Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 50, 51

Chapitre 50

Avantages – prières des âmes pour nous – Suarez

Nous venons de parler de la reconnaissance des âmes; elles la témoignent parfois d’une manière très visible, comme nous avons vu; mais le plus souvent elles l’exercent invisiblement par leurs prières. Les âmes prient pour nous, non seulement quand après leur délivrance elles sont avec Dieu dans le ciel; mais déjà dans le lieu de leur exil et au milieu de leurs souffrances. Quoiqu’elles ne puissent prier pour elles-mêmes, elles obtiennent par leurs supplications de grandes grâces pour nous. Tel est l’enseignement exprès de deux illustres Théologiens, Bellarmin et Suarez. Il Ces âmes sont saintes, dit Suarez (1), et chères à Dieu; la charité les porte à nous aimer, et elles savent, au moins d’une manière générale, à quels périls nous sommes exposés, quel besoin nous avons du secours divin. Pourquoi et donc ne prieraient-elles pas pour leurs bienfaiteurs? 1)

Pourquoi? Mais, répondra-t-on, parce qu’elles ne les connaissent pas. Dans leur sombre séjour et au milieu de leurs tourments, comment savent-elles quels sont ceux qui les aident par leurs suffrages?

A cette objection on peut répondre d’abord, que les âmes ~entent au moins le soulagement qu’elles reçoivent, et le secours qui leur est donné; cela suffit, lors même, qu’elles ignoreraient d’où il leur vient, pour appeler les bénédictions du ciel sur leurs bienfaiteurs, quels qu’ils soient, et qui sont connus de Dieu.

Mais, de fait, ne savent-elles pas de qui leur vient l’assistance dans leurs peines? Leur ignorance en ce point n’est nullement prouvée, et de fortes raisons insinuent que cette ignorance n’existe pas. Leur ange gardien qui demeure avec elles pour leur donner toutes les consolations en son pouvoir, les priverait-il d’une connaissance si consolante? Ensuite, cette connaissance n’est-elle pas bien, conforme au dogme de la communion des saints? Le commerce qui existe entre nous et l’Église souffrante ne sera-t-il pas d’autant plus parfait qu’il sera réciproque et que les âmes connaîtront mieux leurs bienfaiteurs?

Sainte Brigitte

Cette doctrine se trouve confirmée par une foule de révélations particulières et par la pratique de plusieurs saints personnages. Nous avons dit déjà que sainte Brigitte, dans un de ses ravissements, entendit plusieurs de ces âmes dire à haut~ voix: « Seigneur, Dieu tout-puissant, rendez le centuple à ceux qui nous assistent par leurs prières, et qui vous offrent des bonnes œuvres pour nous faire jouir de la lumière de votre divinité. »

Sainte Catherine de Bologne – Le vénérable Vianney

On lit dans la vie de sainte Catherine dé Bologne (1), qu’elle avait une dévotion pleine de tendresse pour les âmes du purgatoire; qu’elle priait pour elles souvent et avec beaucoup de ferveur; qu’elle se recommandait à elles avec grande confiance dans ses besoins spirituels, et qu’elle engageait les autres à le faire, en leur disant: « Quand je veux obtenir quelque grâce de notre Père du ciel, j’ai recours aux âmes qui sont détenues dans le purgatoire: je les supplie de présenter à la divine majesté ma requête en leur nom, et je sens que je suis exaucée par leur entremise. » – Un saint prêtre de notre temps, dont la cause de béatification est commencée à Rome, le vénérable Vianney, curé d’Ars, disait à un ecclésiastique qui le consultait: « Oh! si l’on savait combien grande est la puissance des bonnes âmes du purgatoire sur le cœur de Dieu, et si l’on connaissait bien toutes les grâces que nous pouvons obtenir par leur intercession, elles ne seraient pas tant oubliées. Il faut bien prier pour elles, afin qu’elles prient bien pour nous. »

Cette dernière parole du vénérable Vianney indique la vraie manière de recourir aux âmes du purgatoire: il faut les aider pour obtenir en retour leurs prières et les effets de leur reconnaissance: n faut bien prier pour elles, afin qu’elles prient bien pour nous. Il ne s’agit donc pas de les invoquer comme on invoque les Saints du paradis; tel n’est pas l’esprit de l’Église, qui avant tout, prie pour les défunts et les aide par ses suffrages. Mais il n’est nulle- ment contraire à l’esprit de l’Église, ni à la piété chrétienne de procurer des secours aux âmes dans l’intention d’obtenir en retour par leurs prières les faveurs qu’on désire. Ainsi c’est chose louable et pieuse d’offrir une messe pour les défunts quand on a besoin d’une grâce particulière.

Si la prière des âmes est si puissante quand elles sont encore dans les souffrances, on conçoit aisément qu’elle le sera bien davantage,’ quand, entièrement purifiées, elles seront devant le trône de Dieu.

Chapitre 51

Avantages – Reconnaissance du divin Époux des âmes

Si les âmes sont reconnaissantes envers leurs bienfaiteurs, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime ces âmes, qui reçoit comme fait à lui-même tout le bien qu’on leur procure, ne rendra pas un moindre retour, souvent dès cette vie, et toujours en l’autre. Il récompense ceux qui font miséricorde, et il punit ceux qui oublient de la faire aux âmes souffrantes.

La venérable Archangèle Panigarola et son père Gothard

Voyons d’abord un exemple de châtiment. La vénérable Archangèle Panigarola, religieuse Dominicaine, prieure du monastère de Sainte-Marthe, à Milan, avait un zèle extraordinaire pour le soulagement des âmes du purgatoire. Elle priait et faisait prier pour toutes ses connaissances, et même pour les inconnus, dont la mort lui était annoncée. Son père Gothard, qu’elle aimait tendrement, était un de ces chrétiens du monde qui ne s’occupent guère de prier pour les défunts. Il vint à mourir, et Archangèle désolée, comprenant qu’elle devait à ce cher défunt moins de larmes que de prières, forma la résolution de le recommander à Dieu par des suffrages tout particuliers. Mais, chose étonnante cette résolution n’eut presque aucun effet: cette fille si pieuse et si dévouée à son père, fit peu de chose pour son âme: Dieu permettait que, malgré ses saintes résolutions, elle la perdit constamment de vue pour s’occuper des autres. Enfin un événement inattendu vint lui donner l’explication de cet oubli étrange et exciter sa dévotion en faveur de son père.

Le jour de la Fête des morts, elle s’était renfermée dans sa cellule, s’occupant uniquement d’exercices de piété et de pénitence pour les âmes. Tout d’un coup son ange gardien lui apparaît, la prend par la main et la conduit en esprit en purgatoire. Là parmi les âmes qu’elle aperçut, elle reconnut celle de son père, plongée dans un étang d’eau glacée. A peine Gothard a-t-il vu sa fille, que, se soulevant vers elle, il lui reproche en gémissant de l’abandonner dans ses souffrances, tandis qu’elle a tarît de charité pour les autres, tandis qu’elle ne cesse de soulager et de délivrer des âmes qui lui sont étrangères.

Archangèle demeura interdite à ces reproches qu’elle reconnaissait mériter; bientôt répandant un torrent de larmes, elle répondit avec des sanglots: Je ferai, ô mon bien-aimé père, tout ce que vous me demandez: plaise au Seigneur que mes supplications vous délivrent au plus tôt. » – Cependant elle ne pouvait revenir de son étonnement, ni comprendre comment elle eut ainsi oublié un père bien-aimé. Son ange l’ayant ramenée, lui dit que cet oubli avait été l’effet d’une disposition de la justice divine. « Dieu l’a permis, dit-il, en punition du peu de zèle que votre père a eu durant sa vie pour Dieu, pour son âme et pour celles de son prochain. Vous l’avez vu tourmenté et transi d’un froid insupportable dans un lac de glace: c’est le châtiment de sa tiédeur au service de Dieu et de son indifférence à l’égard du salut des âmes. Votre père n’avait pas de mauvaises mœurs, il est vrai; mais il ne montrait aucun empressement pour le bien, pour les œuvres pieuses et charitables auxquelles l’Église exhorte les fidèles. Voilà pourquoi Dieu a permis qu’il fût oublié, même de vous, qui auriez trop diminué ses peines. La divine justice inflige d’ordinaire ce châtiment à ceux qui manquent de ferveur et de charité: il permet qu’on se conduise à leur égard, comme ils se sont conduits envers Dieu et envers leurs frères. » – C’est au reste, la règle de justice que le Sauveur établit dans l’Évangile: On se servira envers vous de la mesure dont vous vous serez servis (Matth. Vil, 2. Rossign. Merv. 22).