Traité de la Discrétion – Chapitre XLV, XLVI, XLVII, XLVIII

XLV. – Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance.

1.- Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou que ne blessent pas les épines et les ronces que la terre produit à cause du péché. Je t’ai fait voir jusqu’à présent ma bonté et la damnation des méchants qui sont trompés par leurs sens; je te dis maintenant qu’eux seuls sont blessés par les épines du monde.

2.- Quiconque naît à la vie ne peut être exempt de peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des peines corporelles, mais leur âme est toujours libre ils ne souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est unie à la mienne; et c’est par la volonté que l’homme souffre. Ils souffrent au contraire de l’esprit et du corps, ceux qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l’enfer, comme mes serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sais que le bonheur principal des bienheureux est d’avoir leur volonté pleine de ce qu’ils désirent. Ils me désirent; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était une force opposée à l’esprit.

3.- Le corps était un intermédiaire qui les empêchait de connaître la vérité; ils ne pouvaient me voir face à face parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler. Mais dès que l’âme est délivrée du corps, sa volonté est satisfaite; elle désirait me voir, elle me voit, et c’est cette vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me connaît m’aime, et qui m’aime me possède, moi le bien suprême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était le désir de me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me possède; il me possède et il me désire; et, comme je te l’ai dit, ce désir est sans peine et cette possession sans satiété.

4.- Ainsi, tu le vois, la grande cause de la béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître. Cette vision et cette connaissance remplissent la volonté de ce qu’elle désire; elle est donc heureuse. Jouir de la vie éternelle, c’est surtout posséder ce que la volonté désire. Me voir, me connaître et m’aimer, donne la félicité parfaite.

5.- Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-goût de la vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût? Par la vue de ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l’entendement qui est l’œil de l’âme éclairé par moi. La pupille de cet œil est la sainte foi, dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l’âme ne saurait voir: elle est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la partie lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l’âme est la foi. Si l’amour-propre la couvre du voile de l’infidélité, elle ne peut plus voir. Elle possède bien un œil, mais non pas la lumière, dont elle s’est elle-même privée.

6.- Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me voyant me connaissent, en me connaissant m’aiment, en m’aimant s’anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu’ils ont perdu leur volonté, ils revêtent la mienne; et moi, je ne veux que votre sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d’en bas et commencent à gravir le pont; ils ne craignent plus les épines. Leurs pieds ne peuvent pas en être blessés, car ils sont garantis par l’amour de ma volonté. Ils souffrent du corps et non de l’esprit, parce que leur volonté sensitive est morte; et c’est celle qui afflige et tourmente l’âme de la créature. Dès que la volonté n’existe plus, la peine disparaît; ils supportent tout avec reconnaissance et se réjouissent d’être éprouvés pour moi, parce qu’ils ne désirent que ce que je veux.

7.- Je permets que le démon les tourmente et que les tentations éprouvent leur vertu; ils résistent par leur volonté qui est affermie en moi. Ils s’humilient et se reconnaissent indignes de la paix, du repos de l’âme; ils pensent qu’ils méritent la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie et la connaissance d’eux-mêmes, sans éprouver de véritables afflictions. Si l’épreuve leur vient des hommes, de la maladie, de la pauvreté, d’un revers de fortune, de la privation de leurs enfants ou des personnes qui leur sont chères, ils supportent ces épines que le péché a fait naître sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi. Leurs yeux sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne peut vouloir que leur bien; tout ce qui leur arrive, c’est l’amour et non la haine qui le leur envoie.

8.- Dès qu’ils voient que je les aime, ils s’examinent et reconnaissent leurs défauts; ils voient à la lumière de la foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punit. Ils comprennent que la moindre faute mérite une peine infinie, parce qu’elle est faite contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent comme une faveur d’en être punis pendant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient ainsi du péché par la contrition du cœur, et acquièrent des mérites par la perfection de leur patience. Leurs peines sont récompensées par un bien sans mesure; ils savent que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme le temps.

9.- Le temps n’est qu’un point; le temps passe comme un éclair; la souffrance passe avec lui, elle est donc bien petite. Ils la supportent avec patience et marchent sur les épines de la terre sans être blessés; elles n’atteignent pas leur cœur, parce que leur cœur n’est plus à eux; il en a été ôté avec l’amour sensitif pour m’être étroitement uni par les liens de l’amour, Il est donc bien vrai qu’il jouissent de la vie éternelle, qu’ils en ont un avant-goût dès cette vie; ils traversent l’eau sans être mouillés; ils marchent sur les épines sans être blessés, parce qu’ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu’ils le cherchent là où il se trouve, c’est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-aimé.

XLVI. – Des maux qui procèdent de l’aveuglement de l’intelligence. – Le bien qui n’est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.

1.- Je t’ai dit ces choses pour que tu comprennes mieux comment ceux dont je t’ai fait connaître l’erreur ont un avant-goût de l’enfer. Je te dirai maintenant d’où vient leur erreur et comment ils reçoivent cet avant-goût de l’enfer. C’est parce qu’ils ont aveuglé leur intelligence par l’infidélité de leur amour-propre. La vérité s’acquiert par la lumière de la foi et le mensonge par l’infidélité. Je parle de l’infidélité de ceux qui ont reçu le saint baptême, dans lequel la pupille de la foi est donnée à l’œil de l’intelligence.

2.- Lorsque vient l’âge de raison, ceux qui s’exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu’une femme qui donne le jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils m’offrent leurs vertus vivantes, à moi qui suis l’époux de leur âme. Mais au contraire, les malheureux qui, à l’âge de raison, ne profitent pas de la lumière de la foi, n’enfantent pas les vertus de la vie de la grâce, et ne produisent que des œuvres mortes. Elles sont mortes, parce qu’elles sont faites dans la mort du péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont la forme du baptême, mais ils n’en ont plus la lumière, parce qu’ils en sont privés par les ténèbres de la faute que fait commettre l’amour-propre, qui couvre entièrement leur vue.

3.- On dit que ceux-là ont la foi sans les œuvres et que leur foi est morte. De même qu’un mort ne voit pas, de même l’œil de l’intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit pas. L’âme ne se connaît pas et ne connaît pas les péchés qu’elle a commis; elle ne connaît pas ma bonté envers elle en lui donnant l’être et les grâces que j’y ai ajoutées. M’ignorant et s’ignorant elle-même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle l’aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante ainsi les œuvres mortes du péché. Elle ne m’aime pas, et ne m’aimant pas, elle n’aime pas ce que j’aime, c’est-à-dire le prochain, et elle ne se plaît point à faire ce qui peut m’être agréable.

4.- Ce sont les vraies et solides vertus qu’il m’est agréable de voir en vous, et ce n’est pas à cause de moi. De quelle utilité pouvez-vous être polir moi? Je suis Celui qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le péché, qui n’est que néant, puisqu’il prive l’âme de moi, qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent à cause de vous, parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.

5.- Tu vois que leur foi est morte, puisqu’elle est sans les œuvres: les œuvres qu’ils font ne servent point pour la vie éternelle, puisqu’ils n’ont pas la vie de la grâce. Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien, qu’on soit en état de grâce ou qu’on n’y soit pas, parce que le bien est toujours récompensé comme la faute est toujours punie. Le bien qui se fait en état de grâce sert à la vie éternelle; le bien qui se fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie éternelle, mais il est récompensé de différentes manières, comme je te l’ai expliqué.

6.- Je le récompense quelquefois en accordant le temps nécessaire pour se reconnaître; quelquefois en mettant au cœur, de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les coupables du mal et les sauvent de leur misère. D’autres fois je ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les récompense par l’abondance des choses temporelles. Ils sont comme les animaux qu’on engraisse pour les mener à la boucherie, et cela arrive à ceux qui résistent de toute manière à ma bonté, et qui font cependant quelque bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n’ont pas voulu profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu’on faisait pour eux, et de tous les moyens que j’employais pour les attirer. Je les repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser ce qu’ils peuvent avoir fait d’utile; je leur accorde des biens temporels qui les engraissent, et, s’ils ne se convertissent pas, ils vont ainsi au supplice de l’enfer.

7.- Tu vois quelle est leur erreur; mais, s’ils y tombent, n’est-ce pas leur faute? Ils se sont privés de la lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles, s’attachant à tout, ce qu’ils touchent. Parce que leur vue est obscurcie, ils ne placent leur affection que dans des choses transitoires; ils se trompent comme ces fous que séduit l’or, sans prendre garde au poison qu’il cache. Toutes les choses du monde, ses joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans moi, avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais dans les commencements, après la figure de l’arbre: ils portaient de l’or devant eux et du poison par-derrière; il n’y avait pas de poison sans or ni d’or sans poison; mais c’était l’or qu’on voyait le premier, et personne n’évitait le poison, à moins d’être éclairé par la lumière de la foi.

XLVII.- On ne peut observer les commandements, si on n’observe pas aussi les conseils.

1.- Je t’ai dit que ceux qui sont éclairés par la lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l’amour de la vertu; ceux qu’éclaire seulement la lumière de la raison acquièrent et possèdent l’or des choses terrestres qu’ils veulent conserver; mais ceux qui veulent atteindre la perfection méprisent ces biens réellement et spirituellement, ils observent les conseils de ma Vérité.

2.- Les autres possèdent et observent les commandements et ne suivent les conseils que spirituellement; mais comme les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut observer les commandements sans observer les conseils, non pas réellement, mais spirituellement. En possédant les richesses du monde, on doit les posséder avec humilité, et non pas avec orgueil; on doit les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne vous les donne que pour votre usage. Vous ne les avez qu’autant que je vous les donne; vous ne les conservez qu’autant que je vous les laisse, et je ne vous les laisse qu’autant que je vois qu’elles servent à votre salut. C’est ainsi que vous devez en user.

3.- Si l’homme en use de la sorte, il observe les commandements, puisqu’il m’aime par-dessus toutes choses et qu’il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec un cœur libre, il ne s’attache pas aux richesses par le désir, il ne les aime pas et ne les tient que de ma volonté; et, s’il les possède matériellement, il n’en observe pas moins le conseil dans son cœur, parce qu’il s’est purifié du poison de l’amour déréglé.

4.- Ceux qui agissent ainsi sont dans la charité commune, mais ceux qui observent les commandements et les conseils spirituellement et réellement sont dans la charité parfaite; ils observent dans toute sa simplicité le conseil que ma Vérité, le Verbe incarné, donnait, à ce jeune homme qui lui demandait: Maître, que puis-je faire pour avoir la vie éternelle? Mon Fils lui dit: Observez les commandements de la loi. Le jeune homme répondit: Je les observe; et mon Fils lui dit: C’est bien. Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (S. Matthieu, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme devint triste, parce que les richesses qu’il avait, il les possédait encore avec trop d’amour: c’est ce qui causait sa peine. Mais les parfaits suivent le conseil; ils abandonnent le monde et ses délices; ils affligent leur corps par la pénitence, par les veilles, par d’humbles et continuelles prières.

5.- Ceux qui restent dans la charité commune ne perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement des richesses, parce qu’ils n’y sont pas obligés; mais, s’ils veulent garder les choses du monde, ils doivent le faire comme je te l’ai enseigné. En les possédant, ils ne pèchent pas; car toutes ces choses sont bonnes, excellentes, parfaites et créées par moi, qui suis la bonté souveraine, elles sont faites pour servir à mes créatures raisonnables, mais non pas pour que mes créatures deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux qui veulent les garder renoncent à la perfection; ils doivent s’en servir, non pas comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs doivent être pour moi; il faut aimer et posséder le reste comme des choses qui leur sont prêtés et qui ne leur appartiennent pas.

6.- Je ne tiens aucun compte des personnes et des positions, je ne m’arrête qu’aux saints désirs. Dans tout état que l’homme choisit, qu’il ait une volonté bonne et sainte, et il me sera agréable. Qui pourra réussir? Ceux qui détruiront le venin de l’amour-propre par la haine des sens et l’amour de la vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin et réglée par l’amour et la sainte crainte de Dieu, l’homme peut choisir l’état qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.

7.- Quoique la plus grande perfection, celle qui m’est le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et matériellement de toutes les choses du monde, celui qui ne se sent pas capable d’atteindre cette perfection à cause de sa fragilité, peut rester dans la charité commune selon son état. Ma bonté l’a décidé, afin que personne ne puisse excuser son péché dans aucune condition. Y a-t-il en effet une excuse possible, puisque j’accorde aux passions et à la faiblesse de l’homme de pouvoir rester dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre dans le mariage et travailler à établir ses enfants? L’homme peut choisir l’état qu’il veut, pourvu qu’il se purifie du venin de la sensualité, qui donne la mort éternelle.

8.- La sensualité tue l’âme comme un poison qui tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui empoisonne par ses jouissances. Ce ne sont pas les choses temporelles qui tuent par elles-mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis la bonté suprême; on peut en user avec amour et crainte: le poison vient de la volonté perverse de l’homme. Il empoisonne l’âme et lui donne la mort, si elle ne le rejette par une sainte confession qui délivre le cœur. La confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît amer à la sensualité.

9.- Tu vois donc combien sont dans l’erreur ceux qui pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie, la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l’apparence du bien, et ils s’attachent à l’or avec un amour déréglé parce qu’ils sont aveuglés par de nombreuses infidélités, ils, ne reconnaissent pas le poison; ils voient qu’ils sont empoisonnés, et ne prennent pas de remède; ils portent la croix du démon et ils ont un avant-goût de l’enfer.

XLVIII.- Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. – Du supplice que leur cause leur volonté perverse.

1.- Je t’ai dit que de la volonté venaient les peines de l’homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de leur volonté et revêtus de la mienne, ils n’éprouvent aucune affliction; ils sont toujours satisfaits, parce qu’ils sentent que je suis dans leur âme par la grâce. Ceux qui ne m’ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même qu’ils possèderaient le monde tout entier, car les choses créées sont moindres que l’homme, puisqu’elles sont faites pour l’homme, et non l’homme pour elles. L’homme ne peut s’en contenter; moi seul je puis le satisfaire; et pourtant ces malheureux sont si aveugles qu’ils se fatiguent inutilement à poursuivre ce qu’ils ne peuvent avoir, parce qu’ils ne s’adressent point à moi qui pourrais tout leur donner.

2.- Veux-tu connaître leur tourment? Tu sais que l’amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s’est identifié. Ceux qui s’identifient à la terre par l’amour deviennent semblables à la terre: les autres s’identifient à leurs richesses, à leurs honneurs, à leurs enfants; les autres me perdent pour se donner aux créatures, d’autres font de leur corps un animal immonde; tous ainsi désirent la terre et s’en repaissent. Ils voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le sont pas; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu’ils aiment, ou ma volonté les en prive.

3.- Cette privation est pour eux une peine intolérable; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été déréglé. S’ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées et qui ne leur appartenaient pas, ils les auraient quittées sans regret. Ils les regrettent, parce qu’ils n’ont plus ce qu’ils désirent; car le monde, je te l’ai dit, ne peut les rassasier, et ils souffrent de ne pas l’être.

4.- Quel supplice cause les remords de la conscience! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance I Il se dévore lui-même et tue son âme avant de tuer soit ennemi, il se suicide avec le poignard de la haine. Que ne souffre pas l’avare qui par avarice se réduit à l’extrémité? Et l’envieux dont le cœur se ronge à la vue du bonheur d’autrui? Toutes les choses qu’on aime d’un amour déréglé engendrent des peines et des frayeurs sans nombre. Ces infortunés portent la croix du démon et ont un avant-goût de l’enfer; cette vie est pour eux pleine d’infirmités et de malheurs, et, s’ils ne se convertissent, ils n’ont à attendre que la mort éternelle.

5.- Ce sont ceux-là qui sont blessés par les épines de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur volonté déréglée. Ils souffrent à l’intérieur et à l’extérieur; leur âme et leur corps endurent des peines sans aucun mérite, parce qu’ils les reçoivent sans patience et avec colère. Ils possèdent l’or des délices du monde avec un amour déréglé; ils sont privés de la vie de la grâce et de l’ardeur rie la charité. Ils deviennent des arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils s’en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du démon, et reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur erreur, avec quelle peine ils arrivent à l’enfer et se font les martyrs du démon; ce qui les aveugle, c’est le nuage de l’amour-propre qui intercepte la lumière de la foi.

6.- Les tribulations du monde qui entourent de toute part mes serviteurs ne les atteignent qu’extérieurement. Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu’ils sont unis à ma volonté et qu’ils sont contents de souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au contraire sont frappés au-dedans et au-dehors; ils sont surtout tourmentés intérieurement par la crainte de perdre ce qu’ils possèdent, et par l’amour de ce qu’ils ne peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que pêcheur; tu connais maintenant la route et la fin des uns et des autres.