Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 12, 13

Chapitre 12 – Moyens de secourir les âmes

La sainte Messe

Non, de tout ce qu’on peut faire en faveur des âmes du purgatoire, il n’est rien d’aussi précieux que l’immolation du divin Sauveur à l’autel. Outre que c’est la doctrine expresse de l’Église, manifestée dans ses conciles, beaucoup de faits miraculeux, authentiques, ne laissent point de doute à cet égard.

Religieux de Cîteaux délivré par l’Hostie salutaire

Nous avons déjà parlé d’un religieux de Clairvaux qui fut délivré du purgatoire par les prières de S. Bernard et de sa communauté. Ce religieux, dont la régularité avait laissé à désirer, était apparu après sa mort pour demander à S. Bernard des secours extraordinaires. Le saint Abbé avec tous ses fervents disciples, s’empressa de faire offrir des prières, des jeûnes et des messes pour le pauvre défunt. Celui-ci fut bientôt délivré, et apparut plein de reconnaissance à un vieillard de la communauté qui s’était intéressé plus particulièrement à lui. Interrogé sur l’œuvre d’expiation qui lui avait profité davantage, au lieu de répondre, il prit le vieillard par la main, le conduisit à l’église où l’on célébrait la messe en ce moment: « Voilà, dit-il en montrant l’autel, la grande force libératrice, qui a rompu mes chaînes, voilà le prix de ma rançon: c’est l’Hostie salutaire qui ôte les péchés du monde ! » (L’abbé Postel, Le purgatoire. Chap. 5. Cf. Rossign. Merv. 47.)

Le Bienheureux Henri Suzo

Voici un autre fait, rapporté par l’historien Ferdinand de Castille et cité par le Père Rossignoli. Il y avait à Cologne, parmi les étudiants des cours supérieurs de l’université, deux religieux dominicains d’un talent distingué, dont l’un était le Bienheureux Henri Suzo (25 janvier). Les mêmes études, le même genre de vie, et par-dessus tout le même goût pour la sainteté, leur avaient fait contracter une amitié intime, et ils se faisaient part mutuellement des faveurs qu’ils recevaient du ciel.

Quand ils eurent terminé leurs études, se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur couvent, ils convinrent et se promirent l’un à l’autre, que le premier des deux qui mourrait, serait secouru par l’autre, une année entière, de deux messes par semaine: le lundi, une messe de Requiem, selon l’usage, et le vendredi, celle de la Passion, autant que le permettraient les rubriques. Ils s’y engagèrent, se donnèrent le baiser-de-paix, et quittèrent Cologne.

Pendant plusieurs années ils continuèrent, chacun de son côté, à servir Dieu avec la plus édifiante ferveur. Le Frère, dont le nom n’est pas exprimé, fut le premier appelé au jugement, et Suzo en reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine volonté. Quant à l’engagement qu’il avait pris, le temps le lui avait fait oublier. Il priait beaucoup pour son ami, s’imposait en sa faveur des pénitences nouvelles et bien des œuvres saintes, mais ne songeait point à dire les messes convenues.

Un matin qu’il méditait à l’écart dans une chapelle, il voit tout d’un coup paraître devant lui son ami défunt, qui, le regardant tendrement, lui reproche d’avoir été infidèle à une parole donnée, acceptée, sur laquelle il avait droit de compter avec confiance. – Le bienheureux, surpris, s’excusa de son oubli en énumérant les oraisons et mortifications qu’il avait faites, et qu’il continuait à faire pour un ami, dont le salut lui était aussi précieux que le sien même. « Est-ce donc, mon frère, ajouta-t-il, que tant de prières et de bonnes œuvres que j’ai offertes à Dieu pour vous, ne vous suffisent pas ? – » Oh ! non, non, mon frère, reprit l’âme souffrante; non, cela ne me suffit pas ! C’est le sang de Jésus-Christ qu’il faut pour éteindre les flammes dont je suis consumé; c’est l’auguste Sacrifice qui me rachètera de ces tourments épouvantables. Je vous en conjure donc, tenez votre parole, et ne me refusez pas ce que vous me devez en justice. »

Le Bienheureux s’empressa de répondre à cet infortuné qu’il s’acquitterait au plus tôt; et que, pour réparer sa faute, il célébrerait et ferait célébrer plus de messes qu’il n’en avait promis.

En effet, dès le lendemain, plusieurs prêtres à la prière de Suzo, s’unissant à lui, montaient à l’autel pour le défunt, et continuèrent les jours suivants cet acte de charité. Au bout de quelque temps, l’ami de Suzo lui apparut de nouveau, mais dans un tout autre état: il avait la joie sur le visage et une lumière très-pure l’environnait: « Oh ! merci, mon fidèle ami, lui dit-il; voici que, grâce au sang du Sauveur. Je suis délivré de l’épreuve. Je monte au ciel pour contempler Celui « que nous avons si souvent adoré ensemble sous les voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna pour remercier le Dieu de toute miséricorde, et il comprit mieux que jamais l’inestimable prix du sacrifice auguste de nos autels (Rossignoli, Merveille 34, d’après Ferdinand de Castille).

Chapitre 13 – Soulagement des âmes

Sainte Elisabeth et la reine Constance

Nous lisons dans la vie de sainte Elisabeth de Portugal (8 juillet), qu’après la mort de sa fille Constance, elle connut le triste état de la défunte au purgatoire et le prix que Dieu exigeait pour sa rançon. La jeune princesse, mariée depuis peu au roi de Castille, fut ravie par une mort inopinée à l’affection de sa famille et de ses sujets. Elisabeth venait d’apprendre cette triste nouvelle, et elle se rendait avec le roi son mari dans la ville de Santarem, lorsqu’un ermite, sorti de sa solitude, se mit à courir derrière le cortège royal, en criant qu’il avait à parler à la reine. Les gardes le repoussaient; mais la Sainte s’étant aperçue de son insistance, donna ordre qu’on lui amenât ce serviteur de Dieu.

La sainte Messe

Dès qu’il fut en sa présence, il lui raconta que plus d’une fois, pendant qu’il priait dans son ermitage, la reine Constance lui était apparue et l’avait instamment conjuré de faire savoir à sa mère qu’elle gémissait au fond du purgatoire, qu’elle était condamnée à des peines longues et rigoureuses, mais qu’elle serait délivrée si pendant l’espace d’un an on célébrait chaque jour la Sainte Messe pour elle. – Les courtisans, qui avaient entendu cette communication, s’en moquaient tout haut, et traitaient l’ermite de visionnaire, d’intrigant ou de fou.

Quant à Elisabeth, elle se tourna vers le roi et lui demanda ce qu’il en pensait ? « Je crois, répondit le prince, qu’il est sage de faire ce qui vous est « marqué par cette voie extraordinaire. Après tout, faire célébrer des messes pour notre chère défunte, est une œuvre qui n’a rien que de très-paternel et de très chrétien. » – On chargea donc de ce soin un saint prêtre, Ferdinand Mendez.

Au bout de l’année, Constance apparut à sainte Elisabeth, vêtue de blanc et rayonnante de gloire. « Aujourd’hui, ma mère, lui dit-elle, je suis délivrée des peines du purgatoire et je monte au ciel. » – La sainte remplie de consolation et de joie se rendit à l’église pour remercier le Seigneur. Elle y trouva le prêtre Mendez qui lui déclara que, la veille, il avait fini de célébrer les trois cent soixante-cinq messes dont on l’avait chargé. La reine comprit alors que Dieu avait tenu la promesse qu’il lui avait faite par le pieux ermite, et elle lui en témoigna sa reconnaissance en versant d’abondantes aumônes dans le sein des pauvres.

S. Nicolas de Tolentino

Vous nous avez délivrés de nos persécuteurs et vous avez confondu ceux qui nous haïssaient (Psaume 43). Telles furent les paroles qu’adressèrent à l’illustre saint Nicolas de Tolentino les âmes qu’il avait délivrées en offrant pour elles le sacrifice de la messe. – une des plus grandes vertus de cet admirable serviteur de Dieu, dit le père Rossignoli (Merv. 21, Vie de S. Nic. de Tolentino, 10 sept.), fut sa charité, son dévouement pour l’Église souffrante. Pour elle il jeûnait souvent au pain et à l’eau, il se donnait des disciplines cruelles, il se mettait autour des reins une chaîne de fer étroitement serrée. Quand le sanctuaire s’ouvrit devant lui, et qu’on voulut lui conférer le sacerdoce, il recula longtemps devant cette sublime dignité; ce qui le décida enfin à se laisser imposer les mains, ce fut la pensée qu’en célébrant chaque jour, il pourrait assister plus efficacement ses chères âmes du purgatoire. De leur côté, les âmes qu’il soulageait par tant de suffrages, lui apparurent plusieurs fois pour le remercier ou pour se recommander à sa charité.

Pellegrino d’Osima

Il demeurait à Vallimanes, près de Pise, tout occupé de ses exercices spirituels, lorsqu’un samedi pendant la nuit, il vit en songe une pauvre âme en peine, qui le suppliait de vouloir bien, le lendemain matin, célébrer la sainte messe pour elle et pour quelques autres âmes, qui souffraient d’une manière affreuse au purgatoire. Nicolas reconnaissait très bien la voix, mais ne pouvait se rappeler distinctement la personne qui parlait ainsi. Il demanda donc qui elle était. – « Je suis, répondit l’apparition, votre défunt ami, Pellegrino d’Osima. Par « la miséricorde divine, j’ai évité les châtiments éternels par une sincère « pénitence, mais non les peines temporelles dues à mes péchés. Je viens au nom « de beaucoup d’âmes aussi malheureuses que moi, vous supplier d’offrir demain « la sainte messe pour nous: nous en espérons notre délivrance, ou du moins un « grand soulagement. » Le saint répondit avec sa bonté accoutumée: « Que le « Seigneur daigne vous secourir par les mérites de son sang précieux ! Mais cette « messe pour les morts, je ne puis la dire demain: c’est moi qui dois chanter au « chœur la messe conventuelle. – Ah ! Venez au moins avec moi, s’écria le « défunt, avec des gémissements et des larmes; je vous en conjure pour l’amour « de Dieu, venez contempler nos souffrances, et vous ne me refuserez plus: vous « êtes trop bon pour nous laisser dans de pareilles angoisses. »

Alors il lui sembla qu’il était transporté dans le purgatoire. Il vit une plaine immense, où une grande multitude d’âmes de tout âge et de toute condition étaient livrées à des tortures diverses et épouvantables: du geste et de la voix elles imploraient tristement son assistance. « Voilà, lui dit « Pellegrino, la situation de ceux qui m’ont envoyé vers vous. Comme vous êtes « agréable à Dieu, nous avons la confiance qu’il ne refuserait rien à l’oblation du « Sacrifice faite par vous, et que sa divine miséricorde nous délivrerait. »

A ce lamentable spectacle, le saint ne put retenir ses larmes. Il se mit aussitôt en prière pour soulager tant d’infortunés, et le lendemain matin il alla trouver son Prieur, lui rendit compte de sa vision et de la demande de Pellegrino concernant sa messe pour ce jour-là même. Le père Prieur, partageant son émotion, le dispensa pour ce jour et pour toute la semaine, de sa fonction d’hebdomadaire, afin qu’il pût offrir le saint sacrifice à l’intention demandée, et se consacrer tout entier au soulagement des pauvres âmes. Heureux de cette permission, Nicolas se rendit à l’église et célébra avec une dévotion extraordinaire la sainte Messe pour les défunts. Pendant toute la semaine, il continua d’offrir le saint sacrifice à la même intention, pratiquant en outre, jour et nuit des oraisons, des macérations et toutes sortes de bonnes œuvres.

A la fin de la semaine, Pellegrino lui apparut de nouveau, mais non plus dans un état de souffrance: il était revêtu d’une robe blanche, et environné d’une splendeur toute céleste, dans laquelle se montraient une foule d’autres âmes bienheureuses. Toutes ensemble lui rendaient grâces et l’appelaient leur libérateur, puis elles s’élevèrent au ciel en chantant le verset du Psalmiste: Salvasti nos de affligentibus nos, et odientes nos confudisti, vous nous avez délivrés de nos persécuteurs et vous avez confondu ceux qui nous haïssaient (Ps. 43). Les ennemis dont il est ici parlé sont les péchés, et les démons qui en sont les instigateurs.