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Traité de la prière II – Chapitre CXI, CXII, CXIII

CXI. -Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement, mais non pas ceux de l’âme, qui le voit, le goûte et le touche.- Belle vision de sainte Catherine.

1. O ma fille bien-aimée! ouvre l’œil de ton intelligence et contemple l’abîme de ma charité. Le cœur de toute créature raisonnable ne devrait-il pas se briser d amour en voyant au milieu des bienfaits que vous recevez de moi le bienfait que vous recevez dans ce divin sacrement? Avec quels sens, ma chère fille, devez-vous voir et toucher cet ineffable mystère? Ce n’est pas seulement avec les sens du corps, car ils sont tous trompés. Tu sais que, l’œil ne voit que la blancheur du pain, la main ne touche et le goût ne goûte que les apparences du pain; les sens grossiers sont trompés, mais les sens de l’âme ne peuvent être trompés, si elle le veut, c’est-à-dire si elle ne veut pas se priver de la lumière de la sainte foi par l’infidélité.

2. Qui peut donc goûter, voir et toucher ce sacrement? Les sens de l’âme. Avec quel œil voit-elle? Avec l’œil de l’intelligence: si cet œil a la prunelle de la sainte foi, cet œil voit dans cette blancheur l’Homme-Dieu tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l’âme et le sang du Christ, l’âme unie au corps, le corps et l’âme unis en ma nature divine, et ne se séparant pas de moi. Je t’ai montré ces choses, presque au commencement de ta vie, non pas seulement aux regards de ton intelligence, mais aussi aux yeux de ton corps, qui furent aveuglés par l’éclat de la lumière et en laissèrent la contemplation à l’intelligence. Je t’ai fait voir ces choses pour te fortifier contre les attaques du démon sur ce sacrement, et pour te faire croître en amour dans la lumière de la très sainte foi.

3. Tu sais qu’en allant à l’église, dès l’aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée par le démon, tu allas te placer en face de l’autel du Crucifix. Le prêtre était à l’autel de Marie, et toi, tu restais à examiner ton indignité; tu craignais de m’avoir offensé par le trouble que le démon t’avait causé, et tu considérais la grandeur de ma charité qui avait bien voulu te faire en tendue la messe, tandis que tu pensais ne pas mériter même d’entrer dans mon saint temple. Lorsque le prêtre fut arrivé à la Consécration, tu levas les yeux sur lui, et pendant qu’il prononçait les paroles de la Consécration, je me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein, une lumière semblable au rayon du soleil qui sort de son disque sans cependant le quitter, et dans cette lumière venait une colombe unie avec elle, et elle frappait sur l’Hostie et le calice par la vertu des paroles de la Consécration que le prêtre prononçait.

4. Alors l’œil de ton corps ne fut plus capable de supporter cette lumière; il ne te resta pour en jouir que l’œil de ton intelligence, et tu pus voir et goûter l’abîme de la Trinité, l’Homme-Dieu tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que la présence lumineuse du Verbe, que ton intelligence voyait dans cette blancheur, ne détruisait pas la blancheur du pain. L’une n’empêchait pas l’autre; la vue de l’Homme-Dieu n’empêchait pas la forme de ce pain, c’est-à-dire qu’elle n’en détruisait pas la blancheur, le goût et le contact. Cela te fut montré par ma bonté.

5. Comment as-tu joui de cette vision? Par l’œil de ton intelligence, avec la prunelle de la sainte foi. L’œil de l’intelligence doit donc être le principal moyen de voir, parce qu’il ne peut être trompé. C’est ainsi que vous devez regarder ce sacrement. Et comment devez-vous le toucher? Avec la main de l’amour. C’est cette main qui touche ce que l’intelligence a vu et connu dans le sacrement; l’âme touche avec la main de l’amour, comme pour s’assurer de ce qu’elle voit par la foi et connaît par l’intelligence. Et comment le goûte-t-elle? Avec le goût du saint désir. Le goût du corps goûte la saveur du pain, et le goût de l’âme, c’est-à-dire son saint désir, goûte l’Homme-Dieu.

6. Ainsi tu vois que les sens du corps sont trompés, mais non ceux de l’âme; l’âme au contraire est éclairée et affermie, parce que l’œil de l’intelligence a vu avec la prunelle de la foi; et parés qu’elle voit et connaît, elle touche avec la main de l’amour, elle goûte avec un ardent désir l’ardeur de mon amour ineffable. C’est cet amour qui l’a rendue digne de recevoir un si grand mystère, et la grâce que lui donne le sacrement. Tu vois que non seulement vous devez recevoir et voir Ce sacrement avec les sens du corps, mais avec les sens spirituels, en disposant toutes les puissances de l’âme à le contempler, à le recevoir, à le goûter avec amour.

CXII.- De l’excellence que l’âme acquiert en recevant ce sacrement en état de grâce.

1. Regarde, ma fille bien-aimée, quelle excellence requiert l’âme qui reçoit comme elle doit le recevoir ce pain de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement, elle est en moi et moi en elle; comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, moi je suis dans l’âme et l’âme est en moi, l’Océan de la paix. Et dans cette âme réside la grâce: elle a reçu le Pain de vie en état de grâce, et la grâce demeure, quand l’accident du pain est consommé.

2. Je lui laisse l’empreinte de la grâce, comme fait le sceau qu’on pose sur la cire chaude: lorsqu’on retire le sceau, l’empreinte du sceau reste; de même la vertu de ce sacrement reste dans l’âme; elle conserve la chaleur de ma divine charité, la clémence du Saint Esprit; elle garde la lumière de la sagesse de mon Fils. L’œil de l’intelligence est éclairé de la sagesse du Verbe, pour qu’elle connaisse et contemple la doctrine de ma Vérité; et cette sagesse qui reste avec force, la fait participer à ma force toute puissante qui fortifie l’âme contre sa propre passion sensitive, contre les démons et contre le monde.

3. Ainsi tu le vois, l’empreinte reste quand le sceau est levé, c’est-à-dire quand les accidents de la sainte Hostie sont consommés et que le Soleil retourne à son disque, dont il n’a jamais été cependant séparé, comme je te l’ai dit; car il est toujours uni avec moi. L’excès de mon amour a voulu vous donner cette nourriture en cette vie, où vous êtes exilés et voyageurs, pour que vous ayez un soulagement et que vous ne perdiez pas la mémoire du bénéfice du sang. Ma divine providence a voulu subvenir à vos besoins, en vous nourrissant de ma douce Vérité. Juge maintenant combien vous êtes obligés de me payer d’amour, moi qui vous aime tant, moi l’éternelle, la souveraine Bonté, si digne d’être aimée!

CXIII.- La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité de ceux qui en sont les ministres.- Dieu leur demande une plus grande pureté qu’aux autres créatures.

1. Je t’ai dit toutes ces choses, ma fille bien-aimée, pour te faire mieux comprendre la dignité de mes ministres et te faire pleurer plus amèrement sur leurs misères. S’ils considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne resteraient pas dans les ténèbres du péché mortel et ne souilleraient pas ainsi leur âme. Non seulement ils ne m’offenseraient pas et ne profaneraient pas leur dignité, mais, en livrant même leur corps aux flammes, il leur semblerait ne pas reconnaître assez le bienfait qu’ils ont reçu; car dans cette vie présente, il leur est impossible d’attendre une plus haute dignité.

2. Je les ai sacrés et je les ai appelés mes Christs, parce que je les ai chargés de me donner à vous. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte Église. L’ange n’a pas cette dignité, et je l’ai donnée aux hommes que j’ai choisis pour mes ministres, Je les ai établis comme des anges, et ils doivent être des anges terrestres en cette vie. Je demande à toute âme la pureté et la charité; je veux qu’elle m’aime et qu’elle aime le prochain, l’aidant comme elle peut, l’assistant de ses prières, et vivant en union avec lui, comme je te l’ai dit en traitant ce sujet. Mais j’exige bien davantage la pureté dans mes ministres; je leur demande un plus grand amour envers moi et envers le prochain, auquel ils doivent administrer le corps et le sang de mon Fils, avec l’ardeur de la charité et la faim du salut des âmes, pour la gloire et la louange de mon nom.

3. Comme les prêtres veulent la pureté du calice où se fait le sacrifice, moi je veux la pureté et la netteté de leur cœur, de leur âme, de leur esprit. Et, parce que le corps est l’instrument de l’âme, je veux aussi qu’ils le conservent dans une pureté parfaite, et qu’ils ne le souillent pas dans une fange immonde; qu’ils ne soient pas enflés d’orgueil ni d’ambition pour les hautes dignités; qu’ils ne soient pas, cruels envers eux et envers le prochain; car ils ne peuvent être cruels envers eux sans l’être pour le prochain. S’ils sont cruels à eux-mêmes par le péché, ils sont cruels aux âmes de leur prochain, parce qu’ils ne donnent pas l’exemple d’une sainte vie et ne travaillent pas à tirer les âmes des mains du démon et à distribuer le corps et le sang de mon Fils unique, et moi la vraie Lumière, dans les sacrements de l’Église. Si donc ils sont cruels à eux mêmes, ils le sont aux autres.

Traité de la prière II – Chapitre CVIII, CIX, CX

CVIII.- L’âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et en particulier pour le corps mystique de la sainte Église.

1. Alors cette âme, tout enivrée, paraissait hors d’elle-même; l’action de ses sens était suspendue par l’amour qui l’unissait à son Créateur; son intelligence était ravie dans la contemplation de l’éternelle Vérité; ce qu’elle voyait l’enflammait d’ardeur, et elle disait:

2. O souveraine et éternelle bonté de Dieu! qui suis-je, misérable, pour que vous le Père, vous me manifestiez votre vérité et les pièges secrets du démon, les dangers de l’amour-propre auxquels je suis exposée pendant le pèlerinage de cette vie, pour que je ne sois pas trompée par le démon, et par moi-même? Qui vous fait agir ainsi? L’amour! Vous m’avez aimée avant d’être aimé de moi.

3. O foyer d’amour! grâces, grâces vous soient rendues à vous, ô Père éternel! Je suis imparfaite et remplie de ténèbres, vous êtes la perfection et la lumière. Vous m’avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J’étais morte et vous m’avez ressuscitée; j’étais malade et vous m’avez guérie. Non Seulement vous m’avez donné le remède du sang que vous avez appliqué au genre humain malade, par votre Fils unique, mais vous m’avez donné un remède pour les infirmités secrètes que je ne connaissais pas, en m’apprenant qu’il ne fallait juger aucune créature raisonnable, surtout vos serviteurs: je tombais souvent dans cet aveuglement et cette infirmité, en les jugeant témérairement, comme par zèle pour votre honneur et pour le salut des âmes.

4. Je vous remercie, souveraine et éternelle Bonté, de m’avoir fait connaître mon infirmité en me manifestant votre vérité et les illusions du démon et de l’amour-propre. Je supplie votre grâce et votre miséricorde de me mettre dans, l’impossibilité de m’écarter des enseignements que vous avez daigné donner à moi et à tous ceux qui voudront les suivre. Sans vous, rien ne peut se faire; j’ai donc recours à vous, je me réfugie en vous, ô Père éternel, et je ne vous implore pas pour moi seule, mais pour le monde entier et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Église.

5. Que cette doctrine que vomis m’avez enseignée, à moi misérable, brille dans vos ministres Je vous le demande aussi spécialement pour tous ceux que vous m’avez donnés, que j’aime d’un amour particulier et que vous avez faits une même chose avec moi; car ils seront ma joie pour la gloire et l’honneur de votre nom, si je les vois courir dans cette douce et droite voie, parfaitement morts à leur volonté, à leurs opinions, purs de tout jugement, de tout scandale et de tout murmure contre leur prochain Je vous demande, ô mon doux Amour, qu’aucun ne me soit ravi par les mains de l’infernal démon, mais que tous parviennent à vous, ô Père, qui êtes leur fin dernière.

6. Je vous fais aussi une autre prière pour les deux appuis que vous avez donnés a ma faiblesse, pour les deux pères auxquels vous avez confié ici-bas la garde et l’enseignement de ma misère, depuis le commencement de ma conversion jusqu’à cette heure. Unissez-les ensemble; que leurs deux corps n’aient qu’une âme, et qu’ils ne pensent qu’à accomplir en eux et dans le ministère que vous leur avez donné, la gloire et l’honneur de votre nom pour le salut des âmes. Et moi, leur indigne et misérable servante, que j’agisse avec eux par amour pour vous, avec un grand respect et une sainte crainte, et que je fasse tout pour votre honneur, pour leur paix et leur repos et pour l’édification du prochain.

7. Je suis certaine, ô Vérité suprême! que vous ne méprisez pas mon désir et mes prières; car je sais, et Vous avez daigné me faire comprendre, surtout par expérience, que vous exauciez les Saints désirs. Moi, votre indigne servante, je m’efforcerai, avec le secours de votre grâce, d’observer votre doctrine et vos commandements.
8. Maintenant, ô Père, je me rappelle une parole que vous m’avez dite lorsque vous m’avez parlé des ministres de la Sainte Église. Vous m’avez annoncé que vous me montreriez plus en détail les fautes qu’ils commettent. S’il plaît à votre bonté de le faire, je vous écouterai pour augmenter en moi la douleur, la compassion que j’ai pour eux, et l’ardent désir que je ressens pour leur salut, car je me souviens que vous m’avez promis d’accorder aux souffrances, aux douleurs, aux sueurs, aux prières de vos serviteurs, le repos et la réforme de l’Église par de bons et saints pasteurs. Pour que je puisse mieux y travailler, accordez-moi ma demande.

CIX.- Dieu sollicite l’âme à la prière et répond à quelques-unes de ses demandes.

1. Alors Dieu, jetant un regard de miséricorde sur cette âme, ne méprisa pas son désir. Il accueillit sa prière, et pour satisfaire à la demande qu’elle lui avait faite au sujet de sa promesse, il lui disait: O ma très douce et très chère fille, je satisferai ton désir comme tu me le demandes, pourvu que de ton côté tu ne commettes pas d’erreur ou de négligence; car ta faute serait beaucoup plus grave et beaucoup plus digne de reproche maintenant qu’auparavant, puisque tu connais davantage ma vérité. Applique-toi donc à prier pour toutes les créatures raisonnables, pour le corps mystique de la sainte Église et pour ceux que je t’ai donnés et que tu aimes d’un amour particulier.

2. Oui, ne cesse jamais de prier avec ardeur; offre à tous l’exemple de ta vie, l’enseignement de ta parole; combats le vice et prêche la vertu autant que tu le pourras. Pour les appuis que je t’ai donnés, ce que tu m’as dit est vrai. Tâche d’être un moyen de donner à chacun ce dont il a besoin; c’est moi, ton Créateur, qui te ferai faire ce qui leur convient, car sans moi tu ne pourrais rien faire. Je remplirai tous tes désirs; mais ne cesse jamais d’espérer en moi, parce que ma providence ne vous manquera jamais. Que chacun reçoive humblement ce qu’il est capable de recevoir; qu’il remplisse le ministère que je lui ai confié, selon la mesure qu’il a reçue et qu’il recevra de ma bonté.

CX.- De la dignité des prêtres.- De la sainte Eucharistie, et de ceux qui la reçoivent dignement ou indignement.

1. Je vais répondre à ce que tu m’as demandé sur les ministres de la sainte Église, et pour que tu comprennes mieux la vérité, ouvre l’œil de ton intelligence et regarde leur excellence et la dignité à laquelle je les ai élevés. Comme les choses se comprennent mieux par leur contraire je veux te montrer la grandeur de ceux qui font saintement valoir le trésor que je leur ai confié. Tu verras ainsi davantage la misère de ceux qui, à cette époque, sont attachés au sein de l’Église, mon épouse.

2. Alors cette âme obéissante contempla la Vérité, et vit, briller la vertu de ceux qui la goûtent véritablement. Dieu lui disait: Ma fille bien-aimée, je veux d’abord te montrer la dignité que ma bonté leur a donnée, outre l’amour général que j’ai eu pour mes autres créatures en les créant à mon image et ressemblance, et en les faisant renaître à la grâce dans le sang de mon Fils unique.

3. L’union de ma divinité à la nature humaine par mon Fils vous a tellement élevés, qu’en cela vous surpassez l’ange même, puisque la Divinité a pris votre nature et non celle de l’ange, tellement que, comme, je te l’ai dit, Dieu s’est fait homme et l’homme est devenu Dieu par l’union des deux natures. Cette grandeur a été donnée à toutes les créatures, raisonnables; mais parmi les créatures j’ai choisi des ministres pour votre salut, afin que vous receviez de leur main le sang de l’humble Agneau sans tache, mon Fils unique. Je leur ai donné la charge d’administrer le soleil, en leur confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine charité, et avec cette lumière et cette chaleur, la couleur, c’est-à-dire le sang et le corps de mon Fils.

4. Ce corps est un soleil; car il n’est qu’une même chose avec le vrai Soleil, et cette union est si grande, que la séparation est impossible; le soleil ne peut séparer sa lumière de sa chaleur, ni sa chaleur de sa lumière, tarit leur union est parfaite. Ce Soleil ne quitte pas son centre, il ne se divise pas pour éclairer tout le monde: quiconque le veut, participe à sa chaleur. Aucune souillure ne peut l’atteindre, et sa lumière lui est unie, ainsi que je te l’ai dit.

5. Le Verbe, mon Fils, avec son Sang précieux, est donc un soleil tout Dieu et tout homme; car il est une même chose avec moi, et moi avec lui. Ma puissance n’est pas Séparée de sa sagesse, et la chaleur, le feu du Saint-Esprit, n’est pas séparée du Père et du Fils, car il est une -même chose avec nous. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils; nous ne sommes qu’un même soleil.

6. Moi, je suis le Soleil, le Dieu éternel, principe du Fils et du Saint-Esprit; au Saint-Esprit est attribuée l’ardeur, au Fils la sagesse, et dans cette sagesse mes ministres reçoivent une lumière de grâce, parce qu’ils administrent cette lumière avec la lumière et la gratitude du bienfait qu’ils ont reçu de moi, le Père, en suivant la doctrine de la Sagesse, mon Fils unique.

7. Cette lumière est celle qui a en elle la couleur de votre humanité, unie l’une avec l’autre. La lumière de ma divinité a été la lumière unie à la couleur de votre humanité, et cette couleur est devenue lumineuse, quand elle devint impassible par la lumière de la nature divine. Par ce moyen, c’est-à-dire par le Verbe incarné, mêlé et uni à ma nature divine et à la chaleur, au feu de l’Esprit-Saint, vous avez reçu la Lumière. A qui l’ai-je donnée cette Lumière à administrer? A mes ministres, dans le corps mystique de la sainte Église, afin que vous ayez la vie, en vous donnant son corps pour aliment et son sang pour breuvage.

8. Je t’ai dit que ce corps est un soleil, et le corps ne peut vous être donné sans le sang, le sang ni le corps sans l’âme du Verbe; et l’âme ni le corps tans ma divinité, parce que l’une ne peut être séparée de l’autre; je t’ai dit ailleurs que la nature divine ne pouvait jamais être séparée de la nature humaine, ni par la mort, ni par aucune cause imaginable. Ainsi, dans cet ineffable sacrement, vous recevez toute l’essence divine sous la blancheur du pain, et comme le soleil ne peut se diviser, la divinité et l’humanité entières ne peuvent se diviser dans la blancheur de cette Hostie. Quand même l’Hostie serait divisée en des millions de parties, dans chacune de ses parties se trouverait le Dieu et l’homme tout entiers, comme je te l’ai dit. En partageant un miroir, on ne partage pas l’image qui se voit dans le miroir; de même en divisant l’Hostie, on ne divise pas la divinité et l’humanité, mais elles se trouvent en chaque partie dans leur totalité et sans être diminuées, comme le feu peut le faire comprendre.

9. Si tu avais une lumière, et si tout le monde venait en profiter, la lumière ne diminuerait pas pour cela, et chacun l’aurait vue complètement. Il est vrai qu’on participe plus ou -moins à cette lumière, selon ce qu’on présente à la flamme; un exemple te le fera comprendre. Si des personnes portaient des flambeaux de poids différents, d’une once, de deux, de trois, de six onces, ou d’une livre, et si elles les allumaient à une lumière, les flambeaux, petits ou grands, recevraient tous la lumière, sa chaleur et son éclat, et pourtant le flambeau d’une once aurait moins que celui d’une livre.

10. Il en est de même de ceux qui reçoivent ce sacrement: chacun porte son flambeau, c’est-à-dire le saint désir avec lequel il reçoit ce sacrement. Le flambeau est éteint, et il s’allume en recevant le sacrement. Je dis qu’il est éteint, parce que par vous-mêmes vous n’êtes rien, il est vrai que je vous ai donné la matière avec laquelle vous pouvez alimenter en vous cette lumière et la recevoir. Cette matière est l’amour; car je vous ai créés par amour, et vous ne pouvez vivre sans amour.

11. Cet être que vous a donné l’amour, a reçu au saint baptême, en vertu du sang de mon Fils, la disposition sans laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous seriez comme un flambeau sans mèche, qui ne peut briller et recevoir la lumière. Il en serait de même pour vous, si votre âme n’avait cette mèche qui reçoit la lumière de la sainte foi, unie à la grâce que vous recevez au baptême, avec cette faculté de votre âme créée pour aimer. L’âme est tellement faite pour aimer, que sans amour elle ne peut vivre; car l’amour est vraiment sa nourriture. Mais où s’allume l’âme ainsi préparée? Au feu de ma divine charité, en m’aimant, en me craignant et en suivant la doctrine de mon Fils.

12. Il est vrai qu’elle s’enflammera plus ou moins, selon la matière qu’elle aura pour alimenter le feu, bien que vous ayez la même matière, puisque tous vous êtes créés à mon image et ressemblance, et qu’étant chrétiens, vous avez la lumière du saint baptême. Mais chacun peut croître en amour et en vertu, selon qu’il le veut, avec le secours de ma grâce. Vous ne changez pas la forme que je vous ai donnée; vous grandissez seulement et vous augmentez vos vertus, en exerçant votre libre arbitre dans l’ardeur de la charité, pendant que vous en avez le temps; car lorsque le temps est passé, vous ne pouvez rien faire.

13. Ainsi, vous pouvez croître en amour, comme je vous l’ai dit, et avec cet amour vous devez venir recevoir l’ineffable Sacrement, cette douce et glorieuse Lumière, que j’ai chargé mes ministres de vous distribuer pour votre nourriture. Vous recevez cette lumière selon la mesure de votre ‘amour et l’ardeur de votre désir; vous la recevez, comme je te l’ai expliqué, par l’exemple de ceux qui ont des flambeaux, et qui reçoivent la lumière selon l’importance de ces flambeaux, quoique la lumière soit complète et indivisible.

14. Cette lumière ne peut être divisée par l’imperfection de celui qui la reçoit ou de celui qui l’administre. Vous participez à la lumière, c’est-à-dire à la grâce que vous recevez dans ce sacrement, autant que vous vous disposez à le recevoir par un saint désir. Et si quelqu’un s’approche de ce sacrement en état de péché mortel, il ne reçoit pas la grâce, quoiqu’il reçoive réellement l’Homme-Dieu tout entier, ainsi que je te l’ai dit.

15. Ma fille bien-aimée, sais-tu à quoi ressemble cette âme qui me reçoit indignement? Elle ressemble à un flambeau qui est tombé dans l’eau et qui ne fait que pétiller quand on l’approche du feu; la flamme s’éteint dès qu’on l’y met, et il ne reste que la fumée. Il en est ainsi de l’âme: elle porte en elle te flambeau qu’elle a reçu dans le saint baptême, mais elle jette en elle l’eau du péché, et cette eau mouille la mèche, destinée à la lumière de la grâce dans le saint baptême. Tant qu’elle ne l’a pas séchée par le feu d’une vraie contrition et par l’humble confession de ses fautes, elle va au banquet de l’Autel recevoir cette lumière corporellement, mais non spirituellement.

16. Ainsi, quand l’âme n’est pas disposée comme elle devrait l’être pour un aussi grand mystère, cette vraie Lumière ne reste pas en elle par la grâce; mais elle disparaît, elle s’éteint, et l’âme reste dans une confusion plus grande les ténèbres du péché augmentent, et elle n’éprouve autre chose de ce sacrement qu’un remords de conscience de plus, non par l’effet de la Lumière qui ne peut jamais être altérée, mais par l’effet de l’eau du péché qui est dans l’âme et qui l’empêche de recevoir la Lumière.

17. Tu vois donc qu’en aucune manière cette Lumière, unie à sa chaleur et à sa couleur, ne peut être altérée, ni par la faiblesse du désir que l’âme apporte à recevoir ce sacrement, ni par la faute de l’âme qui le reçoit, ni par celle de celui qui l’administre. Je te disais que le soleil, en éclairant une chose immonde, n’en est jamais souillé; de même cette douce Lumière, dans ce sacrement, ne peut jamais être souillés, ni divisée, ni diminuée, ni séparée de son centre, quoique le monde entier participe à sa lumière et à sa chaleur.

18. Ainsi, le soleil du Verbe, mon Fils, ne se sépare jamais de moi, le Soleil son Père, lorsque dans le corps mystique de la sainte Église, il est administré à tous ceux qui veulent le recevoir; mais il est toujours en moi; et vous le recevez cependant, Dieu et homme tout entier, comme je te l’ai expliqué par la comparaison de la lumière, où tous les hommes pourraient allumer leurs flambeaux, en la laissant dans sa totalité.

Traité de la prière II – Chapitre CV, CVI, CVII

CV.-  Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.

1. Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je t’expliquerai ce que tu me demandais sur la manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre d’une manière générale, et non particulière, à moins que je ne te l’aie expressément révélé; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.

2. Je t’ai dit, et je te répète qu’en aucune occasion il n’est permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.

3. Je t’ai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement l’amour de la vertu, par la connaissance d’eux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu’elle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur l’aptitude, les forces et l’état de chacun: les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.

4. Je t’ai dit qu’il ne fallait reprendre le prochain que d’une manière générale, et c’est la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses qu’en voyant un défaut formel dans quelqu’un, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même s’il s’obstine et s’il ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Église (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je t’ai dit d’être prudente et de ne pas te hâter sur des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou d’en recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce n’est comme je te l’ai dit: c’est le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. J’ai fini maintenant, ma bien chère fille, de t’expliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de l’âme.

CVI. -Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.

1. Je vais te dire maintenant ce que tu, me demandais sur le signe que je donne à l’âme dans ses visions et ses consolations spirituelles pour distinguer les visites qu’elle reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou d’un autre. Je t’ai dit que le signe de ma visite était ta joie que je laissais dans l’âme et la faim de la vertu qu’elle ressent, les sentiments d’une humilité sincère et l’ardeur de la divine charité. Tu m’as demandé si dans cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion, parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le signe de la vertu qui ne peut t’égarer. Je te dirai le piège que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont l’ennemi peut vous tromper.

2. Apprends que toute créature raisonnable qui aime et désire une chose, éprouve de la joie lorsqu’elle la possède; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit avec discernement, moins elle s’applique à la connaître avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de ce qu’elle a désiré, et la joie qu’elle y trouve la rend aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent trop les consolations spirituelles, recherchent les visions et s’attachent plus aux douceurs des consolations qu’à moi-même, comme je te l’ai dit de ceux qui sont dans l’état imparfait, parce qu’ils s’arrêtent plus aux faveurs qu’ils reçoivent de moi qu’à l’ineffable charité avec laquelle je leur donne.

3. Ces personnes peuvent être trompées dans leur joie, sans compter les autres dangers qui les menacent. Comment sont-elles trompées? Le voici: Lorsque l’âme s’est passionnée pour la consolation et qu’elle la reçoit de quelque manière, elle ressent une grande joie, parce qu’elle voit ce qu’elle aime et ce qu’elle désire. Souvent ces consolations peuvent venir du démon, et l’âme en ressent cependant de la joie. Mais, je te l’ai dit, quand c’est le démon qui agit, cette visite de l’âme commence dans la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience et l’indifférence de la vertu.

4. Quelquefois l’âme peut avoir cette joie et la conserver jusqu’à la fin de l’oraison, mais si cette joie se trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle n’est pas embaumée d’humilité et embrasée du feu de ma divine charité, ces visites, ces consolations, ces visions qu’elle a reçues sont du démon et non de moi, quoiqu’elle éprouve le signe de la joie. Puisque cette joie n’est pas unie à l’amour de la vertu, il est évident qu’elle vient de l’amour que l’âme avait pour sa propre consolation. Elle jouit, elle est heureuse parce qu’elle a ce qu’elle désirait, car c’est le propre de tout amour de ressentir de la joie quand il reçoit ce qu’il aime.

5. Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors même qu’elle durerait pendant toute la consolation, et encore davantage. L’amour aveuglé par cette joie ne peut reconnaître la tromperie du démon, s’il n’agit pas avec prudence, mais en agissant avec prudence, l’âme verra si la joie est accompagnée de l’amour de la vertu, et par ce moyen elle connaîtra si la visite qu’elle reçoit vient de moi ou du démon.

6. Ainsi pour reconnaître quand c’est moi qui te visite, il faut que ta joie soit unie à la vertu; c’est le signe que je t’ai donné et qui te fera discerner l’erreur et la vérité, c’est-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la’ joie qui viendra de l’amour-propre spirituel uniquement attaché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à l’amour de la vertu, et celle du démon, donne la joie seulement. Quand on s’aperçoit que la vertu n’augmente pas, on doit en conclure que la joie procède de l’amour de la consolation.

7. Je veux que tu saches que tous ne sont pas trompés par cette joie; il n’y a que les imparfaits qui recherchent la consolation et qui s’attachent plus au bienfait qu’au bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi d’un amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consolation, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette joie; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le démon veut les tromper en se transformant en ange de lumière et en les remplissant d’allégresse. Ils ne sont point passionnés pour la consolation, et ils reconnaissent avec prudence le piège du démon; leur joie passe vite, et comme ils voient qu’ils sont dans les ténèbres, ils s’humilient dans la vraie connaissance d’eux-mêmes. Ils méprisent toute consolation et embrassent avec ardeur la doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite, ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.

8. Ceux qui aiment leur consolation seront souvent ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le moyen que je t’indique, c’est-à-dire en s’apercevant que cette joie n’est pas accompagnée de l’amour de la vertu, de l’humilité, de la vraie charité, du désir de mon honneur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état qu’ils soient, un moyen de n’être jamais trompé. Si vous voulez conserver la lumière de l’intelligence que je vous donne par la sainte foi, ne la laissez jamais obscurcir par le démon et par l’amour-propre; car si vous ne la perdez pas volontairement, personne ne pourra vous l’enlever.

CVII. – Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs.- Combien lui sont agréables ceux qui frappent avec persévérance à la porte de la Vérité.

1. Maintenant, ma très chère fille, j’ai clairement dévoilé, à l’œil de ton intelligence les pièges que le démon pourrait te tendre, et j’ai satisfait aux demandes que tu m’avais adressées, car je ne méprise jamais les désirs de mes serviteurs; je donne à qui demande, et je vous invite à demander. J’ai en aversion celui qui ne frappe pas véritablement à la porte de mon Fils en suivant sa doctrine. Suivre sa doctrine, c’est frapper en m’appelant par la voix du saint désir, par d’humbles et continuelles prières.

2. Je suis le Père qui vous donne le pain de la grâce à la porte de ma douce Vérité. Quelquefois, pour éprouver vos désirs et votre persévérance, je parais ne pas entendre, mais je vous entends bien et je vous donne ce dont,vous avez besoin; car je vous donne la faim et la voix avec laquelle vous criez vers moi. En voyant votre constance, j’accomplis vos désirs lorsqu’ils sont justes et dirigés vers moi. C’est à demander ainsi que ma Vérité vous invite lorsqu’elle dit: « Appelez et on vous répondra; frappez et on vous ouvrira; demandez et on vous donnera ».

3. Et moi je te le dis aussi: Je ne veux pas que tu te lasses de désirer et de chercher mon secours. Que ta voix ne cesse jamais de crier vers moi pour que je fasse miséricorde au monde. Frappe toujours à la porte de mon Fils; aime à être avec lui sur la croix, à te nourrir de la nourriture des âmes pour la gloire et l’honneur de mon nom, et à gémir dans l’angoisse de ton cœur sur la perte des hommes que tu vois plongés dans une telle misère, que la, langue ne saurait jamais la raconter. C’est par vos cris et vos gémissements que je veux faire miséricorde au monde. Et c’est pour cela que je les demande à mes serviteurs; ils me prouveront ainsi qu’ils m’aiment en vérité, et je te l’ai dit, je ne mépriserai pas leur désir.

Traité de la prière II – Chapitre CII, CIII, CIV

CII.-  Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.

1. Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je t’ai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je t’ai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite l’avaient de deux manières: les uns se séparent du monde et s’appliquent à mortifier leurs corps; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.

2. Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle je t’appelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je t’ai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela t’arriverait si tu te faisais juge des pensées et des intentions des créatures raisonnables; car comme je te l’ai dit, je dois seul les juger.

3. C’est là une des trois choses que je te recommande d’observer. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci: A moins que je ne t’aie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre d’une manière générale les vices de celui qui vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en n’ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.

4. S’il te semble que je t’ai montré souvent les défauts de quelqu’un, mais si tu ne vois pas que ce soit une révélation formelle, comme je te l’ai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin d’éviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par l’amorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n’y serait pas; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.

5. Que ta bouche garde donc le silence, ou qu’elle parle seulement de la vertu pour combattre le vice; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte d’une sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.

6. Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d’eux-mêmes. Cela n’empêche pas leur élévation et leur union avec moi. C’est là une des trois choses que je t’ai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.

CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel.

1. Voici maintenant la seconde explication: si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l’une la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l’autre, quoique les deux me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de l’âme éprouvée que son état vient de quelque faute; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelqu’un tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu’il te semblera que ton âme s’engraisse de sa vertu, comme le veut l’ardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue d’offrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition d’une faute, mais l’effet d’une de ces privations que j’envoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des états de l’âme.

2. Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. L’âme ne sentira plus de douceur et de consolation; elle sera plongée dans la sécheresse, l’aridité, la peine; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. J’agis ainsi par- amour pour cette âme qui est l’objet de la prière, afin que celui qui prie s’unisse à elle pour dissiper le nuage qui l’environne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que c’est le péché qui cause les ténèbres que je t’ai montrées dans cette âme; car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.

3. Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car c’est ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m’appartient; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec l’ardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je l’ai dit plus haut.

4. C’est ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que t’a donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes; c’est le seul moyen d’acquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom.

CIV.-  On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu.

1. Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je t’en dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité il arrive souvent qu’en voyant marcher les autres par la voie d’une austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et s’ils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense qu’ils font mal.

2. Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu’on juge mal parce qu’il fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiqu’il ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te l’ai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’agissent pas avec une humilité véritable, s’ils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.

3. Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et c’est par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. C’est la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l’âme passionnée et revêtue de ma Vérité.

4. Je ne méprise pas cependant la pénitence; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre l’esprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et n’ont pas la même complexion; la nature est plus forte dans l’un que dans l’autre, et souvent il arrive, comme je te l’ai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités qu’on avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection; l’âme perdrait la consolation et la vertu.

5. Parce que vous êtes privés d’une chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans l’ennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de l’oraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à l’abandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement l’amour de la pénitence, et non l’ardeur du désir des véritables et solides vertus.

6. Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence: vous êtes dans l’erreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez l’ennui, l’amertume, et vous voulez nie servir par des œuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et d’anéantir la volonté-propre. C’est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, l’ardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.

7. Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain; mais vous vous réjouirez en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à l’âme. Ce n’est pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon l’aveuglement et l’infirmité de leur vue; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.

Traité de la Prière I – Chapitre C, CI

C.- De la troisième et parfaite lumière. – Des œuvres de l’âme parvenue à cette lumière.

1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma permission, ainsi que je te l’ai dit en te parlant du troisième état unitif de l’âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte de consolation; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permets est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l’âme l’a reconnu, elle se revêt de ma volonté; elle ne songe à autre chose qu’au moyen de conserver et d’accroître sa perfection pour la gloire et l’honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’œil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d’amour.

3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s’est nourri à la table du saint désir, en cherchant l’honneur de son Père et votre salut. C’est ce désir qui l’a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l’obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n’a pas craint la fatigue et les opprobres; il n’a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne s’est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un généreux chevalier que j’avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d’amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.- C’est comme si le doux et tendre Verbe, mon Fils, vous disait: Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans votre amour-propre, dans l’ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l’a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l’océan de la paix.

5.- Lorsque l’âme est parvenue à goûter cette lumière et qu’elle en connaît la douceur parce qu’elle l’a goûtée, elle court vers moi dans l’ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu’elle vienne: elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s’est dépouillée de l’amour mercenaire qui m’aime par intérêt. Elle s’est revêtue de la lumière parfaite en m’aimant, sans songer à autre chose qu’à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu’elle y trouve et à l’utilité que lui procure le prochain, mais en agissant par pur amour.

6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c’est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l’homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu’ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s’appliquent plus à tuer leur propre volonté qu’à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n’est pas là leur but principal; c’est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l’ai dit en t’expliquant cette parole: que je voulais peu de mots et beaucoup d’actions.

7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l’honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans cette glorieuse lumière le font, et c’est pour cela qu’ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu’ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c’est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu’elles puissent leur nuire, parce qu’ils sont revêtus et fortifiés par l’ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.- Ils sont heureux de tout ce qu’ils voient, de tout ce qu’ils rencontrent, et ils disent: Grâces vous soient rendues, ô Père éternel! de ce qu’il y a en votre maison plusieurs demeures (S. Jean, XIV,2). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu’ils admirent plus la grandeur de ma bonté; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m’offensent et disant avec une humilité parfaite: Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.- O ma fille bien-aimée! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l’Agneau, mon Fils unique, c’est-à-dire de sa doctrine, par l’ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde; ils ne sont jamais scandalisés d’aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s’égarent jamais, et parce qu’il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu’ils aiment ni d’aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s’arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l’expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t’étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s’il t’en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.- Ma Vérité te disait clairement: si tu veux arriver à la pureté parfaite; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m’être unie par l’amour, car je suis la souveraine, l’éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l’âme véritablement. Plus tu t’approcheras de moi, plus tu deviendras pure; et plus tu t’en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu’ils sont séparés de moi; car l’âme qui s’unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté: il faut t’abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres; il ne faut jamais considérer la volonté de l’homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l’épine la rose, en m’offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes; car personne ne peut juger les secrets du cœur de l’homme.

13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce qu’en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l’âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu’ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l’âme qui en tout, comme je te l’ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l’amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l’âme en m’aimant m’est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses: T’unir à moi par l’amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi; voir avec l’œil de ton intelligence l’ardeur ineffable de ma charité envers vous; voir enfin ma volonté dans la volonté de l’homme, et non pas sa méchanceté, parce que c’est moi qui suis juge, ce n’est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t’enseignas ma Vérité, s’il t’en souvient bien.

16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m’as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.

CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle . Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu’ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu’ils auront ce qu’ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l’ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l’âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit, c’est-à-dire que l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d’une nourriture, et en s’en nourrissant elle ne s’en rassasie jamais, parce qu’elle est insatiable et qu’elle a une faim continuelle.

2.- Les arrhes sont une garantie qu’on donne à l’homme pour qu’il attende le payement. Cette sûreté n’est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d’arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain; elle n’est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.- Ce qu’elle reçoit n’est pas parfait, parce qu’elle n’est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle ni dans les autres: en elle, par l’offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l’esprit; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu’elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n’a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel; car, comme je te l’ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l’était sur le bois de la sainte Croix; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l’union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l’union de leur saint désir en moi, parce qu’ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu’ils compatissent au malheur du prochain, et qu’ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles.

Traité de la Prière I – Chapitre XCVI, XCVII, XCVIII, XCIX

XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

1.- Alors cette âme enflammée d’un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour: Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d’amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m’avez clairement montrée.

2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu’avant de finir ce sujet vous m’expliquiez ces deux points: D’abord, si quelqu’un s’adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien; mon Dieu, que vous m’avez déjà expliqué cette parole que vous m’avez dite:  » Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d’actions « . Cependant, s’il plaisait fi votre bonté de m’en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l’oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j’en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l’une est dans la lumière et l’autre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelqu’un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais-je juger qu’il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui n’a en fait pas? Faites, mon Dieu, que je ne m’égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez-moi plus particulièrement ce que vous m’avez dit d’une manière générale.

4.- La seconde chose que je vous demande, c’est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c’est vous qui visitez l’âme, ou si ce n’est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l’âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle; si cela était, je ne m’arrêterais qu’au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l’égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l’âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.

XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu. – De la lumière générale.

1.- Alors l’Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son cœur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta sur elle les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant: Ma bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au-dessus de toi-même, et ouvre l’œil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l’amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l’oreille de ton cœur et de ton désir; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.- L’âme qui ne voit pas avec l’œil de son intelligence l’objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t’élèves au-dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi; je me réjouis en moi-même de mes œuvres.

3.- Alors cette âme obéissante s’éleva au-dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait; et l’Éternel lui dit: Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t’en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir: Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m’as demandé, et je t’expliquerai particulièrement ce que j’en ai dit d’une manière générale.

5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vraie Lumière, au moyen de l’intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi; et cette foi s’exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s’illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n’arriverez qu’aux ténèbres.

7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j’en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passent comme le vent; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d’abord votre propre fragilité, et combien elle s’incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n’y consent pas, mais elle combat violemment contre l’esprit.

8.- Je n’ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fus éprouvée dans l’âme, car la vertu ne s’éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l’esprit, et c’est par la sensualité que l’âme montre l’amour qu’elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu’elle se combat elle-même par le mépris.

9.- J’ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l’humilité véritable. Tu dois voir qu’en créant l’âme à mon image et à ma ressemblance, et en l’élevant à une si haute dignité et beauté, je l’ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.- Ainsi donc, l’homme fragile qui a cette lumière, a raison d’humilier son âme, et n’a aucun sujet de s’enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l’instabilité de la vie présente. C’est ce que doit voir l’œil de l’intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l’ai dit, la prunelle de l’œil.

11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau sans tache. C’est la lumière générale que chacun doit avoir: et s’il ne l’avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l’empêche d’être en état de grâce, c’est de n’avoir pas la lumière; celui qui n’a pas la lumière ne connaît pas le mal de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu; il ne peut m’aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière; car vos fautes ne consistent qu’à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu et je hais le vice; celui qui aime le vice et hait la vertu, m’outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice; il ignore aussi la vertu, et il m’ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.

XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

1.- Lorsque l’âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s’en contenter; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n’avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s’efforcer d’atteindre la seconde lumière en allant de l’imparfait au parfait, parce qu’il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.- Dans cette seconde lumière, il y a deux sortes de parfaits; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états: le premier, où sont ceux qui s’appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas contre la raison; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté, comme je te l’ai déjà dit.

3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c’est-à-dire avec l’humble connaissance d’eux-mêmes et de moi, surtout s’ils s’appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S’il en était autrement, c’est-à-dire s’ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait? Parce qu’ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté.

4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j’ai appelé la volonté spirituelle, et ils disent: Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d’une autre.

5.- C’est ainsi que souvent l’âme tombe dans la peine et l’ennui, et qu’elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s’aperçoit pas de la corruption de l’orgueil qui l’envahit. Car, si l’âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l’état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j’appelle les âmes; elle verrait que toute chose vient de mon amour et qu’elle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.

Traité de la Prière I – Chapitre XCII, XCIV, XCV, XCVI

XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie.

1.-Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n’êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l’âme.

2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du cœur, c’est le cœur qui donne les larmes aux yeux lorsque l’ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu’il est vert; s’il était sec il ne pleurerait pas. De même le cœur reverdit par l’action de la grâce, et perd la sécheresse de l’amour-propre qui dessèche l’âme; ce cœur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.

3.- Plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l’âme est séparée du corps et qu’elle est arrivée à moi, sa fin, elle n’abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes les autres vertus.

4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L’âme me désire, mais elle me possède en vérité; sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.

5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d’une manière finie; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d’une manière infinie, et vous n’avez d’infini que le désir et l’élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c’est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes.

6.- Aussitôt que l’âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères; mais l’ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu’elle a consumées, comme l’eau est absorbée par une fournaise: l’eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu’ l’attire et la détruit. De même, l’âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l’ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l’amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m’offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.

7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’œil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t’ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu’il produit dans l’âme (Dans l’édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.).

XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.

1.- Je commencerai d’abord par les premières larmes dont je t’ai parlé, c’est-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui vivent dans le monde, et qui font leur Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du cœur, et c’est la vérité; car le cœur souffre autant qu’il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur cœur souffre, c’est-à-dire quand il est privé de ce qu’il aime.

2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien? -Autant qu’ils ont de sortes d’amour. Et parce que la racine est corrompue par l’amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu: c’est un arbre qui n’a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu’agitent tous les vents. Tel est l’arbre de l’âme. Vous êtes tous des arbres d’amour, et sans l’amour vous ne pouvez vivre; car vous avez été faits par moi, par amour. L’âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l’humilité véritable; mais celle qui vit misérablement l’enterre dans la montagne de l’orgueil, et, parce que l’arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.

3.- Ces fruits sont leurs œuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l’est aussi. L’âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu’elle n’est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes œuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’œuvre imparfaite que l’âme me présente.

4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels; quelquefois je lui accorde, comme je te l’ai dit; du temps pour qu’elle puisse se corriger. D’autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j’aime et que j’écoute. Ainsi l’ai-je fait pour mon glorieux apôtre Saint-Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d’être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l’homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.

5.- Je t’ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c’est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du cœur qui m’offense et qui déteste le prochain; l’homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l’infection des faux jugements de deux manières. D’abord l’homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères; il reçoit avec haine ce que j’ai fait par amour; il voit le mensonge où j’ai mis la vérité, et la mort où j’ai placé la vie. Il juge et condamne d’après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu’il a obscurci l’œil de l’intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l’amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.

6.- Il juge ensuite faussement le prochain; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s’ignore lui-même, veut connaître le cœur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d’après un acte qu’il verra ou une parole qu’il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu’ils s’appuient sur moi, le Bien suprême; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu’ils partent d’un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l’homicide, l’aversion pour le prochain et l’éloignement de l’amour de la vertu dans mes serviteurs.

7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne songent à autre chose qu’à maudire et condamner mes œuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux qu’ils rencontrent et qu’ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et uniquement faite pour m’honorer., pour confesser leurs fautes, pour pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont là les feuilles du péché, car le cœur d’où elles viennent n’est pas pur; il est tout souillé de fausseté et- de misère, outre le tort que cause à l’âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d’homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le cœur de celui qui l’entend; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.

8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d’autres. Leur commune racine est l’amour de soi-même et l’orgueil, d’où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.

9.- Les branches sont courbées jusqu’à terre, car les péchés mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu’à s’en repaître sans pouvoir s’en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu’ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu’ils ne désirent qu’une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empêche d’être rassasiés, c’est qu’ils désirent une chose finie, tandis qu’ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu’ils meurent à la grâce par le péché.

10.- L’homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au-dessus de lui; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au-dessus de lui; il n’y a rien que moi, l’Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu’il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuel Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l’arbre de l’amour sensuel, qui est le principe de tout mal.

XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.

1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, le vent de la prospérité, le vent de l’adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l’âme l’orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S’il domine, il multiplie l’injustice, la vanité du cœur, les impuretés du corps et de l’esprit, l’amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.

2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c’est la racine de l’arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c’est que leur cœur n’est pas rassasié, il désire ce qu’il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’œil veut toujours satisfaire le cœur.

3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d’autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l’intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu’il ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l’esclave malheureux du péché; il s’assimile à la chose qu’il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.

4.- Lorsque le vent de la crainte l’a frappé, il ressent bientôt celui de l’adversité, qu’il redoutait et qui le prive de ce qu’il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n’est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L’âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l’impatience, les scandales, les murmures, la haine, l’aversion pour moi et pour mes créatures.

5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d’impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; l’homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il n’a plus de bonheur, d’espérance, parce qu’il est privé de ce qu’il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c’est aussi l’amour déréglé et la peine du cœur d’où viennent ces larmes.

6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c’est la racine d’où elles procèdent, c’est-à-dire l’amour propre déréglé du cœur. Si le cœur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l’Éternel, je veux lui faire miséricorde. J’ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le cœur.

7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c’est un acte de ma divine bonté. J’ai voulu attirer l’homme par l’amour, au moyen de la prospérité. J’ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son cœur à aimer d’une manière sainte et méritoire. Je I’ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu’il connût la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu’il ouvre la bouche et qu’il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s’éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d’aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s’en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain. Il en est ainsi parce que la racine et l’arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.

8.- S’ils ne se convertissent pas pendant qu’ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c’est-à-dire avec un désir de l’âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils avaient voulu, ils seraient sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J’ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l’être de l’âme, mais non quant à la haine et à l’amour qui est dans l’âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré: mais si l’homme finit dans l’amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s’il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.

9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu’ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle; les prières, les aumônes, les autres bonnes œuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu’ils ont vécu, ils n’ont pas voulu être unis à l’obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.

10.- Ils recueillent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon; le démon leur donne le fruit qu’il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.

XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.

1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l’ai dit, c’est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu’ils ont ainsi purifié l’âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent leur âme à l’amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n’apercevaient, avant- de l’avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu’ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.

2.- Ainsi fait l’homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l’âme doit prendre. En effet, l’âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections; elle reçoit le second fruit, c’est-à-dire le second état des larmes où l’âme, poussée par l’amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Pourvu qu’elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son cœur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l’amour même. Et à cause de la douceur, et de la consolation qu’elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu’elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.

3.- En exerçant l’amour qui est entré dans le cœur purifié par la crainte, l’âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté; et dès que l’amour est maître de l’âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle obtient enfin de s’asseoir au festin, c’est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l’amour des vertus, et qu’elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s’assoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son cœur; dès qu’elle l’a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut; car c’est pour mon honneur et votre salut que le cœur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l’horreur, du péché.

4.- Quel fruit reçoit l’âme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d’une humilité véritable et d’une patience qui ôte tout scandale et délivre l’âme de toute affliction, parce qu’avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n’y a que la volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l’ai dit, et c’est ainsi que l’âme tombe dans l’impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.

5.- O fruit d’une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m’es agréable! Tu fais trouver la douceur dans l’amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la volonté divine, une ardente charité l’enveloppe comme d’un vêtement, et il est impossible à l’eau d’entrer.

6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n’est pas seule, car la persévérance l’accompagne; elle est la moelle de la charité, et c’est celle qui montre qu’on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l’imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c’est-à-dire par l’Impatience.

7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu’elles sont parfaites, lorsqu’elles sont imparfaites; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l’âme: tu es l’essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu’elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L’âme te conçoit dans la connaissance d’elle-même et dans la connaissance de ma bonté; elle t’enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t’en rassasies sans cesse.

8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie; ils ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.

9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre; c’est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l’âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l’Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu’elle ressent de l’offense qui m’outrage. Ce n’est pas une peine qui l’afflige, parce que l’amour avec la vraie patience tue la crainte et l’amour-propre, qui donnent la peine. Mais c’est une peine pleine de douceur qui vient de l’offense qui m’est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l’âme qui s’en réjouit, parce que c’est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.

XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.

1.- Je t’ai dit le fruit des troisièmes larmes; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n’est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain; l’une est préparée par l’autre; mais, en arrivant au quatrième état, l’âme a fait tant de progrès, qu’elle souffre non seulement avec patience, mais qu’elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu’elle vienne, pourvu qu’elle puisse ressembler à Jésus crucifié.

2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l’enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l’âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié: c’est-à-dire qu’elle suit ses traces et sa doctrine; car elle a bien compris dans le troisième état, qu’on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.

3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine; c’est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L’âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié; elle tire à elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n’étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu’elles ont été faites et unies en moi, l’Amour suprême; car l’âme n’a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.

4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l’âme s’attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L’âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu’elle a trouvé en goûtant l’éternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s’enrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d’abord le bienfait de la création qui l’a faite à mon image et ressemblance; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l’ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l’amour et le repentir du péché qu’elle voit m’avoir tellement déplu que je l’ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l’a éclairée, et qui l’éclaire dans la vérité.

5.- Quand l’âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu’elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite; elle connaît ma vérité, c’est-à-dire que par mon amour paternel je l’ai créée pour lui donner la vie éternelle; et cette vérité je l’ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu’elle la connaît, elle l’aime; dès qu’elle l’aime, elle le prouve en aimant purement ce que j’aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu’elle s’est rappelée et qu’elle a retenu mes bienfaits.

6.- L’intelligence a reçu la lumière; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l’aveuglement de l’amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu’elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s’élève à une lumière acquise, non par sa nature ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l’ardeur des désirs et les fatigues qu’on offre devant moi. Alors le cœur qui suit toujours l’intelligence, s’unit à moi d’un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu’un me demandait ce qu’est cette âme, je répondrais: Un autre moi-même par l’union de l’amour.

7.- Quelle langue pourrait dire l’excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu’en retirent les trois puissances de l’âme? C’est de leur sainte union que je te parlais en t’expliquant, à l’occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l’ont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d’Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l’extase et la lumière de l’intelligence, que dans les études humaines. C’est une lumière que j’ai donnée au corps mystique de la sainte Église pour dissiper les ténèbres de l’erreur.

8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d’une manière ou d’une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l’union parfaite, la langue ne pourra jamais l’exprimer, puisqu’elle est une chose finie. C’est ce que Saint Paul affirmait en disant:  » L’œil ne peut voir, l’oreille entendre, le cœur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment véritablement  » (I Cor., II, 9).

9.- Oh! qu’elle est douce cette demeure! douce au-dessus de toutes les douceurs, par l’union parfaite de l’âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l’âme, parce qu’elle ne fait plus qu’un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières; l’encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes; c’est une voix sans paroles humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté.

10.- Ce sont ces fruits de l’union qui nourrissent l’âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l’union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu’elle ne peut se rassasier de ce qu’elle désire tant qu’elle est dans les liens d’un corps mortel, où se trouve une loi perverse; cette loi est endormie par l’amour de la vertu: elle n’est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l’endort disparaît. C’est pour cela qu’on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l’âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.

11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n’ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m’offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t’ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu’en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l’éternelle damnation.

Traité de la Prière I – Chapitre LXXXIX, XC, XCI, XCI

LXXXIX.- Des différentes sortes de larmes.

1.- Apprends, ma fille, que toute larme vient du cœur, car aucune partie du corps ne correspond si parfaitement que l’œil aux affections du cœur. Si le cœur souffre, l’œil le fait paraître. Si sa douleur est sensuelle, les larmes le sont aussi et engendrent la mort, parce qu’elles procèdent d’un amour déréglé qui m’offense et qui empoisonne la douleur et les larmes. Cette douleur et ces larmes sont plus ou moins coupables, selon la mesure de l’amour déréglé, ceux qui pleurent ainsi répandent les larmes de mort dont je t’ai parlé.

2.- Voici maintenant les larmes qui commencent à donner la vie: ce sont les larmes de ceux qui à la vue de leurs fautes commencent à pleurer par crainte du châtiment. Ces larmes sont humaines et sensibles, parce que l’âme n’a pas encore la haine parfaite de sa faute, à cause de l’offense qu’elle m’a faite, sa douleur vient de la peine qui suit le péché commis, et l’œil pleure parce qu’il obéit au mouvement du cœur.

3.- Lorsque l’âme s’exerce à la vertu, elle commence à perdre la crainte, parce qu’elle connaît que la seule crainte ne suffit pas pour donner la vie éternelle, comme je te l’ai expliqué dans le second état de l’âme. Alors elle s’élève avec amour à la connaissance d’elle-même et de ma bonté jour elle, et elle commence à espérer de ma miséricorde dans laquelle se réjouit son cœur. La douleur de sa faute se mêle à la joie de l’espérance dans ma miséricorde, et l’œil commence à verser des larmes qui viennent de la source du cœur.

4.- Mais, parce que l’âme n’est pas parvenue à la véritable perfection, souvent ces larmes sont encore sensuelles. Et si tu me demandes pourquoi, je te répondrai: Parce que la racine de l’amour-propre n’est pas détruite: Je ne parle pas de l’amour-propre sensitif, car il est vaincu, mais de l’amour-propre spirituel, qui fait désirer à l’âme les consolations qui viennent de moi ou de quelque créature qu’elle aime d’une affection spirituelle.

5.- Lorsqu’elle est privée de ces consolations intérieures ou extérieures, intérieures si elles viennent de moi, ou extérieures si elles viennent des créatures, lorsqu’elle est éprouvée par les tentations du démon et par les persécutions des hommes, son cœur souffre, et aussitôt l’œil ressent sa douleur et commence à répandre des larmes personnelles qui viennent de la tendresse que l’âme u pour elle-même, parce que sa volonté propre n’est pas encore entièrement foulée aux pieds et détruite. Ces larmes sont sensuelles, car elles procèdent d’une passion spirituelle dont je t’ai montré l’imperfection.

6.- Mais si l’âme, en augmentant la connaissance d’elle-même, se méprise et se hait parfaitement; si elle acquiert ainsi une vraie connaissance de ma bonté et un ardent amour, elle commence à unir et conformer sa volonté à la mienne, et à ressentir intérieurement la joie de la compassion, la joie de l’amour et la compassion du prochain, comme je te l’ai dit en parlant du troisième état. Aussitôt l’œil qui veut satisfaire le cœur verse des larmes excitées par ma charité et par l’amour du prochain. L’âme pleure sur l’offense qui m’est faite, et sur le malheur du prochain, sans penser à la peine qu’elle peut en recevoir elle-même, parce qu’elle s’oublie pour ne penser qu’à rendre gloire à mon nom; et dans l’ardeur de son désir, elle se rassasie à la table de la sainte Croix, en imitant l’humilité, la patience de l’Agneau sans tache, mon Fils unique, dont j’ai fait un pont pour les hommes.

7.- Lorsque l’âme a passé sur ce pont, en suivant la doctrine de rua Vérité et l’exemple de mon Verbe, elle souffre avec une sincère patience les épreuves et les afflictions que je permets pour son salut; non seulement elle les supporte avec patience, mais encore avec joie et empressement. Elle trouve que c’est une gloire d’être persécutée pour mon nom , selon ma volonté et non selon la sienne. Elle est contente, pourvu qu’elle souffre, et elle goûte une consolation et une paix qu’aucune langue n’est capable d’exprimer.

8.- En suivant ainsi la doctrine de mon Fils, elle fixe son intelligence en moi, la Vérité suprême; en me voyant, elle me connaît, en me connaissant elle, m’aime. L’amour suit l’intelligence et savoure ma divinité qu’elle connaît et qu’elle voit dans la nature divine unie à votre humanité. Elle se repose en moi, l’océan de la paix, et son cœur m’est uni par les liens de l’amour, comme je l’ai dit dans le quatrième état unitif. Le sentiment de ma divinité fait verser aux yeux de douces larmes qui sont un lait pur dont l’âme se nourrit clans la patience. Ces larmes sont un baume précieux qui répand un parfum d’une extrême suavité.

9.- O ma fille bien-aimée! quelle gloire pour cette âme qui a réellement su passer de la mer orageuse du monde à moi, l’océan de la paix, pour y remplir le vase de son cœur dans les abîmes de ma divinité! L’œil, qui est le canal dit cœur, en reçoit les larmes et les répand avec abondance. C’est le dernier état, où l’âme est heureuse et affligée: heureuse par l’union qu’elle éprouve en moi, et par l’amour divin qu’elle goûte; affligée par l’offense qu’elle voit faire à ma bonté, à ma grandeur qu’elle a vue et goûtée dans la connaissance d’elle-même. C’est par cette connaissance et par la mienne qu’elle arrive à ce dernier état.

10.- Cet état unitif n’empêche pas qu’elle ne répande des larmes d’une extrême douceur, que lui causent la connaissance d’elle-même et la charité du prochain. Elle pleure d’amour pour ma divine miséricorde, et de douleur pour l’offense du prochain; elle pleure avec ceux qui pleurent, et se réjouit avec ceux qui se réjouissent. L’âme se réjouit avec ceux qui vivent dans la charité, parce qu’elle me voit rendre grâce et honneur par mes serviteurs.

11.- Les secondes larmes n’empêchent pas les dernières, c’est-à-dire celles du second état d’union. Les unes conduisent aux autres. Si les dernières larmes, où l’âme a trouvé une si grande union, n’étaient pas venues des secondes, c’est-à-dire du troisième état de la charité du prochain, elles ne seraient pas parfaites. Il faut qu’elles viennent les unes des autres: sans cela la présomption serait à craindre; le vent perfide de la propre estime pourrait faire tomber l’âme des hauteurs de la vertu jusqu’aux abîmes des premières chutes.

12.- Il faut soutenir et entretenir la charité du prochain par la vraie connaissance de soi-même. Ainsi s’alimentera le feu de ma charité dans l’âme, parce que la charité du prochain vient de ma charité, c’est-à-dire de cette connaissance que l’âme a d’elle et de ma bonté en elle. Elle voit un amour ineffable envers elle, et du même amour dont elle se voit aimée, elle aime toute créature raisonnable. C’est pour cela que l’âme, aussitôt qu’elle me connaît, aime le prochain, et elle aime avec ardeur ce qu’elle voit que j’aime le plus.

13.- Elle comprend qu’elle ne peut m’être utile personnellement et me rendre ce pur amour que je lui porte; alors elle s’applique à me rendre cet amour par le moyen que je lui ai donné, c’est-à-dire par le prochain. C’est le moyen dont vous devez profiter; car, comme je te l’ai dit, toute vertu s’accomplit par le moyen du prochain, en agissant envers lui en général et en particulier, selon les grâces de la vocation que je vous donne.

14.-Vous devez aimer du même amour pur dont je vous aime. Vous ne le pouvez faire à mon égard, parce que je vous ai aimés sans être aimé et sans aucun intérêt, car je vous ai aimés avant même votre existence. L’amour m’a porté à vous créer à mon image et ressemblance. Vous ne pouvez me rendre cet amour gratuit, mais vous devez le rendre aux créatures raisonnables; vous devez les aimer sans en être aimés et sans songer à aucun intérêt spirituel ou temporel. Vous devez les aimer uniquement pour l’honneur et la gloire de mon nom, parce que je les aime: et ainsi vous accomplirez le commandement de la loi qui est de m’aimer par-dessus toute chose et d’aimer le prochain comme vous-mêmes.

15.- Il est vrai qu’on ne peut arriver à cette hauteur que par le second degré de l’union; et, quand on y est parvenu, on ne peut le conserver, si on s’éloigne de cet amour qui conduit aux secondes larmes. Il est impossible d’accomplir ma loi sans celle qui regarde le prochain. Ce sont les deux pieds de l’affection qui font observer les commandements et les conseils que vous a donnés ma Vérité, Jésus crucifié. Ces deux états, qui n’en font qu’un, nourrissent l’âme dans la vertu, en augmentant sa perfection et son état d’union. L’âme ne change pas d’état quand elle est parvenue à ce degré; mais à ce degré augmente la richesse de la grâce par de nouveaux dons et d’admirables extases, avec une connaissance de la Vérité qui semble être du ciel plus que de la terre, parce que le sentiment de sa propre sensualité est vaincu, et que sa volonté est morte par l’union qu’elle a avec moi.

16.- Oh! combien cette union est douce pour l’âme qui en jouit et qui voit ainsi mes secrets! Souvent l’esprit de prophétie lui fait connaître les choses futures; c’est un don de ma bonté, que l’âme humble ne doit pas demander, parce qu’elle doit fuir, non pas les effets de ma charité, mais le désir des consolations. Pour entretenir sa vertu, elle sa reconnaît indigne de la paix et du repos; elle ne s’arrête pas au second état, mais elle descend dans la vallée de la connaissance de sa faiblesse.

17.- Ma grâce lui accorde cette lumière pour qu’elle grandisse. Car l’âme n’est jamais si parfaite en cette vie, qu’elle ne puisse arriver à une plus grande perfection d’amour. Il n’y a que mon Fils bien-aimé, votre Chef, qui ne pouvait pas croître en perfection, parce qu’il était une même chose avec moi et moi avec lui. Son âme était bienheureuse par l’union de sa nature divine. Mais vous qui êtes ses membres, vous pouvez, pendant votre pèlerinage, croître toujours en perfection; vous ne pouvez, cependant arriver à un autre état que celui dont je vous ai parié; vous êtes arrivés au dernier, mais vous pourrez toujours y croître dans la perfection, autant que vous le désirerez, avec le secours de ma grâce.

XC.- Résumé du chapitre précédent. – Le démon fuit ceux qui sont arrivés aux cinquièmes larmes. – Les attaques du démon sont la voie véritable pour parvenir à cet état.

1.- Tu as vu maintenant toutes les larmes et leur différence, parce qu’il a plu à ma Vérité de satisfaire ton désir. Les premières viennent de ceux qui sont dans un état de mort et de péché mortel. Tu as vu que la douleur procède généralement du cœur, et comme le principe du sentiment qui cause les larmes est corrompu, cette douleur est corrompue et misérable, et toutes leurs œuvres sont mauvaises. Dans le second état se trouvent ceux qui commencent à connaître leur malheur par le châtiment qui doit suivre la faute. C’est là un premier mouvement que ma bonté donne aux faibles et aux aveugles qui se noient dans le fleuve, en méprisant la doctrine de mon Fils. Mais il en est un très grand nombre qui connaît leur malheur sans crainte servile du châtiment et qui ressent aussitôt une grande haine d’eux-mêmes; à cause de cette haine, ils se reconnaissent dignes de toutes sortes de peines.

2.- Plusieurs s’appliquent en toute simplicité à me servir et à se repentir de l’offense qu’ils ont faite à leur Créateur. Il est vrai que celui qui a une grande haine de lui-même est plus apte que tout autre à parvenir à la perfection; tous y arrivent en s’exerçant à la vertu, mais celui-là y arrive le premier. Celui qui avance avec une grande haine de lui-même doit prendre garde de rester dans la crainte servile; celui qui marche plus simplement doit prendre garde de s’engourdir dans la tiédeur, cette route cependant est la vocation la plus commune.

3.- Dans le troisième et le quatrième état se trouvent ceux qui ont quitté la crainte, pour arriver à l’amour et à l’espérance; ils goûtent ma divine miséricorde, et reçoivent de moi des faveurs et des consolations abondantes; leurs yeux pleurent d’abord pour satisfaire le sentiment de leur cœur, mais comme ce sentiment est encore imparfait et mélangé de regrets spirituels, en s’exerçant à la vertu, iIs arrivent au degré où l’âme, augmentant son désir, s’unit et se conforme tellement à ma volonté, qu’elle ne peut vouloir et désirer que ce que je veux. Elle trouve alors en elle des pleurs d’amour et de douleur pour l’offense et le malheur du prochain. Cet état est inséparable de la perfection où l’âme s’unit dans la vérité, et augmente l’ardeur du saint désir.

4.- Le démon fuit ce saint désir et ne peut ébranler l’âme, ni par l’injure qui lui est faite parce qu’elle est devenue patiente dans la charité du prochain ni par les consolations spirituelles ou temporelles parce que la haine d’elle-même, son humilité sincère lui fait tout mépriser. Il est vrai que de son côté le démon ne dort jamais: il vous donne en cela des leçons, lorsque par votre négligence vous perdez à dormir le temps dont vous pourriez profiter. Mais sa vigilance ne peut nuire à cette âme, parce qu’il ne peut supporter l’ardeur de sa charité ni l’odeur de l’union qu’elle a contractée avec moi, l’océan de la paix.

5.- L’âme ne peut être trompée tant qu’elle est unie à moi; le démon s’en éloigne, comme la mouche fuit la vapeur d’un vase qui bout sur le feu; si le vase était tiède, la mouche ne le craindrait pas; elle s’y arrêterait, quoique souvent elle y périsse, en y trouvant plus de chaleur qu’elle ne croyait. Il en arrive de même pour l’âme qui n’est pas encore parvenue à l’état parfait: le démon, parce qu’il la croit tiède, s’y présente avec beaucoup de tentations; mais il y trouve une connaissance de soi-même, une ferveur et une horreur des fautes qui lui résistent et fixent la volonté dans les liens de la haine du péché et de l’amour de la vertu.

6.- Que l’âme se réjouisse quand elle éprouve ces tentations, car c’est là le chemin pour arriver à ce doux et glorieux degré. Je te l’ai dit, vous arrivez à la perfection par la connaissance et la haine de vous-mêmes, et par la connaissance de ma bonté. Jamais l’âme ne se connaît aussi parfaitement, si je suis en elle, qu’au moment de ces combats: elle se connaît en se voyant dans des combats qu’elle ne peut éviter malgré sa volonté; elle peut seulement y résister en refusant toujours son consentement, mais pas autrement. Elle peut alors comprendre qu’elle n’est pas; car si elle était quelque chose par elle-même, elle se délivrerait de ces tentations qui lui répugnent.

7.-Elle s’humilie ainsi dans la connaissance d’elle-même, et avec la lumière de la sainte foi elle court vers moi l’Éternel, dont la bonté conserve sa volonté dans la droiture et la justice, si elle ne consent pas, pendant le combat, à obéir à ces misères qui la tourmentent. Vous avez donc bien raison de vous fortifier dans la doctrine du doux et tendre Verbe, mon Fils unique, lorsque l’adversité et les tentations des hommes et du démon vous éprouvent, car ce sont des moyens pour augmenter la vertu et parvenir à la perfection.

XCI.- Ceux qui désirent pleurer et ne le peuvent pas, ont des larmes de feu. – Pour quelle raison Dieu retire les larmes corporelles.

1.- Je t’ai parlé des larmes parfaites et imparfaites toutes sortent du cœur comme d’un vase, qu’elle qu’en soit la raison: aussi peut-on les appeler toutes des larmes du cœur. Leur différence vient de l’amour réglé ou déréglé, parfait ou imparfait, comme je te l’ai dit: il me reste maintenant à te parler, pour satisfaire ton désir, de ceux qui souhaitent la perfection des larmes et semblent ne pouvoir l’atteindre.

2.- Y a-t-il une autre manière de pleurer? Oui, car il y a des larmes de feu, c’est-à-dire les larmes d’un vrai et saint désir, les larmes de ceux qui se consument d’amour et qui voudraient perdre la vie dans la douleur, par haine pour eux-mêmes, par zèle pour le salut des âmes; et il semble qu’ils ne peuvent y réussir. Je te dis que ceux-là ont des larmes de feu, par lesquelles le Saint-Esprit pleure devant moi, pour eux et pour le prochain. Ma divine charité embrase de ses flammes cette âme, qui m’offre ses ardents désirs sans pouvoir pleurer.

3.- Ces larmes sont des larmes de feu, et c’est pour cela que je te dis que le Saint-Esprit pleure dans cette âme. Au lieu des larmes qu’elle ne peut répandre, elle offre le désir, la volonté qu’elle a de pleurer par amour pour moi. Lorsque mes serviteurs exhalent le parfum des saints désirs, et offrent en ma présence d’humbles et continuelles prières, l’Esprit Saint gémit en eux. C’est ce que mon glorieux apôtre Saint-Paul voulait exprimer lorsqu’il disait que l’Esprit Saint me sollicite pour vous par des gémissements inénarrables (Rom., VIII, 26).

4.- Tu vois donc que ces larmes de feu ne sont pas moins efficaces que les larmes qui coulent des yeux. Souvent même elles valent davantage, selon la mesure de l’amour. L’âme ne doit donc pas se troubler et se croire privée de moi parce qu’elle désire les larmes et qu’elle ne peut en répandre comme elle le voudrait. Elle doit les désirer en conformant sa volonté à la mienne, et s’humilier toujours, qu’elle les obtienne ou qu’elle ne les obtienne pas, selon qu’il plaît à ma bonté divine.

5.- Quelquefois je n’accorde pas les larmes du corps, pour que l’âme persévère dans l’humilité, la prière et le désir de me goûter; car si elle recevait de moi ce qu’elle me demande, elle n’en retirerait pas l’utilité qu’elle en attend, mais elle serait contente de posséder ce qu’elle désire, et ralentirait son ardeur. Pour soutenir et augmenter sa vertu, je la prive des larmes des yeux; je lui donne des larmes du cœur tout embrasées du feu de ma divine charité. Je suis le médecin, et vous êtes les malades; je donne à tous ce qui est nécessaire à votre salut et à la perfection de vos âmes.

6.- Ceci est la vérité et l’explication des différentes sortes de larmes que tu m’as demandées, ma fille bien-aimée. Baigne-toi dans le sang de Jésus crucifié, dans le sang de l’humble Agneau sans tache, et avance toujours dans la vertu, afin d’augmenter en toi le feu de ma divine charité.

Traité de la Prière I – Chapitre LXXXV, LXXXVI, LXXXVII, LXXXVIII

LXXXV.- Ceux qui sont arrivés à cet état unitif sont éclairés dans leur intelligence par une lumière surnaturelle et infuse de la grâce. – Il vaut mieux consulter, pour le salut de son âme, un humble qui a une conscience pure, qu’un savant qui a de l’orgueil.

1.- C’est avec cette lumière qui éclairait son intelligence que me vit saint Thomas d’Aquin et qu’il acquit, les clartés de la science, comme le firent saint Augustin Saint-Jérôme et nies autres saints docteurs. Ils étaient éclairés d’en haut et comprenaient dans les ténèbres ma vérité, c’est-à-dire la Sainte Écriture qui parait obscure parce qu’elle n’est pas comprise, non par le défaut de l’Écriture, mais par l’ignorance de celui qui ne la comprend pas. Aussi j’ai donné ces lampes pour éclairer les aveugles et les intelligences grossières, afin que l’homme puisse connaître la vérité dans les ténèbres.

2.- Moi, le feu qui consume le sacrifice, je les ai ravis en leur donnant la lumière surnaturelle qui fait comprendre la vérité dans les ténèbres. Et alors ce qui paraissait obscur est devenu évident pour les ignorants comme pour les savants. Chacun reçoit la lumière selon sa capacité et selon la préparation qu’il apporte à mie connaître; car je ne méprise les bonnes dispositions de personne.

3.- L’intelligence reçoit une lumière infuse par la grâce, supérieure à la lumière naturelle, une lumière avec laquelle les saints docteurs et mes autres serviteurs ont connu la lumière dans les ténèbres. Des ténèbres est venue la lumière, car l’intelligence a été formée avant l’Écriture; c’est de l’intelligence que vient la science, puisque c’est en voyant qu’elle discerne.

4.- Avec cette lumière, les prophètes ont vu l’avènement et la mort de mon Fils; les apôtres l’ont possédée après la descente du Saint-Esprit; les évangélistes, les docteurs, les confesseurs, les vierges, les martyrs en ont tous été éclairés; tous l’ont reçue selon que le demandaient leur salut, le salut des âmes et l’enseignement de la Sainte Écriture.

5.- Les docteurs l’ont reçue pour expliquer la doctrine de ma Vérité, la prédication des Apôtres et les textes des Évangélistes; les martyrs, pour montrer par leur sang la lumière de la foi, le trésor et le fruit du sang de l’Agneau; les vierges l’ont montrée par la charité et la pureté. Les obéissants ont fait briller l’obéissance du Verbe, cette obéissance parfaite que mon Fils a embrassée pour courir à la mort ignominieuse de la Croix.

6.- Cette lumière est visible dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Dans l’Ancien Testament, par les prophètes dont l’intelligence a été surnaturellement éclairée par ma grâce; dans le Nouveau Testament, par la vie évangélique révélée au chrétien fidèle. La nouvelle loi venait de la même lumière, car elle n’a pas détruit l’ancienne, elle en est inséparable; elle en a seulement ôté l’imperfection, parce qu’elle était fondée sur la crainte.

7.- Lorsque le Verbe mon Fils vint avec la loi d’amour, il l’accomplit en lui donnant l’amour, en ôtant la crainte de la peine, et en ne lui laissant que la bonne et sainte crainte. Aussi, mon Fils disait à ses disciples pour montrer qu’il ne détruisait pas la loi:  » Je ne suis pas venu pour- détruire la loi, mais l’accomplir  » (S. Matth., V. 17). Comme s’il disait: jusqu’à présent, la loi était imparfaite; mais avec mon sang je la rendrai parfaite et je l’accomplirai en ce qui lui manque, parce que j’ôterai la crainte de la peine; je l’établirai sur l’amour et sur la crainte sainte et filiale.

8.- Comment la Vérité est-elle connue? Par la lumière surnaturelle qui est donnée à qui veut la recevoir de ma grâce. Toute lumière qui sort de la sainte Écriture, sort de cette lumière. Les ignorants, orgueilleux de leur science, s’aveuglent dans la lumière, parce que leur orgueil et les nuages de l’amour-propre en couvrent et en cachent la clarté. Ils comprennent la lettre et l’apparence de l’Écriture plus qu’ils n’en saisissent le sens; ils goûtent la lettre en consultant beaucoup de livres, mais ils ne goûtent pas la moelle de l’Écriture, parce qu’ils sont privés de la lumière avec laquelle l’Écriture a été formée et présentée.

9.- Ceux-là s’étonnent et murmurent quand ils voient des gens sans instruction plus éclairés sur la vérité que ceux qui ont longtemps étudié. Ce n’est pas surprenant, puisqu’ils possèdent la cause de la lumière d’où vient la science; mais, parce que, les superbes ont, perdu la lumière, ils ne voient pas et ne connaissent pas ma bonté et la lumière de la grâce répandue sur mes serviteurs.

10.- Aussi je te dis qu’il vaut mieux prendre pour le conseiller de son âme une personne humble qui a une conscience droite et pure, qu’un savant orgueilleux qui a beaucoup étudié. Car on ne peut donner que ce qu’on a soi-même. Une vie de ténèbres change souvent en ténèbres pour les autres la lumière des Saintes Écritures. Tu trouveras le contraire dans mes serviteurs parce que la lumière qu’ils ont en eux, ils la présentent avec l’ardent désir du salut des âmes.

11.- Je te dis cela, ma très douce fille; pour te faire connaître la perfection de l’état unitif, où l’intelligence est ravie par le feu de ma charité qui donne la lumière surnaturelle. L’âme m’aime avec cette lumière, parce que l’amour suit l’intelligence; plus elle connaît, plus elle aime, et plus elle aime, plus elle connaît. L’intelligence et l’amour se nourrissent réciproquement.

12.- C’est par cette lumière que l’âme isolée du corps parvient à mon éternelle vision, où elle me goûte en vérité, comme je te l’ai dit en t’expliquant le bonheur que l’âme reçoit en moi. C’est l’état le plus élevé où l’âme dans sa vie mortelle puisse goûter la vie des Bienheureux. Souvent son union est si grande, qu’elle sait à peine si elle est avec son corps ou sans son corps. Elle a un avant-goût de la vie éternelle, parce qu’elle m’est étroitement unie, et que sa volonté est morte en elle: c’est cette mort qui l’unit à moi, et il n’y a pas d’autre moyen de s’unir à moi parfaitement. L’âme goûte la vie éternelle dès qu’elle est délivrée de l’enfer de sa volonté propre. L’homme souffre comme un damné quand il obéit à sa volonté sensitive.

LXXXVI.- Résumé de ce qui précède. – Dieu invite l’âme à prier pour toute créature et pour la sainte Église.

1.- Tu as vu avec ton intelligence et tu a entendus avec ton cœur, comment tu devais profiter pour toi et pour ton prochain de la doctrine et de la connaissance de ma Vérité. Je te l’ai dit en commençant, tu dois arriver à la connaissance de la vérité par la connaissance de toi-même; mais cette connaissance de toi-même doit être jointe et unie à la connaissance de moi-même en toi. C’est ce qui te donnera l’humilité, la haine, le mépris personnel et le feu de la charité que tu trouveras dans ma connaissance; tu parviendras ainsi à l’amour du prochain, en lui étant utile par la doctrine et les exemples d’une vie sainte.

2.- Je t’ai montré un pont et les trois degrés qui représentent les trois puissances de l’âme. Personne ne peut avoir la vie le la grâce s’il ne monte ces trois degrés, c’est-à-dire, s’il ne réunit toutes ses puissances en mon nom. Je t’ai montré plus parfaitement ces trois degrés de l’âme figurés sur le corps de mon Fils unique, dont je fais un moyen de vous élever, en parvenant à ses pieds percés, à l’ouverture de son côté, et à sa bouche où l’âme goûte la paix et le repos.

3.- Je t’ai fait connaître l’imperfection de la crainte servile, et l’imperfection de l’amour de ceux qui m’aiment à cause de la douceur qu’ils trouvent en moi. Tu as vu la perfection du troisième degré, celle de ceux qui sont arrivés à la paix de la bouche, après avoir couru avec un ardent désir sur le pont de Jésus crucifié et avoir monté les trois degrés principaux, en unissant les puissances de leur âme et toutes leurs opérations en mon nom, comme je te l’ai clairement expliqué. Tu les as vus, après avoir franchi les trois degrés particuliers, passer de l’état imparfait à l’état parfait dans lequel ils courent en vérité.

4.- Je t’ai fait goûter la perfection de l’âme et les parfums de ses vertus. Je t’ai montré aussi les pièges où elle peut tomber avant d’arriver à la perfection, si elle ne s’applique pas toujours à se connaître et à me connaître Je t’ai montré le malheur de ceux qui se noient dans le fleuve, en ne passant pas par le pont de la doctrine de ma Vérité, que -je vous ai donné pour que vous ne périssiez pas; mais les insensés ont préféré se noyer dans les misères et la fange du monde.

5.- Je t’ai montré ces choses pour augmenter en toi le feu des saints désirs et la douleur de la perte des âmes, afin que la douleur et l’amour te poussent à me faire violence par les larmes, les sueurs, les humbles et continuelles prières que tu m’offriras avec ardeur. Je t’ai parlé pour que beaucoup d’autres qui me servent m’entendent, et pour qu’enflammés de ma charité, vous m’imploriez tous et vous me forciez à faire miséricorde au monde et au corps mystique de la sainte Église pour lequel tu m’as tant prié.

6.- Je t’ai promis, si tu te le rappelles, d’exaucer vos saints désirs et de récompenser vos peines. Je réformerai la sainte Église en lui donnant de bons et saints pasteurs. Ce ne sera pas avec la guerre, le glaive et la cruauté, mais avec la paix, le calme, les larmes et les sueurs de mes amis; je vous ai envoyés travailler à vos âmes et à celles du prochain, dans le corps mystique de la sainte Église, en agissant par la vertu, l’exemple et la doctrine, en m’offrant de continuelles prières pour le salut des hommes, et en produisant des vertus dans le prochain. Car je veux que vous soyez utiles à votre prochain, c’est le moyen véritable de faire fructifier votre vigne.

7.- Ne cessez jamais de faire monter vers moi le bon encens de vos prières pour le salut des âmes, parce que je veux faire miséricorde au monde. Je laverai avec vos prières, vos sueurs et vos larmes, la face de mon épouse, la sainte Église, que je t’ai montrée sous la forme d’une femme dont le visage est sali et pour ainsi dire couvert de lèpre, parce que les ministres de la religion et tous les chrétiens l’ont souillée de leurs fautes, comme je te l’expliquerai bientôt.

LXXXVII.- L’âme demande à Dieu de vouloir bien lui faire connaître les différentes sortes de larmes.

1.- Alors cette âme tourmentée d’un immense désir, et tout enivrée de son union avec Dieu et de ce qu’elle avait entendu de la Vérité suprême, se désolait de l’aveuglement des créatures qui méconnaissaient leur bienfaiteur et l’ardeur de la charité divine. Elle se réjouissait cependant de l’espérance que Dieu lui avait donnée, en lui enseignant ce qu’elle devait faire avec ses autres serviteurs, pour obtenir sa miséricorde au monde. Elle fixa le regard de son intelligence dans la douce Vérité à laquelle elle était unie, parce qu’elle voulait savoir quelque chose des états de l’âme dont Dieu lui avait parlé. Et comme elle voyait que l’âme passe à ces états par les larmes, elle désirait apprendre de la Vérité la différence des larmes, ce qu’elles sont, d’où elles viennent et les fruits qu’elles produisent.

2.- La vérité ne pouvant être connue et comprise que par la Vérité même, elle s’adressait à la Vérité, où rien ne s’aperçoit que par l’intelligence. Celui qui veut la connaître doit s’élever vers elle par l’ardeur du désir, en ouvrant l’œil de son intelligence par la lumière de la foi, en fixant son regard sur la Vérité. Quand donc cette âme eut connu qu’elle ne s’était pas écartée de la doctrine que Dieu, la Vérité même, lui avait enseignée, et qu’il n’y avait pas d’autres moyens de connaître ce qu’elle voulait savoir des différentes larmes et de leurs fruits, elle s’éleva au-dessus d’elle-même par un effort extraordinaire de son désir, et à la lumière d’une foi vive, elle fixait son regard dans la Vérité éternelle où elle vit et connut la vérité de ce qu’elle demandait. Dieu se manifestait à elle, et sa bonté condescendait à son ardent désir et accueillait favorablement sa demande.

LXXXVIII.- Des larmes qui se rapportent aux différents états de l’âme.

1.- La Vérité suprême lui disait doucement: Ma très douce et très chère fille, tu me demandes de t’apprendre les causes des larmes et leurs résultats; je veux satisfaire ton désir. Ouvre donc l’œil de ton intelligence, et Je te montrerai par les trois états de l’âme les larmes imparfaites qui viennent de la crainte. Mais avant je t’expliquerai celles que répandent les hommes coupables du monde: ce sont des larmes de damnation. ‘Les secondes larmes sont celles de la crainte, celles de ceux qui fuient le péché pour éviter le châtiment et qui pleurent par crainte. Les troisièmes sont celles de ceux qui, purifiés du péché, pleurent avec douceur en commençant à me goûter et à me servir. Mais, parce que leur amour est imparfait, leurs larmes sont encore imparfaites. Les quatrièmes sont celles de ceux qui sont arrivés à la perfection de la charité du prochain, en m’aimant sans intérêt pour eux-mêmes. Ceux-là pleurent, et leurs larmes sont parfaites. Les cinquièmes sont mêlées aux quatrièmes; ces larmes sont d’une douceur extrême, et il y a une grande charrue à les répandre, comme je te le dirai bientôt.

2.- Je te parlerai aussi des larmes de feu, que l’œil ne verse pas, parce que ce sont celles de ceux qui voudraient pleurer et ne le peuvent pas. L’âme passe par ces différentes larmes en quittant la crainte et l’amour imparfait pour arriver à la charité parfaite de l’état unitif. Je vais t’expliquer toutes ces larmes.

Traité de la Prière I – Chapitre LXXXI, LXXXI, LXXXII, LXXXIV

LXXXI.- Comment les démons même rendent gloire à Dieu

1.- De même que les pécheurs servent dans cette vie à augmenter la vertu de mes serviteurs, de même les démons dans l’enfer sont les bourreaux et les ministres de ma justice sur les damnés. Ils servent aussi mes créatures, qui, dans leur pèlerinage terrestre, désirent arriver à moi, leur fin. Ils les servent en exerçant leur vertu par des attaques et des tentations de toute sorte, en les exposant aux injures et aux injustices des autres afin de leur faire perdre la chante, mais en voulant dépouiller mes serviteurs, ils les enrichissent en exerçant leur patience, leur force et leur persévérance. De cette manière ils rendent gloire et honneur à mon nom.

2.- Ainsi s’accomplit ma vérité en eux. Je les avais créés pour me louer, me glorifier et pour les faire participer à ma beauté; mais ils se sont révoltés contre moi par orgueil, ils sont tombés, ils ont été privés de ma vision. Ils ne me rendent pas gloire par l’amour; mais moi, la Vérité éternelle, je les ai faits des instruments pour exercer mes serviteurs à la vertu, et des bourreaux pour punir les damnés ou pour purifier ceux qui sont dans le purgatoire. Tu vois que ma vérité s’accomplit véritablement à eux, puisqu’ils me rendent gloire, non pas comme les habitants du ciel, dont ils sont exilés par leur faute, mais comme les ministres de ma justice dans les enfers et dans le purgatoire.

LXXXII.- L’âme, délivrée de cette vie, voit parfaitement la gloire de Dieu dans toute créature; elle n’a plus la peine du désir, mais seulement le désir.

1.- Qui est-ce qui voit et goûte en toute chose, dans les créatures raisonnables et dans les démons même la gloire et l’honneur de mon nom? C’est l’âme dépouillée de son corps et parvenue à moi, qui suis sa fin. Elle voit parfaitement et connaît la Vérité. En me voyant, moi, le Père, elle aime; en aimant, elle est rassasiée; en étant rassasiée, elle connaît la vérité, et cette connaissance de la vérité fixe sa volonté dans la mienne; elle y est tellement ferme et attachée, que rien ne peut lui causer de peine, parce qu’elle a ce qu’elle désirait avoir. Elle désirait avant tout me voir et voir glorifier mon nom; elle le voit pleinement et véritablement dans mes saints, dans les anges, dans toutes les créatures, dans les démons mêmes.

2.- Elle voit l’offense qui m’est faite; elle ne peut plus comme autrefois en ressentir de la douleur, elle en éprouve seulement de la compassion; elle aime sans peine et prie toujours avec charité pour que je fasse miséricorde au monde. En elle la peine est passée, mais non la charité. Le Verbe, mon Fils, vit finir, dans la mort douloureuse de la Croix, la peine du désir de votre salut qui le tourmentait; mais le désir de votre salut n’a pas cessé avec la peine.

3.- Si l’ardeur de ma charité que je vous ai montrée en mon Fils avait cessé pour vous, vous ne seriez pas. Vous êtes faits par amour; si je retirais l’amour, c’est-à-dire si je n’aimais pas votre être, vous ne seriez pas; mais mon amour vous a créés, mon amour vous conserve, et, parce que je suis une même chose avec mon Verbe et mon Verbe avec moi, la peine du désir a cessé, mais non pas le désir.

4.- De même les saints qui ont la vie éternelle conservent le désir du salut des âmes, mais sans en avoir la peine; la peine s’est éteinte dans leur mort, mais non ‘ardeur de la charité. Ils sont comme enivrés du sang de l’Agneau sans tache, et revêtus de la charité du prochain ils ont passé par la porte étroite, tout inondée du sang de Jésus crucifié, et ils se trouvent en moi, l’océan de la paix, délivrés de l’imperfection, c’est-à-dire de la peine du désir, car ils sont arrivés à cette perfection où ils sont rassasiés de tout bien.

LXXXIII.- Comment Saint Paul, après avoir vu la gloire des Bienheureux, désirait être délivré de son corps.

I.- Paul avait vu et goûté ce bien quand je l’élevai au troisième ciel, c’est-à-dire à la hauteur de la Trinité. Il avait connu et goûté ma vérité en recevant la plénitude du Saint-Esprit, et en apprenant la doctrine de mon Verbe incarné. Son âme se revêtit de moi, le Père, par union et par sentiment, comme les Bienheureux dans le ciel, excepté que son âme n’était pas séparée de son corps. Il plut à ma bonté d’en faire un vase d’élection dans l’abîme de ma Trinité, et je le dépouillai de moi, parce qu’en moi ne peut être la peine; et je voulais qu’il souffrît pour mon nom.

2.- Je donnai pour objet à son intelligence Jésus crucifié, le revêtant du vêtement de sa doctrine, le liant et l’enchaînant avec la clémence du Saint- Esprit, qui est le feu de la charité. Il devint par ma bonté un vase utile et nouveau; il ne résista pas quand il fut frappé, mais il dit:  » Seigneur, que voulez-vous que je fasse; dites ce que vous voulez que je fasse et je le ferai « . (Act., IX, 6). Alors je l’enseignai en lui montrant Jésus crucifié, en le revêtant de la doctrine de ma charité. Je l’illuminai parfaitement par la lumière de la vraie contrition, avec laquelle il effaça ses fautes, en s’appuyant sur ma charité (La fin de ce chapitre et le commencement du chapitre suivant ne se trouvent pas dans l’édition italienne de Gigli. Nous les donnons d’après la traduction latine du bienheureux Raymond de Capoue.).

3.- Il se revêtit tellement de la doctrine de Jésus crucifié, il y fixa si fortement son âme, qu’il ne put en être dépouillé et séparé ni par les tentations du démon ni par les combats de la chair, que ma bonté permettait pour le faire croître en mérite et en grâce, pour conserver son humilité après qu’il eut joui des grandeurs de la Trinité. Jamais il ne quitta en la moindre chose ce vêtement de Jésus-Christ; il le garda dans toutes ses épreuves et ses tribulations, et il persévéra toujours dans la doctrine de la Croix. Il se l’était tellement incorporé, qu’il donna sa vie pour ne pas s’en séparer, et retourna vers moi avec ce vêtement divin.

4.- Paul avait goûté ce que c’était que jouir de moi sans le poids de son corps; je lui avais permis d’en jouir par union, mais non pas complètement séparé de son corps. Quand il fut revenu à lui, revêtu de Jésus crucifié, il lui sembla que son amour était imparfait en le comparant à la perfection de l’amour qu’il avait goûté en moi, et qu’il avait vu dans les Bienheureux séparés de leurs corps. Il sentait que le poids de son corps était un obstacle qui empêchait la perfection et le rassasiement dont l’âme jouit après la mort. Sa mémoire lui paraissait faible et imparfaite, et cette faiblesse, cette imperfection le rendaient incapable de pouvoir me retenir, me recevoir, me goûter avec la perfection des saints dans le ciel.

5.- Il lui semblait que, tant qu’il était dans son corps mortel, il rencontrait en toute chose une loi mauvaise qui combattait l’esprit, non par un entraînement au péché, puisque je lui avais dit:  » Paul, ma grâce te suffit », mais par un empêchement à la perfection de l’esprit, qui consiste à me voir dans mon essence. Et comme cette vision est impossible avec la loi et la pesanteur du corps, Paul s’écriait:  » O homme infortuné que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Car j’ai dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit « .

6.- C’est la vérité; car la mémoire est combattue par l’imperfection du corps, l’intelligence, arrêtée par sa pesanteur, ne peut me voir tel que je suis dans mon essence, et la volonté, enchaînée par ses liens, ne peut me goûter sans peine, comme je te l’ai fait comprendre. Ainsi Paul avait bien raison de dire: J’ai dans mon corps une loi qui combat la loi de mon esprit. De même mes serviteurs que je t’ai montrés parvenus au troisième et au quatrième degré d’union parfaite avec moi, crient aussi qu’ils désirent être délivrés et séparés des liens de leur corps.

LXXXIV.- Des causes qui font désirer à l’âme d’être séparée de son corps.

1.- Mes, fidèles serviteurs ne connaissent pas la crainte, et l’angoisse de la mort, ils la désirent au contraire. Dans la rude guerre qu’ils ont faite à leurs corps avec une sainte haine, ils ont perdu cette tendresse naturelle qui unit le corps et l’âme; ils ont vaincu et détruit l’amour d’eux-mêmes, et ils désirent mourir par amour pour moi. Ils disent: Qui me délivrera de ce corps de mort? Je désire en être affranchi pour être avec le Christ. Ils disent avec l’Apôtre: La mort est mon désir, mais je prends la vie en patience. Dès que l’âme est élevée à l’union parfaite, elle ne souhaite plus que de me contempler et de me voir glorifié en tontes choses.

2.- (Le chapitre LXXXIV commence ici dans l’édition italienne) Quand l’âme revient à ses sens corporels, qui avaient été absorbés en moi par l’effet de l’amour, elle supporte péniblement la vie, parce qu’elle se voit privée de l’union qu’elle avait avec moi, ‘et de la société désirable des Bienheureux qui nie rendent sans cesse gloire. Elle se retrouve parmi les hommes, dont elle voit les iniquités si nombreuses. Ce spectacle lui cause une amère douleur et augmente son désir de me voir. La vie lui devient insupportable.

3.- Cependant comme sa volonté ne lui appartient plus et qu’elle est devenue par l’amour une même chose avec moi, elle ne peut vouloir et désirer autre chose que ce que je veux. Elle désire venir, mais elle est contente de rester si je l’ordonne, et de souffrir beaucoup pour ma gloire et pour le salut des âmes. Elle ne s’éloigne en rien de ma volonté, mais elle court avec ardeur; revêtue de Jésus crucifié, elle passe par le pont de sa doctrine, en se glorifiant dans les opprobres et dans la peine. Plus elle souffre, plus elle se réjouit: la multitude des tribulations calme le désir qu’elle a de la mort, et souvent l’amour des souffrances adoucit la peine qu’elle éprouve de n’être pas délivrée de son corps.

4.- Non seulement mes serviteurs souffrent alors avec patience comme ceux qui sont au troisième degré, mais ils se glorifient encore de souffrir beaucoup en mon nom; quand ils souffrent, ils se réjouissent; et quand ils ne souffrent pas, ils s’en affligent, parce qu’ils craignent que je ne veuille les récompenser en cette vie, et que le sacrifice de leurs désirs ne me soit point agréable. Dès que je leur envoie au contraire beaucoup d’épreuves, ils sont heureux de se voir revêtus des peines et des opprobres de Jésus-Christ.

5.- S’ils pouvaient être vertueux sans fatigue, ils n’y consentiraient pas; ils préféreraient se réjouir sur la croix avec le Christ, et acquérir la vie éternelle par la souffrance plutôt que par tout autre moyen. Pourquoi? Parce qu’ils sont abîmés et embrasés dans ce sang où ils trouvent ma charité, ce feu qui sort de moi pour ravir leur cœur, leur esprit et consumer le sacrifice de leur désir. C’est ainsi que le regard de l’intelligence s’élève à cette contemplation de ma divinité, où l’amour s’unit et se développe en suivant l’entendement. Cette vue surnaturelle est une grâce infinie que je donne à l’âme qui m’aime et me sert en vérité.