Chapitre 46
Avantages – Reconnaissance des âmes – Retour d’un prêtre émigré – Faveurs temporelles
Pour bien comprendre la reconnaissance des âmes, nous devrions avoir une notion plus claire du bienfait qu’elles reçoivent de leurs libérateurs: nous devrions savoir ce que c’est que l’entrée dans le ciel. Qui nous dira, dit l’abbé Louvet, les joies de cette heure bénie! Représentez-vous le bonheur d’un exilé qui rentre enfin dans la patrie. Pendant les jours de la terreur, un pauvre prêtre de la Vendée avait fait partie des célèbres noyades de Carrier. Échappé par miracle à la mort, il avait dû émigrer pour sauver ses jours. Quand la paix fut rendue à l’Église et à la France, il s’empressa de rentrer dans sa chère paroisse.
Ce jour-là, le village s’était mis en fête, tous les paroissiens étaient venus au-devant de leur pasteur et de leur père; les cloches sonnaient joyeusement dans le vieux clocher, et l’église s’était parée comme au jour des grandes solennités. Le vieillard s’avançait souriant au milieu de ses enfants; mais quand les portes du saint lieu s’ouvrirent devant lui, quand il revit cet autel qui avait réjoui si longtemps les jours de sa jeunesse, son cœur se brisa dans sa poitrine trop faible pour supporter une telle joie.
Il entonna d’une voix tremblante le Te Deum, mais c’était le Nunc dimittis de sa vie sacerdotale: il tomba mourant, au pied même de l’autel. L’exilé n’avait pas eu la force de supporter les joies du retour.
Si telles sont les joies du retour de l’exil dans la patrie terrestre, qui nous dira celles de l’entrée au ciel, la vraie patrie de nos âmes! Et comment s’étonner de la reconnaissance des bienheureux que nous y avons introduits ?
Le Père Munford et l’imprimeur Guill. Freyssen
Le Père Jacques Munford, de la Compagnie de Jésus, né en Angleterre en 1605, et qui combattit pendant quarante ans pour la cause de l’Église, dans ce pays livré à l’hérésie, avait composé sur le purgatoire un ouvrage remarquable (De la charité envers les défunts. Ce livre a été traduit en français par le P. Marcel Bouix), qu’il fit imprimer à Cologne par Guillaume Freyssen, éditeur catholique et bien connu. Ce livre se répandit beaucoup, fit un grand bien dans les âmes, et l’éditeur Freyssen fut un de ceux qui en tira les plus grands avantages. Voici ce qu’il écrivit au Père Munford en 1649.
Je Vous écris, mon Père, pour vous faire part de la double et miraculeuse guérison de mon fils et de ma femme. Pendant les jours de fête où mon magasin était fermé, je me mis à lire le livre dont vous m’avez confié l’impression: De la miséricorde à exercer envers les âmes du purgatoire. J’étais tout pénétré encore de cette lecture, quand on vint m’avertir que mon jeune fils, âgé de quatre ans, éprouvait les premiers symptômes d’une grave maladie. Le mal empira promptement, les médecins désespéraient, et déjà on songeait aux préparatifs de l’enterrement La pensée me vint alors que je pourrais peut-être le sauver en faisant un vœu en faveur des âmes du purgatoire. »
Je me rendis donc à l’église de grand matin, et je suppliai avec ferveur le Bon Dieu d’avoir pitié de moi, m’engageant par vœu à distribuer gratuitement cent exemplaires de votre livre aux ecclésiastiques et aux religieux, afin de leur rappeler avec quel zèle ils doivent s’intéresser aux membres de l’Église souffrante, et quelles sont les meilleures pratiques pour s’acquitter de ce devoir.
J’étais, je l’avoue, plein d’espoir. De retour à la maison, je trouvai l’enfant en meilleur état. Il demandait déjà de la nourriture, bien que, depuis plusieurs jours, il n’eût pu avaler une seule goutte de liquide. Le lendemain, sa guérison était complète: il se leva, sortit en promenade et mangea d’aussi bon appétit que s’il n’avait jamais été malade. -Pénétré de reconnaissance, je n’eus rien de plus pressé que d’accomplir ma promesse: je me rendis au collège de.la Compagnie, et je priais vos Pères d’accepter mes cent exemplaires: d’en garder pour eux ce qu’ils en voudraient, et de distribuer les autres aux communautés et aux ecclésiastiques de leur connaissance; afin que les âmes souffrantes, mes bienfaitrices, fussent soulagées par de nouveaux suffrages.
Trois semaines après, un autre accident non moins grave, m’arriva. Ma femme, en rentrant chez elle, fut prise tout à coup d’un tremblement dans tous ses membres, tellement violent, qu’il la jetait à terre et lui ôtait tout sentiment.
Elle perdit bientôt l’appétit et jusqu’à l’usage de la parole. Vainement on employa tous les remèdes, le mal ne faisait que s’aggraver et tout espoir sembla perdu. Son confesseur, la voyant en cet état, m’adressait des paroles de consolation, et déjà m’exhortait paternellement à me résigner à la volonté de Dieu. – Pour moi, après l’expérience que j’avais faite de la protection des bonnes âmes, du purgatoire, je me refusais à désespérer. Je retournai donc à la même église; prosterné devant l’autel du Saint- Sacrement, je renouvelai mes supplications avec toute l’ardeur dont j’étais capable: « 0 mon Dieu, m’écriai-je, votre miséricorde est sans mesure. Au nom de cette bonté infinie, ne permettez pas que la guérison de mon fils soit payée par la mort de ma femme! » – Je fis vœu alors de distribuer deux cents exemplaires de votre livre, afin d’obtenir pour les âmes souffrantes de nombreux secours. En même temps je suppliai les âmes qui avaient été délivrées précédemment d’unir leurs prières à celles des autres, encore retenues en purgatoire.
Après cette prière, je m’en retournais à la maison, quand je vis accourir mes serviteurs au-devant de moi. Ils venaient m’annoncer que ma chère malade éprouvait un soulagement notable: le délire avait cessé, la parole était revenue. Je courus m’en assurer; tout était vrai. Je lui offre des aliments, elle les prend avec appétit Très- peu de temps après, elle était si complètement remise, qu’elle vint à l’église avec moi, remercier le Dieu de toute miséricorde.
Votre Révérence peut ajouter une foi entière à ce récit. Je la prie de m’aider à remercier Notre-Seigneur de ce double miracle. – Freyssen. (Voir Rossignoli Merv.16)
Chapitre 47
Avantages – Faveurs temporelles – L’abbé Postel et la servante de Paris.
Le trait suivant est rapporté par l’abbé Postel, traducteur du P.Rossignoli. Il le dit arrivé à Paris vers 1827, et l’a inséré dans les Merveilles du purgatoire, sous le numéro 51.
Une pauvre servante, élevée chrétiennement dans son village, avait adopté la sainte pratique de faire dire chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes souffrantes. Amenée avec ses maîtres dans la capitale, elle n’y manqua pas une seule fois, se faisant d’ailleurs une loi d’assister elle-même au divin sacrifice, et d’unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l’âme dont l’expiation avait plus besoin que de peu de chose pour être achevée. C’était sa demande ordinaire.
Dieu l’éprouva bientôt par une longue maladie, qui non seulement la fit cruellement souffrir, mais lui fit perdre sa place et épuiser ses dernières ressources. Le jour où elle put sortir de l’hospice, il ne lui restait que vingt sous pour tout argent. Après avoir fait au ciel une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d’une condition. On lui avait parlé d’un bureau de placement à l’autre extrémité de la ville, et elle s’y rendait, lorsque l’église de Saint-Eustache se trouvant sur sa route, elle y’ entra. La vue d’un prêtre à l’autel lui rappela qu’elle avait manqué, ce mois à sa messe ordinaire des défunts, et que ce jour était précisément celui, où depuis bien des années elle s’était procuré cette consolation. Mais comment faire? Si elle se dessaisissait de son dernier franc, il ne lui resterait pas même de quoi apaiser sa faim. Ce fut un combat entre sa dévotion et la prudence humaine. La dévotion l’emporta. « Après tout, se dit-elle, le Bon Dieu voit que c’est pour lui, et il ne saurait m’abandonner! »
– Elle entre à la sacristie, remet son offrande pour une messe, puis assiste à cette messe avec sa ferveur accoutumée.
Elle continuait sa route, quelques instants après, pleine d’une inquiétude que l’on comprend. Dénuée de tout absolument, que faire si un emploi lui manque? Elle était dans ces pensées, lorsqu’un jeune homme pâle, d’une taille élancée, d’un maintien distingué, s’approche d’elle et lui dit: « Vous cherchez une place? – Oui, monsieur – Eh bien, allez à telle rue, tel numéro, chez Madame…je crois que vous lui conviendrez, et que vous serez bien là. » – Ayant dit ces mots, il disparut dans la foule des passants, sans attendre les remerciements que la pauvre fille lui adressait.
Elle se fait indiquer la rue, reconnaît le numéro et monte à l’appartement. Une domestique en sortait, tenant un paquet sous le bras, et murmurant des paroles de plainte et de colère. – IX Madame y est-elle? demanda la nouvelle venue. – « Peut-être oui, peut-être non » répond l’autre; que m’importe? Madame ouvrira elle- même, si cela lui convient: je n’ai plus à m’en mêler.
« Adieu.» Et elle descend. Notre pauvre fille sonne en tremblant, et une voix douce lui dit d’entrer. Elle se trouve en face d’une Dame âgée, d’un aspect vénérable, qui l’encourage à exposer sa demande. – « Madame, dit la servante, j’ai appris ce matin que vous aviez besoin d’une femme de chambre, et je viens m’offrir à vous, on m’a assuré que vous m’accueilleriez avec bonté. – Mais, ma chère enfant, ce que vous dites là est fort extraordinaire. Ce matin je n’avais besoin de personne; depuis une demi-heure seulement j’ai chassé une insolente domestique, et il n’est pas une âme au monde, hors elle et moi, qui le sache encore. Qui donc vous envoie? – C’est un monsieur, Madame, un jeune monsieur que j’ai rencontré dans la rue, qui m’a arrêtée pour cela, et j’en ai béni Dieu car il faut absolument que je sois placée aujourd’hui: il ne me reste pas un sou.»
La vieille Dame ne pouvait comprendre quel était ce personnage et se perdait en conjectures, lorsque la servante, levant les yeux au-dessus d’un meuble du petit salon, aperçut un portrait. « Tenez, Madame, dit-elle aussitôt, ne cherchez pas plus longtemps: voilà exactement la figure du jeune homme qui m’a parlé: c’est de sa part que je viens. »
A ces mots, la Dame pousse un grand cri et semble prête à perdre connaissance: Elle se fait redire toute cette histoire, celle de la dévotion aulx âmes du purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre de l’étranger; puis se jetant au cou de la pauvre fille, elle l’embrasse avec effusion, et lui dit: « Vous ne serez point ma servante, vous êtes dès ce moment ma fille! C’est mon fils, mon fils unique que vous avez vu: mon fils mort depuis deux ans, qui vous a dû sa délivrance, je n’en puis douter, et à qui Dieu a permis de vous envoyer ici. Soyez donc bénie, et prions désormais ensemble pour tous ceux qui souffrent avant d’entrer dans la bienheureuse éternité. »