Traité de la prière II – Chapitre CXI, CXII, CXIII

CXI. -Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement, mais non pas ceux de l’âme, qui le voit, le goûte et le touche.- Belle vision de sainte Catherine.

1. O ma fille bien-aimée! ouvre l’œil de ton intelligence et contemple l’abîme de ma charité. Le cœur de toute créature raisonnable ne devrait-il pas se briser d amour en voyant au milieu des bienfaits que vous recevez de moi le bienfait que vous recevez dans ce divin sacrement? Avec quels sens, ma chère fille, devez-vous voir et toucher cet ineffable mystère? Ce n’est pas seulement avec les sens du corps, car ils sont tous trompés. Tu sais que, l’œil ne voit que la blancheur du pain, la main ne touche et le goût ne goûte que les apparences du pain; les sens grossiers sont trompés, mais les sens de l’âme ne peuvent être trompés, si elle le veut, c’est-à-dire si elle ne veut pas se priver de la lumière de la sainte foi par l’infidélité.

2. Qui peut donc goûter, voir et toucher ce sacrement? Les sens de l’âme. Avec quel œil voit-elle? Avec l’œil de l’intelligence: si cet œil a la prunelle de la sainte foi, cet œil voit dans cette blancheur l’Homme-Dieu tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l’âme et le sang du Christ, l’âme unie au corps, le corps et l’âme unis en ma nature divine, et ne se séparant pas de moi. Je t’ai montré ces choses, presque au commencement de ta vie, non pas seulement aux regards de ton intelligence, mais aussi aux yeux de ton corps, qui furent aveuglés par l’éclat de la lumière et en laissèrent la contemplation à l’intelligence. Je t’ai fait voir ces choses pour te fortifier contre les attaques du démon sur ce sacrement, et pour te faire croître en amour dans la lumière de la très sainte foi.

3. Tu sais qu’en allant à l’église, dès l’aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée par le démon, tu allas te placer en face de l’autel du Crucifix. Le prêtre était à l’autel de Marie, et toi, tu restais à examiner ton indignité; tu craignais de m’avoir offensé par le trouble que le démon t’avait causé, et tu considérais la grandeur de ma charité qui avait bien voulu te faire en tendue la messe, tandis que tu pensais ne pas mériter même d’entrer dans mon saint temple. Lorsque le prêtre fut arrivé à la Consécration, tu levas les yeux sur lui, et pendant qu’il prononçait les paroles de la Consécration, je me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein, une lumière semblable au rayon du soleil qui sort de son disque sans cependant le quitter, et dans cette lumière venait une colombe unie avec elle, et elle frappait sur l’Hostie et le calice par la vertu des paroles de la Consécration que le prêtre prononçait.

4. Alors l’œil de ton corps ne fut plus capable de supporter cette lumière; il ne te resta pour en jouir que l’œil de ton intelligence, et tu pus voir et goûter l’abîme de la Trinité, l’Homme-Dieu tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que la présence lumineuse du Verbe, que ton intelligence voyait dans cette blancheur, ne détruisait pas la blancheur du pain. L’une n’empêchait pas l’autre; la vue de l’Homme-Dieu n’empêchait pas la forme de ce pain, c’est-à-dire qu’elle n’en détruisait pas la blancheur, le goût et le contact. Cela te fut montré par ma bonté.

5. Comment as-tu joui de cette vision? Par l’œil de ton intelligence, avec la prunelle de la sainte foi. L’œil de l’intelligence doit donc être le principal moyen de voir, parce qu’il ne peut être trompé. C’est ainsi que vous devez regarder ce sacrement. Et comment devez-vous le toucher? Avec la main de l’amour. C’est cette main qui touche ce que l’intelligence a vu et connu dans le sacrement; l’âme touche avec la main de l’amour, comme pour s’assurer de ce qu’elle voit par la foi et connaît par l’intelligence. Et comment le goûte-t-elle? Avec le goût du saint désir. Le goût du corps goûte la saveur du pain, et le goût de l’âme, c’est-à-dire son saint désir, goûte l’Homme-Dieu.

6. Ainsi tu vois que les sens du corps sont trompés, mais non ceux de l’âme; l’âme au contraire est éclairée et affermie, parce que l’œil de l’intelligence a vu avec la prunelle de la foi; et parés qu’elle voit et connaît, elle touche avec la main de l’amour, elle goûte avec un ardent désir l’ardeur de mon amour ineffable. C’est cet amour qui l’a rendue digne de recevoir un si grand mystère, et la grâce que lui donne le sacrement. Tu vois que non seulement vous devez recevoir et voir Ce sacrement avec les sens du corps, mais avec les sens spirituels, en disposant toutes les puissances de l’âme à le contempler, à le recevoir, à le goûter avec amour.

CXII.- De l’excellence que l’âme acquiert en recevant ce sacrement en état de grâce.

1. Regarde, ma fille bien-aimée, quelle excellence requiert l’âme qui reçoit comme elle doit le recevoir ce pain de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement, elle est en moi et moi en elle; comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, moi je suis dans l’âme et l’âme est en moi, l’Océan de la paix. Et dans cette âme réside la grâce: elle a reçu le Pain de vie en état de grâce, et la grâce demeure, quand l’accident du pain est consommé.

2. Je lui laisse l’empreinte de la grâce, comme fait le sceau qu’on pose sur la cire chaude: lorsqu’on retire le sceau, l’empreinte du sceau reste; de même la vertu de ce sacrement reste dans l’âme; elle conserve la chaleur de ma divine charité, la clémence du Saint Esprit; elle garde la lumière de la sagesse de mon Fils. L’œil de l’intelligence est éclairé de la sagesse du Verbe, pour qu’elle connaisse et contemple la doctrine de ma Vérité; et cette sagesse qui reste avec force, la fait participer à ma force toute puissante qui fortifie l’âme contre sa propre passion sensitive, contre les démons et contre le monde.

3. Ainsi tu le vois, l’empreinte reste quand le sceau est levé, c’est-à-dire quand les accidents de la sainte Hostie sont consommés et que le Soleil retourne à son disque, dont il n’a jamais été cependant séparé, comme je te l’ai dit; car il est toujours uni avec moi. L’excès de mon amour a voulu vous donner cette nourriture en cette vie, où vous êtes exilés et voyageurs, pour que vous ayez un soulagement et que vous ne perdiez pas la mémoire du bénéfice du sang. Ma divine providence a voulu subvenir à vos besoins, en vous nourrissant de ma douce Vérité. Juge maintenant combien vous êtes obligés de me payer d’amour, moi qui vous aime tant, moi l’éternelle, la souveraine Bonté, si digne d’être aimée!

CXIII.- La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité de ceux qui en sont les ministres.- Dieu leur demande une plus grande pureté qu’aux autres créatures.

1. Je t’ai dit toutes ces choses, ma fille bien-aimée, pour te faire mieux comprendre la dignité de mes ministres et te faire pleurer plus amèrement sur leurs misères. S’ils considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne resteraient pas dans les ténèbres du péché mortel et ne souilleraient pas ainsi leur âme. Non seulement ils ne m’offenseraient pas et ne profaneraient pas leur dignité, mais, en livrant même leur corps aux flammes, il leur semblerait ne pas reconnaître assez le bienfait qu’ils ont reçu; car dans cette vie présente, il leur est impossible d’attendre une plus haute dignité.

2. Je les ai sacrés et je les ai appelés mes Christs, parce que je les ai chargés de me donner à vous. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte Église. L’ange n’a pas cette dignité, et je l’ai donnée aux hommes que j’ai choisis pour mes ministres, Je les ai établis comme des anges, et ils doivent être des anges terrestres en cette vie. Je demande à toute âme la pureté et la charité; je veux qu’elle m’aime et qu’elle aime le prochain, l’aidant comme elle peut, l’assistant de ses prières, et vivant en union avec lui, comme je te l’ai dit en traitant ce sujet. Mais j’exige bien davantage la pureté dans mes ministres; je leur demande un plus grand amour envers moi et envers le prochain, auquel ils doivent administrer le corps et le sang de mon Fils, avec l’ardeur de la charité et la faim du salut des âmes, pour la gloire et la louange de mon nom.

3. Comme les prêtres veulent la pureté du calice où se fait le sacrifice, moi je veux la pureté et la netteté de leur cœur, de leur âme, de leur esprit. Et, parce que le corps est l’instrument de l’âme, je veux aussi qu’ils le conservent dans une pureté parfaite, et qu’ils ne le souillent pas dans une fange immonde; qu’ils ne soient pas enflés d’orgueil ni d’ambition pour les hautes dignités; qu’ils ne soient pas, cruels envers eux et envers le prochain; car ils ne peuvent être cruels envers eux sans l’être pour le prochain. S’ils sont cruels à eux-mêmes par le péché, ils sont cruels aux âmes de leur prochain, parce qu’ils ne donnent pas l’exemple d’une sainte vie et ne travaillent pas à tirer les âmes des mains du démon et à distribuer le corps et le sang de mon Fils unique, et moi la vraie Lumière, dans les sacrements de l’Église. Si donc ils sont cruels à eux mêmes, ils le sont aux autres.