Chapitre 40 – Matière des expiations
Manque de charité et de respect envers le prochain
La vraie charité est humble et s’incline devant ses frères, les respectant tous comme s’ils lui étaient supérieurs. Ses paroles toujours amicales et pleines d’égards pour tout le monde, n’ont rien d’amer ni de froid, rien qui sente le mépris, parce qu’elles coulent d’un cœur doux et humble, comme celui de Jésus. Elle évite aussi avec soin tout ce qui pourrait troubler l’union; et si quelque différend se produit, elle fait toutes les démarches, tous les sacrifices, pour amener la réconciliation, selon cette parole du divin Maître: Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, et alors vous viendrez présenter votre offrande (Matth. V, 23).
Saint Louis Bertrand et le défunt demandant pardon
Un religieux ayant blessé la charité à l’égard de saint Louis Bertrand, en reçut après sa mort un châtiment terrible. Il fut plongé dans le feu du purgatoire, qu’il dut subir jusqu’à ce que la justice divine fût satisfaite; de plus, il ne put être admis au séjour des élus avant d’avoir accompli un acte extérieur de réparation, qui servit d’exemple aux vivants. Voici comment le fait est rapporté dans la Vie du saint (Acta Sanctor. 10 octob).
Quand saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique, résidait au couvent de Valence, il y avait dans la communauté un jeune religieux, qui attachait trop d’importance à la science humaine. Sans doute, les lettres et l’érudition ont leur prix, mais, comme le Saint-Esprit le déclare, elles le cèdent à la crainte de Dieu et à la science des saints: Non super timentem Dominum (Eccli. XXV, 13). Cette science des saints que l’éternelle sagesse est venue nous enseigner, consiste dans l’humilité et la charité. Or le jeune religieux, dont nous parlons, encore peu avancé dans cette divine science, se permit de reprocher au Père Louis son peu de savoir, et de lui dire: On le voit, mon Père, vous n’êtes pas bien savant ! – Mon frère, répondit le Saint avec une douce fermeté, Lucifer a été fort savant et il n’en est pas moins réprouvé.
Le Frère qui avait commis cette faute ne songea pas à la réparer. Cependant il n’était pas un mauvais religieux; et à quelque temps de là, étant tombé malade, il reçut fort bien tous les sacrements et mourut dans la paix du Seigneur. Un temps assez considérable s’écoula, pendant lequel saint Louis fut nommé Prieur. Alors, étant resté dans le chœur après matines, le défunt lui apparut environné de flammes, et s’inclinant humblement devant lui, il lui dit: « Mon père, pardonnez-moi les paroles blessantes que je vous ai adressées autrefois. Dieu ne permet pas que je voie sa face avant que vous ne m’ayez pardonné cette faute et célébré ensuite pour moi le saint sacrifice de la Messe. » – Le Saint lui pardonna volontiers et offrit le lendemain la Messe pour lui. La nuit suivante, se trouvant encore dans le chœur, il vit de nouveau le défunt lui apparaître, mais glorieux et allant au ciel.
Le Père Nieremberg
Le Père Eusèbe Nieremberg, religieux de la Compagnie de Jésus, auteur du beau livre Différence entre le temps et l’éternité, résidait au collège de Madrid, où il mourut en odeur de sainteté en 1658. Ce serviteur de Dieu, singulièrement dévot aux âmes du purgatoire, priait un jour avec ferveur dans l’église du collège pour un Père récemment décédé. Le défunt qui avait longtemps professé la théologie, ne s’était pas montré moins bon religieux que savant théologien: il avait eu surtout une grande dévotion à la Sainte Vierge; mais un vice s’était mêlé à ses vertus: il manquait de charité dans ses paroles et parlait fréquemment des défauts du prochain.
Or, comme le P. Nieremberg recommandait son âme à Dieu, ce religieux lui apparut et lui révéla son état. Il était livré à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité. Sa langue, en particulier, instrument de ses fautes, était tourmentée par un feu cuisant. La Sainte Vierge, en récompense de la tendre dévotion qu’il avait eue pour elle, lui avait obtenu de venir solliciter des prières; il devait en même temps servir d’exemple à ses frères, pour leur apprendre à veiller avec soin sur toutes leurs paroles. – Le Père Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences pour lui, obtint enfin sa délivrance (Vie du P. Nieremberg).
La Bienheureuse Marguerite-Marie et le religieux Bénédictin.
Le religieux dont il est parlé dans la Vie de la bienheureuse Marguerite, et pour qui cette servante de Dieu souffrit si cruellement pendant trois mois, était aussi puni, entre autres fautes, pour ses péchés contre la charité. Voici comment eut lieu cette révélation.
La Bienheureuse Marguerite-Marie, lisons-nous dans sa Vie, étant une fois devant le Saint-Sacrement, tout à coup se présenta à elle un homme totalement en feu, et dont les ardeurs la pénétrèrent si fort qu’elle se sentait comme brûler avec lui. L’état pitoyable où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes. C’était un religieux bénédictin de la congrégation de Cluni, à qui elle s’était confessée autrefois et qui avait fait du bien à son âme en lui ordonnant de communier. En récompense de ce service, Dieu lui avait permis de s’adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines.
Le pauvre défunt lui demanda que durant l’espace de trois mois, tout ce qu’elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué: elle le lui promit, après en avoir demandé la permission. – Il lui dit alors, que la première cause de ses grandes souffrances était d’avoir cherché son propre intérêt avant la gloire de Dieu et le bien des âmes, par trop d’attache à sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers ses frères. La troisième, l’affection naturelle pour les créatures, à laquelle il avait eu la faiblesse de céder, et dont il leur avait donné des témoignages dans les entretiens spirituels, ce qui, ajoutait-il déplaisait beaucoup à Dieu.
Il est difficile de dire tout ce que la Bienheureuse eut à souffrir, l’espace des trois mois qui suivirent. Le défunt ne la quittait pas: du côté où il était, elle se sentait tout en feu, avec de si vives douleurs qu’elle en pleurait toujours. Sa Supérieure, touchée de compassion, lui ordonnait des pénitences et des disciplines, parce que les peines et les souffrances qu’on lui accordait, la soulageaient beaucoup. Les tourments, disait-elle, que la sainteté de Dieu imprimait en elle, étaient insupportables. C’était un échantillon de ce qu’endurent les âmes.
Chapitre 41 – Matière des expiations
Abus de la grâce
Il est un autre dérèglement de l’âme que Dieu punit sévèrement en purgatoire, savoir l’abus de la grâce. On entend par là le manque de correspondance aux secours que Dieu nous accorde et aux invitations qu’il nous fait pour la pratique du bien, pour la sanctification de nos âmes. Cette grâce qu’il nous présente est un don précieux, qu’on ne peut laisser tomber par terre, c’est une semence de salut et de mérite qu’il n’est pas permis de rendre stérile. Or on commet cette faute, quand on ne répond pas avec générosité à l’invitation divine. J’ai reçu de Dieu les moyens de faire l’aumône: une voix intérieure m’invite à la faire; je ferme mon cœur, ou je ne donne que d’une main avare: c’est un abus de grâce. – Je puis entendre la messe, assister au sermon, fréquenter les sacrements: une voix intérieure m’y invite; mais je ne veux pas m’en donner la peine: c’est un abus de grâce. – Une personne religieuse doit être obéissante, humble, mortifiée, dévouée à ses devoirs: Dieu le demande et lui en donne la force en vertu de sa vocation; elle ne s’y applique pas, elle ne travaille pas à se vaincre pour coopérer avec le secours que Dieu lui offre: c’est un abus de grâce.
Sainte Madeleine de Pazzi et la religieuse défunte
Or ce péché, disons-nous, est rigoureusement puni au purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi nous apprend, qu’une de ses sœurs en religion eut beaucoup à souffrir après la mort pour n’avoir pas correspondu à la grâce en trois occasions. Il lui était arrivé, un jour de fête, de sentir l’envie de faire un petit travail: il ne s’agissait que d’un ouvrage de femme, mais il n’était pas nécessaire et il convenait de le remettre à un autre moment. L’inspiration de la grâce lui disait de s’en abstenir, par respect pour la sainteté du jour; mais elle préféra satisfaire l’envie naturelle qu’elle avait de faire cet ouvrage, sous prétexte que c’était une chose légère. – Une autre fois, ayant remarqué qu’un point d’observance était oublié, et qu’en le faisant connaître à ses supérieurs il en résulterait un bien pour la communauté, elle omit d’en parler. L’inspiration de la grâce lui disait d’accomplir cet acte de charité, mais le respect humain l’empêcha de le faire. – Une troisième faute fut un attachement déréglé pour les siens qui étaient dans le monde. Comme épouse de Jésus-Christ, elle devait toutes ses affections à ce divin Époux; mais elle partageait son cœur en s’occupant trop des membres de sa famille. Quoiqu’elle sentît que sa conduite à cet égard était défectueuse, elle n’obéit pas à ce mouvement de la grâce et ne travailla pas sérieusement à se corriger.
Cette sœur, d’ailleurs fort édifiante, étant venue à mourir, Madeleine pria pour elle avec sa ferveur ordinaire. Seize jours se passèrent et elle apparut à la Sainte, lui annonçant sa délivrance. Comme Madeleine s’étonnait de ce qu’elle avait été si longtemps dans les tourments, elle lui fit connaître qu’elle avait dû expier son abus de la grâce dans les trois cas dont nous avons parlé; et elle ajouta que ces fautes l’auraient retenue plus longtemps dans les supplices, si Dieu n’avait eu égard à un côté plus satisfaisant de sa conduite: il avait abrégé ses peines à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention, et de sa charité envers ses sœurs (Cépari, Vie de sainte Madeleine de Pazzi).
Ceux qui ont eu plus de grâces en ce monde et plus de moyens d’acquitter leurs dettes spirituelles, seront traités au purgatoire avec moins d’indulgence, que d’autres qui ont eu moins de facilité à satisfaire pendant la vie.
La Bienheureuse Marguerite et les trois âmes en purgatoire.
La Bienheureuse Marguerite-Marie, ayant appris la mort de trois personnes récemment décédées, deux religieuses et une séculière, se mit aussitôt à prier pour le repos de leurs âmes. C’était le premier jour de l’an. Notre-Seigneur touché de sa charité et usant d’une familiarité ineffable, daigna lui apparaître; et les lui montrant toutes les trois dans ces prisons de feu où elles gémissaient, lui dit: « Ma fille, pour vos étrennes, je vous accorde la délivrance d’une de ces trois âmes, et je vous laisse le choix. Laquelle voulez-vous que je délivre ? – Qui suis-je, Seigneur, répondit-elle, pour désigner celle qui mérite la préférence ? Daignez faire vous-même le choix. » – Alors Notre-Seigneur délivra la séculière, disant, qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, parce qu’elles avaient eu plus de moyens d’expier leurs péchés pendant la vie.v