Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 1, 2, 3

Abbé François-Xavier Schouppe,s.j. (1823-1904) 
Le Dogme du Purgatoire illustré par des Faits et des Révélations Particulières

Chapitre préliminaire

But de l’ouvrage. – A quelle classe de lecteurs il s’adresse. – Ce qu’on est obligé de croire, ce qu’on peut croire pieusement, et ce qu’on est libre de ne pas admettre. – Visions et apparitions. – Crédulité aveugle et incrédulité outrée.

Le dogme du purgatoire est trop oublié de la plupart des fidèles; l’Église souffrante, où ils ont tant de frères à secourir, où ils doivent prévoir qu’ils passeront bientôt eux-mêmes, semble leur être étrangère.

Cet oubli, vraiment déplorable, faisait gémir saint François de Sales. « Hélas! » disait ce pieux docteur de l’Église, « nous ne nous souvenons pas assez de nos chers trépassés: leur mémoire semble périr avec le son des cloches. »

La cause principale en est dans l’ignorance et le manque de foi: nous avons au sujet du purgatoire des notions trop vagues, une foi trop faible.

Il nous faut donc considérer de plus près cette vie d’outre-tombe, cet état intermédiaire des âmes justes, non dignes encore d’entrer dans la Jérusalem céleste, afin de nous faire des notions plus distinctes et de raviver notre foi.

C’est le but de cet ouvrage: on s’y propose, non de prouver l’existence du purgatoire à des esprits sceptiques; mais de le faire mieux connaître aux pieux fidèles, qui croient d’une foi divine ce dogme révélé de Dieu. C’est à eux proprement que ce livre s’adresse, pour leur donner du purgatoire une idée moins confuse, je dirais volontiers une idée plus actuelle qu’on n’en a communément, en répandant sur cette grande vérité de la foi le plus de jour possible.

À cet effet nous possédons trois sources de lumière bien distinctes. Premièrement, la doctrine dogmatique de l’Église; ensuite la doctrine explicative des docteurs de l’Église; en troisième lieu, les révélations des Saints et les apparitions, qui viennent confirmer l’enseignement des docteurs.

  1. La doctrine dogmatique de l’Église au sujet du purgatoire, comprend deux articles que nous indiquerons plus bas au chapitre 3. Ces deux articles sont de foi, et doivent être crus par tout catholique.
  2. La doctrine des docteurs et théologiens, ou, si l’on veut, leurs sentiments et explications sur plusieurs questions relatives au purgatoire (voir aussi plus bas, chapitre 3 et suivants), ne s’imposent pas comme des articles de foi; on peut ne pas les admettre sans cesser d’être catholique. Toutefois il serait imprudent, téméraire même de s’en écarter; et c’est l’esprit de l’Église de suivre les opinions les plus communément enseignées par les docteurs.
  3. Les révélations des saints, appelées aussi révélations particulières, n’appartiennent pas au dépôt de la foi, confié par Jésus-Christ à son Église; ce sont des faits historiques basés sur le témoignage humain. Il est permis de les croire et la piété y trouve un aliment salutaire. On peut aussi ne pas les croire sans pécher contre la foi; mais s’ils sont constatés, on ne les peut rejeter sans offenser la raison: parce que la saine raison commande à tout homme de donner son assentiment à la vérité, quand elle est suffisamment démontrée.

Pour éclaircir davantage cette matière, expliquons d’abord la nature des révélations dont nous parlons.

Les révélations particulières sont de deux sortes: les unes consistent dans des visions, les autres dans des apparitions. On les appelle particulières, parce que, à la différence de celles qui se trouvent dans la sainte Écriture, elles ne font point partie de la doctrine révélée pour tous les hommes, et que l’Église ne les propose pas à croire comme des dogmes de foi.

Les visions proprement dites sont des lumières subjectives, que Dieu répand dans l’intelligence d’une créature pour lui découvrir ses mystères. Telles sont les visions des prophètes, celles de saint Paul, celles de sainte Brigitte et de beaucoup d’autres saints. Les visions ont lieu d’ordinaire dans l’état d’extase: elles consistent dans certains spectacles mystérieux, qui se présentent aux yeux de l’âme, et qui ne doivent pas se prendre toujours à la lettre. Souvent ce sont des figures, des images symboliques, qui représentent d’une manière proportionnée à notre intelligence des choses purement spirituelles, dont le langage ordinaire ne saurait donner une idée.

Les apparitions sont, au moins souvent, des phénomènes objectifs, qui ont un objet réel, extérieur. Telle fut l’apparition de Moïse et d’Élie sur le Thabor, celle de Samuël évoqué par la Pythonisse d’Endor, celle de l’ange Raphaël à Tobie, celle de beaucoup d’autres anges; enfin telles sont les apparitions des âmes du purgatoire.

Que les esprits des morts apparaissent quelquefois aux vivants, c’est un fait qu’on ne saurait nier. L’Évangile ne le suppose-t-il pas clairement ? Quand Jésus ressuscité apparut la première fois à ses disciples réunis, ceux-ci crurent voir un esprit. Le Sauveur, loin de dire que les esprits n’apparaissent pas, leur parle ainsi: Pourquoi êtes-vous troublés, et pourquoi ces pensées s’élèvent-elles dans vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds, c’est moi-même; touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’ai. Luc. XXIV, 37 suivants

Les apparitions des âmes qui sont au purgatoire, ont lieu fréquemment. On les trouve en grand nombre dans les Vies des saints, elles arrivent même parfois aux fidèles ordinaires. Nous avons recueilli et nous présentons au lecteur ceux de ces faits qui paraissent les plus propres à l’instruire ou à l’édifier.

Mais, nous demandera-t-on, tous ces faits sont-ils historiquement certains ? -Nous avons choisi les plus avérés (1). Si quelque lecteur en trouve dans le nombre qui lui semblent ne pouvoir soutenir la rigueur de la critique, il peut ne pas les admettre.

Toutefois, pour ne pas donner dans une sévérité excessive et voisine de l’incrédulité, il est bon de remarquer que, parlant en général, les apparitions des âmes ont lieu, et ne sauraient être révoquées en doute, qu’elles arrivent même fréquemment.

(1) C’est dans les vies des Saints, honorés comme tels par l’Église, et d’autres illustres serviteurs de Dieu, que nous avons recueilli la plupart des faits que nous citons. Le lecteur qui voudra contrôler ces faits et les estimer à leur juste valeur, pourra sans peine recourir aux premières sources à l’aide de nos indications. Si le récit est tiré d’une vie de Saint, nous indiquons le jour où son nom est marqué dans le martyrologe, ce qui suffit pour consulter les Acta Sanctorum. Si nous mentionnons quelque personnage vénérable, comme le P. Joseph Anchieta, apôtre et thaumaturge du Brésil, dont la vie n’est pas insérée dans les volumes des Bollandistes, il faudra recourir alors à des biographies et des histoires particulières. – Pour les traits que nous empruntons au P. Rossignoli, Merveilles divines dans les âmes du purgatoire (trad. Postel, Tournai, Casterman), ou qui, du moins, se retrouvent en cet ouvrage, nous nous contentons d’indiquer le numéro de la Merveille, parce que l’auteur y a marqué une ou plusieurs sources où lui-même a puisé.

« Ces sortes d’apparitions, dit l’abbé Ribet (La mystique divine, distinguée des contrefaçons diaboliques et des analogies humaines. Paris, Poussielgue), ne sont pas rares. Dieu les permet pour le soulagement des âmes, qui viennent exciter notre compassion, et aussi pour nous faire entendre à nous-mêmes combien sont terribles les rigueurs de sa justice contre les fautes que nous réputons légères. »

Saint Grégoire dans ses Dialogues rapporte plusieurs exemples, dont on peut, il est vrai, contester la pleine authenticité; mais qui, dans la bouche du saint Docteur, prouvent du moins qu’il croyait à la possibilité et à l’existence de ces faits. D’autres auteurs en grand nombre, non moins recommandables que saint Grégoire par la sainteté et la science, rapportent des faits analogues.

Au reste, ces sortes de récits surabondent dans l’histoire des saints: pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les tables des Acta Sanctorum. Toujours l’Église souffrante a imploré les suffrages de l’Église de la terre; et ce commerce, empreint de tristesse, mais aussi plein d’instruction, est pour l’une une source intarissable de soulagement, et pour l’autre une excitation puissante à la sainteté.

La vision du purgatoire a été accordée à plusieurs saintes âmes. Sainte Catherine de Ricci descendait en esprit au purgatoire toutes les nuits des dimanches; sainte Lidvine pénétrait pendant ses ravissements dans ce lieu d’expiation, et, conduite par son ange gardien, y visitait les âmes dans leurs tourments. Un ange conduit également la Bienheureuse Osanne de Mantoue à travers ces sombres abîmes. La Bienheureuse Véronique de Binasco, sainte Françoise de Rome et bien d’autres, reçoivent des visions tout à fait semblables, avec les mêmes impressions de terreur.

Plus souvent ce sont les âmes souffrantes elles-mêmes qui s’adressent aux vivants et réclament leur intercession. Plusieurs apparurent ainsi à la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, à une foule d’autres saints personnages. Les âmes des défunts imploraient fréquemment la pitié de Denys le Chartreux. On demandait un jour à ce grand serviteur de Dieu combien de fois ces pauvres âmes lui apparaissaient ? « Oh ! cent et cent fois », répondit-il. »

Sainte Catherine de Sienne, pour épargner à son père les peines du purgatoire, s’était offerte à la justice divine pour souffrir à sa place durant la vie. Dieu l’exauça, lui infligea de vives douleurs d’entrailles jusqu’à la mort, et admit dans la gloire l’âme de son père. En retour, cette âme bienheureuse apparaissait fréquemment à sa fille, pour la remercier et lui faire les révélations les plus utiles. »

Les âmes du purgatoire, lorsqu’elles apparaissent aux vivants, se présentent toujours dans une attitude qui excite la compassion, tantôt sous les traits qu’elles avaient de leur vivant ou à leur mort, avec un visage triste, des regards suppliants, en habits de deuil, avec l’expression d’une douleur extrême; tantôt comme une clarté, une nuée, une ombre, une figure fantastique quelconque, accompagnée d’un signe ou d’une parole qui les fait reconnaître. D’autres fois, elles accusent leur présence par des gémissements, des sanglots, des soupirs, une respiration haletante, des accents plaintifs. Souvent elles apparaissent environnées de flammes. Quand elles parlent, c’est pour manifester leurs souffrances, pour déplorer leurs fautes passées, pour demander des suffrages, ou même pour adresser des reproches à ceux qui devraient les secourir.

Une autre sorte de révélation, ajoute le même auteur, se fait par des coups invisibles que reçoivent les vivants, par des frappements à la porte, des bruits de chaînes, des bruits de voix. Ces faits sont trop multipliés pour qu’on puisse les révoquer en doute: la seule difficulté est d’établir leur rapport avec le monde de l’expiation. Mais quand ces manifestations coïncident avec la mort de personnes chéries, et qu’elles cessent après qu’on a offert à Dieu des prières et des réparations, n’est-il pas raisonnable d’y voir des signes par lesquels ces âmes avertissent de leur détresse ?

Aux divers indices que nous venons de signaler, on reconnaîtra les pauvres âmes du purgatoire. Mais il est un cas où l’apparition devrait être tenue pour suspecte: c’est lorsqu’un pécheur scandaleux, surpris inopinément par la mort, vient implorer les prières des vivants pour être délivré du purgatoire. Le démon est intéressé à faire croire que l’on peut vivre dans les plus grands désordres jusqu’à la mort, et échapper cependant à l’enfer. Toutefois, même dans ces rencontres, il n’est pas défendu de penser que l’âme qui apparaît s’est repentie, et qu’elle est dans les flammes de l’expiation temporaire, ni, conséquemment de prier pour elle; mais il convient d’observer la plus grande réserve sur ces sortes de visions et sur la créance qu’on leur donne (Ribet, Mystique divine, t. II, chap. X.). »

Les détails dans lesquels nous venons d’entrer, suffisent pour justifier aux yeux du lecteur la citation des faits qu’il trouvera dans le cours de cet ouvrage.

Ajoutons que le chrétien doit se garder d’être trop incrédule dans les faits surnaturels, qui se rattachent aux dogmes de sa foi. Saint Paul nous dit que la charité croit tout (I. Cor. XIII, 7.), c’est-à-dire, comme expliquent les interprètes, tout ce que l’on peut croire prudemment, et dont la croyance ne saurait être nuisible. S’il est vrai que la prudence réprouve une crédulité aveugle et superstitieuse, il est vrai aussi qu’on doit éviter un autre excès, celui que le Sauveur reproche à l’Apôtre saint Thomas: Vous croyez, lui dit-il, parce que vous avez vu et touché; il fallait croire au témoignage de vos frères. En exigeant davantage vous avez été incrédule: c’est une faute, que doivent éviter tous mes disciples: Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu. Ne soyez pas incrédule mais croyant. (Joan. xx, 27.)

Bellarmin

Le théologien qui démontre les dogmes de la foi, doit être sévère dans le choix de ses preuves; l’historien aussi doit procéder avec une critique rigoureuse dans la relation des faits; mais, l’écrivain ascétique, quand il cite des exemples et des faits pour éclaircir les vérités et édifier les fidèles, n’est pas tenu à cette stricte rigueur. Les personnages les plus autorisés dans l’Église, tels que saint Grégoire, saint Bernard, saint François de Sales, saint Alphonse de Liguori, Bellarmin, et bien d’autres, aussi distingués par leurs lumières que par leur piété, n’ont pas connu en écrivant leurs excellents ouvrages, les exigences rigoureuses de notre époque, exigences qui ne constituent nullement un progrès.

En effet, si l’esprit de nos pères dans la foi était plus simple, quelle est la cause qui a fait disparaître parmi nous cette ancienne simplicité ? N’est-ce pas le rationalisme protestant, qui de nos jours se déteint sur beaucoup de catholiques ? N’est-ce pas cet esprit raisonneur et critique sorti de la réforme luthérienne, propagé par le philosophisme français, qui leur fait envisager les choses de Dieu d’une manière tout humaine, qui les rend froids et étrangers à l’esprit de Dieu ? Le vénérable abbé Louis de Blois, parlant des Révélations de sainte Gertrude, dit que « ce livre renferme des trésors. Les hommes orgueilleux et charnels, ajoute-t-il, qui n’entendent rien à l’esprit de Dieu, traitent de rêveries les écrits de la vierge sainte Gertrude, de sainte Mechtilde, sainte Hildegarde et autres; c’est qu’ils ignorent avec quelle familiarité Dieu se communique aux âmes humbles, simples et aimantes; et comment, dans ces communications intimes, il se plaît à illuminer ces âmes des pures lumières de la vérité sans aucune ombre d’erreur (Ludov. Blos. Epist. ad florentium, § 4.) ».

Ces paroles de Louis de Blois sont graves. Nous n’avons pas voulu encourir les reproches de ce grand maître de la vie spirituelle; et tout en évitant une crédulité blâmable, nous avons recueilli avec une certaine liberté les faits qui nous ont paru à la fois les plus avérés et les plus instructifs. Puissent-ils accroître dans ceux qui les liront, la dévotion envers les défunts ! Puissent-ils imprimer profondément dans les âmes la sainte et salutaire pensée du purgatoire !

PREMIÈRE PARTIE – LE PURGATOIRE, MYSTÈRE DE JUSTICE

Chapitre 1er

Le purgatoire dans le plan divin

Le purgatoire occupe une grande place dans notre sainte religion: il forme une des parties principales de l’œuvre de Jésus-Christ, et joue un rôle essentiel dans l’économie du salut des hommes.

Rappelons-nous que la sainte Église de Dieu, considérée dans sa totalité, se compose de trois parties: l’Église militante, l’Église triomphante et l’Église souffrante, ou le purgatoire. Cette triple Église constitue le corps mystique de Jésus-Christ, et les âmes du purgatoire ne sont pas moins ses membres que les fidèles sur la terre et les élus dans le ciel.

L’Église dans l’Évangile est appelée d’ordinaire le Royaume des cieux; or, le purgatoire, tout comme le ciel et l’Église terrestre, est une province de ce vaste Royaume.

Les trois Églises-sœurs ont entre elles des relations incessantes, une communication continuelle, qu’on appelle la communion des saints. Ces relations n’ont d’autre objet que de conduire les âmes à la gloire, terme final où tendent tous les élus. Les trois Églises s’entraident à peupler le Ciel, qui est la cité permanente, la Jérusalem glorieuse.

Si nous considérons les rapports que nous autres, membres de l’Église militante sur la terre, nous avons avec les âmes du purgatoire, ils consistent à les secourir dans leurs peines. Dieu nous a mis dans les mains les clefs de leurs prisons mystérieuses: c’est la prière pour les défunts, c’est la dévotion pour les âmes du purgatoire.

Chapitre 2

Prière pour les défunts

La prière pour les défunts, les sacrifices, les suffrages pour les morts font partie du culte chrétien, et la dévotion envers les âmes du purgatoire est une dévotion que le Saint-Esprit répand avec la charité dans le cœur des fidèles. C’est une pensée sainte et salutaire, dit l’Écriture, de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés (II Machab. XII, 46.).

Crainte et confiance

Pour être parfaite, la dévotion envers les défunts doit être animée tout à la fois d’un esprit de crainte et de confiance. D’un côté la sainteté de Dieu et sa justice nous inspirent une crainte salutaire; de l’autre, son infinie miséricorde, nous donne une confiance sans bornes.

Dieu est la sainteté même bien plus que le soleil n’est la lumière, et aucune ombre de péché ne peut subsister devant sa face. Vos yeux sont purs, dit le prophète, et ils ne peuvent supporter la vue de l’iniquité. (Habac. I) Aussi, quand l’iniquité se produit dans les créatures, la sainteté de Dieu en exige l’expiation; et lorsque cette expiation se fait dans toute la rigueur de la justice, elle est terrible. C’est pourquoi l’Écriture dit encore: Son nom est saint et terrible (Ps. 110): comme si elle disait: sa justice est terrible parce que sa sainteté est infinie.

La justice de Dieu est terrible et elle punit avec une extrême rigueur les fautes les plus légères. La raison en est que ces fautes, légères à nos yeux, ne le sont nullement devant Dieu. Le moindre péché lui déplaît infiniment, et à cause de la Sainteté infinie qui est offensée, la plus petite transgression prend des proportions énormes, réclame une énorme expiation. C’est ce qui explique la terrible sévérité des peines de l’autre vie, et ce qui doit nous pénétrer d’une sainte frayeur.

La crainte du purgatoire est une crainte salutaire: elle a pour effet de nous animer non seulement d’une charitable compassion pour les âmes souffrantes; mais encore d’un zèle vigilant pour nous-mêmes. Pensez au feu du purgatoire, et vous tâcherez d’éviter les moindres fautes; pensez au feu du purgatoire et vous pratiquerez la pénitence, pour satisfaire à la divine justice en ce monde plutôt qu’en l’autre.

Gardons-nous toutefois d’une crainte excessive et ne perdons pas la confiance. N’oublions pas la miséricorde de Dieu, qui n’est pas moins infinie que sa justice. Votre miséricorde, Seigneur, surpasse la hauteur des cieux, dit le prophète (Ps. 107); et ailleurs: Le Seigneur est plein de miséricorde et de clémence, il est patient et prodigue de miséricorde (Ps. 144). – Cette miséricorde ineffable doit calmer nos trop vives appréhensions, et nous remplir d’une sainte confiance, selon cette parole: In te Domine speravi, non confundar in œternum, j’ai mis en vous ma confiance, ô mon Dieu, jamais je ne serai confondu (Ps. 70). Si nous sommes animés de ce double sentiment, si notre confiance en la miséricorde de Dieu égale la crainte que nous inspire sa justice, nous aurons le véritable esprit de la dévotion envers les défunts.

Or ce double sentiment se puise naturellement dans le dogme du purgatoire bien compris, dogme qui renferme le double mystère de la justice et de la miséricorde: de la justice qui punit, de la miséricorde qui pardonne.

C’est à ce double point de vue que nous allons envisager le purgatoire et en illustrer la doctrine.

Chapitre 3

Le mot purgatoire

Le mot purgatoire se prend tantôt pour un lieu, tantôt pour un état intermédiaire entre l’enfer et le ciel. C’est proprement la situation des âmes qui, au moment de la mort, se trouvent en état de grâce, mais n’ont pas complètement expié leurs fautes, ni atteint le degré de pureté nécessaire pour jouir de la vision de Dieu.

Le purgatoire est donc un état passager, qui se termine à la vie bienheureuse. Ce n’est plus une épreuve, où l’on peut mériter et démériter; mais un état de satisfaction et d’expiation. L’âme est arrivée au terme de sa vie mortelle: cette vie était un temps d’épreuve, temps de mérite pour l’âme, et temps de miséricorde de la part de Dieu. Ce temps une fois expiré, il n’y a plus de la part de Dieu que justice; et l’âme de son côté ne peut plus ni mériter ni démériter. Elle est fixée dans l’état où la mort l’a trouvée; et comme elle a été trouvée dans la grâce sanctifiante, elle est sûre de ne plus déchoir de cet heureux état et de parvenir à la possession immuable de Dieu. Cependant, comme elle est chargée de certaines dettes de peines temporelles, elle doit satisfaire la divine justice en subissant ces peines dans toute leur rigueur.

Telle est la signification du mot purgatoire, et la situation des âmes qui s’y trouvent.

Doctrine catholique

Or l’Église propose à ce sujet deux vérités nettement définies comme dogmes de foi: premièrement, qu’il y a un purgatoire; secondement, que les âmes, qui sont dans le purgatoire, peuvent être secourues par les suffrages des fidèles, surtout par le saint sacrifice de la messe.

Concile de Trente – Questions controversées.

Outre ces deux points dogmatiques, il y a plusieurs questions doctrinales que l’Église n’a pas décidées, et qui sont plus ou moins clairement résolues par les docteurs. Ces questions se rapportent:

  1.  au lieu du purgatoire;
  2. à la nature des peines;
  3. au nombre et à l’état des âmes qui sont au purgatoire;
  4. à la certitude qu’elles y ont de leur béatitude;
  5. à la durée de leurs peines;
  6. à l’intervention des vivants en leur faveur et à l’application des suffrages de l’Église.