qu’on dit, du moins dans cette Demeure, ce n’est pas le Seigneur lui-même qui parle, mais un ange), a un tel pouvoir, qu’en sera-t-il pour l’âme liée d’amour avec Vous, et Vous avec elle ?
  7. Troisième signe : ces paroles ne s’effacent pas de la mémoire avant fort longtemps, et certaines ne s’effacent jamais, alors que nous oublions celles que nous entendons ici-bas ; je précise : celles que les hommes nous ont dites ; pour graves et doctes qu’ils soient, leurs paroles ne se gravent pas aussi profondément dans la mémoire, et s’il s’agit de choses futures, nous n’y ajoutons pas la même foi ; mais la parole de Dieu nous insuffle une immense certitude, et même lorsqu’il s’agit de choses qui semblent si impossibles que l’âme ne peut s’empêcher d’en douter, de se demander si elles se réaliseront oui ou non, l’entendement hésite un peu, mais l’âme elle-même est pleine d’une certitude invincible, même si tout semble contredire ce qu’elle a entendu ; les années passent, rien ne peut l’empêcher de penser que Dieu usera de moyens incompréhensibles aux hommes, mais que cela s’accomplira enfin ; et cela s’accomplit. Pourtant, comme je l’ai dit, elle n’en souffre pas moins lorsqu’elle voit de nombreux obstacles; ce qu’elle a entendu est loin dans le temps, l’action de Dieu, la certitude qu’elle eue sur le moment que cela venait de Lui, se sont émoussées, les doutes apparaissent, elle se demande si ce ne fut pas le démon, ou son imagination. Mais sur le moment elle n’a aucun doute, mais elle mourrait pour cette vérité. Toutefois, comme je le dis, que ne fera le démon à l’aide de ces imaginations qu’il suggère pour affliger et effrayer l’âme ! En particulier s’il s’agit d’une affaire dont on présume qu’elle sera pour le grand bien des âmes, une œuvre pour l’honneur de Dieu, pour son service et qui présente de sérieuses difficultés. Le moins qu’il fasse c’est d’affaiblir la foi, et il est fort nuisible de ne pas croire Dieu assez puissant pour accomplir des œuvres que notre entendement n’entend pas.
  8. Au milieu de tous ces combats, malgré tant de gens qui disent à cette personne elle-même que c’est de l’absurdité, (c’est-à-dire les confesseurs avec qui elle traite de ces choses), malgré tous les revers qui devraient lui faire admettre que ces prédictions sont irréalisables, il lui reste je ne sais où une étincelle d’espérance si vive que même si tous les autres espoirs étaient morts, il lui serait impossible, le voudrait-elle, d’admettre que cette certitude n’est pas vivante. Et enfin, comme je l’ai dit, la parole du Seigneur s’accomplit, la satisfaction et l’allégresse de l’âme sont telles qu’elle ne cesse de louer Sa Majesté d’avoir vu s’accomplir ce qu’Elle lui avait promis, plus encore que de l’œuvre elle-même, bien qu’elle soit d’une grande importance pour elle.
  9. Je ne sais à quoi tient le prix que l’âme accorde à la vérité de ces paroles ; elle regretterait moins d’être prise en flagrant délit de mensonge, comme si elle y pouvait quelque chose, alors qu’elle ne répète que ce qui lui est dit. Certaine personne, à ce sujet, évoquait souvent Jonas, prophète, qui craignait que Ninive ne soit pas détruite. Enfin, puisque l’esprit est de Dieu, il est juste de désirer fidèlement qu’on ne lui attribue aucune fausseté, à Lui qui est là suprême vérité. L’allégresse est donc vive quand, après mille traverses, elle voit s’accomplir des choses d’une extrême difficulté ; même si de grandes épreuves doivent s’ensuivre pour cette personne, elle préfère de beaucoup les subir plutôt que d’admettre que ce que le Seigneur lui a dit, et qu’elle croit vrai, puisse ne pas s’accomplir. Tout le monde n’a peut-être pas cette faiblesse, si c’en est une, car je ne puis y voir du mal et la condamner.
  10. Si les paroles entendues naissent de l’imagination, on ne remarque aucun de ces signes : ni certitude, ni paix, ni joie intérieure ; il pourrait advenir, et je connais quelques personnes dans ce cas, qu’étant fort absorbées dans l’oraison de quiétude et le sommeil spirituel (celles qui sont faibles de complexion, ou d’imagination, ou pour je ne sais quelle cause, sont vraiment si hors d’elles, dans ce grand recueillement, qu’elles perdent tout contrôle extérieur, tous les sens sont endormis, comme chez une personne qui dort, et peut-être même sont-elles ainsi, somnolentes), elles croient entendre parler comme en songe, elles croient même voir des choses, et elles pensent que cela vient de Dieu, et elles en négligent les effets, enfin, comme s’il s’agissait d’un songe. Il peut se faire aussi qu’alors qu’elles demandent quelque chose à Notre-Seigneur affectueusement, elles croient qu’on leur répond ce qu’elles voulaient ; cela se produit quelquefois. Quiconque aurait la grande expérience des paroles de Dieu ne pourrait, ce me semble, s’y tromper ; cela provient de l’imagination.
  11. Le démon est plus redoutable. Mais les signes exposés peuvent assurer qu’il s’agit de Dieu ; toutefois, si la chose qu’on vous dit est grave et que vous deviez vous-même vous mettre à l’œuvre, ou si les affaires d’une autre personne sont en cause, ne faites jamais rien sans l’avis d’un confesseur avisé, docte, et serviteur de Dieu ; cela ne doit pas vous effleurer l’esprit, même si de mieux en mieux informée, il vous paraît clair que cela vient de Dieu ; car c’est ce que veut Sa Majesté. Ainsi, vous ne vous refuserez pas à faire ce que Dieu ordonne, puisqu’il nous a dit de considérer le confesseur comme son représentant, et là on ne peut douter que ce soient ses paroles ; elles fortifieront notre courage, si l’affaire est difficile, Notre-Seigneur en donnera au confesseur, il lui fera admettre quand il le voudra que c’est son Esprit, sinon, nous ne sommes obliges à rien. Agir autrement, suivre moindrement notre propre sentiment, j’estime cela très dangereux ; je vous adjure donc, mes sœurs ; au nom du Seigneur : que cela ne vous arrive jamais.
  12. Le Seigneur parle encore à l’âme d’une autre façon que j’estime pour ma part fort vraie, dans certaine vision intellectuelle que je décrirai plus loin. C’est au si intime de l’âme, on croit si clairement entendre ces paroles du Seigneur lui-même avec l’ouïe de l’âme, et si secrètement, que les effets mêmes de la vision rassurent, et assurent que le démon ne peut intervenir ici. Les grands effets qui s’ensuivent permettent de le croire ; du moins est-il certain que cela ne procède pas de l’imagination, et puis, tout bien considère, l’âme peut toujours avoir cette certitude, pour plusieurs raisons. La première, la clarté des paroles est bien différente ; elles sont si claires que s’il manquait une syllabe dans ce que l’âme a entendu, elle s’en souviendrait, et avec quel ton ce fut dit, même si la phrase était longue ; l’élocution ne serait pas aussi claire, ni les paroles aussi distinctes si cela venait de l’imagination, mais comme entendues dans une sorte de rêve.
  13. La seconde : souvent, on était bien éloigné de penser à ce qu’on a entendu, c’est survenu à l’improviste, et même au milieu une conversation ; toutefois, c’est souvent la réponse à une idee qui traverse soudain notre pensée, ou à laquelle on a pensé naguère ; mais souvent aussi il s’agit de choses dont on ne se rappelle point qu’elles devaient être ni qu’elles seraient, l’imagination ne peut donc pas les avoir fabriquées pour que l’âme commette l’erreur de s’engouer de ce qu’elle n’a pas désiré, ni voulu, ni connu.
  14. La troisième : lorsqu’il s’agit de Dieu, on est comme quelqu’un qui entend, et lorsqu’il s’agit de l’imagination, comme quelqu’un qui compose peu à peu ce qu’il veut lui-même qu’on lui dise.
  15. La quatrième : les paroles sont fort différentes dans les deux cas ; une seule suffit à faire comprendre beaucoup de choses que notre entendement ne pourrait composer si rapidement.
  16. La cinquième : ces paroles, souvent, par des moyens que je ne saurais expliquer, font comprendre beaucoup plus de choses que ne l’implique leur sens exact. Je m’étendrai ailleurs sur cette manière de comprendre, c’est chose très délicate, et qui incite à louer Notre-Seigneur. Cette manière-là, ces différences, ont troublé certaines personnes, (en particulier l’une d’elles qui en a l’expérience, et il doit y en avoir d’autres), elles ne parviennent pas a se ressaisir ; je sais que celle dont je parle a considéré attentivement cette situation, car le Seigneur lui fait très souvent cette faveur ; au début, elle se demandait si elle n’imaginait pas tout cela, et elle doutait. Car on a plus vite fait de déceler l’action du démon, malgré ses ruses qui savent bien contrefaire l’esprit de lumière ; il dit très clairement les paroles, ce me semble, on ne peut douter de les avoir entendues, tout comme lorsque c’est l’esprit de vérité qui intervient ; mais il ne peut contrefaire les effets que j’ai cités, ni laisser l’âme dans une telle paix, dans une telle lumière : il sème l’inquiétude et l’agitation. Il ne peut guère nuire et ne fait même aucun mal si l’âme est humble et si, comme je l’ai dit, elle ne fait pas un geste pour rien exécuter, quoi qu’elle ait entendu.
  17. Si elle reçoit des faveurs et des régals du Seigneur, qu’elle observe attentivement si, de ce fait, elle se sent meilleure ; si elle n’est pas d’autant plus confuse que la parole est plus flatteuse, il lui faut croire qu’il ne s’agit pas de l’esprit de Dieu. Lorsque c’est Lui, il est très certain que plus la faveur est grande, plus l’âme se méprise, plus elle se rappelle ses péchés, plus elle oublie ses progrès, plus elle applique sa volonté et sa mémoire à ne vouloir que l’honneur de Dieu, sans songer à son profit personnel, plus elle redoute de se détourner moindrement de Sa volonté, et plus elle est sûre de n’avoir jamais mérité ces faveurs, mais l’enfer. Si toutes les choses et les grâces qu’elle reçoit dans l’oraison produisent ces effets, que l’âme ne s’effraie point, qu’elle ait confiance en la miséricorde du Seigneur, il est fidèle, et il ne permettra pas au démon de la tromper, bien qu’il soit toujours séant de garder des craintes.
  18. Il est possible que celles que le Seigneur ne conduit pas par cette voix imaginent que ces âmes pourraient ne pas écouter ces paroles qui leur sont dites, et si les paroles sont intérieures, s’en distraire de manière à ne pas les entendre, dans l’espoir d’éviter ces dangers. Je réponds à cela que c’est impossible. Je ne parle pas des paroles que nous imaginons, le remède est alors de moins désirer certaines choses, et de refuser de tenir compte des idées que nous nous faisons. C’est inutile dans ce cas-ci, car l’esprit qui parle immobilise lui-même toutes les autres pensées, il oblige à prêter attention à ce qu’il dit, il serait plus facile à une personne qui entend fort bien de ne pas comprendre ce que dit quelqu’un qui parlerait à grands cris : elle pourrait ne pas y prendre garde, fixer sa pensée et son entendement sur autre chose, mais dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas faisable. Elle n’a pas d’oreilles à boucher, ni de forces pour penser, sauf à ce qu’on lui dit, et sous aucun prétexte ; car celui qui à la demande de Josué (je crois que c’était lui), immobilisa le soleil, peut immobiliser les puissances et toutes nos facultés intérieures, et l’âme voit bien qu’un Seigneur plus grand qu’elle gouverne son château, et elle lui manifeste sa fort grande dévotion et son humilité. Il n’y a donc aucun moyen de l’éviter. Plaise à la divine Majesté de nous donner le moyen de ne chercher qu’à la contenter, dans l’oublie de nous-même, comme je l’ai dit. Amen. Plaise à Elle que je sois parvenue à faire comprendre ce que je souhaitais, et que cet avis soit utile aux âmes à qui cela arriverait.

CHAPITRE IV – De l’état d’oraison où Dieu suspend l’âme dans le ravissement, ou l’extase, ou le rapt, qui sont, à son avis, une seule et même chose. Du grand courage qui lui est nécessaire pour recevoir de hautes faveurs de Sa Majesté.

  1. Au milieu des choses que j’évoque, épreuves et autres, comment le pauvre petit papillon pourrait-il rester en repos ? Tout l’incite à désirer plus vivement jouir de l’époux ; et Sa Majesté, qui connaît notre faiblesse, use de tout cela pour disposer son courage à s’unir à un si grand Seigneur et à le prendre pour Époux.
  2. Vous allez rire de ce que je dis, et estimer que c’est folie ; n’importe laquelle d’entre vous jugera que ça n’est pas nécessaire, et qu’il n’est femme de basse origine qui n’ait le courage d’épouser le roi. Je suis de cet avis quant au roi de la terre, mais quant au roi du ciel, il en faut, je le répète, plus que vous ne le pensez ; car notre nature est bien timide et basse devant quelque chose d’aussi grand, et je tiens pour certain que si Dieu n’y pourvoyait, malgré tout ce que vous voyez, ou tous les avantages qui s’ensuivent, ce serait impossible. Vous allez donc voir ce que fait Sa Majesté pour conclure ces fiançailles, et j’entends que c’est dans ce but qu’Elle donne des ravissements qui font perdre le sens ; car sans être hors de sens, si l’âme se voyait si proche de cette haute Majesté, il lui serait d’aventure impossible de continuer à vivre. Cela s’entend des vrais ravissements, et non de ces faiblesses de femmes, comme nous en avons par ici, où tout nous semble ravissement et extase. Comme je crois l’avoir bien dit, il est des natures si faibles qu’elles se meurent d’une heure d’oraison. Je veux exposer ici plusieurs des formes de ravissement dont j’ai été informée, (j’ai eu des rapports avec tant de personnes spirituelles), sans être toutefois certaine d’y réussir, comme ce fut le cas lorsque j’ai écrit ailleurs sur ce sujet (Autobiographie, chap. 20) et pour certaines des choses dont je parle ici ; pour diverses raisons, il semble n’y avoir aucun inconvénient à en reparler, ne serait-ce que pour qu’on trouve ici, ensemble, toutes les Demeures.
  3. Dans l’une de ces formes de ravissement, lorsque l’âme qui n’est peut-être pas en oraison, est touchée par une parole de Dieu qu’elle se rappelle ou qu’elle entend, il semble que Sa Majesté, de l’intérieur de l’âme, exalte l’étincelle que nous avons évoquée, émue de pitié d’avoir vu cette âme souffrir si longtemps de désir ; alors, embrasée tout entière comme l’oiseau Phénix elle est renouvelée, et on peut croire pieusement que ses fautes lui sont pardonnées : cela s’entend dans les dispositions voulues et avec les moyens à portée de cette âme, que l’Église enseigne Ainsi purifiée, le Seigneur l’unit à Lui, sans que personne ne s’en avise, sauf eux deux ; l’âme elle-même ne s’en avise point de manière à pouvoir en parler par la suite, bien qu’elle n’ait pas intérieurement perdu le sens ; cela ne saurait se comparer à un évanouissement, ni a une syncope, où tout sentiment intérieur ou extérieur est aboli.
  4. Il m’apparaît que dans ces cas l’âme est plus éveillée que jamais aux choses de Dieu, plus éclairée dans la connaissance de Sa Majesté. Cela peut sembler impossible ; alors que les puissances et les sens sont si absorbés qu’on peut les dire morts comment peut-on entendre qu’ils comprennent ce secret ? Nul n’en sait rien, ni moi, ni peut-être aucune créature, le Créateur seul le sait, ainsi que bien d’autres choses qui se manifestent dans cet état, c’est-à-dire dans ces deux Demeures ; car on pourrait bien parler conjointement de ces deux Demeures, il n’y a pas entre l’une et l’autre de porte fermée. Mais puisqu’il se passe dans la dernière des choses qui ne se sont pas manifestées à ceux qui n’y sont pas encore parvenus, j’ai préféré les séparer.
  5. Lorsque le Seigneur juge bon de communiquer à l’âme ravie certains secrets, ou certaines choses du ciel, ou des visions imaginaires (sur les vision imaginaire et intellectuelle, voir (Autobiographie, chap. 28), elle peut ensuite en faire le récit ; cela reste gravé dans sa mémoire de telle manière que jamais elle ne l’oublie. Mais quand ce sont des visions intellectuelles, elle est incapable de rien en dire ; à ce degré, certaines doivent être si élevées qu’il ne convient pas que ceux qui vivent sur terre les comprennent et en parlent ; toutefois, une personne qui a le sain usage de ses sens peut décrire ici-bas beaucoup de ces visions intellectuelles. J’en parlerai en temps voulu, puisque l’ordre m’en fut donné par quelqu’un qui a autorité pour cela ; bien qu’il paraisse présomptueux de le croire, ce sera peut-être utile à quelques âmes.
  6. Mais, me direz-vous, si ces âmes ne gardent aucun souvenir des si hautes faveurs que le Seigneur leur accorde alors, quel profit y trouvent-elles ? Ô mes filles ! Il est si grand qu’on ne le dira jamais assez ; car bien qu’elles soient indescriptibles, elles se gravent fortement au plus intime de l’âme, on ne les oublie jamais. Mais si aucune image ne les accompagne et si les puissances ne les comprennent point, comment peut-on se les rappeler ? Je ne le comprends pas moi- même ; mais je comprends que certaines vérités sur la grandeur de Dieu sont si fortement fixées dans ces âmes que même si la foi ne leur disait qui il est, avec l’obligation d’y croire pour l’Amour de Dieu, elles adoreraient en lui cette grandeur à partir de cet instant, comme Jacob quand il vit l’échelle ; il dut saisir alors d’autres secrets qu’il ne sut répéter ; la vue d’une échelle par laquelle descendaient et montaient des anges n’eût pas suffi à lui faire comprendre de si grands mystères, sans un surcroît de lumières intérieures.
  7. Je ne sais si je m’exprime bien, car bien que j’en aie entendu parler, j’ignore si mes souvenirs sont exacts. Moïse lui non plus n’a pas su dire tout ce qu’il avait vu dans le buisson, mais uniquement ce que Dieu lui permit de révéler. Mais si Dieu n’avait pas communiqué à son âme des secrets, s’il ne lui avait pas octroyé la certitude de voir et de croire que cela venait de Dieu, il n’aurait pas tant entrepris, au prix de si grandes épreuves ; il dut découvrir au milieu des épines de ce buisson de fort grandes choses qui lui donnèrent le courage de faire ce qu’il fit pour le peuple d’Israël. Donc, mes sœurs, nous n’avons pas à chercher des raisons de comprendre les choses cachées de Dieu, mais puisque nous croyons en sa puissance, nous devons croire, c’est clair, que le ver de terre que nous sommes, dont la puissance est si limitée, est incapable de concevoir ses grandeurs. Louons-le vivement de consentir à nous en faire comprendre quelques-unes.
  8. Je désirerais trouver une comparaison qui éclaire un peu ce que je dis, je crains qu’il n’y en ait pas de bonne, mais donnons celle-ci : vous pénétrez dans l’appartement d’un roi ou d’un grand Seigneur, ce qu’on appelle, ce me semble, un salon, où on trouve en nombre infini, toutes sortes de verreries, de poteries et beaucoup de choses, disposées en si bel ordre qu’on les voit presque toutes en y entrant. On m’a introduite un jour dans l’une de ces salles chez la Duchesse d’Albe, (où sur les instances de cette dame, l’obéissance m’avait commandé de demeurer au cours d’un voyage) ; ébahie, en y pénétrant, je me demandais a quoi pouvait servir cette foule d’objets, tout en considérant qu’on pouvait louer le Seigneur de voir une telle variété de choses, et il est amusant de constater combien cela m’est utile pour ce que j écris ; j’y passai un moment, mais il y avait tant a voir que j’oubliai tout immédiatement et que je ne gardai le souvenir d’aucune de ces pièces ; je ne saurais pas plus décrire leur facture que si je ne les avais jamais vues. Il en est de même lorsque, introduite dans cet appartement du ciel empyrée que nous devons avoir à l’intérieur de nos âmes, l’âme ne fait qu’un, très intimement, avec Dieu, (puisque Dieu est dans l’âme, il est clair qu’il y a dans l’âme une de ces Demeures). Toutefois lorsque l’âme est ainsi, en extase, le Seigneur ne doit pas toujours lui permettre de pénétrer ces secrets, (elle est d’ailleurs si occupée à jouir de lui que ce bonheur lui suffit), mais il lui permet parfois de se ranimer, et de voir soudain ce qu’il y a dans cet appartement. Revenue à elle, elle garde donc l’image des grandeurs quelle a vues ; elle ne peut néanmoins en décrire aucune, sa nature ne se hausse pas au-delà de ce que Dieu a voulu lui montrer surnaturellement.
  9. Suis-je donc en train de confesser ce qui a été vu, et qu’il s agit d’une vision imaginaire ? Je ne veux rien dire de semblable, cela n’est pas mon objet, mais la vision intellectuelle ; je manque d’instruction, mon ignorance est incapable de rien exprimer ; si je me suis bien expliquée à propos de cette oraison, je comprends clairement que ce n’est pas de mon propre chef. Pour moi, je suis d’avis que lorsque l’âme à qui Dieu accorde ces ravissements ne pénètre que certains de ces secrets, ce ne sont pas des ravissements, mais quelque faiblesse naturelle ; car il se peut que des personnes de faible complexion, et c’est notre cas à nous, femmes, surmontent la nature par une certaine force d’esprit, et restent absorbées, comme je crois l’avoir dit à propos de l’oraison de quiétude. Cela n’a rien de commun avec le ravissement ; lorsque c’en est un, croyez-le, Dieu dérobe l’âme tout entière, elle est sa propre chose, et en tant que telle, désormais, son Épouse, il lui montre peu à peu quelque petite parcelle du royaume qu’elle a mérité, en tant qu’épouse ; si petite soit-elle, tout est abondance dans ce grand Dieu, et il ne permet à personne de l’entraver, ni aux puissances, ni aux sens ; il donne l’ordre immédiat de fermer les portes de toutes ces Demeures, celle où il réside reste seule ouverte pour nous y introduire. Bénie soit une si grande miséricorde ; ceux qui ne voudraient pas en profiter, et qui perdraient ce Seigneur, seront maudits à juste titre.
  10. Ô mes sœurs ! ce que nous quittons n’est rien, ni tout ce que nous faisons, ni tout ce que nous pourrions faire pour un Dieu qui consent ainsi à se donner à un ver de terre ! Puisque nous espérons jouir de ce bien dès cette vie même, que faisons-nous ? A quoi nous arrêtons-nous ? Est-il rien d’assez grand pour nous distraire un instant de chercher ce Seigneur, comme le faisait l’épouse, dans les rues et sur les places ? Oh ! tout au monde est moquerie qui ne nous rapproche de cela et ne nous aide pas à le rejoindre, même si délices, richesses, joies, tout ce qu’on peut imaginer, devaient durer toujours ! Tout est dégoût, ordure, en comparaison des trésors dont nous devons jouir à jamais ! Et cela même n’est rien, comparé au seul fait de posséder le Seigneur de tous les trésors, ceux du ciel et de la terre.
  11. Ô aveuglement humain ! Jusques à quand, jusques à quand, attendrons-nous qu’on retire cette poussière de nos yeux ? Elle ne semble pas abonder parmi nous au point de nous aveugler tout à fait, mais je vois cependant de petits grains, de petits graviers, qui suffiront à nous faire grand tort, si nous les laissons s’accumuler ; pour l’amour de Dieu, mes sœurs, servons-nous de ces fautes pour connaître notre misère, qu’elles épurent notre vue, comme le fit la boue pour l’aveugle qu’a guéri notre Époux (Jn 9,6-7) ; à nous voir, donc, si imparfaites, supplions le d’autant plus vivement d’extraire le bien de nos misères, pour contenter Sa Majesté en toutes choses.
  12. Je me suis beaucoup écartée de mon sujet par inadvertance. Pardonnez-moi, mes sœurs, et croyez que lorsque j’approche des grandeurs de Dieu, c’est-à- dire, lorsque j’en parle, je ne puis retenir de vives plaintes : je vois ce que nous perdons par notre faute. Car bien que le Seigneur donne ces choses à qui il veut, si nous aimions Sa Majesté comme Elle nous aime, Elle nous les donnerait à nous tous. C’est son unique désir, trouver à qui donner, et ses richesses ne diminuent pas pour autant.
  13. Pour en revenir, donc, à ce que je disais, l’Époux ordonne la fermeture des portes des Demeures, et même celles du château et de l’enceinte ; car lorsqu’il veut enlever cette âme, et la ravir, elle perd la respiration, et même si elle garde un peu plus longtemps l’usage des sens, il lui est totalement impossible de parler ; mais parfois, aussi, tout s’interrompt soudain, les mains et le corps se refroidissent à tel point qu’elle croit être privée d’âme, et qu’il arrive même qu’on ne perçoive plus son souffle. C’est bref, et je le précise : cet état-là est bref ; car dés que ce grand ravissement se relâche, le corps semble se ressaisir un peu, il reprend haleine pour mourir à nouveau et donner à l’âme un supplément de vie ; et pourtant, cette grande extase ne dure pas longtemps.
  14. Lorsqu’elle a cessé, il arrive néanmoins que la volonté reste si absorbée et l’entendement si égaré, pendant des jours et encore des jours, que cette âme semble incapable de rien comprendre de ce qui n’éveille pas la volonté et l’incite à aimer ; elle est toutefois fort éveillée à l’amour, mais endormie s’il s’agit d’affronter les créatures et de s’y attacher.
  15. Quand l’âme revient tout à fait à elle, oh ! quelle confusion est la sienne, quel immense désir elle a de s’employer au service de Dieu, de quelque façon il veuille l’utiliser ! Si les effets des états d’oraison précédents sont comme je les ai décrits, que peut-il s’ensuivre d’une faveur aussi grande que celle-là ? Je voudrais vivre mille vies pour les vouer toutes au service de Dieu, et que toutes choses sur terre se transforment en langues pour le louer. Le désir de faire pénitence est immense : on n’y a guère de mérite, la force de l’amour est telle que l’âme ne se ressent guère de tout ce qu’elle fait, elle voit clairement que les tourments qu’enduraient les martyrs étaient peu de chose, car avec cette aide de Notre-Seigneur, tout devient facile ; ces âmes, donc, se plaignent à Sa Majesté quand elles n’ont pas l’occasion de souffrir.
  16. Quand Sa Majesté leur fait cette faveur en secret, elles l’estiment à sa très haute valeur ; mais quand plusieurs personnes en sont témoin, elles sont si confuses, si honteuses, que leur âme, en quelque sorte, se vide du bonheur dont elle a joui, tant elle est soucieuse, affligée, de ce que les gens penseront de ce qu’ils ont vu. Elles connaissent la malice du monde, et comprennent que d’aventure on ne l’attribuera pas à qui de droit, et au lieu d’y trouver une occasion de louer le Seigneur, ce sera peut-être un sujet de médisances. Sous certains aspects, cette peine et cette confusion me semblent un manque d’humilité, mais cela ne dépend plus de leur volonté ; en effet, si cette personne souhaite le blâme, que lui importe ? Comme l’a dit Notre-Seigneur à quelqu’un qui s’affligeait ainsi :  » Ne te mets pas en peine, puisqu’ils doivent soit me louer, Moi, soit médire de toi ; et quoi qu’on dise, tu y gagnes (Autobiographie, chap. 31).  » J’ai su plus tard que ces paroles avaient beaucoup encouragé et soutenu cette personne ; je les rapporte ici, au cas où l’une de vous connaîtrait pareille affliction. Notre-Seigneur semble vouloir que tout le monde comprenne que cette âme est déjà sienne, et que personne n’a le droit d’y toucher. Qu’on s’attaque à son corps, à son honneur, à ses biens, à la bonne heure : tout contribuera à honorer Sa Majesté ; mais quant à l’âme, point ; si elle ne s’éloigne pas de son Époux par une outrecuidance fort coupable, il la protégera contre le monde entier, et même contre tout l’enfer.
  17. Je ne sais si j’ai réussi à faire comprendre ce qu’est le ravissement; tout dire est impossible, comme je l’ai signalé, mais je sens qu’on ne perd rien à s’y essayer, pour faire comprendre en quoi il consiste ; car il diffère beaucoup, par ses effets, des ravissements feints. Si j’emploie le mot  » feints « , ce n’est pas que la personne qui les a veuille tromper, mais elle est trompée. Et lorsque les signes et les effets ne sont pas conformes à une si haute grâce, on la diffame à tel point qu’en conséquence, et avec juste raison, on ne croira plus celles à qui le Seigneur l’accorde. Qu’il soit à jamais béni et loué. Amen, amen.

CHAPITRE V – Suite du même sujet. Comment Dieu élève l’âme, par un rapt de l’esprit différent de ce qui a été décrit. Pourquoi le courage est nécessaire. De cette savoureuse faveur qu’accorde le Seigneur. Enseignement fort profitable.

  1. Il est une autre sorte de ravissement, ou vol de l’esprit dis-Je à ma façon ; car bien qu’en substance ce soit la même chose, le sentiment intérieur est fort différent. Parfois, on sent soudain un mouvement de l’âme si accéléré que l’esprit semble emporté à une vélocité qui fait grand peur, particulièrement dans les débuts; c’est pourquoi je vous disais que ceux à qui Dieu accorde ces grâces doivent avoir beaucoup de courage, de la foi, de la confiance, et être pleinement résignés à laisser Notre-Seigneur faire de l’âme ce que bon lui semble. Croyez-vous que la personne, qui en pleine possession de ses sens, sent son âme emportée soudain, puisse n’être qu’à peine troublée ? Nous avons même lu que le corps suit parfois, sans savoir où il va, qui l’emporte, ni comment ; car au début de ce mouvement momentané, on n’est pas tellement certain qu’il vienne de Dieu.
  2. N’y a-t-il aucun moyen d’y résister ? Aucun ; ce serait même pire. Certaine personne m’a dit que Dieu semble vouloir faire comprendre à l’âme qui s’est remise en ses mains et s’est donnée à Lui si souvent et si sincèrement tout entière avec une volonté totale, qu’elle ne s’appartient plus, et il la ravit dans un élan encore plus impétueux ; cette personne avait décidé d’être comme la paille que l’ambre soulève, comme vous l’aurez remarqué, et de s’abandonner dans les mains de Celui qui, dans sa toute-puissance, sait que la plus grande sagesse est de faire de nécessite vertu. Et parce que j’ai parlé de la paille, la vérité est qu’avec la même facilité qu’un géant peut ravir une paille, notre grand et puissant géant ravit l’esprit.
  3. Cela évoque ce bassin dont nous avons parlé, dans la quatrième Demeure, ce me semble (Quatrième Demeures, chap. 2 et 3), qui avec une telle douceur sans aucun frémissement, s’emplissait ; mais ici, ce grand Dieu qui retient les sources des eaux et qui ne permet pas à la mer de sortir de ses limites, déchaîne les sources qui alimentent ce bassin ; dans un élan impétueux, une vague se soulève, si puissante qu’elle élève sur les hauteurs cette nacelle qu’est notre âme. Et de même qu’une nacelle ne peut lutter, que le pilote et tous ceux qui la gouvernent sont impuissants à la maintenir où ils le veulent au milieu des vagues en furie, l’âme peut encore moins arrêter où elle le veut son mouvement intérieur, ni obtenir que ses sens et ses puissances fassent autre chose que ce qui leur est commandé. Quant à l’extérieur, on n’en fait ici aucun cas.
  4. Vraiment, mes sœurs, rien que d’écrire cela, je m’émerveille de voir se montrer la grande puissance de ce grand Roi et Empereur : que sera-ce de ceux qui le vivent ! M’est avis que si Sa Majesté se découvrait à ceux qui errent en ce monde et s’y perdent comme elle se découvre à ces âmes, par crainte, à défaut d’amour, elles n’oseraient plus l’offenser. Mais, oh ! que celles qui ont été instruites sur de si hauts chemins ont donc le devoir de chercher de toutes leurs forces à ne pas fâcher ce Seigneur ! Pour l’amour de Lui, je vous supplie, mes sœurs, vous, à qui Sa Majesté aurait accordé cette faveur ou des grâces semblables de veiller à ne pas vous contenter de recevoir. Considérez que quiconque doit beaucoup devra beaucoup payer.
  5. Ici encore il faut un grand courage, car cela effraie vivement. L’âme à qui Notre-Seigneur n’en donnerait point vivrait dans une grande affliction ; la vue de ce que Sa Majesté fait d’elle, suivie d’un retour sur elle-même, lui prouverait qu’elle n’est guère capable de faire ce qu’elle doit, le peu qu’elle fait lui paraîtrait plein de fautes, de failles, de faiblesses ; pour ne pas penser aux imperfections de son œuvre, si tant est qu’elle en fasse, elle préfère tâcher d’oublier, : et se cacher dans la miséricorde de Dieu ; puisqu’elle n’a pas de quoi payer, que Sa pitié et Sa miséricorde à l’égard des pécheurs y suppléent.
  6. Peut-être lui répondra-t-il comme à une personne qui se tenait devant un crucifix, fort affliger, considérant qu’elle n’avait jamais rien eu à donner à Dieu, ni quoi que ce soit à quitter pour lui. Pour la consoler, le Crucifié lui-même lui dit qu’il lui donnait toutes les douleurs et toutes les épreuves qu’il avait souffertes dans sa passion ; elle pouvait se les approprier, pour les offrir à son père. (Sainte Thérèse reçut cette faveur à Séville en 1575 ou 76. Vois Faveur de Dieu.) Ce fut pour cette âme un tel réconfort, elle se vit si riche, m’a-t-elle dit, qu’elle n’a jamais pu l’oublier ; elle se le rappelle même chaque fois qu’elle voit sa misère, et se retrouve fortifiée, consoler. Je pourrais évoquer certaines choses comme celle-là, j’ai connu tant de personnes saintes et vouées à l’oraison que j’en sais un grand nombre ; j’y résiste pour que vous ne pensiez pas qu’il s’agit de moi. Ce que je viens de vous dire me semble fort propre à vous faire comprendre combien la connaissance que nous avons de nous-même est agréable à Notre Seigneur, ainsi que l’effort de toujours considérer et reconsidérer notre pauvreté, notre misère, certaines de ne rien posséder que nous n’ayons reçu. Donc, mes sœurs, pour cela et beaucoup d’autres choses qui se présentent à l’âme que le Seigneur a fait accéder à cet état, il faut du courage ; et, ce me semble, plus encore pour la dernière de ces faveurs que pour toutes les autres, si elle est humble. Plaise au Seigneur de nous en donner, il en a le pouvoir.
  7. Pour revenir à ce brusque rapt de l’esprit, il est tel que l’esprit semble vraiment quitter le corps, et pourtant, c’est clair, cette personne n’est pas morte ; mais pendant quelques instants, elle ne peut dire si son esprit est dans son corps, oui ou non. Il lui semble avoir été tout entière dans une autre région, bien différente de celle où nous vivons ; là, on lui a montré une autre lumière, si différente de celle d’ici-bas qu’elle aurait pu passer sa vie entière à la fabriquer, ainsi que d’autres choses, sans y parvenir. Et en un instant, on lui montre tant de choses à la fois que si son imagination et sa pensée travaillaient des années à les agencer, elle n’y parviendrait pas pour une sur mille. Ce n’est pas une vision intellectuelle, mais imaginaire, on la voit des yeux de l’âme beaucoup mieux que nous ne voyons ici-bas des yeux du corps, et, sans paroles, on lui fait comprendre certaines choses ; ainsi, si elle voit des saints, elle les reconnaît comme si elle les avait beaucoup fréquentés.
  8. D’autres fois, en même temps que les choses qu’elle voit des yeux de l’âme, d’autres lui sont montrées par une vision intellectuelle, en particulier une multitude d’anges, en compagnie de leur Seigneur ; et sans rien voir des yeux du corps ni de l’âme, par une connaissance admirable que je ne saurais expliquer, on lui présente ce que je dis, et beaucoup d’autres choses indicibles. Quelqu’un de plus habile que moi qui en aurait l’expérience pourrait peut-être le faire comprendre, mais cela me semble bien difficile. Je ne saurais dire si l’âme est unie au corps lorsque cela se produit ; du moins je ne jurerais pas qu’elle soit dans le corps, ni que le corps soit sans l’âme.
  9. J’ai souvent pensé ceci : de même que le soleil immobile au ciel a des rayons d’une telle puissance qu’ils nous parviennent en un instant sans qu’il bouge de là-haut, l’âme et l’esprit ne font qu’un, comme ne font qu’un le soleil et ses rayons ; et ainsi, tout en restant à sa place, l’âme, par la puissance de la chaleur qui lui vient du vrai Soleil de Justice, peut projeter au-dessus d’elle-même ce qu’il y a de supérieur en elle. Enfin, je ne sais ce que je dis. Ce qui est vrai, c’est qu’à la vitesse d’une balle sortie d’une arquebuse à laquelle on a mis feu, il se produit intérieurement une envolée (je ne sais quel autre nom lui donner), dont le mouvement est si clair, bien que sans bruit, qu’on ne peut l’attribuer à l’imagination ; et voilà l’âme tout hors d’elle-même autant qu’elle peut le comprendre, et de grandes choses lui sont montrées ; quand elle revient à elle, elle a tant gagné, les choses de la terre lui semblent si peu de chose comparées à ce qu’elle a vu, qu’elle n’y voit qu’ordures ; dés lors elle vivra sur terre à dures peines, rien de ce qui lui plaisait naguère n’a pour elle le moindre intérêt. Le Seigneur semble avoir voulu lui faire entrevoir le pays où elle ira un jour, comme les envoyés du peuple d’Israël rapportèrent des signes de la Terre Promise, pour l’aider à supporter les épreuves de cette route si pénible, sachant où elle ira se reposer. Quelque chose qui passe si vite ne vous semblera peut-être pas devoir être très profitable, mais l’âme en tire de si grands bénéfices que nul ne saurait les apprécier à leur valeur, sauf ceux qui en ont fait l’expérience.
  10. On voit bien par là que ce n’est pas chose du démon ; l’imagination n’y peut rien, et le démon serait impuissant à représenter des choses si efficaces, qui laissent dans l’âme tant de paix, de calme, et de bienfaits, trois, en particulier, à un très haut degré. Le premier est la connaissance de la grandeur de Dieu, car plus elle se découvre à nous, plus nous sommes admis à la comprendre. Le second : connaissance de soi, humilité de voir comment chose si basse comparée au Créateur de tant de grandeurs a osé l’offenser, et même le regarder. Le troisième ne guère priser toutes les choses de la terre, si ce n’est celles qui peuvent s’employer au service d’un si grand Dieu.
  11. Tels sont les premiers joyaux que l’Époux donne ici à son épouse, ils sont d’une telle valeur qu’elle ne s’exposera pas au risque de les perdre ; ce qu’elle a vu reste si gravé dans sa mémoire qu’il lui est impossible, je crois, de l’oublier en attendant d’en jouir pour toujours, sous peine de subir un immense dommage ; mais l’Époux qui lui fait ce don a aussi le pouvoir de lui donner la grâce de ne pas le perdre.
  12. Donc, pour en revenir au courage nécessaire, pensez-vous que ce soit peu de chose ? Car l’âme semble vraiment se séparer du corps, elle voit ses sens lui échapper et ne comprend pas pourquoi. Il faut que Celui qui lui donne tout le reste lui donne aussi du courage. Vous direz qu’elle est bien payée de ses craintes ; je suis du même avis. Loué soit à jamais Celui qui peut tant donner. Plaise à Sa Majesté de nous accorder de mériter de la servir. Amen.

CHAPITRE VI – D’un autre effet de l’oraison évoquée dans le chapitre précèdent qui prouve que cet état est véritable, et pas un leurre. D’une autre faveur que le Seigneur accorde à l’âme pour l’inciter à le louer.

  1. Ces hautes faveurs communiquent à l’âme un si vif désir de jouir pleinement de Celui qui les accorde qu’elle vit dans un fort grand tourment, savoureux toutefois : elle aspire ardemment à mourir, et toujours avec des larmes, elle demande à Dieu de la sortir de cet exil. Tout ce qu’elle voit ici-bas la fatigue ; la solitude lui apporte certain soulagement, mais le chagrin la reprend, sans lequel elle ne peut vivre. Enfin, ce petit papillon n’arrive pas à se stabiliser ; l’âme est si attendrie par l’amour que la première occasion d’activer cette flamme lui fait prendre son vol. Les ravissements sont donc très fréquents dans cette Demeure, sans qu’il soit possible de s’y dérober, même en public ; persécutions, médisances s’ensuivent, qui ne lui permettent pas de vivre sans crainte, comme elle le voudrait, car de nombreuses personnes l’effraient, en particulier les confesseurs.
  2. Bien que la certitude habite une partie de son âme, spécialement quand elle est seule avec Dieu, elle est, d’autre part, fort affligée ; elle redoute que le démon, par ses tromperies, la pousse à offenser Celui qu’elle aime tant, car elle ne se met guère en peine des médisances, sauf lorsque son confesseur lui-même l’accable, comme si elle y pouvait quelque chose. Sans cesse, à tout un chacun, elle demande des prières, elle supplie Sa Majesté de la conduire par une autre voie, selon le conseil de ceux qui lui disent que ce chemin est fort dangereux. Mais elle y a fait de si grands progrès, tout ce qu’elle lit, tout ce qu’elle entend et sait, d’après les commandements de Dieu, montre si bien qu’il conduit au ciel, qu’il lui est impossible de renoncer à son désir de le suivre, malgré sa volonté ; elle s’abandonne donc entre les mains de Dieu. Toutefois, elle s’afflige de ne pouvoir désirer prendre une autre voie, il lui semble ne pas obéir à son confesseur, alors que l’obéissance et le refus d’offenser Notre-Seigneur sont, lui semble-t-il, les seuls remèdes contre l’illusion. Elle se juge incapable de consentir à commettre un péché véniel, dût-on la mettre en pièces, et s’afflige donc immensément de constater qu’elle ne peut éviter d’en commettre beaucoup sans s’en apercevoir.
  3. Dieu donne à cette âme un si vif désir de ne le fâcher, si peu que ce soit, en rien, autant que possible, de ne rien faire d’imparfait, que dans ce seul but, sans présumer de tout le reste, elle voudrait fuir les gens, et elle envie beaucoup ceux qui vivent ou ont vécu au désert. Par ailleurs, elle voudrait se jeter au beau milieu du monde pour chercher à amener une seule âme à mieux louer Dieu; elle s’afflige, si elle est femme, des entraves que lui oppose sa nature qui l’en empêche, et elle envie beaucoup ceux qui sont libres de proclamer à grands cris qui est ce grand Dieu des Chevaleries.
  4. Oh ! pauvre petit papillon, lié par tant de chaînes, on ne te permet pas de voler comme tu le voudrais ! Ayez pitié de lui mon Dieu ; autorisez-le à réaliser quelques-uns de ses désirs pour votre honneur et votre gloire. Ne songez pas à son peu de mérite, à sa basse nature. Vous avez la puissance, Vous Seigneur, d’ordonner à la mer et au grand Jourdain de se retirer pour laisser passer les enfants d’Israël. Ne plaignez pas cette âme, puisque avec l’aide de votre force, elle peut supporter bien des peines ; elle y est résolue, et désire les subir. Étendez, Seigneur, votre bras tout-puissant afin qu’elle n’emploie pas sa vie à des choses aussi mesquines. Que votre grandeur se manifeste en un objet si féminin, si méprisé, pour que le monde comprenne qu’elle n’est rien par elle-même, et que Vous, il vous loue ; quoiqu’il puisse lui en coûter, c’est ce qu’elle veut, et eût-elle mille vies, les donner pour qu’une âme vous loue un peu mieux à cause d’elle ; ce sera, estime-t-elle, bien user de ses peines, elle comprend en toute sincérité qu’elle ne mérite pas de souffrir pour vous la moindre des épreuves, et encore moins de mourir.
  5. Je ne sais à quel propos ni pourquoi j’ai dit cela, mes sœurs, ce fut par inadvertance. Comprenons que tels sont sans aucun doute les effets de ces suspensions ou extases ; il ne s’agit pas de désirs passagers, mais continuels, et quand se présente l’occasion de le prouver, on voit qu’ils n’étaient pas feints. Pourquoi dis-je qu’ils sont continuels ? L’âme se sent lâche, parfois, devant les choses les plus mesquines elle est craintive et si démunie de courage qu’il lui semble impossible d’en avoir pour quoi que ce soit. J’entends que le Seigneur l’abandonne à sa nature, pour son plus grand bien; alors, avec une clarté qui l’anéantit, elle voit que le peu de vaillance qu’elle a montré fut un don de Sa Majesté, elle tire de là une plus grande connaissance de la miséricorde de Dieu et de la grandeur qu’il a consenti à montrer en quelqu’un d’aussi bas qu’elle. Mais elle est d’ordinaire dans l’état que nous avons décrit.
  6. Mes sœurs, dans ces grands désirs de voir Notre-Seigneur, considérez ceci : ils sont parfois si oppressants qu’il ne vous est pas nécessaire de les exalter, mais de vous en distraire si vous le pouvez, dis-je ; mais c’est complètement impossible dans certains des cas dont je parlerai plus loin, vous le verrez. Vous pourrez parfois résister à ceux dont je parle ici, car la raison se remet tout entière à la volonté de Dieu ; elle dit ce que disait saint Martin ( » Seigneur, si je suis nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail ; que votre volonté soit faite. « ) ; l’âme pourra revenir à la considération, si ces désirs l’oppressent vivement, car ils sont, semble-t-il, le fait de personnes fort avancées et le démon pourrait les susciter pour nous faire croire que nous sommes dans ce cas ; il est donc toujours bon de garder des craintes. Mais je crois que le démon ne saurait donner à l’âme la quiétude et la paix qui accompagnent cette peine, la passion dont il l’agitera ressemble à la peine que causent les choses du siècle. Mais ceux qui n’auraient pas l’expérience de l’une et de l’autre ne le comprendront pas, ils penseront que c’est quelque chose de très grand, ils la fomenteront autant qu’ils le pourront, ce qui nuira gravement à leur santé ; car cette peine est continuelle, ou du moins très fréquente.
  7. Notez aussi qu’une faible constitution peut fomenter ces peines-là, en particulier s’il s’agit de personnes tendres qui pleurent pour des vétilles ; mille fois on leur fera croire qu’elles pleurent pour Dieu, sans qu’il en soit rien. Il peut même leur arriver de verser à certains moments des torrents de larmes sans pouvoir y résister, au moindre mot de Dieu qu’elles entendent ou évoquent, mais certaine humeur rapprochée du cœur peut en être cause plutôt que l’amour de Dieu ; on croirait toutefois que jamais elles ne cesseront de pleurer. Comme elles ont compris que les larmes sont bonnes, elles ne les maîtrisent point, elles voudraient passer leur temps à pleurer, et font tout pour cela. Le démon cherche par ce moyen, à les affaiblir de manière qu’elles ne puissent plus faire oraison ni observer leur Règle.
  8. Je crois vous entendre demander ce que vous pouvez faire, puisque je vois du danger partout et que lorsqu’il me semble qu’on peut être abusé par quelque chose d’aussi bon que les larmes, l’abusée, c’est moi. Cela se peut, mais croyez que je ne parle pas sans l’avoir constaté chez certaines personnes, néanmoins pas en moi, car je ne suis nullement tendre, mon cœur est même si dur que j’en suis parfois peinée ; toutefois, quand la flamme intérieure est vive, pour dur que soit le cœur, il distille comme un alambic ; et vous constaterez bien que les larmes qui viennent de là sont réconfortantes, elles apaisent au lieu d’agiter, et il est rare qu’elles fassent du mal. Ce qu’il y a de bien dans ce leurre lorsque leurre il y a, c’est qu’il nuira au corps, mais pas à l’âme si elle est humble, je le précise ; au cas où l’humilité ferait défaut, il ne sera pas mauvais de garder cette méfiance.
  9. Ne pensons pas que tout soit fait en pleurant beaucoup, mettons plutôt activement la main à l’ouvrage, et pratiquons les vertus, voilà ce qui nous convient ; viennent les larmes si Dieu nous les envoie sans que nous cherchions à les provoquer. Elles arroseront cette terre sèche, et aident beaucoup à produire des fruits, d’autant plus que nous y prêtons moins d’attention, car cette eau tombe du ciel ; on ne saurait la comparer avec celle que nous tirons en nous fatiguant à creuser, car nous creuserons souvent jusqu’à être fourbues sans trouver une flaque d’eau, et encore moins un puits ou une source. C’est pourquoi, mes sœurs, j’estime préférable de nous mettre en présence de Dieu, de considérer sa miséricorde, sa grandeur, ainsi que notre bassesse, afin qu’il nous donne ce qu’il veut, que ce soit l’eau, ou la sécheresse : il sait mieux que nous ce qui nous convient. Ainsi, nous vivrons en repos, et le démon aura moins d’occasions de nous attirer dans ses chausse-trappes.
  10. En même temps que ces choses pénibles et savoureuses à la fois, il arrive que Notre-Seigneur accorde à l’âme une jubilation, une oraison étrange, que l’âme ne comprend pas. J’en parle ici pour que vous sachiez que cela peut vous arriver ; s’il vous fait cette faveur, rendez-lui d’abondantes grâces. C’est, ce me semble, une union profonde des puissances, mais Notre Seigneur les laisse, avec les sens, libres de jouir de cette joie ; ils ne comprennent toutefois ni ce dont ils jouissent ni comment ils en jouissent. J’ai l’air de parler arabe, mais cela se passe vraiment ainsi ; le bonheur de l’âme est si excessif qu’elle ne voudrait pas être seule à en jouir mais le dire à tout le monde pour qu’on l’aide à louer Notre-Seigneur, elle ne tend qu’à cela. Oh ! que de fêtes elle célébrerait, que de démonstrations, si elle le pouvait, pour que le monde entier conçoive sa joie ! Il lui semble s’être enfin trouvée, et comme le père de l’enfant prodigue, elle voudrait convier tout le monde à de grandes fêtes, pour montrer son âme établie en un lieu où, à n’en pas douter, elle est en sécurité, du moins à ce moment. M’est avis qu’elle a raison ; il est impossible au démon de donner tant de joie intérieure, au plus profond de l’âme, tant de paix, et ce contentement qui ne tend qu’à provoquer la louange de Dieu.
  11. Dans cet élan d’allégresse, c’est déjà beaucoup de pouvoir se taire et dissimuler, non sans peine. C’est ce que dut ressentir saint François quand, marchant dans la campagne en poussant des clameurs, il rencontra les voleurs, et leur dit qu’il était le crieur public du grand Roi ; d’autres saints aussi vont au désert pour pouvoir publier, comme saint François, ces louanges de leur Dieu. J’en ai connu un, nommé Fr. Pierre d’Alcantara, je crois qu’il est de ceux-là, si on en juge par sa vie ; il faisait comme eux, et ceux qui eurent l’occasion de l’entendre le prenaient pour un fou. Oh ! la bonne folie, mes sœurs ! Plaise à Dieu de nous la donner à toutes ! Quelle grâce il vous a faite de vous amener en un lieu où même si le Seigneur vous donne cette folie et que vous la manifestiez, vous trouverez de l’aide, et point de médisances, comme ce serait le cas si vous étiez dans le monde où ces cris sont si rares qu’il n’est pas surprenant qu’on en médise.
  12. Ô temps infortunés, vie misérable où nous vivons, et heureuses celles qui ont la bonne fortune d’en sortir ! Lorsque nous sommes toutes réunies, il m’arrive parfois d’éprouver une joie particulière à considérer ces sœurs dont la joie intérieure est si grande qu’elles rivalisent de louanges à Notre-Seigneur qui les a conduites dans ce monastère ; on voit très clairement que ces louanges jaillissent du profond de leur âme. Je voudrais, mes sœurs, que vous le fassiez souvent, car la première éveille les autres. Quel meilleur emploi de votre langue, quand vous êtes ensemble, si ce n’est louer Dieu, puisque nous avons tant de raisons de le faire ?
  13. Plaise à Sa Majesté de nous accorder souvent cette oraison si sûre, et si avantageuse ; car nous ne pouvons l’acquérir, elle est toute surnaturelle. Il arrive qu’elle dure une journée, l’âme est alors comme quelqu’un qui a beaucoup bu sans toutefois que ses sens soient aliénés, ou comme un mélancolique qui n’a pas tout à fait perdu la tête mais dont l’imagination s’obstine dans une idée fixe que personne ne peut lui ôter. Ce sont des comparaisons bien grossières pour un sujet si précieux, mais je n’ai pas le talent de mieux faire, c’est ainsi ; dans sa joie, cette âme s’oublie si bien elle-même, et toutes choses, qu’elle ne remarque et n’exprime que de ce qui procède de sa joie, la louange de Dieu. Aidons cette âme, nous toutes, mes filles. Pourquoi voudrions-nous avoir plus de cervelle ? Qui pourrait nous donner de plus grandes joies ? Que toutes les créatures nous y aident, dans tous les siècles des siècles ! Amen, amen, amen.

CHAPITRE VII – De la peine que les âmes à qui Dieu accorde lesdites grâces ressentent le leurs péchés. De la grande erreur que ce serait de ne pas chercher à évoquer l’humanité de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, sa Sainte Passion, sa vie, sa glorieuse Mère et ses saints, si grande que soit notre spiritualité. Chapitre fort profitable.

  1. Vous allez croire, mes sœurs, – surtout celles d’entre vous qui n’ont pas reçu ces faveurs, car celles qui ont joui de grâces venues de Dieu comprendront ce que je vais dire, – que les âmes à qui le Seigneur se communique si particulièrement sont sans doute tellement certaines de jouir de Lui pour l’éternité qu’elles n’ont plus rien à craindre, ni à pleurer leurs péchés ; ce serait une bien grande erreur, car plus Dieu nous donne, plus s’accroît notre douleur d’avoir péché. Je pense à part moi que tant que nous n’aurons pas atteint le lieu où plus rien ne pourra nous causer de la peine, nous ne serons pas soulagés de celle-là.
  2. Il est vrai que, selon les circonstances, elle pèse sur nous plus ou moins, et varie ; l’âme oublie le châtiment qu’elle encourt pour ne considérer que son ingratitude à l’égard de Celui à qui elle doit tant, et qui mérite d’être si bien servi ; l’un des effets des grandeurs qui lui sont communiquées est de mieux lui faire comprendre la grandeur de Dieu. Elle s’épouvante de sa hardiesse; elle pleure son irrespect ; sa folie lui semble si folle que ses regrets sont sans fin quand elle se souvient de la bassesse des choses pour lesquelles elle a négligé une si grande Majesté. Ils sont plus présents à son souvenir que les faveurs qu’elle reçoit, si grandes que soient celles déjà évoquées et celles dont il reste à parler. Un fleuve tumultueux semble emporter les faveurs et les ramener en temps voulu ; mais les péchés sont comme une boue, ils semblent s’aviver sans cesse dans la mémoire, et c’est une fort grande croix.
  3. Je connais une personne qui voulait mourir pour voir Dieu, mais elle le désirait en outre pour ne pas endurer le chagrin constant d’avoir été ingrate envers Celui à qui elle avait dû et devrait toujours tant ; ainsi, elle imaginait que personne ne l’égalait en malignité, puisque à ce qu’elle comprenait, jamais Dieu n’avait accordé plus de faveurs qu’à elle, ni montré plus de clémence envers quiconque. Quant à la peur de l’enfer, ces âmes n’en ont aucune. L’idée de perdre Dieu les oppresse parfois durement, mais rarement. Leur plus grande crainte est d’offenser Dieu au cas où il cesserait de les tenir par la main, et de se retrouver dans le misérable état où elles ont vécu naguère ; mais elles ne se soucient ni de leur propre peine ni de leur propre gloire ; si elles souhaitent ne pas rester longtemps au purgatoire, c’est pour ne pas être privées de Dieu le temps qu’elles y passeraient, bien plus que par crainte des peines qu’elles devront y subir.
  4. L’âme la plus favorisée par Dieu ne serait pas, ce me semble, en sûreté, si elle oubliait le temps où elle a vécu dans ce misérable état ; c’est pénible, mais profitable pour beaucoup d’entre elles. J’ai été si vile que telle est peut-être la cause pour laquelle cela me revient sans cesse en mémoire ; celles qui ont bien vécu n’ont sans doute pas de regrets, quoi qu’il y ait toujours des défaillances tant que nous sommes dans notre corps mortel. La pensée que Notre-Seigneur nous a déjà pardonné et qu’il a oublié nos péchés n’allège nullement cette peine ; tant de bonté l’aggrave plutôt, et de le voir accorder des faveurs à quelqu’un qui ne mériterait que l’enfer. Tel fut, ce me semble, le grand martyr de saint Pierre et de la Madeleine ; leur amour était si grand, ils avaient reçu tant de grâces, ils avaient si bien la notion de la grandeur et de la majesté de Dieu, que leur souffrance dut être fort rude, et mêlée de bien tendres regrets.
  5. Vous allez croire encore que la personne qui jouit de choses aussi hautes ne méditera pas sur les mystères de l’Humanité très sacrée de Notre-Seigneur Jésus- Christ, puisque tout entière consacrée à l’amour. J’ai longuement écrit ailleurs sur ce sujets (Autobiographie, chp. 22), bien qu’on m’ait opposé que je n’y comprenais rien, que ce sont-là des chemins par lesquels Notre-Seigneur nous conduit, et qu’une fois faits les premiers pas, mieux vaut s’occuper des choses de la Divinité et fuir les choses corporelles, on ne me fera pas confesser que tel soit le bon chemin. Il se peut que je me trompe, et que nous disions tous la même chose ; mais j’ai vu le démon chercher à me tromper par ce moyen, je suis donc si bien échaudée que malgré que j’en aie parlé souvent (Autobiographie, chap. 23 et 24), je crois bon de le répéter ici pour que vous vous teniez sur vos gardes ; et considérez que j’ose vous dire de ne pas croire ceux qui parleraient autrement. Je vais tâcher de me faire mieux comprendre que je ne l’ai fait jusqu’ici, car si quelqu’un, d’aventure, a écrit sur ce sujet, il s’est peut-être d’autant mieux exprimé qu’il l’a fait plus longuement ; tout nous dire à la fois, brièvement, à nous qui ne comprenons pas grand-chose, peut faire grand mal.
  6. Certaines âmes croiront peut-être aussi qu’il leur est impossible de penser à la Passion ; dans ce cas, elles pourront moins encore penser à la Très Sainte Vierge, ni à la vie des Saints, dont la mémoire nous est si profitable et si encourageante. Je ne puis imaginer à quoi elles songent, car l’éloignement de toute chose corporelle est le fait d’esprits angéliques toujours enflammés d’amour, alors que nous, qui vivons dans un corps mortel, nous avons besoin du commerce, de la pensée, de la société de ceux qui, dans ce corps, ont réalisé pour Dieu de si hauts faits ; nous devons d’autant moins travailler à nous écarter de notre plus grand bien, de notre remède le plus efficace, qui est l’Humanité sacrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J’imagine que ces âmes ne se comportent ainsi que par ignorance, car elles se nuiront et nuiront aux autres. Je leur certifie, du moins, qu’elles ne pénétreront pas dans les deux dernières Demeures, car si elles s’éloignent du guide, qui est le bon Jésus, elles n’en trouveront pas le chemin ; ce sera déjà beaucoup si elles sont assurées de se maintenir dans les Demeures précédentes. Le Seigneur dit lui-même qu’il est  » le chemin  » (Jn 14,6) ; Il dit aussi qu’il est  » la lumière  » et que nul ne peut aller au Père que par luit ; et  » si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père « . On prétendra qu’on donne un autre sens à ces paroles. J’ignore ces autres sens ; je me suis toujours bien trouver de celui-là, et mon âme sent que telle est la vérité.
  7. Certaines âmes – et nombreuses sont celles qui s’en sont ouvertes à moi – dès que Notre-Seigneur leur accorde la contemplation parfaite, voudraient y demeurer toujours, et ce n’est pas possible ; mais cette faveur du Seigneur les rend inaptes à réfléchir aux mystères de la Passion et de la vie du Christ comme elles le faisaient auparavant. J’ignore pourquoi, mais il est très fréquent que l’entendement soit alors moins habile à la méditation. Cela, à ce que je crois, doit venir de ce que l’âme, sachant que la méditation consiste à chercher Dieu, ne veut plus fatiguer son entendement une fois qu’elle l’a trouve, et qu’elle s’est accoutumée, par un acte de volonté, à le chercher à nouveau. Il m’apparaît aussi que lorsque la volonté est ardente, cette puissance généreuse ne veut plus, autant que possible, se servir de l’entendement ; elle n’a pas tort, mais n’y parviendra pas, du moins jusqu’à ce qu’elle ait atteint ces dernières Demeures, et elle perdra du temps ; car l’aide de l’entendement est souvent nécessaire pour enflammer la volonté.
  8. Remarquez ce point, mes sœurs, il est d’importance, c’est pourquoi je veux l’expliquer plus à fond. L’âme voudrait se vouer tout entière à l’amour, elle voudrait ne s’occuper de rien d’autre, mais elle a beau le vouloir, elle ne le pourra pas ; car bien que la volonté ne soit pas morte, le feu qui l’enflamme parfois est mourant, il faut que quelqu’un souffle dessus pour qu’il projette sa chaleur. Serait-il bon pour l’âme de rester dans cette sécheresse, en attendant, comme notre P. Élie, que le feu du ciel brûle ce sacrifice qu’elle fait d’elle-même à Dieu ? Non, certes ; il ne sied pas d’attendre des miracles. Le Seigneur en fait pour cette âme quand il veut, comme je l’ai dit et le dirai ; mais Sa Majesté veut que nous nous jugions assez vils pour ne pas les mériter, et que nous nous aidions nous-mêmes autant que nous le pouvons. Je crois, quant à moi, que cela nous est nécessaire jusqu’à notre mort, si haute que soit notre oraison.
  9. A la vérité, l’âme que le Seigneur introduit dans la septième Demeure n’aura besoin que rarement, ou presque jamais, de faire de telles démarches, pour les raisons que je donnerai en temps utile, si j’y pense ; elle se fait une habitude de ne pas s’éloigner du Christ Notre-Seigneur, elle s’attache à ses pas selon un mode admirable par lequel, humain et divin à la fois, il demeure en sa compagnie. Donc, quand le feu dont nous avons parlé n’est pas allumé dans la volonté et qu’on ne sent pas la présence de Dieu, il nous est nécessaire de la chercher ; Sa Majesté veut que nous suivions l’exemple de l’épouse des Cantiques, et, comme le dit saint Augustin dans ses Méditations ou ses Confessions, que nous demandions aux créatures qui les a faites, au lieu de perdre notre temps à attendre, tout hébétés, ce qui nous a été donné une fois. Car, au début, il est possible qu’un an ou même plusieurs années se passent sans que le Seigneur ne nous accorde rien ; Sa Majesté sait pourquoi ; nous n’avons pas à chercher à le savoir, c’est sans objet. Puisque les commandements et les conseils nous montrent par quelles voies nous pouvons contenter Dieu, suivons les fort diligemment, pensons à sa vie, à sa mort, à tout ce que nous lui devons ; et vienne le reste quand le Seigneur le voudra.
  10. C’est alors que ces personnes me répondent qu’elles ne peuvent s’arrêter à ces choses-là, et d’après ce que j’ai déjà dit, elles ont peut-être raison sous certains aspects. Vous savez que réfléchir à l’aide de l’entendement est une chose, et que la représentation de vérités que la mémoire fait à l’entendement en est une autre. Vous vous dites, peut-être, que vous ne me comprenez pas, et il est probablement vrai que je ne sais pas m’expliquer, faute de comprendre moi-même ; mais j’en parlerai comme je le pourrai. J’appelle méditation les nombreuses réflexions à l’aide de l’entendement de la manière suivante : nous commençons par penser à la grâce que Dieu nous fit en nous donnant son Fils unique, et nous n’en resterons pas là, nous irons jusqu’aux mystères de toute sa glorieuse vie ; ou commençant par la prière au Jardin des Oliviers, notre entendement ne s’arrêtera point jusqu’à la mise en croix ; ou, choisissant une scène de la passion, disons l’arrestation, nous suivons ce mystère en considérant par le menu tout ce qu’on peut en penser et sentir, la trahison de Judas aussi bien que la fuite des Apôtres, et tout le reste ; c’est une admirable et très méritoire oraison.
  11. Telle est celle que l’âme amenée par Dieu aux choses surnaturelles et à la contemplation parfaite prétend impraticable, peut-être avec raison ; j’ignore pourquoi, comme je l’ai dit, mais, d’ordinaire, elle en est incapable. Elle n’a néanmoins pas raison lorsqu’elle dit qu’elle ne s’arrête pas à ces mystères, qu’ils ne sont pas fort souvent présents à son esprit, en particulier lorsque l’Église Catholique les célèbre ; il est également impossible que l’âme qui a tant reçu de Dieu oublie des témoignages d’amour si précieux, ces vives étincelles qui l’enflammeront pour Notre-Seigneur d’un amour grandissant ; elle ne se comprend pas elle- même, mais l’âme comprend plus parfaitement ces mystères. L’entendement les lui montre, et ils se gravent dans la mémoire de telle façon que de voir le Seigneur prostré au Jardin des Oliviers, couvert de cette effroyable sueur, lui suffit non seulement pour une heure de considération, mais pour de longs jours ; l’âme voit, d’un seul regard, qui il est, elle mesure l’ampleur de notre ingratitude devant de si grandes souffrances ; la volonté intervient, et même si elle ne s’attendrit point, elle désire apporter son tribut à une si grande grâce, souffrir pour celui qui a tant souffert, et autres choses semblables, qui occupent la mémoire et l’entendement. Telle est, ce me semble, la raison pour laquelle elle ne peut méditer plus longuement sur la Passion, ce qui l’incline à croire qu’elle ne peut y penser.
  12. Mais si elle ne le fait pas, il est bon qu’elle cherche à le faire, et je sais que la très haute oraison ne l’en empêchera pas ; je n’approuve point qu’elle ne s’y applique pas très souvent. Si, partant de là, le Seigneur la ravit en extase, à la bonne heure car, même malgré elle, il l’obligera à abandonner ce qui l’occupait. Je tiens pour certain que ce procédé n’est pas une gêne pour l’âme, il l’aide à atteindre la plénitude de ses biens ; mais l’effort de réflexion dont j’ai parlé au début en serait une ; à mon avis, celle qui a déjà obtenu de plus hautes faveurs en est incapable. C’est pourtant possible, car Dieu conduit les âmes par bien des chemins, mais qu’on ne condamne pas celles qui ne pourraient suivre celui-là, qu’on ne les juge pas inaptes à jouir des si grands bienfaits qu’enferment les mystères de Jésus- Christ, notre bien ; et personne ne me fera admettre, si spirituel soit-il, qu’il avancera bien sur cette voie.
  13. Il est des âmes qui ont pour principe, lorsqu’elles arrivent a l’oraison de quiétude et à goûter les régals et délices qu’accorde le Seigneur, de croire que c’est une grande chose que de ne rien faire d’autre que de les savourer, et que c’est même le moyen d’y parvenir. Mais croyez-moi, ne vous laissez pas inhiber à ce point comme je l’ai déjà dit ailleurs, la vie est longue, les épreuves nombreuses, et nous devons considérer comment notre modèle le Christ les a endurées, et même ses Apôtres, ses Saints, afin de les supporter avec perfection. C’est une bonne compagnie que celle du bon Jésus, ne nous en écartons pas, ni de sa très sainte Mère, il aime beaucoup que nous compatissions à ses peines, même si cela nous oblige parfois à renoncer à nos satisfactions et à notre bon plaisir. D’autant plus, mes filles, que les délices dans l’oraison ne sont pas si fréquentes qu’il n’y ait du temps pour tout; celle qui prétendrait que c’est permanent et qu’elle ne peut jamais faire ce qui fut dit me semblerait suspecte ; faites-le donc, tâchez de ne pas persévérer dans cette erreur, et cherchez de toutes vos forces à sortir de l’inhibition ; si vous n’y arrivez pas de vous-même, il faut le dire à la prieure pour qu’elle vous donne un Office assez absorbant pour écarter ce danger ; car le danger serait grand, du moins pour le cerveau et la tête, si cet état se prolongeait.
  14. Je crois avoir fait comprendre combien il importe, si spirituel qu’on soit, de ne pas fuir les choses corporelles au point d’imaginer que la Très Sainte Humanité elle-même nous fait du mal. On allègue que le Seigneur a dit à ses disciples qu’il valait mieux qu’il parte (Jn 16,7). Je ne puis souffrir cela. Tant et si bien qu’il ne l’a pas dit à sa Mère très sainte car elle était ferme dans sa foi, le sachant Dieu et homme ; et quoiqu’elle l’aimât plus qu’eux, cette idée l’y aidait, si parfait était son amour. Les Apôtres n’étaient sans doute pas aussi affermis dans la foi qu’ils le furent plus tard et que nous avons raison de l’être aujourd’hui. Je vous le dis, mes filles, j’estime que c’est un chemin dangereux, le démon pourrait ainsi en arriver à vous faire perdre la dévotion au Très Saint-Sacrement.
  15. L’erreur dans laquelle je crois m’être trouvée n’alla pas jusque-là, mais je n’aimais pas à penser longuement à Notre Seigneur, je préférais l’inhibition dans laquelle j’attendais ce régal. Et je vis clairement que j’étais dans la mauvaise voie ; dans l’impossibilité de passer toute ma vie dans ces délices, ma pensée allait de-ci de-là, mon âme, ce me semble, voletait comme un oiseau qui ne sait où se poser et perdait beaucoup de temps, sans progresser dans la vertu ni avancer dans l’oraison. Je n’en voyais pas la cause, et j’eusse été, à ce que je crois, incapable de la comprendre, puisque cela me semblait très juste, jusqu’au jour où je parlai de mon mode d’oraison à une personne servante de Dieu, qui m’avertit. Je vis clairement par la suite combien je me trompais, et je ne regretterai jamais assez qu’il y ait eu un temps où j’ai omis de comprendre ce dont une si grande perte pouvait me priver ; et quand même de grands biens seraient à ma portée, je n’en veux aucun, sauf ceux que je puis acquérir de celui dont nous sont venus tous les biens. Qu’il soit loué à jamais. Amen.

CHAPITRE VIII – Comment Dieu se communique à l’âme par la vision intellectuelle, et donne quelques avis. Des effets de cette vision quand elle est vraie, et du secret qu’il faut garder sur ces faveurs.

  1. Pour que vous vous voyez plus clairement, mes sœurs, la vérité de ce que je vous ai dit, et que plus une âme progresse, plus elle vit dans la compagnie de ce bon Jésus, il conviendra de dire comment, lorsque Sa Majesté le veut, il nous est impossible de suivre notre chemin autrement qu’avec Elle : on le voit claire-
    ment d’après les façons et manières qu’emploie Sa Majesté pour se communiquer à nous et nous témoigner l’amour qu’Elle nous porte par quelques admirables apparitions et visions. Au cas où Dieu vous accorderait l’une de ces faveurs, n’en soyez pas effrayées ; je vais vous résumer quelques-unes de ces choses, si le Seigneur consent à ce que j’y réussisse, afin que même s’il ne nous les accorde pas personnellement, nous le louions très haut de bien vouloir se communiquer ainsi à l’une de ses créatures, Lui qui a tant de majesté et de puissance.
  2. Alors que l’âme ne songe pas qu’on puisse lui accorder cette faveur que jamais elle n’a pensé mériter, il lui arrive de sentir près d’elle Jésus-Christ Notre- Seigneur, sans toutefois le voir ni des yeux du corps ni de ceux de l’âme. On appelle cela une vision intellectuelle, je ne sais pourquoi. La personne à qui Dieu fit cette faveur, ainsi que d’autres dont je parlerai plus avant, je l’ai vue fort ennuyée au début ; elle ne comprenait pas ce qu’il en était parce qu’elle ne voyait rien, mais elle était si certaine que Jésus-Christ Notre-Seigneur se montrait affectueusement à elle de cette façon qu’elle ne pouvait en douter, je dis bien qu’elle ne pouvait douter de cette vision. Elle se demandait si elle venait de Dieu ou non, et malgré les grands effets qui l’accompagnaient et lui faisaient comprendre qu’il s’agissait de Dieu, elle avait encore peur ; jamais elle n’avait entendu parler de vision intellectuelle ni songé que cela existât ; mais il était très clair pour elle que c’est ce Seigneur qui lui parlait fort souvent, de la manière que j’ai dite ; jusqu’au jour où il lui fit cette faveur elle n’avait jamais su qui lui parlait, bien qu’elle comprît les paroles.
  3. Je sais qu’effrayée par cette vision (qui se prolonge plusieurs jours, et même parfois pendant plus d’un an, contrairement à la vision imaginaire qui s’évanouit vite), elle alla trouver son confesseur, fort inquiète. Il l’interrogea : puisqu’elle ne voyait rien, comment pouvait-elle savoir que c’était Notre-Seigneur ? Et il lui demanda quel visage il avait. Elle lui dit qu’elle n’en savait rien, qu’elle ne voyait pas de visage, qu’elle ne pouvait rien ajouter, qu’elle savait seulement qu’il lui parlait, et que ce n’était pas une idée qu’elle se faisait. Bien qu’on l’effrayât fort, il était encore très fréquent qu’elle ne puisse avoir de doutes, surtout quand il lui disait :  » N’aie pas peur, c’est moi « . Telle était la puissance de ces paroles qu’aucun doute ne pouvait alors subsister, elle restait vaillante et joyeuse, en si bonne compagnie ; elle voyait clairement combien cela l’aidait à vivre dans l’habituelle pensée de Dieu et la grande préoccupation de ne rien faire qui Lui déplaise, car il lui semblait qu’il la regardait sans cesse. Et toujours, quand elle voulait s’adresser à Sa Majesté dans l’oraison, et même sans cela, Dieu lui semblait si proche qu’elle ne pouvait manquer de l’entendre ; toutefois elle n’entendait pas de paroles quand elle le voulait, mais inopinément, quand c’était nécessaire. Elle sentait la présence du Seigneur à sa droite, pas à l’aide des sens qui nous font percevoir quelqu’un à côté de nous, mais par une voie plus subtile, qu’on ne doit pas pouvoir définir, aussi certaine, et qui apporte même une bien plus grande certitude ; car on pourrait, ici-bas, se forger des idées, mais point en ce qui nous apporte des gains et effets intérieurs qui seraient inconcevables s’il s’agissait de mélancolie ; le démon lui non plus ne ferait pas tant de bien, l’âme ne vivrait pas dans une telle paix, dans le si constant désir de contenter Dieu, avec tant de mépris pour tout ce qui ne la rapproche pas de lui. On comprit plus tard qu’il ne s’agissait pas du démon, ce fut démontré de plus en plus clairement.
  4. Malgré tout, je sais qu’elle était par moments fort craintive, ou dans une immense confusion, puisqu’elle ne savait pas d’où pouvait lui venir tout ce bien (Autobiographie, chap. 27). Comme nous ne faisons qu’une, elle et moi, rien ne se passait dans son âme que je puisse ignorer, je puis donc être un bon témoin et vous pouvez croire que tout ce que je dis à ce propos est vrai. Cette faveur du Seigneur apporte avec elle une confusion et une humilité infinies. Si elle venait du démon, ce serait tout le contraire. Et comme, notoirement, cela vient de Dieu, nul effort humain ne pourrait nous la faire éprouver ; l’âme qui la reçoit ne peut absolument pas penser que cette faveur lui appartient en propre, mais qu’elle lui est donnée par la main de Dieu. Et bien qu’à mon avis certaines des faveurs dont j’ai parlé soient plus importantes, celle-ci apporte une connaissance particulière de Dieu, il naît de cette compagnie constante un amour infiniment tendre pour Sa Majesté, et, comparé à ce que j’ai déjà dit, le désir encore plus vif de se consacrer tout entière à la servir, joint à une grande limpidité de conscience ; cette présence auprès d’elle rend l’âme attentive. Car bien que nous sachions que Dieu voit tout ce que nous faisons, notre nature est telle que nous négligeons d’y penser : l’âme dont nous parlons ne peut le négliger, le Seigneur qui est auprès d’elle la tient en éveil. Et les faveurs dont nous avons parlé sont même beaucoup plus fréquentes, puisque l’âme vit à peu près constamment dans l’amour actuel de celui qu’elle voit ou sent auprès d’elle.
  5. Enfin, l’âme reconnaît aux profits qu’elle obtient l’immensité de cette grâce et son très grand prix, elle est reconnaissante au Seigneur qui la lui accorde alors qu’elle ne la mérite point, et elle ne l’échangerait contre aucun trésor ni délice du monde. Donc, quand il plaît au Seigneur de la lui retirer, elle se sent fort seule, mais toute la diligence qu’elle pourrait déployer pour retrouver cette compagnie ne lui sert guère ; le Seigneur l’accorde quand Il veut, on ne peut l’acquérir. Parfois, aussi, c’est la compagnie d’un saint, qui lui est également fort profitable.
  6. Vous demanderez comment on comprend quand c’est le Christ, sa Mère très glorieuse, ou un saint, puisqu’on ne voit rien. L’âme ne saurait le dire, elle ne peut comprendre comment elle le comprend, mais elle en a l’immense certitude. Cela semble déjà plus facile lorsque le Seigneur parle ; mais le saint qui ne parle pas, et qui paraît avoir été placé là par le Seigneur pour aider cette âme, est plus surprenant. Il en est ainsi d’autres choses spirituelles qu’on ne saurait exprimer, mais qui nous montrent combien notre nature est basse quand il s’agit de comprendre les grandes grandeurs de Dieu, puisque ses faveurs mêmes nous sont incompréhensibles ; reste à qui les reçoit de vivre dans l’admiration de Sa Majesté et sa louange ; que cette âme remercie particulièrement Dieu de ces grâces, il ne les accorde pas à tout le monde, elle doit les estimer hautement et chercher à mieux servir Dieu, qui l’y aide de tant de façons. C’est pourquoi cette âme ne s’en prisera pas davantage, elle se jugera même la personne du monde la moins utile au service de Dieu ; il lui semblera toutefois qu’elle y est plus obligée que quiconque, la moindre de ses fautes lui transperce les entrailles, à bien juste titre.
  7. Ces effets produits sur l’âme dont je viens de parler pourront aider n’importe laquelle d’entre vous que le Seigneur conduirait par cette voie à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un leurre ni d’une idée qu’elle se forgerait ; car, comme je l’ai dit, je ne crois pas qu’il soit possible que cette faveur se prolonge ainsi si elle vient du démon, qu’elle soit si notoirement profitable à l’âme et qu’elle l’amène à vivre dans une telle paix intérieure ; ça n’est pas dans ses habitudes, et même s’il le voulait quelqu’un de si mauvais ne peut faire tant de bien ; il y aurait bientôt des fumées d’amour-propre, cette âme se croirait meilleure que les autres. Tandis que la vue d’une âme toujours si fortement attachée à Dieu qu’il occupe seul sa pensée causerait au démon une telle rage que même s’il essayait, il ne recommencerait pas souvent ; et Dieu est si fidèle qu’il ne lui permettrait pas d’en user si librement avec l’âme qui ne prétend à rien d’autre qu’à plaire à Sa Majesté, à exposer sa vie pour son honneur et sa gloire, mais Elle ordonnerait bientôt de la détromper.
  8. Ma marotte est et sera de dire qu’à condition que l’âme, comme je l’ai marqué ici, : se conforme aux effets que ces faveurs de Dieu produisent en elle, même si Sa Majesté permettait parfois au démon de l’assaillir, Elle lui donnera la victoire, et il sera confondu. Donc, mes filles, si l’une d’entre vous suivait ce chemin, ne vivez pas dans l’épouvante. Il est bon d’avoir des craintes, et de mieux nous tenir sur nos gardes ; ne soyez pas trop confiantes, car favorisées comme vous l’êtes, vous risqueriez d’être négligentes : ce serait le signe que les faveurs ne viennent pas de Dieu, si vous ne voyiez pas en vous les effets dont j’ai parlé. Il est bon que vous vous en ouvriez au début en confession à un fort bon théologien, ce sont eux qui doivent nous éclairer, ou, à défaut, à une personne de grande spiritualité ; au cas où elle ne le serait point, le très bon théologien est préférable ; si vous le pouvez, parlez en à l’un et à l’autre. Et s’ils vous disaient que vous vous faites des idées, ne vous inquiétez pas, les idées ne peuvent guère faire de bien ou de mal à votre âme, recommandez-vous à la divine Majesté, demandez-lui de ne pas permettre qu’on vous trompe. S’ils vous disaient que cela vient du démon, votre épreuve sera plus grave ; un bon théologien ne vous le dira pas, si les effets indiqués existent ; s’il le disait, je sais que le Seigneur lui-même, qui vous accompagne, vous consolera et vous rassurera, et il donnera ses lumières au théologien pour qu’il vous les transmette.
  9. S’il s’agit de quelqu’un qui, bien qu’homme d’oraison, n’est pas conduit par le Seigneur par la même voie que vous, il s’en étonnera et la condamnera. C’est pourquoi je conseille de le choisir très docte, en même temps, si possible, que d’une grande spiritualité ; la prieure devra vous y autoriser, car bien qu’une vie excellente montre que l’âme est en sûreté, la prieure est obligée de lui permettre de s’ouvrir à quelqu’un, pour qu’elles soient rassurées toutes les deux. Quand elle aura vu ces personnes, qu’elle s’apaise et cesse de faire part de ce qui lui advient ; car il arrive que sans qu’il y ait lieu d’avoir peur, le démon inspire des craintes si excessives que l’âme est persécutée et tourmentée (Autobiographie, chap. 28). Elle croit que tout a été tenu secret, et découvre que c’est public ; il s’ensuit pour elle de pénibles épreuves qui pourraient atteindre l’Ordre, étant donné les temps que nous vivons. Il faut donc être fort avisée, je le recommande vivement aux prieures.
  10. Mais la prieure ne doit pas imaginer que la sœur qui reçoit ces choses vaut mieux que les autres : le Seigneur conduit chacune d’elles de la manière qui lui semble utile. Elles la prédisposent à devenir une grande servante de Dieu, si elle s’aide elle-même, mais il arrive que Dieu conduise les plus faibles dans cette voie. Il n’y a donc nul motif d’approuver ni de condamner, mais de considérer les vertus ; la plus sainte de toutes sera celle qui servira Notre-Seigneur avec le plus de pénitence, d’humilité et de pureté de conscience, mais on ne peut guère s’en assurer ici-bas, jusqu’à ce que le véritable Juge donne à chacun selon ses mérites. Nous nous étonnerons alors de voir combien son jugement diffère de nos opinions d’ici-bas. Qu’il soit loué à jamais. Amen.

CHAPITRE IX – De la façon dont le Seigneur se communique à l’âme dans la vision imaginaire. Mise en garde, appuyée de raisons, contre le désir d’emprunter cette voie. Chapitre fort profitable.

  1. Venons-en maintenant aux visions imaginaires, dont on dit que le démon peut davantage s’y immiscer que dans celles dont nous avons parlé, ce qui doit être vrai ; mais quand elles viennent de Notre-Seigneur, elles me semblent sous certains aspects plus profitables, parce que plus conformes à notre nature ; à l’exception de celles que le Seigneur nous fait connaître dans la dernière Demeure, aucune ne peut leur être comparer.
  2. Considérons donc, comme je vous l’ai dit dans le chapitre précèdent, qu’il en est de ce Seigneur comme d’un objet en or dans lequel nous garderions une pierre précieuse d’immense valeur et douée de toutes sortes de vertus, sans l’avoir jamais vue ; nous avons toutefois l’absolue certitude qu’elle est là, car les vertus de la pierre ne manquent pas d’agir efficacement, si nous la portons sur nous. Sans l’avoir jamais vue, nous ne manquons pas de l’apprécier, l’expérience nous a montré qu’elle a la propriété de nous guérir de certaines maladies. Mais nous n’osons pas la regarder, nous ne pouvons pas non plus ouvrir le reliquaire celui à qui appartient le joyau est seul à savoir comment il s’ouvre, nous l’a prêté pour que nous en usions, mais il en a gardé la clef ; il ouvrira le coffret qui lui appartient quand il voudra nous montrer la pierre, il la reprendra même quand il le jugera bon, es ce qu’il fait.
  3. Disons tout de suite qu’il lui plaît parfois de l’ouvrir soudain pour le plus grand bien de la personne à qui il l’a prêté. Il est clair que sa joie sera bien plus grande lorsqu’elle se rappellera la splendeur de la pierre, mieux gravée ainsi dans sa mémoire. Il en est de même ici : quand Notre-Seigneur consent à mieux choyer cette âme, il lui montre clairement son Humanité Sacrée sous un aspect de son choix, soit tel qu’il fut dans le monde, ou après sa résurrection. Et bien que cela se produise à une vitesse que nous pourrions comparer à celle de l’éclair, cette image suprêmement glorieuse se grave si profondément dans l’imagination que j’estime impossible qu’elle s’efface, jusqu’à ce que cette âme la voie dans le séjour où elle pourra en jouir a jamais.
  4. Je dis image, mais il s’entend que la personne qui la voit n’a pas le sentiment qu’elle est peinte, mais vraiment vivante ; et parfois, elle parle à l’âme, elle lui révèle même de grands secrets. Mais vous devez comprendre que bien que cela dure quelques instants, on ne peut pas plus regarder cette vision qu’on peut regarder le soleil, elle passe donc très rapidement. Toutefois, son éclat, comme l’éclat du soleil, ne blesse pas la vue intérieure, qui voit tout cela ; (je ne saurais rien dire de la vision perçue par la vue extérieure, la personne que j’évoque et dont je puis parler si particulièrement n’est pas passée par là, et il est difficile de rendre compte exactement de ce dont on n’a pas l’expérience), cet éclat est comme une lumière infuse, celle d’un soleil couvert de quelque chose d’extrêmement subtil, comme un diamant, si on pouvait le tailler. Son vêtement semble de toile de Hollande, et presque toujours, lorsque Dieu fait cette faveur à l’âme, elle tombe en extase, car sa bassesse ne peut souffrir une vision aussi effrayante.
  5. Je dis effrayante, car bien qu’elle soit la plus belle et la plus délectable qu’on puisse imaginer, même si on s’employait à y penser pendant mille années d’existence, (elle dépasse de beaucoup tout ce que conçoivent notre imagination et notre entendement), cette présence est d’une majesté si grandiose que l’effroi s’empare de l’âme. Nul besoin n’est de demander ici comment elle sait qui se montre à elle sans qu’on le lui ait dit, elle reconnaît bien Celui qui est le Seigneur du Ciel et de la terre, tandis que les rois de ce monde sembleraient bien peu de chose par eux-mêmes, si leur suite ne les accompagnait, s’ils ne disaient qui ils sont.
  6. Ô Seigneur ! comme nous vous méconnaissons, nous, chrétiens ! Que sera-ce le jour où vous viendrez nous juger ; puisque lorsque vous venez avec tant d’amitié visiter votre épouse, votre vue cause tant de crainte ? Ô mes filles, que sera-ce quand d’une voix si rigoureuse il dira :
    Allez, maudits de mon Père !  » (Mt 25,41)
  7. Gardons dès maintenant en mémoire que cette faveur que Dieu fait à l’âme n’est pas le moindre des bienfaits ; saint Jérôme, si saint qu’il fut, n’en éloignait jamais le souvenir, et si nous faisons de même, tout ce que nous pouvons souffrir ici des rigueurs de notre Ordre ne nous pèsera point ; même si cela dure longtemps, ce n’est qu’un moment, comparé à l’éternité. Je vous dis en vérité que si vile que je sois, je n’ai jamais eu peur des tourments de l’enfer ; songeant que les damnés doivent voir pleins de colère les yeux si beaux, si paisibles, si bénins du Seigneur, il me semblait que mon cœur ne pourrait le supporter, en comparaison les tourments ne m’étaient rien ; il en fut ainsi toute ma vie. Combien plus grande encore doit être la crainte de la personne à qui il s’est montré ainsi, et qui éprouve un sentiment si vif qu’elle en perd le sens ! Telle doit être la cause de la suspension des puissances ; le Seigneur vient en aide à sa faiblesse en l’unissant à Sa grandeur dans cette si haute communication avec Dieu.
  8. Lorsque l’âme peut regarder longuement ce Seigneur, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une vision, mais d’une sorte de véhémente considération de certaine figure forgée par l’imagination ; une chose morte, en comparaison avec cette autre vision.
  9. Il est des personnes, et je sais que c’est vrai car nombreuses, sont celles qui m’en ont parlé, pas seulement trois ou quatre, dont l’imagination est si faible, l’entendement si efficace, ou je ne sais quoi, qu’elles s’abandonnent totalement à l’imagination, et croient voir clairement tout ce qu’elles pensent ; si elles avaient vu la vraie vision, elles comprendraient, sans aucun doute possible, qu’elles se leurrent ; car elles composent elles-mêmes ce que leur imagination évoque sans que nul effet ne s’ensuive ; elles restent froides, bien plus que si elles voyaient une image pieuse. Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas d’en faire cas, on l’oublié donc beaucoup plus vite qu’un rêve.
  10. Il n’en est pas ainsi de la vision dont nous parlons, l’âme est trés éloignée de l’idée de voir quelque chose, cela ne lui vient pas à l’esprit, et soudain la vision se présente tout entière, une grande crainte, une grande agitation bouleversent toutes les puissances et les sens mais elle les installe aussitôt dans cette paix bienheureuse. De même que lorsque saint Paul fut terrassé (Ac 9,3-4) il y eut tempête et agitation au ciel, ici, dans le monde intérieur, un grand mouvement se produit ; et immédiatement, comme je l’ai dit, tout s’apaise, et cette âme est instruite de si grandes vérités qu’elle n’a plus besoin d’un autre maître ; la vraie sagesse, sans travail de sa part, l’a tirée de son ignorance ; et l’âme garde un certain temps la certitude que cette faveur vient de Dieu ; plus on lui dirait le contraire, moins on pourrait la persuader de craindre d’avoir été trompée. Plus tard, si le confesseur lui fait peur, Dieu la livre à elle-même et la laisse dans l’hésitation, ce serait possible, vu ses péchés, mais elle ne peut toutefois le croire, comme dans les tentations contre la foi où le démon peut agiter l’âme, qui n’en reste pas moins ferme dans sa croyance. Plus on la combat, donc, plus elle garde la certitude que le démon ne pourrait lui donner tous ces biens : et il en est ainsi, il n’a pas une telle puissance sur l’intérieur de l’âme ; il peut susciter une représentation, mais jamais avec cette vérité, cette majesté, ni ces effets.
  11. Comme les confesseurs ne peuvent voir cela, ils ont peur, à juste titre, d’autant plus qu’il se peut, d’aventure, que ceux à qui Dieu accorde cette faveur ne sachent pas en parler. Ils doivent être donc sur leurs gardes jusqu’à ce que, avec le temps, ces apparitions montrent leurs fruits, observer peu à peu ce que l’âme y gagne en humilité et en force dans la vertu ; car s’il s’agit du démon, il se montrera bientôt à des signes évidents, on le surprendra en mille mensonges. Si le confesseur a de l’expérience, s’il est passé par là, il aura tôt fait de tout comprendre ; au récit qu’on lui fera, il comprendra immédiatement si c’est Dieu, ou l’imagination, ou le démon ; en particulier si Sa Majesté lui a accordé de connaître les esprits ; s’il a ce don, et s’il est docte, même s’il n’a pas d’expérience il le verra très bien.
  12. Ce qui vous est fort nécessaire, mes sœurs, c’est beaucoup de simplicité et de sincérité envers votre confesseur ; je ne parle pas des péchés, cela va de soi, mais du récit que vous lui faites de votre oraison. A défaut, je n’affirmerais point que vous soyez en bonne voie, ni que c’est Dieu qui vous instruit ; car il aime beaucoup qu’envers celui qui le représente vous soyez aussi franche et aussi claire qu’envers lui-même, que vous ayez le même désir de lui faire comprendre toutes vos pensées, et d’autant plus vos œuvres, si petites soient-elles ! Cela fait, ne soyez ni troublées, ni inquiètes, car même si ces visions ne venaient pas de Dieu, si vous avez de l’humilité et une bonne conscience, elles ne vous nuiront point ; Sa Majesté sait tirer le bien du mal et les voies par lesquelles le démon voudrait vous perdre aboutirons à vous faire beaucoup gagner. En évoquant les grandes faveurs que Dieu vous accorde, vous chercherez à mieux le contenter et à garder son image présente à votre mémoire ; le démon, comme le disait un homme fort docte, est un grand peintre, s’il lui montrait une image du Seigneur d’une vive ressemblance, au lieu de s’en affliger, il s’en servirait pour aviver sa dévotion et ferait la guerre au démon en retournant contre lui sa propre malignité ; car même si un peintre est un mauvais homme, ça n’est pas une raison pour manquer de révérer l’image qu’il a peinte, si elle représente notre souverain Bien.
  13. Il jugeait fort sévèrement le conseil de faire les cornes que donnent certains ; il disait que partout où nous voyons notre Roi, nous devons le révérer (Autobiographie, chap. 29) ; je vois qu’il a raison, nous le regretterions nous-mêmes. Si une personne qui en aime bien une autre savait qu’elle outrage ainsi son portrait, cela ne lui plairait point. A plus forte raison, ne devons-nous pas toujours témoigner notre respect au crucifix quand nous le voyons, ou a n’importe quel portrait de notre Empereur ? Bien que j’aie déjà écrit cela ailleurs, je suis heureuse de le répéter ici, car j’ai été témoin de l’affliction d’une personne à qui on ordonnait d’employer ce moyen. Je ne sais qui l’a inventé pour tourmenter celle qui ne peut qu’obéir si un confesseur lui donne ce conseil, et qui croirait se perdre si elle ne le suivait pas. Si on vous le donnait, le mien serait que vous fassiez humblement part de ces raisons et que vous le repoussiez. Les bonnes raisons que quelqu’un m’a données m’ont parfaitement convenu dans ce cas.
  14. L’âme gagne beaucoup à cette faveur du Seigneur ; quand elle pense à lui, ou à sa vie et Passion, elle se rappelle son très paisible et beau visage, c’est une immense consolation ; de même nous aurions ici-bas une plus grande joie à voir une personne qui nous fait bien que si nous ne l’avions jamais connue. Je vous le dis, un si savoureux souvenir est fort consolant et profitable. Il apporte encore d’autres et nombreux bienfaits, mais j’ai déjà tant parlé des effets de ces choses, j’en parlerai encore si souvent, que je ne veux ni me lasser ni vous lasser ; toutefois, si vous savez, ou si vous entendez dire, que Dieu accorde ces faveurs aux âmes, je vous recommande de ne jamais le supplier de vous conduire par ce chemin, et de ne point le désirer, si bon qu’il vous paraisse ; il sied de l’apprécier et de le révérer hautement, mais il ne convient pas de le souhaiter, pour plusieurs raisons.
  15. Premièrement, c’est un manque d’humilité de vouloir qu’on vous donne ce que jamais vous n’avez mérité, je crois donc que celle qui le désirerait prouve qu’elle n’en a guère ; l’humilité est aussi éloignée de choses semblables qu’un simple laboureur l’est du désir d’être roi, jugeant que c’est impossible et qu’il ne le mérite point ; je crois que jamais cette âme ne les obtiendrait, car le Seigneur commence par donner une grande connaissance de soi à celle qui reçoit cette faveur. Comprendra-t-elle qu’en vérité, avec de telles pensées, le fait qu’elle ne soit pas en enfer est déjà une très grande faveur ? Deuxièmement, elle est bien certaine d’être leurrée, ou en grand danger de l’être, car il suffit au démon de voir une petite porte ouverte pour nous tendre mille pièges. Troisièmement, lorsqu’une personne a un désir très vif, l’imagination lui suggère qu’elle voit ce qu’elle désire, et elle l’écoute, comme ceux qui ont envie de quelque chose y pensent tellement le jour qu’il leur arrive d’en rêver. Quatrièmement, c’est de ma part une grande témérité que de vouloir choisir moi-même le chemin sans savoir quel est celui qui me convient le mieux, au lieu de laisser le Seigneur, qui me connaît, me conduire par celui qui convient, et où je ferai sa volonté en toutes choses. Cinquièmement, pensez-vous que ceux qui reçoivent ces faveurs du Seigneur n’ont guère à subir d’épreuves ? Non, au contraire, elles sont immenses, et de tous genres. Que savez- vous de votre aptitude à les endurer ? Sixièmement, vous pourriez perdre ainsi ce que vous aviez cru gagner, comme ce fut le cas pour Saül quand il devint roi.
  16. Enfin, mes sœurs, il y a d’autres raisons que celles-là ; et croyez-moi, le plus sûr est de ne vouloir que ce que Dieu veut, il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, et il nous aime. Remettons-nous entre ses mains pour que sa volonté s’accomplisse en nous ; nous ne pourrons errer, si nous nous en tenons toujours là avec une volonté bien déterminée. Vous devez remarquer que du fait de recevoir un grand nombre de ces faveurs on n’en mérite pas mieux le ciel, on est plutôt obligé à servir d’autant plus qu’on reçoit davantage. Quant à mieux acquérir des mérites, le Seigneur ne nous en empêche point, cela reste en nos mains ; beaucoup de saintes personnes, donc, n’ont jamais su ce que c’est que de recevoir l’une de ces faveurs, et d’autres, qui les reçoivent, ne sont pas des saintes. Ne pensez pas non plus que ces faveurs soient continuelles, mais des épreuves excessives les accompagnent, le Seigneur ne les accorderait-il qu’une seule fois ; l’âme oublie donc qu’elle pourrait en recevoir d’autres pour ne songer qu’à s’acquitter.
  17. Il est vrai que ces faveurs doivent aider immensément à rehausser la perfection des vertus ; mais celui qui les a gagnées au prix de son travail acquiert beaucoup plus de mérites. Je connais une personne à qui le Seigneur avait fait quelques-unes de ces faveurs, j’en connais même deux (l’une était un homme) ; elles étaient si désireuses de servir Sa Majesté à leurs dépens, sans ces grands régals, et si avides de souffrir qu’elles se plaignaient à Notre Seigneur qui les leur accordait, et si elles l’avaient pu, elles les auraient refusées. Je précise qu’elles auraient refusé les régals que le Seigneur donne dans la contemplation, mais pas ces visions, dont elles estimaient enfin les grands avantages.
  18. Ces désirs, il est vrai, aussi, sont surnaturels, me semble-t-il, et le fait d’âmes trés amoureuses, qui voudraient que le Seigneur voie qu’elles ne le servent pas pour la solde ; et comme je l’ai dit, jamais elles ne songent qu’elles doivent recevoir le ciel en échange de quoi que ce soit, ce n’est pas dans ce but qu’elles s’efforcent de mieux servir, mais pour satisfaire l’amour, dont la nature est d’agir toujours de mille manières. Si elles le pouvaient, elles chercherait à inventer comment y consumer leur âme ; et s’il leur fallait s’anéantir à jamais pour le plus grand honneur de Dieu, elles le feraient de bon cœur. Qu’il soit loué à jamais, amen, Lui, qui en s’abaissant pour communiquer avec de si misérables créatures, veut montrer sa grandeur.

CHAPITRE X – De plusieurs autres faveurs que Dieu accorde à l’âme par des moyens différents des précédents, et des grands avantages qu’elle en retire.

  1. Le Seigneur se communique à l’âme de beaucoup de manières dans ces apparitions ; parfois, quand elle est affligée ; d’autres, quand une grande épreuve l’attend ; d’autres, lorsque Sa Majesté veut trouver en elle ses délices, et la choyer. Il n’y a pas lieu de particulariser chaque chose, mon seul but est de faire comprendre les divers aspects de cette voie autant que je puis les connaître, afin que vous compreniez, mes sœurs, comment ils se présentent, et les effets qui s’ensuivent ; cela, pour que nous ne nous forgions pas l’idée que toute imagination est une vision ; et si c’est une vision, vous n’en serez ni agitées, ni affligées, sachant que c’est possible ; le démon gagne gros à ces agitations, il lui est très agréable de voir une âme affligée et inquiète, car cela l’empêche de s’employer tout entière à aimer et louer Dieu. Sa Majesté a d’autres moyens plus élevés de se communiquer aux âmes, et moins dangereux, le démon ne saurait les contrefaire, il est donc difficile d’en parler car c’est chose très occulte, alors qu’il est plus aisé de faire comprendre les vision imaginaires.
  2. Quand le Seigneur le veut, il arrive que l’âme, en oraison et en pleine possession de ses sens, soit soudain ravie dans une extase où le Seigneur lui fait comprendre de grands secrets qu’elle croit voir en Dieu lui-même. Ça n’est pas une vision de la très sainte Humanité, et même, bien que je dise qu’elle voit, elle ne voit rien ; ça n’est pas une vision imaginaire, mais tout intellectuelle, où elle découvre comment on voit toutes choses en Dieu, qui les contient toutes en lui. Cette vision est d’un grand profit, car bien qu’elle ne dure qu’un instant, elle se grave profondément, et cause une immense confusion ; on voit clairement qu’il est inique d’offenser Dieu puisque c’est en Dieu même, je dis bien contenus en Lui, que nous commettons nos grandes iniquités. Je vais m’aider d’une comparaison pour vous aider à comprendre, car bien qu’il en soit ainsi, et que nous en entendions souvent parler, nous n’y prenons pas garde, ou nous ne voulons pas comprendre ; car si nous comprenions ce qui en est, il nous serait, semble-t-il, impossible d’être aussi outrecuidants.
  3. Considérons donc que Dieu est comme une demeure, ou comme un palais, très grand et très beau, et que ce palais, comme je le dis, est Dieu lui-même. Le pécheur peut-il, d’aventure, pour se livrer à ses malignités, s’éloigner de ce palais ? Non, certes ; c’est-à-dire que dans le palais même, en Dieu lui-même, se donnent cours les abominations, les malhonnêtetés et méchancetés que nous commettons, nous, pécheurs. Ô chose redoutable et digne de grande considération, elle nous est bien utile, à nous qui savons peu de choses et qui n’arrivons pas à comprendre ces vérités, car une folle outrecuidance nous devient impossible ! Considérons, mes sœurs, la grande miséricorde et la patience dont Dieu fait preuve en ne nous confondant pas sur-le-champ ; rendons-lui d’immenses grâces, ayons honte de ressentir ce qu’on peut faire ou dire contre nous ; la plus grande iniquité au monde, c’est de voir tout ce que Dieu Notre Créateur souffre lui-même de la part de ses créatures, alors que souvent nous gardons grief d’un mot dit en notre absence, peut-être même sans mauvaise intention.
  4. Ô misère humaine ! Quand donc, mes filles, imiterons-nous un peu ce grand Dieu ? Oh ! ne nous figurons pas que ce soit quelque chose de souffrir les injures, mais passons sur tout cela de bien bon cœur, et aimons celui qui nous insulte ; car ce grand Dieu n’a pas cessé de nous aimer, nous, qui pourtant l’avons beaucoup offense, il a donc bien raison de vouloir que tout le monde pardonne, si grave que soit l’injure ! Je vous le dis, mes filles, bien que cette vision passe vite, l’âme à qui Notre-Seigneur l’accorde reçoit une grande faveur si elle veut en tirer profit et se la rappeler constamment.
  5. Il arrive aussi, soudain, par un procédé qu’on ne saurait décrire, que Dieu montre en lui-même une vérité qui semble obscurcir tout ce qu’on trouve de vérités dans les créatures, et qui fait clairement entendre qu’il est, Lui seul, la Vérité qui ne peut mentir ; et l’on comprend ce que dit David dans un psaume, que tout homme est menteurs (Ps 64,11) ; ce qu’on n’admettrait jamais autrement, même si on l’entendait répéter souvent. Il est la vérité infaillible. Je me rappelle Pilate, les nombreuses questions qu’il posait à Notre-Seigneur pendant sa passion, lui demandant ce qu’est la vérité (Jn 18,38), combien nous comprenons mal, ici-bas, cette Vérité suprême.
  6. Je voudrais pouvoir mieux vous faire entendre cet aspect, mais on ne peut en parler. Déduisons de cela, mes sœurs, qu’afin d’imiter moindrement notre Dieu et Époux, il sera bon de beaucoup nous exercer à vivre dans cette vérité. Je ne dis pas seulement que nous ne devons pas mentir, car, gloire à Dieu, je sais que dans ces maisons vous vous gardez bien de dire un mensonge pour rien du monde ; mais vivons dans la vérité devant Dieu et les gens, de toutes les façons possibles ; en particulier, en n’admettant pas qu’on nous tienne pour meilleures que nous le sommes, en rendant à Dieu ce qui lui revient de nos œuvres, en gardant pour nous ce qui est à nous, et en cherchant à toujours faire ressortir la vérité ; ainsi, nous mépriserons ce monde, qui n’est que mensonge et fausseté, et qui, comme tel, ne peut durer.
  7. Un jour où je me demandais pour quelle raison Notre-Seigneur aime tant cette vertu d’humilité, sans réflexion préalable ce me semble, ceci, soudain, me parut évident : Dieu est la suprême Vérité, et l’humilité, c’est être dans la vérité ; en voici une fort grande : nous n’avons de nous-mêmes rien de bon, nous ne sommes que misère, et néant ; quiconque ne comprend pas cela vit dans le mensonge. Plus on le comprend, plus on est agréable à la suprême Vérité, car on vit en elle. Plaise à Dieu, mes sœurs, de nous faire la grâce de ne jamais nous écarter de cette connaissance de nous-même. Amen.
  8. Ces grâces, Notre-Seigneur les accorde à l’âme comme à sa véritable épouse ; puisqu’elle est déjà décider à accomplir en toutes choses sa volonté, il veut lui donner un aperçu de la manière dont elle doit s’y soumettre, et de ses grandeurs. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus, j’ai parlé de ces deux choses parce que je les crois d’un grand profit ; nous n’avons pas à craindre ces choses-là, mais à louer le Seigneur qui les donne ; ni le démon, à mon avis, ni l’imagination, ne peuvent guère intervenir ici, l’âme reste donc dans une grande satisfaction.

Le château intérieur ou les demeures – Cinquièmes demeures

CHAPITRE – De la manière dont l’âme s’unit à Dieux dans l’oraison. A quoi on reconnaîtra que ce n’est pas un leurre.

  1. Ô mes sœurs, comment vous dire les richesses, et les trésors, et les délices qui se trouvent dans les cinquièmes Demeures. Je crois qu’il vaudrait mieux ne rien dire de celles dont je n’ai pas encore parlé, car on ne saurait les décrire, l’entendement ne saurait les comprendre, ni les comparaisons servir à les expliquer ; car les choses terrestres sont trop basses pour nous y aider. Envoyez, mon Seigneur, de la lumière du ciel pour que je puisse éclairer quelque peu vos servantes, (puisque vous consentez à ce que certaines d’entre elles jouissent ordinairement de ces délices), afin qu’elles ne soient pas induites en erreur au cas où le démon se transfigurerait en ange de lumière ; elles n’ont d’autre désir que celui de vous contenter.
  2. J’ai parlé de certaines d’entre elles, mais rares sont celles qui n’entrent pas dans cette Demeure dont je vais m’occuper. Il y a le plus et le moins, c’est pourquoi je dis que la plupart y entrent. Je crois bien que certaines des choses qu’on trouve dans cette Demeure ne sont données qu’à un petit nombre, mais ne feraient-elles qu’arriver à la porte, c’est déjà une fort grande miséricorde, car si les appelés sont nombreux, rares sont les élus. Je dis donc maintenant que bien que nous toutes qui portons ce saint habit du Carmel soyons appelles à l’oraison et à la contemplation, car telle fut notre origine, nous descendons de cette caste, celle de nos saints Pères du Mont Carmel qui dans une si grande solitude et un si profond mépris du monde recherchaient ce trésor, rares sont celles d’entre nous qui se disposent à mériter que le Seigneur leur découvre la perle précieuse dont nous parlons. Extérieurement, tout se prête à ce que nous obtenions ce qui nous est nécessaire ; quant aux vertus pour y atteindre, il nous en faut beaucoup, beaucoup, et ne jamais rien négliger, ni peu, ni prou. Donc, mes sœurs, puisque en quelque sorte nous pouvons jouir du ciel sur la terre, prions bien haut le Seigneur de nous aider de sa grâce pour que nous n’y manquions point par notre faute, qu’il nous montre le chemin, et nous donne de la force d’âme, jusqu’à ce que nous découvrions ce trésor caché, puisqu’il est vrai qu’il est en nous : c’est ce que je voudrais vous faire comprendre, si le Seigneur veut que j’en sois capable.
  3. J’ai dit  » de la force d’âme « , pour que vous compreniez que celle du corps n’est pas nécessaire lorsque Dieu Notre-Seigneur ne nous la donne point ; il ne met personne dans l’impossibilité d’acheter ses richesses ; si chacun donne ce qu’il a, il s’en contente. Béni soit un si grand Dieu. Mais considérez, mes filles, qu’en ce qui nous occupe, il n’entend pas que vous vous réserviez quoi que ce soit ; peu ou beaucoup, il veut tout pour lui, et les faveurs que vous recevrez seront plus ou moins grandes, conformément à ce que vous constaterez avoir donné. Il n’est meilleure manière de nous prouver si, oui ou non, notre oraison atteint à l’union. Ne pensez pas que ce soit chose rêvée, comme dans la Demeure précédente : je dis rêvée, parce que l’âme semble comme assoupie, sans toutefois paraître endormie, ni se sentir éveillée. Ici, bien que toutes nos puissances soient endormies, et bien endormies aux choses du monde et à nous-mêmes, (car, en fait, on se trouve comme privée de sens pendant le peu de temps que dure cette union, dans l’incapacité de penser, quand même on le voudrait), ici, donc, il n’est pas nécessaire d’user d’artifices pour suspendre la pensée.
  4. Et même aimer ; car si elle aime, elle ne sait comment, ni qui elle aime, ni ce qu’elle aimerait ; enfin, elle est comme tout entière morte au monde pour mieux vivre en Dieu. Et c’est une mort savoureuse, l’âme s’arrache à toutes les opérations qu’elle peut avoir, tout en restant dans le corps : délectable, car l’âme semble vraiment se séparer du corps pour mieux se trouver en Dieu, de telle sorte que je ne sais même pas s’il lui reste assez de vie pour respirer. J’y pensais à l’instant, et il m’a semblé que non ; du moins, si on respire, on ne s’en rend pas compte. L’entendement voudrait s’employer tout entier à comprendre quelque chose de ce qu’éprouve l’âme, et comme ses forces n’y suffisent point, il reste ébahi de telle façon que s’il n’est pas complètement annulé, il ne bouge ni pied, ni main, comme on le dit d’une personne évanouie si profondément qu’elle nous parait morte. Ô secrets de Dieu ! Jamais je me lasserais de chercher à vous les faire comprendre, si je pensais avoir quelque chance d’y réussir ; je dirai donc mille folies dans l’espoir de tomber juste une fois ou l’autre, afin que nous louions vivement le Seigneur.
  5. J’ai dit que ce n’était pas une chose rêvée, parce que dans la Demeure dont j’ai parlé, tant qu’on n’a pas une grande expérience, l’âme reste dans le doute sur ce qui s’est passé : s’est-elle illusionnée, était-elle endormie, était-ce un don de Dieu, ou le démon s’est-il transfiguré en ange de lumières ? Elle a mille soupçons, et il est bon qu’il en soit ainsi ; car, comme je l’ai dit notre nature elle-même peut parfois nous tromper dans cette Demeure ; les bêtes venimeuses n’y ont pas aussi facilement accès que dans les précédentes, sauf, toutefois, de petits lézards, si subtils qu’ils se fourrent partout, et bien qu’ils ne fassent point de mal, en particulier si, comme je l’ai dit, on n’en fait aucun cas, ce sont de petites pensées nées de l’imagination et d’autres causes déjà indiquées, qui, souvent, importunent. Ici, dans cette Demeure, si subtils que soient les lézards, ils ne peuvent entrer ; car il n’est imagination, ni mémoire, ni entendement qui puisse s’opposer à notre bonheur. Et j’ose affirmer que c’est vraiment une union avec Dieu, le démon ne peut entrer, ni faire aucun mal ; car Sa Majesté est si étroitement unie à l’essence de l’âme qu’il n’ose approcher, et qu’il ne doit même pas connaître ce secret. C’est clair : puisqu’on dit qu’il ne comprend pas nos pensées, il comprendra moins encore quelque chose d’aussi secret que Dieu ne confie même pas à notre entendement. Ô bonheur d’un état où ce maudit ne nous fait pas de mal ! C’est ainsi que l’âme obtient de précieux avantages, Dieu agit en elle sans que nul n’y fasse obstacle, pas même nous. Que ne donnera donc pas celui qui aime tant à donner, lorsqu’il peut donner tout ce qu’il veut ?
  6. Je vous troubles ce me semble, lorsque je dis  » si c’est vraiment une union avec Dieu  » ; comme s’il y avait d’autres unions. Il y en a, et comment ! Ne s’agirait-il que des choses vaines, si on les aime beaucoup, le démon peut s’en servir pour nous transporter, mais pas à la façon de Dieu, ni dans la délectation et la satisfaction de l’âme, sa paix, sa joie. Cette joie-là surpasse toutes celles de la terre, elle surpasse toutes les délices, tous les contentements, plus encore, ce qui engendre ces contentements, et la cause de ceux de la terre n’ont rien de commun, le sentiment qu’on éprouve est bien différent, comme vous le savez peut-être d’expérience. J’ai dit un jour (Le Chemin de la Perfection, chap. 31) qu’on peut de même comparer ce que ressent notre corps grossier avec ce qu’on éprouve au plus profond de soi-même, c’est exact, je ne sais comment je pourrais mieux dire.
  7. Mais, me semble-t-il, je vous devine encore insatisfaites, vous allez croire que vous pouvez vous tromper, car l’examen de ces choses intérieures est difficile ; ce que j’ai dit suffira à celles qui ont de l’expérience, car la différence est grande, mais je veux vous donner un signe clair qui vous évitera de vous tromper et de douter que cela vienne de Dieu ; Sa Majesté me l’a rappelé aujourd’hui, et, à mon avis, c’est la vraie preuve. Dans les choses difficiles, même lorsque je crois les comprendre, j’emploie toujours l’expression,  » il me semble « , car si je me tronquais, je suis toute disposée à croire ce que diraient les hommes très doctes, car même s’ils ne sont pas passés par ces choses, les grands clercs ont un je ne sais quoi de particulier : comme Dieu fait d’eux la lumière de son Église, quand il y a une vérité, il là leur communique pour qu’ils la fassent admettre ; et s’ils ne se dissipent point, mais sont les serviteurs de Dieu, jamais ils ne s’étonnent de ses grandeurs, car ils comprennent bien qu’il peut beaucoup plus, et plus encore. Enfin, si certaines choses n’ont pas été si bien définies, ils doivent, dans les livres, en trouver d’autres qui leur montrent que celles-là peuvent se produire.
  8. J’ai de cela la très grande expérience, j’ai aussi celle de ces moitiés de clercs qu’un rien effarouche ici, car ils me coûtent très cher. Je pense, du moins, que ceux qui ne croient pas que Dieu peut faire bien davantage, qu’il a jugé, et juge bon d’en disposer pour ses créatures, se ferment la porte par laquelle ils pourraient recevoir ses faveurs. Que cela ne vous arrive jamais, mes sœurs, mais, croyez que tout est possible à Dieu et beaucoup plus encore, ne vous demandez pas si ceux à qui il accorde ses grâces sont bons, ou s’ils sont vils, Sa Majesté le sait, comme je vous l’ai dit. Nous n’avons pas à nous en mêler, mais à servir Sa Majesté avec simplicité de cœur, humilité, et à la louer de ses œuvres et de ses merveilles.
  9. Donc, pour en revenir au signe dont je dis qu’il est le vrai, vous voyez cette âme que Dieu a rendue toute bête, pour mieux graver en elle la vraie science ; elle ne voit rien, n’entend ni ne comprend rien le temps que dure cet état ; temps bref, mais il lui semble, à elle, plus bref encore qu’il ne l’est. Dieu se fixe dans cette âme de telle façon que lorsqu’elle revient à elle, elle ne peut absolument pas douter qu’elle fut en Dieu, et Dieu en elle. Cette vérité s’affirme si fortement que même si des années se passent sans que Dieu lui fasse à nouveau cette faveur, elle ne peut l’oublier, ni douter de l’avoir reçue. C’est ce qu’il y a de plus impor-
    tant, laissons donc de côté pour le moment les effets durables qui s’ensuivent, nous en parlerons plus avant.
  10. Vous me direz donc :  » Comment l’a-t-elle vu ou compris, puisqu’elle ne voit ni ne comprend ?  » Je ne dis pas qu’elle l’ait vu dans l’instant, mais qu’elle le voit clairement après coup ; ce n’est pourtant pas une vision, mais une certitude que Dieu seul peut donner à l’âme. Je connais une personne qui n’avait jamais appris que Dieu était en toutes choses par présence, et puissance, et essence, et qui, après une faveur de cette sorte que lui fit le Seigneur, en vint à le croire si fermement (Autobiographie, chap 18) que lorsqu’elle demanda à l’un de ces demi-clercs dont j’ai parlé comment Dieu est en nous, (il n’en savait pas plus qu’elle-même avant que Dieu le lui ai fait comprendre), et qu’il lui répondit qu’il n’y était que par sa grâcé, elle était si affermie dans la vérité qu’elle ne le crut point ; elle en interrogea d’autres, qui lui dirent la vérité, et ce fut pour elle un grand réconfort.
  11. Ne vous y trompez point, n’allez pas croire que cette présence dont vous avez la certitude soit une forme corporelle comme l’est le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement, malgré que nous ne le voyions point ; il n’est pas ici sous cette forme, mais sa Divinité seule. Comment se fait-il que nous soyons certains de ce que nous ne voyons pas ? Je l’ignore, c’est une œuvre de Dieu, mais je sais que je dis la vérité, et je dirais de quiconque n’aurait pas cette certitude que son âme n’est pas unie à Dieu tout entière, mais seulement par l’une de ses puissances, ou par l’une des nombreuses sortes de faveurs que Dieu accorde à l’âme. Nous devons renoncer à chercher pour quelles raisons cela se passe ; alors que notre entendement n’arrive pas à le comprendre, de quoi voulons-nous nous enorgueillir ? Il suffit de voir que celui qui agit est tout-puissant ; puisque tous nos efforts sont incapables à nous obtenir cette faveur, mais que Dieu fait tout, ne faisons pas l’effort de chercher à comprendre.
  12. A propos de ce que je dis, de notre impuissance, je me rappelle ce que vous avez entendu dire à l’épouse du CANTIQUE : LE ROI MA INTRODUITE DANS SES CELLIERS (Ct 1,3), je crois même qu’il dit : IL M’Y A FOURRÉE. Et il ne dit pas que c’est elle qui y est allée. Il dit aussi qu’elle allait de part et d’autre à la recherche de son Aimé. Je comprends qu’il s’agit là du cellier où le Seigneur veut nous fourrer quand il veut, et comme il veut ; mais pour beaucoup d’efforts que nous fassions nous-même, nous ne pouvons y entrer. Sa Majesté Elle-même doit nous y fourrer, et pénétrer, Elle, au centre de notre âme, pour mieux montrer ses merveilles. Elle veut que nous n’y soyons pour rien, sauf par la soumission totale de notre volonté, et qu’on n’ouvre point la porte aux puissances et aux sens, qui sont tous endormis ; Dieu entre donc au centre de l’âme sans passer par aucune de ces portes, comme il entra chez ses disciples, lorsqu’il dit :  » PAR VOBIS  » (Jn 20,19), et comme il sortit du sépulcre sans soulever la pierre. Vous verrez plus avant comment Sa Majesté veut que l’âme jouisse d’Elle dans son centre même, et beaucoup plus encore dans la dernière Demeure que dans celle-ci.
  13. Ô mes filles, nous verrons beaucoup de choses si nous consentons à ne voir que notre bassesse et notre misère, et à comprendre que nous ne sommes pas dignes d’être les servantes d’un Seigneur si grand que nous ne pouvons concevoir ses merveilles ! Qu’il soit loué à jamais. Amen.

CHAPITRE II – Suite du même sujet. De l’oraison d’union : une délicate comparaison l’illustre. Des effets dans l’âme de cette forme d’oraison.

  1. Sans doute vous semble-t-il que tout ce qu’il y a à voir dans cette Demeure a déjà été décrit, mais il reste encore beaucoup à dire, car, je le répète, on y trouve du plus et du moins De l’union, je ne crois pas savoir en dire davantage ; mais il y a beaucoup à dire au sujet des âmes à qui Dieu accorde ces faveurs et des œuvres qu’accomplit en elles le Seigneur lorsqu’elles se disposent à les recevoir. Je parlerai de quelques-unes, et de leur effet sur l’âme. Pour aider à le comprendre, je veux me servir d’une comparaison qui s’y prête ; nous verrons aussi comment, bien que nous soyons impuissants à susciter cette œuvre du Seigneur nous pouvons toutefois faire beaucoup, si nous nous disposons à ce que Sa Majesté nous accorde cette faveur.
  2. Vous avez sans doute entendu dire de quelle façon merveilleuse se produit la soie, Lui seul put inventer choses semblables, une semence, pas plus grosse qu’un petit grain de poivre, (je ne l’ai jamais vue, mais j’en ai entendu parler, et si je dis quelque chose d’inexact, ce n’est donc pas de ma faute), mais sous l’action de la chaleur, lorsque apparaissent sur les mûriers les premières feuilles, cette semence se met à vivre ; car elle est morte jusqu’au jour où naît l’aliment dont elle se sustente. De ces feuilles de mûrier elle se nourrit, jusqu’au jour où déjà grande, on dispose pour elle de petites branches ; et là, de sa petite bouche, elle file elle- même la soie, et fait un petit cocon très serré où elle s’enferme : ce ver, qui est gros et laid, meurt là, et il sort de ce même cocon un petit papillon blanc, très gracieux. Qui pourrait y croire, sans le Voir ? Cela semblerait plutôt un conte du temps jadis. Quel raisonnement pourrait nous faire admettre qu’une chose dénuée de raison comme peuvent l’être un ver, ou une abeille, travaillent à notre profit avec une telle diligence, qu’ils soient si industrieux, à tel point qu’il en coûte la vie au pauvre vermisseau ? Cela peut suffire à un moment de méditation, mes sœurs, même si je ne vous en disais pas davantage ; car vous pouvez considérer ici les merveilles et la sagesse de notre Dieu. Qu’adviendrait-il donc si nous connaissions les propriétés de toutes choses ? Il nous est bien profitable de nous occuper à méditer sur ces grandeurs, et de nous réjouir d’être les épouses d’un Roi si sage et si puissant.
  3. Revenons à mon propos. Ce ver commence à vivre lorsque, à la chaleur du Saint-Esprit, nous commençons à profiter de l’aide générale que Dieu nous donne à tous, et quand nous commençons à user des remèdes qu’il a confiés à son Église, comme la pratique de la confession, les bonnes lectures, les sermons, remèdes qui s’offrent à l’âme qui est morte des suites de sa négligence, de ses péchés, et qui demeure au milieu des tentations. Elle commence alors à vivre, elle se nourrit de tout cela et de bonnes méditations jusqu’à ce qu’elle ait grandi, et voilà ce qui nous intéresse, peu importe le reste.
  4. Lorsque ce ver est grand, comme je l’ai dit au début de ce que j’ai écrit, il commence à élaborer la soie et à édifier la maison où il doit mourir. Je voudrais faire comprendre ici que cette maison, c’est le Christ. Je crois avoir lu ou entendu quelque part que notre vie est cachée dans le Christ, ou en Dieu, c’est tout un, ou que le Christ est notre vie (Col 3,3). Que je l’aie lu ou non, n’ajoute pas grand-chose à mon propos.
  5. Vous voyez donc ici, mes filles, ce que nous pouvons faire avec la faveur de Dieu : Sa Majesté elle-même peut être notre demeure, comme Elle l’est dans cette oraison d’union, et nous pouvons construire cette demeuré ! J’ai l’air de vouloir dire que nous pouvons enlever et ajouter quelque chose à Dieu, lorsque je dis qu’il est la Demeure, et que nous pouvons la fabriquer pour nous y installer. Eh oui, nous le pouvons ! Non pas enlever ni ajouter quelque chose à Dieu, mais enlever de nous quelque chose et y ajouter, comme le font ces vermisseaux ; car à peine aurons-nous fini de faire tout notre possible que Dieu unira à sa grandeur ce petit travail, qui n’est rien, et il lui donnera une si grande valeur que la récompense de cet ouvrage sera le Seigneur lui-même. Et comme c’est Lui qui a assumé la plus grosse part des frais, il veut unir nos petites peines aux grandes que Sa Majesté a souffertes, et que tout soit un.
  6. Or, donc, mes filles, vite à l’œuvre, hâtons-nous de tisser ce petit cocon, renonçant à notre amour propre et à notre volonté à l’attachement à toute chose terrestre, faisons œuvre de pénitence, oraison, mortification, obéissance, et de tout ce que vous savez déjà ; plaise à Dieu que nous accomplissions ce que nous savons, ce qu’on nous a enseigné à faire ! Meure, meure ce ver, comme il le fait lorsqu’il a achevé l’œuvre pour laquelle il fut créé, et vous verrez comment nous voyons Dieu, et comment nous nous voyons aussi incluses dans sa grandeur que le petit ver l’est dans le cocon. Considérez que lorsque je dis voir Dieu, c’est à la façon dont il nous signifie sa présence dans cette forme d’union.
  7. Voyons donc ce qu’il advient de ce ver, c’est à quoi tend tout ce que j’ai dit jusqu’ici ; car lorsqu’il a atteint à ce degré d’oraison, bien mort au monde, il se transforme en petit papillon blanc. Ô grandeur de Dieu, que devient l’âme ici, du seul fait d’avoir été un petit peu mêlée à la grandeur de Dieu et si proche de Lui ; car, ce me semble, elle n’y reste pas plus d’une demi-heure ! Je vous dis en vérité que l’âme elle-même ne se connaît pas, considérez quelle différence il y a entre un vilain ver et un petit papillon blanc ; il en est de même pour l’âme. Elle ne sait comment elle a pu mériter un si grand bienfait : je veux dire qu’elle ignore d’où il a pu lui venir, sachant bien qu’elle ne le mérite point ; elle éprouve un tel désir de louer Dieu qu’elle voudrait s’anéantir et mourir pour Lui mille morts. Et elle se prend aussitôt à souhaiter subir de grandes épreuves, sans qu’elle puisse rien faire d’autre. Immense désir de pénitence, de solitude, et que tous au monde connaissent Dieu ; et de là naît un grand chagrin de voir qu’on l’offense. Il sera traité en détail de tout cela dans la Demeure suivante, car si les choses se passent dans cette Demeure-ci à très peu de chose près comme dans la suivante, la puissance des effets est fort différente; car, comme je l’ai dit si l’âme que Dieu a amenée ici s’efforce à aller de l’avant, elle verra de grandes choses.
  8. Oh ! Voir l’inquiétude de ce petit papillon, qui pourtant n’a jamais été aussi calme et paisible de sa vie ! C’est chose digne d’en louer Dieu, car s’il ne sait où se poser pour s’y fixer, c’est qu’il n’a jamais connu une telle paix, il est mécontent de tout ce qu’il voit sur la terre, en particulier si Dieu lui donne souvent de ce vin ; il y gagne quelque chose à peu près chaque fois. Il méprise désormais les œuvres qu’il accomplissait lorsqu’il était vermisseau et filait peu à peu son cocon ; il lui est poussé des ailes : comment se contenterait-il, maintenant qu’il peut voler, d’aller pas à pas ? Tout ce qu’il peut faire pour Dieu lui semble peu de chose, si vif est son désir. Il ne prise pas beaucoup ce qu’ont souffert les Saints, connaissant maintenant d’expérience l’aide que peut donner le Seigneur et qu’il transforme l’âme dont on ne reconnaît plus rien, pas même son visage. Car de faible pour faire pénitence, la voici forte ; son attachement aux parents, aux amis, à ses biens, (auxquels tous ses efforts, ses déterminations, sa volonté de s’en dégager, semblaient l’assujettir davantage), ne l’entrave plus, il lui pèse même de se contraindre à ce qu’elle est obligée de faire sous peine d’offenser Dieu. Tout la fatigue, depuis qu’elle a la preuve que les créatures ne peuvent lui donner le vrai repos.
  9. J’ai l’air de trop m’étendre, : alors que je pourrais en dire beaucoup plus long ; ceux à qui Dieu aura fait cette faveur verront que je suis loin de compte ; il ne faut donc pas s’étonner si ce petit papillon cherche à nouveau où se poser, tant il se découvre étranger aux choses de cette terre. Où donc ira-t-il, le pauvret ? Revenir à ce qu’il a quitté, il ne le peut, car, comme je l’ai dit, cela ne dépend pas de nous, quels que soient nos efforts, jusqu’à ce que Dieu consente à réitérer cette faveur. Ô Seigneur ! Que de nouvelles épreuves commencent pour cette âme ! Qui l’eût cru, après une si haute faveur ? A la fin des fins, d’une manière ou d’une autre, nous devons porter la croix tant que nous vivons. Si quelqu’un disait qu’une fois arrivé là il n’a plus vécu que dans le repos et les régals, je dirais, moi, que jamais il n’y est parvenu, que s’il est arrivé, d’aventure, à la Demeure précédente, il y a connu quelques joies dues à sa faiblesse naturelle, et même, d’aventure, au démon, qui lui donne la paix pour mieux lui faire la guerre plus tard.
  10. Je ne veux pas dire que ceux qui atteignent à cet état ne sont pas en paix, oui, ils y sont, et bien ; car leurs épreuves mêmes sont de si haut prix et de si bonne souche que, si sévères elles soient, elles engendrent la paix et la joie. Du déplaisir qu’ils trouvent aux choses du monde naît un si douloureux désir d’en sortir que leur seul soulagement est de penser que la volonté de Dieu leur impose cet exil, et cela ne suffit même pas, car malgré tout ce que l’âme a gagné, elle n’est pas encore aussi abandonnée à la volonté de Dieu qu’elle le sera dans l’avenir, sans toutefois qu’elle manque à se résigner ; mais elle ne le fait qu’avec un vif regret, avec beaucoup de larmes ; on ne lui a pas donné plus, elle ne peut donc mieux faire, et chaque fois qu’elle fait oraison, c’est là sa peine. Cette peine provient en quelque sorte de celle, très vive, qu’elle éprouve de voir Dieu offensé en ce monde, peu honoré, et le grand nombre d’âmes qui s’y perdent, celles des hérétiques comme celles des Maures ; mais elle a encore plus pitié de celles des chrétiens ; elle a beau voir la miséricorde de Dieu, si grande que ceux qui vivent mal peuvent toutefois s’amender et se sauver, elle craint que nombre d’entre eux ne se damnent.
  11. Ô grandeur de Dieu ! Il y a bien peu d’années, peut-être même bien peu de jours, cette âme ne pensait qu’à elle. Qui donc l’a jetée dans de si pénibles soucis ? En de longues années de méditation, nous ne pourrions les ressentir aussi douloureusement que les éprouve cette âme. Mais, Dieu secourable, si je m’exerçais pendant des jours et des années à songer combien il est mal, et grave d’offenser Dieu, à considérer que ceux qui se damnent sont ses enfants, mes frères, les dangers au milieu desquels nous vivons, et combien il serait bon de sortir de cette misérable vie, cela ne suffirait-il point ? Que non, mes filles ; la peine qu’on éprouve à ce degré d’oraison n’a rien de commun avec celle-ci ; nous pourrions bien, certes, la ressentir, Dieu aidant, à force de méditer, mais elle n’atteint pas le fond de nos entrailles comme il en est ici, où elle semble déchiqueter l’âme et la broyer, sans qu’elle le cherche, et même parfois sans qu’elle le veuille. Qu’est-ce donc ? D’où cela vient-il ? Je vais vous le dire.
  12. N’avez-vous pas entendu parler de l’Épouse (je l’ai fait plus haut, mais pas à ce sujet), que Dieu a introduite dans le cellier du vin, ordonnant en elle la charité ? C’est cela même, car déjà cette âme s’abandonne dans ses mains ; elle est si vaincue par son grand amour qu’elle demande à Dieu de faire d’elle ce qu’il veut, elle ne sait et ne veut rien d’autre, (à ce que je crois, jamais Dieu ne fera cette grâce qu’à l’âme qu’il tient entièrement pour sienne) et Dieu veut que sans qu’elle sache comment, elle sorte de là scellée de son sceau. Car, vraiment, ici, l’âme n’est pas plus active que la cire sur laquelle on imprime un sceau, la cire ne se scelle pas elle-même, elle est seulement disposée, c’est-à-dire molle ; et elle ne s’amollit pas elle-même pour se disposer, mais elle se tient tranquille, et consent. Ô bonté de Dieu, qui faites toujours les frais de tout ! Vous ne demandez que notre bonne volonté, et que la cire ne fasse pas obstacle.
  13. Vous voyez, mes sœurs, ce que notre Dieu accomplit ici pour que cette âme reconnaisse qu’elle est à lui ; Il lui donne une part de ses biens, et son Fils en cette vie a eu la même chose : il ne peut nous faire une plus grande faveur. Qui donc plus que lui devait vouloir sortir de cette vie ? Sa Majesté l’a dit ainsi à la Cène :  » J’ai désiré avec ardeur  » (Lc 22,15). Comment, Seigneur, n’avez-vous pas envisagé la douloureuse mort dont vous alliez mourir, si pénible, si effrayante ? Non, car mon grand amour, mon désir du salut des âmes, surpassent incomparablement ces peines ; celles, immenses, que j’ai endurées et que j’endure depuis que je suis sur terre sont assez grandes pour que les autres soient néant en comparaison.
  14. C’est ainsi que j’ai souvent médité cela ; sachant le tourment qu’endure, et a enduré, certaine âme que je connais (la sainte elle-même) devant les offenses faites à Notre-Seigneur, pensée si intolérable qu’elle eût préféré la mort à cette souffrance, alors que la charité de cette âme était infime, on peut même dire à peu près nulle, comparée avec celle du Christ, or donc, puisqu’elle ressentait une souffrance si insupportable, quelle affliction dut ressentir Notre-Seigneur Jésus- Christ ? Quelle vie dut être la sienne, lui qui voyait toutes choses, et qui avait toujours devant les yeux les grandes offenses faites à son-Père ? Je ne doute pas que ces souffrances-là n’aient été bien pires que celles de sa très sainte Passion, car il touchait alors à la fin de ses épreuves, et, joint à la joie de faire notre salut par sa mort, à celle de témoigner de son amour pour son-Père en souffrant pour lui si cruellement, cela put modérer ses douleurs, comme il en est ici-bas pour ceux qui, fortifiés par l’amour, font de grandes pénitences ; ils ne les sentent qu’à peine, ils voudraient plutôt en faire de plus en plus, tout leur semble léger. Que devait-il en être pour Sa Majesté, en une si grave conjoncture, alors qu’Elle montrait au Père avec quelle perfection Elle lui obéissait, avec quel amour du prochain ? Oh ! grandes délices, souffrir en accomplissant la volonté de Dieu ! Mais j’estime si rude la vue continuelle de tant d’offenses faites à Sa Majesté, celle de tant d’âmes qui vont en enfer, que s’il n’eût été plus qu’un homme, un seul jour de cette peine eût suffi, je le crois, à anéantir de nombreuses vies, et, d’autant mieux, une seule !

CHAPITRE III – Suite du même sujet. D’une autre forme d’union que l’âme peut atteindre avec la faveur de Dieu, et de l’importance, dans ce but, de l’amour du prochain. C’est fort substantiel.

  1. Revenons donc à notre petit papillon et voyons certaines choses que Dieu lui accorde en cet état. Il est toujours bien entendu qu’il doit chercher à progresser dans le service de Notre-Seigneur et dans la propre connaissance ; car s’il ne fait que recevoir cette faveur, s’il la tient pour assurée désormais, il en vient à moins se surveiller dans la vie et à se fourvoyer sur le chemin du ciel, c’est-à-dire dans l’observation des commandements, et il en sera de lui comme de celui qui sort du ver à soie : il jette la semence d’où naîtront d’autres papillons, et meurt à jamais. Je dis qu’il jette la semence, car je crois personnellement que Dieu veut qu’une si grande faveur n’ait pas été accordée en vain, et que puisqu’il vit avec les désirs et les vertus dont j’ai parlé, tant qu’il persévère dans le bien, il est toujours utile à d’autres âmes, sa chaleur les réchauffe ; et même s’il a perdu tout cela, il lui arrive de garder cette envie d’aider les autres, et de se plaire à faire connaître les faveurs que Dieu accorde à ceux qui l’aiment et le servent.
  2. J’ai connu une personne dont ce fut le cas (la sainte parle d’elle); alors qu’elle se trouvait dans un grand égarement, elle aimait que d’autres profitent des faveurs que Dieu lui avait faites, elle montrait le chemin de l’oraison à celles qui ne le connaissaient pas, et elle leur fut très, très utile. Plus tard le Seigneur lui rendit la lumière. Il est vrai qu’elle n’avait pas encore obtenu les effets de l’oraison dont j’ai parlé. Mais combien doit-il y en avoir que le Seigneur appelle à l’apostolat, comme Judas, à qui il se communique, combien il en appelle, pour les faire rois, comme Saül, qui se perdent ensuite par leur faute ! Nous devons en déduire, mes sœurs, que pour acquérir de plus en plus de mérites et ne pas nous perdre comme ces gens-là, il est un moyen-sûr, l’obéissance, et ne point dévier de la loi de Dieu : je parle pour ceux à qui Dieu accorde de telles faveurs, et même pour tout le monde.
  3. Malgré tout ce que j’ai dit, il m’apparaît que cette Demeure reste encore quelque peu obscure. Puisqu’il y a tant d’avantages à y pénétrer, il est bon de ne pas avoir l’impression que ceux à qui le Seigneur n’accorde pas des choses aussi surnaturelles n’ont aucune espérance : on peut très bien atteindre à la véritable union, avec la faveur de Notre-Seigneur, si on s’efforce de l’obtenir en n’ayant d’autre volonté que celle de nous attacher en tout à la volonté de Dieu. Oh ! que nous devons être nombreux à parler ainsi, à croire que nous ne voulons rien d’autre, et que nous sommes prêts à mourir pour cette vérité, comme je crois l’avoir dit ! Mais je dis ici, et je le répéterai souvent, que si vous pensez ainsi, cette faveur du Seigneur vous est acquise ; ne soyez donc nullement en peine des régals de l’autre union dont j’ai parlé, son intérêt majeur est de découler de celle dont je parle ici, et du fait qu’il soit impossible d’y atteindre si l’union qui asservit notre volonté à celle de Dieu n’est pas bien affirmée. Oh ! quelle union à désirer ! Heureuse l’âme qui l’a obtenue, elle vivra en paix en cette vie, et également dans l’autre, car aucun des événements de la terre ne l’affligera, sauf de se trouver en quelque danger de perdre Dieu, ou de voir qu’on l’offense, mais ni la maladie, ni la pauvreté, ni mille morts, s’il ne s’agit de quelqu’un de nécessaire au service de Dieu ; car cette âme voit bien qu’il sait ce qu’il fait mieux qu’elle ne sait ce qu’elle désire.
  4. Remarquez qu’il y a peines et peines ; des peines proviennent spontanément de la nature, de même des joies, et aussi certains mouvements de pitié charitable pour les autres, comme celui qu’éprouva Notre-Seigneur quand Il ressuscita Lazare (Jn 11,35) ; elles ne nous empêchent pas d’être unis à la volonté de Dieu, elles ne troublent pas non plus l’âme d’une passion inquiète, turbulente, et qui dure. Ces peines-là passent vite ; comme je l’ai dit des plaisirs dans l’oraison, elles ne semblent pas pénétrer au fond de l’âme, elles ne touchent que les sens et les puissances. Elles vont et viennent dans les Demeures précédentes, mais n’entrent pas dans celle dont il reste à parler, la dernière, (car alors la suspension des puissances déjà évoquer est nécessaire), toutefois le Seigneur est assez puissant pour enrichir les âmes et les amener à ces Demeures par bien des chemins, sans passer par le raccourci dont nous avons parlé.
  5. Mais notez bien, mes filles, qu’il faut que le ver à soie meure, et il vous en coûtera beaucoup ; car là-bas (c’est-à-dire l’union de délices) la découverte d’une vie si nouvelle l’aide beaucoup à mourir ; ici (c’est-à-dire l’union sans délices) il faut que, vivant sur terre, nous le tuions. Je confesse que l’effort sera bien plus pénible, mais il a son prix ; la récompense sera plus forte, si vous obtenez la victoire. Il ne faut pas douter que ce soit possible, à condition que nous soyons vraiment unies à la volonté de Dieu. Telle est l’union que j’ai désirée toute ma vie, celle que je ne cesse de demander au Seigneur, celle qui est la plus claire et la plus sûre.
  6. Mais, infortunés que nous sommes, rares sont ceux qui doivent y parvenir ! Cependant, celui qui se garde d’offenser Dieu et qui est entré en religion croit avoir tout fait. Oh ! que de vers sont restés inaperçus, comme celui qui rongea le lierre de Jonas (Jn 4,6-7) ! Ils ont rongé nos vertus par l’amour-propre, l’estime personnelle, nos jugements sur le prochain, par de petites choses aussi, le manque de charité envers les autres faute de les aimer comme nous-même ; car si nous arrivons, à la traîne, à remplir nos obligations pour ne pas commettre un péché, nous sommes encore bien loin de l’union totale à la volonté de Dieu.
  7. D’après vous, mes filles, quelle est sa volonté ? Que nous soyons absolument parfaites, pour que chacune de nous soit une avec Lui et le Père, comme Sa Majesté l’a demandé (Jn 17,22). Que nous sommes loin d’en arriver là ! Je vous le dis, je suis, en écrivant ceci, fort en peine de m’en voir si éloignée, et tout cela par ma faute ; il n’est pas nécessaire que le Seigneur nous régale de ses faveurs pour cela ; il suffit qu’il nous ait donné son Fil pour nous montrer le chemin. Ne croyez pas qu’il s’agisse, si mon père ou mon frère meurent, d’être si résigner à la volonté de Dieu que je n’en aie pas de regret, et si surviennent épreuves et maladies, de les supporter avec joie. Cela est bon et prudent à la fois, car nous n’y pouvons rien, et nous faisons de nécessité vertu. Que de choses comme celles-là faisaient les philosophes ! Celles-là ou d’autres, pour lesquelles leur grand savoir suffisait. Ici, le Seigneur ne nous demande que deux sciences : celles de l’amour de Sa Majesté et du prochain, voilà à quoi nous devons travailler. Si nous les observons parfaitement, nous faisons sa volonté, et ainsi nous lui serons unis. Mais, je l’ai déjà dit, que nous sommes loin d’observer ces deux choses comme nous le devons à un si grand Dieu ! Plaise à Sa Majesté de nous donner la grâce de mériter de parvenir à cet état ; il est à notre portée, si nous le voulons.
  8. Nous reconnaîtrons, ce me semble, que nous observons bien ces deux choses, si nous observons bien celle d’aimer notre prochain : ce sera le signe le plus certain ; nous ne pouvons savoir si nous aimons Dieu, bien que d’importants indices nous fassent entendre que nous l’aimons, mais nous pouvons savoir, oui, si nous avons l’amour du prochain. Et soyez certaines que plus vous ferez de progrès dans cet amour-là, plus vous en ferez dans l’amour de Dieu ; car l’amour de Sa Majesté pour nous est si grand qu’en retour de celui que nous avons pour notre prochain il augmentera de mille manières celui que nous avons pour Sa Majesté : je ne puis en douter.
  9. Il est de prime importance que nous soyons très attentives sur ce point, et si nous nous y attachons à la perfection, tout est fait ; je crois, en effet, vu notre mauvais naturel, que si notre amour du prochain ne s’enracine pas dans l’amour de Dieu, nous n’y atteindrons jamais parfaitement. C’est pourquoi il est important pour nous, mes sœurs, de chercher à voir clair en nous dans les choses les plus menues sans tenir compte des très grandes qui s’offrent à nous toutes ensemble dans l’oraison, quand nous préjugeons de ce que nous ferons et entreprendrons pour notre prochain et pour le salut d’une seule âme ; car si les œuvres qui suivent ne sont pas conformes, nous n’avons aucune raison de croire que nous y parviendrons. J’en dis autant de l’humilité et de toutes les vertus. Les ruses du démon sont grandes, et pour nous faire croire, à tort, que nous possédons l’une d’elles, il retournera tout l’enfer. Et il a raison, c’est fort nuisible, fausses vertus s’accompagnent toujours de vaine gloire, c’est donc là qu’elles prennent racine ; de même, celles que donne Dieu sont exemptes de vaine gloire et d’orgueil.
  10. Je m’amuse souvent de voir des âmes, en oraison, désirer qu’on les abaisse, qu’on les insulte publiquement et pour Dieu, mais prêtes a cachez ensuite, une petite faute, si elles le pouvaient. Oh ! Que dire si on les accuse d’une faute qu’elles n’ont pas commise ! Dieu nous en garde ! Celle qui ne supporte pas cela doit bien s’examiner pour ne pas tenir compte de la décision qu’elle pense avoir prise ; à vrai dire, ce ne fut pas une décision de la volonté, quand la volonté est sincère, c’est autre chose, mais le fait de l’imagination : c’est elle que le démon utilise pour nous leurrer et nous précipiter ; il peut beaucoup sur les femmes et les illettrés, nous ne savons pas distinguer les puissances de l’imagination, et mille autre choses intérieures. Ô mes sœurs ! comme on distingue clairement en certaines d’entre vous l’amour vrai du prochain, alors que chez d’autres il n’atteint pas à la même perfection ! Si vous compreniez l’importance pour nous de cette vertu, vous ne vous appliqueriez à rien d’autre.
  11. Quand je vois des âmes s’adonner diligemment à examiner leur oraison, si encapuchonnées qu’elles n’osent ni bouger ni détourner leur pensée pour éviter qu’un peu de leur plaisir et de leur ferveur ne se dérobe, j’en conclus qu’elles comprennent bien mal par quel chemin on atteint à l’union, et qu’elles pensent que toute l’affaire se réduit à cela. Mais non, mes sœurs, non : le Seigneur veut des œuvres ; si tu vois une malade à qui tu puisses apporter certain soulagement, peu doit t’importer de perdre cette ferveur, aie pitié d’elle ; si elle souffre, souffre toi aussi ; et si c’est nécessaire, jeûne pour qu’elle mange à ta place : moins pour elle que parce que tu sais que le Seigneur veut qu’il en soit ainsi. Telle est la vraie union avec Sa volonté ; et si tu entends vivement louer une personne, réjouis-toi beaucoup plus que si on te louais toi-même. C’est facile, à la vérité, car l’humilité, si elle existe, serait plutôt peinée de s’entendre louer. Mais nous réjouir qu’on reconnaisse les vertus de nos sœurs est une grande chose, de même que, si l’on voit en l’une d’elles un défaut, le déplorer comme s’il s’agissait de nous-même, et le cacher.
  12. J’ai beaucoup insisté ailleurs (Le Chemin de la Perfection, chap. 7) sur tout cela, sachant, mes sœurs, que s’il y a ici une faille, nous sommes perdues. Plaise au Seigneur que ce ne soit jamais le cas. Si vous avez cet amour du prochain, je vous affirme que vous ne manquerez pas d’obtenir de Sa Majesté l’union dont j’ai parlé. Si vous constatiez qu’il vous fait défaut, même si vous avez de la ferveur et des joies spirituelles, même si vous croyez être parvenues à l’union, avoir eu une quelconque petite extase dans l’oraison de quiétude, (certaines imagineront immédiatement que tout est fait), croyez-moi quand je vous dis que vous n’avez pas obtenu l’union, demandez à Notre-Seigneur de vous donner, à la perfection, cet amour du prochain, et laissez faire Sa Majesté : Elle vous donnera plus que vous ne sauriez désirer, à condition que vous fassiez des efforts et que vous recherchiez, tant que vous le pourrez, cet amour-là ; contraignez votre volonté à être en tout conforme à celle de vos sœurs ; même si vous perdez vos droits, oubliez-vous pour elles, pour beaucoup que cela révolte votre nature ; et cherchez à assumer des tâches pour en délivrer votre prochain, lorsque vous en aurez l’occasion. Ne pensez pas que cela ne vous coûtera guère, et que c’est déjà chose faite. Considérez ce que Son amour pour nous a coûté à notre l’époux, lui qui pour vous délivrer de la mort mourut de la mort si douloureuse qu’est la mort sur la croix.

CHAPITRE IV – De ce même sujet de l’oraison. Combien il importe d’être sur nos gardes le démon s’employant activement à faire reculer ceux qui se sont engagés dans cette voie.

  1. Vous désirez, ce me semble, savoir ce qu’il advient de ce petit papillon, où il se pose, puisqu’il est bien entendu que ni les plaisirs spirituels ni les joies de la terre ne le retiennent ; son vol est plus élevé. Je ne pourrai satisfaire votre désir qu’à la dernière Demeure, et encore plaise à Dieu que je m’en souvienne, et que j’aie le temps de l’écrire ; près de cinq mois se sont écoules depuis que j’ai commencé ceci, et comme ma tête n’est pas en si bon état que je puisse me relire, tout doit être en désordre ; même, d’aventure, je dis peut-être dix fois la même chose. Comme c’est pour mes sœurs, ça n’a guère d’importance.
  2. Je veux développer davantage ce que je crois savoir de cette oraison d’union. A mon habitude, – c’est ma tournure d’esprit, – j’userai d’une comparaison : nous reparlerons plus tard de ce petit papillon qui ne s’arrête nulle part, (tout en continuant à fructifier dans le bien, pour lui et pour les autres), faute de trouver son véritable repos.
  3. Vous avez, c’est probable, souvent entendu dire que Dieu épouse les âmes spirituellement. Bénie soit sa miséricorde, qui consent à une telle humiliation ! Et bien que la comparaison soit grossière, je ne trouve rien de mieux que le sacrement du mariage pour me faire comprendre. C’est fort différent, dans ce dont nous parlons tout est spirituel, (l’union corporelle en est bien éloignée, les contentements et plaisirs spirituels que donne le Seigneur sont à mille lieues de ceux des époux), car tout est amour avec amour, et ses opérations si pures, d’une si extrême délicatesse, si douces, qu’on ne peut les exprimer ; mais le Seigneur sait très bien les faire sentir.
  4. Il me semble, à moi, que l’union n’est pas encore les fiançailles spirituelles ; mais ce qui se produit ici-bas lorsqu’un couple doit se marier, s’inquiéter de leur bonne entente, de leur volonté mutuelle, cherchant même à ce qu’ils se voient pour mieux se plaire l’un à l’autre, nous le retrouvons ici : mais l’accord est déjà fait, l’âme est fort bien informée de son bonheur et déterminée à faire en tout la volonté de son Époux, à le complaire de toutes les manières, et l’Époux, qui comprend bien qu’il en est ainsi, se complaît en elle, il consent, dans sa miséricorde, à ce qu’elle le comprenne mieux encore, qu’ils en viennent, comme on dit, à l’entrevue, où il l’unit à Lui. Nous pouvons dire que cela se passe ainsi, et en un temps très bref. Là il n’y a plus d’hésitation, mais l’âme, par une secrète approche, voit qui est cet Époux qu’elle doit prendre ; par les sens et puissances elle ne pourrait, en mille ans, comprendre ce qu’elle comprend ici en un instant. Mais l’Époux est tel que sa seule vue la rend plus digne de lui accorder sa main, comme on dit ; l’âme s’éprend d’un tel amour qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour que ne se rompent point ces divines épousailles. Mais si cette âme égare son affection sur quelque chose qui ne soit pas Lui, elle perd tout, et c’est une immense perte, aussi grande que le sont les grâces qu’elle recevait, et bien plus grande qu’on ne saurait le dire.
  5. Aussi, âmes chrétiennes que le Seigneur a amenées à ce terme, je vous demande pour l’amour de Lui de ne pas vous laisser distraire, mais de vous éloigner des tentations ; l’âme, même dans cet état, n’est pas aussi forte pour s’y exposer qu’elle le sera après les fiançailles ; elles auront lieu dans la Demeure dont nous parlerons par la suite. Car il n’y eut d’autre communication qu’une entrevue, comme on dit, et le démon s’acharnera fort à combattre et à faire rompre ces fiançailles ; plus tard lorsqu’il voit l’âme toute soumise à l’Époux, il a moins d’audace, il a peur d’elle, et il sait par expérience que lorsqu’il s’y hasarde, il perd d’autant plus qu’elle y gagne beaucoup.
  6. Je vous le dis, mes filles, j’ai connu des personnes très élevées qui parvinrent à cet état, mais le démon les a regagnées à force de subtilités et de ruses : tout l’enfer doit se liguer dans ce but, sachant, comme je l’ai souvent dit, qu’une âme n’est pas seule à se perdre, mais un grand nombre avec elle. Il le sait par expérience ; et si nous considérons la multitude des âmes que Dieu ramène à Lui au moyen d’une seule, nous pouvons beaucoup le louer des milliers de conversions que faisaient les martyrs. Une jeune fille comme sainte Ursule ! Et celles qui ont échappé au démon du fait d’un saint Dominique, d’un saint François, et autres fondateurs d’ordres ! Celles que lui fait perdre actuellement le P. Ignace, qui fonda la Compagnie, puisque eux tous, comme nous le lisons, ont reçu de Dieu des faveurs semblables ! Comment cela, si ce n’est parce qu’ils ont tout fait pour ne pas rompre par leur faute de si divines fiançailles ? Ô mes filles ! le Seigneur est aussi disposé à nous accorder ses faveurs aujourd’hui qu’il le fut alors, et peut-être même a-t-il plus besoin que jamais de gens qui veuillent les recevoir, car ceux qui considèrent son honneur sont plus rares qu’en ce temps-là. Nous nous aimons beaucoup nous-mêmes, nous usons de prudence, pour ne pas perdre nos droits. Oh ! la grande erreur que voilà ! Plaise à la miséricorde du Seigneur de nous éclairer, pour que nous ne tombions pas dans ces ténèbres !
  7. Peut-être m’interrogeriez-vous sur deux points, dont vous pouvez douter : d’abord, comment une âme aussi soumise à la volonté de Dieu qu’on vous l’a montré peut-elle être trompée, puisqu’elle ne veut suivre en rien sa propre volonté, Ensuite : par quelles voies le démon peut-il pénétrer dans votre âme si dangereusement qu’elle se perde, alors qu’éloignées du monde vous approchez si fréquemment les sacrements, et que vous vivez, nous pouvons le dire, en compagnie des anges ? Toutes, ici, en effet, par la bonté du Seigneur, n’ont d’autre désir que de le servir et lui plaire en toutes choses, mais il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi pour ceux qui vivent au milieu des tentations du monde. Je dis que vous avez raison en cela, Dieu témoigne à notre égard d’une grande miséricorde ; mais quand je vois, comme je l’ai dit, que Judas vivait au milieu des Apôtres, qu’il était en rapports continuels avec Dieu lui-même, écoutant ses paroles, je comprends que ça n’est pas une assurance.
  8. A la première question, je réponds que si cette âme était toujours cramponnée à la volonté de Dieu, il est clair qu’elle ne se perdrait pas ; mais arrive le démon, avec sa grande subtilité, et sous couleur de bien, il l’en éloigne par de toutes petites choses, il l’engage dans d’autres dont il lui insinue qu’elles ne sont pas mauvaises, et peu à peu, en obscurcissant son entendement, en tiédissant sa volonté, en accroissant en elle l’amour-propre, il l’écarte, chaque chose aidant, de la volonté de Dieu, et il l’incline a faire la sienne. De là découle la réponse à la seconde question il n’est clôture si bien close qu’il ne puisse y entrer, ni désert si écarté où il manque d’aller. Et j’ajoute autre chose : le Seigneur permet peut-être qu’il en soit ainsi pour voir comment se comporte cette âme qu’il destine à en éclairer d’autres ; car si elle se montre vile, mieux vaut que ce soit au début plutôt que lorsqu’elle pourrait nuire à beaucoup d’autres.
  9. La démarche la plus sûre, ce me semble, (après la prière, la demande constante à Dieu de son soutien, la pensée continuelle de l’abîme profond où nous sombrerons s’il nous abandonne, le refus de nous fier à nous-mêmes, ce qui serait de la folie), c’est d’être particulièrement avisées, sur nos gardes, et de considérer où en sont nos vertus : si nous progressons ou rétrocédons quelque peu, en particulier dans l’amour réciproque, dans le désir d’être, entre toutes, la moindre, et dans les choses de la vie ordinaire ; car si nous les observons en demandant au Seigneur de nous éclairer, nous jugerons aussitôt de nos profits ou de nos pertes. Mais ne pensez pas que Dieu abandonne si promptement l’âme qu’il a élevée si haut, le démon doit se donner beaucoup de mal, sa perte serait si sensible à Sa Majesté qu’Elle lui donne mille avis intérieurs de multiples façons ; ainsi, elle ne pourra se cacher qu’elle est en danger.
  10. Enfin, pour conclure, tâchons d’aller toujours de l’avant, et si nous ne faisons pas de progrès, vivons dans la crainte, car le démon, sans nul doute, ouvre devant nous un précipice ; lorsqu’on est arrivé aussi haut, il est impossible de cesser de grandir, l’amour n’est jamais oisif, et ce serait fort mauvais signe. L’âme qui a prétendu épouser Dieu lui-même, qui s’est déjà entretenue avec Sa Majesté, qui a été avec Elle dans les termes décrits, ne peut s’endormir. Et pour que vous voyiez, mes filles, ce que Dieu fait pour celles qu’il a déjà prises pour épouses, commençons à parler des sixièmes Demeures ; et vous verrez combien tout ce que nous pouvons faire, servir, souffrir, est peu de chose lorsqu’il s’agit de nous disposer à recevoir de si grandes faveurs. C’est peut-être la raison pour laquelle Notre- Seigneur a ordonné qu’on me commande d’écrire : pour que les yeux fixés sur la récompense, devant sa miséricorde sans bornes, puisqu’il veut bien se manifester à des vers de terre et se montrer à eux, nous oubliions nos minuscules satisfactions terrestres, et, contemplant sa grandeur, nous courrions, enflammées par son amour.
  11. Plaise à Lui que je parvienne à expliquer quelques-unes de ces choses si difficiles ; je sais que cela me sera impossible si Sa Majesté et l’Esprit Saint ne dirigent ma plume. Si vous ne devez pas en tirer profit, je supplie Dieu de me rendre incapable de rien dire, car Sa Majesté sait que si je me connais bien, je ne désire rien d’autre que la gloire de son nom, et que nous nous efforcions de servir un Seigneur qui déjà sur cette terre nous récompense ainsi ; nous pouvons comprendre par là ce qu’il nous donnera au ciel, sans les atermoiements, les épreuves, les dangers de cette mer des tempêtes. Car si nous n’étions pas en danger de le perdre et de l’offenser, ce serait un repos que de ne pas cesser de vivre jusqu’à la fin du monde afin de travailler pour un si grand Dieu, notre Seigneur et notre Époux. Plaise à Sa Majesté que nous méritions de lui rendre quelques services, sans toutes les fautes que nous commettons toujours, même dans nos bonnes œuvres. Amen.