Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 42, 43

Chapitre 42

Motif de justice – larmes stériles – Thomas de Cantimpré et son aïeule

Nous venons de parler de l’obligation de justice qui incombe aux héritiers pour l’exécution des legs pieux. Il y a un autre devoir de stricte justice qui regarde les enfants: ils sont obligés de prier pour leurs parents défunts. Réciproquement, les parents à leur tour sont tenus de droit naturel à ne pas oublier devant Dieu ceux de leurs enfants qui les ont précédés dans l’éternité. Hélas ! Il y a des parents qui sont inconsolables de la mort d’un fils, d’une fille bien-aimée; et qui, au lieu de prières, ne leur donnent que des larmes stériles. Écoutez ce que raconte à ce sujet Thomas de Cantimpré (Rossignoli, Merv. 68): Le fait était arrivé dans sa propre famille.

La grand-mère de Thomas avait perdu un fils, sur lequel elle avait fondé les plus belles espérances. Jour et nuit, elle le pleurait et ne voulait recevoir aucune consolation. Dans l’excès de sa tristesse, elle oubliait le grand devoir de l’amour chrétien, et ne songeait pas à prier pour cette âme si chère. Aussi, au milieu des flammes du purgatoire, le malheureux objet d’une tendresse stérile se désolait de ne recevoir aucun soulagement dans ses souffrances. Dieu eut enfin pitié de lui.

Un jour au plus fort de sa douleur, cette femme reçut une vision miraculeuse. Elle vit au milieu d’une belle route une procession de jeunes gens, gracieux comme des anges, qui s’avançaient pleins de joie vers une cité magnifique. Elle comprit que c’étaient des âmes du purgatoire faisant leur entrée dans le ciel. Elle regarde avec avidité pour voir si dans leurs rangs elle ne découvrirait pas son cher fils. Hélas ! L’enfant n’y était point; mais elle l’aperçut qui venait, bien loin derrière tous les autres, triste, souffrant, fatigué, et les vêtements trempés d’eau. «O cher objet de mes douleurs, lui cria-t-elle, pourquoi donc restes-tu en arrière de cette brillante troupe ? Je voudrais te voir à la tête de tes compagnons.»

– O ma mère, répond l’enfant d’une voix triste, c’est vous, ce sont les larmes que vous versez sur moi, qui trempent et souillent mes vêtements, qui retardent mon entrée dans la gloire. Cessez donc de vous livrer à une douleur aveugle et stérile. Ouvrez votre cœur à des sentiments plus chrétiens. S’il est « vrai que vous m’aimez, soulagez-moi dans mes souffrances: appliquez-moi quelque indulgence, faites des prières, des aumônes pour moi, obtenez-moi les fruits du saint Sacrifice. Voilà comment vous me témoignerez votre amour; c’est par là que vous me délivrerez de la prison où je gémis, et que vous m’enfanterez à la vie éternelle, bien plus désirable que la vie terrestre que vous m’aviez donnée.

La vision disparut alors et cette mère rappelée ainsi aux vrais sentiments chrétiens, au lieu de se livrer à une douleur immodérée, s’appliqua aux bonnes œuvres qui devaient soulager l’âme de son fils.

La grande cause des oublis, de l’indifférence, de la négligence coupable et de l’injustice envers les défunts, c’est le manque de foi. Aussi voit-on ces vrais chrétiens que l’esprit de foi anime, faire les plus nobles sacrifices pour les âmes de leurs défunts. Pénétrant du regard dans le lieu des expiations, considérant les rigueurs de la divine justice, écoutant la voix des défunts qui implorent leur pitié, ils ne songent qu’à les secourir, et ils regardent comme le premier et le plus saint de tous leurs devoirs de procurer à leurs parents et amis défunts le plus de suffrages possibles, selon les moyens de leur état. Heureux ces chrétiens: ils montrent leur foi par leurs œuvres, ils sont miséricordieux, et ils obtiendront à leur tour miséricorde.

La Bienheureuse Marguerite de Cortone.

La bienheureuse Marguerite de Cortone avait été d’abord une grande pécheresse; mais s’étant convertie sincèrement, elle effaça ses désordres passés par de grandes pénitences et par des œuvres de miséricorde. Sa charité envers les âmes ne connaissait point de bornes: elle sacrifiait tout, temps, repos, satisfactions, pour obtenir de Dieu leur délivrance. Comprenant que la piété bien entendue envers les morts a pour premier objet les parents, son père et sa mère étant morts, elle ne cessa d’offrir pour eux ses prières, ses mortifications, ses veilles, ses souffrances, ses communions, les messes auxquelles elle avait le bonheur d’assister. Or, pour la récompenser de sa piété filiale, Dieu lui fit connaître que par tous ses suffrages elle avait abrégé les longues souffrances que ses parents auraient dû endurer au purgatoire, qu’elle avait obtenu leur délivrance complète et leur entrée dans le paradis.

Chapitre 43

Motif de justice. – Prière pour les parents défunts – Sainte Catherine de Sienne et son père Jacomo

Sainte Catherine de Sienne (30 avril) nous a donné un exemple semblable. Voici comment il est rapporté par son historien, le Bienheureux Raymond de Capoue. « La servante de Dieu, écrit-il, avait un zèle ardent pour le salut des âmes. Je dirai d’abord ce qu’elle fit pour son père, Jacomo, dont nous avons déjà parlé. Cet excellent homme avait reconnu la sainteté de sa fille, et il était rempli pour elle d’une respectueuse tendresse; il recommandait à tout le monde dans la maison, de ne jamais la contrarier en rien, et de la laisser pratiquer ses bonnes œuvres comme elle le voudrait. Aussi l’affection qui unissait le père et la fille augmentait tous les jours. Catherine priait sans cesse pour le salut de son père; Jacomo se réjouissait saintement des vertus de sa fille, et comptait bien, par ses mérites, obtenir grâce devant Dieu.

La vie de Jacomo approcha enfin de son terme, et il se mit au lit, très-gravement malade. Dès que sa fille le vit dans cet état, elle eut, selon son habitude, recours à la prière, et demanda à son céleste Époux de guérir celui qu’elle aimait tant. Il lui fut répondu que Jacomo était sur le point de mourir, et qu’il lui était utile de ne pas vivre davantage. Catherine alors se rendit près de son père et trouva son esprit si parfaitement disposé à quitter le monde sans y rien regretter, qu’elle en remercia Dieu de tout son cœur.

Mais son affection filiale n’était pas satisfaite; elle se remit en prière pour obtenir de Dieu, source de toute grâce, de vouloir bien, non seulement pardonner à son père toutes ses fautes, mais encore, à l’heure de sa mort, le conduire au ciel, sans le faire passer par les flammes du purgatoire. Il lui fut répondu que la justice ne pouvait perdre ses droits, et qu’il fallait que l’âme fût parfaitement pure pour jouir des splendeurs de la gloire. «Ton père, dit Notre-Seigneur, a bien vécu dans l’état du mariage, il a fait beaucoup de choses qui m’ont été agréables, et je lui sais gré surtout de sa conduite envers toi; mais ma justice demande que son âme passe par le feu, pour se purifier des souillures qu’elle a contractées dans le monde.» – O mon aimable Sauveur, répondit Catherine, comment supporter la pensée de voir tourmenter dans des flammes si cruelles, celui qui m’a nourrie, qui m’a élevée avec tant de soin, qui a été si bon pour moi pendant toute sa vie ! Je supplie votre infinie bonté de ne pas permettre que son âme quitte son corps, avant d’être, d’une manière ou d’une autre, si parfaitement purifiée, qu’elle n’ait pas besoin de passer par le feu du purgatoire.

Chose admirable, Dieu céda à la prière et au désir de sa créature. Les forces de Jacomo étaient éteintes, mais son âme ne pouvait partir tant que durait le conflit entre Notre-Seigneur, qui alléguait sa justice, et Catherine, qui invoquait sa miséricorde. Enfin, Catherine se mit à dire: «Si je ne puis obtenir cette grâce sans satisfaire à votre justice, que cette justice s’exerce sur moi; je suis prête à souffrir pour mon père toutes les peines que votre bonté voudra bien m’envoyer.» – Notre-Seigneur y consentit. Je veux bien, lui dit-il, à cause de ton amour pour moi, accepter ta proposition. J’exempte de toute expiation l’âme de ton père; mais je te ferai souffrir à toi, tant que tu vivras, la peine qui lui était destinée.» – Catherine, pleine de joie, s’écria: «Merci de votre parole, Seigneur, et que votre volonté s’accomplisse !»

La sainte retourna aussitôt près du lit de son père qui entrait en agonie; elle le remplit de force et de joie, en lui donnant, de la part de Dieu même, l’assurance de son salut éternel, et elle ne le quitta que lorsqu’il eut rendu le dernier soupir.

Au moment même où l’âme de son père se sépara du corps, Catherine fut saisie de violentes douleurs de côté, qui lui restèrent jusqu’à la mort, sans jamais lui laisser un moment de relâche. Elle-même, ajoute le Bienheureux Raymond, me l’a bien souvent assuré, et tous ceux qui l’approchaient en voyaient au dehors des preuves évidentes. Mais sa patience était plus grande que son mal. Tout ce que je viens de dire, je l’ai su de Catherine, lorsque, touché de ses douleurs, je lui en demandai la cause. – Je dois ajouter que, au moment où son père expirait, on l’entendit s’écrier, le visage tout joyeux et le sourire sur les lèvres: «Que Dieu soit béni ! Mon père, je voudrais bien être comme vous.» – Pendant qu’on célébrait ses funérailles et que tous pleuraient, Catherine montrait une véritable allégresse. Elle consolait sa mère et tout le monde, comme si cette mort lui eut été étrangère. C’est qu’elle avait vu cette âme bien-aimée sortir triomphante de la prison de son corps, et s’élancer sans obstacle dans l’éternelle lumière: cette vue l’avait inondée de consolation, parce que peu de temps avant, elle avait elle-même goûté le bonheur des clartés célestes.

Admirons ici la sagesse de la Providence: elle pouvait certainement purifier l’âme de Jacomo d’une autre manière, et le faire entrer sur-le-champ dans la gloire, comme l’âme du bon larron qui confessa Notre-Seigneur sur la croix; mais elle voulut que ce fût par les souffrances de Catherine qui le demandait: et cela non pas pour l’éprouver, mais pour augmenter ses mérites et sa couronne. Il fallait que cette sainte fille, qui aimait tant l’âme de son père, retirât de son amour filial quelque récompense, et parce qu’elle avait préféré le salut de cette âme à celui de son propre corps, les souffrances de son corps profitèrent au bonheur de son âme. Aussi parlait-elle toujours de ses douces, de ses chères souffrances; et elle avait bien raison, puisque ces souffrances augmentaient les douceurs de la grâce en cette vie, et les délices de la gloire dans l’autre. – Elle m’a confié que, longtemps encore après sa mort, l’âme de son père Jacomo se présentait sans cesse devant elle pour la remercier du bonheur qu’elle lui avait procuré. Elle lui révélait beaucoup de choses cachées, l’avertissait des pièges du démon, et la préservait de tout danger. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 40, 41

Chapitre 40

Motifs d’aider les âmes – Obligation, non seulement de charité, mais encore de justice

Nous venons de considérer la dévotion envers les âmes comme œuvre de charité. La prière pour les morts avons-nous dit est une œuvre sainte parce que c’est un exercice très-excellent de la plus excellente des vertus, la charité.

Cette charité envers les défunts n’est pas purement facultative et de conseil, elle est de précepte, non moins que l’aumône à faire aux pauvres. Comme il existe une obligation générale de charité pour l’aumône corporelle, ainsi, et à plus forte raison, sommes-nous tenus par la loi générale de la charité d’assister nos frères souffrants du purgatoire.

Legs pieux

A cette obligation de charité vient se joindre souvent une obligation de stricte justice. Lorsqu’un mourant exprime de vive voix ou par disposition testamentaire, ses dernières volontés en matière d’œuvres pies; lorsqu’il charge ses héritiers de faire célébrer autant de messes, de distribuer autant d’aumônes, n’importe en faveur de quelle bonne œuvre; les héritiers sont obligés en stricte justice, du moment qu’ils acceptent la succession, d’en remplir toutes les charges, et d’acquitter sans retard les legs pieux établis par le défunt.

Ce devoir de justice est d’autant plus sacré, que souvent les legs pieux ne sont que des restitutions déguisées.

Or que nous montre l’expérience journalière ? Est-ce avec zèle, avec un soin religieux que l’on s’empresse d’acquitter toutes les charges pieuses et qui concernent l’âme du défunt ? Hélas ! Le contraire est un fait qui se passe tous les jours sous nos yeux: une famille, qui vient d’être mise en possession d’une fortune quelquefois considérable, marchandera à un malheureux défunt les quelques suffrages qu’il s’était réservés; et, si les subtilités de la loi civile s’y prêtent, on n’aura pas honte de faire casser un testament, sous prétexte de captation, afin de se débarrasser de l’obligation d’en acquitter les legs pieux. Ce n’est pas en vain que l’auteur de l’Imitation nous avertit de faire des œuvres satisfactoires pendant notre vie, et de ne pas trop compter sur nos héritiers, qui trop souvent négligent d’acquitter les pieuses fondations que nous avions faites pour le soulagement de notre pauvre âme.

Eh bien ! C’est là, que les familles le sachent, c’est là une injustice sacrilège jointe à une cruauté abominable. Voler un pauvre, dit le IVe concile de Carthage, c’est se faire son meurtrier: Egentium necatores. Que dire de ceux qui dépouillent les défunts, qui les privent injustement de leurs suffrages et les laissent sans secours dans les terribles tourments du purgatoire ?

Le P. Rossignoli, et la propriété ravagée

Aussi, ceux qui se rendent coupables de ce vol infâme, sont bien souvent punis de Dieu dès cette vie, et d’une manière très-sévère. On s’étonne quelquefois de voir se fondre entre les mains d’héritiers avides une fortune considérable; une sorte de malédiction semble planer sur certains héritages. Au jour du jugement, lorsque tout ce qui est caché sera découvert, on verra que la cause de ces ruines a souvent été l’avarice et l’injustice des héritiers, qui n’ont pas acquitté les legs pieux dont leur succession était chargée.  Il est arrivé à Milan, dit le P. Rossignoli (Merv. 20), qu’une magnifique propriété, peu éloignée de la ville, fut toute ravagée par la grêle, tandis que les champs voisins étaient restés complètement intacts. Ce phénomène excita l’attention et l’étonnement: on se rappelait le fléau d’Égypte, cette grêle qui ravagea les champs des Égyptiens et respecta la terre de Gessen, habitée par les enfants d’Israël. On voyait ici un fléau semblable: cette grêle étrange n’avait pu se renfermer si exactement dans les limites d’une propriété unique, sans avoir obéi à une cause intelligente. On ne savait comment expliquer ce mystère, lorsque l’apparition d’une âme du purgatoire fit connaître que c’était un châtiment infligé à des enfants ingrats et coupables, qui n’avaient pas exécuté la dernière volonté de leur père relativement à des œuvres pies.

On sait que dans tous les pays, dans toutes les localités on parle de maisons hantées, rendues inhabitables, au grand détriment de leurs propriétaires: or quand on va au fond des choses, on trouve généralement une âme oubliée des siens, et qui réclame l’acquittement des suffrages qui lui sont dus. Ne soyons pas crédules et faisons aussi large que l’on voudra la part de l’imagination, de l’illusion, de la fourberie même; il restera toujours assez de faits parfaitement prouvés, pour apprendre aux héritiers sans entrailles comment Dieu punit, même dès cette vie, ces procédés injustes et sacrilèges.

Thomas de Cantimpré et le soldat de Charlemage

Le trait suivant, emprunté à Thomas de Cantimpré (Rossignoli, Merv. 15), fait bien ressortir combien sont coupables aux yeux de Dieu les héritiers injustes envers les défunts. Pendant les guerres de Charlemagne, un valeureux soldat avait servi de longues années dans des charges importantes et honorables. Sa vie avait été celle d’un chrétien: content de sa paye, il s’interdisait tout acte de violence, et le tumulte des camps ne lui faisait omettre aucun de ses devoirs essentiels; il avait toutefois commis quantité de petites fautes, ordinaires aux gens de sa profession. Étant arrivé à un âge fort avancé, il tomba malade; et voyant approcher la mort, il appela auprès de son lit un neveu orphelin, dont il s’était fait le père, et lui exprima ses dernières volontés. « Mon fils, lui dit-il, vous « savez que je n’ai pas de richesses à vous léguer: je n’ai que mes armes et mon « cheval. Mes armes seront pour vous. Quant au cheval, lorsque j’aurai rendu « mon âme à Dieu, vous le vendrez et vous en partagerez le prix entre les prêtres « et les pauvres, afin que les premiers offrent pour moi le divin sacrifice, et que « les autres me secourent de leurs prières. »

Le neveu pleura et promit d’exécuter ponctuellement, sans retard, ce que demandait de lui son oncle et son bienfaiteur. Le vieillard étant mort bientôt après, l’héritier prit les armes, et emmena le cheval. C’était un animal fort beau et d’un grand prix. Au lieu de le vendre aussitôt, selon la dernière volonté du défunt, il commença par s’en servir pour quelques petits voyages; et comme il en était fort satisfait, il désirait ne pas s’en priver de sitôt. Il différa donc, sous le double prétexte que rien ne pressait d’exécuter si promptement sa promesse, et qu’il pouvait attendre une bonne occasion pour obtenir peut-être un meilleur prix. En tardant ainsi de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, il finit par étouffer les réclamations de sa conscience et oublia l’obligation sacrée qu’il avait à remplir envers l’âme de son bienfaiteur.

Six mois s’étaient éculés, lorsqu’un matin le défunt lui apparut et lui adressa les plus sévères reproches. « Malheureux, lui dit-il, tu as oublié l’âme de « ton oncle; tu as violé l’engagement sacré que tu avais pris à mon lit de mort. « Où sont les saintes messes que tu devais faire offrir, où sont les aumônes que tu « devais distribuer aux pauvres pour mon âme ? A cause de ta coupable négligence, j’ai souffert dans le purgatoire des tourments inouïs. Enfin, « Dieu a eu pitié de moi: aujourd’hui même j’entre dans la félicité des saints.

« Mais toi, par un juste jugement de Dieu, tu mourras dans peu de jours, et « tu subiras en ma place les peines, qui me fussent restées à subir, si Dieu n’eût « pas usé d’indulgence à mon égard. Tu souffriras tout le temps dont Dieu m’a fait « grâce; après quoi, tu commenceras les expiations dues à tes propres fautes. »

Quelques jours après le neveu tomba gravement malade. Aussitôt il appela un prêtre, raconta sa vision et se confessa avec beaucoup de larmes. « Je mourrai « bientôt, dit-il, et j’accepte la mort des mains de Dieu comme un châtiment que « je n’ai que trop mérité. » – Il expira en effet dans ces sentiments d’un humble repentir: ce n’était que la moindre partie de la peine qui lui avait été annoncée en punition de son injustice; on frémit en pensant à la seconde qu’il allait subir dans l’autre vie.

Chapitre 41

Motif de justice – Saint Bernardin de Sienne et la veuve infidèle

Bernardin de Sienne rapporte que deux époux, qui n’avaient pas d’enfants, firent une convention pour le cas où l’un d’eux viendrait à mourir: le survivant devait distribuer le bien laissé par le défunt en aumônes, pour le repos de son âme. Le mari mourut le premier, et sa veuve négligea de remplir sa promesse. La mère de cette veuve vivait encore: le défunt lui apparut, la priant d’aller trouver sa fille, pour la presser au nom de Dieu de remplir son engagement. « Si elle diffère, ajouta-t-il, de « distribuer en aumônes la somme que j’ai destinée aux pauvres, dites-lui de la « part de Dieu que, dans trente jours, elle sera frappée de mort subite. » – Quand la veuve impie entendit ce grave avertissement, elle osa le traiter de rêverie, et persista dans sa sacrilège infidélité. Trente jours s’écoulèrent et la malheureuse étant montée à une chambre haute, tomba d’une fenêtre et se tua sur le coup.

Les injustices envers les défunts, dont nous parlons, et les manœuvres frauduleuses par lesquelles on se soustrait à l’exécution des legs pieux, sont des péchés graves, des crimes qui méritent l’enfer. A moins d’en faire une sincère confession et en même temps une due restitution, ce n’est pas en purgatoire, mais en enfer, qu’on en subira le châtiment.

Hélas ! Oui, c’est surtout dans l’autre vie que la justice divine punira comme ils le méritent les coupables détenteurs du bien des morts. Un jugement sans miséricorde, dit l’Esprit-Saint, attend celui qui a été sans miséricorde (Jacob. II, 13). Si cette parole est vraie, à quelle rigueur de jugement ne doit pas s’attendre celui dont l’abominable avarice a laissé, pendant des mois, des années, des siècles peut-être, l’âme d’un parent, d’un bienfaiteur, au milieu des effroyables supplices du purgatoire ?

Restitutions déguisées – Non-exécution des dernières volontés

Ce crime, comme nous avons dit plus haut, est d’autant plus grave, que dans bien des cas les suffrages que le défunt avait demandés pour son âme, ne sont, au fond, que des restitutions déguisées. C’est là ce que les familles ignorent trop souvent. On trouve très-commode de parler de captations et d’avidité cléricale; on fait casser un testament sous ces beaux prétextes; et bien souvent, le plus souvent peut-être, il s’agissait d’une restitution nécessaire. Le prêtre n’était que l’intermédiaire de cet acte indispensable, obligé au secret le plus absolu, en vertu de son ministère sacramentel.

Expliquons-nous plus clairement. Un mourant a commis des injustices durant sa vie: cela arrive plus fréquemment qu’on ne pense, même à des très-honnêtes gens selon le monde. Au moment de paraître devant Dieu, ce pécheur se confesse: il veut réparer, comme il le doit, tous les préjudices qu’il a causés au prochain; mais le temps lui manque pour le faire lui-même, et il ne veut pas révéler à ses enfants ce triste secret. Que fait-il ? Il couvre sa restitution sous le voile d’un legs pieux.

Or si ce legs n’est pas acquitté, et conséquemment si l’injustice n’est pas réparée, que deviendra l’âme du défunt ? Sera-t-elle retenue au purgatoire indéfiniment ? Nous ne connaissons pas toutes les lois de la divine justice, mais des apparitions nombreuses témoignent dans ce sens: « toutes déclarent qu’elles ne peuvent être admises au séjour de la béatitude, tant que la justice reste lésée. » – D’ailleurs ces âmes ne sont-elles pas coupables d’avoir différé jusqu’à leur mort une restitution à laquelle elles étaient obligées depuis longtemps ? Et si maintenant leurs héritiers négligent de le faire pour elles, n’est-ce, pas une déplorable conséquence de leur propre péché, de leurs délais coupables ? C’est par leur faute qu’il reste dans leur famille du bien mal acquis, et ce bien ne cesse de crier, tant que restitution n’est pas faite. Res clamat domino, le bien d’autrui crie vers son maître légitime, il crie contre son injuste détenteur.

Que si, par le mauvais vouloir des héritiers, la restitution ne devait jamais se faire, il est clair que cette âme ne saurait rester toujours en purgatoire; mais dans ce cas, un long retard à son entrée dans le ciel semble être le juste châtiment d’une injustice, que cette âme infortunée a rétractée, il est vrai, mais dont elle avait posé la cause toujours subsistance et toujours efficace.

Que l’on songe donc à ces graves conséquences, quand on laisse s’écouler les jours, les semaines, les mois, les années peut-être, avant d’acquitter une dette aussi sacrée.

Hélas ! Que notre foi est faible ! Si un animal domestique, un petit chien, tombait dans le feu, est-ce que vous tarderiez à le retirer ? Et voilà que vos parents, vos bienfaiteurs, les personnes qui vous furent les plus chères, se tordent dans les flammes du purgatoire, et vous ne croyez point devoir vous presser de les secourir, vous tardez, vous différez, vous laissez passer des jours si longs et si douloureux pour les âmes, sans vous mettre en peine d’accomplir les œuvres qui doivent les soulager !

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 38, 39

Chapitre 38

Motifs d’aider les âmes – Exemple de saints personnages – Le Père Jacques Laynez

Celui qui oublie son ami, après que la mort l’a fait disparaître à ses yeux, n’a pas eu d’amitié véritable. Cette sentence, le Père Laynez, second Général de la Compagnie de Jésus, ne cessait de la répéter aux fils de S. Ignace: il voulait que les intérêts des âmes leur fussent à cœur après la mort comme pendant la vie. Joignant l’exemple aux pieux conseils, Laynez appliquait aux âmes du purgatoire une bonne partie de ses prières, de ses sacrifices et des satisfactions qu’il méritait devant Dieu par ses travaux pour la conversion des pécheurs. Les Pères de la Compagnie furent fidèles à ces leçons de charité, en tout temps ils montrèrent un zèle particulier pour cette dévotion, comme on peut le voir dans le livre intitulé Héros et victimes de la charité dans la Compagnie de Jésus. J’en transcrirai ici une seule page.

Le Père Fabricius

A Munster en Westphalie, vers le milieu du XVIIe siècle, éclata un mal contagieux qui faisait chaque jour d’innombrables victimes. La crainte paralysait la charité du grand nombre; et on trouvait peu de personnes qui voulussent se dévouer aux malheureux, atteints du fléau. Alors le Père Jean Fabricius, animé de l’esprit des Laynez et des Ignace, s’élança dans cette arène du dévouement. Mettant de côté toute préoccupation personnelle, il employait ses journées à visiter les malades, à leur procurer des remèdes, à les disposer à une mort chrétienne: il les confessait, leur donnait les autres sacrements, les ensevelissait de ses mains, et célébrait ensuite la sainte messe pour leurs âmes.

Du reste durant toute sa vie, ce serviteur de Dieu eut la plus grande dévotion pour les défunts. Parmi ses exercices de piété les plus chers, et qu’il recommandait davantage, était celui de célébrer la messe des défunts, toutes les fois que les règles liturgiques le permettaient. Ses conseils eurent assez d’effet pour engager les Pères de Munster à consacrer chaque mois un jour aux défunts: ils tendaient alors leur église de noir et priaient solennellement pour les morts.

Dieu daigna, comme il le fait souvent, récompenser le P. Fabricius et encourager son zèle par plusieurs apparitions des âmes. Les unes le suppliaient de hâter leur délivrance, les autres le remerciaient du secours qu’il leur avait procuré, d’autres encore lui annonçaient que le moment bienheureux du triomphe était enfin venu pour elles.

Son plus grand acte de charité fut celui qu’il accomplit à sa mort. Avec une générosité vraiment admirable, il fit le sacrifice de tous les suffrages, prières, messes, indulgences et mortifications que la Compagnie applique à ses membres décédés: il demanda à Dieu de l’en priver lui-même pour en gratifier les âmes souffrantes les plus agréables à sa divine Majesté.

Déjà nous avons parlé du Père Jean-Eusèbe Nierembert, Jésuite espagnol, également célèbre par les ouvrages de piété qu’il a publiés et par ses éclatantes vertus. Sa dévotion envers les âmes ne se contentait pas de sacrifices et de prières fréquentes; elle le portait à souffrir pour elles, avec une générosité qui allait jusqu’à l’héroïsme. Il y avait à la cour de Madrid, parmi ses pénitentes, une Dame de qualité, qui, sous sa sage direction, était parvenue à une haute vertu au milieu du monde; mais elle était tourmentée d’une crainte excessive de la mort, dans la perspective du purgatoire qui devrait la suivre. Elle tomba dangereusement malade, et ses craintes redoublèrent au point qu’elle en perdait presque ses sentiments chrétiens. Le saint confesseur eut beau user de toutes les industries de son zèle, il ne put réussir à la calmer, ni même à lui faire recevoir les derniers sacrements.

Pour comble de malheur, elle perdit tout à coup connaissance, et fut bientôt réduite à la dernière extrémité. Le Père, justement alarmé du péril où se trouvait cette âme, se retira dans une chapelle voisine, près de la chambre de la moribonde. Il y offrit le saint Sacrifice avec une grande ferveur pour obtenir à la malade le temps de se reconnaître, et de recevoir en pleine liberté d’esprit les sacrements de l’Église. En même temps, poussé par une charité vraiment héroïque, il s’offrit en victime à la justice divine, pour souffrir lui-même en cette vie, les peines réservées à cette pauvre âme dans l’autre.

Sa prière fut agréable à Dieu. La messe était à peine achevée, que la malade revint à elle, et se trouva toute changée: ses dispositions étaient si bonnes, qu’elle demanda elle-même les sacrements, et les reçut avec la plus édifiante ferveur. Son confesseur lui ayant dit ensuite qu’elle n’avait plus à craindre le purgatoire, elle expira, le sourire sur les lèvres, dans la plus parfaite tranquillité.

Le Père Nieremberg, victime de sa charité

A partir de cette heure, le Père Nieremberg fut accablé de toutes sortes de peines dans son corps et dans son âme: pendant seize ans qu’il vécut encore, son existence ne fut plus qu’un martyre et un rigoureux purgatoire. Aucun remède naturel ne pouvait soulager ses douleurs: son unique adoucissement était le souvenir de la sainte cause pour laquelle il les endurait. Enfin la mort vint mettre un terme à ses prodigieuses souffrances, et en même temps, on est bien fondé à le croire, lui ouvrir la porte du paradis: car il est écrit: Bienheureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde.

Chapitre 39

Motifs, stimulants de la dévotion envers les âmes – Saint Pierre Damien et son père

Les exemples de charité généreuse envers les trépassés ne manquent pas; et il est toujours utile de se les rappeler. Nous ne pouvons pas omettre la belle et touchante action de S Pierre Damien (23 février), évêque d’Ostie, cardinal et Docteur de la sainte Église, exemple qu’on ne se lasse jamais d’entendre répéter. Étant encore fort jeune, Pierre Damien eut le malheur de perdre sa mère; et, bientôt après, son père s’étant remarié, il tomba dans les mains d’une marâtre. Quoiqu’il se montrât plein d’affection pour elle, cette femme ne sut pas aimer ce tendre enfant: elle le traita avec une dureté barbare et finit pas s’en débarrasser en le mettant au service de son frère aîné, qui l’employa à garder les pourceaux.

Son père, qui aurait dû le protéger, l’abandonnait à son malheureux sort. Mais l’enfant levant les yeux au ciel, y voyait un autre Père, en qui il mit toute sa confiance. Il accepta tout ce qui lui arrivait de ses mains divines et se résigna volontiers à la dure situation qui lui était ménagée: « Dieu, disait-il, a ses vues en « tout, et ce sont des vues de miséricorde: nous n’avons qu’à nous abandonner à « lui: il fera tout servir à notre bien. » – Il ne se trompait pas: ce fut dans cette pénible épreuve que le futur cardinal de la sainte Église, celui qui devait étonner son siècle par l’étendue de ses lumières et édifier le monde par l’éclat de ses vertus, fit l’apprentissage de la sainteté. A peine couvert de haillons, l’histoire dit qu’il n’avait pas même toujours de quoi rassasier sa faim; mais il priait Dieu, il était content.

Or il arriva sur ces entrefaites que son père mourut. Le jeune saint, oubliant la dureté qu’il avait éprouvé de sa part, le pleura comme un bon fils et ne cessait de prier Dieu pour son âme. Un jour, il trouva sur le chemin un écu, que la Providence semblait y avoir déposé pour lui: c’était toute une fortune pour le pauvre enfant. Mais au lieu de s’en servir pour adoucir sa propre misère, sa première pensée fut de le porter à un prêtre, en le priant de célébrer la messe pour l’âme de son père. La sainte Église a trouvé ce trait si beau, qu’elle l’a inséré, tout au long, dans la légende de l’Office, qui se lit le jour de sa fête.

La jeune Annamite

Qu’on me permette, dit l’abbé missionnaire Louvet, d’ajouter ici un souvenir personnel. Quand je prêchais la foi en Cochinchine, une pauvre petite fille Annamite, baptisée depuis peu, vint à perdre sa mère. A quatorze ans elle se trouvait chargée de pourvoir avec son faible gain, cinq tiên par jour, environ huit sous de France, à sa nourriture et à celle de ses deux petits frères. Quelle fut ma surprise de la voir venir, à la fin de la semaine, m’apporter le gain de deux journées, pour que je dise la messe à l’intention de sa mère ! Ces pauvres petits avaient jeûné une partie de la semaine, pour procurer à leur mère défunte cet humble suffrage. O sainte aumône du pauvre et de l’orphelin ! Si mon cœur en fut si profondément ému, comme elle a dû toucher le cœur du Père céleste et attirer ses bénédictions sur cette mère et sur ses enfants !

Exemples de générosité

Voilà la générosité des pauvres. Quel exemple et quel reproche pour tant de riches, prodigues en fait de luxe et de plaisirs, mais qui sont si avares quand il s’agit d’aumônes et de messes en faveur de leurs défunts !

La propagation de la foi

Bien qu’avant tout il faille consacrer ses aumônes à faire offrir le saint Sacrifice pour les âmes des siens ou pour sa propre âme; il convient d’en affecter une partie au soulagement des pauvres ou à d’autres bonnes œuvres, telles que les écoles catholiques, la propagation de la foi et bien d’autres, selon le besoin des circonstances. Toutes ces libéralités sont saintes, conformes à l’esprit de l’Église, et fort efficaces pour les âmes du purgatoire.

L’abbé Louvet, que nous avons cité plus haut, rapporte un autre trait qui mérite de trouver ici sa place. Il s’agit d’un homme de condition pauvre, qui fit une libéralité en faveur de la Propagation de la foi, mais dans des circonstances qui ont rendu cet acte particulièrement précieux pour le besoin futur de son âme au purgatoire.

Le portier de séminaire

Un pauvre portier de séminaire avait, durant sa longue vie, amassé sou par sou la somme de huit cents francs. N’ayant pas de famille, il destinait cet argent à faire dire des messes après sa mort. Mais que ne peut la charité dans un cœur embrasé de ses saintes flammes ? Un jeune prêtre se préparait à quitter le séminaire pour entrer aux Missions étrangères. Le pauvre vieillard, apprenant cette nouvelle, fut inspiré de lui donner son petit trésor pour l’œuvre si belle de la Propagation de la foi. Il le prit donc en particulier et lui dit: « Cher Monsieur, « je vous prie d’accepter cette petite aumône pour vous aider dans l’œuvre de la « propagation de l’Évangile. Je l’avais réservée pour faire dire des messes après « ma mort; mais j’aime mieux rester un peu plus longtemps dans le purgatoire, et « que le nom du bon Dieu soit glorifié. » – Le séminariste était ému jusqu’aux larmes. Il voulait ne pas accepter l’offrande trop généreuse de ce pauvre homme; mais celui-ci insista tellement qu’il y aurait eu cruauté à lui infliger un refus.

A quelques mois de là, ce bon vieillard mourait. Aucune révélation n’est venue annoncer ce qui lui arriva dans l’autre monde. Mais en est-il besoin ? Ne connaissons-nous pas assez le Cœur de Jésus, qui ne saurait se laisser vaincre en générosité ? Ne comprenons-nous pas qu’un Homme assez généreux pour se dévouer aux flammes du purgatoire afin de faire connaître Jésus-Christ aux nations infidèles, aura trouvé devant le Souverain Juge une abondante miséricorde ?

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 36, 37

Chapitre 36

Motifs d’aider les âmes – Liens intimes qui nous unissent à elles –  Cimon d’Athènes, et son père en prison

Si nous devons aider les âmes à cause de leur nécessité extrême, combien ce motif devient plus pressant quand on songe que ces âmes nous sont unies par les liens les plus sacrés, par les liens du sang, par le sang divin de Jésus-Christ, et par le sang humain d’où nous sommes issus selon la chair ? Oui, il y a au purgatoire des âmes qui nous sont unies par la parenté la plus étroite. C’est un père, c’est une mère qui gémit dans les tourments et me tend les bras ! Que ne ferions-nous pas pour notre père, pour notre mère, s’ils languissaient dans une dure prison ? Un ancien Athénien, le célèbre Cimon, avait eu la douleur de voir emprisonner son père par d’impitoyables créanciers qu’il n’avait pu satisfaire. Pour comble d’infortune il ne put trouver les ressources nécessaires pour le délivrer, et le vieillard mourut dans les fers. Désolé, inconsolable, Cimon court à la prison et demande qu’on lui donne du moins le corps de son père pour l’ensevelir. On le lui refuse, sous prétexte que, n’ayant pas payé ses dettes, il ne pouvait être rendu à la liberté. « Laissez-moi donc d’abord ensevelir mon père, « s’écria Cimon, je viendrai après prendre sa place dans la prison. »

Piété filiale

On admire ce trait de piété filiale; mais ne devons-nous pas l’imiter ? N’avons-nous pas peut-être aussi un père, une mère dans la prison du purgatoire ? Ne devons-nous pas les délivrer au prix de tous les sacrifices? Plus heureux que Cimon, nous sommes à même de payer leurs dettes; nous n’aurons pas à prendre leur place: au contraire, les délivrer de la captivité, c’est nous en affranchir nous-mêmes par anticipation.

Saint Jean de Dieu sauvant les malades de l’incendie.

On admire aussi la charité de S. Jean de Dieu (8 mars), qui affronta la fureur des flammes pour sauver de pauvres malades du milieu d’un incendie. Ce grand serviteur de Dieu mourut à Grenade, l’an 1550, à genoux devant une image de Jésus crucifié, qu’il embrassait et qu’il continua de tenir serrée dans ses bras, après qu’il eut rendu son âme à Dieu. Né de parents fort pauvres, et obligé de garder les troupeaux pour subsister, il était riche de foi et de confiance en Dieu. Son bonheur était de prier et d’entendre la parole de Dieu: ce fut le principe de la sainteté à laquelle il s’éleva bientôt. Un sermon du vénérable Père Jean d’Avila, apôtre de l’Andalousie, le toucha tellement qu’il résolut de consacrer sa vie entière au service des pauvres et des malades. Sans autre ressource que sa charité et sa confiance en Dieu, il parvint à acheter une maison où il recueillit des infirmes abandonnés, pour les nourrir, pour soigner leurs corps et leurs âmes. Cet asile s’élargit bientôt et devint l’hôpital royal de Grenade, vaste établissement, rempli d’une multitude de vieillards et de malades de tout genre.

Un jour le feu ayant pris à cet hôpital, plusieurs malades allaient y périr d’une mort affreuse. Les flammes les environnaient de toutes parts et empêchaient qu’on ne les approchât pour les sauver. Ils poussaient des cris lamentables, appelant le ciel et la terre à leur secours. Jean les a vus, sa charité s’enflamme, il s’élance dans l’incendie, pénètre à travers le feu et la fumée jusqu’au lit des malades; il charge sur ses épaules et porte en lieu de sûreté l’un après l’autre tous ces malheureux. Obligé de traverser à plusieurs reprises ce vaste brasier, courant et travaillant dans le feu pendant toute une demi-heure que dura le sauvetage, le Saint ne souffrit pas la moindre lésion: les flammes respectèrent sa personne, ses vêtements et jusqu’au moindre cheveu de sa tête: Dieu voulut montrer par un miracle combien lui était agréable la charité de son serviteur.

Et ceux qui sauvent, non pas les corps, mais les âmes des flammes du purgatoire, font-ils une œuvre moins agréable au Seigneur ? La nécessité, les cris et gémissements de ces âmes sont-ils moins touchants pour un cœur qui a la foi ? Est-il plus difficile de les secourir ? Est-il nécessaire pour les aider de se jeter soi-même dans les flammes ?

Certes, nous avons les moyens les plus faciles de leur porter secours, et Dieu ne demande pas que nous nous imposions de grandes peines. Toutefois la charité des âmes ferventes va jusqu’aux plus grands sacrifices, jusqu’à partager les douleurs de leurs frères du purgatoire.

Chapitre 37

Motifs d’aider les âmes – la facilité de les secourir – L’exemple des saints et de tous les fervents chrétiens – La servante de Dieu Marie Villani.

Nous avons vu déjà, comment sainte Catherine de Ricci et plusieurs autres portèrent l’héroïsme jusqu’à souffrir à la place des âmes du purgatoire; ajoutons encore quelques exemples d’une si admirable charité. La servante de Dieu Marie Villani, de l’Ordre de S. Dominique, dont la vie a été écrite par le Père Marchi (Cf. Rossig. Merv. 41), s’appliquait nuit et jour à pratiquer des œuvres satisfactoires en faveur des défunts. Un jour, c’était la veille de l’Epiphanie, elle fit pour eux de longues prières, suppliant le Seigneur d’adoucir leurs souffrances en vue de celles de Jésus-Christ, lui offrant à cet effet les cruels tourments du Sauveur, sa flagellation, sa couronne d’épines, ses liens, ses clous et sa croix, toutes les douleurs en un mot, tous les détails et tous les instruments de la passion. La nuit suivante, le ciel se plut à lui manifester combien lui était agréable cette sainte pratique.

Pendant sa prière, étant ravie en extase elle vit une longue procession de personnes vêtues de blancs, éclatantes de lumières, portant dans leurs mains les divers insignes de la passion et faisant leur entrée dans la gloire. La servante de Dieu connut en même temps que c’étaient les âmes délivrées par ses ferventes prières et par les mérites de la passion de Jésus-Christ.

Un autre jour, celui de la Commémoration des Morts, on lui avait ordonné de travailler à un manuscrit et de passer la journée à écrire. Ce travail, imposé par l’obéissance, coûtait à sa piété: elle en éprouvait une sensible répugnance, parce qu’elle aurait voulu consacrer tout ce jour à la prière, à la pénitence et autres exercices de dévotion pour le soulagement des âmes du purgatoire. Elle oubliait un peu que l’obéissance doit l’emporter sur tout et qu’il est écrit: Melior est obedientia quam victimœ, l’obéissance vaut mieux que les victimes et les sacrifices les plus précieux (1 Reg. XV, 22). Le Seigneur, voyant sa grande charité pour les âmes, daigna lui apparaître, l’instruire et la consoler. « Obéissez, ma « fille, lui dit-il, faites le travail que l’obéissance vous impose et offrez-le pour les « âmes: chaque ligne que vous écrirez aujourd’hui en cet esprit d’obéissance et de « charité, procurera la délivrance d’une âme. » – On comprend qu’elle travailla toute la journée avec la plus grande ardeur et qu’elle traça le plus possible de ces lignes si agréables à Dieu.

Sa charité envers les âmes ne se bornait point à des prières et des jeûnes, elle désira endurer elle-même une partie de leurs souffrances. Comme elle priait un jour dans cette intention, elle fut ravie en esprit et conduite en purgatoire. Là parmi la multitude des âmes souffrantes, elle en vit une plus cruellement tourmentée que les autres et qui lui inspira la plus vive compassion.

« Pourquoi, lui demanda-t-elle, avez-vous à souffrir des peines si atroces ? Ne recevez-vous point de soulagement ? – Je suis, répondit-elle, depuis fort longtemps en ce lieu, endurant des tourments effroyables en punition de mes vanités passées et de mon luxe scandaleux. Je n’ai pas obtenu jusqu’à cette heure, le moindre soulagement, parce que le Seigneur a permis que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants, de toute ma famille et de mes amis: ils ne font pour moi aucune prière. Quand j’étais sur la terre, livrée aux toilettes immodérées, aux pompes mondaines, aux fêtes et aux plaisirs, je n’avais de Dieu et de mes devoirs qu’un rare et stérile souvenir. Les seules préoccupations sérieuses de ma vie, étaient d’accroître le renom et les richesses périssables des miens. J’en suis bien punie, vous le voyez, puisqu’ils ne m’accordent pas un souvenir. »

La brûlure au front

Ces paroles firent sur Marie Villani une douloureuse impression. Elle pria cette âme de lui communiquer une partie de ce qu’elle souffrait. A l’instant même il lui semblait qu’on la touchait au front avec un doigt de feu, et la douleur qu’elle en éprouva fut si forte, si aigüe, qu’elle la fit revenir de son extase. La marque lui en resta au front si profondément imprimée, qu’on la voyait encore deux mois après, et elle lui causait une douleur insupportable. La servante de Dieu offrit cette douleur, avec des prières et d’autres œuvres, pour l’âme qui lui avait parlé. Cette âme lui apparut au bout de deux mois, et lui dit que, délivrée par son intercession, elle montait au ciel. Dès ce moment, la brûlure du front s’effaça pour toujours.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 34, 35

Chapitre 34

Excellence de cette œuvre

Nous venons de passer en revue les moyens et les ressources que la divine miséricorde nous met entre les mains pour soulager nos frères du purgatoire. Ces moyens sont puissants, ces ressources sont riches, prodigieuses; mais en faisons-nous un abondant usage ? Pouvant aider les pauvres âmes, avons-nous du zèle pour le faire ? Sommes-nous aussi riches en charité que Dieu est riche en miséricorde ? Hélas ! Combien de chrétiens ne font presque rien pour les défunts ! Et ceux qui ne les oublient pas, ceux qui ont assez de charité pour les aider de leurs suffrages, comme ils le font souvent avec peu de zèle et de ferveur ! Comparez le secours qu’on donne aux malades avec celui qu’on accorde aux âmes souffrantes: quand un père ou une mère est affligée de quelque maladie, quand un enfant ou toute autre personne chérie est en proie à la souffrance, quel soin, quelle sollicitude, quel dévouement ne montre-t-on pas pour les aider ! Mais les âmes, qui ne nous sont pas moins chères, et qui gémissent dans les étreintes, non d’une cruelle maladie, mais des tourments mille fois plus cruels de l’expiation, est-ce avec le même zèle, avec le même dévouement qu’on s’applique à les aider ?

Saint François de Sales

 « Non, disait S. François de Sales, nous ne nous souvenons pas assez de « nos chers trépassés. Leur mémoire semble périr, avec le son des cloches; et « nous oublions « que l’amitié qui peut finir, même par la mort, ne fut jamais véritable. »

Motifs d’aider les âmes

D’où vient ce triste et coupable oubli ? La cause principale en est dans le manque de réflexion: Quia nullus est qui recogitat corde, parce que personne ne réfléchit dans son cœur (Jérém. XII, 11). On perd de vue les grands motifs qui nous pressent d’exercer la charité envers les défunts. C’est pourquoi afin de stimuler notre zèle, nous allons rappeler ces motifs et tâcher de les exposer dans tout leur jour.

 On peut dire que tous les motifs se résument dans cette parole du Saint-Esprit: C’est une pensée, une œuvre sainte et salutaire de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, c’est-à-dire des peines temporelles dues à leurs péchés (II Machab. XII, 46). D’abord c’est une œuvre sainte et excellente en elle-même, agréable et méritoire aux yeux de Dieu. Ensuite c’est une œuvre salutaire, souverainement avantageuse pour notre propre salut, pour notre bien en ce monde et en l’autre.

Une des œuvres les plus saintes, un des meilleurs exercices de piété qu’on puisse pratiquer en ce monde, dit S. Augustin, c’est d’offrir des sacrifices, des aumônes et des prières pour les défunts (Homél. 16, alias 50). Le soulagement que nous procurions aux défunts, dit S. Jérôme, nous fait obtenir une miséricorde semblable.

Considérée en elle-même, la prière pour les défunts est une œuvre de foi, de charité, souvent même de justice, ayant toutes les circonstances qui en portent le prix à son comble. Quelles sont en effet, 1° les personnes qu’il s’agit d’assister ? Ce sont des âmes prédestinées, saintes, très-chères à Dieu et à Notre-Seigneur Jésus-Christ très-chères à l’Église leur mère, qui les recommande sans cesse à notre charité; des âmes qui nous sont aussi bien chères à nous-mêmes, qui nous furent peut-être étroitement unies sur la terre, et qui nous supplient par ces touchantes paroles: Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous surtout qui êtes mes amis (Job. XIX, 21). – 2° Quelles sont les nécessités où elles se trouvent ? Hélas ! Ces nécessités sont extrêmes, et les âmes qui les souffrent ont d’autant plus de droit à notre assistance qu’elles sont impuissantes pour s’aider elles-mêmes. – 3° Quel est le bien que nous procurons aux âmes ? C’est le bien suprême, puisque nous les mettons en possession de la béatitude éternelle.

Saint Thomas d’Aquin

Assister les âmes du purgatoire, disait S. François de Sales, c’est faire la plus excellente des œuvres de miséricorde, ou plutôt c’est pratiquer de la manière la plus sublime toutes les œuvres de miséricorde à la fois: « c’est visiter « les malades, c’est donner à boire à ceux qui ont soif de la vision de Dieu, c’est « nourrir les affamés, racheter les prisonniers, revêtir les nus, procurer aux exilés « l’hospitalité dans la Jérusalem céleste; c’est consoler les affligés, éclairer les « ignorants, faire enfin toutes les œuvres de miséricorde en une seule. » – Cette doctrine est d’accord avec celle de S. Thomas, qui dit dans sa Somme: « Les suffrages pour les morts sont plus agréables à Dieu que les suffrages pour les vivants, parce que les premiers se trouvent dans un plus pressant besoin, ne pouvant se secourir eux-mêmes, comme ceux qui vivent encore (Suppelem. q. 71. Art. 5). »

Sainte Brigitte

Notre-Seigneur regarde comme faite à lui-même toute œuvre de miséricorde exercée envers le prochain: C’est à moi, dit-il, que vous l’avez fait, mihi fecistis. Ceci est vrai d’une manière toute particulière de la miséricorde pratiquée envers les âmes. Il fut révélé à sainte Brigitte, que celui qui délivre une âme du purgatoire, a le même mérite que s’il délivrait Jésus-Christ lui-même de la captivité.

Chapitre 35

Motifs d’aider les âmes – Excellence de l’œuvre.

Quand nous élevons si haut le mérite de la prière pour les morts, nous n’en voulons nullement conclure qu’il faut laisser toutes les autres œuvres pour celle-ci; car toutes les bonnes œuvres doivent s’exercer en temps et lieu, selon les circonstances; nous avons uniquement en vue de donner une juste idée de la miséricorde pour les défunts, et d’en faire aimer la pratique.

Du reste, les œuvres de miséricorde spirituelles, qui tendent à sauver les âmes, sont toutes également excellentes; et ce n’est qu’à certains égards qu’on peut mettre l’assistance des défunts au-dessus des œuvres de zèle pour la conversion des pécheurs vivants.

Controverse entre le Frère Benoît et le Frère Bertrand

Il est rapporté dans les Chroniques des Frères-Prêcheurs (Cf. Rossign. Merv. 1), qu’une vive controverse s’éleva entre deux religieux de cet Ordre, Frère Benoît et Frère Bertrand, au sujet des suffrages pour les défunts. En voici l’occasion. Le Frère Bertrand célébrait souvent la sainte Messe pour les pécheurs, et faisait pour leur conversion de continuelles oraisons, jointes à des pénitences rigoureuses; mais rarement on le voyait célébrer en noir pour les défunts. Le Frère Benoît, qui avait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, ayant remarqué sa conduite, lui demanda pourquoi il en agissait ainsi ?

« Parce que les âmes du purgatoire sont sûres de leur salut, répondit-il; tandis que les pécheurs sont exposés continuellement à tomber en enfer. Quel état plus triste que celui d’une âme en état de péché mortel ? Elle est dans l’inimitié de Dieu et dans les chaînes du démon; suspendue sur l’abîme de l’enfer par le fil si fragile de la vie, qui peut se rompre à tout moment. Le pécheur marche dans la voie de la perdition: s’il continue d’avancer, il tombera dans l’abîme éternel. Il faut donc venir à son aide, le préserver de ce malheur suprême en opérant sa conversion. D’ailleurs n’est-ce pas pour sauver les pécheurs que le Fils de Dieu est venu sur la terre et qu’il est mort sur la croix ? Aussi S. Denis nous assure-t-il, que ce qu’il y a de plus divin dans les choses divines, c’est de travailler avec Dieu à sauver les pécheurs. – Quant aux âmes du purgatoire, il n’y a plus à travailler à leur salut, puisque leur salut éternel est assuré. Elles souffrent, il est vrai, elles sont en proie à de grands tourments, mais elles n’ont rien à craindre pour l’enfer, et leurs souffrances finiront. Les dettes qu’elles ont contractées s’acquittent chaque jour, et bientôt elles jouiront de la lumière éternelle; tandis que les pécheurs sont continuellement menacés de la damnation, malheur suprême, le plus effroyable qui puisse arriver à une créature humaine. »

 – « Tout ce que vous venez de dire est vrai, repartit le frère Benoît; mais n’y a-t-il pas une autre considération à faire ? Si les pécheurs sont esclaves de Satan, c’est qu’ils le veulent bien: leurs chaînes sont volontaires, il dépend d’eux de les briser; tandis que les pauvres âmes du purgatoire ne peuvent que gémir et implorer le secours des vivants. Il leur est impossible de briser les fers qui les tiennent enchaînées dans les flammes expiatrices. – Supposez que vous rencontriez deux pauvres qui vous demandent l’aumône: l’un est estropié et perclus de tous ses membres, absolument incapable de rien faire pour gagner sa vie; l’autre au contraire, bien que dans une grande détresse, est jeune et vigoureux. Tous deux implorent votre charité: auquel croirez-vous devoir donner la meilleure part de vos aumônes ?

– « A celui qui ne peut point travailler, répondit le Frère Bertrand.

 – « Hé bien, mon Père, continua Benoît, les âmes du purgatoire sont dans ce cas: elles ne peuvent plus s’aider elles-mêmes. Le temps de la prière, de la confession et des bonnes œuvres est passé pour elles: nous seuls pouvons les soulager. Il est vrai d’autre part, qu’elles souffrent pour leurs fautes passées, mais ces fautes elles les pleurent et les détestent; elles sont dans la grâce de Dieu et les amies de Dieu: tandis que les pécheurs sont des rebelles, des ennemis du Seigneur. Certes nous devons prier pour leur conversion, mais sans préjudice de ce que nous devons aux âmes souffrantes, si chères au Cœur de Jésus. Ayons pitié des pécheurs, mais n’oublions pas qu’ils ont à leur disposition tous les moyens de salut: ils peuvent et ils doivent se soustraire au péril de la damnation qui les menace. Ne vous semble-t-il pas que les âmes souffrantes sont dans une nécessité plus grande et méritent la meilleure part de notre charité ? »

Malgré la force de ces raisons, le Frère Bertrand persista dans sa première idée, et dit que l’œuvre capitale était de sauver les pécheurs. Dieu permit que la nuit suivante une âme du purgatoire lui fit éprouver durant quelque temps les peines qu’elle souffrait elle-même: elles étaient si terribles qu’il lui semblait impossible de les supporter. Alors, comme dit Isaïe, le tourment lui donna l’intelligence: Vexatio intellectum dabit (Isaïe XXVIII, 19), et il comprit qu’il devait faire davantage pour les âmes souffrantes. Dès le lendemain matin, la compassion dans le cœur et les larmes aux yeux, il monta au saint autel revêtu de l’ornement noir et offrit le sacrifice pour les défunts.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 32, 33

Chapitre 32

Soulagement des âmes

Nous avons vu les ressources et les nombreux moyens que la divine miséricorde a mis entre nos mains pour soulager les âmes du purgatoire; mais quelles sont les âmes qui sont en ce lieu d’expiation et auxquelles nous devons porter secours ? Pour quelles âmes devons-nous prier et offrir à Dieu nos suffrages ?

Lesquelles doivent être l’objet de notre charité ? Tous les fidèles défunts

A cette question il faut répondre, que nous devons prier pour les âmes de tous les fidèles défunts, omnium fidelium defunctorum, selon l’expression de l’Église. Bien que la piété filiale nous impose des devoirs particuliers envers nos parents et nos proches, la charité chrétienne nous commande de prier pour tous les fidèles défunts en général, parce que tous sont nos frères en Jésus-Christ, tous sont notre prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes.

Par ce mot, fidèles défunts, l’Église entend toutes les âmes qui sont actuellement en purgatoire: c’est-à-dire, celles qui ne sont ni en enfer, ni dignes encore d’être admises à la gloire du paradis. Mais quelles sont ces âmes ? Pouvons-nous les connaître ? – Dieu s’est réservé cette connaissance; et à moins qu’il ne lui plaise de nous le révéler, nous ignorons complètement quel est le sort des âmes dans l’autre vie. Or rarement il fait connaître qu’une âme se trouve au purgatoire ou dans la gloire du ciel; plus rarement encore révèle-t-il une réprobation.

Dans cette incertitude nous devons prier en général, comme le fait l’Église, pour tous les défunts, sans préjudice des âmes que nous voulons secourir plus particulièrement.

Saint André Avellino

Nous pourrions évidemment restreindre notre intention à ceux des défunts qui sont encore dans le besoin, si Dieu nous accordait comme à S. André Avellino le privilège de connaître l’état des âmes dans l’autre vie. Lorsque ce saint religieux de l’Ordre des Théatins suivant sa pieuse coutume, priait avec une angélique ferveur pour les défunts, il lui arrivait parfois d’éprouver en lui-même une sorte de résistance, un sentiment d’invincible répulsion; d’autres fois, c’était au contraire une grande consolation, un attrait particulier. Il comprit bientôt ce que signifiaient ces impressions si différentes: la première marquait que sa prière était inutile, que l’âme qu’il voulait aider était indigne de miséricorde et condamnée au feu éternel; l’autre indiquait que sa prière était efficace pour le soulagement de l’âme au purgatoire. De même, quand il voulait offrir le saint Sacrifice pour quelque défunt, s’il sentait au sortir de la sacristie comme une main irrésistible qui le retenait, il comprenait que cette âme était en enfer; mais quand il était inondé de joie, de lumière, et de dévotion, il était sûr de contribuer à la délivrance d’une âme.

Ce charitable Saint priait donc avec la plus vive ardeur pour les défunts qu’il savait être dans les souffrances, et il ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier, lui donnaient l’assurance de leur délivrance (Vie du Saint).

Les pécheurs mourant sans sacrements

Pour nous qui n’avons point ces lumières surnaturelles nous devons prier pour tous les défunts, même pour les plus grands pécheurs et pour les chrétiens les plus vertueux. Saint Augustin connaissait la grande vertu de sa mère sainte Monique; néanmoins, non content d’offrir à Dieu ses suffrages pour elle, il demanda à tous ses lecteurs de ne jamais cesser de la recommander à Dieu.

Quant aux grands pécheurs qui meurent sans s’être extérieurement réconciliés avec Dieu, nous ne pouvons les exclure de nos suffrages, parce que nous n’avons pas la certitude de leur impénitence intérieure. La foi nous enseigne que tout homme mourant en état de péché mortel, encourt la damnation; mais quels sont ceux qui de fait meurent en ce triste état ? Dieu seul, qui s’est réservé le jugement suprême des vivants et des morts, en a la certitude. Quant à nous, nous ne pouvons que déduire des circonstances extérieures une conclusion conjecturale, qui peut tromper, et dont nous devons nous abstenir.

Il faut bien avouer pourtant qu’il y a tout à craindre pour ceux qui meurent sans s’être préparés à la mort; et tout espoir semble s’évanouir pour ceux qui refusent les sacrements. Ces derniers quittent la vie avec les signes extérieurs de la réprobation. Toutefois il faut laisser le jugement à Dieu, selon ces paroles: Dei judicium est, c’est à Dieu qu’appartient le jugement (Deut. I, 17). – Il y a plus à espérer pour ceux qui ne sont pas positivement hostiles à la religion, qui sont bienfaisants envers les pauvres, qui conservent quelque pratique de piété chrétienne, ou qui du moins approuvent et favorisent la piété; il y a plus, dis-je, à espérer pour ceux-là, lorsqu’il arrive qu’après avoir ainsi vécu, ils meurent subitement, sans avoir le temps de recevoir les sacrements de l’Église.

Saint François de Sales

Saint François de Sales ne voulait pas qu’on désespérât de la conversion des pécheurs jusqu’au dernier soupir; et même après la mort, il défendait de juger mal de ceux qui avaient mené une mauvaise vie. A l’exception des pécheurs dont la damnation est manifeste par l’Écriture, il ne faut, disait-il, damner personne, mais respecter le secret de Dieu. – Sa raison principale était que, comme la première grâce ne tombe pas sous le mérite, la dernière, qui est la persévérance finale ou la bonne mort, ne se donne pas non plus au mérite. C’est pourquoi il voulait qu’on espérât bien de la personne défunte, quelque fâcheuse mort qu’on lui eût vu faire; parce que nous ne pouvons avoir que des conjectures fondées sur l’extérieur, où les plus habiles peuvent se tromper (Esprit de S. Fr. de Sales, part. 3).

Chapitre 33

Soulagement des âmes – Pour lesquelles devons-nous prier ? les grands pécheurs. Le Père de Ravignan et le général Exelmans.

Le Père de Ravignan, illustre et saint prédicateur de la Compagnie de Jésus, aimait aussi à espérer beaucoup pour les pécheurs surpris par la mort, lorsque d’ailleurs ils n’avaient pas eu au cœur la haine des choses de Dieu. Volontiers il parlait des mystères du moment suprême, et son sentiment paraît avoir été qu’un grand nombre de ces pécheurs se convertissent à leurs derniers instants, et sont réconciliés avec Dieu, sans qu’on puisse le voir à l’extérieur. Il y a dans certaines morts des mystères de miséricorde et des coups de grâce, où l’œil de l’homme ne voit que des coups de justice. A la lueur d’un dernier éclair, Dieu quelquefois se révèle à des âmes dont le plus grand malheur avait été de l’ignorer; et le dernier soupir, compris de Celui qui sonde les cœurs, peut être un gémissement qui appelle le pardon, c’est-à-dire un acte de contrition parfaite. – le général Exelmans, parent du bon Père, fut précipité subitement dans la tombe par un accident de cheval, et malheureusement il ne pratiquait pas la religion. Il avait promis pourtant de se confesser un jour mais il n’en eut pas le temps. Le P. de Ravignan, qui depuis longtemps priait et faisait prier pour lui, demeura dans la consternation quand il apprit cette mort. Or, le jour même, une personne habituée aux communications célestes, crut entendre une voix intérieure qui lui disait: « Qui donc connaît l’étendue de ma miséricorde « ? Sait-on la profondeur de la mer et ce qu’il y a d’eau dans l’océan ? Beaucoup « sera pardonné à certaines âmes qui ont beaucoup ignoré. »

L’historien à qui nous empruntons ce récit, le Père de Ponlevoy, ajoute plus loin: « Chrétiens, placés sous la loi de l’espérance, non moins que de la foi et de l’amour, nous devons nous élever sans cesse du fond de nos peines jusqu’à la pensée de la bonté infinie du Sauveur. Aucune borne, aucune impossibilité, n’est placée ici-bas entre la grâce et l’âme, tant qu’il reste un souffle de vie. Il faut donc toujours espérer, et adresser au Seigneur d’humbles et persévérantes instances. On ne saurait dire jusqu’à quel point elles peuvent être exaucées. De grands saints et de grands docteurs ont été bien loin en parlant de cette efficacité puissante des prières pour des âmes chéries, quelle qu’ait été leur fin. Nous connaîtrons un jour ces ineffables merveilles de la miséricorde divine. Il ne faut jamais cesser de l’implorer avec une profonde confiance. »

Voici un trait qu’on a pu lire dans le Petit Messager du Cœur de Marie, novembre 1880. Un religieux, prêchant une retraite aux Dames de Nancy, avait rappelé dans une conférence qu’il ne faut jamais désespérer du salut d’une âme, et que parfois les actes les moins importants aux yeux des hommes sont récompensés par le Seigneur à l’heure de la mort. – Au moment de quitter l’église, une Dame en deuil s’approcha de lui et lui dit: Mon Père, vous venez de nous recommander la confiance et l’espoir: ce qui m’est arrivé justifie pleinement vos paroles. J’avais un époux, toujours bon, affectueux, irréprochable, mais qui était resté en dehors de toute pratique religieuse. Mes prières, mes paroles bien souvent hasardées, étaient restées sans résultat.

Durant le mois de mai qui précéda sa mort, j’avais élevé, comme j’en avais l’habitude, dans mon appartement, un petit autel à la sainte Vierge, et je l’ornais de fleurs, renouvelées de temps en temps. Mon mari passait le dimanche à la campagne, et chaque fois à son retour, il m’offrait un bouquet qu’il avait lui-même cueilli, j’employais ces fleurs à l’ornementation de mon oratoire. S’en apercevait-il ? Agissait-il uniquement pour m’être agréable ? Ou un sentiment de piété envers la sainte Vierge l’animait-il ? Je l’ignore; mais il ne manqua pas un dimanche de m’apporter des fleurs.

La veuve en deuil et le vénérable Curé d’Ars

Dans les premiers jours du mois suivant, il fut subitement frappé par la mort, sans avoir le temps de recevoir les secours de la religion. J’en fus inconsolable, surtout parce que je voyais s’évanouir toutes mes espérances pour son retour à Dieu. Par suite de ma douleur, ma santé se trouva bientôt profondément altérée, et ma famille me força de partir pour le midi. Comme je passais par Lyon, je voulus voir le curé d’Ars. Je lui écrivis pour demander une audience et recommander à ses prières mon mari, mort subitement. Je ne lui donnai pas d’autres détails.

Arrivée à Ars, à peine étais-je entrée dans l’appartement du vénérable curé, qu’il m’adressa ces étonnantes paroles: « Madame vous êtes désolée; mais « avez-vous donc oublié les bouquets de fleurs de chaque dimanche du mois de « mai ? » – Impossible de dire quel fut mon étonnement en entendant M. Vianney rappeler une circonstance dont je n’avais parlé à personne, et qu’il ne pouvait connaître que par révélation. Il ajouta: « Dieu a eu pitié de celui qui avait honoré « sa sainte Mère: A l’instant de la mort, votre époux a pu se repentir; son âme « est dans le purgatoire: nos prières et nos bonnes œuvres l’en feront sortir. »

La sœur Catherine de Saint-Augustin et la pécheresse morte dans une grotte

On lit dans la vie d’une sainte religieuse, la sœur Catherine de Saint-Augustin (S. Alphonse, Paraphr. du Salve Regina), que dans le lieu qu’elle habitait se trouvait une femme, appelée Marie, qui s’était livrée au désordre pendant sa jeunesse, et qui, devenue âgée, s’obstinait tellement dans le mal, que les habitants du pays, ne pouvant souffrir cette peste au milieu d’eux, la chassèrent honteusement. Elle ne trouva pas d’autre asile qu’une grotte dans les forêts, où elle mourut au bout de quelques mois, sans assistance et sans sacrements. Son corps fut enterré dans un champ comme un objet immonde.

 La sœur Catherine, qui avait coutume de recommander à Dieu les âmes de tous ceux dont elle apprenait la mort, ne songea pourtant point à prier pour celle-ci, jugeant avec tout le monde qu’elle était sûrement damnée. Quatre mois après, la servante de Dieu entendit une voix, qui disait: « Sœur Catherine, quel malheur « est le mien ! Vous recommandez à Dieu les âmes de tous, il n’y a que la mienne « dont vous n’avez point de pitié ! – Qui donc êtes-vous ? répondit la sœur. – Je « suis cette pauvre Marie, morte dans la grotte. – Comment ! Marie, vous êtes « sauvée ? – Oui, je le suis, par la miséricorde divine. Sur le point de mourir, « épouvantée au souvenir de mes crimes et à la vue de mon abandon, je criai vers « la sainte Vierge. Elle fut assez bonne pour m’entendre, et m’obtint une « contrition parfaite, accompagnée du désir de me confesser si je le pouvais. Je « rentrai ainsi dans la grâce de Dieu, et j’échappai à l’enfer; mais il m’a fallu « descendre dans le purgatoire, où je souffre cruellement. Mon temps serait « abrégé et j’en sortirais bientôt, si l’on offrait pour moi quelques messes. Oh ! «Faites-les célébrer, ma bonne sœur, et je vous promets de prier toujours Jésus et « Marie pour vous.»

La sœur Catherine se hâta de faire dire ces messes, et, après quelques jours l’âme se fit voir à elle, brillante comme un astre, montant au ciel et la remerciant de sa charité.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 30, 31

Chapitre 30 – Soulagement des âmes

Aumône, miséricorde chrétienne.

L’aumône chrétienne, cette miséricorde, que Jésus-Christ recommande tant dans l’Évangile, ne comprend pas seulement les secours corporels donnés aux indigents; mais encore tout le bien qu’on fait au prochain en travaillant à son salut, en supportant ses défauts, en pardonnant ses offenses. Toutes ces œuvres de charité peuvent être offertes à Dieu pour les défunts et renferment une grande vertu satisfactoire.

Saint François de Sales et la veuve de Padoue

Saint François de Sales rapporte qu’à Padoue, où il fit une partie de ses études, régnait une détestable coutume; les jeunes gens s’amusaient à parcourir pendant la nuit les rues de la ville, armés d’arquebuses, et criant à ceux qu’ils rencontraient: Qui va là ? – Il fallait leur répondre; car ils tiraient sur ceux qui ne répondaient pas; et bien des personnes furent ainsi blessées ou tuées.

Or il arriva un soir, qu’un écolier, n’ayant pas répondu à l’interpellation, fut atteint d’une balle à la tête et tomba mort. L’auteur de ce coup, saisi d’épouvante, prit la fuite et alla se réfugier dans la maison d’une bonne veuve qu’il connaissait et dont le fils était son compagnon d’étude. Il lui confessa avec larmes qu’il venait de tuer un inconnu, et la supplia de lui accorder un asile dans sa maison. Touchée de compassion, et ne soupçonnant pas qu’elle avait devant elle le meurtrier de son fils, la Dame enferma le fugitif dans un cabinet, où les officiers de la justice ne pourraient pas le découvrir.

Une demi-heure ne s’était pas écoulée, lorsqu’un bruit tumultueux se fit entendre à la porte: on apportait un cadavre et on le plaça sous les yeux de la veuve. Hélas ! c’était son fils qui venait d’être tué et dont le meurtrier était caché dans sa maison. La pauvre mère éplorée poussait des cris lamentables, et étant entrée dans la cachette de l’assassin: « Malheureux, dit-elle, que vous avait fait mon fils, pour l’avoir tué si cruellement? » – Le coupable, apprenant qu’il avait tué son ami, se mit à crier, à s’arracher les cheveux, à se tordre les bras de désespoir. Puis, se jetant à genoux, il demanda pardon à sa protectrice, et la supplia de le livrer entre les mains du magistrat pour qu’il expiât un crime si horrible.

Cette mère désolée n’oublia pas en ce moment qu’elle était chrétienne: l’exemple de Jésus-Christ, pardonnant à ses bourreaux, lui inspira un acte héroïque. Elle répondit, pourvu qu’il demandât son pardon à Dieu et changeât de vie, qu’elle le laisserait aller et s’opposerait à toute poursuite contre lui.

Ce pardon fut si agréable à Dieu qu’il voulut en donner à la généreuse mère un témoignage éclatant: il permit que l’âme de son fils lui apparût toute glorieuse, disant qu’elle allait jouir de l’éternelle béatitude: « Dieu m’a fait miséricorde, ma mère, ajouta cette âme bienheureuse, parce que vous avez usé de miséricorde envers mon assassin. En considération du pardon que vous avez accordé, j’ai été délivrée du purgatoire, où, sans le secours que vous m’avez ainsi procuré, j’eusse été détenue fort longtemps. »

Chapitre 31 – Soulagement des âmes

L’acte héroïque de charité envers les défunts

Nous avons parlé jusqu’ici des divers genres de bonnes œuvres que nous pouvons offrir à Dieu, comme suffrages pour les défunts. Il nous reste à faire connaître un acte, qui renferme toutes les œuvres et tous les moyens propres à soulager les âmes: c’est le vœu héroïque, ou comme d’autres l’appellent, l’acte héroïque de charité envers les âmes du purgatoire.

Cet acte consiste à céder aux âmes toutes nos satisfactions, c’est-à-dire la valeur satisfactoire de toutes les œuvres de notre vie et de tous les suffrages qui nous seront accordés après notre mort, sans en réserver rien pour nous-mêmes et pour acquitter nos propres dettes. Nous les déposons dans les mains de la Très-Sainte Vierge, afin qu’elle les distribue, selon son gré, aux âmes qu’elle veut délivrer des peines du purgatoire.

C’est une donation totale, en faveur des âmes, de tout ce qu’on peut leur donner: on offre à Dieu pour elles tout le bien qu’on fera en tout genre, pensées, œuvres, paroles; tout le mal qu’on souffrira d’une manière méritoire pendant toute sa vie, sans rien excepter de ce qu’on peut raisonnablement leur donner, et en ajoutant encore les suffrages qu’on recevra soi-même après la mort.

Il faut bien remarquer que la matière de cette sainte donation est la valeur satisfactoire des œuvres (Voir plus haut chap. IX), et nullement le mérite, auquel correspond le degré de gloire dans le ciel; car le mérite est strictement personnel et inaliénable.

Formule de l’Acte héroïque: « O sainte et adorable Trinité, désirant « coopérer à la délivrance des âmes du purgatoire et témoigner mon dévouement « à la très sainte Vierge Marie, je cède et je résigne, au profit de ces âmes « souffrantes, la partie satisfactoire de toutes mes œuvres et tous les suffrages « qu’on pourra m’accorder après ma mort, les abandonnant entre les mains de la « très-sainte Vierge, afin qu’elle les applique, selon son gré, aux âmes des fidèles « défunts qu’elle veut délivrer de leurs peines.

« Daignez, ô mon Dieu, agréer et bénir l’offrande que je vous fais en ce moment. « Ainsi soit-il. »

Les Souverains Pontifes, Benoît XIII, Pie VI, Pie IX, ont approuvé cet Acte héroïque et l’ont enrichi d’indulgences et de privilèges, dont voici les principaux.

  1. Les prêtres qui auront fait cette offrande, pourront jouir de l’autel privilégié personnel, tous les jours de l’année.
  2. Les simples fidèles pourront gagner l’indulgence plénière, applicable seulement aux âmes du purgatoire, chaque fois qu’ils communieront, pourvu qu’ils visitent une église ou un oratoire public, et qu’ils y prient selon l’intention de Sa Sainteté.
  3. Ils peuvent appliquer aux défunts toutes les indulgences qui ne leur sont point applicables en vertu des concessions, et qui ont été accordées jusqu’à ce jour ou qui le seront à l’avenir (Pie IX, Décr. 30 sept. 1852).

Le Père Munford

Je conseille à tout véritable chrétien, dit le P. Munford (Charité envers les défunts), de céder, avec un saint désintéressement, aux âmes des défunts tout le fruit des bonnes œuvres dont il peut disposer. Je ne crois pas qu’il puisse en faire un meilleur usage, puisqu’il les rend par-là plus méritoires, et plus efficaces, tant pour obtenir de Dieu des grâces, que pour expier ses propres péchés et abréger son purgatoire, et même, pour parvenir à en être exempté tout à fait.

Ces paroles résument bien les avantages précieux de l’Acte héroïque; et pour dissiper toute crainte d’inconvénient qui pourrait naître dans l’esprit, nous ajouterons encore trois remarques.

  1. Cet acte nous laisse la pleine liberté de prier pour les âmes auxquelles nous nous intéressons plus particulièrement: l’application de ces prières demeure subordonnée aux dispositions de l’adorable volonté de Dieu, qui est toujours infiniment parfaite et infiniment aimable.
  2. Il n’oblige pas sous peine de péché, et il est toujours révocable. On peut le faire sans prononcer aucune formule; il suffit de le vouloir et de le faire de cœur. Il est cependant utile de réciter de temps en temps la formule d’offrande, pour stimuler notre zèle à soulager les âmes par la pratique de la prière, de la pénitence et des bonnes œuvres.
  3. L’acte héroïque ne nous expose nullement à la fâcheuse conséquence d’avoir à subir nous-mêmes un plus long purgatoire; au contraire, il nous permet de compter avec une confiance plus assurée, sur la miséricorde de Dieu à notre égard, comme le montre l’exemple de sainte Gertrude.

Denis le Chartreux et sainte Gertrude.

Le vénérable Denis le Chartreux (12 mars) rapporte que la vierge sainte Gertrude avait fait donation complète de toutes ses œuvres satisfactoires en faveur des trépassés, sans rien se réserver pour l’acquittement de ses propres dettes devant Dieu. Étant proche de la mort, et d’une part, considérant, comme font les Saints, avec beaucoup de douleur, le grand nombre de ses péchés; de l’autre, se ressouvenant que toutes ses œuvres satisfactoires avaient été employées à l’expiation des péchés d’autrui et non pas des siens; elle commença à s’affliger dans la crainte que, ayant tout donné aux autres et ne s’étant rien réservé, son âme, au sortir du corps, ne fût condamnée à d’horribles peines. Dans le fort de ces inquiétudes, Notre-Seigneur lui apparut et la consola en lui disant: « Rassurez-vous, ma fille, votre charité envers les défunts ne saurait vous attirer « aucun mécompte. Sachez que la généreuse cession que vous avez faite aux « âmes de toutes vos œuvres, m’a été singulièrement agréable; et pour vous en « donner un témoignage, je vous déclare que toutes les peines que vous auriez à « souffrir en l’autre vie, vous sont remises dès maintenant; de plus, pour vous « récompenser de votre charité si généreuse, j’élèverai le prix et le mérite de vos « œuvres pour vous donner dans le ciel un grand surcroît de gloire. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 28, 29

Chapitre 28 Soulagement des âmes – Indulgences

Prières indulgenciées

Il y a certaines indulgences faciles à gagner et applicables aux défunts. Nous croyons faire plaisir au lecteur en indiquant ici les principales (Voir Maurel, Le chrétien éclairé sur les indulgences).

  1. La prière: O bon et très doux Jésus… Indulgence plénière pour quiconque, s’étant confessé et ayant communié, récite cette prière devant une image de Jésus crucifié, et y ajoute quelque autre prière à l’intention du Souverain-Pontife.
  2. Chapelet bénit. De grandes indulgences sont attachées à la récitation du saint Rosaire, si l’on se sert d’un chapelet indulgencié, soit par Notre Saint-Père le Pape, soit par un prêtre qui en a reçu le pouvoir.
  3. Chemin de la Croix. Comme nous l’avons dit plus haut (Chap. XXV), plusieurs indulgences plénières et un grand nombre de partielles sont attachées aux Stations du Chemin de la Croix. Ces indulgences ne requièrent pas la confession et la communion; il suffit d’être en état de grâce et d’avoir un sincère repentir de tous ses péchés. – Quant à l’exercice même du Chemin de la Croix, il ne requiert que deux conditions: 1° de parcourir les quatorze stations, en passant de l’une à l’autre, autant que les circonstances le permettent; 2° de méditer en même temps sur la passion de Jésus-Christ. Les personnes qui ne savent point faire une méditation un peu suivie, peuvent se contenter de penser affectueusement à quelque circonstance de la passion, selon leur capacité. On les exhorte néanmoins, sans leur en imposer l’obligation, à réciter un Pater et un Ave Maria devant chaque croix, et à faire un acte de contrition de leurs péchés (Décret du 16 février 1839).
  4. Les actes de foi, d’espérance et de charité. Indulgence de sept années et sept quarantaines, chaque fois qu’on les récite.
  5. Les litanies de la Sainte Vierge. 300 jours chaque fois.
  6. Le signe de la croix. 50 jours chaque fois; et avec de l’eau bénite 100 jours.
  7. Prières diverses. Mon Jésus, miséricorde ! 100 jours chaque fois. – Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre. 300 jours, une fois le jour. – Doux cœur de Marie, soyez mon salut. 300 jours, chaque fois.
  8. V Loué soit Jésus-Christ. – R Dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 50 jours, chaque fois que deux personnes se saluent par ces paroles.
  9. L’Angelus Domini. Indulgence de 100 jours chaque fois qu’on le récite, ou le matin, ou à midi, ou le soir, avec un cœur contrit, à genoux, et au son de la cloche.

Chapitre 29 – Soulagement des âmes

L’aumône – Raban-Maur

Il nous reste à parler d’un dernier moyen très-puissant pour soulager les âmes: c’est l’aumône. Le Docteur Angélique, S. Thomas, préfère au jeûne et à la prière le mérite de l’aumône, quand il s’agit d’expier les fautes passées. « L’aumône, dit-il (In 4. dist. 15, q. 3), possède plus complètement la vertu de la « satisfaction que la prière, et la prière plus complètement que le jeûne. » C’est pourquoi de grands serviteurs de Dieu et de grands Saints l’ont principalement choisie comme moyen de secourir les défunts. Nous pouvons citer parmi eux, comme l’un des plus remarquables, le saint Abbé Raban-Maur (4 février) premier abbé de Fulde au IXe siècles, puis Archevêque de Mayence.

Edélard au monastère de Fulde

L’abbé Trithème, écrivain distingué de l’Ordre de S. Benoît, raconte que Raban faisait distribuer beaucoup d’aumônes pour les trépassés. Il avait établi comme règle que, toutes les fois qu’un des religieux viendrait à mourir, sa portion serait pendant trente jours distribuée aux pauvres, afin que l’âme du défunt fût soulagée par cette aumône. Or il arriva, l’an 830, que le monastère de Fulde fut éprouvé par une sorte de contagion, qui emporta un grand nombre de religieux. Raban-Maur, plein de zèle et de charité pour leurs âmes, fit venir Edélard, économe du monastère et lui rappela la règle des aumônes établie pour les défunts. « Ayez grand soin, lui dit-il, que nos constitutions soient fidèlement « observées, et qu’on gratifie les pauvres pendant un mois entier, de la nourriture « destinée aux frères que nous venons de perdre. »

Edélard manquait tout à la fois d’obéissance et de charité. Sous prétexte que ces largesses étaient excessives et qu’il devait ménager les ressources du monastère, mais en réalité parce qu’il était dominé par une secrète avarice, il négligea de faire les distributions prescrites, ou ne les fit que d’une façon fort incomplète. Or la justice divine ne laissa pas impunie cette infidélité.

Le mois n’était pas écoulé, lorsqu’un soir, après que la communauté s’était retirée, il traversait la salle du chapitre, tenant une lanterne à la main. Quel ne fut pas son étonnement, lorsqu’à une heure où cette salle devait être vide, il y trouva un grand nombre de religieux. Son étonnement changea en effroi quand regardant plus attentivement il reconnut ses frères récemment décédés.

La terreur le saisit, un froid glacial parcourut toutes ses veines et le fixa immobile à sa place comme une statue sans vie. Alors un des morts prenant la parole lui adressa de terribles reproches: « Malheureux ! lui dit-il, pourquoi n’as-tu pas « distribué les aumônes qui devaient soulager les âmes de tes frères défunts ? « Pourquoi nous as-tu privé de ce secours dans les tourments du purgatoire ? « Reçois dès à présent le châtiment de ton avarice: un autre plus terrible t’est « réservé, lorsque dans trois jours tu paraîtras à ton tour devant Dieu. »

A ces mots Edélard tomba comme frappé de la foudre, et resta sans mouvement jusqu’après minuit, à l’heure où la communauté se rendit au chœur. Alors il fut trouvé à demi-mort, dans le même état où fut trouvé l’impie Héliodore, après qu’il eut été flagellé par les anges dans le temple de Jérusalem (II Machab. III).

On le porta à l’infirmerie et on lui prodigua des soins qui le firent un peu revenir à lui. Dès qu’il put parler, en présence de l’Abbé et de tous ses frères il raconta avec larmes le terrible événement, dont son triste état rendait un trop sensible témoignage. Puis, ayant ajouté qu’il devait mourir dans trois jours, il demanda les derniers sacrements, avec toutes les marques du plus humble repentir. Il les reçut très saintement, et trois jours après, il expira au milieu des prières de ses frères.

On chanta aussitôt la messe des morts, et on distribua pour le défunt la part des pauvres. Cependant la punition n’était pas finie. Edélard apparut à son abbé Raban, pâle, défiguré. Raban touché de compassion, lui demanda ce qu’il y avait à faire pour lui. « Ah ! répondit l’âme infortunée, malgré les prières de notre « sainte communauté, je ne puis obtenir ma grâce avant la délivrance de tous « ceux de mes frères que mon avarice a frustrés des suffrages qui leur étaient dus. « Ce qu’on a donné aux pauvres pour moi n’a profité qu’à eux, selon l’ordre de la « divine justice. Je vous supplie donc, ô Père vénéré « et miséricordieux, de faire redoubler les aumônes. J’espère que par ce puissant « moyen la divine clémence daignera nous délivrer tous, eux d’abord, et après « eux moi, qui suis le moins digne de miséricorde. »

Raban-Maur prodigua donc les aumônes, et un autre mois était à peine écoulé, qu’Edélard lui apparut de nouveau, mais vêtu de blanc, entouré de rayons lumineux, la joie peinte sur le visage. Il rendit à son pieux abbé et à tout le monastère les plus touchantes actions de grâces pour la charité dont on avait usé envers lui (Vie de Raban Maur; Rossignoli, merv. 2).

Que d’enseignements se dégagent de cette histoire ! D’abord la vertu des aumônes pour les défunts y paraît avec éclat. On y voit ensuite comment Dieu châtie, même en cette vie, ceux qui par avarice ne craignent pas de priver les morts de leurs suffrages. Je ne parle pas ici des héritiers coupables, qui négligent d’acquitter les fondations pieuses dont ils sont chargés par le défunt, négligence qui constitue une injustice sacrilège; mais des enfants ou des parents qui, par de misérables motifs d’intérêt, font célébrer le moins possible de messes, distribuent le moins possible d’aumônes, sans pitié pour l’âme de leur défunt, qu’ils laissent gémir dans les effroyables supplices du purgatoire. C’est là une noire ingratitude, une dureté de cœur absolument contraire à la charité chrétienne, et qui aura son châtiment, peut-être déjà dès ce monde.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 27, 28

Chapitre 28 Soulagement des âmes – Indulgences

Prières indulgenciées

Il y a certaines indulgences faciles à gagner et applicables aux défunts. Nous croyons faire plaisir au lecteur en indiquant ici les principales (Voir Maurel, Le chrétien éclairé sur les indulgences).

  1. La prière: O bon et très doux Jésus… Indulgence plénière pour quiconque, s’étant confessé et ayant communié, récite cette prière devant une image de Jésus crucifié, et y ajoute quelque autre prière à l’intention du Souverain-Pontife.
  2. Chapelet bénit. De grandes indulgences sont attachées à la récitation du saint Rosaire, si l’on se sert d’un chapelet indulgencié, soit par Notre Saint-Père le Pape, soit par un prêtre qui en a reçu le pouvoir.
  3. Chemin de la Croix. Comme nous l’avons dit plus haut (Chap. XXV), plusieurs indulgences plénières et un grand nombre de partielles sont attachées aux Stations du Chemin de la Croix. Ces indulgences ne requièrent pas la confession et la communion; il suffit d’être en état de grâce et d’avoir un sincère repentir de tous ses péchés. – Quant à l’exercice même du Chemin de la Croix, il ne requiert que deux conditions: 1° de parcourir les quatorze stations, en passant de l’une à l’autre, autant que les circonstances le permettent; 2° de méditer en même temps sur la passion de Jésus-Christ. Les personnes qui ne savent point faire une méditation un peu suivie, peuvent se contenter de penser affectueusement à quelque circonstance de la passion, selon leur capacité. On les exhorte néanmoins, sans leur en imposer l’obligation, à réciter un Pater et un Ave Maria devant chaque croix, et à faire un acte de contrition de leurs péchés (Décret du 16 février 1839).
  4. Les actes de foi, d’espérance et de charité. Indulgence de sept années et sept quarantaines, chaque fois qu’on les récite.
  5. Les litanies de la Sainte Vierge. 300 jours chaque fois.
  6. Le signe de la croix. 50 jours chaque fois; et avec de l’eau bénite 100 jours.
  7. Prières diverses. Mon Jésus, miséricorde ! 100 jours chaque fois. – Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre. 300 jours, une fois le jour. – Doux cœur de Marie, soyez mon salut. 300 jours, chaque fois.
  8. V Loué soit Jésus-Christ. – R Dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. 50 jours, chaque fois que deux personnes se saluent par ces paroles.
  9. L’Angelus Domini. Indulgence de 100 jours chaque fois qu’on le récite, ou le matin, ou à midi, ou le soir, avec un cœur contrit, à genoux, et au son de la cloche.

Chapitre 29 – Soulagement des âmes

L’aumône – Raban-Maur

Il nous reste à parler d’un dernier moyen très-puissant pour soulager les âmes: c’est l’aumône. Le Docteur Angélique, S. Thomas, préfère au jeûne et à la prière le mérite de l’aumône, quand il s’agit d’expier les fautes passées. « L’aumône, dit-il (In 4. dist. 15, q. 3), possède plus complètement la vertu de la « satisfaction que la prière, et la prière plus complètement que le jeûne. » C’est pourquoi de grands serviteurs de Dieu et de grands Saints l’ont principalement choisie comme moyen de secourir les défunts. Nous pouvons citer parmi eux, comme l’un des plus remarquables, le saint Abbé Raban-Maur (4 février) premier abbé de Fulde au IXe siècles, puis Archevêque de Mayence.

Edélard au monastère de Fulde

L’abbé Trithème, écrivain distingué de l’Ordre de S. Benoît, raconte que Raban faisait distribuer beaucoup d’aumônes pour les trépassés. Il avait établi comme règle que, toutes les fois qu’un des religieux viendrait à mourir, sa portion serait pendant trente jours distribuée aux pauvres, afin que l’âme du défunt fût soulagée par cette aumône. Or il arriva, l’an 830, que le monastère de Fulde fut éprouvé par une sorte de contagion, qui emporta un grand nombre de religieux. Raban-Maur, plein de zèle et de charité pour leurs âmes, fit venir Edélard, économe du monastère et lui rappela la règle des aumônes établie pour les défunts. « Ayez grand soin, lui dit-il, que nos constitutions soient fidèlement « observées, et qu’on gratifie les pauvres pendant un mois entier, de la nourriture « destinée aux frères que nous venons de perdre. »

Edélard manquait tout à la fois d’obéissance et de charité. Sous prétexte que ces largesses étaient excessives et qu’il devait ménager les ressources du monastère, mais en réalité parce qu’il était dominé par une secrète avarice, il négligea de faire les distributions prescrites, ou ne les fit que d’une façon fort incomplète. Or la justice divine ne laissa pas impunie cette infidélité.

Le mois n’était pas écoulé, lorsqu’un soir, après que la communauté s’était retirée, il traversait la salle du chapitre, tenant une lanterne à la main. Quel ne fut pas son étonnement, lorsqu’à une heure où cette salle devait être vide, il y trouva un grand nombre de religieux. Son étonnement changea en effroi quand regardant plus attentivement il reconnut ses frères récemment décédés.

La terreur le saisit, un froid glacial parcourut toutes ses veines et le fixa immobile à sa place comme une statue sans vie. Alors un des morts prenant la parole lui adressa de terribles reproches: « Malheureux ! lui dit-il, pourquoi n’as-tu pas « distribué les aumônes qui devaient soulager les âmes de tes frères défunts ? « Pourquoi nous as-tu privé de ce secours dans les tourments du purgatoire ? « Reçois dès à présent le châtiment de ton avarice: un autre plus terrible t’est « réservé, lorsque dans trois jours tu paraîtras à ton tour devant Dieu. »

A ces mots Edélard tomba comme frappé de la foudre, et resta sans mouvement jusqu’après minuit, à l’heure où la communauté se rendit au chœur. Alors il fut trouvé à demi-mort, dans le même état où fut trouvé l’impie Héliodore, après qu’il eut été flagellé par les anges dans le temple de Jérusalem (II Machab. III).

On le porta à l’infirmerie et on lui prodigua des soins qui le firent un peu revenir à lui. Dès qu’il put parler, en présence de l’Abbé et de tous ses frères il raconta avec larmes le terrible événement, dont son triste état rendait un trop sensible témoignage. Puis, ayant ajouté qu’il devait mourir dans trois jours, il demanda les derniers sacrements, avec toutes les marques du plus humble repentir. Il les reçut très saintement, et trois jours après, il expira au milieu des prières de ses frères.

On chanta aussitôt la messe des morts, et on distribua pour le défunt la part des pauvres. Cependant la punition n’était pas finie. Edélard apparut à son abbé Raban, pâle, défiguré. Raban touché de compassion, lui demanda ce qu’il y avait à faire pour lui. « Ah ! répondit l’âme infortunée, malgré les prières de notre « sainte communauté, je ne puis obtenir ma grâce avant la délivrance de tous « ceux de mes frères que mon avarice a frustrés des suffrages qui leur étaient dus. « Ce qu’on a donné aux pauvres pour moi n’a profité qu’à eux, selon l’ordre de la « divine justice. Je vous supplie donc, ô Père vénéré « et miséricordieux, de faire redoubler les aumônes. J’espère que par ce puissant « moyen la divine clémence daignera nous délivrer tous, eux d’abord, et après « eux moi, qui suis le moins digne de miséricorde. »

Raban-Maur prodigua donc les aumônes, et un autre mois était à peine écoulé, qu’Edélard lui apparut de nouveau, mais vêtu de blanc, entouré de rayons lumineux, la joie peinte sur le visage. Il rendit à son pieux abbé et à tout le monastère les plus touchantes actions de grâces pour la charité dont on avait usé envers lui (Vie de Raban Maur; Rossignoli, merv. 2).

Que d’enseignements se dégagent de cette histoire ! D’abord la vertu des aumônes pour les défunts y paraît avec éclat. On y voit ensuite comment Dieu châtie, même en cette vie, ceux qui par avarice ne craignent pas de priver les morts de leurs suffrages. Je ne parle pas ici des héritiers coupables, qui négligent d’acquitter les fondations pieuses dont ils sont chargés par le défunt, négligence qui constitue une injustice sacrilège; mais des enfants ou des parents qui, par de misérables motifs d’intérêt, font célébrer le moins possible de messes, distribuent le moins possible d’aumônes, sans pitié pour l’âme de leur défunt, qu’ils laissent gémir dans les effroyables supplices du purgatoire. C’est là une noire ingratitude, une dureté de cœur absolument contraire à la charité chrétienne, et qui aura son châtiment, peut-être déjà dès ce monde.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 26, 27

Chapitre 26 – Soulagement des âmes

Indulgences

Passons aux indulgences applicables aux défunts. C’est ici que la divine miséricorde se révèle avec une sorte de prodigalité. On sait que l’Indulgence est la rémission des peines temporelles dues au péché, accordée par le pouvoir des clefs en dehors du sacrement.

En vertu du pouvoir des clefs qu’elle a reçu de Jésus-Christ, la sainte Église peut délivrer les fidèles soumis à sa juridiction, de tout obstacle à leur entrée dans la gloire. Elle exerce ce pouvoir dans le sacrement de Pénitence, où elle les absout de leurs péchés; elle l’exerce aussi hors du sacrement, pour leur ôter la dette des peines temporelles qui leur reste après l’absolution: dans ce second cas c’est l’indulgence.

La rémission des peines par l’indulgence ne s’accorde qu’aux fidèles vivants; mais l’Église peut, en vertu de la communion des saints, autoriser ses enfants encore en vie, à céder la remise qui leur est faite à leurs frères défunts: c’est l’indulgence applicable aux âmes du purgatoire. Appliquer une indulgence aux défunts, c’est l’offrir à Dieu au nom de sa sainte Église, pour qu’il daigne l’attribuer aux âmes souffrantes. Les satisfactions offertes ainsi à la divine justice au nom de Jésus-Christ et de son Église, sont toujours agréées, et Dieu les applique soit à telle âme en particulier qu’on a l’intention d’aider, soit à certaines âmes qu’il veut lui-même favoriser, soit à toutes en général.

Les indulgences sont plénières ou partielles. L’indulgence plénière est la rémission, accordée à celui qui gagne cette indulgence, de toute la peine temporelle dont il est Passible devant Dieu. Supposé que pour acquitter cette dette il faille pratiquer cent ans de pénitence canonique sur la terre, ou souffrir plus longtemps encore les peines du purgatoire; par le fait que l’indulgence plénière est parfaitement gagnée, toutes ces peines sont remises; et l’âme ne présente plus aux yeux de Dieu aucune ombre qui l’empêche de voir sa face divine.

L’indulgence partielle consiste dans la rémission d’un certain nombre de jours ou d’années. Ces jours et ces années ne représentent nullement des jours ou des années de souffrances au purgatoire; il faut les entendre des jours et des années de pénitence publique, canonique, consistant surtout en jeûnes, et telle qu’on l’imposait autrefois aux pécheurs, selon l’ancienne discipline de l’Église. Ainsi une indulgence de quarante jours ou de sept années, c’est la rémission qu’on mériterait devant Dieu par quarante jours ou sept années de pénitence canonique. Quelle est la proportion qui existe entre ces jours de pénitence, et la durée des peines au purgatoire ? C’est un secret qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler.

La Bienheureuse Marie de Quito et les monceaux d’or

Les indulgences dans l’Église sont un vrai trésor spirituel, exposé publiquement devant les fidèles: il est permis à tous d’y puiser pour acquitter leurs dettes et payer celles des autres. C’est sous cette figure que Dieu daigna les montrer un jour à la Bienheureuse Marie de Quito (26 mai). Elle fut ravie en extase et vit, au milieu d’une grande place, une immense table chargée de monceaux d’argent, d’or, de rubis, de perles, de diamants; en même temps elle entendit une voix qui disait: « Ces richesses sont publiques: chacun peut s’approcher et en recueillir « autant qu’il lui convient. » Dieu lui fit connaître que c’était là une image des indulgences (Rossignoli, Merv. 29). Combien donc, dirons-nous avec le pieux auteur des Merveilles, combien ne sommes-nous pas coupables, dans une abondance pareille, de rester pauvres et dénués pour nous-mêmes, et de ne point songer à aider les autres ? Hélas ! les âmes du purgatoire sont dans une nécessité extrême, elles nous supplient avec larmes au milieu de leurs tourments: nous avons dans les indulgences le moyen d’acquitter leurs dettes, et nous n’en faisons rien !

L’accès de ce trésor exige-t-il des efforts pénibles, des jeûnes, des voyages, des privations insupportables à la nature ? Quand même cela serait, disait avec raison l’éloquent Père Segneri, il faudrait nous y résoudre. Eh ! ne voit-on pas les hommes par amour pour l’or, par zèle pour les arts, afin de conserver une partie de leur fortune ou de sauver une toile précieuse, s’exposer aux flammes d’un incendie ? Ne faudrait-t-il pas au moins en faire autant pour sauver des flammes expiatrices les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ ? Mais la divine bonté ne demande rien de trop pénible: elle n’exige que des œuvres communes et faciles: un chapelet, une prière, une communion, la visite d’un sanctuaire, une aumône, les éléments du catéchisme enseignés à des enfants abandonnés. Et nous négligeons l’acquisition si aisée du plus précieux trésor, et nous n’avons point d’ardeur pour l’appliquer à nos pauvres frères qui gémissent dans les flammes !

Chapitre 27 – Soulagement des âmes – Indulgences

La Mère Françoise de Pampelune

La vénérable Mère Françoise du Saint-Sacrement, religieuse de Pampelune, dont nous avons déjà fait connaître la charité envers les âmes, avait aussi le plus grand zèle à les secourir au moyen des indulgences. Un jour Dieu lui fit voir les âmes de trois Prélats, qui avaient occupé précédemment le siège épiscopal de Pampelune, et qui gémissaient encore dans les souffrances du purgatoire. La servante de Dieu comprit qu’elle devait mettre tout en œuvre pour obtenir leur délivrance. Comme le Saint-Siège avait alors accordé à l’Espagne des Bulles, dites de la Croisade, qui permettaient de gagner une indulgence plénière à certaines conditions, elle crut que le meilleur moyen de venir en aide à ces âmes, serait de leur procurer à chacune l’avantage d’une indulgence plénière.

L’évêque Ribéra

Elle parla donc à son Evêque, Cristophe de Ribéra, lui découvrit le triste état des trois prélats, et lui demanda la faveur de trois indulgences de la croisade. Cristophe de Ribéra, apprenant que trois de ses prédécesseurs étaient encore au purgatoire, s’empressa de procurer à la servante de Dieu les Bulles indulgenciées. Elle remplit aussitôt toutes les conditions requises et appliqua une indulgence plénière à chacun des trois Évêques. La nuit suivante tous les trois apparurent à la Mère Françoise délivrés de toutes leurs peines: ils la remercièrent de sa charité, et la prièrent de remercier aussi l’Évêque Ribéra pour les indulgences qui leur avaient enfin ouvert les portes du ciel (Vie de Françoise du S. Sacrem. Merv. 26).

Sainte Madelaine de Pazzi

Voici ce que rapporte le Père Cépari dans la Vie de sainte Madeleine de Pazzi. Une religieuse professe, qui avait reçu de Madeleine les soins les plus attentifs pendant sa maladie, étant morte, et son corps exposé dans l’église selon l’usage, Madeleine se sentit inspirée d’aller encore une fois la contempler. Elle fut donc se placer à la grille du chapitre d’où elle pouvait l’apercevoir; mais à peine arrivée, elle fut ravie en extase et vit l’âme de cette mère qui prenait son vol vers le ciel. Transportée de joie à ce spectacle, on l’entendit qui disait: « Adieu, ma sœur, adieu, âme bienheureuse ! Comme une très pure colombe, vous volez au céleste séjour, et vous nous laissez dans ce lieu de « misères. Oh ! que vous êtes belle et glorieuse ! Qui pourra expliquer la gloire « dont Dieu a couronné vos vertus ? Que vous avez passé peu de temps dans les « flammes purgatives ! Votre corps n’a pas encore été rendu à la terre, et voilà « que votre âme est déjà reçue dans le sacré palais! Vous connaissez « maintenant la vérité de ces paroles que je vous disais naguère: Que toutes les « peines de la vie présente sont peu de chose en comparaison des biens immenses « que Dieu garde à ses amis. » – Dans cette même vision, le Seigneur lui fit connaître que cette âme n’avait passé que quinze heures en purgatoire, parce qu’elle avait beaucoup souffert pendant la vie, et qu’elle avait été soigneuse de gagner les indulgences, que l’Église accorde à ses enfants en vertu des mérites de Jésus-Christ.

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse, dans un de ses ouvrages, parle d’une religieuse qui faisait le plus grand cas des moindres indulgences accordées par l’Église, et s’appliquait à gagner toutes celles qu’elle pouvait. Sa conduite n’avait d’ailleurs rien que de fort ordinaire et sa vertu était très commune. Elle vint à mourir, et la Sainte la vit, à sa grande surprise, monter au ciel presque aussitôt après sa mort, en sorte qu’elle n’eut pas pour ainsi dire de purgatoire à faire. Comme Thérèse en exprimait son étonnement à Notre-Seigneur, le Sauveur lui fit connaître que c’était le fruit du soin qu’elle avait eu de gagner le plus d’indulgences possible pendant sa vie: « C’est par là, ajouta-t-il, qu’elle a acquitté presque entièrement « ses dettes, quoique nombreuses, avant de mourir, et qu’elle a apporté une si « grande pureté au tribunal de Dieu. »