Traité de la prière II – Chapitre CXIV, CXV, CXVI

CXIV.- Les sacrements ne doivent pas se vendre ni s’acheter.- Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir aux prêtres les choses temporelles, dont les prêtres doivent faire trois parts.

1. Je veux que mes ministres soient généreux et non pas avares, c’est-à-dire qu’ils ne vendent pas par cupidité et par avarice la grâce du Saint Esprit, Ils ne doivent pas le faire, et je ne veux pas qu’ils agissent ainsi. Ce qu’ils reçoivent de moi par charité et par bonté, ils doivent le donner de même généreusement par amour pour mon honneur et pour le salut du prochain; ils doivent le communiquer charitablement à toute créature qui le demande humblement. Ils ne doivent le vendre d’aucune manière, puisqu’ils ne l’ont pas acheté, mais qu’ils l’ont reçu gratuitement de moi pour qu’ils en soient les ministres. Ils peuvent recevoir l’aumône, et celui qui participe aux sacrements est obligé de subvenir selon ses, moyens, aux besoins de celui qui les lui donne.

2. Il est juste que vous fournissiez les choses temporelles à ceux qui vous nourrissent de la grâce et des biens spirituels, c’est-à-dire des sacrements que j’ai établis dans la sainte Église pour qu’ils vous procurent le salut. Et je vous dis en vérité qu’ils vous donnent incomparablement plus que vous ne leur donnez; car on ne peut comparer les, choses finies et transitoires dont vous les assistez, à moi, l’Infini, que ma providence et ma charité les chargent de vous communiquer. Non seulement leur ministère, mais encore les moindres, grâces spirituelles qu’une créature quelconque vous obtiendra par ses prières ou par d’autres moyens, ne pourront jamais être reconnues par toutes vos richesses temporelles, car elles n’ont aucune valeur si on les compare à celles que reçoivent vos âmes.

3. Maintenant, je te dirai que mes ministres doivent faire trois parts des biens qu’ils reçoivent de vous. Ils vivront de la première; ils assisteront les pauvres avec la seconde, et consacreront la troisième à l’Église et à ses besoins. S’ils agissent autrement, ils m’offenseront.

CXV.- De la dignité du sacerdoce.- La vertu des sacrements ne diminue pas par les fautes de ceux qui les administrent, ou qui les reçoivent.

1. Ainsi faisaient mes doux et glorieux ministres dont je te disais que je voulais te faire voir les mérites avec la dignité que je leur ai donnée en les faisant mes Christs, car en exerçant saintement cette dignité, ils sont revêtus de ce doux et glorieux Soleil que je leur ai donné à communiquer. Regarde Grégoire, Sylvestre et tous les papes qui, avant et après eux, ont succédé à Pierre, au premier Souverain Pontife qui reçut la clef du royaume des cieux, lorsque ma Vérité incarnée lui dit: « Je te donnerai les clefs du royaume du ciel, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel » (S. Mt., XVI, 19).

2. Considère, ma fille bien-aimée, qu’en te montrant la beauté de leur vertu, je te ferai mieux comprendre la dignité à laquelle j’ai élevé mes ministres. Cette clef est celle du sang de mon Fils unique, qui vous ouvre la vie éternelle, depuis longtemps fermés par le péché d’Adam, C’est pour cela que je vous ai donné ma Vérité, le Verbe mon Fils, qui, en souffrant et en mourant, a détruit votre mort et vous a fait un bain de son sang. Ce sang et cette mort, par la vertu de la nature divine unie à la nature humaine, a ouvert au genre humain la vie éternelle.

3. A qui ai-je laissé les clefs de ce sang? Au glorieux apôtre Pierre et à tous ceux qui sont venus et qui viendront après lui jusqu’au jour du jugement. Tous ont eu et auront la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes ne diminuera cette autorité et n’affaiblira la perfection du sang dans les sacrements; car comme je te l’ai dit, ce Soleil n’est souillé par aucune impureté, et il ne perd pas sa lumière par les ténèbres du péché mortel qui se trouvent dans celui qui le distribue ou qui le reçoit. La faute d’un homme ne peut jamais nuire aux sacrements de l’Église ni diminuer leur vertu, elle diminue seulement la grâce, et la culpabilité augmente dans ceux qui les administrent ou les reçoivent indignement.

4. Ainsi le Pape, mon Christ sur terre, tient les clefs du sang comme je te l’ai montré en figure lorsque je voulus te faire comprendre quel respect les séculiers devaient avoir pour mes ministres, bons ou mauvais, et combien ils m’offensaient en ne les respectant pas. Tu sais que je t’ai montré le corps mystique de la sainte Église sous la figure d’un cellier qui renfermait le sang de mon Fils unique, et c’est par ce sang que tous les sacrements ont leur vertu et contiennent la vie.

5. A la porte de ce cellier est mon Christ sur terre; il est chargé de distribuer le sang et de désigner ceux qui aideront son ministère dans toute l’étendue de la chrétienté. A lui seul appartient l’onction qui donne le pouvoir; nul ne peut le faire que lui; c’est de lui que sort tout le clergé, et il donne à chacun ses fonctions dans la distribution de ce précieux sang.

6. Comme il les a choisis pour ses auxiliaires, il a le droit de les corriger de leurs fautes, et je veux qu’il en soit ainsi. A cause de la dignité et de l’autorité dont ils sont revêtus, je les ai affranchis du pouvoir et de la servitude des princes de la terre. La loi civile n’a pas à les punir de leurs infidélités, ils ne relèvent que de leur supérieur dans la loi divine. Je les ai sacrés, et il est dit dans l’Écriture: « Ne touchez pas à mes Christs » (Ps. CIV,15).
Aussi, le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme, c’est de se faire leur juge et leur bourreau.

CXVI.- Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions faites contre l’Église et ses ministres.

1. Si tu me demandes pourquoi la faute de ceux qui persécutent l’Église est plus grande que toutes les autres fautes, et pourquoi je ne veux pas que les défauts des ministres affaiblissent le respect qu’on leur doit, je te répondrai que le respect qu’on leur doit ne s’adresse pas à eux mais à moi, à cause de lit vertu du sang que je les ai chargés d’administrer. Sans cela, vous ne leur devriez pas plus de respect qu’aux autres hommes; mais leur ministère vous oblige à un plus grand respect, car il faut que vous vous adressiez à eux, non pas pour eux, mais à cause de la vertu que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les sacrements de la sainte Église; et si pouvant les recevoir vous ne le vouliez pas, vous seriez et vous mourriez en état de damnation.

2. Votre respect s’adresse donc à moi et au glorieux sang de mou Fils, qui est une même chose avec moi par l’union de la nature divine à la nature humaine. Comme ce n’est pas à eux, mais à moi que s’adresse ce respect, c’est à moi aussi que le manque de respect s’adresse. Je te l’ai déjà dit, vous ne leur devez pas le respect pour eux, mais pour l’autorité que je leur ai donnée; et en les offensant, c’est moi et non pas eux qu’on offense je l’ai formellement défendu en disant: Je ne veux pas qu’on touche à mes Christs.

3. Personne ne peut s’excuser en disant: Je ne fais pas injure à l’Église et je ne me révolte pas contre elle, mais contre les défauts des mauvais pasteurs. Celui qui parle ainsi se ment à lui-même et s’aveugle par amour-propre; il voit la vérité, mais il veut paraître ne pas la voir, pour cacher les remords de sa conscience. Il voit bien qu’il persécute le Verbe, mon Fils, et non pas de simples hommes; l’injure s’adresse à moi comme le respect. Je reçois tous les torts, les mépris, les affronts, les reproches, les opprobres dont ils sont l’objet; car je regarde comme fait à moi-même tout ce qu’on leur fait.

4. Je le répète, je ne veux pas qu’on touche à mes Christs; c’est moi seul qui dois les punir. Les méchants montrent le peu de respect qu’ils ont pour le sang de mon Fils, et combien ils font peu de cas du trésor que je leur ai donné pour le salut et la vie de leurs âmes: pouvez-vous recevoir plus qu’un Homme-Dieu pour nourriture? Parce que je ne suis pas honoré par mes ministres, ils m’honorent moins encore en les persécutant à cause de leurs défauts et de leurs péchés. S’ils les respectaient véritablement, à cause de moi, ils ne cesseraient pas de le faire, à cause de leurs défauts, car aucun de leurs défauts ne diminue la vertu du sang de mon Fils et ne doit par conséquent diminuer le respect: quand ce respect diminue, on m’offense.

5. Cette offense est plus grave que toutes les autres, pour beaucoup de raisons, dont voici les trois principales. Premièrement, ce qu’on leur fait est fait à moi-même. Secondement, on viole mon commandement, puisque j’ai défendu de les toucher: on méprise ainsi la vertu du sang reçu dans le saint baptême; car on désobéit en faisant ce qui est défendu et en se révoltant contre ce sang qu’on ne respecte plus et qu’on persécute. Ceux qui agissent ainsi sont des membres corrompus, séparés du corps mystique de la sainte Église; et s’ils persistent dans leur révolte, s’ils demeurent dans leur mépris, ils tombent dans la damnation éternelle. Si dans leurs derniers instants ils s’humilient et reconnaissent leur faute, s’ils veulent se réconcilier avec leurs chefs sans le pouvoir, je leur ferai miséricorde mais ils ne doivent pas attendre ce dernier instant, parce qu’ils ne sont pas sûrs de l’avoir.

6. La troisième raison qui rend leur faute plus grave que les autres, est que leur péché se commet avec malice et préméditation. Ils savent qu’ils ne peuvent agir ainsi en conscience, et ils m’offensent par un coupable orgueil, sans aucune jouissance corporelle. Ils perdent ainsi leur âme et leur corps. L’âme se meurt par la privation de la grâce, et souvent le ver de la conscience la dévore. Leurs biens temporels se consument au service du démon, et leur corps périt ensuite comme celui des animaux.

7. Ce péché est commis directement contre moi, sans utilité et sans jouissance, mais par malice et par orgueil, Cet orgueil a sa racine dans l’amour-propre sensitif et dans cette crainte coupable qu’eut Pilate, lorsque, par peur de perdre son pouvoir, il fit mourir le Christ, mon Fils unique. Ainsi font ceux qui ne respectent pas mes ministres. Beaucoup de péchés sont commis par faiblesse ou par ignorance et faute de lumière, ou par malice lorsqu’on connaît le mal qu’on fait, et que pour un plaisir déréglé ou pour un avantage qu’on croit y trouver, on m’offense.

8. Cette offense est commise contre moi, contre le prochain et contre l’âme. Contre moi, parce qu’on ne rend pas honneur et gloire à mon nom; contre le prochain, parce qu’on n’accomplit pas envers lui la charité. Cet acte ne m’atteint pas, quoiqu’il se fasse contre moi; mais l’homme se blesse, et cette offense me déplaît à cause du mal qu’il lui cause.

9. Cette offense s’adresse à moi directement. Les autres péchés ont quelque prétexte, quelque apparence de raison, quelque intermédiaire; car je t’ai dit que tout péché et toute vertu s’accomplissaient par le moyen du prochain. Le péché se fait par le manque de charité envers moi et envers le prochain, tandis que la vertu vit de la charité. En offensant le prochain, on m’offense en lui. Mais entre toutes mes créatures raisonnables j’ai choisi mes ministres, et je les ai consacrés pour dispenser le corps et le sang de mon Fils unique, c’est-à-dire la nature divine unie à votre humanité. Aussi, dès qu’ils célèbrent, ils représentent la personne du Christ, mon Fils.

10. Tu vois donc que cette offense est faite au Verbe, et dès qu’elle est faite à lui, elle est faite à moi, car nous sommes une même chose: les malheureux persécutent le précieux Sang et se privent du trésor qu’ils pourraient en tirer. C’est pour cela que cette offense faite à moi, et non à mes ministres, m’est plus odieuse que les autres péchés; car l’honneur ou la persécution s’adresse véritablement à moi, c’est-à-dire au glorieux sang de mon Fils, qui est un avec moi. Aussi je te dis que si tous les autres péchés étaient d’un côté et celui-là de l’autre, ce serait ce péché qui pèserait davantage.

11. Je t’ai manifesté ces choses pour que tu aies plus sujet de pleurer l’injure qui m’est faite, et la perte de ces malheureux. Tes larmes amères et celles de mes serviteurs peuvent obtenir que ma miséricordieuse bonté dissipe les ténèbres où sont plongés ces membres corrompus, séparés du corps mystique de le sainte Église. Mais je ne trouve pour ainsi dire personne qui gémisse sur cet outrage qu’on fait au glorieux et précieux sang de mon Fils, tandis que j’en trouve beaucoup qui m’attaquent sans cesse avec les traits de l’amour déréglé, de la crainte servile et de la présomption. Ils sont si aveugles, qu’ils se glorifient de ce qui est mal, et rougissent de ce qui est bien, comme serait de s’humilier devant leur chef. Ce sont ces défauts qui les ont portés à persécuter le sang de mon Fils (Cette dernière phrase n’est pas dans le latin, qui diffère de ponctuation avec l’italien pendant tout ce chapitre.).