Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 22, 23, 24

Chapitre 22 – Durée du purgatoire

Sentiment des docteurs

La foi ne nous fait pas connaître la durée précise des peines du purgatoire: nous savons en général qu’elle est mesurée par la divine justice et proportionnée pour chacun à la gravité et au nombre de ses fautes, non encore expiées. Dieu peut cependant, sans préjudicier, à sa justice, abréger ces peines en augmentant leur intensité; l’Église militante aussi peut en obtenir la rémission, totale ou partielle, par le saint Sacrifice de la messe et les autres suffrages offerts pour les défunts. D’après le sentiment commun des docteurs, les peines expiatrices sont de longue durée. « Il est hors de doute, dit Bellarmin (De gemitu, 1. II. c. 9.), que les peines du purgatoire ne sont limitées ni à dix ni à vingt ans, et qu’elles durent quelquefois des siècles entiers. Mais, quand il serait vrai que leur durée ne dépasse point dix ou vingt ans, compte-t-on pour rien d’endurer pendant dix ou vingt ans des peines très-douloureuses, des peines inconcevables, sans aucun soulagement ? Si un homme était assuré que vingt ans durant il devrait souffrir aux pieds, ou à la tête ou aux dents, quelque violente douleur, sans jamais pouvoir dormir ou prendre le moindre repos, n’aimerait-il pas mieux mourir cent fois que de vivre de la sorte ? Et si on lui donnait le choix, ou d’une vie si misérable ou de la perte de tous ses biens, balancerait-il à sacrifier sa fortune pour se délivrer de ce tourment ? Quoi donc ? Pour nous délivrer des flammes du purgatoire, ferons-nous difficulté d’embrasser les travaux de la pénitence ? Craindrons-nous d’en pratiquer les plus pénibles exercices: les veilles, les jeûnes, les aumônes, les longues prières, et surtout la contrition accompagnée de gémissements et de larmes ? »

Calcul du Père de Munford

Ces paroles de Bellarmin résument toute la doctrine des théologiens et des Saints. Le Père de Munford de la Compagnie de Jésus, dans son Traité de la charité envers les défunts, établit la longue durée du purgatoire sur un calcul de probabilité, dont nous donnerons la substance. Il part du principe que, selon la parole de l’Esprit-Saint, le juste tombe sept fois le jour (Prov. XXIV, 16.), c’est-à-dire que ceux-là même qui s’appliquent à servir Dieu parfaitement, malgré leur bonne volonté, commettent encore une foule de fautes aux yeux infiniment purs de Dieu. Nous n’avons qu’à descendre dans notre conscience, à analyser devant Dieu nos pensées, nos paroles et œuvres, pour nous convaincre de ce triste effet de la misère humaine. Oh ! qu’il est facile de manquer de respect dans la prière, de préférer ses aises au devoir à remplir, de pécher par vanité, par impatience, par sensualité, par pensées et paroles peu charitables, par manque de conformité à la volonté de Dieu ! La journée est longue: est-il bien difficile à une personne même vertueuse de commettre, je ne dirai pas sept, mais vingt ou trente de ces sortes de fautes ou imperfections ?

Prenons une estimation modérée et supposons que vous commettiez tous les jours une moyenne de 10 fautes; au bout des 365 jours de l’année vous aurez une somme de 3,650 fautes. Diminuons, et pour la facilité du calcul, mettons 3,000 par an. Au bout de dix ans, ce sera 30,000; au bout de 20 ans, 60,000.

Supposons que de ces 60,000 fautes, vous ayez expié la moitié par la pénitence et les bonnes œuvres; il vous en reste encore 30,000 à acquitter.

Continuons notre hypothèse: vous mourez après ces vingt ans de vie vertueuse et vous paraissez devant Dieu avec une dette de 30,000 fautes, que vous devrez acquitter dans le purgatoire. Combien faudra-t-il de temps pour accomplir cette expiation ?
Supposons qu’en moyenne chaque faute exige une heure de purgatoire. Cette mesure est très modérée, si nous en jugeons par les révélations des saints; mais enfin, mettons une heure par faute, cela vous fait un purgatoire de 30,000 heures. Or 30,000 heures, savez-vous combien elles représentent d’années ? 3 années, 3 mois, et 15 jours.

Ainsi un bon chrétien, qui veille sur lui-même, qui évite tout péché mortel, qui s’applique à la pénitence et aux bonnes œuvres, se trouve au bout de vingt ans de vie, passible de 3 ans, 3 mois, et 15 jours de purgatoire.

Le calcul qui précède est basé sur une estimation bénigne à l’excès. Or, si vous majorez la peine, et qu’au lieu d’une heure, vous mettiez un jour pour l’expiation d’une faute; si au lieu de n’avoir que des péchés véniels, vous apportez devant Dieu une dette de peines provenant de péchés mortels, plus ou moins nombreux commis autrefois; si vous mettez, comme le dit sainte Françoise de Rome, une moyenne de sept années pour l’expiation d’un péché mortel, remis quant à la coulpe; qui ne voit qu’on arrive à une durée terrifiante et que les expiations peuvent facilement se prolonger durant de longues années et durant des siècles ?

Des années et des siècles dans les tourments ! Oh ! si l’on y pensait, avec quel soin on éviterait les moindres fautes, avec quelle ferveur on pratiquerait la pénitence pour satisfaire en ce monde !

Chapitre 23 – Durée du purgatoire

Sainte Lutgarde, l’abbé de Citeaux

Dans la Vie de sainte Lutgarde (16 juin.), écrite par son contemporain Thomas de Cantimpré, il est fait mention d’un religieux, d’ailleurs fervent, mais qui pour un excès de zèle, fut condamné à quarante ans de purgatoire. C’était un abbé de l’Ordre de Citeaux, nommé Simon, qui tenait Lutgarde en grande vénération; la sainte de son côté suivait volontiers ses avis, et de fréquents rapports avaient formé entre eux une sorte d’intimité spirituelle.

Le Pape innocent III

Mais l’abbé n’était pas envers ses subordonnés aussi doux qu’envers la sainte. Sévère à lui-même, il l’était aussi dans son administration, et poussait l’exigence de la discipline jusqu’à la dureté, oubliant trop la leçon du Maître qui nous apprend à être doux et humbles de cœur. Étant venu à mourir, comme sainte Lutgarde priait ardemment pour lui et s’imposait des pénitences pour le soulagement de son âme, il lui apparut et avoua qu’il était condamné à quarante ans de purgatoire. Heureusement il avait en Lutgarde une amie généreuse et puissante. Elle prodigua ses prières et ses austérités; puis, ayant reçu de Dieu l’assurance que le défunt serait délivré prochainement, la charitable sainte répondit: Je ne cesserai de pleurer, Seigneur, je ne cesserai d’importuner votre miséricorde, jusqu’à ce que je le voie libéré de ses peines. Elle le vit en effet lui apparaître bientôt plein de reconnaissance, resplendissante de gloire et au comble du bonheur.
Puisque je viens de citer sainte Lutgarde, faut-il que je parle de la célèbre apparition du Pape Innocent III ? J’avoue que ce fait m’a choqué d’abord, et que j’aurais voulu le passer sous silence. Il me répugnait de penser qu’un Pape et un tel Pape eût été condamné à un long et terrible purgatoire. On sait en effet qu’Innocent III, qui présida le célèbre Concile de Latran en 1215, fut un des plus grands Pontifes qui occupèrent le Siège de saint Pierre: sa piété et son zèle lui firent accomplir les plus grandes choses pour l’Église de Dieu et la sainte discipline. Or, comment admettre qu’un tel homme eût été jugé au tribunal suprême avec une telle sévérité ? Comment concilier cette révélation de sainte Lutgarde avec la divine miséricorde ?

J’aurais donc voulu n’y voir qu’une illusion, et je cher- chai des raisons à l’appui de cette idée. Mais j’ai trouvé, tout au contraire, que la réalité de l’apparition est admise par les plus graves auteurs et qu’aucun ne la rejette. Au reste, l’historien Thomas de Cantimpré est très-affirmatif et en même temps très-réservé: « Remarquez, lecteur, écrit-il en finissant son récit, que j’ai appris de la bouche de la pieuse Lutgarde les fautes mêmes, révélées par le défunt, et que je ne les supprime ici que par respect pour un si grand Pape. »

D’ailleurs, considérant le fait en lui-même, y trouve-t-on une vraie raison qui oblige de le révoquer en doute? Ne sait-on pas que Dieu ne fait aucune acception de personne ? que les Papes paraissent devant son tribunal comme les derniers des fidèles ? que tous, grands et petits, sont égaux devant lui et que chacun reçoit selon ses œuvres ? Ne sait-on pas, que ceux qui gouvernent les autres ont une grande responsabilité et auront à rendre un compte sévère ? Judicium durissimum his qui prœsunt fiet, un jugement très rigoureux est réservé aux supérieurs (Sap. VI, 6.): c’est l’Esprit-Saint qui le déclare. Or, Inno-cent III a régné pendant dix-huit ans, dans des temps très-difficiles. Et, ajoutent les Bollandistes, n’est-il pas écrit que les jugements de Dieu sont insondables et souvent bien différents des jugements des hommes ? Judicia tua abyssus multa (Ps. 35).

La réalité de l’apparition ne saurait donc être raisonnablement révoquée en doute. Dès lors je ne vois aucune raison de la supprimer, puisque Dieu ne révèle ces sortes de mystères qu’afin qu’on les fasse connaître pour l’édification de son Église.
Or, le Pape Innocent III mourut le 16 juillet 1216. Le même jour il apparut à sainte Lutgarde dans son monastère d’Aywières en Brabant. Elle, surprise de voir un fantôme environné de flammes, lui demanda qui il était et ce qu’il voulait. « Je suis, lui répondit-il, le Pape Innocent. – Est-il possible que vous, notre Père commun, vous soyez dans un tel état ? – Il n’est que trop vrai: j’expie trois fautes que j’ai commises et qui ont failli causer ma perte éternelle. Grâce à la sainte Vierge Marie, j’en ai obtenu le pardon, mais il me reste à en subir l’expiation. Hélas ! elle est terrible et elle durera pendant des siècles, à moins que vous ne veniez puissamment à mon Secours. Au nom de Marie, qui m’a obtenu la faveur de venir vous implorer, secourez-moi ! » – Il dit et disparut. Lutgarde annonça la mort du Pape à ses sœurs, et se livra avec elles à des prières et des exercices de pénitence en faveur de l’auguste et vénéré défunt, dont le trépas leur fut annoncée quelques semaines après, par une autre voie.

Jean de Lierre

Ajoutons ici un fait plus consolant, que nous trouvons dans la vie de la même Sainte. Un célèbre prédicateur, appelé Jean de Lierre, homme d’une grande piété, était fort connu de sainte Lutgarde. Il avait fait avec elle un pacte, par lequel ils se promettaient mutuellement que celui des deux qui mourrait le premier, rendrait une visite à l’autre, si Dieu le permettait. – Jean mourut le premier. Ayant entrepris le voyage de Rome pour régler certaines affaires qui intéressaient les religieuses, il trouva la mort dans les Alpes.

Fidèle à sa promesse, il se présenta aux yeux de Lutgarde dans le cloître d’Aywières. La sainte en le voyant, ne se doutant pas qu’il fût mort, l’invita selon la règle à entrer au parloir pour s’entretenir avec lui. « Je ne suis plus de ce monde, répondit-il, et je ne viens ici que pour m’acquitter de ma promesse. » – A ces mots Lutgarde tomba à genoux et demeura quelque temps toute interdite. Puis relevant les yeux sur son bienheureux ami: « Pourquoi, dit-elle, êtes-vous vêtu si splendidement ? Que signifie ce triple vêtement dont je vous vois orné ? – L’habit blanc, répondit-il, signifie l’innocence virginale que j’ai toujours conservée; la tunique rouge marque les travaux et les souffrances qui m’ont consumé avant le temps; le manteau bleu qui recouvre tout, désigne la perfection de la vie spirituelle. » Ayant dit ces paroles, il quitta subitement Lutgarde, qui resta partagée entre les regrets d’avoir perdu un si bon Père, et la joie qu’elle ressentait de son bonheur.

Saint Vincent Ferrier, le célèbre thaumaturge de l’Ordre de saint Dominique, qui prêcha avec tant de force la grande vérité du jugement de Dieu, avait une sœur qui n’était nullement touchée ni des paroles ni des exemples de son saint frère. Elle était remplie de l’esprit du monde, éblouie de ses vanités, enivrée de ses plaisirs, et marchait à grands pas vers sa ruine éternelle. Cependant le saint priait pour sa conversion, et sa prière fut enfin exaucée. La malheureuse pécheresse tomba mortellement malade; et au moment de mourir, rentrant en elle-même se confessa avec un repentir sincère.

Quelques jours après sa mort, tandis que son frère célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut au milieu des flammes, en proie à des maux intolérables. « Hélas ! mon frère, dit-elle, je suis condamnée à ces supplices jusqu’au jour du dernier jugement. Cependant vous pouvez m’aider. La vertu du saint sacrifice est si puissante: offrez pour moi une trentaine de messes, j’en espère le plus heureux effet. » – Le saint s’empressa d’accéder à cette demande; il célébra les trente messes, et le trentième jour, sa sœur lui apparut entouré d’anges et montant au ciel (Bayle, Vie de saint Vincent Ferr.). Grâce à la vertu du divin sacrifice, une expiation de plusieurs siècles se trouva réduite à trente jours.

Ce trait nous montre tout à la fois la durée des peines qu’une âme peut encourir, et l’effet puissant de la sainte messe, lorsque Dieu daigne l’appliquer à une âme. Mais cette application, comme celle des autres suffrages, n’a pas lieu toujours, du moins, ce n’est pas toujours avec la même plénitude.

Chapitre 24 – Durée du purgatoire

L’exemple suivant fait voir non seulement la longue durée des expiations infligées pour certaines fautes, mais en outre la difficulté de fléchir la divine justice en faveur de ceux qui ont commis ces sortes de fautes. L’histoire de la Visitation Sainte-Marie mentionne parmi les premières religieuses de cet institut la sœur Marie Denyse, qui s’était appelée dans le monde Mlle de Martignat. Elle avait pour les âmes du purgatoire la plus charitable dévotion, et se sentait particulièrement portée à recommander à Dieu les défunts qui avaient été grands dans le monde; car elle connaissait par expérience les dangers de leur position. Or un prince, dont on a supprimé le nom, mais que l’on croit appartenir à la Maison de France, était mort en duel, et Dieu permit qu’il apparût à sœur Denyse pour lui demander un secours, dont il avait le plus grand besoin. Il lui déclara qu’il n’était pas damné, malgré son crime qui méritait la damnation. Grâce à un acte de contrition parfaite qu’il avait formé au moment de mourir, il était sauvé; mais en punition de sa vie et de sa mort coupable, il était condamné aux plus rigoureux châtiments du purgatoire, jusqu’au jour du jugement.

La charitable sœur profondément touchée de l’état de cette âme, s’offrit généreusement en victime pour elle. Mais on ne saurait dire ce qu’elle eut à souffrir, durant plusieurs années, en conséquence de cet acte héroïque. Le pauvre prince ne lui laissait aucun repos et lui faisait partager ses tourments. Elle finit par en mourir; mais avant d’expirer, elle confia à sa Supérieure que, pour prix de tant d’expiations, elle avait obtenu pour son protégé une remise de peine de quelques heures.

Comme la Supérieure paraissait étonnée d’un pareil résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné avec ce que la sœur avait souffert: « Ah ! ma Mère, répliqua sœur Marie Denyse, les heures du purgatoire ne se comptent pas comme celles de la terre: des années entières de tristesse, d’ennui, de pauvreté ou de maladie en ce monde, ne sont rien en comparaison d’une heure de souffrances au purgatoire. C’est déjà beaucoup que la divine miséricorde nous ait permis d’exercer quelque influence sur sa justice. – Je suis moins touchée d’ailleurs du lamentable état dans lequel j’ai vu languir cette âme, que de l’admirable retour de la grâce qui a consommé l’œuvre de son salut. L’action dans laquelle le prince est mort, méritait l’enfer; un million d’autres eussent trouvé leur perte éternelle dans l’acte où il a trouvé son salut. Il ne recouvra sa connaissance que pour un instant, juste le temps de coopérer à ce précieux mouvement de la grâce, qui le mit en état de faire un acte sincère de contrition. Ce moment béni me semble un excès de la bonté, de la douceur, de l’amour infini de Dieu. »

Ainsi parla la sainte sœur Denyse: elle admirait tout à la fois la sévérité de la justice de Dieu et son infinie miséricorde. L’une et l’autre, en effet, éclatent dans cet exemple d’une manière saisissante.

Le duelliste – Le Père Schoofs et l’apparition d’Anvers

Au sujet de la longue durée du purgatoire pour certaines âmes, citons ici un trait plus récent et plus rapproché de nous. Le P. Philippe Schoofs, de la Compagnie de Jésus, qui mourut à Louvain en 1878, racontait le fait suivant, arrivé à Anvers dans les premières années de son ministère en cette ville. Il venait de prêcher une mission et était rentré au collège de Notre-Dame, situé alors rue de l’Empereur, lorsqu’il fut averti qu’on le demandait au parloir. Étant descendu aussitôt, il y trouva deux jeunes gens à la fleur de l’âge avec un enfant de neuf ou dix ans, pâle et maladif. « Mon père, lui dirent-ils, voici un enfant pauvre que nous avons recueilli, et qui mérite notre protection, parce qu’il est sage et pieux. Nous lui donnons la nourriture et l’éducation; et depuis plus d’une année qu’il fait partie de notre famille, il a été aussi heureux que bien portant. Depuis quelques semaines seulement, il a commencé à maigrir et à dépérir comme vous voyez. – Quelle est la cause de ce changement ? demanda le père. – Ce sont des frayeurs, répondirent-ils: l’enfant est éveillé toutes les nuits par des apparitions. Un homme, à ce qu’il nous assure, se présente à ses yeux: il le voit aussi clairement qu’il nous voit ici en plein jour. De là des frayeurs, des agitations continuelles. Nous venons, mon Père, vous demander un remède. – Mes amis, répondit le P. Schoofs, il y a remède à toutes choses auprès du Bon Dieu. Commencez, vous deux, par faire une bonne confession et une bonne communion; priez le Seigneur qu’il vous délivre de tout mal, et soyez sans crainte. Pour vous, mon enfant, dit-il au petit, faites bien votre prière, puis endormez-vous si profondément qu’aucun revenant ne puisse vous réveiller. » – Après cela il les congédia en leur disant de revenir, s’il arrivait encore quelque chose.

Quinze jours se passent, et les voilà qui reviennent. « Mon père, disent-ils, nous avons rempli vos prescriptions, et les apparitions continuent comme avant. L’enfant voit toujours apparaître le même homme. – Dès ce soir, répond le P. Schoofs, veillez à la porte de l’enfant, muni de papier et d’encre, pour écrire les réponses. Lorsqu’il vous avertira de la présence de cet homme, approchez, demandez au nom de Dieu qui il est, l’époque de sa mort, le lieu qu’il a habité et le sujet de sa venue. »

Dès le lendemain, ils reviennent, portant le papier où étaient écrites les réponses qu’ils avaient reçues. « Nous avons vu, disaient-ils, l’homme que voyait l’enfant. » Puis ils s’expliquèrent: c’était un vieillard, dont on n’apercevait que le buste et qui portait un costume du vieux temps. Il leur avait dit son nom et la maison qu’il avait habitée à Anvers. Il était mort en 1636, avait exercé la profession de banquier dans cette même maison, laquelle, de son vivant, comprenait aussi les maisons qui aujourd’hui sont attenantes à droite et à gauche. Disons ici en passant qu’on a depuis découvert dans les archives de la ville d’Anvers des documents, qui constatent l’exactitude de ces indications. – Il ajouta qu’il était au purgatoire, qu’on avait peu prié pour lui; et il suppliait les personnes de la maison de faire une communion pour lui; il demandait enfin qu’on fît un pèlerinage à Notre-Dame des Fièvres, à Louvain, et un autre à Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles. – « Vous ferez bien, dit le P. Schoofs, d’accomplir ces œuvres; et, si l’esprit revient encore, avant de le faire parler, exigez qu’il récite le Pater, l’Ave Maria et Credo. »

Ils accomplirent les œuvres indiquées avec toute la piété possible, et des conversions eurent lieu dans cette circonstance. Quand tout fut achevé, les jeunes gens revinrent: « Mon père, il a prié, dirent-ils au P. Schoofs, mais avec un accent de foi et de piété indicible. Jamais nous n’avons entendu prier ainsi: Quel respect dans son Pater ! Quel amour dans son Ave Maria ! Quelle fermeté dans son Credo ! Maintenant nous savons ce que c’est que prier. – Il nous a ensuite remerciés pour nos prières: il en était grandement soulagé; il eût même été délivré entièrement, disait-il, sans la faute de la fille de magasin, qui avait fait une confession sacrilège. – Nous avons, ajoutèrent-ils, rapporté cette parole à la fille; elle a pâli et avoué sa faute, puis, courant à son confesseur, elle s’est empressée de tout réparer. »

Depuis ce jour, ajoutait le P. Schoofs en terminant son récit, cette maison n’a plus été troublée. La famille qui l’habitait a prospéré rapidement et est riche aujourd’hui. Les deux frères continuent à se conduire d’une manière exemplaire, et leur sœur s’est faite religieuse dans un couvent où elle est actuellement supérieure.

Tout porte à croire que la prospérité de cette famille lui est venue du défunt qu’elle a secouru. Celui-ci, après ses deux siècles de purgatoire n’avait plus besoin que d’un reste d’expiation et des quelques œuvres qu’il a demandées. Ces œuvres accomplies, il a été délivré, et il aura voulu témoigner sa gratitude en obtenant les bénédictions de Dieu pour ses libérateurs.