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Prières de Sainte Catherine de Sienne XXV, XXVI

XXV – Prière faite à Rocca di Tentennano, chez la comtesse de Salimbeni, le 26 octobre 1378.

(Les deux dernières prières ne se trouvent pas dans la version latine.)

1. O Puissance du Père, aidez-moi; Sagesse du Fils, éclairez mon intelligence; douce Clémence du Saint Esprit, embrasez-moi et unissez-vous mon cœur. Je confesse, ô Dieu éternel, que votre puissance est toute puissante pour délivrer l’Église, pour sauver votre peuple et le retirer des mains du démon, pour faire cesser la persécution contre la sainte Église, et me donner la victoire et la force contre tous mes ennemis. Je confesse que la sagesse de votre Fils, qui estime même chose avec vous, peut éclairer mon intelligence et celle de votre peuple, et dissiper les ténèbres de votre douce Épouse. Je confesse, ineffable Bonté de Dieu, que la Clémence du Saint Esprit, que votre ardente charité veut unir et enflammer en vous mon cœur et les cœurs de toutes les créatures raisonnables.

2. Puisque vous le savez, le voulez et le pouvez, je vous adjure, par votre puissance, ô Père éternel, par la sagesse de votre Fils unique et par son précieux Sang, par la clémence du Saint Esprit, le feu, l’abîme de la charité qui a cloué et percé votre Fils sur la Croix, je vous adjure de Faire miséricorde au monde et de renouveler dans votre sainte Église l’union, la paix et l’ardeur de la charité. Oui, je ne veux pas que vous tardiez davantage. Je vous demande que votre infinie Bonté vous force à ne pas fermer l’œil de votre miséricorde sur votre sainte Épouse, doux Jésus, Jésus Amour.

XXVI – Prière faite par sainte Catherine, après le terrible accident qu’elle éprouva dans la nuit du lundi de la Septuagésime, lorsque sa famille la pleura comme morte.

1. Dieu éternel, mon bon Maître, qui avez formé le vaisseau du corps de votre créature avec le limon de la terre; ô très doux Amour, vous l’avez formé d’une chose si vile, et vous y avez mis un si grand trésor, l’âme faite à votre image et ressemblance, ô Dieu éternel! Oui, mon bon Maître, mon doux Amour, vous êtes le maître de faire et de refaire, de briser et de refondre ce vase fragile comme le voudra votre Bonté.

2. O Père, moi votre misérable servante, je vous offre de nouveau ma vie pour votre douce Épouse. Vous pouvez, toutes les fois que le voudra votre Bonté, me séparer de mes sens et m’y ramener toujours d’une manière de plus en plus douloureuse, pourvu que je voie la réformation de votre douce Épouse, la sainte Église.

3. Je vous recommande cette Épouse, Dieu éternel; je vous recommande aussi mes fils bien-aimés, et je vous prie, ô Père suprême, s’il plaît à votre miséricordieuse bonté de me retirer enfin de mon corps, je vous prie de ne pas les laisser orphelins, mais de les visiter par votre grâce et de les faire vivre morts dans la vraie et parfaite lumière. Unissez-les ensemble par les liens de votre douce charité, afin qu’ils meurent anéantis dans cette douce Épouse.

4. Je vous prie, ô Dieu éternel, qu’aucun ne me soit ravi: pardonnez nous toutes nos fautes; pardonnez-moi mon extrême ignorance et la grande négligence que j’ai à me reprocher envers votre Église, puisque je n’ai pas fait tout ce que j’aurais dû et pu faire pour elle. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi; je vous offre et vous recommande mes fils bien-aimés, car ils sont mon âme; et, s’il plaît à votre Bonté de me faire rester dans mon corps, Médecin suprême, guérissez-le, réparez-le; car il est tout déchiré. Donnez, Père éternel, donnez-nous votre douce bénédiction. Ainsi soit-il.

Appendice

Dieu frappe à la porte de la volonté de Marie
« O Marie, tu deviens le livre dans lequel aujourd’hui est écrite notre règle. En toi, aujourd’hui, est écrite la sagesse du Père éternel; en toi, aujourd’hui, se manifeste la force et la liberté de l’homme.
Si je considère, Trinité éternelle, ton grand dessein, je vois que dans ta lumière tu as vu la dignité et la noblesse de la race humaine; et ainsi, comme l’amour te contraignit à tirer l’homme de toi-même, ce même amour te contraint à le racheter, car il s’était perdu. Tu as montré de façon admirable ton amour pour l’homme avant même que celui-ci n’existât, quand tu as voulu le tirer de toi-même uniquement par amour; mais tu lui as montré un plus grand amour en te donnant toi-même, en t’enfermant aujourd’hui dans la fragilité de son humanité. Que pouvais-tu lui donner de plus que te donner toi-même? C’est donc en toute vérité que tu peux lui dire: «Qu’aurais-je dû ou qu’aurais-je pu faire pour toi que je ne l’aie fait?»
Ainsi, je vois que ce que ta sagesse, en ce grand et éternel dessein, a vu devoir être fait pour le salut de l’homme, ta clémence a voulu le faire et, aujourd’hui, ta puissance l’a réalisé.

Quelle façon as-tu trouvée, Trinité éternelle, pour que, fidèle à ta vérité, tu fis miséricorde à l’homme et que toutefois ta justice fût satisfaite? Quel remède nous as-tu donné? Oh, le voici, le remède adapté: tu as déterminé de nous donner le Verbe, ton Fils unique; tu as voulu qu’il prit le poids de notre chair qui t’avait offensé, pour que, en souffrant dans cette humanité, il satisfasse à ta justice, non en vertu de l’humanité, mais en vertu de la divinité qui lui est unie. Et ainsi fut accomplie ta vérité et furent satisfaites la justice et la miséricorde.

O Marie, je vois ce Verbe qui t’est donné être en toi et néanmoins il n’est pas séparé du Père, de même que la parole que l’homme a dans l’esprit, bien que proférée et communiquée aux autres, ne le quitte pourtant pas et n’est pas séparée de son cœur. En tout cela se manifeste la dignité de l’homme, pour qui Dieu a fait de si grandes choses.

En toi, Marie, se manifestent aussi, en ce jour, la force et la liberté de l’homme, puisque, après la décision de réaliser un si grand dessein, un ange t’est envoyé pour t’annoncer le mystère du dessein divin et chercher l’approbation de ta volonté; et le Fils de Dieu ne descend pas en toi avant que tu n’y consentes par un acte de ta volonté. Il attendait à la porte de ta volonté que tu lui ouvres parce qu’il voulait venir en toi; et il n’y serait jamais entré si tu ne lui avais pas ouvert en disant: Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole.

O Marie, la divinité éternelle frappait à ta porte; mais, si tu n’avais pas ouvert la porte de ta volonté, Dieu ne se serait pas incarné en toi.
Honte à toi, ô mon âme, qui vois qu’aujourd’hui Dieu, en Marie, a établi avec toi des liens de parenté. Aujourd’hui il t’est montré que bien que tu aies été créée sans toi, tu ne seras pas sauvée sans toi.
O Marie, mon doux amour, en toi est écrit le Verbe qui nous donne la doctrine de vie; et toi, tu es le livre qui nous présente cette doctrine. »

Des Orations de sainte Catherine de Sienne, O.P.
(Écrite pour le jour de l’Annonciation 1379)

Préparé par l’Institut de Spiritualité:
Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin
Embrasse Jésus abandonné, aimant et aimé

« Chère sœur en Jésus. Moi, Catherine, servante des serviteurs de Jésus, je t’écris en son précieux sang, désireuse que tu t’alimentes de l’amour de Dieu et que tu t’en nourrisses, comme au sein d’une douce mère. Personne, en fait, ne peut vivre sans ce lait!

Qui possède l’amour de Dieu, y trouve tant de joie que chaque amertume se transforme en douceur, et chaque fardeau devient léger. Il ne faut pas s’en étonner, parce que, en vivant dans l’amour, l’on vit en Dieu: “Dieu est amour; qui est dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui”.

Vivant en Dieu donc, on ne peut avoir aucune amertume, parce que Dieu est délice, douceur et joie infinie!

Voilà pourquoi les amis de Dieu sont toujours heureux! Même si nous sommes malades, pauvres, affligés, tourmentés, persécutés, nous sommes dans la joie.

Même si toutes les langues médisantes parlaient mal de nous, nous ne nous en préoccuperions pas; mais nous nous réjouissons de toute chose et sommes heureux, parce que nous vivons en Dieu, notre repos, et nous goûtons le lait de son amour. Comme l’enfant tête le lait du sein de sa mère, nous aussi, amoureux de Dieu, puisons l’amour en Jésus crucifié, en suivant toujours ses traces et en cheminant avec lui sur la voie des humiliations, des peines et des injures.

Nous ne cherchons pas la joie sinon en Jésus, et nous fuyons toute gloire qui ne soit pas celle de la croix.

Embrasse donc Jésus crucifié, en élevant à Lui le regard de ton désir! Contemple l’amour enflammé pour toi, qui a conduit Jésus à verser son sang par tout son corps!

Embrasse Jésus crucifié, aimant et aimé, et tu trouveras en lui la vraie vie, parce qu’ Il est Dieu qui s’est fait homme. Que ton cœur et ton âme brûlent du feu de l’amour, puisé en Jésus en croix!

Tu dois ensuite devenir amour, en regardant l’amour de Dieu, qui t’a tant aimée, non parce qu’Il avait quelque obligation envers toi, mais par pur don, mu seulement par son ineffable amour.
Tu n’auras pas d’autre désir que de suivre Jésus! Comme ivre de l’Amour, tu ne feras plus attention au fait d’être seule ou en compagnie: ne te préoccupe pas de tant de choses, mais seulement de trouver Jésus et de le suivre!
Cours donc, Bartoloméa, et ne reste plus à dormir, parce que le temps passe vite et n’attend pas un seul instant!
Reste dans le doux amour de Dieu.
Doux Jésus, Jésus amour. »

Des “Lettres” de Ste Catherine de Sienne (1347-1380)
(lettre n. 165 à Bartolomea, épouse de Salviato de Lucque).

Prière

O Amour inestimable! Tu nous illumines de ta sagesse, pour que nous puissions nous connaître nous-mêmes, connaître ta vérité et les ruses subtiles du démon.
Par le feu de ton amour, allume en nos cœurs le désir de t’aimer et de te suivre dans la vérité.
Toi seul es l’Amour, digne seulement d’être aimé!

(de Ste Catherine de Sienne)
FIN DU DIALOGUE

Prières de Sainte Catherine de Sienne XXII, XXIII, XXIV

 XXII – Prière faite à Borne, le jour de la Circoncision, à la recommandation d’un Cardinal dominicain, pour obtenir la circoncision des pécheurs endurcis.

1.- O Dieu souverain, ineffable Amour, Feu éternel qui éclairez les âmes, qui les embrasez du souffle de votre charité et qui détruisez en elles, autant que vous le pouvez tout ce qui vous est contraire, l’amour vous a forcé de nous donner la vie, et de vous révéler à nous pour l’honneur et la gloire de votre nom; ce même amour vous a forcé de revêtir notre mortalité pour nous retirer de nos égarements, et c’est aujourd’hui surtout que parait cet amour.

2. Pour enseigner l’humilité à ceux que vous aimez, vous vous êtes rendu accessible à la douleur: vous qui avez fait la loi, vous vous y êtes soumis. Que l’homme rougisse clone de la dureté de son cœur, et de la violation de la loi que vous lui avez donnée, puisque vous, notre Dieu, vous avez voulu l’observer. Vous nous avez montré aujourd’hui en vous le néant de notre humanité, pour que nous apprenions à nous anéantir en vous. Vous avez souffert, pour nous racheter et nous renouveler dans l’amour de votre Passion, afin que nous puissions à votre exemple souffrir avec courage.

3. Que toute âme se fonde et se perde dans votre amour, ô Créateur, ô Dieu véritable, qui avez tiré l’homme de vous-même pour qu’il vous connût, vous aimât et vous suivit comme son unique fin. Et nous avons résisté à tant de bienfaits; ô Majesté éternelle! nous avons osé nous éloigner de vous. Encore aujourd’hui, votre bonté présente à nos âmes l’anneau de votre charité pour en faire ses épouses, si elles veulent accepter les conditions qui les fout participer à votre éternité.

4. Aujourd’hui, vous avez donné à mon âme la rémission de ses péchés, par l’intermédiaire de votre ministre, dont la puissance est la vôtre. Vous m’avez créée sans moi, mais vous ne pouvez me sauver sans moi; et c’est par la prière et la confession que j’ai obtenu de votre Vicaire la rémission de mes péchés. Votre indigne servante vous en remercie, Seigneur; et puisque votre grâce m’a purifiée, ô mon Amour et mon Dieu, je vous conjure de faire miséricorde au monde, et de l’éclairer, pour qu’il reconnaisse votre Vicaire dans la pureté de la foi, et qu’il le suive à la clarté de votre lumière.

5. Donnez aussi à votre Vicaire un cœur courageux et tout revêtu de votre sainte humilité. Je vous le demande avec instance, et je ne cesserai de le demander à votre bonté, ô mon Amour, jusqu’à ce que vous m’ayez exaucée. Manifestez en lui votre vertu; que son âme virile brûle sans cesse de vos saints désirs, qu’elle soit pénétrée de votre humilité, et qu’elle agisse avec votre douceur, votre charité, votre pureté, votre sagesse; qu’elle attire à lui l’univers tout entier. Oui, donnez à votre Vicaire l’abondance de votre vérité, afin qu’il connaisse ce qu’il était par lui-même et ce que vous êtes en lui par votre grâce.

6. Éclairez aussi ceux qui le combattent et qui résistent au Saint Esprit et à votre toute-puissance par l’incirconcision de leur cœur. Frappez à la porte de leurs âmes, car ils ne peuvent se sauver sans vous. Pour les convertir, ô mon Dieu, réveillez la vie en eux, et que votre amour ineffable vous force, dans ce jour de grâce, à amollir leur dureté, afin qu’ils reviennent à vous et qu’ils ne périssent pas puisqu’ils vous ont offense, ô Dieu de souveraine clémence, punissez sur moi leurs offenses. Voici mon corps, je vous l’offre, je vous le livre comme une enclume ou leurs fautes doivent être détruites.

7. Seigneur, vous avez donné à votre Vicaire un cœur naturellement fort, je vous demande humblement que vous donniez aussi à son intelligence une lumière surnaturelle qui le porte à la vertu et l’empêche de tomber dans l’orgueil. Détruisez tout amour-propre en lui, en nous et dans tous vos ennemis, afin que nous puissions nous réconcilier avec eux lorsque vous aurez adouci leur dureté, et qu’ils se seront soumis à votre obéissance.

8. Je vous offre ma vie, maintenant et quand il vous plaira; utilisez-la pour votre gloire. Je vous supplie, par les mérites de votre Passion, de purifier votre Épouse de ses anciennes souillures, et de retrancher de son sein les rameaux stériles. Ne tardez pas davantage, je vous en conjure, ô mon Dieu. Je sais que vous pouvez par la force redresser à la longue les branches difformes de vos ennemis; mais hâtez-vous, éternelle Trinité: puisque vous avez fait quelque chose de rien, il ne vous sera pas difficile de vous servir de ce qui existe, et d’en retrancher le mal. Je vous recommande mes enfants, et je présente à votre Majesté sainte celui par le ministère duquel vous vous êtes aujourd’hui donné à moi. Donnez-vous aussi à lui; renouvelez-le à l’intérieur et à l’extérieur, afin que tous ses actes soient conformes à votre bon plaisir. Daignez m’exaucer et recevez mes actions de grâces, ô Vous, le Béni dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

XXIII- Prière faite par sainte Catherine pendant l’extase qui suivit sa communion, le jour de la Conversion de saint Paul, en 1377. Elle fut recueillie par le bienheureux Raymond, son confesseur.

Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.

1. O Trinité éternelle, Dieu unique, Dieu un en essence et trine en personnes, permettez-moi de vous comparer à une vigne qui a trois rameaux. Vous avez fait l’homme à votre image et ressemblance. Par les trois puissances qu’il, a en son âme, il ressemble à votre Trinité et à votre unité. Et pour ajouter à cette ressemblance, par la mémoire, il ressemble et s’unit au Père, auquel on attribue la puissance; par l’intelligence, il ressemble et s’unit au Fils, auquel on attribue la sagesse; par la volonté, il ressemble et s’unit au Saint Esprit, auquel on attribue la clémence, et qui est l’amour du Père et du Fils.

2. O Paul, saint Apôtre, vous avez bien connu cette vérité. Vous saviez parfaitement d’où vous veniez, où vous alliez; non seulement où vous alliez, mais par quel chemin vous alliez, car vous avez connu votre principe et votre fin, et par quelle voie vous alliez à votre fin. Aussi, vous avez uni les puissances de votre âme aux personnes divines. Vous avez uni votre mémoire au Père, en Vous rappelant parfaitement qu’il est le principe d’où procède toutes choses, non seulement les choses créées, mais encore, en leur manière, les personnes divines. Et par conséquent, vous n’avez pas douté qu’il ne fût votre principe.

3. Vous avez uni la puissance de votre intelligence au Fils, le Verbe, en comprenant parfaitement l’ordre qui ramène les choses créées à leur fin, qui est le même principe réglé par la sagesse du Verbe. Et pour que cela fût plus clairement manifesté, le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, afin qu’étant la Vérité, il traçât par ses œuvres la voie qui conduit à la vie pour laquelle nous étions créés, et dont nous étions privés.

4. Vous avez uni votre volonté au Saint Esprit, en aimant parfaitement cet amour, cette clémence que vous voyiez être la cause de votre création et de tous les dons gratuits que vous aviez reçu; et vous saviez que cette divine clémence agissait toujours uniquement pour votre bonheur et votre sanctification.

5. En ce jour le Verbe vous convertit de l’erreur à la vérité; vous avez reçu la grâce d’un ravissement où vous avez vu la divine Essence en trois personnes. Lorsque cette vision finit, et que vous êtes revenu à votre corps ou à vos sens, vous êtes resté revêtu seulement de la vision du Verbe incarné, et en la méditant vous avez compris que ce Verbe incarné, par ses souffrances continuelles, avait été la gloire de son Père et notre salut.

6. Alors vous êtes devenu avide et affamé de souffrances; vous oubliiez tout le reste, et vous confessiez que vous ne saviez autre chose que Jésus, et Jésus crucifié. Comme dans le Père et dans l’Esprit Saint ne peut se trouver la souffrance, vous paraissiez oublier ces deux Personnes divines, et vous disiez que vous ne connaissiez que le Fils Jésus, qui souffrit de si grands tourments; vous ajoutiez: Jésus crucifié.

XXIV – Prière faite à Rome.

1. O Dieu éternel, Père tout puissant! Feu qui brûlez toujours, Flamme ardente de charité, mon Dieu, mon Dieu! ce qui montre votre bonté et votre grandeur, c’est le présent que vous avez fait l’ l’homme. Ce présent, c’est vous tout entier, vous l’infinie, l’éternelle Trinité: et le lieu où vous avez daigné descendre pour vous donner, c’est l’étable de notre humanité, qui était devenue le repaire des animaux, c’est-à-dire des péchés mortels. Vous avez voulu y naître pour faire comprendre à quel degré de misère l’homme était parvenu par sa faute. Vous vous êtes donné tout entier en vous faisant semblable à notre humanité, et en vous unissant à elle.

2. O Dieu éternel! Dieu éternel, vous me dites de regarder votre Divinité, afin de me voir en vous, et de mieux connaître, par votre grandeur, ma misère et ma bassesse. Mais si je ne me dépouille pas d’abord de ma volonté propre, je ne puis vous voir. Vous m’avez enseigné qu’il fallait me dépouiller de ma volonté, en me connaissant moi-même, parce qu’en me connaissant je vous connais, et en vous connaissant mon âme se dépouille de sa volonté pour revêtir la vôtre.

3. Nous devons aussi arriver par la lumière à nous connaître en vous. O feu qui brûlez toujours, l’âme qui se connaît en vous, de quelque côté qu’elle se tourne, rencontre votre grandeur jusque dans les plus petites choses, dans les créatures raisonnables et dans tout ce que vous avez créé. Partout elle voit votre puissance, votre sagesse, votre bonté; car si vous n’en aviez pas eu le pouvoir, l’intelligence et la volonté, vous n’auriez pas tout créé vous êtes tout puissant, et vous avez manifesté votre puissance.

4. O âme misérable! tu ne t’es jamais connue en Dieu, parce que tu n’as pas dépouillé ta volonté corrompue, et que tu n’as pas revêtu la sienne. Comment voulez-vous, ô mon doux Amour, que je me regarde en vous? J’y vois que vous nous avez créés à votre image et ressemblance; j’y vois que vous, la Pureté même, vous vous êtes uni à la fange de notre humanité. C’est le feu de votre ineffable charité qui vous contraint et qui vous force à vous donner à nous en nourriture, vous, la Nourriture des anges, la souveraine, l’éternelle Pureté, qui demande tant de pureté, que, s’il était possible à la nature angélique de se purifier davantage, elle devrait le faire pour vous recevoir! Et comment l’âme se purifiera-t-elle? Par le feu de votre charité, en se lavant dans le sang de votre Fils unique.

5. O âme pleine de misère! comment t’approches-tu d’un si grand Sacrement sans mieux te purifier? N’as-tu pas honte, et n’es-tu pas digne d’habiter avec les bêtes et les démons, puisque tu accomplis les actes des bêtes, et que tu suis les inspirations du démon? O Bonté infinie! vous me montrez en vous que vous m’aimez, et que vous m’aimez gratuitement, afin que j’aime aussi d’un amour désintéressé mon prochain, et que je le serve spirituellement et corporellement autant que je le pourrai, sans espoir de récompense. Vous voulez que, malgré ses persécutions et son ingratitude, je ne l’abandonne jamais, et que je le secoure dans tous ses besoins.

6. Que ferai-je pour vous obéir? Je dépouillerai la corruption de ma volonté, je me regarderai en vous à la lumière le la foi, je me revêtirai de votre éternelle volonté, et je verrai que vous êtes, ô adorable Trinité, notre table, notre nourriture, notre serviteur. Oui, ô Père, vous êtes la table où nous est servi l’Agneau sans tache, votre Fils unique. Cet Agneau est notre suave et délicieuse nourriture; car il nous nourrit de sa doctrine, et il se donne dans la sainte communion pour nous soutenir et nous fortifier pendant le pèlerinage de cette vie. Le Salut Esprit est notre serviteur; car il nous sert cette doctrine qui éclaire notre intelligence et qui attire nos cœurs; il nous donne aussi cet amour du prochain, cette faim des âmes et du salut du monde pour l’honneur du Père. Aussi voyons-nous les âmes, éclairées en vous de la véritable lumière, ne laisser jamais s’écouler un instant sans se nourrir de cet amour et de ce désir du salut des âmes.

7. O infinie Bonté, vous nous montrez en vous les nécessités du monde, et surtout celles de la sainte Église, votre Épouse. Vous nous montrez l’amour que vous lui portez, puisque vous l’avez fondée dans le sang de votre Fils, et que vous l’y conservez. Vous montrez aussi votre amour pour votre Vicaire, puisque vous le rendez le dispensateur de ce précieux Sang. Je me regarderai en vous afin de devenir pure; et, lorsque vous m’aurez purifiée, je demanderai à votre miséricorde de jeter des regards de compassion sur les besoins de votre Église, et d’éclairer, de fortifier votre Vicaire. Éclairez aussi, ô Père très clément, vos serviteurs, pour qu’ils vous consultent en toute chose, et qu’ils soient fidèles aux lumières que vous leur donnez.

8. O souveraine Sagesse, non seulement vous avez créé l’âme, mais vous l’avez enrichie de trois puissances, de la mémoire, de l’intelligence et de la volonté; et ces puissances sont tellement unies, qu’il suffit d’une seule pour entraîner les autres. Si la mémoire s’occupe à voir votre bonté, aussitôt l’intelligence veut la comprendre, et la volonté veut l’aimer et suivre votre volonté. Pourquoi ne l’avez-vous pas créée seule? Parce que vous n’avez pas voulu qu’elle fût sans votre amour et sans celui du prochain; et quand elle est ainsi accompagnée, elle devient une même chose avec vous et avec le prochain. Alors s’accomplit cette parole de saint Paul: « Il y en a beaucoup qui courent dans la carrière, mais le prix n’appartient qu’à un seul ». (I Cor. IX, 24), c’est-à-dire à la charité.

9. Quand l’âme s’associe au péché, elle reste seule, parce qu’elle s’éloigne de vous, qui êtes le seul bien; et en s’éloignant de vous, elle se sépare de la charité du prochain et s’associe au néant du péché. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Jamais je n’ai su me connaître en vous; c’est votre lumière qui fait voir tout le bien qu’on connaît. Dans votre nature, Dieu éternel, je connaîtrai ma nature. Et quelle est votre nature, ô Amour ineffable? C’est un feu, et vous avez donné de cette nature à l’homme en le créant par le feu de l’amour, ainsi que toutes les autres créatures. Homme ingrat, ton Dieu t’a donné sa nature, et tu n’as pas honte de détruire en toi cette noblesse, en commettant le péché.

10. O Dieu, mon doux Amour, comment ce qui n’a pas l’apparence du feu est-il un feu? Oui, tout est feu, parce que vous avez tout créé par le feu de la charité. La plante que porte la terre n’est pas la terre, elle tire cependant de la terre sa substance. Il est donc Vrai que vous n’êtes autre chose qu’un feu (Ce paragraphe se trouve dans le latin seulement).

11. Trinité éternelle, mon doux Amour, vous la Lumière véritable, donnez-nous la lumière: vous la Sagesse, donnez-nous la sagesse; vous la Force infinie, donnez-nous la force. Dissipez, je vous en conjure, nos ténèbres, afin que nous puissions vous connaître parfaitement, et suivre votre Vérité dans la sincérité et la simplicité du cœur. O Dieu, venez à notre aide, hâtez-vous de nous secourir. Ainsi soit-il.

Prières de Sainte Catherine de Sienne XIX, XX, XXI

XIX – Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint Pierre, apôtre.

1. J’ai recours à vous, Médecin suprême, Amour inexprimable de mon âme; je soupire avec ardeur vers vous, Trinité éternelle, infinie, moi si peu de chose! Je m’adresse à vous dans le corps mystique de votre sainte Église pour que vous purifiiez par votre grâce toutes les taches de mon âme. Ne tardez pas davantage, je vous le demande par les mérites de saint Pierre, que vous avez chargé de conduire votre Barque. Secourez votre Épouse, qui espère dans le feu de votre charité et l’abîme de votre admirable sagesse.

2. Ne méprisez pas les désirs de vos serviteurs, mais dirigez vous-même la Barque sainte. Vous qui faites la paix, attirez à vous tous les fidèles; dissipez les ténèbres de l’orage, afin que l’aurore de votre lumière brille sur les champs de votre Église et y ramène le zèle pour le salut des âmes. O Père tendre et miséricordieux, vous nous avez donné des liens pour enchaîner le bras de votre justice; ce sont les humbles prières et les ardents désirs de vos ardents serviteurs, que vous avez promis d’exaucer, lorsqu’ils vous demanderaient d’avoir pitié du monde.

3. Je vous rends grâces, Ô Dieu puissant et éternel, du repos que vous voulez bien promettre à votre Épouse. Oui, j’entrerai dans ses jardins et je n’en sortirai pas avant d’avoir vu l’accomplissement de vos promesses qui ne trompent jamais. Effacez aujourd’hui nos péchés, Seigneur, et purifiez nos âmes avec le Sang que votre Fils unique a versé pour nous, afin que, la joie Sur le visage et la pureté tians l’âme, nous lui rendions amour pour amour, en mourant à nous-mêmes et en vivant pour lui.

4. Exaucez aussi les prières que nous vous adressons pour le Pontife qui garde la Chaire sacrée dont nous célébrons la fête; rendrez-le l’imitateur et le digne successeur de votre petit vieillard Pierre (Il succesore di questo tuo vecchiacciuolo di Petro.), et donnez-lui tout ce qui lui est nécessaire pour gouverner l’Église. Vous le savez, vous avez promis de satisfaire bientôt mes désirs: ainsi je m’adresse à vous avec confiance, mon Dieu; ne tardez pas davantage à accomplir vos promesses.

5. Et vous, mes frères bien-aimés, travaillons, tandis que nous le pouvons, pour l’Église du Christ, qui est notre mère dans la foi. Vous avez été placés dans l’Église comme ses colonnes; aidez-la de vos ferventes prières et de vos œuvres; détruisez eu vous tout amour-propre et toute paresse. Cultivons avec ardeur le champ sacré de la Foi, afin que nous accomplissions la volonté de Dieu, qui nous a donné cette tâche pour notre salut, pour celui des autres, et pour l’unité de l’Église, qui doit être le salut de nos âmes.

XX – Prière faite à Rome, le 26 mars 1379.

1. O Dieu éternel, souveraine Grandeur, vous êtes grand, moi je suis petite. Ma bassesse ne peut atteindre votre Grandeur qu’autant que la volonté, l’intelligence, la mémoire, surmontent la faiblesse de mon humanité pour vous contempler dans la lumière que vous m’avez donnée. Si je regarde votre Grandeur, toute grandeur que mon âme peut atteindre en vous est comme la nuit obscure comparée aux clartés du jour, ou comme les reflets de la lune comparés au disque éclatant du soleil. Je puis bien vous posséder par l’amour, mais je ne puis vous voir dans votre essence: vous avez dit que l’homme vivant ne peut vous voir.

2. Oui, l’homme vivant dans sa sensualité et sa volonté ne peut vous voir dans l’union de votre charité; celui qui vit dans la rectitude de la raison peut vous voir dans l’union de votre charité, mais il ne peut vous contempler dans votre essence tant qu’il habite son corps mortel. Il est donc bien certain que je ne puis vous atteindre, mais seulement jouir de vous comme dans un miroir, c’est-à-dire dans les effets de votre charité, et non dans votre essence.

3. Et quand ai-je pu prétendre à ce bonheur de vos adorateurs véritables, à ce bonheur incompatible avec ma vie mortelle? Lorsque arriva le moment sacré, le temps vraiment acceptable, où mon âme put voir dans la lumière l’accomplissement des promesses; lorsque vint au monde le grand Médecin, votre Fils unique; lorsque l’Époux fut uni à l’Épouse, et le Verbe-Dieu à notre humanité. Cette union s’est faite par Marie, car c’est elle qui vous a revêtu de sa chair, vous qui êtes l’éternel Époux!

4. Cette union ineffable était cachée d’abord; peu la connaissaient, et l’âme ne pouvait comprendre toute votre grandeur; mais l’âme eut la connaissance parfaite de votre charité dans la Passion du Verbe (Il ne s’agit pas d’une connaissance parfaite, absolue mais de la connaissance dont parle saint Jean dans sa première Épître, III, 16: In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animan suam pro nobis posuit.). Alors le feu caché sous notre cendre se manifesta et produisit ces grandes flammes qui atteignirent le corps sacré du Sauveur sur l’arbre de la Croix. Pour que l’affection de l’âme fût attirée aux choses d’en haut, pour que l’œil de l’intelligence pût vous contempler dans ces flammes, ô Verbe éternel, vous avez voulu être élevé sur le Calvaire, et le sang que vous y avez versé nous a prouvé votre amour, votre miséricorde et votre générosité infinie. Vous nous avez aussi montré, par ce Sang, combien vous est odieuse et pesante la faute de l’homme. Vous avez purifié dans ce Sang l’âme, l’épouse que vous avait donnée l’union de votre divinité à notre humanité. Ce Sang a été un vêtement pour sa misère, et votre mort lui a rendu la vie.

5. O Passion désirable, mais qui ne peut être désirée ni aimée par ceux qui se désirent, s’aiment encore eux-mêmes! Passion que désire celui qui s’est dépouillé de lui-même pour se revêtir de vous, et qui a connu par votre lainière la grandeur de votre charité! Passion douce et profitable, qui donnez à l’âme la paix nécessaire pour traverser les flots d’une mer orageuse! Passion, la suavité, la douceur même, richesse de l’âme, repos des affligés, nourriture de ceux qui ont faim! vous êtes le port et le paradis de nos âmes! notre joie véritable, notre gloire, notre béatitude! Celui qui se glorifie en vous possède tout ce qu’il doit posséder. Et qui est-ce qui se glorifie en vous? Ce n’est pas celui qui abaisse la lumière de sa raison aux caprices-de ses sens: celui-là ne peut voir que ta terre.

6. O Passion qui guérissez toute maladie, pourvu que le malade consente à sa guérison, car vos bienfaits ne nous ôtent pas la liberté, vous rendez la vie aux morts et vous délivrez l’âme qui est tombée dans les pièges du démon si le monde nous poursuit, si notre fragilité nous accablé, vous êtes notre refuge. L’âme, en voyant les douleurs du Calvaire, connaît l’immensité de la charité divine que cette Passion lui révèle, et elle en est enivrée. La faiblesse que le Verbe emprunte à notre humanité pour souffrir est un miracle de grandeur et de puissance, puisqu’elle vient de Dieu, qu’elle nous élève à Dieu et qu’elle fait ce que rien ne pourrait faire.

7. O divine Passion! l’âme qui se repose en vous meurt à la sensualité, en goûtant le charme de votre amour. Qu’elle est grande, qu’elle est suave la douceur qu’elle trouve lorsqu’elle pénètre cette dure enveloppe sous laquelle se cachent la lumière et le feu de la charité, lorsqu’elle voit l’admirable union de la Divinité avec l’humanité qui seule souffre en notre Sauveur! Regarde, mon âme, contemple le Verbe dans notre humanité comme dans un nuage qui l’environne; la Divinité n’est pas plus blessée par ce nuage de notre humanité que le soleil ne l’est par les nuages qui voilent ses splendeurs et nous cachent la pureté du ciel. Oui, la divinité du Verbe assista aux souffrances de son corps mais après sa Résurrection, elle changea en lumière les ténèbres de son humanité et la rendit immortelle.

8. O Passion, vous êtes la doctrine que doit suivre la créature raisonnable; vous montrez combien s’égarent ceux qui préfèrent les plaisirs aux peines; puisqu’on ne parvient au Père que par le Verbe, et qu’on ne s’associe au Fils qu’en aimant ses souffrances. Si l’homme veut éviter la souffrance, il l’endurera malgré lui; s’il consent à la porter avec le Soleil de justice, il n’en souffrira pas plus que la Divinité n’a souffert dans le Verbe les douleurs de la Passion acceptée volontairement. Depuis votre Passion, ô Verbe de Dieu, l’âme ne peut avec la lumière de la grâce connaître l’étendue de votre charité; et c’est par cette lumière, qui nous est donnée dans le temps, que nous parviendrons à connaître votre essence dans l’éternité.

9. O Dieu aimable, Dieu éternel, Sublimité infinie, nous ne pouvions élever à votre hauteur, ni les affections de notre âme à cause de leur bassesse, ni les regards de notre intelligence à cause des ténèbres du péché; mais vous qui êtes le Médecin suprême, vous nous avez donné le Verbe avec son humanité; vous avez gagné l’homme, vous avez vaincu le démon, non par l’humanité mais par la Divinité. En vous faisant petit, vous avez grandi l’homme: vous vous êtes abreuvé d’outrages pour le remplir de béatitude; vous avez souffert la faim pour le rassasier de charité; vous vous êtes dépouillé de la vie pour le revêtir de la grâce; vous vous êtes couvert de honte pour lui rendre l’honneur; vous vous êtes caché dans votre humanité pour lui donner la lumière; vous vous êtes étendu sur la Croix pour l’embrasser; vous lui avez ouvert votre côté pour lui offrir un asile contre ses ennemis, et lui faire connaître votre amour, dont l’étendue n’a pas de bornes. C’est là qu’il a trouvé la piscine salutaire qui a guéri son âme de la lèpre du péché.

10. O Amour ineffable, ô Flamme, ô Abîme de charité, Grandeur qu’on ne peut mesurer, plus je vous contemple dans votre Passion, plus je rougis de la misère de mon âme qui ne vous a jamais connu, et cela parce qu’elle vivait pour les sens et qu’elle était morte à la raison. Mais que votre admirable charité illumine aujourd’hui mon intelligence, l’intelligence de ceux que vous m’avez confiés, et celle de toutes les créatures raisonnables. O Dieu, mon Amour, lors que le monde se mourait dans la faiblesse, vous lui avez envoyé pour le guérir votre Fils unique, et je sais que vous le lui avez envoyé à cause de votre amour, et non à cause de nos mérites.

11. Maintenant le monde s’affaisse dans la mort, et mon âme n’en peut supporter le douloureux spectacle. Quel moyen prendrez-vous pour le ranimer, puisque vous ne pouvez plus souffrir et que vous ne descendrez plus des cieux pour nous racheter, mais pour nous juger? Comment nous rendrez-vous la vie? Je crois, ô Bonté infinie, que les remèdes ne vous manquent pas; je sais que votre amour pour nous est toujours le même, et que votre puissance n’est pas plus affaiblie que votre sagesse. Vous voulez, vous pouvez, vous connaissez ce qui peut nous sauver. Je vous en supplie, montrez-moi ce remède, afin que mon âme ranimée reprenne courage.

12. Il est vrai que votre Fils ne doit plus venir que dans la majesté du jugement: mais vous avez des serviteurs que vous appelez vos Christs; et avec eux vous pouvez sauver le monde et lui rendre la vie, parce qu’ils marchent avec courage sur les traces de votre Fils, parce qu’ils brûlent du désir de vous glorifier, de sauver les âmes, et qu’ils supportent avec patience les peines, les tourments, les opprobres et les injures. Ces peines finies, accompagnées d’un désir infini, vous feront exaucer leurs prières, accomplir leurs désirs. S’ils souffraient corporellement sans ce désir infini, leurs souffrances ne pourraient suffire ni à eux ni aux autres, comme la Passion du Verbe sans la Divinité n’aurait pas suffi au salut du genre humain.

13. Sauveur par excellence, donnez-nous donc des Christs pour qu’ils répandent leur vie pour le salut du monde dans les jeûnes, les veilles et les larmes. Vous les appelez vos Christs parce qu’ils deviennent semblables à votre Fils unique. O Père éternel, sauvez-nous de notre ignorance, de notre aveuglement, de notre froideur, Que nous ne restions pas dans cette obscurité où nous ne voyons que nous-mêmes; mais faites-nous connaître votre volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! Je vous remercie de ce que vous avez donné le repos à mon âme, en lui faisant connaître, dès ici-bas, la grandeur de votre charité et le moyen que vous avez pour délivrer le monde de la mort.

14. Réveille-toi donc, ô mon âme, secoue ce sommeil qui a duré toute ta vie! O Amour ineffable! ce que souffrent vos serviteurs devient méritoire par le désir de leur âme, et le désir de leur âme devient méritoire par le désir de votre charité infinie! O âme malheureuse qui ne suis pas la lumière, mais les ténèbres, sors, sors donc de ces ténèbres éveille-toi, ouvre les yeux de ton intelligence et regarde l’abîme de la charité divine, sans voir, tu ne peux pas aimer; et plus tu verras, plus tu aimeras; plus tu aimeras, plus tu suivras et te revêtiras sa volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

XXI – Prière faite à Rome, le Jeudi 5 Avril 1379.

1. O notre Résurrection! notre Résurrection! puissante et éternelle Trinité, faites donc éclater mon âme! O Rédempteur! notre Résurrection! Trinité éternelle! Feu qui brûlez toujours, qui ne vous éteignez jamais, qui ne pouvez diminuer quand même vous vous communiqueriez à toute la terre! O Lumière qui donnez la lumière, je vois dans votre lumière, et je ne puis rien voir sans vous, parce que vous êtes Celui qui êtes, et moi je suis celle qui ne suis pas! Je connais par vous mes besoins, ceux de l’Église et du monde! C’est parce que je les connais que je vous conjure d’ébranler, d’enflammer mon âme pour le salut du inonde; non pas que je puisse porter quelque fruit par moi-même, mais je le puis par la vertu de votre charité, qui est la source de tout bien.

2. Oui, dans l’abîme de votre charité, l’âme agit pour son salut et pour celui de prochain, comme votre Divinité, ô éternelle Trinité, nous a sauvés au moyen de notre humanité bornée, qui nous a procuré un bien infini. C’est par cette vertu toute puissante de votre Divinité qu’a été créé tout ce qui participe à l’être, et qu’a été donné à l’homme le bien spirituel et temporel qui se trouve en lui. Ce bien, vous avez voulu que l’homme le cultivât par son libre arbitre.

3. O Trinité, Trinité éternelle! votre lumière nous fait connaître que vous êtes le Jardin parfait qui renfermez les fleurs et les fruits. Vous êtes une Fleur de gloire qui vous glorifiez et qui fructifiez vous-même! Vous ne pouvez rien recevoir d’un autre: sans cela vous ne seriez pas le Tout-Puissant, l’Éternel! Celui qui vous donnerait ne paraîtrait pas venir de vous. Mais vous êtes votre gloire et votre fruit; ce que vous offre votre créature vient de vous; si elle ne recevait rien, elle ne pourrait rien vous rendre.

4. O Père éternel! l’homme était renfermé dans votre sein; vous l’avez tiré de votre sainte pensée, comme une fleur où se distinguent les trois puissances de l’âme. Dans chacune de ces puissances, vous avez mis un germe afin qu’elles puissent fructifier dans votre jardin et vous rendre le fruit que vous lui avez donné. Vous entrez dans l’âme pour la remplir de votre béatitude, et l’âme y est comme le poisson dans la mer et la mer dans le poisson.

5. Vous lui avez donné la mémoire afin qu’elle puisse retenir vos bienfaits polir fleurir à la gloire de votre nom et porter de bons fruits, Vous lui avez donné l’intelligence afin qu’elle connaisse votre vérité et votre volonté qui veut toujours notre sanctification, et que, la connaissant, elle vous honore et produise des vertus! Vous lui avez donné la volonté afin qu’elle puisse aimer ce que l’intelligence a vu et ce que la mémoire a retenu.

6. Si je regarde en vous, qui êtes la Lumière, ô Trinité éternelle, je vois que l’homme a perdu la fleur de la grâce par la faute qu’il a commise. Il ne pouvait dès lors vous rendre gloire et atteindre le but pour lequel vous l’aviez créé. Votre plan était détruit; votre jardin était fermé, et nous ne pouvions recevoir vos fruits. Alors vous avez envoyé le Verbe, votre Fils unique, à notre secours.

7. Vous lui avez donné la clef de la Divinité et de l’humanité réunies pour nous ouvrir la porte de la grâce; la Divinité ne pouvait l’ouvrir sans l’humanité, parce que l’humanité l’avait fermée par la faute du premier homme; et l’humanité seule ne pouvait ouvrir sans la Divinité, parce que son action est finie et que la faute avait été commise contre la perfection infinie. La satisfaction devait égaler la faute; tout autre moyen ne pouvait suffire. Et vous, doux et humble Agneau, vous nous avez ouvert les portes du jardin céleste; vous nous livrez l’entrée du paradis et vous nous offrez les fleurs et les fruits de l’éternité.

8. Je comprends maintenant la vérité de ce que vous disiez, lorsque vous êtes apparu sous la forme d’un pèlerin à vos deux disciples, sur la route d’Emmaüs. Vous leur disiez qu’il fallait que le Christ souffrit et qu’il entrât dans la gloire par la voie de la Croix (Luc, XXIV, 26); vous leur citiez les prophéties de Moïse, d’Élie, d’Isaïe, de David, et vous leur expliquiez les Écritures; mais ils ne vous comprenaient pas, parce que les yeux de leur intelligence étaient obscurcis. Mais vous vous compreniez bien, doux et aimable Verbe, et vous saviez où était votre gloire; il vous fallait souffrir pour entrer en vous-même. Ainsi soit-il.

Prières de Sainte Catherine de Sienne XVI, XVII, XVIII

XVI – Prière faite à Rome, le 13 février.

1. O Amour ineffable, doux Amour, Flamme éternelle, Feu qui ne s’éteint jamais! O Dieu, Trinité adorable, vous la Droiture sans défaut, la simplicité sans ombre, la Sincérité sans mensonge, jetez les regards de votre miséricorde sur vos créatures. La miséricorde vous est naturelle; de quelque côté que je me tourne, je ne rencontre que votre miséricorde. Je m’adresse donc à votre miséricorde, et je la demande pour le monde. Vous voulez que nous vous servions selon votre bon plaisir, et vous dirigez vos serviteurs de mille manières. Aussi ne devons-nous pas juger l’intérieur de la créature par ses actes extérieurs; mais nous devons juger la volonté de chacun dans votre volonté, surtout pour vos serviteurs qui lui sont entièrement unis.

2. L’âme est heureuse lorsqu’elle voit la lumière dans votre Lumière. Les moyens que prennent vos serviteurs sont différents; mais, quelle que soit leur route, ils sont toujours dans le chemin de votre ardente charité; sans cela ils ne suivraient pas véritablement votre vérité. Nous en voyons courir dans la voie de la pénitence et s’adonner à la mortification du corps; d’autres marchent dans l’humilité et la destruction de leur volonté; d’autres dans le zèle de la foi; ceux-ci avancent par la miséricorde, ceux-là par l’amour du prochain, auquel ils se sacrifient; et dans tous, l’âme se développe, parce qu’en se servant bien de la lumière naturelle, elle obtient la lumière surnaturelle, qui lui fait voir l’immensité de votre bonté.

3. Oh! comme ils avancent royalement, ceux qui voient en toute chose votre volonté, et qui ne jugent jamais celle de votre créature! O ineffable Charité! ils connaissent et pratiquent parfaitement votre doctrine, puisque vous avez dit: « Ne jugez pas d’après le visage » (Jean, VII, 24). O Vérité éternelle! quelle est votre doctrine, et quelle voie devons-nous suivre pour arriver à votre Père? Je n’en connais pas d’autre que celle que vous avez tracée avec votre Sang précieux, et que vous avez affermie par les admirables vertus de votre ardente charité. C’est là notre chemin; car notre seule erreur est d’aimer ce que vous détestez, et de haïr ce que vous aimez.

4. Aujourd’hui, ô abîme de charité! j’implore votre miséricorde; faites-moi la grâce de suivre votre vérité avec un cœur simple; accordez-moi une faim continuelle de souffrir pour vous les peines et les tourments. Donnez à mes yeux, Ô mon Père, des fontaines de larmes, afin que j’obtienne votre miséricorde pour le monde entier, et surtout pour l’Église votre Épouse.

5. O douce et ineffable Charité, l’Église est le jardin que vous avez fécondé de votre sang et arrosé de celui des martyrs, qui ont généreusement couru après le parfum de votre sacrifice; protégez-la donc. Qui pourrait prévaloir contre la cité que vous défendez? O Père très clément! plongez nos cœurs dans votre Sang, afin qu’ils brûlent d’ardeur pour votre gloire et pour le salut des âmes. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6. O Dieu éternel! comment parler dignement de vous? Tout ce que nous pouvons dire, c’est que vous êtes notre Dieu, et que vous ne voulez que notre sanctification. Ne l’avez-vous pas montré en nous donnant le sang de votre Fils, qui s’est passionné pour notre salut jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix? L’homme ne doit-il pas avoir honte de lever orgueilleusement la tête, lorsque vous, le Dieu très haut, vous vous êtes humilié dans la boue de notre humanité!

7. O Dieu! combien la miséricorde vous est naturelle! L’homme, votre serviteur, l’invoque contre les rigueurs de votre justice, que le monde a méritées par ses péchés. Votre miséricorde nous a créés, votre miséricorde nous mi rachetés de la mort éternelle, votre miséricorde nous couvre et nous protège contre votre justice; elle vous empêche d’ordonner à la terre de s’ouvrir pour nous engloutir, et aux bêtes féroces de nous dévorer: tout est à notre service, au contraire, et la terre nous prodigue l’abondance de ses fruits. C’est votre miséricorde qui règle, qui gouverne tout; c’est elle qui retarde notre mort afin que nous ayons le temps de revenir et de nous réconcilier avec vous.

8. O Père tendre et miséricordieux! qui est-ce qui empêche les anges de punir l’homme, votre ennemi? Votre miséricorde. Elle nous donne aussi les douceurs qui nous obligent à vous aimer, qui séduisent le cœur de votre créature; elle nous envoie les peines et les afflictions qui nous obligent à vous reconnaître, et qui nous font souffrir, afin que vous puissiez couronner ceux qui auront combattu avec courage.

9. C’est elle qui a conservé les cicatrices glorieuses de l’Agneau, votre Fils unique, afin qu’elles intercèdent sans cesse pour nous votre souveraine Majesté. C’est cette miséricorde qui m’a montré si clairement aujourd’hui, à moi, si indigne et si misérable, que je ne puis et ne dois jamais juger les intentions des créatures raisonnables que vous conduisez par des voies si différentes. Vous me l’avez prouvé par moi-même, et je vous en rends grâces.

10. Votre miséricorde n’a pas voulu que l’Agneau sans tache rachetât le genre humain par une seule goutte de son sang, comme il le pouvait; elle a voulu qu’il le donnât tout entier, qu’il souffrît dans tout son corps, afin qu’il satisfit surabondamment pour le genre humain qui vous avait offensé. Et cela pour deux raisons: d’abord parce que, parmi vos créatures raisonnables, les unes vous outragent avec la tête, les autres avec les mains ou avec les autres parties de leur corps; le genre humain avait donc péché par tous ses membres. Puis tout péché vient de la volonté, et sans elle il n’en existerait pas; c’est elle qui dirige tout le corps. Par conséquent, tout le corps de la créature vous avait offensé.

11. Aussi, vous avez voulu que tout le corps et tout le sang de votre Fils unique satisfissent à votre justice, afin que la satisfaction fût complète, et cela par la vertu de la Divinité unie à notre nature humaine, qui seule pouvait souffrir. La Divinité a accepté le sacrifice. O Verbe éternel, Fils de Dieu! comment avez-vous eu la contrition parfaite de la faute, puisque vous n’en avez jamais eu la souillure? Je vois que vous avez voulu satisfaire par les peines de votre esprit et de votre corps, parce que c’était par son esprit et par son corps que l’homme avait péché. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi, et ne regardez pas nos péchés, Dieu tout puissant, Dieu bon et miséricordieux!

XVII – Prière faite à Rome, le 14 février.

1. O Trinité, éternelle Trinité! ô feu, ô abîme de charité ô folie d’amour pour votre créature, Vérité, Sagesse éternelle! Dieu qui vous êtes donné pour notre rédemption, ce n’est pas Votre Sagesse seulement qui est venue au monde; car la Sagesse n’a pas été séparée de la Puissance, la Puissance de la Sagesse et de la Clémence; toute la Trinité était présente. O Trinité éternelle, qu’avez-vous reçu de l’homme, si ce n’est l’outrage? Et quel profit deviez-vous retirer de notre rédemption? Aucun; vous n’avez pas besoin de nous, et vous n’avez été utile qu’à nous. O ineffable Charité, vous avez donné toute votre divinité et toute votre humanité dans votre Incarnation, et vous les donnez encore à l’âme raisonnable, afin que pendant notre pèlerinage nous ne succombions pas à la fatigue, et que nous soyons fortifiés par cette nourriture céleste.

2. Homme mercenaire, à quel prix Dieu veut-il t’acheter? Au prix de sa divinité et de son humanité, qu’il te donne tout entières, sous les blanches apparences du pain. O flamme d’amour, ne suffisait-il pas de nous créer à votre image et ressemblance, de nous faire renaître à la grâce dans le sang de votre Fils? Fallait-il encore nous donner toute la Trinité en nourriture! C’est votre charité qui l’a voulu. O Trinité éternelle, non seulement vous avez donné votre Verbe dans la Rédemption et dans l’Eucharistie, mais vous vous, êtes donnée tout entière par amour pour votre créature. Oui, l’âme vous possède, lorsqu’elle se renonce pour vous, lorsqu’elle ne cherche et ne désire en elle et dans le prochain que la gloire et l’honneur de votre nom, parce que vous êtes la Bonté suprême, que doivent aimer et servir toutes les créatures.

3. Non seulement vous vous révélez aux âmes qui vous aiment ainsi, mais vous les fortifiez contre les assauts du démon, contre les persécutions des hommes et contre les malheurs qui leur arrivent. Vous éclairez leur intelligence par la sagesse de votre Fils, afin qu’ils se connaissent et vous connaissent dans votre lumière. Vous embrasez leur cœur par la clémence du Saint Esprit, et vous accomplissez toutes ces merveilles en eux selon la mesure de leur amour et selon l’usage qu’ils font de leurs facultés.

4. Je vous rends grâces, ô Père éternel, de ce que vous nous montrez aujourd’hui comment peut être réformée l’Église. Vous avez éclairé de votre Verbe l’intelligence de vos créatures; fortifiez maintenant leur volonté, surtout celle de votre Vicaire, afin qu’il suive les lumières que vous lui avez données et que vous devez lui donner. O Trinité éternelle, j’ai péché toute ma vie. Âme misérable, tu as sans cesse oublié ton Dieu; car, si tu ne l’avais pas oublié, tu serais consumée du feu de son amour. O Père éternel, rendez la santé aux malades, la vie aux morts; donnez-leur une voix, afin qu’ils crient vers vous, et qu’ils obtiennent miséricorde pour le monde et pour votre Épouse. C’est avec votre voix même que nous vous implorons, exaucez-nous.

5. Moi, je vous en prie pour tous, pour votre Vicaire surtout et pour ceux qui l’entourent, pour ceux que vous m’avez donnés à aimer d’un amour spécial. Je suis malade et je voudrais les voir en santé; je suis pleine de défauts, et je voudrais les voir parfaits; je suis morte, et je voudrais les voir vivre de la vie de votre grâce. D’où vient tant d’humilité et de miséricorde? Un Dieu s’associer si intimement à sa créature! non seulement unir la nature divine à la nature humaine, mais encore se communiquer aux âmes qui vous aiment et qui vous servent dans la simplicité du cœur! L’homme ne devrait-il pas avoir honte de ne pas se fixer en vous, lorsque vous voulez bien rester en lui de tant de manières? Âme malheureuse, tu ne te souviens pas de ton Dieu, tu ne peux par conséquent t’affermir dans la vertu l’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6. O Dieu tout puissant, vous êtes la Vie et moi la mort, la Sagesse et moi la folie, la Lumière et moi les ténèbres, l’Infini et moi le néant, la Droiture et moi la fausseté, le Médecin et moi le malade. Qui pourra vous atteindre ô Dieu suprême, pour vous remercier des bienfaits si grands et si nombreux dont vous nous avez comblés? Mais vous nous atteignez par cette lumière que vous versez dans le cœur de ceux qui veulent vous recevoir: vous enchaînez de vos liens ceux qui se laissent enchaîner, ceux qui ne s’opposent point à votre volonté. Ne tardez pas, ô Père très clément, jetez les regards de votre miséricorde sur le inonde: il vous glorifiera plus en recevant votre lumière qu’en restant dans les ténèbres du péché.

7. Tout glorifie votre nom, mais ce sont les pécheurs qui font briller davantage votre miséricorde, lorsqu’elle arrête le glaive de votre justice, et qu’elle donne au coupable le temps de se convertir. Votre gloire paraît dans l’enfer, où votre justice punit les damnés, mais votre miséricorde s’y montre aussi, parce qu’ils n’y souffrent pas tous les tourments qu’ils ont mérités. Là même, votre nom est honoré. Mais que ne puis-je surtout le voir glorifié dans vos créatures, qui vous louent en accomplissant votre volonté, et qui parviennent à la fin pour laquelle vous les avez créées! Faites de votre Vicaire un autre vous-même, et donnez-lui la lumière dont il a si grand besoin puisqu’il doit la répandre sur les autres. O Père très bon et très clément, je vous en supplie, accordez-nous votre douce et éternelle bénédiction.

XVIII – Prière faite à Rome, le 15 février.

1. O Dieu éternel, Dieu éternel, Amour ineffable, en votre lumière j’ai vu la lumière, j’ai connu la lumière; j’ai compris la cause de la lumière, et la cause des ténèbres. Vous êtes la cause de la lumière, et nous, vos créatures, nous sommes la cause des ténèbres. Je sais ce que la lumière fait dans l’âme, et ce qu’y font les ténèbres. O Trinité éternelle, vos œuvres sont admirables; la lumière les fait connaître, parce qu’elles viennent de la lumière. Aujourd’hui, votre Vérité me montre clairement que la cause des ténèbres est l’enveloppe immonde de notre volonté propre et que le moyen de connaître la lumière est de se revêtir de votre douce volonté. Chose admirable! nous sommes dans les ténèbres, et nous voyons la lumière; nous sommes dans le fini, et nous connaissons l’infini; nous vivons dans la mort, et nous connaissons la vie.

2. De même que l’homme se dépouille d’un vêtement et le jette loin de lui, l’âme doit se dépouiller de sa volonté viciée, si elle veut revêtir complètement la vôtre. Pour y parvenir, il faut développer par le libre arbitre cette lumière que nous avons reçue dans le saint baptême, et qui nous fait voir la lumière dans la lumière: Cette lumière, vous nous l’avez montrée sous les voiles de notre humanité. Que reçoit l’âme qui est revêtue de cette lumière? Elle est délivrée des ténèbres, de la soif, de la faim et de la mort. La faim de la vertu chasse la faim insatiable de la volonté: la soif de votre honneur chasse la soif de l’amour-propre, et la vie de votre volonté triomphe de la mort de nos convoitises.

3. O vêtement infect de notre volonté, tu ne couvres pas l’âme, tu causes sa nudité. O volonté détruite, gage de la vie éternelle, tu es fidèle jusqu’à la mort, non pas au monde, mais à ton doux créateur. Tu lies l’âme à lui, parce que tu la détaches d’elle-même. O Amour ineffable, comment l’âme sait-elle qu’elle est parfaitement détachée d’elle-même? Elle le sait lorsqu’elle ne choisit plus le lieu, la manière, le temps qui lui plaisent davantage, mais qu’elle s’en rapporte pour tout à votre bon plaisir.

4. Votre volonté, Seigneur, est un vêtement éblouissant, c’est un soleil; car, comme le soleil éclaire, échauffe et féconde la terre, votre lumière éclaire et échauffe l’âme qui la possède dans le feu de votre charité; elle l’éclaire, parce qu’avec la lumière elle lui fait connaître la vérité dans la lumière de votre sagesse: elle lui fait produire, pendant qu’elle est sur cette terre, le fruit des véritables et saintes vertus. L’âme devient forte par la puissance du Père, prudente par la sagesse du Fils, et capable d’aimer par la clémence du Saint Esprit (Cette dernière phrase ne se trouve que dans la version latine.)

5. Qu’est-ce qui empêche l’âme de se dépouiller d’elle-même? C’est la privation de la lumière. Elle a méconnu la première lumière que vous donnez à toute créature raisonnable, et ne l’a pas développée. Elle a obscurci la vue de l’intelligence par des fautes qui ont enchaîné la volonté, et lui ont fait commettre le mal. O âme ignorante! si tu ne distingues pas la puanteur du péché et les parfums de la vertu et de la grâce, c’est que tu es privée de la lumière. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

6. Dieu éternel, je sais combien vous avez fait la créature à votre ressemblance; de quelque côté que mon intelligence regarde, elle voit que vous l’avez mise comme dans un cercle dont elle ne peut sortir. Si je considère l’être que vous nous avez donné, j’y trouve votre image et votre ressemblance, dans nos rapports avec la sainte Trinité, par les trois puissances de notre âme. Si je considère le Verbe qui nous a fait naître à la grâce, je vois que vous nous ressemblez, et que nous vous ressemblons par cette union ineffable de la divinité et de l’humanité. Si je me tourne vers l’âme que vous éclairez des rayons de votre pure lumière, je vois qu’elle demeure en vous, parce qu’elle suit la doctrine de votre Vérité, et qu’elle pratique les vertus inspirées et prouvées par l’amour qu’elle a pour vous; et c’est vous-même qui êtes cet amour.

7. Dès que l’âme suit votre doctrine par amour, elle devient un autre vous-même. Elle s’est dépouillée de sa volonté pour se revêtir de la vôtre; elle ne demande, elle ne désire que ce que vous demandez et ce que vous désirez en elle. Vous aimez cette âme, et cette âme vous aime; mais vous l’aimez gratuitement, vous l’avez aimée avant qu’elle fût, tandis qu’elle vous aime à cause de vos bienfaits. Il lui est impossible de vous aimer gratuitement comme vous l’aimez, puisqu’elle vous doit tout, et que vous ne lui devez rien. Mais cet amour désintéressé qu’elle ne peut vous rendre, elle doit le rendre au prochain, en l’aimant gratuitement et par devoir. Gratuitement, parce qu’elle doit l’aimer sans intérêt et sans réciprocité; par devoir, parce que vous le lui ordonnez, et qu’elle est obligée de vous obéir.

8. Quelle conformité entre vous et l’âme, lorsqu’elle s’élève à vous par la lumière intellectuelle qu’elle reçoit de vous, et par l’amour divin qu’elle acquiert en se contemplant aux clartés de votre Vérité! Elle vous ressemble, ô Dieu immortel, parce que vous lui faites comprendre et goûter dans l’ardeur de votre charité vos biens immortels. Vous êtes la Lumière, et vous la faites participer à la lumière; vous êtes un feu, et vous vous communiquez vous confondez sa volonté avec la vôtre, et la vôtre avec la sienne. Vous êtes la Sagesse suprême, et vous lui donnez la sagesse; vous lui faites discerner et comprendre la vérité. Vous êtes la Force éternelle, et vous lui donnez la force. Vous la lui donnez si grande, qu’aucune créature ne saurait l’ébranler, si elle ne le veut pas, et elle ne le voudra jamais tant qu’elle sera revêtue de votre volonté: sa seule volonté peut l’affaiblir.

9. Vous êtes infini, et vous la rendez infinie par la conformité que la grâce lui donne avec vous, pendant la vie de son pèlerinage, et pendant la vie de l’éternelle vision. Elle vous est tellement conforme, son libre arbitre vous est tellement uni, qu’elle ne peut plus perdre votre ressemblance. Oui, votre Vérité a dit vrai: toute créature raisonnable devient conforme à vous et vous à elle, par la grâce. Vous ne lui donnez pas une partie de votre grâce, vous la lui donnez tout entière. Pourquoi? Parce que rien ne lui manque -pour son salut. Vous la lui donnez plus ou moins parfaite, selon qu’elle veut développer dans votre lumière la lumière naturelle que vous lui avez d’abord donnée. Que dire encore, sinon que l’homme devient Dieu, et que vous, mon Dieu, vous vous êtes fait-homme?

10. Quelle a été la cause de cette conformité? La lumière a fait connaître à l’âme votre volonté; et parce qu’elle la connaît, elle se dépouille de sa volonté propre, qui causait ses ténèbres, sa mort, sa nudité. Elle se revêt de votre volonté, de vous-même par la grâce, par la lumière, par le feu, par l’union de votre Divinité à notre humanité. Vous êtes la cause de tout bien, tandis que la volonté corrompue de l’amour-propre est la cause de tout mal; et cela parce qu’elle aveugle l’âme, et qu’elle la fait sortir de la sphère lumineuse de la sainte foi où elle vous trouvait toujours. Quelle est alors son union et sa ressemblance? Dès qu’elle abandonne la lumière de la foi, elle ressemble à la brute dépourvue de raison: elle suit la loi corrompue des êtres mauvais, visibles et invisibles, et c’est elle seule qui en est la cause.

11. Oui, je le confesse, Dieu éternel et tout puissant, je suis la cause misérable de tous ces maux, parce que je n’ai pas exercé ma lumière dans votre lumière, pour connaître combien vous déplaît et combien m’est nuisible et mortel ce vêtement de ma propre volonté, ce vêtement dont vous voulez que je me dépouille complètement. Hélas! malheureuse, j’ai méconnu la douceur de votre volonté, que je devais revêtir. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

12. Vous êtes, ô Dieu éternel, la lumière qui nous fait voir la lumière. Je vous supplie de répandre cette lumière sur toutes vos créatures raisonnables, surtout sur le souverain pontife, votre Vicaire, afin qu’il devienne un autre vous-même. Éclairez ceux qui sont dans les ténèbres, et qu’ils connaissent votre vérité. Je vous implore aussi pour ceux que vous avez confiés à mon affection et à ma sollicitude particulière. Qu’ils soient illuminés de vos rayons, qu’ils soient purifiés de leurs fautes, afin qu’ils puissent activement travailler dans le champ que vous leur avez confié. Punissez et vengez sur moi leurs erreurs et leurs faiblesses dont je suis cause. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

13. Je vous remercie, sainte et adorable Trinité, des consolations que vous avez données à mon âme en me faisant connaître la conformité que nous avons avec vous, et en m’expliquant l’excellence de votre volonté. Je suis celle qui ne suis pas, et vous êtes seul Celui qui êtes. Rendez-vous grâces vous-même en me donnant les moyens de pouvoir vous louer. Que votre volonté vous force à faire miséricorde au monde, et à secourir votre Vicaire et votre Église. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O Dieu éternel, accordez-nous votre douce Bénédiction. Ainsi soit-il.

Prières de Sainte Catherine de Sienne XIII, XIV, XV

XIII – Prière faite à Rome.

1. O Dieu d’amour, que puis-je dire de votre Vérité? Parlez de la vérité, vous qui êtes la Vérité. Moi je vous ignore, et je ne puis parler que des ténèbres. Je n’ai pas suivi le Fruit de votre croix, et j’ai marché dans les ténèbres sans les connaître; car celui qui connaît les ténèbres connaît la lumière. Mais moi j’ai suivi les ténèbres, et je ne les ai pas approfondies. Dites-moi, Seigneur, la vérité sur votre croix, et j’écouterai. Vous me dites qu’il y en a qui persécutent le Fruit de votre croix, et c’est vous qui êtes le Fruit de votre croix. O Verbe! Fils unique de Dieu, qui, par l’excès de votre amour pour nous, vous êtes placé comme un fruit sur deux arbres: sur l’arbre de la nature humaine d’abord, pour nous révéler la vérité de votre Père invisible, que vous représentez; sur l’arbre de la Croix ensuite, où ce ne sont pas les clous qui vous ont attaché, mais les seules forces de votre amour, et cela pour nous montrer la vérité de la volonté de votre Père qui voulait notre salut.

2. C’est de cet arbre qu’a coulé le Sang précieux qui, par l’union de la nature divine, nous a donné la vie, et qui, par sa vertu, nous purifie encore du péché dans les sacrements. Vous avez déposé ce Sang dans les celliers de l’Église militante, et vous en avez donné les clefs et la garde à votre Vicaire sur terre. Les hommes ne le savent et ne le comprennent que par la lumière dont vous éclairez leur intelligence, la partie la plus noble de notre âme. Et cette lumière est la lumière de la foi, que vous accordez à tout chrétien dans le baptême, où votre grâce coule pour effacer la tache originelle et nous donner la lumière suffisante pour nous conduire à la béatitude.

3. Nous pouvons, par la corruption de l’amour-propre, obscurcir nos yeux, que votre grâce a illuminés clans le baptême. Nous pouvons nous aveugler par les nuages de la tiédeur et les vapeurs de l’amour-propre; et alors nous vous méconnaissons, vous et le véritable bien. Nous appelons mal ce qui est bien, et bien ce qui est mai, et nous devenons, par cet abus de la vérité, plus ingrats et plus mauvais que si nous n’avions pas reçu la lumière; car un chrétien qui s’égare est pire qu’un infidèle; il peut seulement recourir plus facilement au remède qui doit le guérir, à cause des lueurs de la foi qui reste encore en lui.

4. Oui, Seigneur, ceux-là sont les ennemis de votre Croix et de votre Sang; car ils ne vous suivent pas dans votre Passion; ils vous persécutent, ils attaquent votre Vicaire, qui a les clefs du cellier où se conservent votre Sang et le sang des martyrs, qui n’a de vertu que par le vôtre. Leur rébellion et leurs péchés viennent de ce qu’il ont perdu la lumière de la Vérités qu’on acquiert par la foi (Sainte Catherine parle ici de la rectitude de jugement que donne la foi.). Aussi les philosophes qui connaissaient les créatures, mais qui n’avaient pas la foi, n’ont-ils pu se sauver.

XIV – Prière faite à Rome.

1. O Dieu éternel, délivrez-moi des chaînes de mon corps, afin que je puisse voir votre Vérité; car maintenant la mémoire ne peut vous saisir, l’intelligence vous comprendre, et la volonté vous aimer comme vous le méritez. O Nature divine, qui ressuscitez les morts, et qui seule donnez la vie, comment vous êtes-vous unie à notre nature mortelle, pour lui rendre la vie? O Verbe éternel! cette union était si parfaite, que rien n’a pu la rompre. Sur la Croix, la nature mortelle souffrait, mais la nature divine vivifiait, et vous étiez à la fois dans la béatitude et la douleur: le tombeau même n’a pu séparer vos deux natures.

2. O Père éternel! vous avez revêtu votre Verbe de notre nature, afin qu’en elle il satisfit pour nous; vous avez voulu punir le Fils véritable pour la faute du fils adoptif. O Père éternel! que vos jugements sont profonds et ineffables! L’homme insensé peut-il les comprendre? Il juge d’après les apparences vos œuvres et celles de vos serviteurs, au lieu de les juger d’après la charité que vous répandez dans les âmes.

3. Homme ignorant et grossier, puisque Dieu t’a fait homme pourquoi te faire animal et abaisser ton jugement au dessous de celui de la brute? Tu sais que ceux qui sont ainsi tombent dans les peines éternelles de l’enfer; et là, l’homme est anéanti, non pas quant à la nature, mais quant à la grâce qui perfectionne la nature, et sans laquelle tout n’est rien.

XV – Prière faite à Rome, le 12 août, jour de l’octave de saint Dominique.

1. O ingratitude de l’homme! ô amour incompréhensible et infini de Dieu! Vous dites, Père éternel, que l’homme qui se regarde vous trouve en lui-même, parce qu’il a été fait à votre image; il a la mémoire pour vous retenir, vous et vos bienfaits, et il participe à votre puissance; il a l’intelligence pour vous connaître, et il participe à votre Sagesse, qui est votre Fils unique, notre Sauveur Jésus-Christ; il a la volonté pour vous aimer, et il participe à la clémence du Saint Esprit. Ainsi, non seulement vous l’avez créé à votre ressemblance, mais vous avez pour ainsi dire en vous sa ressemblance, puisque vous êtes en lui et qu’il est en vous.

2. Je ne me suis pas connue en vous, mon Dieu; je ne vous ai pas connu en moi, et c’est là le malheur des pauvres ignorants qui vous offensent. Sans leur ignorance, pourraient-ils ne pas vous aimer? Cette ignorance est causée par la privation de la lumière de la grâce, et cette privation vient elle-même des nuages que produit l’amour sensitif. La conformité entre les hommes est si grande, que quand ils ne s’aiment pas ils s’éloignent de leur propre nature.

À la fin de cette prière, on lit dans la version latine: « Sainte Catherine pria ensuite pour les siens, afin qu’ils participassent à la nature divine, en s’aimant les uns les autres, car c’est la vraie ressemblance. Et elle ajouta: Mon Dieu, je ne puis avoir une plus grande grâce que de passer ma vie dans les peines, et de la terminer pour vous par le martyre »

Prières de Sainte Catherine de Sienne X, XI, XII

X – Prière faite à Rome, le mercredi 3 mars 1379.

1. O Trinité éternelle, Dieu tout puissant, nous sommes des arbres de mort, et vous êtes l’arbre de vie. Dieu infini, quel spectacle de voir dans votre lumière l’arbre de votre créature! Vous aviez tiré de vous, Pureté suprême, son âme pure et innocente, et vous l’avez unie à un corps formé du limon de la terre. Vous aviez donné à cette arbre pour rameaux les puissances de l’âme, qui sont l’intelligence, la mémoire et la volonté. Et quels fruits devaient porter ces rameaux? La mémoire devait retenir, l’intelligence devait comprendre, la volonté devait aimer. O arbre, dans quel heureux état le jardinier divin t’avait planté!

2. Hélas! cet arbre, ô mon Dieu, s’ est séparé de l’innocence par sa faute; il est tombé, Il est devenu d’un arbre de vie un arbre mort; et il ne pouvait plus porter que des fruits empoisonnés. Mais, éternelle Trinité, vous vous êtes passionnée jusqu’à la folie pour votre créature; et lorsque vous avez vu que cet arbre ne devait plus produire que des fruits de mort, parce qu’il s’était séparé de vous, qu êtes la Vie, vous l’avez sauvé par ce même amour qui vous avait poussé à le créer; vous avez greffé votre divinité sur l’arbre perdu de notre humanité. Bonne et bienfaisante greffe, vous avez mêlé votre douceur à notre amertume, la splendeur aux ténèbres, la sagesse à la folie, la vie à la mort, l’infini au fini.

3. Après l’injure que votre créature vous avait faite, qui donc vous a pu forcer à cette union qui nous rend la vie? C’est l’amour, le seul amour; et cette greffe merveilleuse a vaincu la mort. Mais cela ne suffisait pas aux ardeurs de votre charité, ô Verbe éternel: vous avez voulu arroser cet arbre de votre propre Sang, et ce Sang par sa chaleur fait fructifier l’arbre, dès que l’homme consent à s’unir et à vivre en vous. Son cœur et ses affections doivent être liés à la greffe céleste par les liens de la charité et l’imitation de votre doctrine. Nous ne pouvons et ne devons pas suivre le Père, en qui ne peut être la peine; nous devons par la peine et le tourment de nos désirs nous rendre conformes à vous; car vous êtes la vie, et rions produirons des fruits de vie en recevant votre sève vivifiante. Dès que nous vous sommes unis, les rameaux donnent leurs fruits; la mémoire se remplit du souvenir continuel de vos bienfaits; l’intelligence vous contemple pour connaître votre éternelle volonté et vos perfections; la volonté veut aimer ce que l’intelligence lui a fait connaître. Chaque rameau donne ses fruits aux autres rameaux; et parce que l’âme, par la connaissance qu’elle a de vous, se connaît mieux elle-même, elle se hait dans sa sensualité.

4. O Amour infini, quelles merveilles vous avez opérées dans les créatures raisonnables! O Dieu éternel, si, lorsque l’homme était un arbre de mort, vous avez daigné en faire un arbre de vie, en vous y greffant vous-même, ne pourriez-vous pas, malgré la multitude de ceux qui, par leur faute, portent des fruits de mort, en ne s’unissant point à vous qui êtes la vie, ne pourriez-vous pas sauver le monde que je vois se séparer de vous et persévérer dans la mort! Oui, les hommes ne viennent pas à la fontaine où est le Sang qui doit arroser leur arbre; la vie éternelle coule pour nous, pauvre créatures, qui l’ignorons et n’en profitons pas.

5. O mon âme aveugle et misérable, où sont les cris et les prières que tu dois répandre en la présence de ton Dieu, qui t’y invite sans cesse? Où est ta douleur profonde pour ces arbres qui restent dans la mort? Où sont ces désirs suppliants qui fléchissent l’éternelle Bonté? Hélas! je ne les ai pas, parce que je n’ai pas encore perdu l’amour de moi-même. Si je l’avais perdu, si je cherchais Dieu, si je voulais uniquement la gloire de son nom, mon cœur s’échapperait de mon corps et mes os distilleraient leur moelle. Mais je n’ai jamais produit que des fruits de mort, parce que je ne suis pas greffé sur vous, mon Dieu.

6. Quelle lumière, quel éclat reçoit l’âme qui est greffée véritablement sur vous! O générosité sans borne, la mémoire nous dit sans cesse que nous sommes obligés d’aimer et de suivre la doctrine et les exemples du Verbe, votre Fils unique. Sans la lumière de la foi, nous ne pourrions suivre cette doctrine et ces exemples; aussi l’intelligence fixe cette lumière pour en avoir la connaissance, la volonté aime aussitôt ce que l’intelligence lui montre; tous les rameaux se communiquent leur fécondité.

7. O arbre, où prends-tu donc tes fruits de vie, puisque tu es mort et stérile? C’est l’Arbre de vie qui te les donne; s’il n’était pas greffé sur toi, tu n’aurais aucune vertu, puisque tu n’es rien. O Vérité éternelle, vous nous produisez des fruits d’amour et de lumière, des fruits de cette prompte obéissance qui vous a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix. Vous avez porté des fruits en greffant votre divinité sur notre humanité, en attachant votre corps sacré sur le gibet du Calvaire. L’âme qui vous est unie ne pense qu’à votre honneur et au salut des âmes. Elle devient sage, fidèle, patiente et prudente.

8. Rougis de honte, toi qui par tes fautes te prives de si grands biens et t’exposes à de si grands malheurs. Tes bonnes œuvres ne peuvent servir à Dieu, et tes offenses ne peuvent lui nuire; mais son infinie bonté se réjouit lorsque sa créature veut bien recevoir ses dons ineffables et accepter le bonheur qui lui est destiné. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Unissez-vous, greffez sur vous ceux que vous m’avez donnés à aimer d’une manière spéciale, afin qu’ils portent des fruits de vie. O bonté infinie! la rosée de votre lumière céleste donne à l’âme qui vous est unie la paix de la conscience; et la rosée de vos serviteurs dissipe les nuages et rend la lumière et la paix à l’Église votre Épouse; faites tomber ces rosées, je vous en conjure humblement. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Ainsi soit-il.

XI – Prière faite à Rome, le jour de l’Annonciation de la Sainte Vierge, 1379.

1. O Marie! Marie, temple de la Trinité, Marie, foyer du feu divin, Marie, Mère de la miséricorde, vous avez porté je fruit de vie; vous avez sauvé le genre humain, puisque c’est avec votre chair que le Christ nous a rachetés. Oui, le Christ nous a rachetés par sa Passion, et vous, par les douleurs de votre âme et de votre corps (La sainte Vierge contribua réellement à notre rédemption par sa maternité divine et par ses souffrances au Calvaire. Elle pouvait bien dire comme saint Paul: Gaudeo in passionibus pro vobis, et adimpleo ea quae desunt passionum Christi in carne mea pro corpore ejus, quod est Ecclesia (Coloss. I, 24).). O Marie, océan tranquille, Marie, source de la paix! Marie, vous êtes l’arbre nouveau qui nous a donné cette fleur odorante, ce Verbe, ce Fils unique de Dieu, qui vous a choisie comme une terre fertile. Vous êtes la terre et vous êtes l’arbre.

2. O Marie, char de feu, vous avez conservé et caché le feu dans la cendre de notre humanité. Marie, vase d’humilité, où brillait la lumière de la vraie science qui vous a élevée au dessus de vous-même, vous avez charmé le Père céleste, et il vous a ravie; il vous a captivée dans les liens d’un amour ineffable, et par cette lumière, cette ardeur de votre charité, cette flamme de votre humilité, vous l’avez vaincu vous-même, et vous avez forcé sa divinité à descendre en vous. Sa bonté infinie pour les hommes était d’ailleurs votre complice.

3. O Marie, grâce à la lumière que vous aviez, vous n’avez pas été une-vierge folle, mais une vierge prudente; car vous avez demandé à l’ange Comment ce qu’il vous annonçait pourrait se faire. Vous n’ignoriez pas que tout était possible à la toute-puissance de Dieu, et vous n’aviez aucun doute à cet égard. Pourquoi disiez-vous: « Je ne connais pas d’homme »? (Luc, 1, 34). Ce n’était pas le manque de foi, mais votre humilité profonde qui vous le faisait dire; vous croyiez à la puissance de Dieu, mais vous ne pensiez qu’à votre indignité.

4. Marie, vous avez été troublée par les paroles de l’ange; il me semble, dans la lumière de Dieu, que ce n’était pas de crainte, mais d’admiration. Et qu’admiriez-vous? Vous admiriez l’immensité de la bonté de Dieu, et vous étiez troublée en voyant combien vous étiez indigne de la grâce qu’il voulait vous faire. Cette comparaison de votre indignité et de votre faiblesse avec le miracle ineffable de la grâce divine, vous remplissait de confusion. Votre demande prouvait votre humilité profonde; vous étiez, non pas effrayée, mais étonnée de l’immensité de la bonté de Dieu, que vous compariez à votre petitesse et au néant de votre vertu.

5. Aujourd’hui, ô Marie, vous êtes le livre où notre règle est écrite. Car en vous brille la sagesse du Père céleste, en vous paraît la dignité, la force, la liberté de l’homme. Oui, j’y vois la dignité de l’homme; car, lorsque je vous contemple, ô Marie, je vois que le Saint Esprit a représenté en vous la sainte Trinité en y formant le Verbe incarné, le Fils unique de Dieu. Il y a montré la Sagesse éternelle, qui est le Verbe; la puissance du Père, qui a pu faire une si grande chose; et la clémence du Saint-Esprit, par la grâce et la charité duquel s’est accompli cet ineffable mystère.

6. Si je médite sur cet acte de vos conseils, ô éternelle Trinité, je découvre que vous avez pris en considération la noblesse et la dignité du genre humain. L’amour vous avait forcé à le créer, l’amour vous a forcé à le racheter et à le sauver. Vous aviez bien prouvé que vous aimiez l’homme avant qu’il fût, puisque vous avez voulu le tirer de vous par amour; mais vous avez prouvé bien davantage cet amour, lorsque vous vous êtes donné à lui, en vous revêtant des haillons de son humanité. Pouviez-vous donner plus que vous-même, et n’avez-vous pas le droit de lui dire: Que te devais-je? et ce que je pouvais, ne l’ai-je pas fait? Oui, tout ce que, dans vos conseils, la Sagesse éternelle avait jugé nécessaire pour sauver le genre humain, votre clémence ineffable l’a voulu, et votre puissance l’a accompli, au jour de l’Annonciation.

7. Votre infinie miséricorde voulait le salut de votre créature, ô éternelle Trinité! et vous désiriez lui donner le bonheur parfait qui lui était destiné, puisque vous l’aviez créée pour qu’elle fût unie à vous, et qu’elle en jouît pleinement; mais votre justice s’y opposait, en vous disant que, si vous étiez miséricordieux, vous étiez juste aussi, et que votre justice ne devait pas changer. La justice ne laisse jamais le mal sans châtiment et le bien sans récompense. L’homme ne pouvait être sauvé s’il ne satisfaisait pas à la justice pour sa faute.

8. Alors, qu’avez-vous fait? Qu’avez-vous décidé? Comment votre sagesse éternelle et incompréhensible est-elle restée dans la vérité, en faisant à la fois miséricorde et justice? Quel moyen avez-vous pris pour nous sauver? Ce moyen a été de nous donner le Verbe, votre Fils unique. Il a revêtu notre humanité qui vous avait offensé, afin qu’en souffrant dans notre chair il peut satisfaire à votre justice, non pas par la vertu de l’humanité mais par celle de la Divinité unie à l’humanité. L’homme qui avait péché, s’acquitta envers la justice, parce que la miséricorde lui prêta, pour payer sa dette, la divinité du Verbe.

9. O Marie, le Verbe qui s’est incarné eu vous, est resté cependant uni à son Père, comme la parole intérieure de l’homme, lorsqu’elle s’exprime et qu’elle se communique, ne se sépare pas du cœur. N’est-ce point une preuve de la dignité de l’homme, pour qui Dieu a fait de si grandes et de si nombreuses merveilles?

10. Nous voyons encore aujourd’hui en vous, ô Marie, la force et la liberté de l’homme; car c’est après la délibération de l’auguste Trinité qu’un ange vous est envoyé pour vous annoncer le mystère des conseils divins, et pour vous demander votre consentement. Avant de descendre en votre sein, le Fils de Dieu s’adresse à votre liberté; il attend à la porte de votre volonté, il vous soumet le désir qu’il a d’habiter en vous, et il n’y serait jamais entré, si vous ne lui aviez dit: « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole » (Luc, I, 38). N’est-ce pas là une grande preuve de la force et de la liberté de la volonté? Rien de bien ou de mal ne peut se faire sans elle. Le démon ni aucune créature ne la forcent au mal, si elle ne devient pas leur complice; et personne ne peut la contraindre au bien, si elle veut résister. La volonté de l’homme est donc libre.

11. O Marie, le Dieu tout puissant frappait à votre porte, et si vous ne lui aviez pas ouvert votre volonté, il n’eût pas pris la nature humaine. O mon âme, sois remplie de confusion, en voyant que Dieu fait avec toi un pacte et une alliance en Marie. Tu dois maintenant comprendre que celui qui t’a faite sans toi, ne peut pas sans toi te sauver, puisqu’il s’adresse à la volonté de Marie et qu’il attend son consentement. O Marie, amour délicieux de mon âme! en vous est écrit le Verbe qui nous donne la doctrine de vie; vous êtes le tableau qui nous le représente et qui nous l’explique.

12. Dès que la Sagesse, le Fils unique de Dieu, a été dans votre sein, il y a trouvé la croix du désir; et toute son ambition a été de mourir pour le genre humain, qu’il voulait sauver en prenant notre nature. C’était une grande croix que cette ambition qu’il voulait satisfaire.

13. O Marie, j’ai recours à vous et je vous offre mes prières pour l’Épouse de notre doux Sauveur, votre Fils bien-aimé; je vous implore pour son Vicaire, afin qu’il reçoive la lumière qui lui est utile pour discerner les meilleurs moyens de réformer l’Église. Unissez-lui les fidèles; rendez leur cœur semblable au sien, et qu’ils ne se révoltent jamais contre leur chef. Il est, mon Dieu, comme une enclume; ses nombreux ennemis l’attaquent par leurs paroles et lui nuisent tant qu’ils peuvent.

14. Je vous prie aussi pour ceux que vous m’avez donnés; enflammez-les, qu’ils soient des charbons ardents que consument votre amour et celui du prochain. Qu’ils aient, aux jours de l’épreuve, leurs barques bien fournies et bien disposées, pour eux et pour les autres. Je vous prie pour ceux que vous m’avez donnés: au lieu de les édifier, je les ai toujours scandalisés, au lieu d’être pour eux un modèle de vertus, je ne leur ai donné que des exemples d’ignorance et de négligence. Mais je m’adresse hardiment à vous en ce jour de grâce, parce que je sais, ô Marie, que rien ne peut vous y être refusé. Aujourd’hui, ô Marie, votre terre u produit notre Sauveur. Hé-las! je vous ai offensé toute ma vie, ô mon amour; oui, j’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

15. O Marie, soyez bénie entre toutes les femmes, pendant tous les siècles, car vous nous avez donné aujourd’hui votre substance. La Divinité s’est tellement unie et incorporée par vous à notre humanité, que rien maintenant ne peut l’en séparer, pas même la mort et notre Ingratitude. Car, comme la Divinité est restée unie au corps dans le sépulcre, et à l’âme de Jésus-Christ dans les limbes, puis à son âme et à son corps après la Résurrection, notre alliance avec elle n’a jamais été rompue, et elle ne le sera jamais pendant toute l’éternité.

XII – Prière faite à Rome.

1. O Vérité! qui suis-je pour que vous me donniez la vérité? Je suis celle qui ne suis pas, et votre Vérité est celle qui agit, parle, et fait toute chose. Votre Vérité est celle qui donne la vérité, et c’est par votre Vérité que je dis la vérité. Votre Vérité éternelle se communique de différentes manières à toutes les créatures; mais elle ne s’épuise pas et ne change jamais. Vous, Dieu éternel, Fils de Dieu, vous êtes venu de Dieu pour accomplir la volonté de votre Père, et personne ne peut avoir la vérité sans vous. Si quelqu’un veut avoir votre vérité, il ne doit l’affaiblir par aucune erreur; il faut la posséder sans mélange, et c’est ainsi que les bienheureux en jouissent dans votre éternelle contemplation; car ils participent à la vision que vous avez de vous-même.

2. Vous êtes la lumière avec laquelle votre créature vous voit, et, pour elle comme pour vous, il n’y a que ce moyen de vous contempler. Dès que les saints vous voient, ils jouissent de la lumière qui vous fait connaître, et parce que vous êtes toujours la même lumière, le même moyen, le même objet, ils ont la vision que vous avez de vous-même (Sainte Catherine ne confond pas la vision béatifique avec la vision divine; elle les unit seulement comme saint Paul, lorsqu’il dit: Qui autem, adhaeret Domino, unus spiritua est (I Cor. VI,17). Saint Jean dit aussi Scimus quoniam cum apparuerit, similes ei erimus, qui videbimus eum sicuti est (I Ep. III, 2).). Ils l’ont seulement à des degrés différents, les uns plus, les autres moins, selon la différence de leur mérite.

3. Les âmes, pendant cette vie, lorsqu’elles sont en état de grâce, reçoivent votre vérité par la lumière de la foi, qui nous fait croire l’enseignement de l’Église; mais ces âmes, selon leur disposition, reçoivent plus ou moins parfaitement la vérité, qui ne varie pas et qui est la même pour tous. Ainsi les bienheureux jouissent de la même vision, mais plus ou moins parfaitement, selon leur élévation dans la gloire.

Prières de Sainte Catherine de Sienne VII, VIII, IX

VII – Prière faite à Rome, le dimanche 20 février 1379.

1. Je le confesse, Dieu éternel, je le confesse, adorable Trinité, vous me voyez et vous me connaissez, votre lumière me l’a fait comprendre. Je sais que vous n’ignorez pas les besoins de votre Épouse bien-aimée, la bonne volonté de votre Vicaire, et les obstacles qu’il rencontre dans le bien qu’il veut faire. J’ai vu à vos clartés que tout vous est présent, parce que rien ne peut échapper à votre regard; j’ai vu aussi le remède que vous avez préparé en vous-même pour guérir la mort des hommes, vos enfants.

2. Ce remède est le Verbe, votre Fils unique, et vous avez trouvé moyen de nous l’appliquer toujours. Vous avez conservé les cicatrices de ce Fils bien-aimé, afin qu’elles puissent sans cesse solliciter pour nous votre miséricorde. Oui, j’ai vu dans votre lumière que l’ardeur de votre charité vous a fait conserver les cicatrices du corps de Jésus-Christ: ni sa résurrection, ni sa gloire ne peuvent en effacer la couleur sanglante. Vous avez vu en vous, qu’après le mal dont vous l’aviez délivré, l’homme devait tomber encore dans le péché par sa faute, et vous lui avez donné pour remède le sacrement de Pénitence, où le prêtre verse sur l’âme le sang de l’humble Agneau; et, comme vous avez vu en votre Verbe le principal moyen de nous réconcilier avec vous, vous avez vu aussi tous les autres moyens nécessaires à notre salut. J’ai compris dans votre lumière que vous avez vu toutes ces choses; c’est par cette lumière que je vois, et sans elle je marcherais dans les ténèbres.

3. O doux Amour, vous avez vu en vous les nécessités de notre mère la sainte Église; vous savez ce qui lui manque, et vous lui accordez le secours dont elle a besoin par les prières de vos serviteurs; vous voulez qu’ils soient des murs sur lesquels s’appuient les murs de la sainte Église: car la clémence du Saint Esprit les embrase du zèle de sa réforme. Vous connaissez la loi de notre nature corrompue, qui se révolte sans cesse contre votre volonté. Vous saviez que nous devions la suivre; car vous n’ignorez pas combien nous sommes faibles, impuissants, misérables: aussi votre admirable Providence a tout disposé pour que nous ayons tous les secours nécessaires. Vous nous avez donné le rocher inexpugnable de la volonté, afin de défendre la-faiblesse de notre chair; car la volonté est si forte, que ni le démon, ni les créatures ne peuvent la vaincre sans le consentement du libre arbitre qui en dispose.

4. D’où vient, ô Bonté éternelle, cette force de la volonté dans votre créature, si ce n’est de vous qui êtes la Force souveraine et infinie? Oui, nous participons à votre volonté, quand la nôtre en découle. La volonté de l’homme est invincible quand elle obéit à la vôtre; elle est impuissante quand elle s’en éloigne; il est dit que vous l’avez faite à votre ressemblance, et tant qu’elle la conserve, elle triomphe, O Père éternel, vous montrez dans notre volonté la force de la vôtre: car, s’il y a tant de puissance dans une chétive créature, combien ne doit-il pas y en avoir en vous, Créateur et Maître de toutes choses!

5. Cette volonté que vous avez confiée à notre libre arbitre, est encore fortifiée par la lumière de la foi; par cette lumière, l’homme connaît votre éternelle volonté, et il voit qu’elle n’a d’autre but que notre sanctification. Cette vue augmente et fortifie sa volonté, qui par la foi devient active et puissante; car une volonté bonne et une foi vive ne peuvent exister sans les œuvres. Votre lumière produit et augmente le feu dans l’âme, parce qu’elle ne peut ressentir le feu de votre charité, si la lumière ne lui montre votre amour pour nous. Votre lumière est l’aliment du feu dans nos âmes comme le bois est celui du feu sur la terre; elle augmente la charité, parce qu’elle montre la bonté divine, et cette charité se développe en elle, parce qu’elle désire connaître Dieu davantage, et que vous voulez toujours la satisfaire.

6. O Providence admirable, vous ne voulez pas que l’homme marche dans les ténèbres, et qu’il l’este dans la peine; vous lui avez donné la lumière de la foi, qui éclaire sa route, et lui procure la paix. Avec elle, I’âme ne peut mourir de faim, ni languir dans la nudité de la misère. Vous la nourrissez de votre grâce, vous lui faites savourer les douceurs de votre charité, vous la revêtez de la robe nuptiale de votre amour et des ornements de votre volonté sainte; vous lui prodiguez les trésors de votre éternité. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi; car les ténèbres de la loi mauvaise qui est en moi, -et que j’ai toujours suivie, ont obscurci le regard de mon intelligence. Je ne vous ai pas connu, vous qui êtes la véritable Lumière, et cependant il a plu à votre ardente charité de m’illuminer de ses clartés.

7. Oui, vous aviez prévu la faute que devait commettre l’homme, et vous avez préparé un remède à cette faute dans le Verbe, notre Rédempteur. Vous avez prévu notre faiblesse, et vous avez préparé un secours à cette faiblesse dans la force de la volonté, qui a son origine en vous; et ce qui la guide et la soutient, c’est la lumière sacrée de la foi; c’est cette lumière qui est le commencement, le milieu et la fin de toute perfection; c’est elle qui la conserve et l’augmente dans les âmes; c’est elle qui féconde la charité et lui fait produire des œuvres (Ce paragraphe ne se trouve pas dans la version latine).

8. O Dieu, Amour, Charité infinie! vous pénétrez votre créature; elle est en vous, et vous en elle, par la création, par la force de la volonté, par ce feu dont vous l’avez animée, par la lumière naturelle que vous lui avez donnée pour vous voir, ô véritable Lumière, pour s’exercer avec zèle à toutes les vertus, pour louer et glorifier votre saint nom. O Lumière au dessus de toute lumière! ô Bonté au dessus de toute bonté! ô Sagesse au dessus de toute sagesse, Feu au dessus de tout feu! vous êtes tout; car seul, vous êtes Celui qui est, et rien ne peut être s’il n’a reçu l’être de vous.

9. O mon âme, aveugle et misérable, n’es-tu pas indigne de former avec les serviteurs de Dieu un appui à la sainte Église? Ne mériterais-tu pas plutôt d’être dévorée par les bêtes dont tu accomplis toujours les actes? Je vous rends grâces, ô Dieu éternel, je vous rends grâces de vouloir bien m’utiliser ainsi malgré mes iniquités.

10. Je vous en conjure, inspirez aux cœurs de vos fidèles des désirs ardents qui les excitent à la réforme de votre Épouse; faites qu’ils prient sans cesse pour elle, afin que vous puissiez les exaucer. Conservez aussi et augmentez le bon vouloir de votre Vicaire, et accordez-lui de rendre sa vie parfaite.

11. Je vous prie aussi, et je vous implore pour toutes les créatures raisonnables, mais surtout pour ceux que vous m’avez confiés, et que je vous rends, à cause de mon insuffisance et de ma faiblesse. Je ne veux pas que mes péchés leur nuisent, car j’ai toujours suivi la pente mauvaise de la chair; je désire et je demande que vous les conduisiez à la perfection, afin qu’ils méritent d’être exaucés dans les prières qu’ils vous adressent et qu’ils doivent vous adresser pour le salut du monde et la réforme de votre Église. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi; pardonnez-moi ma misère et mon ingratitude, ô Dieu éternel. Je reconnais que votre bonté a bien voulu me conserver pour épouse, malgré mes infidélités continuelles et mes fautes sans nombre. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

VIII – Prière faite à Rome, le mardi 22 février de l’an 1379.

1. O Dieu éternel! Dieu éternel, je vous en conjure, ayez pitié de nous! Vous l’avez dit, auguste Trinité, la compassion qui fait naître la miséricorde vous est naturelle: accordez-nous donc cette miséricorde qui en est inséparable. Oui, je le reconnais, c’est votre compassion qui nous a donné votre Verbe pour rédempteur, et cette compassion avait sa source dans cet amour qui vous a fait créer votre créature. Parce que vous l’aimiez, vous avez voulu, après la perte de son innocence, la revêtir encore de votre grâce, et la rétablir dans son premier état. Vous ne lui avez pas ôté la liberté de vous offenser, mais vous lui avez laissé son libre arbitre, et cette loi mauvaise qui combat contre l’esprit et incline l’âme au mal.

2. Pourquoi, mon Dieu, lorsque vous lui êtes si bon, l’homme est-il si cruel pour lui-même? Quelle plus grande cruauté peut-il exercer contre lui que de se tuer par le péché? Il est bon envers ses sens; mais cette bonté est une barbarie contre son âme et même contre son corps, puisque le corps sera tourmenté avec l’âme dans l’enfer. Cette conduite vient de son aveuglement, qui l’empêche de connaître votre bonté pour nous. Montrez-lui donc que votre bonté ne lui servira de rien, s’il n’en a pas aussi pour lui-même; car vous avez créé l’homme sans l’homme, mais vous ne pouvez le sauver sans lui.

3. O Père tendre et miséricordieux! vous voulez que l’homme connaisse votre infinie bonté, afin qu’il apprenne à être bon pour lui-même, et ensuite pour son prochain; car, comme l’a dit le glorieux Apôtre, la charité doit commencer par nous-même. Que l’âme regarde votre bonté, afin qu’elle perde sa cruauté, et qu’elle prenne la nourriture qui la soutient et lui donne la vie. Dieu éternel, Abîme ardent de charité, votre regard veille sur nous; et pour que votre créature sache que votre miséricorde et votre justice observent les œuvres de chacun, vous lui avez donné l’œil de l’intelligence, qui voit que tout bien procède de la lumière, et que tout mal est causé par sa privation; car comment aimer ce qu’on ne voit pas, et comment voir sans la lumière?

4. O Dieu éternel, Père tendre et miséricordieux, ayez compassion de nous; nous sommes des aveugles car nous nous sommes privés de la lumière; moi, surtout, pauvre misérable, qui me nuis toujours à moi-même. Jetez ce regard de bonté qui a tout créé, sur les besoins du monde, et daignez le secourir. Vous nous avez donné l’être que nous n’avions pas, sauvez donc ce qui vous appartient. Vous avez répandu, quand il le fallait, la lumière de vos Apôtres sur le monde; nous en avons maintenant besoin plus que jamais; suscitez un autre Paul, dont les clartés illuminent toute la terre. Étendez votre miséricorde comme un voile qui nous cache aux regards de votre justice; ne jetez sur nous que ceux de votre bonté; enchaînez-nous avec les liens de votre charité, et qu’elle détruise tous les motifs de votre colère.

5. O douce et suave Lumière, ô Principe et Fondement de notre salut, puisque vous voyez nos besoins, faites-nous voir aussi votre éternelle bonté, pour la connaître et pour l’aimer. O union et rapport du Créateur avec la créature, et de la créature avec le Créateur, c’est votre charité qui nous attache à vous, c’est votre lumière qui est notre lumière. Oui, celui qui ouvre les yeux de son intelligence avec le désir de vous connaître, vous connaît. La lumière entre dans l’âme, dès que la volonté lui donne entrée; elle est toujours à la porte de l’âme, et dès qu’on lui ouvre, elle entre comme les rayons du soleil qui frappent à une fenêtre fermée pour pénétrer dans une maison et l’éclairer. Il faut que votre créature ait la volonté de vous connaître, afin qu’elle ouvre son intelligence, et que vous y répandiez vos splendeurs.

6. Quel miracle ne produisez-vous pas dans l’âme, ô bonne Lumière! Non seulement vous en chassez les ténèbres et vous y versez la clarté, mais vous détruisez par votre chaleur l’humidité de l’amour-propre, et vous entretenez l’ardeur vivifiante de la charité; vous rendez le cœur libre, parce que vous lui faites connaître la liberté que vous nous avez donnée, en nous arrachant à la servitude du démon, à laquelle nous étions si malheureusement livrés.

7. L’homme alors hait sa faiblesse à l’égard des sens; il devient dur pour eux et bon pour sa raison, en se rendant maître des puissances de son âme. Il ferme sa mémoire aux misères et aux vains plaisirs du monde; il se détache d’eux par l’oubli, et vos bienfaits deviennent l’unique objet de ses pensées. Il oblige sa volonté à v6us aimer par dessus toutes choses, et à aimer tout en vous.

8. Il ne veut plus suivre que vous, et alors il est bon pour lui-même, et comme il est bon pour lui, il est bon pour son prochain; il est prêt à donner sa vie pour le salut des âmes. Tout ce qu’il fait par charité, il le fait avec prudence, parce que vous lui montrez avec quelle prudence vous accomplissez tout en nous. Vous êtes la lumière qui rendez le cœur droit sans fausseté, large sans petitesse, tellement que toute créature raisonnable devient susceptible d’amour, et cherche le salut des autres selon les lois de la charité. Comme la lumière est inséparable de la prudence et de la sagesse, celui qu’elle éclaire expose bien son corps pour le salut du prochain, mais il n’y sacrifie jamais son âme; il n’est jamais permis à l’homme de commettre la faute la plus légère, cette faute devrait-elle sauver le monde; car pour l’utilité d’une créature finie, qui n’est rien par elle-même, on ne doit pas offenser le Créateur infini de toutes choses, qui est le souverain Bien.

9. Celui qui voit la lumière abandonnera s’il le faut sa fortune, pour sauver la vie de son prochain. Son cœur sera si ouvert, que tout le monde pourra y lire et le comprendre. Jamais son visage et sa langue ne déguiseront sa pensée; il se montrera dépouillé du vieil homme, et revêtu de votre volonté. O Père tout puissant, notre méchanceté vient de ce que nous ne voyons pas la bonté avec laquelle vous avez racheté nos âmes dans le sang précieux de votre Fils.

10. O Père miséricordieux, jetez un regard de bonté sur votre Église et sur votre Vicaire; abritez-le sous les ailes de votre miséricorde, afin que l’iniquité des superbes ne puisse lui nuire, et accordez-moi d’arroser de mon sang et d’engraisser de la mœlle de mes os le jardin de votre sainte Épouse. Si je regarde en vous, je vois que rien ne vous est caché. Les hommes du monde l’ignorent parce qu’ils sont ensevelis dans les ténèbres de l’amour-propre. S’ils le savaient, ils ne seraient pas si cruels pour leurs âmes, mais ils deviendraient bons à cause de votre bonté. Oh! je vous le demande de tout mon cœur, accordez la lumière nécessaire à toute créature raisonnable.

11. Oui, par le Verbe votre Fils, vous avez été à la fois bon et juste; son corps sacré a satisfait votre justice pendant que nos misères étaient l’objet de votre bonté. O Bonté suprême! comment n’attendrissez-vous pas notre dureté? comment mon cœur n’échappe-t-il pas de mes lèvres? Il faut qu’un nuage obscurcisse mon esprit, et que mon âme n’aperçoive pas votre ineffable tendresse. Quel père livrera pour un serviteur révolté son propre fils à la mort? Il n’y a que vous, ô mon Dieu! Vous avez revêtu votre Verbe de notre chair afin qu’il souffrit, et que nous puissions en recueillir le fruit si nous le voulons. Il faut maintenant que notre sensualité souffre, pour que notre âme reçoive le fruit de vie; c’est la loi et la vérité; car vous avez dit: « Je suis la Voie, la Vérité, et la Vie » (Jean, XIV, 6). Si nous voulons acquérir votre bonté, il faut marcher dans le chemin que vous avez volontairement suivi.

12. O Dieu éternel! je me plains moi-même à vous: punissez-moi d’être si cruelle pour mon âme et si faible pour mes sens. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. O bienfaisante cruauté! qui brise et qui surmonte la sensualité pendant cette vie passagère, pour glorifier l’âme pendant l’éternité! D’où vient la patience, d’où viennent la foi, l’espérance et la charité, si ce n’est de cette bonté, qui enfante la miséricorde? Qui détache l’âme d’elle-même pour l’attacher à vous? c’est cette bonté qu’on obtient par votre lumière.

13. O Bonté ineffable! Bonté qui détruisez comme un baume délicieux la colère et la cruauté dans les âmes! je vous le demande encore, communiquez-vous à toutes les créatures raisonnables, et surtout à ceux que vous m’avez dit d’aimer d’un amour particulier. Rendez-les bons, afin qu’ils exercent cette cruauté parfaite qui détruit les vices de la volonté. Vous avez enseigné cette cruauté lorsque vous avez dit: « Celui qui vient à moi, et qui ne hait pas son père, sa mère, son épouse, ses enfants, ses frères et son âme, ne peut être mon disciple » (Luc, XIV, 20). Haïr son âme est difficile. Les serviteurs du monde haïssent souvent le reste sans agir par vertu;cela n’est pas difficile, mais il est plus pénible à l’homme de quitter sa nature que de la suivre. Notre nature est raisonnable;nous devons par conséquent obéir à la raison.

14. O vérité suprême! vous êtes un parfum au dessus de tous les parfums, une magnificence au dessus de toutes les magnificences, une bonté au dessus de toutes les bontés, vous êtes une justice qui surpasse toutes les justices; vous êtes la source même de la justice, qui rend à chacun selon ses œuvres. C’est par justice que vous permettez que le méchant se nuise à lui-même, en désirant des choses aussi viles que les richesses et les plaisirs du monde; car tout ce que vous avez créé est au dessous de l’homme. Vous l’avez fait pour qu’il en soit le maître, et non l’esclave. Vous seul êtes plus grand que nous, et c’est vous seul que nous devons toujours chercher, toujours servir. Aussi votre justice veut que l’homme de bien trouve en cette vie même la paix et le repos de son âme, parce qu’il met son affection en vous, qui êtes la paix véritable et le repos suprême. Ceux qui fournissent ainsi courageusement la carrière recevront de votre miséricorde la vie éternelle.

15. Vous êtes la Bonté infinie; personne ne vous contemple et ne vous comprend plus que vous ne le permettez; et vous le permettez autant que nous dilatons nos âmes pour vous recevoir. O très doux Amour! jamais je ne vous ai bien connu, et par conséquent jamais je ne vous ai bien aimé. Je vous recommande avec instance ceux dont vous m’avez chargée: vous me les avez confiés pour que je les réveille, et je dors toujours. Réveillez-les vous-même, ô Père tendre et secourable, afin que le regard de leur intelligence soit toujours fixé sur vous. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! Mon Dieu, venez à mon aide! Seigneur, hâtez-vous de me secourir! Ainsi soit-il.

IX – Prière faite à Rome, le 1er mars 1379.

1. O puissante et éternelle Trinité, Trinité éternelle, Trinité éternelle, c’est vous qui nous avez donné le doux, l’aimable Verbe! O doux, ô aimable Verbe! autant notre nature est faible et portée au mal, autant la vôtre est forte et propre au bien! L’homme est faible parce qu’il a reçu une nature faible de son père; car le père ne peut donner à son fils une autre nature que celle qu’il a en lui-même. Nous sommes enclins au mal, parce que nous recevons avec la vie une chair révoltée. Notre nature est fragile et vicieuse, parce que nous sortons tous d’Adam comme d’une même souche. Notre premier père est devenu faible, parce qu’il s’est séparé de votre force infinie, ô Père éternel; il s’est révolté contre vous, et il a trouvé la révolte en lui; il a quitté le principe de la puissance et de la bonté, il est tombé dans la défaillance et les mauvais penchants.

2. O Verbe, Fils de Dieu, votre nature est forte et propre au bien; car vous l’avez reçue de votre Père tout puissant. Il vous a donné sa nature divine, où rien n’est imparfait, où le mal n’a jamais été et ne peut jamais être. Aussi, aimable Verbe, vous avez soutenu notre faiblesse en vous unissant à nous. Par cette union, vous avez fortifié notre nature; par la vertu de votre Sang, vous en avez guéri l’infirmité dans le saint baptême. Et lorsque nous sommes arrivés à l’âge de raison, nous avons été affermis par votre doctrine; car l’homme qui la suit dans la vérité en s’en revêtant parfaitement, devient si fort et si porté au bien, qu’il sent à peine la révolte de la chair contre l’esprit.

3. Son âme est intimement unie à votre doctrine et son corps, soumis à son âme, en veut suivre tous les mouvements. Ce qui le charmait autrefois dans les joies coupables du monde lui fait maintenant horreur, et les vertus qui lui semblaient si pénibles à pratiquer deviennent ses plus chères délices il est donc bien vrai, ô Verbe éternel, que vous corrigez la faiblesse de notre nature par la force de la nature divine que vous avez reçue de votre Père, et cette force vous nous l’avez donnée par le Sang et par la doctrine.

4. O Sang, que j’appelle éternel parce qu’il est uni à la nature divine (Quelques théologiens ont critiqué cette expression eterno sangue, sang éternel! Mais sainte Catherine l’explique elle-même, par l’union avec la nature divine, avant les siècles, dans la pensée de Dieu. C’est dans le même sens qu’il est dit dans l’Apocalypse: Agnus qui occisus est ab origine mundi (XIII, 8). Saint Paul dit: Per proprium sanguinem introivit semel in sancta aeterna redemptione inventa (Hb., IX, 12) et saint Thomas explique ainsi ce passage: Quasi dicat Per istum sanguinem redempti sumus, et hoc in perpetuum, quia virtus ejus est infinita), l’homme qui connaît votre force par la lumière, se sépare de sa faiblesse; car la lumière véritable ne s’acquiert jamais sans la haine de la sensualité, qui détruit la lumière naturelle. O Sang délicieux, vous fortifiez l’âme, vous l’illuminez, vous la rendez angélique, vous l’enveloppez de votre charité, au point qu’elle s’oublie elle-même et qu’elle ne peut plus voir que vous; la faible chair qui lui est unie sent elle-même le parfum des vertus; le corps et l’âme n’ont qu’une voix pour crier vers vous, et cela tant que leur saint désir augmente et se développe. Sitôt que le désir se refroidit, la révolte de la chair se réveille plus violente que jamais. O doctrine de vérité, vous donnez à l’âme qui vous possède une telle force, qu’aucune adversité ne peut l’abattre. Dans tout combat, elle trouve la victoire; elle est invincible tant qu’elle vous suit, parce que vous venez de la Force suprême; mais si elle ne vous suivait pas, votre force lui serait inutile. Hélas! pauvre malheureuse, je n’ai jamais suivi la vraie doctrine, et je suis si faible, que la moindre épreuve m’abat. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

Prières de Sainte Catherine de Sienne IV, V, VI

IV – Prière écrite en cinabre de la main même de sainte Catherine.

Cette prière ne se trouve pas dans la version latine.- L’original est conservé à Sienne.

Esprit Saint, venez en mon cœur attirez-le à vous par votre puissance, mon Dieu, et donnez-moi la crainte et la charité. O Christ gardez-moi de toute mauvaise pensée réchauffez-moi, enflammez-moi de votre très doux amour, et toute peine me semblera légère! Mon Père, mon doux Seigneur, assistez-moi dans toutes mes actions! Jésus amour, Jésus amour.

V – Prière faite à Rome pendant une extase qui suivit la Communion, le Vendredi 18 février 1379.

Nous donnons les dates des prières de sainte Catherine d’après l’édition de Gigli. La version latine donne celle de 1377 aux prières XIV et XV, et celle de 1378 aux prières XV, XVII, XVIII, XXIV. Sainte Catherine était alors à Sienne ou à Florence; ces prières n’ont pu être faites à Rome qu’en 1379.

1. O souveraine et éternelle Trinité, Amour ineffable, vous m’appelez votre fille, et moi je puis vous dire: Mon Père! Vous vous êtes donné à moi en me donnant le corps et le sang de votre Fils bien-aimé, qui est Dieu et homme tout ensemble! Unissez-moi aussi, je vous en conjure, au corps mystique de la sainte Église, ma mère, à la société universelle de la religion chrétienne; car le feu de votre charité m’a fait connaître le désir que vous avez de voir mon âme se réjouir dans cette union sacrée. O Amour inexprimable, vous m’avez vue et connue en vous, et ce sont les rayons de votre lumière, dont j’étais revêtue, qui vous ont passionné pour votre créature!

2. Vous l’avez tirée de vous-même, vous l’avez créée à votre image et à votre ressemblance; et moi, cependant, pauvre créature, je ne pouvais vous connaître qu’en voyant en moi votre image et votre ressemblance. Mais, afin que je puisse vous voir et vous connaître en moi, vous vous êtes uni à nous; vous êtes descendu des hauteurs de votre divinité jusqu’aux dernières infirmités de notre nature. Comme la faiblesse de mon intelligence ne pouvait comprendre et contempler votre grandeur, vous vous êtes fait petit, et vous avez caché vos splendeurs admirables sous les voiles infimes de notre humanité. Vous vous êtes manifesté par la parole de votre Fils unique, et je vous ai connu en moi-même.

3. O abîme de charité! oui, c’est ainsi, Trinité adorable, que vous vous êtes manifestée, que vous nous avez montré votre Vérité; c’est surtout par l’effusion de votre sang que nous avons vu votre puissance, puisque vous avez pu nous laver de nos fautes. Nous avons vu votre sagesse, puisque, sous la chair de notre humanité, vous avez caché la force de votre divinité, qui a vaincu le démon et l’a dépouillé de sa puissance. C’est votre sang qui nous a montré votre charité, puisque par la seule ardeur de votre amour vous nous avez rachetés, lorsque vous n’aviez pas besoin de nous.

4. Ainsi s’est manifestée votre Vérité, qui nous a créés pour nous donner la vie éternelle. Oui, votre créature a connu la vérité par le Verbe, votre Fils unique. Sans lui, elle était inaccessible à nos regards obscurcis par le péché. Rougis donc, ô créature; rougis d’être ainsi aimée et honorée par ton Dieu, et de ne pas le connaître, lui que sa charité infinie a fait descendre des hauteurs de sa gloire jusqu’à la bassesse de La nature, pour que tu le connaisses en toi. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

5. O mystère admirable! vous connaissiez votre créature en vous avant qu’elle fût créée; vous voyiez qu’elle devait commettre l’iniquité, qu’elle devait s’écarter de votre vérité, et cependant vous l’avez créée. O amour incompréhensible! vous me dites: Mon âme, et moi je vous dis: Mon Père! O Père si plein de miséricorde, je vous en conjure, unissez tous vos serviteurs dans le feu de votre charité; disposez-les à recevoir les inspirations et les enseignements que répand et veut répandre la lumière de votre charité.

6. Votre vérité a dit: Cherchez, et vous trouverez; demandez, et vous recevrez; frappez, et il vous sera ouvert, (Mt. VII, 7). Eh bien! moi, pauvre et misérable, je frappe à la porte de votre Vérité, je m’adresse à votre Majesté, j’implore votre clémence, et je lui demande miséricorde pour le monde, et surtout pour la sainte Église; car je sais par votre Fils qu’il faut me nourrir sans cesse de cette nourriture; puisque vous le voulez, ne me laissez pas périr de faim.

7. O mon âme! que fais-tu? Ne sais-tu pas que le Seigneur ton Dieu te voit sans cesse? Ne sais-tu pas que rien ne peut fuir son regard, et que ce qui échappe à l’œil de la créature ne peut jamais éviter le sien? Ne commets donc plus l’iniquité, et relève-toi de tes fautes. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi; il est temps de secouer le sommeil. O éternelle Trinité! vous voulez que nous avancions, et si nous ne nous réveillons pas dans la prospérité, vous nous envoyez l’adversité. Comme un habile médecin, vous brûlez avec le feu de la tribulation les plaies que n’a pu guérir le baume des consolations.

8. O Père! ô Charité incréée! je n’admirerai jamais assez ce que m’a révélé votre lumière! Vous m’avez vue et connue, vous avez vu et connu toutes les créatures raisonnables, en général et en particulier, avant que nous ayons l’être. Vous avez vu Adam, le premier homme; vous avez connu sa faute et celles qui devaient en être la suite, en lui et dans sa postérité. Vous avez su que le péché s’opposerait à votre Vérité, et qu’il empêcherait les créatures raisonnables d’atteindre la fin à laquelle vous les aviez destinées. Vous avez vu les tourments que votre Fils devrait subir pour sauver le genre humain et réparer la vérité en nous. Oui, vous me l’avez dit, votre prescience vous avait tout annoncé. Comment se fait-il, Père éternel, que vous ayez créé votre créature?

9. O mystère adorable, incompréhensible! Oui, vous n’aviez pas d’autres raisons que l’amour dans notre création; vous nous avez vus de vous-même, et votre charité vous a forcé à nous créer malgré toutes les iniquités que nous devions commettre contre vous. Vous n’avez pu résister, ô Amour éternel; vous aperceviez dans votre lumière toutes les offenses de votre créature contre votre infinie bonté, mais vous avez paru ne pas les voir, vous ne vous êtes arrêté qu’à la beauté de votre œuvre; vous l’avez aimée, vous vous êtes passionné pour elle, et vous l’avez tirée de votre sein pour la créer à votre image et à votre ressemblance. O Vérité éternelle! vous vous êtes révélée à votre indigne servante.

10. Vous lui avez appris que c’est l’amour qui vous a forcé à lui donner l’être. Vous voyiez qu’elle devait vous offenser, mais votre charité a détourné vos regards de ses offenses pour les fixer uniquement sur la beauté de votre créature; car la vue de l’offense pouvait empêcher l’amour de répandre la vie. Vous le saviez, et vous n’avez écouté que l’amour, parce que vous n’êtes qu’un foyer d’amour.

11. Et moi, mes fautes m’ont empêchée de vous connaître; mais accordez-moi la grâce, ô très doux Amour, de l’épandre en votre honneur tout le sang de mon corps; faites que je me dépouille entièrement de moi-même. Bénissez aussi, ô mon Dieu, celui qui m’a donné la sainte Communion; détachez-le de lui-même, revêtez-le de votre volonté, fixez-le en vous par des liens indissolubles, afin qu’il soit une plante répandant son parfum dans le jardin de la sainte Église. Accordez-nous, je vous en conjure, ô Père très clément, votre douce bénédiction; lavez nos âmes dans le sang de votre Fils. O Amour, Amour, je vous demande la mort!

VI – Prière faite par sainte Catherine le jour de saint Thomas apôtre.

1. O Déité, Déité, éternelle Déité, véritable Amour, qui par l’union de l’humanité de votre Verbe, Notre Seigneur Jésus-Christ, avec votre divinité, nous avez donné, quand nous étions perdus, la lumière de la foi, qui éclaire l’œil de notre intelligence pour nous faire apercevoir et connaître le véritable objet de notre âme, votre adorable Divinité. Vous avez lait de, votre Fils unique, Notre Seigneur, la victime sans tache qui devait nous réconcilier avec vous, et vous l’avez placé comme la-pierre angulaire, la colonne inébranlable de notre sainte mère l’Église, votre unique Épouse. C’est lui qui doit renouveler sans cesse l’Église par des plantes nouvelles et fécondes. Nul maintenant ne peut s’opposer à votre volonté, qui est éternelle et immuable.

2. Ne regardez pas les péchés qui me rendent indigne de vous prier, mais daignez les effacer par les mérites de saint Thomas, votre apôtre. Oui, purifiez mon âme, Dieu puissant, mon amour; exaucez votre servante qui vous invoque. Vous êtes un feu qui brûlez toujours, mais vous conservez ce qui vous est agréable, et vous ne détruisez dans l’âme que ce qui peut vous déplaire. Brûlez par le feu de votre Esprit, consumez et anéantissez jusqu’à la racine tout amour et tout désir de la chair dans le cœur des plantes nouvelles dont vous avez bien voulu parer le corps mystique de notre sainte mère l’Église. Changez leurs attachements profanes en élans d’amour pour vous; donnez-leur un cœur nouveau avec la connaissance de votre sainte volonté, afin qu’ils méprisent le monde et se renoncent eux-mêmes. Qu’ils soient remplis de ferveur; qu’ils deviennent les apôtres de la foi et les modèles de toutes les vertus; qu’ils abandonnent bien réellement les désirs trompeurs et lés richesses de ce monde périssable, pour vous suivre seul dans la pureté de l’intention et l’ardeur de la charité.

3. Faites que notre Chef et notre Père, l’époux de votre Église, soit toujours fidèle à vos inspirations; qu’il n’élève, ne reçoive et n’écoute que ceux qui en sont dignes et que ces auxiliaires nouveaux, semblables aux anges qui vous servent dans le ciel, travaillent avec votre Vicaire à rendre notre sainte mère l’Église conforme à votre cœur, par la simplicité de leur cœur et la perfection de leur vie.

4. Qu’ils comprennent qu’ils sont réellement des membres nouveaux du corps de Notre Seigneur Jésus-Christ, et que votre Providence sait en retrancher, sans le secours de l’homme, les rameaux inutiles qui ne portent pas de fruits. Qu’ils naissent avec Jésus, et croissent comme lui en vertu; qu’ils soient utiles à l’Église par leurs exemples et par leurs mœurs; qu’ils soient comme des greffes nouvelles dont la nature fait porter des fleurs plus parfumées et des fruits plus agréables. Que votre grâce céleste retranche toute affection charnelle; que la rosée de votre Esprit Saint, qui se répandit sur vos Apôtres, fasse germer en eux de nouvelles vertus. Qu’ils élèvent vers vous la suavité de leur odeur, et qu’ils donnent à l’Église la richesse de leurs vertus et l’efficacité de leurs œuvres, afin que votre Épousé soit réformée en eux.

5. O Amour éternel! purifiez, sanctifiez votre Vicaire, afin qu’il soit pour les autres un modèle de pureté et d’innocence; qu’il reste toujours fidèle à votre grâce et qu’il la communique au peuple qui lui a été confié. Qu’il convertisse aussi les infidèles par de célestes enseignements, et qu’il offre des fruits de salut à votre incompréhensible Majesté. Oui, daignez m’exaucer, mon Dieu, et recevez les actions de grâces de votre pauvre Servante, ô Dieu véritable, souveraine Bonté.

Prières de Sainte Catherine de Sienne I, II, III

I – Prière faite à Avignon pour le rétablissement de la paix dans l’Église.- Elle fut recueillie pendant l’extase de la Sainte, par Thomas Pétra, sténographe de Grégoire XI, et depuis secrétaire du Pape Urbain VI.

1. O Déité, Déité, ineffable Déité! Bonté suprême qui par amour seulement nous avez faits à votre image et ressemblance, vous ne vous êtes pas contenté de dire, lorsque vous avez créé l’homme, le fiat qui tira les autres créatures du néant; mais vous avez dit: Faisons l’homme à notre image et ressemblance (Genèse, 1, 26),afin que la Trinité tout entière concourût à notre existence et imprimât sa forme dans les puissances de notre âme. Et en effet, ô Père éternel! qui conservez tout en vous, notre mémoire vous ressemble, puisqu’elle retient et conserve tout ce que l’intelligence voit et comprend de vous-même. Cette connaissance la fait participer à la sagesse de votre Fils unique. Vous nous avez aussi donné la volonté du Saint Esprit, qui surabonde de votre amour et saisit tout ce que l’intelligence connaît de votre ineffable bonté, pour remplir de vous notre mémoire et notre cœur.

2. Oh! oui, je vous rends grâces de cet amour infini que Vous avez manifesté au monde, en nous donnant l’intelligence pour vous connaître, la mémoire pour vous retenir, la volonté pour vous aimer par dessus toutes choses, comme vous le méritez; et cette puissance, cet amour, ni le démon, ni aucune créature ne peuvent nous les ravir sans notre consentement. Que l’homme rougisse de se voir tant aimé, et de ne pas aimer son Créateur, sa vie véritable.

3. O éternelle Bonté! vous me faites comprendre l’immensité de votre amour. Lorsque, après la désobéissance de notre Père, notre faiblesse nous eut entraînés dans la corruption du péché, l’amour vous a forcé de jeter sur nous des regards de miséricorde, et vous nous avez envoyé dans notre détresse votre Fils, le Verbe incarné, caché sous les voiles de notre chair misérable et revêtu de notre mortalité.

4. Et vous, Jésus, notre réconciliateur, notre réformateur, notre rédempteur, Verbe et Amour du Père, vous êtes intervenu entre l’homme et son Créateur, et vous avez changé la guerre qui les séparait en une paix profonde. Vous avez puni la désobéissance d’Adam et nos iniquités sur votre corps sacré, en vous faisant obéissant jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix. Sur la Croix, ô doux Jésus! vous avez satisfait d’un seul coup à l’offense de votre Père et à notre faute; vous les avez expiées sur vous-même.

5. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! de quelque côté que je me tourne je rencontre votre ineffable amour. Comment excuser celui qui ne vous aime pas? Car, ô Dieu fait homme pour que je vous aime, vous m’avez aimé avant ma naissance, et vous m’avez fait capable de connaître et de sentir votre infinie puissance et votre bonté. Tout ce que je puis aimer et tout ce qui a l’être, je le trouve eu vous; le péché seul ne s’y trouve pas, et puisqu’il n’est pas en vous, il n’est pas digne d’être aimé.

6. Si nous voulons aimer Dieu comme nous le devons, nous trouvons en vous ses infinies perfections; si nous voulons aimer l’humanité, vous l’avez en vous dans son indicible pureté. Si nous voulons aimer un maître, c’est vous, qui nous avez rachetés de votre sang, et qui, par ce prix inestimable, nous avez tirés de la servitude du péché. Oui, nous vous appartenons, car vous avez été notre père, notre frère, notre maître, notre ami, notre compagnon, avec une incompréhensible charité.

7. O Dieu éternel! votre Fils, fidèle à votre volonté, a répandu son Sang précieux pour nous, misérables, sur l’arbre de la sainte Croix. Comment vous remercier de tant de bienfaits, moi misérable créature, et vous la Sagesse, la Puissance, la Bonté même. Vous êtes la Beauté par essence, et moi je ne suis que la bassesse, l’abjection. Vous êtes la Vie éternelle, moi la mort; vous la Lumière, moi l’obscurité; vous la Sagesse, moi la folie; vous l’Infini, moi la fragilité même. A chaque instant je puis mourir, ô Médecin! vous voyez le mal qui m’accable. J’ai perdu mon âme et ma vie en ne vous aimant pas, vous qui nous avez faits pour vous et qui nous attirez sans cesse par votre grâce; vous qui nous uniriez à vous si nous y consentions, si notre volonté ne se révoltait pas contre votre Majesté sainte (Il y a dans cette prière quelques variantes entre le texte italien et le texte latin. Nous avons souvent suivi le latin, comme offrant un sens plus clair.).

8. Ah! Seigneur, j’ai péché, ayez pitié de moi! Que votre éternelle Bonté ne s’arrête pas à ces souillures que nous avons contractées en nous séparant de vous, et en éloignant nos âmes de leur objet véritable. J’implore votre miséricorde, qui est sans bornes, et je vous supplie de jeter un regard de clémence et de tendresse sur l’Église, votre unique Épouse. Éclairez votre Vicaire en ce monde, afin qu’il ne vous aime pas et ne s’aime pas pour lui-même, mais qu’il s’aime et qu’il vous aime pour vous. S’il vous aime et s’il s’aime pour lui, nous périrons; car il est notre perte ou notre salut, puisque nous sommes ses brebis et qu’il doit nous sauver de nos égarements. Mais s’il vous aime et s’il s’aime pour vous, nous vivrons, puisque nous recevrons du Bon Pasteur la vie de l’exemple.

9. O Dieu suprême et ineffable! — J’ai péché et je ne suis pas digne de vous prier, mais vous pouvez m’en rendre moins indigne. Punissez, Seigneur, mes péchés, et ne regardez pas ma misère. J’ai reçu de vous un corps que je vous rends et que je vous offre. Voici ma chair et mon sang; frappez, détruisez, réduisez mes os en poussière, mais accordez ce que je vous demande pour le souverain Pontife, l’unique époux de votre unique Épouse. Qu’il connaisse toujours votre volonté, qu’il l’aime et qu’il la suive, afin que nous ne périssions pas. Donnez-lui, mon Dieu, un cœur nouveau; que votre grâce augmente toujours en lui; qu’il soit infatigable à porter l’étendard de votre sainte Croix, et qu’il dispense aux infidèles les trésors de votre miséricorde comme à nous-mêmes, qui jouissons de la Passion et du Sang de l’Agneau sans tache, votre Fils bien-aimé. — J’ai péché, Seigneur; Dieu éternel, ayez pitié de moi!

II – Prière faite pour les ministres de l’Église pendant la même extase.

1. Je le reconnais, ô Dieu éternel, vous êtes un océan tranquille, où vivent et se nourrissent les âmes; elles y trouvent leur repos dans l’union de l’amour, parce qu’elles suivent en tout votre volonté souveraine, qui ne veut d’autre chose que notre sanctification. Dès qu’elles se comprennent, elles se renoncent pour se revêtir de vous-même. O doux amour, le signe véritable de ceux qui demeurent en vous est de se détacher de leur volonté propre et des créatures qui trompent; c’est de faire ce que vous voulez, en suivant votre bon plaisir et non leur inclination; c’est de se réjouir moins dans les choses heureuses de ce monde que dans les contraires; car l’adversité est uni moyen entre les âmes et vous; elle les éprouve comme l’or dans la fournaise, et montre si c’est par amour qu’elles accomplissent votre volonté. Il faut aimer l’adversité comme les autres choses que vous avez créées; tout est bon et digne d’être aimé, excepté le péché, que seul vous n’avez pas fait.

2. Hélas! malheureuse, en aimant le péché, j’ai perdu le temps qui vous appartenait; j’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi. Punissez mes péchés, effacez mes iniquités, purifiez-moi, ô Dieu éternel et ineffable; exaucez votre pauvre servante; qui vous demande de diriger vers vous les cœurs et les volontés des ministres de notre sainte mère l’Église, votre Épouse, afin qu’ils suivent l’Agneau, votre Fils, dans le chemin de la Croix, et qu’ils imitent sa pauvreté, sa douceur, son humilité, non pas imparfaitement, mais d’une manière surhumaine et divine.

3. Qu’ils soient des anges sur la terre, puisqu’ils doivent consacrer et distribuer le corps et le sang de votre Fils unique, la Victime sans tache. Qu’ils ne s’en rendent pas indignes, comme des animaux sans raison; mais unissez les dans votre amour, ô vous qui donnez la paix; purifiez-les dans l’océan tranquille de votre miséricordieuse bonté, afin qu’ils ne perdent pas un temps précieux, en n’utilisant pas le présent pour l’avenir. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi; entendez ma prière, et exaucez votre pauvre servante qui vous implore, ô tendre Père, pour tous ceux que vous m’avez donnés, et que je voudrais tous aimer dans la perfection de votre infinie charité, ô grand, éternel, ineffable, véritable Dieu!

III – Prière faite à Gênes au moment où le Pape Grégoire XI voulait retourner à Avignon.

1. O Père tout puissant, Dieu éternel, douce et ineffable Charité, je vois en vous et je comprends par mon cœur que vous êtes la voie, la vérité, la vie. C’est par vous, que tout homme qui vous désire doit arriver; et c’est votre tendresse qui l’éclaire et le dirige par la connaissance de votre Fils bien-aimé Notre Seigneur Jésus-Christ. Vous êtes le Dieu éternel et incompréhensible, qui, poussé par votre seul amour et votre miséricordieuse bonté, nous avez envoyé, après la perte du genre humain, Notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils unique, revêtu de notre chair mortelle. Vous avez voulu qu’il vienne, non pas dans les jouissances et les grandeurs de ce siècle périssable, mais dans l’abaissement, la pauvreté et la douleur; il a connu et accompli votre volonté pour notre salut; il a méprisé les dangers du monde et les efforts du démon, et il a vaincu la mort par la mort, en se faisant obéissant jusqu’à la mort cruelle de la Croix.

2. Maintenant, Amour incompréhensible, qui êtes toujours le même, vous envoyez votre Vicaire pour sauver vos enfants qui périssent par leur rébellion contre la sainte Église, votre unique Épouse. Vous l’envoyez au milieu des périls et des angoisses, comme vous avez envoyé votre Fils bien-aimé, notre Rédempteur, pour sauver vos enfants morts par la désobéissance d’Adam et par le péché. Hélas! ces pauvres hommes que vous avez créés se laissent égarer par l’orgueil et la sensualité. L’ennemi les trompe, et ils s’opposent à votre sainte volonté, qui doit les sauver; il détournent le souverain pontife de ses desseins si utiles et si nécessaires à l’Église. O amour éternel, ces infortunés craignent la mort du corps, et non celle de l’âme; ils écoutent leurs sens et leur amour-propre, et non la vérité de vos jugements et la profondeur de votre sagesse infinie. Vous êtes cependant notre règle unique, le chemin que nous devons suivre.

3. Vous nous l’avez dit: il faut nous réjouir au milieu des difficultés et des peines, car c’est là notre vocation. Votre admirable Providence a voulu que le monde et la chair ne produisent que des fruits d’amertume, afin que nous n’y placions pas nos joies et nos espérances, mais que nous n’ambitionnions que les fruits de salut et les grâces d’en haut. Que votre Vicaire se réjouisse de suivre votre volonté et les traces de Jésus-Christ, qui a livré et sacrifié pour nous son très saint Corps, et qui, dans son amour, a versé tout son sang pour laver nos péchés et nous sauver. C’est lui qui a donné à votre Vicaire les clefs qui lient et qui délient nos âmes, afin que nous suivions en tout votre volonté et vos exemples.

4. J’implore pour lui votre souveraine clémence; purifiez son âme, et que son cœur brûle dit désir de ramener ceux qui sont égarés, et de les sauver par votre puissance. Si ses lenteurs vous déplaisent, ô amour éternel, punissez-les sur mon corps qui vous appartient, et que je vous offre, afin que vous l’affligiez et le détruisiez selon votre bon plaisir. Seigneur, j’ai péché, ayez pitié de moi.

5. Dieu éternel, vous vous êtes passionné pour votre créature avec une miséricorde sans bornes; vous avez envoyé votre Vicaire pour retrouver ce qui était perdu, et je vous en rends grâces, malgré mon indignité et ma bassesse, O Dieu véritable! Bonté infinie, Charité qui ne peut se comprendre, comment l’homme, que votre amour a racheté au prix du sang de votre Fils unique, n’a-t-il pas honte de résister à votre volonté, qui n’a d’autre but que notre sanctification!

6. O Dieu! vous vous êtes fait homme pour nous; vous vous unissez à nous, et vous avez établi votre Vicaire le dispensateur des grâces nécessaires à notre sanctification et au salut de vos enfants égarés; faites, je vous en conjure, qu’il suive en tout votre volonté, qu’il n’écoute pas les conseils de la chair et de l’amour-propre, et qu’il ne soit arrêté par aucune crainte, aucun obstacle. Hors de vous, Seigneur, tout est imparfait: aussi ne regardez pas mes péchés que je vous confesse, mais exaucez votre pauvre servante qui espère en votre miséricorde infinie.

7. Lorsque vous nous avez quittés, vous n’avez pas voulu nous laisser orphelins, et vous nous avez donné votre Vicaire, qui nous purifie dans le Saint Esprit, non seulement par le baptême, qui nous rend une première fois l’innocence, mais encore par la pénitence, qui lave et efface sans cesse la multitude de nos péchés. Vous êtes venu à nous, et vous n’avez reçu que des outrages; nous nous sommes éloignés de vous, parce que nous avons jugé selon la chair et l’amour-propre. O Jésus! votre face s’est obscurcie, parce que vos créatures abusent de vos grâces, et qu’elles dépouillent l’Église, votre unique Épouse.

8.- Faites, ô éternelle Bonté, que votre Vicaire ait soif de nos âmes, et qu’il brûle du désir de votre gloire; qu’il s’attache à vous, qui êtes la souveraine et infinie Miséricorde. Guérissez par lui nos infirmités, rétablissez votre Épouse par la sagesse de ses conseils et l’efficacité de ses œuvres, O mon Dieu! réformez aussi la vie de ceux qui l’entourent, afin qu’ils s’attachent à vous seul dans la simplicité de leur cœur et la perfection de leur volonté; ne vous arrêtez pas à l’indignité de votre pauvre servante, qui vous prie pour eux, mais placez-les dans les jardins de votre volonté. O Père! je vous bénis, afin que vous bénissiez vos serviteurs; qu’ils se méprisent eux-mêmes pour l’amour de vous, et qu’ils suivent la lumière de votre volonté, qui seule est sainte et éternelle. O Dieu! recevez, pour tous, mes humbles actions de grâces.

Traité de la perfection

Nous joignons au Dialogue le traité de la perfection qui est attribué à sainte Catherine de Sienne. Cet opuscule n’est connu que par le texte latin dont le manuscrit se trouve dans la bibliothèque du Vatican il a été imprimé à Sienne en 1545 et en 1609, et à Lyon en 1552, avec ce titre: Dialogus brevis sanctae Catharinae Senensis, consummatam continens perfectionem. Gigli en a donné une traduction italienne.

Ce traité de la perfection est-il véritablement de sainte Catherine de Sienne? Nous le pensons, quoique nous n’en trouvions aucune preuve dans les écrits de ses disciples et dans les dépositions du procès de Venise. La forme est moins riche, moins lumineuse que celle du Dialogue; mais le fond présente les mêmes pensées et les mêmes enseignements, Ce traité est sans doute le résumé d’un de ces discours admirables que sainte Catherine de Sienne adressait à ceux qui venaient lui demander des conseils; beaucoup de ses paroles ont été peut-être ainsi recueillies. Le bienheureux Thomas Caffarini, son confesseur, parle d’un traité sur les Évangiles qui auraient été fait d’après ses explications; ce traité n’a pas été retrouvé.

1. Une âme éclairée par l’Auteur de la lumière considérait sa misère et sa fragilité, son ignorance et sa pente naturelle au mal. Elle contemplait aussi la grandeur dé Dieu, sa sagesse, sa puissance, sa bonté, tous ses attributs divins, et elle comprenait combien il est juste et nécessaire que ce Dieu soit saintement et parfaitement honoré.

2. Dieu est père et seigneur de toutes choses; il les a faites pour qu’elles louent son très saint nom et qu’elles contribuent à sa gloire. N’est-il pas juste et convenable que le serviteur respecte son maître, le serve et lui obéisse avec toute la fidélité possible?

3. C’est aussi une chose nécessaire, parce que Dieu a créé l’homme, composé d’un esprit et d’un corps, à la condition que s’il lui rend volontairement un service fidèle jusqu’à la mort, il parviendra à la vie éternelle. L’homme ne peut autrement acquérir cette félicité, renfermant l’abondance de tous les biens; mais II y en a peu qui l’obtiennent, parce que presque tous cherchent leurs intérêts et non ceux de Dieu.

4. Cette âme voyait que les jours de l’homme sont courts, et qu’il ignore l’instant où doit finir le temps fugitif qui lui est donné pour mériter. En enfer, il n’y a plus de rédemption possible; car chacun dans la vie future reçoit justement, par une immuable et inévitable sentence, la récompense ou le châtiment que sa manière de vivre lui aura mérité.

5. Elle voyait combien les prédicateurs faisaient de discours et parlaient diversement des vertus par lesquelles on honore et sert Dieu. Elle voyait aussi le peu de capacité de la créature raisonnable, son intelligence bornée, sa faible mémoire, qui ne peut saisir beaucoup de choses, ni retenir fidèlement celles qu’elle a apprises. Beaucoup s’appliquent à toujours apprendre; mais bien peu s’efforcent d’arriver à une vraie perfection, en servant Dieu comme il serait juste et nécessaire de le faire. Presque tous vivent continuellement dans l’agitation de l’esprit et s’exposent à un péril extrême.

6. A la vue de toutes ces choses, cette âme s’adressait au Seigneur, dans l’ardeur du désir et de l’amour. Elle conjurait la divine Majesté de vouloir bien lui donner quelques courts préceptes pour régler saintement notre vie et la rendre aussi parfaite que possible, en nous faisant suivre véritablement l’enseignement de l’Église et des saintes Écritures, l’obéissance à ses préceptes devant nous faire rendre à Dieu les honneurs qui lui sont dus, et nous mériter, après cette vie courte et misérable, la félicité pour laquelle il nous avait créés.

7. Alors Dieu, qui inspire les saints désirs et ne permet pas que leur ardeur soit inutile, se manifesta tout à coup à cette âme dans l’extase, et il lui dit: Ma bien-aimée, tes désirs me ravissent; ils me, plaisent tant, que je suis beaucoup plus avide de les satisfaire, que tu ne l’es toi-même de les voir satisfaits. Je souhaite ardemment vous donner, quand vous y consentez, les grâces qui sont utiles et nécessaires à votre salut; aussi je m’empresse de contenter ton désir et d’agréer tes demandes.

8. Écoute donc attentivement ce que l’ineffable et infaillible Vérité va te dire. Je t’exposerai en peu de mots ce qu’est, ce que renferme la vraie perfection, et toutes les vertus qu’enseignent l’Église et les saintes Écritures. Si tu te contemples dans cette doctrine, situ y conformes ta vie, situ t’efforces de l’observer, tu accompliras tout ce qui est Contenu et caché dans ces paroles divines, et tu jouiras d’une joie sans bornes et d’une paix inaltérable.

9. Apprends que le salut de mes serviteurs et leur perfection consistent uniquement à faire ma seule volonté et à toujours l’accomplir, à ne servir que moi, à n’honorer que moi, à ne voir que moi dans tous les moments de leur vie. Plus ils s’y appliqueront avec ardeur, et plus ils approcheront de la perfection; car plus ils s’uniront et s’attacheront par des liens intimes et forts à moi, qui suis la souveraine perfection.

10. Ce que je te dis en ces quelques mots, tu le comprendras plus clairement si tu regardes mon Christ, en qui j’ai mis mes complaisances. Il s’est anéanti sous la forme d’un esclave, et il s’est revêtu des apparences du péché. Vous étiez plongés dans d’épaisses ténèbres, vous étiez éloignés du sentier de la vérité; il vous a éclairés des splendeurs de sa lumière, et vous a ramenés dans la voie droite par sa parole et son exemple. Il a été obéissant jusqu’à la mort, et cette obéissance persévérante vous enseigne que votre salut dépend du ferme propos de faire ma seule volonté.

11. Quiconque voudra méditer avec soin la vie et la doctrine de mon Fils, verra clairement que la justice et la perfection de l’homme consistent uniquement dans une continuelle et fidèle obéissance à ma volonté. C’est ce que votre Chef vous a répété tant de fois. N’a-t-il pas dit: « Ce n’est pas celui qui crie: Seigneur! Seigneur! qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui fera la volonté de mon Père » (Mt. VII,21)?

12. Ce n’est pas sans raison que mon Fils a répété deux fois: Seigneur! Seigneur! Toutes les existences passagères de ce monde se partagent entre l’état religieux et l’état séculier, et il a voulu exprimer que personne, quelle que soit sa position, ne peut acquérir la gloire éternelle, quoiqu’il ait tout fait pour m’honorer extérieurement, s’il n’a pas accompli ma volonté.

13. Mon Fils a dit dans un autre endroit: « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Et autre part: « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse. C’est selon l’ordre que m’a donné le Père que j’agis de la sorte » (Jean, VI,38; Vl,34; XIV,31).

14. Si tu veux donc imiter l’exemple de ton Sauveur, et faire ma volonté, qui renferme tout bien, il est nécessaire qu’en toute chose, tu renonces à ta volonté, que tu la méprises et la renies. Plus tu mourras à toi-même, plus tu rejetteras avec soin ce qui est toi, et plus je te donnerai avec abondance ce qui est moi.

15. Lorsque l’âme eut reçu ces salutaires enseignements de la vérité, elle disait dans sa joie: Mon Père, mon Dieu, je ne pourrais jamais exprimer combien je suis ravie des choses que vous avez daigné faire entendre à votre pauvre servante; j’en remercie de toutes mes forces votre souveraine Bonté. Rien ne pourra mieux et plus clairement faire comprendre ces enseignements à ma grossière intelligence, que l’exemple du Sauveur.

16. Puisque vous êtes le Bien suprême, et que vous ne voulez pas l’iniquité, mais la justice et la vertu, je fais ce que je dois faire si j’accomplis votre volonté, et elle l’accomplis en renonçant à la mienne, que vous ne voulez jamais violenter; car vous l’avez faite libre, pour que je vous la soumette de mon plein gré; En m’appliquant sans cesse à faire la vôtre, je vous deviendrai plus agréable, et j’acquerrai des mérites devant vous.

17. Je veux donc et je désire ardemment faire tout ce que vous commandez; mais je ne sais pas bien ce que renferme votre volonté, et comment je puis me soumettre à vous avec zèle et fidélité. Si je ne suis pas trop téméraire, si je n’abuse pas de votre bonté, je vous conjure humblement d’agréer ma demande, et de me donner encore quelques courts enseignements.

18. Alors le Seigneur répondit: Si tu désires connaître en peu de mots ma volonté, afin de pouvoir la suivre parfaitement, ma volonté est que tu m’aimes souverainement et toujours. Je vous ai fait le commandement de m’aimer de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et c’est à observer ce commandement que consiste la perfection; car la fin du commandement est la charité, et l’accomplissement de la loi est l’amour.

19. L’âme reprit: Je comprends que votre volonté et ma perfection se trouvent dans votre amour, et je voudrais vous aimer, comme je le dois, d’un amour ardent et souverain; mais je ne sais pas assez comment je puis et je dois le faire. Je vous supplie donc de vouloir bien m’instruire à ce sujet.

20. Dieu lui dit: Écoute et médite de toute l’application de ton esprit ce que je vais te dire. Pour m’aimer parfaitement, trois choses sont nécessaires. Il faut d’abord éloigner, séparer, retrancher ta volonté de tout amour et de tout attachement terrestre et charnel, de sorte qu’aucune chose passagère et périssable ne puisse te plaire en cette vie, si ce n’est pour moi.

21. La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas que tu m’aimes pour toi, que tu t’aimes pour toi et que tu aimes le prochain pour toi; il faut que tu m’aimes pour moi; que tu t’aimes pour moi, et que tu aimes le prochain pour moi.

22. L’amour divin ne peut souffrir la société d’un autre amour. Selon que tu seras souillée de la contagion des choses de la terre, tu seras privée de mon amour et tu perdras la perfection; car, pour être pure et sainte, il est nécessaire que l’âme méprise toutes les choses sensibles. Fais donc en sorte qu’aucune des choses que ma bonté vous a données pour votre usage ne t’empêche de m’aimer. Que toutes, au contraire, t’aident, t’excitent et t’enflamment pour moi; car si je les ai créées, et je vous les ai données, c’est afin que, connaissant davantage la grandeur de ma bonté, vous m’aimiez d’un plus grand amour.

23. Applique-toi donc à soumettre au frein de la continence tes sens et tes désirs: garde-fui avec vigilance, et résiste avec courage aux concupiscences de la terre, que font naître de toute part les conditions de cette vie malheureuse et la corruption de la nature. Fais en sorte de pouvoir dire avec mon prophète: « C’est lui qui a formé mes pieds (c’est-à-dire mes affections, qui sont les pieds de l’âme) comme ceux du cerf, pour fuir les chiens (c’est-à-dire les liens de la concupiscence), et il m’a placée sur les hauteurs » (Ps. XVII,34), c’est-à-dire dans la contemplation.

24. Aussitôt que tu auras observé ce premier enseignement, tu pourras accomplir le second, qui est d’une plus grande perfection: c’est que toutes tes pensées, tes actes et tes opérations aient pour unique but mon bonheur et ma gloire. Il faut t’appliquer sans cesse à me louer par tes prières, tes paroles, tes exemples. Il faut non seulement le faire, mais encore y porter autant que tu le pourras les autres, afin que tous me connaissent, m’aiment et m’honorent uniquement. Ce moyen me plaît plus que le premier, parce qu’il accomplit plus ma volonté.

25. Quant au troisième enseignement qui reste, si tu le suis, sois persuadée que rien ne te manquera, et que tu arriveras à la justice parfaite. Voici en quoi il consiste: il faut chercher avec un ardent désir, et t’efforcer d’atteindre une disposition d’esprit telle, que tu me sois si unie, et que ta volonté soit si conforme à la mienne, que tu ne veuilles jamais non seulement le mal, mais encore le bien que je ne veux pas.

26. Quoi qu’il arrive au milieu des misères de cette vie, dans les choses temporelles ou spirituelles, rien ne doit détruire la paix ou troubler le calme de ton esprit. Il faut au contraire croire avec une foi inébranlable que moi, le Dieu tout puissant, je t’aime plus que tu ne t’aimes toi-même, et que j’ai pour toi plus de soin et de sollicitude que tu ne peux en avoir toi-même. Plus tu t’abandonneras, plus tu te confieras en moi, et plus je t’aiderai, plus je te serai présent, plus tu connaîtras et sentiras parfaitement la douceur de ma charité envers toi.

27. Tu ne peux arriver à cette perfection que par un entier et perpétuel renoncement à ta propre volonté. Quiconque n’apporte pas ce renoncement dans toutes ses œuvres manque par cela même à la vraie perfection; mais celui qui le pratique avec joie accomplit parfaitement ma volonté. Celui-là m’est très agréable; car rien ne m’est plus doux que d’agir avec vous par la grâce et d’habiter en vos âmes.

28. Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Je ne veux pas violer les droits de leur libre arbitre; mais dès qu’ils m’acceptent par la grâce, ils sont transformés en moi, tellement qu’ils sont une même chose avec moi par la participation de ma perfection, de ma paix particulière et de mon repos.

29. Afin que tu comprennes mieux avec quelle ardeur je désire être avec, vous, et que tu te presses de soumettre et d’unir ta volonté à la mienne, vois et considère attentivement que j’ai voulu que mon Fils unique s’incarnât, et que ma divinité, dépouillée de l’éclat de sa majesté, s’unît à votre humanité. C’est par cette preuve d’amour que je vous ai invités, excités à unir votre volonté à la mienne, et à vous attacher toujours à moi seul.

30. J’ai voulu que mon Fils bien-aimé s’assujettît à la mort cruelle et ignominieuse de la Croix, afin que par ses tourments il effaçât votre péché. Car le péché avait établi entre moi et vous une rupture qui m’avait obligé de détourner de vous mes regards.

31. Je vous ai aussi apprêté ce festin si grand et si peu connu, le Sacrement du corps et du sang de mon Fils. En le prenant pour nourriture, vous êtes transformés et changés en moi. De même que le pain et le vin dont vous vous nourrissez passe dans la substance de votre corps, de même, en vous nourrissant de lui, mon Fils, qui est une même chose avec moi, pénètre votre substance spirituelle sous les apparences du pain et du vin, et vous vous convertissez en moi. C’est ce que j’exprimais à mon serviteur Augustin lorsque je lui disais: « Je suis la nourriture des grands. Crois et mange, tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi » (Cibus sum grandium: credete manducabis; nec tu me mutabis in te, sed tu mutaberis in me.)

32. Cette âme comprit alors ce qu’était la volonté de Dieu; elle vit que, pour l’accomplir, la charité parfaite est nécessaire, et que la charité parfaite consiste dans le renoncement de la volonté propre. Seigneur mon Dieu, dit-elle, vous m’avez fait connaître votre volonté, vous m’avez expliqué que si je vous aime parfaitement, je n’aimerai aucune chose terrestre et périssable pour moi-même, mais que j’aimerai tout à cause de vous et pour vous. Vous m’avez dit que je devais chercher en toute occasion votre honneur et votre gloire, et porter mon prochain à le faire également. Vous m’avez dit que dans toutes les adversités que je rencontrerais pendant cette malheureuse vie, je devais m’appliquer à souffrir avec un esprit indifférent, tranquille et joyeux.

33. Puisque tontes ces choses doivent se faire par le renoncement de ma volonté propre, enseignez-moi, je vous prie, le moyen d’arriver à ce renoncement et d’acquérir, de conserver une si grande vertu; car, je le vois à la lumière de votre doctrine, je vivrai en vous autant que je mourrai en moi.

34. Alors Dieu, qui ne trompe jamais les saints désirs, ajouta: II est certain que tout bonheur consiste dans le parfait renoncement de toi-même: Je te remplirai de ma grâce à mesure que tu te dépouilleras de ta volonté. La communication de ma bonté divine fera ta perfection par la grâce, sans laquelle la créature humaine n’est rien en vertu et en dignité.

35. Si tu veux donc arriver à cette perfection, tu dois, avec une humilité profonde, avec une véritable et intime connaissance de ta misère et de ta pauvreté, travailler à une seule chose et la désirer sans cesse: obéir à moi seul et accomplir en tout ma volonté. Pour y parvenir, il est nécessaire qu’au moyen de ton imagination et de ton jugement, tu te construises en toi-même une cellule entièrement fermée par les ordres de ma volonté, pour t’y cacher et y habiter sans cesse. Quelque part que tu ailles, n’en sors jamais. Quelque chose que tu regardes, n’en détache jamais les yeux.

36. Que tous les mouvements de ton esprit et de ton corps Soient toujours dirigés vers ma volonté. Ne parle, ne pense et n’agis que pour me plaire et pour accomplir ce qui te semblera être ma volonté; et de cette manière, dans tout ce que tu feras, le Saint Esprit sera ton maître.

37. On peut arriver aussi par une autre voie au renoncement de la volonté propre. Si tu rencontres quelqu’un qui puisse t’instruire et te gouverner selon mon bon plaisir, tu lui assujettiras ta propre volonté. Tu te confieras entièrement à lui pour lui obéir en toutes choses, et suivre continuellement ses conseils. Car celui qui écoute mes serviteurs prudents et fidèles m’écoute moi-même.

38. Ce que je veux aussi, c’est qu’avec une foi ferme et une ardeur infatigable tu médites sur moi, ton Dieu, qui t’ai créée pour jouir de la béatitude. Je suis l’Être éternel, souverain, tout, puissant. Je fais pour vous tout ce qui rue plait. Rien ne peut résister à ma volonté, et rien ne peut vous arriver sans elle; car rien ne se fait sans ma permission. Le prophète Amos l’a dit: « Aucun mal n’arrive à la cité sans moi ou sans ma permission » (Amos. III, 6).

39. Songe que moi ton Dieu, je suis la plénitude de la sagesse, de la science et de l’intelligence, que je vois toutes les choses avec certitude, et que je les pénètre intimement. En te gouvernant, en gouvernant le ciel et la terre et le monde entier, je ne puis jamais être trompé ni égaré par quelque erreur. S’il en était autrement, je ne serais pas Dieu et la Sagesse suprême. Pour que tu comprennes l’efficacité de ma sagesse, apprends que, de la faute et du châtiment, je tire un bien plus grand que le mal même.

40. Considère enfin que je suis un Dieu souverainement bon et que mon amour me fait nécessairement vouloir tout ce qui vous est utile et salutaire. Il ne peut venir de moi aucun mal, aucune haine. C’est par bonté que j’ai créé l’homme, et je l’aime toujours d’une ineffable tendresse.

41. Lorsqu’une foi ferme et inébranlable, une méditation profonde t’auront convaincue de ces vérités, ta connaîtras que les tribulations, les tentations, les difficultés, les maladies et toutes les choses contraires de la vie vous sont toujours envoyées par ma providence pour votre salut. Ce qui vous parait fâcheux doit vous corriger de votre malice et vous conduire à la vertu, par laquelle on acquiert le vrai, le souverain bien que vous ne connaissez pas.
42. La lumière de la foi doit aussi t’apprendre que je sais, je veux et je puis accomplir ton bonheur mieux que toi-même. Tu ne peux rien faire, savoir et vouloir, sans ma grâce. Tu dois donc apporter tous tes soins à soumettre entièrement ta volonté à la volonté divine. En le faisant, ton âme se reposera dans la paix, et tu m’auras toujours avec toi, car j’habite dans la paix.

43. Tu ne souffriras d’aucun scandale, et rien ne pourra te faire tomber. Une paix profonde est le partage de ceux qui aiment mon nom; aucune cause ne les ébranle, parce qu’ils aiment uniquement ma loi, c’est-à-dire ma volonté; et ma loi est ce qui gouverne toutes choses. Ils me sont si intimement unis par elle, ils aiment tant l’observer, que rien au monde ne peut les attrister, excepté le péché, parce qu’il me fait injure.

44. Ils voient avec le regard pur et tranquille de l’âme que moi, le Maître souverain de l’univers, je gouverne tout avec une sagesse, un ordre et une charité infinis. Ils savent, par conséquent, que ce qui leur arrive est bon. Je choisis le meilleur pour eux, et je pourvois plus utilement à leurs besoins qu’ils ne pourraient eux-mêmes le savoir, le vouloir et le pouvoir faire.

45. II en est de même des épreuves qu’ils supportent. Comme ils m’attribuent les évènements, au lieu de les attribuer au prochain, ils sont tellement affermis dans une invincible patience qu’ils souffrent tout, non seulement avec calme, mais encore avec joie et bonheur. Dans tout ce qui leur arrive à l’intérieur et à l’extérieur, ils goûtent la douceur de mon ineffable charité.

46. C’est savoir apprécier ma bonté que de croire et de penser avec reconnaissance, au milieu des difficultés et des tribulations, que je dispose de tout avec douceur, et que tout découle de la source élevée de mon amour. Une seule chose peut corrompre et détruire le bien de cette salutaire pensée et de cette sainte disposition, c’est la volonté propre, l’amour de vous-mêmes. Si vous vous séparez de cette volonté, de cet amour, vous vous séparez de l’enfer des flammes éternelles préparées à l’âme et au corps des maudits: vous vous séparez aussi de l’enfer des agitations de l’esprit et des tempêtes de l’adversité, que les hommes aveugles souffrent sur cette terre.

47. Ainsi, ma fille, situ désires vivre dans ce siècle périssable et trompeur par la grâce, et dans l’éternité bienheureuse par la gloire, il faut mourir en te renonçant toi-même et en déposant ta volonté propre. Car bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, et bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’ils me voient pendant leur pèlerinage par l’union de l’amour, pour me voir ensuite par la gloire, dans les splendeurs de la patrie.