XCII.- Dieu veut être servi comme l’être infini, et non comme une chose finie.
1.-Ces cinq états sont comme cinq canaux principaux dont quatre versent une abondance et une variété de larmes infinies, qui toutes donnent la vie si elles sont appliquées à la vertu. Vous n’êtes pas infinis dans votre douleur, mais vos larmes sont infinies par le désir infini de l’âme.
2.-Tu sais maintenant que toute larme procède du cœur, c’est le cœur qui donne les larmes aux yeux lorsque l’ardeur du désir les y fait naître. Quand le bois vert est dans le feu, la force de la chaleur le fait pleurer, parce qu’il est vert; s’il était sec il ne pleurerait pas. De même le cœur reverdit par l’action de la grâce, et perd la sécheresse de l’amour-propre qui dessèche l’âme; ce cœur renouvelé trouve des larmes dans le feu des saints désirs, et, parce que le désir ne finit jamais, il ne peut être rassasié en cette vie.
3.- Plus l’âme aime, moins il lui semble aimer. Aussi excite-t-elle sans cesse le saint désir, qui est fondé sur la charité et qui lui fait répandre des larmes. Mais dès que l’âme est séparée du corps et qu’elle est arrivée à moi, sa fin, elle n’abandonne plus le désir qui la porte vers moi et vers la charité du prochain; car la charité est entrée dans le ciel comme une reine, avec le fruit de toutes les autres vertus.
4.- Il est vrai que la peine du désir est finie, mais le désir dure toujours. L’âme me désire, mais elle me possède en vérité; sans aucune crainte de perdre ce qu’elle a si longtemps désiré, et de cette manière elle se nourrit de sa faim, elle a faim et elle est rassasiée; elle est rassasiée et elle a faim, sans jamais connaître le dégoût de la satiété ni la douleur de la faim, parce que sa béatitude est parfaite.
5.- Ainsi votre désir est infini. Aucune vertu ne pourrait vous mériter la vie éternelle, si vous me serviez d’une manière finie; car moi, le Dieu infini, je veux être servi par vous d’une manière infinie, et vous n’avez d’infini que le désir et l’élan de votre âme. Aussi je disais que vous aviez une variété de larmes infinies, et c’est la vérité, à cause du désir infini qui se mêle à vos larmes.
6.- Aussitôt que l’âme est séparée du corps, les larmes des yeux lui sont étrangères; mais l’ardeur de la charité attire le fruit des larmes qu’elle a consumées, comme l’eau est absorbée par une fournaise: l’eau ne reste pas dehors, mais la chaleur du feu’ l’attire et la détruit. De même, l’âme qui est parvenue à goûter le feu de ma charité divine, et qui a quitté la vie avec l’ardeur de ma charité et de la charité du prochain dans l’amour unitif qui lui faisait répandre des larmes, ne cesse jamais de m’offrir ses saints désirs, toujours pleins de bonheur et de larmes.
7.- Ces larmes ne sont pas pénibles comme celles que l’œil répand et que le feu a consumées, mais ce sont les larmes de feu du Saint-Esprit. Tu vois donc que ces larmes sont infinies, et dans cette vie même, la langue ne peut suffire à raconter la variété de celles qui coulent en cet état. Je t’ai expliqué la différence des quatre états des larmes, il me reste à te dire le fruit des larmes du désir et ce qu’il produit dans l’âme (Dans l’édition de Gigli, cette dernière phrase commence le chapitre suivant. La traduction latine nous semble préférable.).
XCIII.- Du fruit des larmes que répandent les hommes du monde.
1.- Je commencerai d’abord par les premières larmes dont je t’ai parlé, c’est-à-dire par celles que répandent les -malheureux qui vivent dans le monde, et qui font leur Dieu des choses créées et de leur propre sensualité, ce qui entraîne la ruine de leur âme et de leur corps. Je te dirai que toute larme procède du cœur, et c’est la vérité; car le cœur souffre autant qu’il aime. Les hommes du monde pleurent quand leur cœur souffre, c’est-à-dire quand il est privé de ce qu’il aime.
2.- Ils ont bien des sortes de larmes. Sais-tu combien? -Autant qu’ils ont de sortes d’amour. Et parce que la racine est corrompue par l’amour-propre sensuel, tout ce qui en sort est corrompu: c’est un arbre qui n’a que des fruits de mort, des fleurs infectes, des feuilles souillées, des rameaux qui traînent à terre et qu’agitent tous les vents. Tel est l’arbre de l’âme. Vous êtes tous des arbres d’amour, et sans l’amour vous ne pouvez vivre; car vous avez été faits par moi, par amour. L’âme qui vit saintement place la racine de son arbre dans la vallée de l’humilité véritable; mais celle qui vit misérablement l’enterre dans la montagne de l’orgueil, et, parce que l’arbre est mal planté, il ne produit pas des fruits de vie, mais des fruits de mort.
3.- Ces fruits sont leurs œuvres, qui sont toutes empoisonnées par le péché, et si parfois ils font quelque bien, comme, la racine est gâtée, ce qui en sort l’est aussi. L’âme qui est en péché mortel ne peut faire aucune chose méritoire pour la vie éternelle, puisqu’elle n’est pas en état de grâce. Elle ne doit pas cependant abandonner les bonnes œuvres, parce que tout bien est récompensé et toute faute punie. Le bien fait en dehors de la grâce ne sert pas à la vie éternelle, mais ma bonté et ma justice divine donnent une récompense imparfaite comme l’œuvre imparfaite que l’âme me présente.
4.- Quelquefois je la récompense par des biens temporels; quelquefois je lui accorde, comme je te l’ai dit; du temps pour qu’elle puisse se corriger. D’autres fois je lui donne la vie de la grâce par le moyen de mes serviteurs que j’aime et que j’écoute. Ainsi l’ai-je fait pour mon glorieux apôtre Saint-Paul, qui, par la prière de saint Étienne, cessa d’être infidèle et de persécuter les chrétiens. Dans quelque état que l’homme se trouve, il ne doit jamais cesser de bien faire.
5.- Je t’ai dit que les fleurs de cet arbre étaient corrompues, et c’est la vérité. Ces fleurs sont les pensées infectes du cœur qui m’offense et qui déteste le prochain; l’homme, comme un voleur, dérobe mon honneur pour se le donner à lui-même. Ses fleurs répandent l’infection des faux jugements de deux manières. D’abord l’homme me juge faussement en jugeant mal mes jugements secrets et mes mystères; il reçoit avec haine ce que j’ai fait par amour; il voit le mensonge où j’ai mis la vérité, et la mort où j’ai placé la vie. Il juge et condamne d’après sa faiblesse et son ignorance. Parce qu’il a obscurci l’œil de l’intelligence recouvert la pupille de la sainte foi avec l’amour-propre sensuel, il ne peut plus voir et connaître la vérité.
6.- Il juge ensuite faussement le prochain; ce qui cause souvent de grands maux. Ce pauvre homme, qui s’ignore lui-même, veut connaître le cœur et les sentiments de la créature raisonnable, et les juger d’après un acte qu’il verra ou une parole qu’il entendra. Mes serviteurs jugent toujours en bien, parce qu’ils s’appuient sur moi, le Bien suprême; les malheureux, au contraire, jugent tout en mal, parce qu’ils partent d’un principe mauvais. Leurs Jugements engendrent souvent la haine, l’homicide, l’aversion pour le prochain et l’éloignement de l’amour de la vertu dans mes serviteurs.
7.- Viennent ensuite les feuilles, qui sont les paroles qui sortent de la bouche pour me blâmer, pour profaner le sang de mon Fils et pour injurier le prochain. Ils ne songent à autre chose qu’à maudire et condamner mes œuvres, à blasphémer et à dire du mal de tous ceux qu’ils rencontrent et qu’ils jugent témérairement. Ils ne pensent pas, les malheureux, que la langue et uniquement faite pour m’honorer., pour confesser leurs fautes, pour pratiquer la vertu et travailler au salut du prochain. Ce sont là les feuilles du péché, car le cœur d’où elles viennent n’est pas pur; il est tout souillé de fausseté et- de misère, outre le tort que cause à l’âme la privation de la grâce, que de malheurs temporels occasionnent ces langues coupables! car par leurs paroles combien ne voit-on pas de changements de fortune, de bouleversements dans les villes, d’homicides et de catastrophes? Une parole entre dans le cœur de celui qui l’entend; elle pénètre là où ne pouvait arriver le poignard.
8.- Cet arbre a sept branches qui traînent par terre et qui donnent des fleurs et dès feuilles, comme je viens de le dire. Ces branches sont les sept péchés capitaux, qui en portent tant d’autres. Leur commune racine est l’amour de soi-même et l’orgueil, d’où partent les fleurs des pensées mauvaises, les feuilles des paroles coupables et les fruits des actions criminelles.
9.- Les branches sont courbées jusqu’à terre, car les péchés mortels inclinent vers la terre et abaissent vers les choses fragiles du monde les hommes qui ne songent qu’à s’en repaître sans pouvoir s’en rassasier Ils sont insatiables et insupportables à eux-mêmes. Il est bien juste qu’ils soient toujours inquiets, toujours vides, puisqu’ils ne désirent qu’une chose qui ne pourra jamais les satisfaire. Ce qui les empêche d’être rassasiés, c’est qu’ils désirent une chose finie, tandis qu’ils sont une chose infinie, puisque leur être ne finira jamais, quoiqu’ils meurent à la grâce par le péché.
10.- L’homme est au-dessus des choses créées, et les choses créées ne sont pas au-dessus de lui; il ne peut se rassasier et trouver le repos que dans une chose plus grande que lui. Au-dessus de lui; il n’y a rien que moi, l’Éternel, aussi je puis seul le rassasier. Tant qu’il se prive de moi par sa faute, il est dans une peine et un tourment continuel Après la peine viendront les larmes, et les vents frapperont l’arbre de l’amour sensuel, qui est le principe de tout mal.
XCIV.- Les mondains qui pleurent sont battus par quatre vents différents.
1.- Les mondains sont agités par quatre sortes de vents, le vent de la prospérité, le vent de l’adversité, le vent de la crainte et le vent de la conscience. Le vent de la prospérité nourrit dans l’âme l’orgueil, la haute estime de soi-même et le mépris du prochain. S’il domine, il multiplie l’injustice, la vanité du cœur, les impuretés du corps et de l’esprit, l’amour-propre, et tous les vices qui en viennent. Ta langue ne suffirait pas à les raconter.
2.- Est-ce le vent de la prospérité qui est corrompu lui-même? Non certainement ni ce vent ni les autres. Ce qui est corrompu, c’est la racine de l’arbre, et tout ce qui en sort est corrompu. Moi qui suis la Bonté suprême, je vous donne toute chose, et le vent de la prospérité que je vous envoie ne peut être mauvais. Si les mondains pleurent, c’est que leur cœur n’est pas rassasié, il désire ce qu’il ne peut avoir; cette privation cause sa peine et la peine cause les larmes; parce que l’œil veut toujours satisfaire le cœur.
3.- Vient ensuite le vent de la crainte servile, qui fait que l’homme a peur de son ombre, tant il craint de perdre ce qu’il aime. Il craint de perdre, ou sa vie, ou ses enfants, ou d’autres créatures. Il tremble pour sa fortune ou celle des autres qui l’intéressent, pour ses honneurs et ses richesses. Cette crainte ne le laisse pas jouir en paix, parce qu’il ne possède pas selon les règles de ma volonté: de là sa crainte servile et continuelle. Il se rend l’esclave malheureux du péché; il s’assimile à la chose qu’il sert, et comme le péché est un néant, il va au néant.
4.- Lorsque le vent de la crainte l’a frappé, il ressent bientôt celui de l’adversité, qu’il redoutait et qui le prive de ce qu’il possède, en tout ou en partie. Quelquefois il perd tout en perdant la vie; la mort le dépouille de toute chose. Quelquefois la ruine n’est pas si complète il perd la santé, ou ses enfants, ses richesses, son rang, ses honneurs, selon que moi, le bon médecin, je vois que votre salut le réclame. Je vous avais donné ces choses pour votre bien, mais votre fragilité a tout corrompu. L’âme méconnaît la vérité et ne goûte pas le fruit de la patience. Elle produit l’impatience, les scandales, les murmures, la haine, l’aversion pour moi et pour mes créatures.
5.- Ainsi, ce que je lui avais donné pour la vie, elle le reçoit pour la mort, et la douleur de leur perte est proportionnée à leur amour. Elle est réduite à des larmes pleines d’impatience, qui la dessèchent et la tuent, en lui enlevant la vie de la grâce. Le corps lui-même se consume et dépérit; l’homme malheureux perd la vue spirituelle et corporelle; il n’a plus de bonheur, d’espérance, parce qu’il est privé de ce qu’il aimait, de ce qui était son affection, sa foi, son espérance; et il verse des larmes. Ce ne sont pas seulement ces larmes qui causent ces tristes effets, c’est aussi l’amour déréglé et la peine du cœur d’où viennent ces larmes.
6.- Les larmes des yeux ne donnent pas la mort, c’est la racine d’où elles procèdent, c’est-à-dire l’amour propre déréglé du cœur. Si le cœur était réglé et avait la vie de la grâce, ses larmes seraient réglées, et il connaîtrait que moi, l’Éternel, je veux lui faire miséricorde. J’ai dit que les larmes donnaient la mort, car les larmes sont des messagères qui vous annoncent la vie ou la mort qui est dans le cœur.
7.- Le vent de la conscience se fait aussi sentir, et c’est un acte de ma divine bonté. J’ai voulu attirer l’homme par l’amour, au moyen de la prospérité. J’ai essayé ensuite la crainte, pour le porter par le trouble de son cœur à aimer d’une manière sainte et méritoire. Je I’ai enfin éprouvé par la tribulation, afin qu’il connût la fragilité et le peu de consistance du monde. Lorsque tout a été inutile, mon amour ineffable lui accorde le remords de la conscience, afin qu’il ouvre la bouche et qu’il vomisse la corruption du péché par la sainte confession. Mais les malheureux obstinés s’éloignent toujours de moi par leurs fautes et ne veulent recevoir ma grâce d’aucune manière. Ils fuient le remords de la conscience, et s’en délivrent par des plaisirs coupables, par des offenses contre moi et contre le prochain. Il en est ainsi parce que la racine et l’arbre sont corrompus tout devient mortel pour eux, et ils sont dans des peines continuelles et des larmes amères.
8.- S’ils ne se convertissent pas pendant qu’ils ont encore le temps de se servir du libre arbitre, ils passent des larmes finies à des larmes infinies. Le fini devient infini, parce que ces larmes ont été répandues avec une haine infinie de la vertu, c’est-à-dire avec un désir de l’âme fondé sur une haine infinie. Il est vrai que, s’ils avaient voulu, ils seraient sortis de ces larmes, avec le secours de ma grâce, quand ils étaient encore libres. J’ai dit ces larmes infinies quant au désir et à l’être de l’âme, mais non quant à la haine et à l’amour qui est dans l’âme. Car, tant que vous êtes dans cette vie, vous pouvez aimer et haïr à votre gré: mais si l’homme finit dans l’amour de la vertu, il reçoit un bien infini, et s’il finit dans la haine, il reste dans une haine infinie en recevant l’éternelle damnation, comme je te l’ai dit lorsque je te parlais de ceux qui se noyaient dans le fleuve.
9.- Ceux-là ne peuvent désirer le bien parce qu’ils sont privés de ma miséricorde et de la charité que goûtent les saints, les uns avec les autres. Ils sont privés aussi de votre charité pendant que vous êtes voyageurs sur cette terre, où je vous ai placés pour que vous arriviez à moi, la Vie éternelle; les prières, les aumônes, les autres bonnes œuvres ne leur servent plus de rien. Ce sont des membres retranchés du corps de ma charité divine, parce que, pendant qu’ils ont vécu, ils n’ont pas voulu être unis à l’obéissance de mes saints commandements, dans le corps mystique de la sainte Église, leur mère, dans sa douce obéissance, où vous puisez le sang de l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé.
10.- Ils recueillent le fruit de l’éternelle damnation, avec les pleurs et les grincements de dents. Ce sont les martyrs du démon; le démon leur donne le fruit qu’il a lui-même. Ainsi, tu le vois, les pleurs des mondains leur procurent des peines amères dans le temps, et à la mort la société éternelle des démons.
XCV.- Du fruit des secondes et des troisièmes larmes.
1.-Il me reste maintenant à te parler du fruit que reçoivent ceux qui commencent à quitter le péché par crainte du châtiment. Quelques-uns sortent de la mort du péché mortel par crainte du châtiment, et, comme je te l’ai dit, c’est la vocation commune. Quel fruit en retirent-ils? ils commencent à purifier la demeure de leur âme des souillures du péché. Le libre arbitre y est déterminé par la crainte, et dès qu’ils ont ainsi purifié l’âme de ses fautes, ils reçoivent la paix de la conscience, disposent leur âme à l’amour, et, en considérant leur intérieur, où ils n’apercevaient, avant- de l’avoir débarrassé, que la corruption de leurs nombreux péchés, ils commencent à recevoir la consolation, parce que le ver de la conscience est tranquille et qu’ils sont prêts à prendre la nourriture des vertus.
2.- Ainsi fait l’homme lorsque son estomac est débarrassé des humeurs mauvaises; son appétit le porte à prendre des aliments. De même ceux-ci attendent que la main du libre arbitre prépare avec le désir la nourriture des vertus que l’âme doit prendre. En effet, l’âme, en éprouvant cette crainte, purifie du péché ses affections; elle reçoit le second fruit, c’est-à-dire le second état des larmes où l’âme, poussée par l’amour, commence à orner de vertus sa demeure, quoiqu’elle soit encore imparfaite. Pourvu qu’elle quitte la crainte, elle reçoit la consolation et la douceur, parce que son cœur jouit de ma vérité et de moi, qui suis l’amour même. Et à cause de la douceur, et de la consolation qu’elle trouve en moi, elle commence à aimer avec bonheur, parce qu’elle jouit de moi et des créatures à cause de moi.
3.- En exerçant l’amour qui est entré dans le cœur purifié par la crainte, l’âme commence à goûter les fruits de ma divine bonté; et dès que l’amour est maître de l’âme, elle commence à jouir en recevant les fruits nombreux et variés de la consolation. Par la persévérance, elle obtient enfin de s’asseoir au festin, c’est-à-dire que, quand elle a passé de la crainte à l’amour des vertus, et qu’elle est arrivée aux troisièmes larmes, elle s’assoit à son festin, elle dresse la table de la très sainte Croix dans son cœur; dès qu’elle l’a mise, elle y trouve la nourriture du doux et tendre Verbe, qui lui montre mon honneur et votre salut; car c’est pour mon honneur et votre salut que le cœur de mon Fils bien-aimé a été ouvert, et que sa chair vous a été offerte en aliment. Alors elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes, avec la haine et l’horreur, du péché.
4.- Quel fruit reçoit l’âme de ce troisième état des larmes? Elle reçoit une force fondée sur une sainte haine de la sensualité, avec le doux fruit d’une humilité véritable et d’une patience qui ôte tout scandale et délivre l’âme de toute affliction, parce qu’avec le glaive de la haine elle a tué sa propre volonté, principe de vos peines. Il n’y a que la volonté sensitive qui se scandalise des injures, des persécutions, de la privation des consolations temporelles et spirituelles, comme je te l’ai dit, et c’est ainsi que l’âme tombe dans l’impatience. Mais quand sa volonté est morte dans les douces larmes du désir, elle commence à goûter le fruit de la patience.
5.- O fruit d’une extrême suavité, combien tu es doux à qui te goûte, et combien tu m’es agréable! Tu fais trouver la douceur dans l’amertume, la paix au milieu des injures. Lorsque la mer est bouleversée par la tempête, et que les vents furieux poussent des vagues immenses sur la barque de ton âme, tu restes calme et tranquille sans recevoir aucun mal. Ta barque est protégée par la volonté divine, une ardente charité l’enveloppe comme d’un vêtement, et il est impossible à l’eau d’entrer.
6.- O ma fille bien-aimée, la patience est une reine qui résiste sur un roc inébranlable; elle est toujours victorieuse, jamais vaincue. Elle n’est pas seule, car la persévérance l’accompagne; elle est la moelle de la charité, et c’est celle qui montre qu’on porte la robe nuptiale. Si ce vêtement est déchiré par l’imperfection, elle le fait voir sur-le-champ par son contraire, c’est-à-dire par l’Impatience.
7.- Toutes les vertus peuvent tromper quelque temps et faire croire qu’elles sont parfaites, lorsqu’elles sont imparfaites; mais elles ne peuvent se cacher devant, toi, ô Patience, parce que tu es le miroir de l’âme: tu es l’essence de la charité et tu montres si les vertus sont vivantes et parfaites. Dès que tu es absente, on voit que toutes les vertus sont imparfaites, et qu’elles ne sont pas encore nourries à la table de la sainte Croix. L’âme te conçoit dans la connaissance d’elle-même et dans la connaissance de ma bonté; elle t’enfante par une sainte haine et te fortifie par une humilité véritable; tu peux toujours prendre la nourriture de mon honneur et du salut des âmes, et tu t’en rassasies sans cesse.
8.- Ma fille bien-aimée, regarde mes doux et glorieux martyrs, qui se nourrissaient des âmes par la patience. Leur mort donnait la vie; ils ressuscitaient les morts, et chassaient les ténèbres du péché. Le monde et toutes ses grandeurs, les princes et toute leur puissance ne pouvaient leur résister, à cause de la royale vertu de la patience.
9.- Cette vertu est la lampe sur le candélabre; c’est le fruit glorieux que donnent les larmes, lorsque l’âme, parvenue à la charité du prochain, se nourrit avec l’Agneau sans tache, mon Fils unique, par le supplice de son, désir, et le tourment qu’elle ressent de l’offense qui m’outrage. Ce n’est pas une peine qui l’afflige, parce que l’amour avec la vraie patience tue la crainte et l’amour-propre, qui donnent la peine. Mais c’est une peine pleine de douceur qui vient de l’offense qui m’est faite, et du malheur du prochain. Elle a pour principe la charité, et cette peine engraisse l’âme qui s’en réjouit, parce que c’est une preuve qui lui montre que je suis en elle par ma grâce.
XCVI.- Du fruit des quatrièmes larmes unitives.
1.- Je t’ai dit le fruit des troisièmes larmes; vient ensuite le quatrième et dernier état des larmes unitives, qui n’est pas séparé du troisième. Ils sont unis ensemble, comme ma charité avec celle du prochain; l’une est préparée par l’autre; mais, en arrivant au quatrième état, l’âme a fait tant de progrès, qu’elle souffre non seulement avec patience, mais qu’elle désire encore souffrir. Elle méprise toute jouissance, de quelque côté qu’elle vienne, pourvu qu’elle puisse ressembler à Jésus crucifié.
2.- Elle reçoit un fruit de paix spirituelle, une union par sentiment avec ma nature divine, dont elle goûte le lait comme l’enfant qui se repose paisiblement sur le sein de sa mère, pendant que ses lèvres y puisent la nourriture de même, l’âme arrivée à ce dernier état repose sur le sein de ma divine charité, Elle tient les lèvres du saint désir sur la chair de Jésus crucifié: c’est-à-dire qu’elle suit ses traces et sa doctrine; car elle a bien compris dans le troisième état, qu’on ne pouvait avancer par moi le Père, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine; elle se trouve dans mon Fils bien-aimé, le doux et tendre Verbe.
3.- Oui, vous ne pouvez avancer sans peine; c’est en souffrant beaucoup que vous arriverez à des vertus solides. L’âme se placé donc sur le sein de Jésus crucifié; elle tire à elle le lait des vertus qui lui donnent la vie de la grâce, elle y goûte ma nature divine qui rend douces les vertus. Les vertus en elles-mêmes n’étaient pas douces, mais elles le sont devenues, parce qu’elles ont été faites et unies en moi, l’Amour suprême; car l’âme n’a pas pensé à elle, mais seulement à mon honneur et au salut des âmes.
4.- Regarde, ma fille, combien est doux et glorieux cet état où l’âme s’attache tellement au sein de la charité, que jamais ses lèvres ne se séparent de cette source inépuisable. L’âme ne se trouve ainsi jamais sans Jésus crucifié, et sans moi le Père, qu’elle a trouvé en goûtant l’éternelle et souveraine Déité. Oh! qui pourra comprendre combien s’enrichissent les puissances de cette âme? La mémoire se remplit continuellement de mon Souvenir; elle se rappelle avec amour tous mes bienfaits; non pas à cause des bienfaits eux-mêmes, mais à cause de la charité avec laquelle je les lui ai accordés. Elle se rappelle d’abord le bienfait de la création qui l’a faite à mon image et ressemblance; puis, dans le premier état, la peine qui a puni son ingratitude, et ensuite la délivrance de ses fautes par le bienfait du sang du Christ dans lequel je l’ai fait renaître à la grâce en lui ôtant la lèpre du péché. Elle se rappelle que, dans le second état, elle a goûté la douceur de l’amour et le repentir du péché qu’elle voit m’avoir tellement déplu que je l’ai puni sur le corps de mon Fils unique. Elle se rappelle enfin le bienfait de la venue du Saint-Esprit, qui l’a éclairée, et qui l’éclaire dans la vérité.
5.- Quand l’âme reçoit-elle cette lumière? Lorsqu’elle a reconnu, dans le premier et le second état, ma libéralité envers elle. Elle reçoit alors la lumière parfaite; elle connaît ma vérité, c’est-à-dire que par mon amour paternel je l’ai créée pour lui donner la vie éternelle; et cette vérité je l’ai montrée par le sang de Jésus crucifié. Dès qu’elle la connaît, elle l’aime; dès qu’elle l’aime, elle le prouve en aimant purement ce que j’aime et en haïssant ce que je hais. Elle se trouve ainsi dans le troisième état de la charité du prochain. La mémoire se nourrit alors sur le sein de la charité; elle se dépouille de toute imperfection, parce qu’elle s’est rappelée et qu’elle a retenu mes bienfaits.
6.- L’intelligence a reçu la lumière; en regardant dans la mémoire elle a connu la vérité, et en perdant l’aveuglement de l’amour-propre, elle est restée dans le soleil de son objet, Jésus crucifié, qu’elle connaît vrai Dieu et vrai homme. Outre cette connaissance que lui donne cette union, elle s’élève à une lumière acquise, non par sa nature ni par son propre mérite, mais par la grâce particulière que lui donne ma Vérité, qui ne méprise jamais l’ardeur des désirs et les fatigues qu’on offre devant moi. Alors le cœur qui suit toujours l’intelligence, s’unit à moi d’un amour très parfait et très enflammé. Et si quelqu’un me demandait ce qu’est cette âme, je répondrais: Un autre moi-même par l’union de l’amour.
7.- Quelle langue pourrait dire l’excellence de ce dernier état, et les fruits nombreux et variés qu’en retirent les trois puissances de l’âme? C’est de leur sainte union que je te parlais en t’expliquant, à l’occasion des trois degrés, la parole de ma Vérité. Non, la langue ne peut le dire; cependant les saints docteurs, éclairés par cette glorieuse lumière, l’ont montrée en- expliquant la Sainte Écriture. Tu sais que le grand saint Thomas d’Aquin, de ton Ordre, puisa plutôt la science dans la prière, l’extase et la lumière de l’intelligence, que dans les études humaines. C’est une lumière que j’ai donnée au corps mystique de la sainte Église pour dissiper les ténèbres de l’erreur.
8.-Si tu regardes le glorieux évangéliste saint Jean, quelle lumière puisa-t-il sur le sein du Christ, ma Vérité! Et avec cette lumière, combien longtemps il annonça ma Vérité! Tous, par leur parole, ont propagé cette lumière d’une manière ou d’une autre. Mais quant au sentiment intérieur, à la douceur ineffable que donne l’union parfaite, la langue ne pourra jamais l’exprimer, puisqu’elle est une chose finie. C’est ce que Saint Paul affirmait en disant: » L’œil ne peut voir, l’oreille entendre, le cœur imaginer le bonheur que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment véritablement » (I Cor., II, 9).
9.- Oh! qu’elle est douce cette demeure! douce au-dessus de toutes les douceurs, par l’union parfaite de l’âme en moi. Cette union est telle que la volonté disparaît de l’âme, parce qu’elle ne fait plus qu’un avec moi. Elle répand par le monde le parfum et le fruit de ses humbles et continuelles prières; l’encens de son désir prie sans cesse pour le salut des âmes; c’est une voix sans paroles humaine, qui crie toujours en présence de ma divine Majesté.
10.- Ce sont ces fruits de l’union qui nourrissent l’âme pendant la vie, dans ce dernier état, acquis par bien des fatigues, des larmes et des sueurs. Elle passe ainsi avec la persévérance dans la grâce de cette union qui est encore imparfaite, à l’union durable et éternelle. Je dis imparfaitement, uniquement parce qu’elle ne peut se rassasier de ce qu’elle désire tant qu’elle est dans les liens d’un corps mortel, où se trouve une loi perverse; cette loi est endormie par l’amour de la vertu: elle n’est pas morte, et elle peut se réveiller, si la puissance de la vertu qui l’endort disparaît. C’est pour cela qu’on peut appeler cette union imparfaite, mais cette union imparfaite conduit l’âme à recevoir la perfection durable que rien ne peut détruire, comme je te le disais en parlant des Bienheureux qui me goûtent véritablement, moi la Vie, le Bien suprême qui ne finit jamais.
11.- Ceux-là ont reçu la vie, tandis que les autres n’ont recueilli de leurs larmes que la mort. Ils sont arrivés à la joie par des larmes qui leur ont mérité des récompenses éternelles, et leur ardente charité crie toujours vers moi et m’offre sans cesse des larmes de feu pour vous. Maintenant je t’ai dit les différents degrés de larmes, leur valeur, leurs perfections et les fruits qu’en retirent les âmes. Les parfaits reçoivent la vie éternelle et les méchants l’éternelle damnation.