Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 31, 32, 33

Chapitre 31 – Matière des expiations

Le scandale donné

Ceux qui ont eu le malheur de donner mauvais exemple, et de perdre ou de blesser les âmes par le scandale, doivent prendre garde de tout réparer en ce monde, s’ils ne veulent avoir à subir une terrible expiation en l’autre. Ce n’est pas en vain que Jésus-Christ s’est écrié: Malheur au monde à cause de ses scandales ! Malheur à celui par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII, 7.)

Peinture indécente

Voici ce que rapporte le P. Rossignoli dans ses Merveilles du purgatoire (Merv. 24. p.120 fin p.121). Un peintre de grand talent, d’une vie exemplaire d’ailleurs, avait fait autrefois un tableau peu conforme aux lois sévères de la modestie chrétienne. C’était une de ces malheureuses peintures, que sous prétexte d’art, on trouve quelquefois dans les meilleures familles et dont la vue cause la perte de tant d’âmes. L’art véritable est une inspiration du ciel, qui élève l’âme vers Dieu; le génie réaliste qui ne s’adresse qu’aux sens, qui ne présente aux yeux que des beautés de chair et de sang, n’est qu’une inspiration de l’esprit immonde: ses œuvres, brillantes peut-être, ne sont pas des œuvres d’art, c’est faussement qu’on les décore de ce nom; ce sont des productions infâmes d’une imagination dévergondée. – Le peintre dont nous parlons, avait cédé sur ce point à l’entraînement du mauvais exemple. Bientôt cependant, renonçant à ce mauvais genre, il s’était astreint à ne faire plus que des tableaux religieux ou du moins parfaitement irréprochables.

En dernier lieu, il venait de peindre un grand tableau dans un couvent de Carmes déchaussés, quand il fut atteint d’une maladie mortelle. Se sentant mourir, il demanda au père Prieur la faveur d’être enterré dans l’église du monastère, et légua à la communauté le prix assez élevé de son travail, à la charge de célébrer des messes pour son âme.

Il mourut pieusement, et quelques jours se passèrent, lorsqu’un religieux, qui était resté au chœur après les matines, le vit apparaître au milieu des flammes et poussant des gémissements douloureux. – « Eh quoi ! dit-il, mon frère, vous avez de telles peines à endurer, après une vie si chrétienne et une mort si sainte ? – Hélas ! répondit-il, c’est à cause d’un mauvais tableau que j’ai peint autrefois. Lorsque j’ai comparu au tribunal du Souverain Juge une foule d’accusateurs y sont venus déposer contre moi: ils déclaraient avoir été excités à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs par une peinture immodeste due à mon pinceau. Par suite de ces pensées mauvaises les uns étaient au purgatoire, les autres en enfer. Ces derniers demandaient vengeance, disant que, étant cause de leur perte éternelle, je méritais au moins le même châtiment. – Alors la sainte Vierge et les Saints que j’ai glorifiés par mes peintures ont pris ma défense: ils ont représenté au Juge que cette malheureuse toile était une œuvre de jeunesse, dont je m’étais repenti, que je l’avais réparée plus tard par une foule de tableaux religieux, qui avaient été pour les âmes une source d’édification. » En présence de ces raisons de part et d’autre le Souverain Juge a déclaré que, à cause de mon repentir et de mes bonnes œuvres, je serais exempt de la damnation éternelle; mais en même temps il m’a condamné à souffrir dans ces flammes, jusqu’à ce que la maudite peinture soit brûlée, de manière à ne plus scandaliser personne. »

En conséquence, le pauvre patient pria le religieux Carme de faire des démarches pour que le tableau fût détruit. « Je vous en prie, ajouta-t-il, allez de ma part chez un tel, propriétaire du tableau; dites-lui en quel état je me trouve, pour l’avoir peint en cédant à ses instances, et conjurez-le d’en faire le sacrifice. S’il refuse, malheur à lui ! Au reste, pour montrer que tout ceci n’est pas une illusion, et pour le punir lui-même de sa faute, dites-lui qu’avant peu il perdra ses deux enfants. S’il refuse d’obéir aux ordres de Celui qui nous a créés l’un et l’autre, il le payera d’une mort prématurée. »

Le religieux ne tarda pas à faire ce que la pauvre âme lui demandait, et se rendit chez le possesseur du tableau. Celui-ci en apprenant ces choses, saisit la toile et la jeta au feu. Néanmoins, selon la parole du défunt, il perdit en moins d’un mois ses deux enfants. Le reste de ses jours, il s’appliqua à faire pénitence du mal qu’il avait commis en commandant et en conservant chez lui cette mauvaise peinture.

Si telles sont les conséquences d’un tableau immodeste, comment seront punis les scandales, autrement désastreux des mauvais livres, des mauvais journaux, des mauvaises écoles et des mauvaises conversations ? Vœ mundo a scandalis ! Vœ homini illi per quem scandalum venit ! Malheur au monde, à cause de ses scandales ! Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII. 7.)

Le scandale exerce de grands ravages dans les âmes par la séduction de l’innocence. Ah ! les maudits séducteurs ! Ils rendront à Dieu un compte terrible du sang de leurs victimes. Voici ce que nous lisons dans l’historien Daniel Bartoli, de la Compagnie de Jésus, Vie du Père Nicolas Zucchi (Cf. Merv. 97.).

Le Père Zucchi et la novice

Le saint et zélé père Zucchi, qui mourut à Rome le 21 mai 1670, avait engagé dans les voies de la perfection trois jeunes personnes, qui se consacrèrent à Dieu dans le cloître. L’une d’elles, avant de quitter le monde, avait été recherchée en mariage par un jeune seigneur. Après qu’elle fut entrée au noviciat, ce gentilhomme, au lieu de respecter une vocation si sainte, n’en continua pas moins d’adresser des lettres à celle qu’il voulait appeler sa fiancée, l’invitant à quitter, comme il disait, le triste service de Dieu, pour se reprendre aux joies de la vie. Le Père le rencontrant un jour dans la rue, le supplia de cesser de telles poursuites: « Je vous assure, ajouta-t-il, qu’avant peu vous paraîtrez au tribunal de Dieu, et qu’il est grand temps pour vous de vous y préparer par une sincère pénitence. »

En effet, quinze jours après, ce jeune homme mourut, enlevé par une prompte mort, qui lui laissa peu de temps pour mettre ordre à sa conscience, en sorte qu’on devait tout craindre pour son salut.

Un soir que les trois novices s’entretenaient ensemble des choses de Dieu, on vint appeler la plus jeune au parloir. Elle y trouva un homme, enveloppé dans un large manteau, qui se promenait à grands pas. – « Monsieur, dit-elle, qui êtes-vous ? et pourquoi m’avez-vous fait demander ? » – L’étranger, sans répondre, s’approche, et écarte le manteau mystérieux qui le couvre. La religieuse alors reconnaît le malheureux défunt, et voit avec effroi qu’il est tout entouré de liens de feu, qui le serrent au cou, aux poignets, aux genoux et aux chevilles des pieds. Priez pour moi ! s’écria-t-il, et il disparut.

Cette manifestation miraculeuse montrait que Dieu avait eu pitié de lui au dernier moment, qu’il n’était pas damné, mais qu’il payait ses essais de séduction par un horrible purgatoire.

Chapitre 32 -Matière des expiations. – La vie de plaisir, la recherche du bien-être

La vénérable Françoise de Pampelune et l’homme du monde

Il y a de nos jours beaucoup de chrétiens, totalement étrangers à la croix et à la mortification de Jésus-Christ. Leur vie molle et sensuelle n’est qu’un enchaînement de plaisirs; ils ont peur de tout ce qui est sacrifice: à peine observent-ils les strictes lois du jeûne et de l’abstinence prescrites par l’Église. Puisqu’ils ne veulent se soumettre à aucune pénitence en ce monde, qu’ils songent bien à celle qui leur sera imposée en l’autre. Il est certain que dans cette vie mondaine on ne fait qu’accumuler des dettes; la pénitence étant absente, on n’en paye aucune, et l’on arrive à un total qui effraye l’imagination. La vénérable servante de Dieu Françoise de Pampelune, qui fut favorisée de plusieurs visions sur le purgatoire, vit un jour un homme du monde, quoiqu’il eût été assez bon chrétien d’ailleurs, passer cinquante-neuf ans dans les expiations, à cause de sa recherche du bien-être. – Un autre y passa trente-cinq ans pour la même raison; et un troisième, qui avait eu en plus la passion du jeu, y demeura soixante-quatre ans. – Hélas, ces chrétiens malavisés ont laissé subsister toutes leurs dettes devant Dieu, et ce qu’ils auraient pu acquitter facilement avec quelques œuvres de pénitence, ils l’ont dû payer après par des années de supplices.

Si Dieu se montre sévère envers les riches et les heureux du siècle, il ne le sera pas moins envers les princes, les magistrats, les parents, et généralement tous ceux qui ont charge d’âmes et autorité sur les autres. Un jugement sévère, dit-il lui-même, attend les supérieurs (Sap. VI, 6.).

Sainte Élisabeth et la reine sa mère

Laurent Surius rapporte (Cf. Merv. 93.) comment une illustre Reine rendit après sa mort témoignage à cette vérité. Dans la Vie de sainte Élisabeth (19 nov.), duchesse de Thuringe, il est dit que cette servante de Dieu perdit sa mère Gertrude, reine de Hongrie, vers l’an 1220. En fille chrétienne et sainte, elle fit des aumônes considérables, redoubla ses mortifications et ses prières, épuisa toutes les ressources de sa charité pour le soulagement de cette âme si chère. Dieu lui fit connaître qu’elle n’en faisait pas trop. Une nuit la défunte lui apparut, le visage triste et défait: elle se mit à genoux auprès de son lit, et lui dit en pleurant: « Ma fille, vous voyez à vos pieds votre mère accablée de douleur. Je viens vous supplier de multiplier vos suffrages, afin que la divine miséricorde me délivre des tourments épouvantables que j’endure. Oh ! que ceux-là sont à plaindre qui exercent l’autorité sur les autres ! J’expie maintenant les fautes que j’ai commises sur le trône. O ma fille, au nom des angoisses que j’ai endurées pour vous mettre au monde, au nom des soins et des veilles que m’a coûté votre éducation, je vous conjure de me délivrer de mes supplices. » – Elisabeth profondément émue, se lève aussitôt, prend une sanglante discipline et supplie le Seigneur avec larmes de faire miséricorde à sa mère Gertrude, déclarant qu’elle ne cesserait de prier qu’elle n’eût obtenu sa délivrance. – Elle fut exaucée en effet, comme elle en reçut bientôt l’assurance.

Remarquons que dans l’exemple précédent il ne s’agit que d’une reine; combien plus sévèrement seront traités les rois, les magistrats, tous les supérieurs dont la responsabilité et l’influence sont bien plus grandes ?

Chapitre 33 – Matière des expiations

La tiédeur

Les bons chrétiens, les prêtres, les religieux, qui veulent servir Dieu de tout leur cœur, doivent bien se garder de l’écueil de la tiédeur et de la négligence. Dieu veut être servi avec ferveur: ceux qui sont tièdes et nonchalants soulèvent son dégoût; il va jusqu’à menacer de sa malédiction celui qui fait négligemment les choses saintes. C’est assez dire qu’il punira sévèrement en purgatoire toute négligence en son service.

Saint Bernard et le religieux de Citeaux

Parmi les disciples de saint Bernard qui embaumaient par leur sainteté la célèbre vallée de Clairvaux, il s’en trouva un, dont la négligence contrastait tristement avec la ferveur de ses frères. Malgré son double caractère de prêtre et de religieux, il s’était laissé aller à une déplorable tiédeur. Le moment de mourir arriva et il fut appelé devant Dieu, sans qu’il eût donné des preuves d’amendement.

Pendant qu’on chantait la messe de ses funérailles, un religieux de la communauté, vieillard d’une vertu peu commune, connut par une lumière intérieure que son âme, sans être damnée, était dans le plus malheureux état. – La nuit suivante, le défunt lui apparut en personne, dans un extérieur misérable et profondément désolé: « Hier, lui dit-il, vous avez eu connaissance de mon malheureux état, voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré en punition de ma coupable tiédeur. » – II conduisit alors le vieillard au bord d’un puits, large et profond, tout rempli de fumée et de flammes: « Voici le lieu, ajouta-t-il, où les ministres de la divine justice ont ordre de me tourmenter: ils ne cessent de me précipiter dans ce gouffre, et m’en retirent aussitôt après, pour m’y précipiter de nouveau, sans m’accorder un instant de trêve ou de repos. »

Le lendemain matin, ce religieux alla trouver saint Bernard pour lui faire part de sa vision. Le saint abbé, qui avait eu une apparition semblable, y vit un avis du ciel, donné à sa communauté. Il convoqua aussitôt le chapitre, et les larmes aux yeux raconta la double vision, exhortant ses religieux à secourir par de charitables suffrages leur pauvre frère défunt, et à profiter de ce triste exemple pour se conserver dans la ferveur et pour éviter les moindres négligences dans le service de Dieu (Rossign. Merv. 47).

La vénérable mère Agnès et la sœur de Haut-Villars

Le fait suivant est rapporté par M. de Lantages, dans la Vie de la vénérable Mère Agnès de Langeac, religieuse dominicaine (19 octobre). Tandis que cette servante de Dieu priait dans le chœur, une religieuse qu’elle ne connaissait pas parut tout d’un coup devant elle, misérablement habillée et avec un visage fort triste. Elle la considérait avec étonnement, se demandant qui cela pouvait être, lorsqu’elle entendit une voix qui lui dit distinctement: C’est la sœur de Haut-Villars.

Cette sœur de Haut-Villars était une religieuse du monastère du Puy, décédée il y avait plus de dix ans. L’apparition ne disait mot, mais témoignait assez par son triste maintien le grand besoin qu’elle avait d’être secourue. La mère Agnès le comprenait parfaitement, et commença dès ce jour à faire pour elle les plus ferventes prières. La défunte ne se contenta pas de cette première visite: elle continua à lui apparaître durant plus de trois semaines, presque partout et en tout temps, surtout après la communion et l’oraison, marquant toujours ses souffrances par la douloureuse expression de son visage.

Agnès, par le conseil de son confesseur, sans parler à personne de l’apparition, demanda à sa Prieure que la communauté fît des prières extraordinaires pour les défunts à son intention. Comme malgré ces prières l’apparition revenait toujours, elle conçut de grandes craintes que ce ne fût une illusion. Dieu daigna la tirer de cette peine: il fit clairement connaître à sa charitable servante par la voix de son ange gardien que c’était véritablement une âme du purgatoire, et qu’elle souffrait ainsi pour sa tiédeur au service de Dieu. – Depuis le moment de ces paroles, les apparitions cessèrent, et on ne put savoir combien de temps encore cette infortunée demeura au purgatoire.

Le Père Seurin et la religieuse de Loudun

Citons un autre exemple bien propre à stimuler la ferveur des pieux fidèles. Une sainte religieuse, nommée Marie de l’Incarnation, du monastère des Ursulines de Loudun apparut quelque temps après sa mort à sa Supérieure, femme d’intelligence et de mérite, qui en écrivit les détails au Père Surin de la Compagnie de Jésus. Sa lettre se trouve insérée dans la correspondance de ce Père. « Le six novembre, lui écrivait-elle, entre trois et quatre heures du matin, la Mère de l’Incarnation s’est présentée à moi avec un visage très-doux, qui paraissait plus humilié que souffrant: je vis bien cependant qu’elle souffrait beaucoup. »

D’abord, en la voyant auprès de moi, j’eus une grande frayeur; mais comme elle n’avait rien d’effrayant en elle-même, je me rassurai bientôt. Je lui demandai en quel état elle était, et si nous pouvions lui rendre quelque service ? – Elle répondit: « Je satisfais à la justice divine dans le purgatoire. » – Je la priai de me dire ce qui l’y retenait. – Alors, poussant un profond soupir, elle répondit: « Ce sont plusieurs négligences aux exercices communs; une certaine faiblesse que j’ai eue à me laisser entraîner par l’exemple des religieuses imparfaites; enfin et surtout, l’habitude où j’ai été de retenir par-devers moi des choses dont je n’avais pas la permission de disposer, et de m’en servir selon mes besoins et mes inclinations naturelles. Oh! si l’on savait, continua la bonne mère, le mal que l’on fait à son âme en ne s’appliquant pas à la perfection, et combien durement on devra expier un jour les satisfactions qu’on se donne contre les lumières de la conscience; on aurait une autre ardeur à se faire violence pendant la vie ! Ah ! Dieu voit les choses d’un autre œil que nous, il les juge autrement. »

« Je lui demandai de nouveau si nous pouvions lui être de quelque utilité pour abréger ses souffrances ? – Elle me répondit: « Je désire voir et posséder Dieu; mais je suis contente de satisfaire à sa justice, tant qu’il lui plaira.» – Je la priai de me dire si elle souffrait beaucoup ? – « Mes douleurs répondit-elle, sont incompréhensibles à ceux qui ne les sentent pas. » – En disant ces mots, elle s’approcha de mon visage, comme pour prendre congé de moi: or il me sembla que c’était un charbon de feu qui me brûlait, quoique son visage ne touchât point au mien; et mon bras, ayant un peu frisé sa manche, se trouva brûlé: j’y ressentis une vive douleur. »

Un mois après elle apparut de nouveau à cette même Supérieure pour lui annoncer sa délivrance.