CLIII.- L’âme remercie Dieu et le prie humblement de lui dire quelque chose sur la vertu d’obéissance.
1. Alors cette âme fut tout enivrée de la sainte pauvreté, toute dilatée, par l’éternelle et souveraine grandeur, toute transformée dans l’abîme de l’ineffable et infinie providence. Il lui semblait être délivrée de son corps, tant elle était ravie et embrasée par le feu de la charité. Son intelligence contemplait la Majesté divine, et elle disait à Dieu le Père:
2. O Père éternel, ô Feu, abîme de Charité, éternelle Beauté, éternelle Sagesse, éternelle Bonté, éternelle Clémence! Espérance et Refuge des pécheurs, Largesse inestimable, Bien éternel, infini! O feu d’amour! avez-vous donc besoin de votre créature? Il me semble qu’elle vous manque; car vous agissez comme si vous ne pouviez vivre sans elle, vous qui êtes la vie dont vit toute chose, et sans laquelle rien ne peut vivre. Pourquoi donc vous passionner ainsi pour votre créature? Pourquoi l’aimer éperdument, vous qui êtes heureux en vous-même? Pourquoi vous plaire en elle, en être avide et affamé, désirer tant son salut, la chercher d’une manière si admirable, lorsqu’elle vous fuit? Vous vous approchez, elle s’éloigne. Pouviez-vous venir plus près, puisque vous avez revêtu votre Verbe de notre humanité?
3. Que dirais-je encore? je balbutie, je pousse des cris vers vous. Ah! oui, je ne puis plus parler, parce que la langue est trop faible pour exprimer ce que l’âme éprouve et comprend lorsqu’elle vous désire, vous, le Bien suprême, infini. N’est-il pas juste que je répète cette parole de l’apôtre saint Paul: « Non, l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, le cœur n’a pas senti ce que j’ai vu, ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment ». Mais qu’as-tu vu? J’ai vu les secrets de Dieu, dont l’homme ne peut parler, que dis-je! non, je ne puis y parvenir avec des sens si lourds et si charnels. Je dirai seulement, ô mon âme, que tu as vu et goûté les profondeurs inénarrables de la souveraine et éternelle Providence.
4. Et maintenant je vous rends grâces, ô Père, de l’immense bonté que vous avez montrée envers moi, qui en suis si indigne. Mais, parce que je sais que vous voulez bien satisfaire tous les saints désirs, et que votre Vérité ne peut tromper, je souhaite que vous m’expliquiez un peu la vertu d’obéissance et son excellence, ainsi que vous me l’avez promis, afin que je me passionne pour elle et que je ne m’en éloigne jamais. Qu’il plaise à votre Majesté de me parler de sa perfection, du lieu où je pourrai la trouver, de ce qui peut me la faire perdre et de ce qui peut me la procurer; par quel signe saurai-je que je la possède ou que j’en suis privée?