Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 34, 35, 36

Chapitre 34 – Matière des expiations

Négligence dans la sainte Communion – Louis de Blois

A la tiédeur se rattache la négligence à se préparer au banquet Eucharistique. Si l’Église ne cesse d’appeler ses enfants à la Table sainte, si elle désire qu’ils communient fréquemment, elle entend toujours qu’ils le fassent avec la piété et la ferveur que demande un si grand mystère. Toute négligence volontaire dans une action si sainte, est une offense à la sainteté de Jésus-Christ, offense qui devra être réparée par une juste expiation. Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel, parle d’un grand serviteur de Dieu, qui apprit par voie surnaturelle combien sévèrement ces sortes de fautes sont punies dans l’autre vie. Il reçut la visite d’une âme du purgatoire, implorant son secours au nom de l’amitié qui les avait unis autrefois: elle endurait, disait-elle, de cruels tourments pour la négligence avec laquelle elle s’était préparée à recevoir la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage. Elle ne pouvait être délivrée que par une communion fervente, qui compensât sa tiédeur passée. – Son ami s’empressa de la satisfaire, fit une communion avec toute la pureté de conscience, avec toute la foi, avec toute la dévotion possible; et alors il vit la sainte âme lui apparaître brillante d’un incomparable éclat, et montant au ciel (Merv. 44).

Sainte Madeleine de Pazzi et la défunte en adoration

L’an 1589, au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à Florence, mourut une religieuse très-estimée de ses sœurs; mais qui apparut bientôt à sainte Madeleine de Pazzi, pour implorer son secours dans le rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée. La sainte était en prière devant l’autel du Saint-Sacrement, lorsqu’elle aperçut la défunte agenouillée au milieu de l’église, dans l’acte d’une adoration profonde, et dans un état étrange. Elle avait autour d’elle un manteau de flammes qui semblaient la consumer; mais une robe blanche dont son corps était couvert, la protégeait en partie de l’action du feu. Madeleine étonnée, désira savoir ce que signifiait cette apparition, et il lui fut répondu que cette âme souffrait ainsi, pour avoir eu trop peu de dévotion envers l’auguste Sacrement: malgré les prescriptions et les saintes coutumes de son Ordre, elle n’avait communié que rarement et avec négligence; c’est pourquoi la divine justice l’avait condamnée à venir chaque jour adorer la sainte Eucharistie et subir le tourment du feu aux pieds de Jésus-Christ. Toutefois, en récompense de sa pureté virginale, représentée par la robe blanche, le divin Époux avait grandement mitigé ses souffrances.

Telle fut la connaissance que le Seigneur donna à sa servante. Elle en fut profondément touchée et s’efforça d’aider la pauvre âme par tous les suffrages en son pouvoir. Elle raconta souvent cette apparition, et s’en servit pour exhorter ses filles spirituelles au zèle pour la sainte communion (Cepari, Vie de sainte Mad. de Pazzi. Cf. Rossign. Merv. 84.).

Chapitre 35 – Matière des expiations

Manque de respect dans la prière. – La Mère Agnès de Jésus et la sœur Angélique

Nous devons traiter saintement les choses saintes: toute irrévérence dans les exercices religieux déplaît souverainement au Seigneur. Quand la vénérable Agnès de Langeac, dont nous avons parlé plus haut, était Prieure de son couvent, elle recommandait beaucoup à ses religieuses le respect et la ferveur dans tous leurs rapports avec Dieu, leur rappelant cette parole de l’Écriture: Maudit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – Une sœur de la communauté, appelée Angélique, vint à mourir et la pieuse Supérieure priait près de son tombeau, lorsqu’elle vit soudain devant elle la sœur défunte, en habit de religieuse; elle sentit en même temps comme une flamme ardente qu’on lui portait au visage. La sœur Angélique la remercia de ce qu’elle l’avait stimulée à la ferveur, et en particulier de ce que souvent pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole des saints Livres: Maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – « Continuez, ma Mère, ajouta-t-elle, à porter les sœurs à la ferveur: qu’elles le servent avec une diligence suprême et qu’elles l’aiment de tout leur cœur, de toute la puissance de leur âme. Si on pouvait comprendre combien rigoureux sont les tourments du purgatoire, on ne pourrait se laisser aller à la moindre négligence. »

L’avertissement qui précède regarde surtout les prêtres, dont les rapports avec Dieu sont continuels et plus sublimes: qu’ils s’en souviennent toujours et ne l’oublient jamais, soit qu’ils offrent à Dieu l’encens de la prière, soit qu’ils dispensent les trésors divins des sacrements, soit qu’ils célèbrent à l’autel les mystères du corps et du sang de Jésus-Christ. Voici ce que rapporte saint Pierre Damien, dans sa Lettre XIV à Desiderius (Cf. Merv. 37.).

Saint Séverin de Cologne

Saint Séverin, archevêque de Cologne (23 octobre), édifiait son église par l’exemple de toutes les vertus: sa vie tout apostolique, ses grands travaux pour l’accroissement du règne de Dieu dans les âmes, devaient lui mériter les honneurs de la canonisation. Néanmoins, après sa mort, il apparut à un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières. Comme ce digne prêtre ne pouvait comprendre qu’un saint prélat, tel qu’il avait connu Séverin, eût besoin de prières dans l’autre vie: « Il est vrai, répondit le défunt, Dieu m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps à sa vigne; mais je l’ai offensé souvent par la manière trop pressée dont j’ai récité le Saint-Office. Les affaires et les préoccupations de chaque jour m’absorbaient tellement, que lorsque venait l’heure de la prière, je m’acquittais de ce grand devoir sans assez de recueillement, et quelquefois à d’autres heures que celles fixées par l’Église. En ce moment j’expie ces infidélités, et Dieu me permet de venir réclamer vos prières. » – L’histoire ajoute que Séverin fut six mois au purgatoire pour cette seule faute.

La vénérable Françoise de Pampelune et les prêtres

La vénérable sœur Françoise de Pampelune, mentionnée plus haut, vit un jour au purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts étaient rongés d’ulcères hideux. Il était ainsi puni pour avoir fait à l’autel les signes de croix avec trop de légèreté, et sans la gravité nécessaire. – Elle disait que, pour l’ordinaire, les prêtres restent au purgatoire plus longtemps que les laïcs, et que l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Dieu lui fit connaître le sort de plusieurs prêtres défunts: l’un d’eux resta quarante ans dans les souffrances pour avoir laissé mourir, par sa négligence, une personne sans sacrements; un autre y resta quarante-cinq ans pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère; un Évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour avoir un peu ambitionné sa dignité; un autre, qui n’était pas si charitable, y demeura quarante ans pour la même cause (Vie de la vénérée Mère Françoise Cf. Merv. 26).

Dieu veut que nous le servions de tout notre cœur et que nous évitions, autant que le comporte la fragilité humaine, jusqu’aux moindres imperfections; mais le soin de lui plaire et la crainte de lui déplaire doivent être accompagnés d’une humble confiance en sa miséricorde. Jésus-Christ nous a recommandé d’écouter ceux qu’il a établis en sa place pour diriger nos âmes, comme nous l’écouterions lui-même, et d’acquiescer à la parole du supérieur ou du confesseur avec une entière confiance. Un excès de crainte devient alors une offense à sa miséricorde.

Le Père Streit S. J.

Le 12 novembre 1643 mourut au noviciat de Brünn en Bohême, le père Philippe Streit, de la Compagnie de Jésus, religieux d’une grande sainteté. Il faisait tous les jours l’examen de sa conscience avec le plus grand soin, et acquit par ce moyen une grande pureté d’âme. Quelques heures après sa mort, il apparut glorieux à un père de son Ordre, le vénérable Martin Strzeda: « Une seule faute, lui dit-il, l’empêcha de monter droit au ciel et le retint huit heures en purgatoire, ce fut de n’avoir pas cru avec un assez plein abandon, les paroles de son supérieur, qui, à son lit de mort, s’efforçait de calmer ses dernières inquiétudes de conscience, et dont il aurait dû regarder plus parfaitement l’assurance comme la voix même de Dieu. »

Chapitre 36 – Matière des expiations et châtiments

L’immortification des sens. – Le Père François d’Aix

Les chrétiens qui veulent éviter les rigueurs du purgatoire doivent aimer la mortification de leur divin Maître et se garder d’être des membres délicats sous un Chef couronné d’épines. Le 10 février de l’an 1656, dans la province de Lyon de la Compagnie de Jésus, le père François d’Aix passa à une vie meilleure. Il porta à un haut degré de perfection la pratique de toutes les vertus religieuses. Pénétré d’une profonde vénération envers la Très-Sainte Trinité, il avait pour intention particulière dans toutes ses oraisons et ses mortifications d’honorer cet auguste mystère. Son attrait particulier le portait à embrasser de préférence les œuvres pour lesquelles les autres montraient moins d’inclination. Il visitait souvent le Saint-Sacrement, même pendant la nuit, et ne retournait jamais de la porte à sa chambre sans aller faire une prière au pied de l’autel. Ses pénitences, en quelque sorte excessives, lui firent donner le nom d’homme de douleurs. Il répondit à quelqu’un qui l’engageait à les modérer: Le jour que j’aurais passé sans répandre quelques gouttes de mon sang pour l’offrir au Seigneur, serait pour moi plus pénible que la plus rude mortification. Puisque je ne puis espérer de souffrir le martyre pour l’amour de Jésus-Christ, je veux au moins avoir quelque part à ses douleurs.

Un autre religieux, Frère coadjuteur du même Ordre, n’imitait pas l’exemple du père d’Aix. Il n’aimait guère la mortification, cherchait au contraire ses aises, ses commodités et tout ce qui flattait les sens. Ce Frère étant venu à mourir, apparut au père d’Aix, quelques jours après sa mort, le corps couvert d’un affreux cilice et souffrant de grands tourments, en punition des fautes de sensualité qu’il avait commises dans le cours de sa vie. Il réclama le secours de ses prières et disparut aussitôt.

Immortification de la langue

Un autre défaut, dont on doit bien se garder parce qu’on y tombe facilement, c’est l’immortification de la langue. Oh ! qu’il est facile de faillir dans les paroles ! Qu’il est rare de parler longtemps sans proférer quelques mots contraires à la douceur, à l’humilité, à la sincérité, à la charité chrétienne ! Les personnes pieuses même sont souvent sujettes à ces fautes: quand elles ont échappé à toutes les autres ruses du démon, elles se laissent prendre, dit saint Jérôme, dans un dernier piège, la médisance. Écoutons ce que rapporte Vincent de Beauvais (Specul. historiale 1. 26. c. 5. Cf. Merv. 37).

Durand

Lorsque le célèbre Durand, qui, au onzième siècle, illustra l’Ordre de saint Benoît, était encore simple religieux, il se montrait un modèle de régularité et de ferveur; mais il avait un défaut. La vivacité de son esprit le portait à trop parler: il aimait à l’excès le mot pour rire, souvent aux dépens de la charité. Hugues, son abbé, lui fit des représentations à cet égard, lui prédisant même, que, s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à souffrir dans le purgatoire de ces jovialités déplacées.

Durand n’attacha pas assez d’importance à ces avis, et continua à s’abandonner sans beaucoup de retenue au dérèglement de sa langue. Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues se réalisa. Durand apparut à un religieux de ses amis, le suppliant de l’aider de ses prières, parce qu’il était cruellement puni de l’intempérance de son langage. A la suite de cette apparition, la communauté se réunit, on convint de garder, pendant huit jours, un rigoureux silence, et de pratiquer d’autres bonnes œuvres, pour soulager le défunt. Ces charitables prières produisirent leur effet: à quelque temps de là, Durand apparut de nouveau pour annoncer sa délivrance.