Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 19, 20, 21

Chapitre 19 – Peines du purgatoire

Sainte Madeleine de Pazzi et la sœur Benoîte

On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, qu’une de ses sœurs nommée Marie-Benoîte, religieuse d’une éminente vertu, mourut entre ses bras. Pendant son agonie, elle aperçut une multitude d’anges, qui l’environnaient d’un air joyeux, attendant qu’elle rendît son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste; et, au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme bienheureuse sous la forme d’une colombe, dont la tête était dorée, et disparaître avec elle.

Trois heures après, veillant et priant auprès du saint corps, Madeleine connut que l’âme de la défunte n’était ni en paradis ni au purgatoire, mais dans un lieu particulier où, sans souffrir aucune peine sensible, elle était privée de la vue de son Dieu.

Le lendemain, comme on célébrait la messe pour l’âme de Marie-Benoîte, au Sanctus, Madeleine fut ravie de nouveau en extase, et Dieu lui fit voir cette âme bienheureuse au sein de la gloire, où elle venait d’entrer.

Madeleine se permit de demander au Sauveur Jésus pourquoi il n’avait pas admis plus tôt cette âme chérie en sa sainte présence ? Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière maladie, la sœur Benoîte s’était montrée trop sensible aux peines qu’on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque temps son union habituelle avec Dieu, et sa conformité parfaite à la divine volonté.

Sainte Gertrude

Revenons encore aux révélations de sainte Gertrude, que nous avons citées plus haut: nous y trouvons un autre trait qui montre comment, pour certaines âmes du moins, le soleil de la gloire est précédé d’une aurore et se lève par degrés. Une religieuse était morte à la fleur de son âge, dans le baiser du Seigneur. Elle s’était fait remarquer par une tendre dévotion au Saint-Sacrement. Après sa mort, sainte Gertrude la vit toute brillante de célestes clartés, agenouillée devant le divin Maître, dont les plaies glorifiées paraissaient comme des foyers lumineux: il s’en échappait cinq rayons enflammés qui allaient atteindre les cinq sens de la défunte. Celle-ci néanmoins gardait sur le front comme un nuage d’ineffable tristesse. « Seigneur Jésus, s’écria la sainte, comment pouvez-vous illuminer de la sorte votre servante, sans qu’elle éprouve une joie parfaite ? – Jusqu’à cette heure, répondit le doux Maître, cette sœur a été digne seulement de contempler mon humanité glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq plaies, en récompense de sa tendre dévotion au mystère de l’Eucharistie; mais, à moins de nombreux suffrages en sa faveur, elle ne peut être admise encore à la vision béatifique, à cause de quelques légers manquements dans l’observation de ses saintes règles. »

La Bienheureuse Marguerite-Marie et la Mère de Montoux

Terminons ce que nous avons à dire sur la nature des peines par quelques détails que nous trouvons dans la vie de la Bienheureuse Marguerite Marie de la Visitation. Ils sont tirés en partie du mémoire de la mère Greffier, cette Supérieure qui, sagement défiante au sujet des grâces extraordinaires accordées à la Bienheureuse sœur Marguerite, ne commença à en reconnaître la vérité qu’après mille épreuves. – La mère Philiberte Emmanuel de Montoux, Supérieure d’Annecy, mourut le 2 février 1683, après une vie qui édifia tout l’Institut. La mère Greffier la recommanda particulièrement aux prières de sœur Marguerite. Au bout de quelque temps, celle-ci dit à sa supérieure que Notre-Seigneur lui avait fait connaître que cette âme lui était fort chère, à cause de son amour et de sa fidélité à son service; qu’il lui gardait une ample récompense dans le ciel, après qu’elle aurait achevé de se purifier dans le purgatoire.

La Bienheureuse vit la défunte dans le lieu des expiations: Notre-Seigneur la lui montra dans les souffrances, mais recevant de grands soulagements par l’application des suffrages et des bonnes œuvres, qu’on offrait tous les jours pour elle dans tout l’Ordre de la Visitation. La nuit du jeudi-saint au vendredi, tandis que sœur Marguerite priait encore pour elle, il la lui fit voir comme étant placée sous le calice qui contenait l’hostie, au reposoir de l’Adoration: là elle participait aux mérites de son agonie au jardin des Olives.
Le jour de Pâques, qui cette année tombait au 18 avril, la bienheureuse la vit comme dans un commencement de félicité, désirant et espérant bientôt la vue et la possession de Dieu.

Enfin, quinze jours après, le 2 mai, dimanche du Bon Pasteur, elle la vit comme s’abîmant doucement dans la gloire, chantant mélodieusement le cantique de l’amour divin.

Voici comment la Bienheureuse Marguerite rend compte elle-même de cette dernière apparition dans une lettre adressée ce jour même, 2 mai 1623, à la mère de Saumaise à Dijon ( Écrits et correspondances de la Bienheureuse Marguerite Marie p.82 fin p.83): « Vive Jésus ! Mon âme se sent pénétrée d’une si grande joie, que j’ai peine à la contenir en moi-même. Permettez-moi, ma bonne Mère, de la communiquer à votre cœur, qui ne fait qu’un avec le mien en celui de Notre-Seigneur. Ce matin, dimanche du Bon Pasteur, deux de mes bonnes amies souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu: c’était aujourd’hui que le souverain Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d’un million d’autres âmes. Toutes deux, mêlées à cette multitude bienheureuse, s’en allaient avec des chants d’allégresse inexprimables. – L’une est la bonne mère Philiberte Emmanuel de Monthoux; l’autre, ma sœur Jeanne Catherine Gâcon. L’une répétait sans cesse ces paroles: L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit. L’autre disait: Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur, et les religieux qui vivent et meurent dans l’exacte observance de leurs règles. – Toutes deux veulent que je vous dise de leur part que la mort peut bien séparer les amis, mais non les désunir.
» Si vous saviez combien mon âme a été transportée de joie ! Car en leur parlant je les voyais peu à peu s’abîmer dans la gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan. – Elles vous demandent en action de grâces à la très auguste Trinité, un Laudate et trois Gloria Patri. – Comme je les priais de se souvenir de nous, elles m’ont dit, pour dernières paroles, que l’ingratitude n’est jamais entrée dans le ciel. »

Chapitre 20 – Diversité des peines

D’après les révélations des saints, il y a dans les peines afflictives du purgatoire une grande diversité. Bien que le feu soit le supplice dominant, il y a aussi le tourment du froid, il y a la torture des membres, et des supplices appliqués aux différents sens du corps humain. Cette diversité de peines est ordonnée par la divine Justice, et semble surtout répondre à la nature des péchés, qui exigent chacun son châtiment propre, selon cette parole: Quia per quœ peccat quis, per hœc et torquetur, l’homme est puni par où il a péché (Sap. XI, 17.). – Il convient au reste qu’il en soit ainsi pour le châtiment, puisque la même diversité existe pour les récompenses. Chacun reçoit au ciel selon ses œuvres, et, comme dit le vénérable Bède, chacun reçoit sa couronne, son vêtement de gloire: vêtement qui pour le martyr a la splendeur de la pourpre, et pour le confesseur l’éclat d’une blancheur éblouissante.

Le roi Sanche et la reine Gude

L’historien Jean Vasquez (Cf. Merv. 8.), dans sa Chronique, sous l’année 940, rapporte comment Sanche, roi de Léon, apparut à la reine Gude, et fut délivré du purgatoire par la piété de cette princesse. – Sanche avait vécu en excellent chrétien et mourut empoisonné par un de ses sujets. La reine Gude, sa femme, s’occupa de prier et de faire prier pour le repos de son âme; non contente de faire célébrer un grand nombre de messes, elle prit le voile dans le monastère de Castille, où le corps de son mari avait été déposé, afin de pouvoir pleurer et prier auprès de ces chères dépouilles.

Comme elle priait un jour de samedi aux pieds de la Très-Sainte Vierge, pour lui recommander l’âme de son mari, Sanche lui apparut, mais dans quel état, grand Dieu ! il était couvert d’habits de deuil, et portait comme ceinture un double rang de chaînes rougies au feu. Après avoir remercié sa pieuse veuve pour ses suffrages, il la conjura de continuer son œuvre de charité. « Ah ! si vous saviez, Gude, ce que j’endure, lui dit-il, vous feriez bien davantage encore. Par les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi, chère Gude, secourez-moi: ces flammes me dévorent ! »

La reine redoubla de prières, de jeûnes et de bonnes œuvres: elle répandit de royales aumônes dans le sein des pauvres, fit célébrer des messes de toutes parts, et donna au monastère un magnifique ornement pour les offices de l’autel.

Au bout de quarante jours, le roi lui apparut de nouveau: il était délivré de sa ceinture brûlante et de toutes ses souffrances; à la place de ses habits de deuil, il portait un manteau d’une éclatante blancheur, semblable à l’ornement sacré que Gude avait donné pour lui au monastère. « Me voici, chère Gude, dit-il à la reine: grâce à vous, je suis délivré de mes souffrances. Soyez bénie, à jamais ! Persévérez dans vos saints exercices, méditez souvent la rigueur des peines de l’autre vie et les joies du paradis, où je vais vous attendre.»

– A ces mots il disparut, laissant la pieuse Gude inondée de consolation.

Sainte Lidvine et l’âme transpercée

Un jour une femme toute désolée vint annoncer à sainte Lidvine qu’elle venait de perdre son frère. « Mon frère, dit-elle, vient de mourir et je recommande sa pauvre âme à votre charité. Offrez à Dieu pour elle quelques prières et une partie des souffrances de votre maladie. » – La sainte malade le lui promit, et peu de temps après, dans un de ses ravissements si fréquents, elle fut conduite par son ange gardien dans les prisons souterraines, où elle vit avec une extrême compassion les tourments des pauvres âmes plongées dans les flammes. L’une d’elles attira particulièrement son attention: elle la voyait transpercée de part en part par des broches de fer. Son ange lui dit que c’était là le frère défunt de cette femme, qui était venue demander pour lui le secours de ses prières. « Si vous voulez, ajouta-t-il, demander quelque grâce en sa faveur, elle ne vous sera pas refusée. – Je demande donc, répondit-elle, qu’il soit délivré de ces horribles fers qui le transpercent. » – Aussitôt elle vit qu’on les arrachait au malheureux et qu’on le conduisait de cette prison spéciale, dans la prison commune aux âmes qui n’ont encouru aucun supplice particulier.

La sœur du défunt étant revenue peu après auprès de sainte Lidvine, celle-ci lui fit connaître la triste situation de son frère, et l’engagea à l’aider en multipliant pour lui les prières et les aumônes. Elle-même offrit à Dieu ses supplications et ses souffrances, jusqu’à ce que la pauvre âme fût enfin délivrée (Vie de sainte Lidvine).

La Bienheureuse Marguerite et le lit de feu

Nous lisons dans la Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie, qu’une âme fut torturée dans un lit de tourment, à cause de sa paresse durant la vie; qu’en même temps elle eut à subir un supplice particulier dans son cœur, à cause de ses mauvais sentiments, et dans sa langue, en punition de ses paroles peu charitables. En outre, elle eut à souffrir une peine affreuse d’un genre tout différent, causée, non par le feu ou par le fer, mais par la vue épouvantable d’une damnation. Voici comment la Bienheureuse rapporte elle-même cet événement dans ses écrits: « Je vis en songe, dit-elle, une de nos sœurs décédées depuis quelque temps. Elle me dit qu’elle souffrait beaucoup en purgatoire; mais que Dieu venait de lui faire sentir une douleur qui surpassait toutes ses peines, en lui montrant une de ses proches parentes précipitées dans l’enfer. »

Je me réveillai sur ces paroles, et je sentis tout mon corps comme si brisé, que j’avais peine à me remuer. Comme on ne doit point croire aux songes, je ne fis pas grande réflexion sur celui-là; mais cette religieuse m’en fit bien faire malgré moi. Car, depuis ce moment, elle ne me donna point de repos, et elle me disait incessamment: Priez Dieu pour moi, offrez-lui vos souffrances, unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes, et donnez-moi tout ce que vous ferez jusqu’au premier vendredi de mai, où vous communierez pour moi. » Je le fis avec la permission de ma supérieure.

Cependant la peine que cette fille souffrante me communiquait, s’augmenta si fort, qu’elle m’accablait et me rendait impossible tout soulagement et repos. – L’obéissance me fit retirer pour en prendre dans mon lit; mais, je n’y fus pas plutôt, qu’il me semblait l’avoir proche de moi qui me disait: « Te voilà dans ton lit bien à ton aise; regarde celui où je suis couchée, et où je souffre des maux intolérables. » Je vis ce lit, qui me fait encore frémir toutes les fois que j’y pense. Le dessus et le dessous était de pointes aiguës et enflammées, qui entraient dans la chair: elle me dit alors que c’était à cause de sa paresse et négligence dans l’observance des règles. – « On me déchire le cœur, ajouta-t-elle, ce qui est ma plus cruelle douleur, pour mes pensées de murmure et désapprouvement, dans lesquelles je me suis entretenue contre mes supérieures. – Ma langue est rongée de vermine, et on me l’arrache continuellement, pour les paroles que j’ai dites contre la charité et pour mon peu de silence. – Ah ! que je voudrais bien que toutes les âmes consacrées à Dieu pussent me voir dans ces horribles tourments ! Si je pouvais leur faire voir ce qui est préparé à celles qui vivent négligemment dans leur vocation, elles marcheraient avec une tout autre ardeur dans leurs observances, et se garderaient bien de tomber dans les défauts qui me font maintenant tant souffrir. »

« Je fondis en larmes à ce spectacle. Cependant l’âme souffrante continua: Hélas ! dit-elle, un jour d’exactitude au silence, observé par toute la communauté, guérirait ma bouche altérée; un autre, passé dans la pratique de la sainte charité, guérirait ma langue; un troisième, passé sans aucun murmure ni désapprouvement contre la supérieure, guérirait mon cœur déchiré: mais personne ne pense à me soulager. »

» Après que j’eus fait la communion qu’elle m’avait demandée, elle me dit que ses horribles tourments étaient bien diminués; mais qu’elle était encore en purgatoire pour longtemps, condamnée à souffrir les peines qui sont dues aux âmes tièdes dans le service de Dieu.

«Pour moi, ajoute la Bienheureuse Marguerite, je me trouvai dès lors affranchie de mes peines, lesquelles, m’avait-elle dit, ne diminueraient point qu’elle-même ne fût soulagée (Languet, Vie de la Bienheureuse Marguerite. ). »

Chapitre 21 – Diversité des peines

Blasio ressuscité par saint Bernardin

Le célèbre Blasio Masseï, ressuscité par saint Bernardin de Sienne (20 mai.), vit aussi au purgatoire une grande diversité de peines. Ce miracle se trouve exposé au long dans les Acta Sanctorum, appendice au 20 mai.

Peu de temps après la canonisation de saint Bernardin de Sienne, mourut à Cascia au royaume de Naples, un enfant de onze ans, appelé Blasio Masseï. Ses parents lui avaient inspiré la dévotion qu’ils avaient eux-mêmes à ce nouveau Saint, et celui-ci sut les en récompenser. Le lendemain de la mort, comme on allait l’ensevelir, Blasio se réveilla comme d’un profond sommeil, et dit que saint Bernardin le ramenait à la vie pour raconter les merveilles qu’il lui avait fait voir dans l’autre monde.

On comprend l’étonnement et la curiosité que produisit cet événement. Pendant un mois entier le jeune Blasio ne fit que parler de ce qu’il avait vu, et répondre aux questions que lui faisaient les visiteurs. Il parlait avec une naïveté d’enfant, mais en même temps avec une exactitude d’expression, une connaissance des choses de la vie future, qui était de loin au-dessus de son âge.

Au moment de sa mort, disait-il, saint Bernardin s’était présenté devant lui, et l’avait pris par la main en lui disant: « N’ayez pas peur; mais regardez bien tout ce que je vous montrerai, afin de le retenir et de le raconter après. »

Or le saint conduisit successivement son jeune protégé, dans les régions de l’enfer, du purgatoire, des limbes, et enfin il lui fit voir le ciel.

Dans l’enfer Blasio vit des horreurs inexprimables, et les supplices divers par lesquels les orgueilleux, les avares, les impudiques et les autres pécheurs étaient tourmentés. Parmi eux il en reconnut plusieurs qu’il avait vus durant la vie, et même il en vit arriver deux qui venaient de mourir, Buccerelli et Frascha. Ce dernier était damné pour avoir possédé des biens mal acquis. Le fils de Frascha, frappé de cette révélation comme d’un coup de foudre, connaissant d’ailleurs la vérité des choses, s’empressa de faire une restitution complète; et non content de cet acte de justice, pour ne point s’exposer à partager un jour le triste sort de son père, il distribua aux pauvres le reste de sa fortune et embrassa la vie monastique.

Conduit de là au purgatoire, Blasio y vit aussi des supplices effroyables, diversifiés d’après les péchés dont ils étaient le châtiment. Il y reconnut un grand nombre d’âmes, et plusieurs d’entre elles le prièrent d’avertir leurs parents et proches de leur douloureuse situation, elles leur indiquaient même les suffrages et bonnes œuvres dont elles avaient besoin. – Lorsqu’on l’interrogeait sur l’état d’un défunt, il répondait sans hésiter et donnait les détails les plus précis. « Votre père, dit-il, à un de ses visiteurs, est au purgatoire depuis tel jour; il vous a chargé de distribuer telle somme en aumônes, et vous ne l’avez pas exécuté. – Votre frère, dit-il à un autre, vous avait demandé de faire célébrer autant de messes, et vous en étiez convenu avec lui; mais vous n’avez pas rempli votre engagement: il reste encore autant de messes à acquitter. »

Blasio parlait aussi du ciel où il avait été conduit en dernier lieu; mais il en parlait à peu près comme Saint Paul, qui, ayant été ravi au troisième ciel, avec son corps ou sans son corps, ce qu’il ne savait pas; y avait entendu des paroles mystérieuses qu’une bouche mortelle ne saurait redire. – Ce qui avait surtout frappé les regards de l’enfant, c’était l’immense multitude des anges qui entouraient le trône de Dieu, et la beauté incomparable de la sainte Vierge Marie, élevée au-dessus de tous les chœurs des anges.

La vénérable Françoise de Pampelune et la plume de feu

La vie de la vénérable mère Françoise du Saint-Sacre-ment, religieuse de Pampelune (Sa Vie par le F. Joachim. Cf. Merv. 26.), présente plusieurs faits qui montrent comment les peines sont appropriées aux fautes à expier. Cette vénérable servante de Dieu avait les communications les plus intimes avec les âmes du purgatoire, jusque-là qu’elles venaient en grand nombre et remplissaient sa cellule, attendant humblement, chacune à son tour, qu’elle les aidât par ses prières. Souvent, pour mieux exciter sa compassion, elles lui apparaissaient avec les instruments de leurs péchés, devenus dans l’autre vie des instruments de torture. Elle vit un jour un religieux, entouré d’objets précieux, de tableaux, de fauteuils embrasés. Il avait amassé ces sortes de choses dans sa cellule contrairement à la pauvreté religieuse; après sa mort, elles faisaient son tourment. – D’autres fois c’étaient des prêtres, avec leurs ornements en feu: l’étole transformée en chaîne brûlante, les mains couvertes d’ulcères hideux. Ils étaient ainsi punis pour avoir célébré sans respect les divins Mystères.

Un notaire lui apparut un jour avec tous les insignes de sa profession, lesquels tout en feu et accumulés autour de lui, le faisaient souffrir horriblement. « J’ai employé cette plume, cette encre, ce papier, lui dit-il, à dresser des actes illicites. J’avais aussi la passion du jeu, et ces cartes brûlantes que je suis forcé de tenir continuellement en main, font mon châtiment. Cette bourse embrasée contient mes gains illicites et me les fait expier.»

De tout ceci ressort un grand et salutaire enseignement. Les créatures sont données à l’homme comme moyens pour servir Dieu: il doit en faire des instruments de vertus et de bonnes œuvres; s’il en abuse et en fait des instruments de péché, il est juste qu’elles soient tournées contre lui et deviennent les instruments de son châtiment.

Saint Corprée et le roi Malachie.

La vie de saint Corprée, Évêque d’Irlande, qu’on trouve dans les Bollandistes sous le 6 mars, nous fournit un autre exemple du même genre. Un jour que ce saint Prélat était en prière après l’office, il vit se dresser devant lui un personnage horrible, le visage pâle, un collier de feu autour du cou, et sur les épaules un misérable manteau tout déchiré. – « Qui es-tu ? demanda le saint, sans se troubler. – Je suis une âme passée à l’autre vie. – D’où vient le triste état où je te vois ? – De mes fautes, qui m’ont attiré ces châtiments. Malgré la misère où je me trouve réduit maintenant, je suis Malachie, autre fois roi d’Irlande. Je pouvais dans cette haute position faire beaucoup de bien, c’était d’ailleurs mon devoir; je l’ai négligé: voilà pourquoi je suis puni. – N’as-tu pas fait pénitence de tes fautes ? – Je n’en ai pas fait assez, grâce à la coupable faiblesse de mon confesseur, que j’ai plié à mes caprices en lui offrant un anneau d’or. C’est à cause de cela que je porte maintenant au cou ce collier de flammes. – Je voudrais savoir, reprit l’Évêque, pourquoi vous êtes couvert de ces haillons. – C’est encore un châtiment: je n’ai pas vêtu ceux qui étaient nus, je n’ai pas aidé les pauvres avec la charité, avec le respect et la libéralité que me commandait ma dignité de roi et mon titre de chrétien. C’est pourquoi vous me voyez habillé moi-même en pauvre et couvert d’un vêtement de confusion. »

L’histoire ajoute que saint Corprée, s’étant mis en prière avec tout son chapitre, obtint au bout de six mois, un allègement de peine, et, un peu plus tard, la délivrance entière du roi Malachie.