LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée.
1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l’avait enseigné; mais j’ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l’excellence de l’âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l’ardeur de l’amour, qu’elle court aussitôt au troisième degré, c’est-à-dire à la bouche: et là elle montre qu’elle est parvenue à l’état parfait. Par où passe-t-elle? L’âme passe par le cœur, c’est-à-dire qu’elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l’amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable cœur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.
2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu’elle a; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l’estomac, et les dents les broient pour qu’ils puissent être avalés. L’âme fait de même; elle me parle d’abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c’est-à-dire avec la langue d’une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement: elle parle mentalement lorsqu’elle m’offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes; elle parle réellement lorsqu’elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu’elle avertit et conseille le prochain, lorsqu’elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.
3.- L’âme aussi apaise la faim qu’elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l’amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir; la nourriture qu’elle reçoit est préparée pas la haine d’elle-même et par l’amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l’injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.
4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l’estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes; et cet organe est l’amour et le zèle de son cœur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s’approprier cette nourriture, qu’elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu’elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.
5.- Alors l’âme s’engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l’abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c’est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît; car la volonté de l’âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté: la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l’âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c’est que la volonté propre est morte en goûtant l’ardeur de ma charité.
6.- L’âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix: aussi à ce degré l’âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu’elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seule procure la paix et le repos. L’âme alors enfante sans douleur des vertus à l’égard du prochain: non pas qu’elle soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l’honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié; elle ne se laisse point arrêter par l’injure, par les persécutions qu’elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner: elle surmonte tout avec force et persévérance.
7.- Son amour s’est revêtu du feu de ma charité; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l’âme m’aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m’aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s’arrêterait dans sa route. Mais parce qu’elle m’aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d’être aimée, parce qu’elle s’aime et qu’elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.
LXXVII.- Des œuvres de l’âme parvenue au troisième degré.
1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches: ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi; cette lumière dissipe les ténèbres de l’âme qui court dans la voie de la Vérité; l’âme est exaltée par un saint désir, et personne n’est capable de l’arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l’âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu’elle s’est faite petite par humilité.
2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j’ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d’eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce qu’ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation; mais ils le servent avec courage, s’oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.
3.- De quelque manière qu’ils consacrent leur vie et leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi? Parce qu’ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu’ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l’adversité; l’une ne leur pèse pas plus que l’autre, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont pas d’autre pensée que de s’y conformer dès qu’ils la connaissent.
4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C’est pour cela qu’ils détestent le péché et qu’ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s’arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n’en continuent pas moins leurs bonnes œuvres et les prières qu’ils m’offrent pour lui, et ils souffrent plus de l’offense qu’il me fait et du tort qu’il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C’était ce que disait mon glorieux apôtre Saint Paul: » Le monde nous maudit, et nous bénissons; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce; il blasphème, et nous prions; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons » (I Cor., IV, 12-13).
5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l’âme a quitté l’amour imparfait pour, l’amour parfait: ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu’il était sur la Croix où les clous de l’amour l’attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient: » Descends, et nous croirons en toi » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l’empêcha pas de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu’on n’entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.
6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l’exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses ou ses menaces; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu’ils y ont laissé, c’est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j’ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l’amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu’on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l’ennemi le glaive qu’il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais; ils persévèrent courageusement jusqu’à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.
7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s’empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié: car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l’injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l’âme; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l’ai dit, de la force et de la persévérance; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c’est pour venir à moi le Père, l’Éternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.
LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des œuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible.
1.- Je t’ai dit comment on reconnaît que l’âme est arrivée à la perfection de l’amour sincère et filial; maintenant je veux te dire le bonheur qu’elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu’elle est arrivée au troisième état dont je t’ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n’est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C’est un fruit qui sort de ce troisième état par l’union parfaite que l’âme contracte avec moi; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu’elle désire avec ardeur souffrir pour l’honneur et la gloire de mon nom.
2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre Saint Paul: » Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs: » Puis-je me glorifier en autre chose qu’en Jésus crucifié »? Il disait aussi: » Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l’amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu’ elles leur viennent.
3.- Pour ces fils bien-aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu’ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d’eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l’âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c’est la vertu d’une humilité sincère acquise par une sainte haine; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d’eux-mêmes. Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.
4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d’eux d’une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne, non par la grâce, mais par la douceur de ma présence. Je n’agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d’une manière sensible. Dès qu’ils veulent s’unir à moi par un regard d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s’est élevée au-dessus de la terre, et s’est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif; ils se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l’échelle des vertus et les trois degrés que je t’ai montrés sur le corps de mon Fils.
5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l’amour du vice; au second, ils ont goûté le secret et l’affection du cœur, et ils ont conçu l’amour pour les vertus; au troisième, où est la paix de l’esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l’amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.
6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C’est moi qui suis le lit et la table; mon doux et tendre Fils est la nourriture; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l’ai donné pour aliment; vous recevez au Sacrement de l’Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n’oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d’amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d’ardeur dans votre voyage.
7.- L’Esprit Saint les sert, car l’ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir; il me porte leurs ardents et amoureux désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.
8.- Remarque qu’ils me possèdent toujours d’une manière sensible: plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi? Parce qu’ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité; il leur jette de loin ses flèches et n’ose pas en approcher.
9.- Le monde les frappe à l’extérieur, croyant les blesser, et c’est lui qui se blesse; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu’il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé; et le trait revient sur celui qui l’a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d’aucun côté les parfaits, parce qu’en frappant le corps il n’atteint pas l’âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu’elle possède.
10.- Elle suit ainsi l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu’il avait d’expier la faute des hommes; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu’ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu’ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu’ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevé; et c’est pour eux une source d’allégresse et de béatitude.
11.- Leur affliction n’est pas une douleur qui dessèche l’âme: elle l’engraisse, au contraire, dans l’ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l’excite. Elle n’affecte pas l’âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d’amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu’il est tout en feu: de même l’âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n’est plus rien en dehors de moi; sa volonté est détruite et elle est tout embrasée en moi; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu’elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.
12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu’ils y sont arrivés, je cesse ce jeu de l’amour; cette alternative de visites et d’absences est un jeu de l’amour; c’est par amour que je pars, c’est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas; mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l’âme qui parait et disparaît.
LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.
Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l'état dont il est question était celui de notre sainte.
1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m’éloigne cependant d’une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l’union que je contracte avec elle. Et parce qu’elle ne le peut pas, je m’éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.
2.- Lorsque l’âme s’élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu’elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s’enivre du sang; elle brûle du feu de l’amour et goûte en moi la divinité même. L’âme s’unit tellement à cet océan tranquille, qu’elle ne peut avoir de pensée qu’en moi. Dès sa vie mortelle, elle goûte le bien de l’immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l’esprit.
3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l’âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n’a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l’esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l’amour de l’âme: tellement que, comme tu l’as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c’est un plus grand miracle de voir l’âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.
4.- Aussi j’arrête pour quelque temps cette union de l’âme et je la fais retourner dans le vase de son corps; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l’ardeur de l’âme, recommence ses fonctions. Car l’âme n’est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l’amour qui l’unit à moi. La mémoire ne contient d’autre chose que moi; l’intelligence ne contemple d’autre objet que ma Vérité, et l’amour qui suit l’intelligence, n’aime et ne s’unit qu’à ce que voit l’intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’œil en voyant ne voit pas, l’oreille en entendant n’entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du cœur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.
5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l’amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l’ardeur de l’âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l’âme et l’âme du corps. C’est ce que me criait le glorieux Saint Paul: « Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres une loi contraire à la loi de l’esprit » (Rom., VII, 23-24).
6.- Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l’esprit, car ma parole l’avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu’il lui avait été dit: » Paul, ma grâce te suffit » (II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu’il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu’au moment de la mort, l’œil ne peut voir l’éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m’offensent, il était privé de me voir dans mon essence.
7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la charité, de différentes manières, selon qu’il plaît à ma bonté de me manifester; mais cette vue de l’âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l’âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu’il ne pouvait aimer autant qu’il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection.
8.- L’amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n’était pas imparfait quant à la grâce et à la charité; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu’il ne pouvait rassasier son amour. C’était là sa peine. S’il avait pu satisfaire son désir de ce qu’il aimait, il n’aurait eu aucune peine; mais il souffrait parce que l’amour, tant qu’il est dans un corps mortel -n’a pas parfaitement ce qu’il aime.
9.- Dès que l’âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l’amour est sans peine. L’âme alors est rassasiée, mais elle l’est sans dégoût, parce qu’étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l’âme est séparée du corps, elle déborde d’une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face à face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine.
LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas.
1.- La vue de l’âme bienheureuse est si parfaite qu’elle voit la gloire et l’honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu’il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu’il ne le fait pas comme il devrait, en m’aimant par-dessus toute chose; mais moi je trouve dans les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu’en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.
2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus au pécheur qu’au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.
3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité; elles ne servent qu’à me faire offrir d’humbles et continuelles prières; elles tournent ainsi à la gloire et à l’honneur de mon nom. Qu’il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu’il fait pour m’offenser.