Chapitre 3
Consolations des âmes – S. Stanislas de Cracovie et le ressuscité Pierre Milès.
Ce contentement au milieu des plus amères souffrances ne peut s’expliquer que par les divines consolations que le Saint-Esprit répand dans les âmes du purgatoire. Ce divin Esprit, par la foi, l’espérance et la charité les met dans la disposition d’un malade qui subit un traitement très douloureux, mais dont l’effet certain sera de lui rendre une santé parfaite. Ce malade souffre, mais il aime des souffrances si salutaires. L’Esprit consolateur donne aux âmes un contentement semblable. Nous en avons un exemple frappant dans ce Pierre Milès, ressuscité par S. Stanislas de Cracovie, et qui préférait retourner en purgatoire que de vivre encore sur la terre.
Le célèbre miracle de cette résurrection arriva en 1070. Voici comment on le trouve rapporté dans les Acta Sanctorum, sous le 7 mai. Saint Stanislas était Évêque de Cracovie lorsque le duc Boleslas II gouvernait la Pologne. Il ne manquait pas de rappeler ses devoirs à ce prince, qui les violait scandaleusement devant tout son peuple. Boleslas s’irrita de la sainte liberté du prélat; et pour se venger, il excita contre lui les héritiers d’un certain Pierre Milès, qui était mort trois années auparavant, après avoir vendu une terre à l’église de Cracovie. Les héritiers accusèrent l’Évêque d’avoir envahi ce terrain sans le payer au propriétaire. Stanislas eut beau affirmer qu’il avait effectué le payement; comme les témoins qui devaient le soutenir se trouvaient subornés ou intimidés, il fut déclaré usurpateur du bien d’autrui, et condamné à restituer la terre en litige. Alors, voyant que la justice humaine lui faisait défaut, il éleva son cœur à Dieu et en reçut une inspiration soudaine: il demanda trois jours de délai, promettant de faire comparaître en personne Pierre Milès, son vendeur, qui lui-même rendrait témoignage. On le lui accorda par moquerie.
Le Saint jeûna, veilla, pria Notre-Seigneur de défendre sa cause; et le troisième jour, après avoir célébré la sainte Messe, il partit, escorté de ses clercs et de beaucoup de fidèles, et vint à l’endroit où Pierre était enterré. Par son ordre on ouvrit la tombe, qui ne contenait plus que des ossements; il les toucha de son bâton pastoral, et au nom de Celui qui est la résurrection et la vie, il commanda au mort de se lever. Soudain ces ossements se raffermirent, se rapprochèrent, se couvrirent de chair, et aux regards stupéfaits de tout un peuple, on vit le mort tenant le saint Évêque par la main s’acheminer vers le lieu du tribunal. Boleslas avec sa cour et une foule considérable étaient dans l’attente la plus vive. « Voici Pierre, dit le Saint à Boleslas, il vient, Prince, rendre témoignage devant vous. Interrogez-le, il répondra. »
Impossible de peindre la stupéfaction du Duc, de ses assesseurs, de toute cette foule. Le ressuscité affirma que sa terre lui avait été payée; ensuite se tournant vers ses héritiers, il leur fit de justes reproches pour avoir accusé le pieux prélat contre tout droit et toute justice; puis il les exhorta à faire pénitence d’un si grave péché.
C’est ainsi que l’iniquité, qui se croyait déjà sûre du succès, fut confondue. Maintenant vient la circonstance qui regarde notre sujet et que nous voulons faire ressortir. Voulant achever pour la gloire de Dieu un si grand miracle, Stanislas proposa au défunt, s’il voulait encore vivre quelques années, de le lui obtenir de Notre-Seigneur. – Pierre répondit qu’il ne le désirait pas. Il était au purgatoire, mais il aimait mieux y retourner tout de suite et en souffrir les peines, que de s’exposer au danger de la damnation dans cette vie terrestre. Il conjura seulement le Saint de prier Dieu afin que ses peines fussent abrégées, et qu’il pût bientôt entrer dans le séjour des bienheureux. – Après cela, accompagné de l’Évêque et d’une grande multitude, Pierre s’en retourna à son tombeau, s’y recoucha, et aussitôt son corps se défit, ses os se détachèrent et retombèrent dans leur premier état. – On a lieu de croire que le Saint obtint promptement la délivrance de son âme.
Ce qui est particulièrement remarquable en cet exemple, et doit attirer toute notre attention, c’est qu’une âme du purgatoire, après avoir fait l’essai des plus cruels supplices, préfère cet état si douloureux à la vie dans ce monde; et la raison qu’elle donne de cette préférence, c’est que dans cette vie mortelle nous sommes exposés au danger de nous perdre et d’encourir la damnation éternelle.
Chapitre 4 – Consolations des âmes
Sainte Catherine de Ricci et l’âme d’un prince.
Citons un autre exemple des consolations intérieures et du contentement mystérieux que les âmes éprouvent au milieu des plus cuisantes douleurs: nous le trouvons dans la vie de sainte Catherine de Ricci (13 février), religieuse de l’ordre de S. Dominique, qui mourut au monastère de Prato le 2 février 1590. Cette servante de Dieu portait la charité envers les âmes du purgatoire, jusqu’à souffrir en leur place sur la terre ce qu’elles devaient endurer dans l’autre monde. Entre autres, elle délivra des flammes expiatrices l’âme d’un prince, en souffrant pour lui pendant quarante jours des tourments inouïs.
Ce prince, que l’histoire ne nomme pas, par égard sans doute pour sa famille, avait mené une vie mondaine; et la Sainte fit beaucoup de prières, de jeûnes et de pénitences, pour que Dieu l’éclairât et qu’il ne fût pas réprouvé. Dieu daigna l’exaucer, et le malheureux pécheur donna avant sa mort des preuves évidentes d’une sincère conversion. Il mourut dans ces bons sentiments et passa en purgatoire.
Catherine en eut connaissance par révélation divine dans l’oraison, et s’offrit à satisfaire elle-même pour cette âme à la justice divine. Le Seigneur agréa ce charitable échange, reçut dans la gloire l’âme du prince et fit subir à Catherine des peines tout à fait étranges, durant l’espace de quarante jours. Elle fut saisie d’un mal qui, au jugement des médecins, n’était pas naturel, et qu’ils ne pouvaient ni guérir ni soulager. Voici, d’après les témoins, en quoi ce mal consistait. Le corps de la Sainte se couvrit d’ampoules, remplies d’une humeur visiblement en ébullition, comme l’eau bouillante sur le feu. Il en résultait une chaleur extrême, au point que sa cellule s’échauffait comme un four et paraissait pleine de feu: on ne pouvait y demeurer quelques instants sans sortir pour respirer.
Il était évident que la chair de la malade bouillait, et sa langue ressemblait à une plaque de métal rougie au feu. Par intervalles, l’ébullition cessait, et alors la chair paraissait comme rôtie; mais bientôt les ampoules se reproduisaient et répandaient la même chaleur.
Cependant, au milieu de ce supplice, la Sainte ne perdait ni la sérénité du visage ni la paix de l’âme: au contraire, elle semblait jouir dans ces tourments. Les douleurs allaient parfois à un tel degré d’intensité qu’elle en perdait la parole pendant dix ou douze minutes. Quand les religieuses, ses sœurs, lui disaient qu’elle semblait être dans le feu; elle répondait simplement qu’oui, sans ajouter rien de plus. Lorsqu’elles lui représentaient qu’elle poussait le zèle trop loin, et qu’elle ne devrait pas demander à Dieu de si excessives douleurs: « Pardonnez-moi, mes Mères, disait-elle, si je vous réplique. Jésus a tant d’amour pour les âmes, que tout ce que nous faisons pour leur salut lui est infiniment agréable. C’est pourquoi je supporte volontiers quelque peine que ce soit, tant pour la conversion des pécheurs que pour la délivrance des âmes détenues au purgatoire. »
Les quarante jours expirés, Catherine revint à son état ordinaire. Les parents du prince lui demandèrent où était son âme: « N’ayez aucune crainte, répondit-elle, son âme jouit de la gloire éternelle. » On connut par-là que c’était pour cette âme qu’elle avait tant souffert.
Ce trait peut nous apprendre bien des choses; mais nous l’avons cité pour montrer comment les plus grandes souffrances ne sont pas incompatibles avec la paix intérieure. Notre Sainte, tout en souffrant visiblement les peines du purgatoire, jouissait d’une paix admirable et d’un contentement surhumain.