Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 11,12

Chapitre 11

Secours accordé aux âmes. – La sainte Messe. – Jubilé de Léon XIII, commémoration solennelle des morts le dernier dimanche de septembre.

Nous avons vu, nous voyons encore le saint enthousiasme avec lequel l’Église a voulu célébrer le Jubilé sacerdotal de son Chef vénéré, le Pape Léon XIII. Tous les fidèles du monde sont venus à Rome, soit en personne soit au moins de cœur, déposer aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ leurs hommages et leurs offrandes; l’Église militante tout entière a tressailli de joie au milieu de ses longues épreuves.

L’Église triomphante du ciel a été associée à cette allégresse par la canonisation et la béatification d’un groupe nombreux de ses glorieux membres; ne fallait-il pas que l’Église souffrante vînt aussi y prendre part ?

Nos frères du purgatoire pouvaient-ils être oubliés ? Ces âmes, si chères au cœur de Jésus-Christ, ne devaient-elles pas, elles aussi, ressentir les doux effets de cette admirable fête ? On le sent, il eut manqué quelque chose aux saintes réjouissances de l’Église entière, si l’Église souffrante n’y eût pas participé.

Léon XIII l’a compris. Toujours dirigé par l’Esprit-Saint quand il agit en Pasteur Suprême, le Pape, par une Lettre encyclique, datée du 1er avril 1888, a statué que dans le monde entier, on célèbrerait une solennelle Commémoration des morts, le dernier dimanche du mois de septembre.

Après avoir rappelé avec quel admirable amour l’Église militante a fait éclater sa joie, et comment l’Église triomphante s’est réjouie avec elle: « Pour mettre en quelque sorte, dit le Saint-Père, le comble à cette joie commune, Nous désirons remplir aussi largement que possible le devoir de Notre charité apostolique, en étendant aussi la plénitude des trésors spirituels infinis à ces fils bien-aimés de l’Église qui, ayant fait la mort des justes, ont quitté cette vie de combat avec le signe de la foi et sont devenus les rejetons de la vigne mystique; bien qu’il ne leur soit permis d’entrer dans la paix éternelle, que lorsqu’ils auront payé jusqu’à la dernière obole la dette qu’ils ont contractée envers la justice vengeresse de Dieu. »

« Nous sommes mus en cela et par les pieux désirs des catholiques, auxquels Nous savons que Notre résolution sera particulièrement chère, et par l’atrocité lamentable des peines dont souffrent les âmes des défunts; mais Nous Nous inspirons surtout de l’usage de l’Église, qui, au milieu même des plus joyeuses solennités de l’année, n’oublie pas de faire la sainte et salutaire commémoration des défunts, afin qu’ils soient acquittés de leurs fautes. »

« C’est pourquoi, comme il est certain, de par la doctrine catholique, que les âmes retenues dans le purgatoire sont soulagées par les suffrages des fidèles et surtout par l’auguste Sacrifice de l’autel, Nous pensons ne pouvoir leur donner de gage plus utile et plus désirable de Notre amour, qu’en multipliant partout, pour l’expiation de leurs peines, l’oblation pure du très-saint sacrifice de notre divin Médiateur. »

« Nous établissons donc, avec toutes les dispenses et dérogations nécessaires, le dernier dimanche du mois de septembre prochain, comme un jour de très ample expiation, dans lequel il sera célébré par Nous et pareillement par chacun de Nos Frères les patriarches, les archevêques et évêques et par les autres prélats exerçant leur juridiction dans un diocèse, chacun dans sa propre église patriarcale, métropolitaine ou cathédrale, une messe spéciale pour les défunts, avec la plus grande solennité possible et d’après le rite indiqué par le missel pour la Commémoration de tous les fidèles défunts. Nous approuvons que cela se fasse de même dans les églises paroissiales et collégiales, aussi bien du clergé séculier que régulier, et par tous les prêtres en général, pourvu que l’on n’omette pas l’office propre de la messe du jour partout où il y en a l’obligation. »

« Quant aux fidèles, Nous les exhortons vivement, après avoir fait la confession sacramentelle, à se nourrir dévotement du pain des anges, en suffrage des âmes du purgatoire. »

« Nous accordons par Notre autorité apostolique à ces fidèles de gagner l’indulgence plénière pour les défunts; et la faveur de l’autel privilégié à tous ceux qui, comme il a été dit plus haut, célèbreront la messe. »

« Ainsi, les pieuses âmes qui expient par de si grandes peines les restes de leurs fautes, recevront un soulagement spécial et très-opportun, grâce à l’Hostie salutaire que l’Église universelle, unie à son Chef visible et animée d’un même esprit de charité, offrira à Dieu pour qu’il les admette au séjour de la consolation, de la lumière et de la paix éternelle. »

« En attendant, Vénérables Frères, Nous vous accordons affectueusement dans le Seigneur, comme gage des dons célestes, la bénédiction apostolique à vous, à tout le clergé et au peuple confié à vos soins. »

« Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la solennité de Pâques de l’année 1888, la onzième de Notre pontificat. »

LÉON XIII, PAPE.

Chapitre 12 – Moyens de secourir les âmes

La sainte Messe

Non, de tout ce qu’on peut faire en faveur des âmes du purgatoire, il n’est rien d’aussi précieux que l’immolation du divin Sauveur à l’autel. Outre que c’est la doctrine expresse de l’Église, manifestée dans ses conciles, beaucoup de faits miraculeux, authentiques, ne laissent point de doute à cet égard.

Religieux de Cîteaux délivré par l’Hostie salutaire

Nous avons déjà parlé d’un religieux de Clairvaux qui fut délivré du purgatoire par les prières de S. Bernard et de sa communauté. Ce religieux, dont la régularité avait laissé à désirer, était apparu après sa mort pour demander à S. Bernard des secours extraordinaires. Le saint Abbé avec tous ses fervents disciples, s’empressa de faire offrir des prières, des jeûnes et des messes pour le pauvre défunt. Celui-ci fut bientôt délivré, et apparut plein de reconnaissance à un vieillard de la communauté qui s’était intéressé plus particulièrement à lui. Interrogé sur l’œuvre d’expiation qui lui avait profité davantage, au lieu de répondre, il prit le vieillard par la main, le conduisit à l’église où l’on célébrait la messe en ce moment: « Voilà, dit-il en montrant l’autel, la grande force libératrice, qui a rompu mes chaînes, voilà le prix de ma rançon: c’est l’Hostie salutaire qui ôte les péchés du monde ! » (L’abbé Postel, Le purgatoire. Chap. 5. Cf. Rossign. Merv. 47.)

Le Bienheureux Henri Suzo

Voici un autre fait, rapporté par l’historien Ferdinand de Castille et cité par le Père Rossignoli. Il y avait à Cologne, parmi les étudiants des cours supérieurs de l’université, deux religieux dominicains d’un talent distingué, dont l’un était le Bienheureux Henri Suzo (25 janvier). Les mêmes études, le même genre de vie, et par-dessus tout le même goût pour la sainteté, leur avaient fait contracter une amitié intime, et ils se faisaient part mutuellement des faveurs qu’ils recevaient du ciel.

Quand ils eurent terminé leurs études, se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur couvent, ils convinrent et se promirent l’un à l’autre, que le premier des deux qui mourrait, serait secouru par l’autre, une année entière, de deux messes par semaine: le lundi, une messe de Requiem, selon l’usage, et le vendredi, celle de la Passion, autant que le permettraient les rubriques. Ils s’y engagèrent, se donnèrent le baiser-de-paix, et quittèrent Cologne.

Pendant plusieurs années ils continuèrent, chacun de son côté, à servir Dieu avec la plus édifiante ferveur. Le Frère, dont le nom n’est pas exprimé, fut le premier appelé au jugement, et Suzo en reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine volonté. Quant à l’engagement qu’il avait pris, le temps le lui avait fait oublier. Il priait beaucoup pour son ami, s’imposait en sa faveur des pénitences nouvelles et bien des œuvres saintes, mais ne songeait point à dire les messes convenues.

Un matin qu’il méditait à l’écart dans une chapelle, il voit tout d’un coup paraître devant lui son ami défunt, qui, le regardant tendrement, lui reproche d’avoir été infidèle à une parole donnée, acceptée, sur laquelle il avait droit de compter avec confiance. – Le bienheureux, surpris, s’excusa de son oubli en énumérant les oraisons et mortifications qu’il avait faites, et qu’il continuait à faire pour un ami, dont le salut lui était aussi précieux que le sien même. « Est-ce donc, mon frère, ajouta-t-il, que tant de prières et de bonnes œuvres que j’ai offertes à Dieu pour vous, ne vous suffisent pas ? – » Oh ! non, non, mon frère, reprit l’âme souffrante; non, cela ne me suffit pas ! C’est le sang de Jésus-Christ qu’il faut pour éteindre les flammes dont je suis consumé; c’est l’auguste Sacrifice qui me rachètera de ces tourments épouvantables. Je vous en conjure donc, tenez votre parole, et ne me refusez pas ce que vous me devez en justice. »

Le Bienheureux s’empressa de répondre à cet infortuné qu’il s’acquitterait au plus tôt; et que, pour réparer sa faute, il célébrerait et ferait célébrer plus de messes qu’il n’en avait promis.

En effet, dès le lendemain, plusieurs prêtres à la prière de Suzo, s’unissant à lui, montaient à l’autel pour le défunt, et continuèrent les jours suivants cet acte de charité. Au bout de quelque temps, l’ami de Suzo lui apparut de nouveau, mais dans un tout autre état: il avait la joie sur le visage et une lumière très-pure l’environnait: « Oh ! merci, mon fidèle ami, lui dit-il; voici que, grâce au sang du Sauveur. Je suis délivré de l’épreuve. Je monte au ciel pour contempler Celui « que nous avons si souvent adoré ensemble sous les voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna pour remercier le Dieu de toute miséricorde, et il comprit mieux que jamais l’inestimable prix du sacrifice auguste de nos autels (Rossignoli, Merveille 34, d’après Ferdinand de Castille).