Traité de l’obéissance – Chapitre CLVII, CLVIII, CLIX

CLVII.- De ceux qui aiment tant l’obéissance, qu’ils ajoutent à l’observation générale des préceptes une obéissance plus particulière.

1. Ma fille bien-aimée, il en est en qui augmente tellement l’amour de l’obéissance, qu’ils ne veulent plus se contenter de l’obéissance générale aux préceptes de la loi, que vous êtes toujours obligés d’observer, si vous voulez avoir la vie et ne pas tomber dans la mort éternelle; ils tendent à la perfection en recherchant une obéissance plus particulière et plus parfaite, qui consiste à observer les préceptes et les conseils mentalement et réellement.

2. En effet, il n’y a pas d’ardent amour sans haine de la sensualité, et avec cet amour croit nécessairement cette haine. Ceux-là donc, à cause de cette haine et pour tuer entièrement leur volonté propre, veulent se lier sous le joug d’une règle religieuse, ou, en dehors d’un Ordre, sous l’obéissance plus étroite de quelqu’un qu’ils prennent pour supérieur, afin de marcher plus rapidement et d’ouvrir plus sûrement avec la clef de l’obéissance la porte de la vie éternelle. Ce sont ceux qui choisissent l’obéissance parfaite.

3. Je t’ai parlé de l’obéissance générale; mais puisque tu veux que je te parle spécialement de cette obéissance parfaite, je vais t’en entretenir. Elle n’est pas séparée de la première, elle est seulement plus parfaite; mais elles sont si unies, qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre. Je t’ai dit d’où vient l’obéissance générale, où elle se trouve et ce qui vous la fait perdre; je t’expliquerai de la même façon l’obéissance particulière.

CLVIII.- De quelle manière on parvient de l’obéissance générale à l’obéissance particulière.

1. L’âme qui, avec un amour sincère, a pris le joug de l’obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma Vérité, et en s’exerçant par des actes de vertu à cette obéissance générale, arrive à la seconde obéissance par la lumière qui l’a conduite à la première. La sainte lumière de la foi lui fait connaître par le sang de l’humble Agneau la vérité de l’amour ineffable que je lui porte, et la faiblesse qui la rend incapable d’y répondre avec la perfection que je mérite. Et alors, à l’aide de cette lumière, elle cherche le lieu et le moyen de s’acquitter envers moi, de surmonter sa faiblesse et de tuer sa volonté.

2. La foi lui montre le lieu qu’elle cherche; c’est la vie religieuse établie par l’Esprit Saint comme une barque pour recevoir les âmes qui veulent atteindre la perfection et parvenir au port du salut. Le patron de cette barque est l’Esprit Saint, que personne ne peut mettre en défaut; car le religieux qui désobéit à ses ordres ne nuit point à la barque et ne nuit qu’à lui-même. Il est vrai que, par la faute de celui qui tient le gouvernail, la barque peut être battue par la tempête. Les mauvais pilotes sont les supérieurs qui remplissent d’une manière si déplorable les fonctions que leur a confiées le patron de cette barque. Cette barque est plus désirable que ta langue ne saura jamais le dire.

3. Lorsque cette âme augmente ainsi le feu de son amour par la sainte haine d’elle-même, et qu’elle trouve, par la lumière de la foi, la barque de la vie religieuse, elle y entre morte à elle-même, si elle est véritablement obéissante, c’est-à-dire si elle a déjà parfaitement observé l’obéissance générale. L’imperfection qu’elle y apporte ne l’empêchera pas de parvenir ensuite à la perfection, Elle y parviendra à mesure qu’elle s’exercera davantage à l’obéissance.

4. La plupart de ceux qui entrent en religion sont encore imparfaits. Les uns le font par légèreté d’âge, les autres par crainte, d’autres pour y trouver des consolations ou des jouissances. L’important est qu’ils fassent bien ce qu’ils ont entrepris et qu’ils y persévèrent jusqu’à la mort. Ce n’est pas sur le commencement, mais sur la fin que porte le jugement. Beaucoup qui paraissent parfaits d’abord regardent ensuite en arrière ou restent dans leur Ordre avec une grande imperfection. Les motifs et les circonstances avec lesquels on entre en religion ne sont rien; c’est moi qui les fais naître en appelant chacun de différentes manières. Ce qu’il faut seulement considérer, c’est l’amour avec lequel on persévère dans la véritable obéissance.

5. Cette barque de l’obéissance est pleine de richesses, et celui qui s’y trouve n’a pas à se préoccuper de ses besoins spirituels ou temporels; car celui qui obéit véritablement et qui observe la règle a pour patron le Saint Esprit lui-même. Je te l’ai dit en te parlant de ma providence, mes serviteurs peuvent être pauvres, mais jamais misérables, parce que je fournis chaque jour à leurs besoins. Ceux qui se soumettent à une règle le savent par expérience.

6. En effet, tu vois qu’au moment où les Ordres religieux florissaient davantage par l’esprit de pauvreté et de charité fraternelle, jamais leurs moyens de vivre n’ont diminué; ils se trouvaient plutôt du superflu. Mais dès que le poison de l’amour-propre eut introduit le désir de vivre séparément, et que l’obéissance eut disparu, leurs ressources temporelles se sont amoindries et plus ils possédaient, plus ils avaient de nécessités. Même dans les plus petites choses, ils devaient éprouver le fruit que porte la désobéissance; car, s’ils avaient été obéissants et fidèles au vœu de pauvreté, ils n’auraient pas possédé quelque chose et vécu séparément.

7. Tu trouveras dans cette barque le trésor de ces saintes règles, composées avec tant de sagesse et de lumière par ceux qui étaient les temples du Saint Esprit. Regarde avec quelle science Benoît sut disposer sa barque; considère les parfums de pauvreté et les diamants de vertus dont François enrichit la barque de son Ordre, qu’il conduisit à une si haute perfection il la monta lui-même le premier, et donna l’exemple de ce mariage avec la sainte pauvreté à laquelle il s’était attaché par l’amour de l’abaissement et par le mépris de lui-même. Il ne désirait plaire à aucune créature en dehors de ma volonté; il recherchait les humiliations du monde; il macérait son corps et détruisait sa volonté; il se couvrait d’opprobres et d’ignominies par amour pour l’humble Agneau que l’amour a cloué et percé sur la Croix, tellement que, par une grâce extraordinaire, les plaies sacrées de mon Verbe apparurent sur son corps pour manifester, dans sa chair, l’ardeur qui dévorait son âme: c’est ainsi que François fraya la route aux autres.

8. Te me diras: Est-ce que les autres Ordres ne sont pas fondés sur la pauvreté? Si, assurément. Mais pour tous elle n’est pas la chose principale: tous peuvent s’affermir sur la pauvreté; mais, comme dans les vertus qui tirent leur vie de la charité il y en-a de spéciales aux uns et aux autres, quoiqu’elles aient toutes la même origine, mon cher pauvre François eut pour sa part la vraie pauvreté; c’est par amour pour elle qu’il construisit sa barque, et qu’il y plaça des hommes d’une rare perfection; ils n’étaient pas nombreux, mais excellents. Il y en a peu maintenant qui choisissent cette perfection. Hélas! ils ont augmenté en nombre et diminué en vertu; et ce n’est pas la faute de la barque, mais c’est la faute de ceux qui n’obéissent pas et qui commandent mal.

9. Si tu regardes la barque de ton père Dominique, mon fils bien-aimé, tu verras qu’il y a parfaitement tout disposé pour m’honorer et sauver les âmes par la lumière de la science: en prenant cette lumière pour principe de son œuvre, il n’a pas renoncé à la pauvreté volontaire; il l’a embrassée aussi, et, afin de le prouver, il a laissé pour toujours dans son testament à ses fils, sa malédiction et la mienne, sur tous ceux qui possèderaient ou retiendraient quelque chose, d’une manière générale ou particulière: c’était montrer qu’il avait pris pour épouse la royale pauvreté. Mais, comme bien spécial, il choisit la lumière de la science, afin de détruire les erreurs qui s’étaient élevées de son temps. Il prit la charge du Verbe, mon Fils unique, et il parut comme un apôtre dans le monde, tant il sema ma parole avec ardeur, dissipant les ténèbres et répandant partout la lumière.

10. Ce fut un flambeau que je donnai aux hommes par l’intermédiaire de Marie, pour détruire les hérésies. Oui, ce fut par l’intermédiaire de Marie; car c’est elle qui lui donna l’Habit: ma bonté lui en avait confié le soin. Sur quelle table prenait-il avec ses enfants la lumière de la science? sur la table de la Croix, qui est la table des saints désirs, où on se rassasie des âmes en mon honneur. Dominique voulait que ses enfants fussent sans cesse occupés à cette table pour chercher, à la lumière de la science, la gloire de mon nom et le salut des âmes. Afin de les empêcher de songer à autre chose, il leur ôta le soin des biens temporels; il voulut qu’ils fussent pauvres; il montrait qu’il ne craignait pas de les voir manquer de rien; car il était revêtu d’une foi puissante, et il espérait d’une espérance ferme en ma providence.

11. Il prescrivit l’obéissance, et voulut-que chacun fût fidèle à la tâche qui lui était imposée; et comme une vie sensuelle obscurcit la lumière de l’intelligence, et que les excès de la débauche éteignent même les yeux du corps, il prit un moyen pour conserver la vue et acquérir plus parfaitement la lumière de la science. Il établit le vœu de continence, et voulut qu’il fût observé par tous avec une vraie et parfaite obéissance. Mais aujourd’hui combien sont infidèles! Ceux-là cachent la lumière de la science par les ténèbres de l’orgueil; ces ténèbres n’obscurcissent pas la science elle-même, mais seulement leur âme. Où est l’orgueil, là ne peut être l’obéissance.

12. Je te l’ai dit, l’humilité est la mesure de l’obéissance, et l’obéissance la mesure de l’humilité: celui qui viole le vœu d’obéissance respecte rarement celui de continence dans ses actes ou ses désirs. Ton père Dominique a mis à sa barque trois cordages, qui sont la chasteté, l’obéissance et la vraie pauvreté: il a mis dans sa règle une grande modération, puisqu’il n’y a pas obligé les âmes sous peine de péché mortel. En cela je l’ai éclairé de ma lumière, dans l’intérêt de ceux qui seraient moins parfaits; car, quoique tous ceux qui se soumettent à la règle soient dans un état de perfection, les uns vivent d’une manière plus parfaite que les autres; mais les parfaits et les mi-parfaits sont tous dans la barque. Dominique est ainsi d’accord avec ma Vérité, puisqu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.

13. Aussi sa religion est toute large, toute joyeuse, toute parfumée; c’est un jardin de délices, mais les malheureux qui n’en observent pas la règle le rendent inculte et sauvage; la vertu y répand à peine quelque odeur, et la lumière de la science s’affaiblit en ceux qui s’y nourrissent. Ce jardin si désirable n’était point ainsi dans son principe; les fleurs y abondaient, et les religieux y étaient d’une grande perfection; ils ressemblaient à saint Paul par la lumière, et les ténèbres de l’erreur se dissipaient en leur présence.

14. Regarde le glorieux Thomas, dont l’admirable intelligence contemplait ma Vérité, qu’il acquérait par une lumière surnaturelle et par une science infuse; il dut cette grâce beaucoup plus à ses prières qu’à ses études. Aussi fut-il un flambeau resplendissant qui éclaira son Ordre et le corps mystique de la sainte Église, dont il éloigna toutes les hérésies.

15. Regarde Pierre, vierge et martyr, qui combattit l’erreur avec son sang. Il l’avait en si grande horreur, qu’il résolut d’y sacrifier sa vie. Tant qu’il respira, il ne fit autre chose que prier, prêcher, disputer avec les hérétiques, confesser, annoncer la vérité et répandre la foi sans rien craindre. Il la confessa pendant toute sa vie et jusqu’à son dernier soupir. Au moment d’expirer, la voix et l’encre lui manquaient: il trempa le doigt dans le sang qui sortait de sa blessure, et comme il n’avait pas de papier, ce glorieux martyr s’inclina vers la terre pour y écrire cette profession de foi: Credo in Deum. Son cœur était tellement embrasé de ma charité, qu’il ne ralentit pas sa course, et qu’il ne tourna pas la tête en arrière, lorsqu’il apprit qu’il devait mourir. Je le lui avais annoncé; mais, en vrai chevalier, il ne connut pas la peur, et s’élança sur le champ de bataille.

16. Je pourrais t’en citer bien d’autres qui, sans éprouver le martyre dans leur corps, le reçurent dans l’âme comme le bienheureux Dominique. C’étaient là les ouvriers que le Père de famille envoyait travailler à sa vigne, pour en arracher les épines du vice et y planter des vertus. Oui, Dominique et François étaient véritablement les deux colonnes de l’Église: François par la pauvreté qui a été partage, et Dominique par la science.

CLIX.- Des obéissants et des désobéissants qui vivent en religion.

1. Ainsi le lieu de l’obéissance est trouvé: ce sont ces barques admirables que le Saint Esprit a fait préparer par les fondateurs d’Ordres à ra sainte lumière de la foi; c’est lui-même qui en est le patron. Maintenant je te parlerai de l’obéissance et de la désobéissance de ceux qui sont dans ces barques, d’une manière générale et sans te désigner aucun Ordre en particulier; je te signalerai la faute de ceux qui désobéissent et la vertu de ceux qui obéissent, pour que tu les apprécies par leur opposition et que tu saches comment doit faire celui qui veut entrer dans la vie religieuse.

2. Quelle route doit suivre celui qui veut arriver à l’obéissance parfaite? Il doit suivre la lumière sainte de la foi, qui lui apprendra qu’il faut tuer sa volonté avec le glaive de la haine de toute sensualité, et qu’il faut prendre l’épouse et la sœur que lui donnera la charité. Cette épouse, c’est l’obéissance sincère et prompte; sa sœur est la patience. Il faut aussi sa nourrice, l’humilité; car, si elle ne l’avait pas pour la nourrir, l’obéissance mourrait de faim.

3. Oui, l’obéissance ne peut vivre dans l’âme où ne se trouve pas cette bonne vertu de l’humilité. L’humilité n’est jamais seule, elle est servie par l’abaissement et par le mépris du monde et de soi-même. L’âme qui se trouve méprisable ne désire pas les honneurs, mais les affronts; elle doit mourir en entrant dans la barque de la vie religieuse, quand le moment est venu. L’âge et les circonstances varient selon les appels de ma providence; mais dès qu’on est entré, il faut acquérir cette perfection et prendre franchement, joyeusement, la clef de l’obéissance à la règle.

4. Cette clef ouvre la petite porte qui est à l’entrée du ciel, de même que les grandes portes en ont une particulière qui n’est pas ouverte à tout le monde. Ceux qui vont au delà de l’obéissance commune prennent une clef plus petite qui leur permet d’entrer par la porte étroite et basse. Cette porte n’est pas séparée de la grande; quand ils en ont la clef, ils doivent la garder et ne pas la jeter loin d’eux.

5. Les vrais obéissants voient, à la lumière de la foi, que le fardeau des richesses et le poids de leur propre volonté leur causeraient une grande fatigue pour entrer par cette petite porte, et qu’ils risqueraient de se tuer en levant la tête là où il faut bon gré mal gré la baisser; il se débarrassent alors de leurs richesses et de leur volonté, en observant le vœu de pauvreté volontaire. Ils ne veulent rien, posséder, parce qu’ils voient à la lumière de la foi à quelle ruine ils s’exposeraient sans cela, puisqu’ils transgresseraient l’obéissance, en n’étant pas fidèles à leur vœu de pauvreté.

6. Ils se rendraient également coupables d’orgueil en levant la tête de leur volonté. Toutes les fois qu’il faut obéir, si ce n’était pas l’humilité, mais la force qui leur faisait baisser la tête, elle serait brisée par la violence, et cette obéissance ne pourrait plaire à leur supérieurs et à leur Ordre. Ils arriveraient alors graduellement à une autre révolte et tomberaient dans l’incontinence.

7. Ceux qui ne règlent pas leurs désirs et ne se dépouillent pas des biens temporels, multiplient leurs relations et trouvent beaucoup d’amis qui les aiment par intérêt; ces rapports entraînent des affections secrètes. Leur corps vivent dans les délices. Ils n’ont pas pour se soutenir l’humilité et le mépris d’eux-mêmes; ils recherchent le bien-être, le plaisir, les délicatesses, comme des grands seigneurs, et non comme des religieux; ils abandonnent ses veilles et la prière.

8. Ils font d’autres chutes parce qu’ils ont de quoi dépenser; cela n’arriverait pas s’ils n’avaient rien. Ils tombent dans des souillures spirituelles et corporelles. Si, par honte ou par impuissance, ils ne font pas matériellement le mal, ils le commettent au moins dans leurs cœurs. Celui qui recherche les conversations, les délicatesses du corps, les plaisirs de la table, sans veiller et sans prier, ne pourra jamais conserver la pureté de son âme.

9. Celui qui obéit parfaitement au contraire aperçoit sur-le-champ, à la sainte lumière de la foi, le mal et les ruines que causent la possession des biens temporels et le fardeau de la volonté propre. Il comprend qu’il faut passer par la porte étroite, et qu’il y perdrait la vie, s’il ne l’ouvrait avec la clef de l’obéissance; car je t’ai dit que c’était là lé moyen. Tant qu’il est dans la barque de la vie religieuse, il suit bon gré mal gré la route étroite de l’obéissance à son supérieur.

10. L’obéissant parfait s’élève au dessus de lui-même et domine ses sens; il en triomphe par la foi vive. Il place dans son âme la haine du moi, pour la servir et pour en chasser son ennemi, l’amour-propre; car il veut préserver de toute offense l’obéissance, cette épouse bien-aimée que lui a donnée la charité, sa mère, à la lumière de la foi. Il chasse avec une sainte rigueur celui qui s’élève contre elle, et il lui donne ses compagnes et sa nourrice. Dès que la haine a chassé l’ennemi, l’amour de l’obéissance introduit dans l’âme les amies de son épouse: ce sont les vertus sincères, l’habitude, l’observance fidèle de la règle. Cette aimable épouse entre dans l’âme avec sa sœur, la patience et sa nourrice, l’humilité, qu’accompagnent l’abaissement et le mépris de soi-même.

11. Dès que l’obéissance est entrée, l’âme possède la paix et le repos, parce que ses ennemis sont dehors. Elle est dans le jardin de la véritable continence avec le soleil qui éclaire l’intelligence, et fait contempler à l’œil de la foi ma Vérité incarnée, son unique objet. Elle ressent aussi le feu d’une tendre charité qui embrase tous ses amis et ses compagnons, parce qu’elle observe la règle avec un ardent amour.

12. Quels sont ses ennemis qui sont dehors? Le principal est l’amour-propre, qui produit l’orgueil; c’est l’ennemi de la charité et de l’humilité. L’impatience est opposée à la patience, la révolte à l’obéissance, l’infidélité à la foi. La présomption et la fausse confiance combattent la véritable espérance que l’âme doit mettre en moi. L’injustice ne peut exister avec la justice, l’imprudence avec la prudence, l’intempérance avec la tempérance, la violation de la règle avec son observance. Les mauvaises conversations des méchants ne peuvent s’allier avec les saintes relations: ce sont des ennemis qui ruinent les habitudes et les usages salutaires de la vie religieuse. Il faut craindre leurs cruelles attaques. La colère combat contre la douceur, la haine de la vertu contre son amour, la volupté contre la pureté, la négligence contre le zèle, l’ignorance contre la science, le Sommeil contre les veilles et la prière persévérante.

13. Dès que la lumière, de la foi lui a fait apercevoir ces ennemis qui voulaient souiller la sainte obéissance, l’âme envoie la haine pour les chasser, et l’amour pour introduire ceux qui lui sont chers. Alors la haine tue avec son glaive la volonté mauvaise, qui, nourrie par l’amour-propre, donnait la vie à tous les ennemis de la véritable obéissance. Une fois qu’est détruit le principe qui les entretenait, l’âme est libre et possède la paix. Qui lui ferait la guerre, puisqu’elle est délivrée de tout ce qui cause le trouble et la tristesse?

14. Qui pourrait nuire à l’âme obéissante? Est-ce l’injure? Non, car elle est patiente; la patience est sœur de l’obéissance. Est-ce le fardeau de la vie religieuse? Non, puisqu’elle le porte volontairement Les ordres rigoureux de ses supérieurs lui causeront-ils quelque peine? Non, car elle a foulé aux pieds sa volonté, et jamais elle n’examine et ne juge les obligations qu’on lui impose, parce que la lumière de la foi lui fait voir ma volonté dans ces obligations. Elle sait que ma bonté les lui envoie dans l’intérêt de son salut. Aura-t-elle du dégoût et de l’ennui dans les plus viles occupations? souffrira-t-elle des reproches, des injures, des affronts qu’elle reçoit, et des mépris dont elle est l’objet? Non, puisqu’elle aime l’abnégation et qu’elle se déteste sincèrement.

15. Elle se réjouit au contraire dans la patience, et tressaille d’allégresse à cause de l’obéissance, sa chère épouse. Elle s’attriste seulement quand elle voit offenser son Créateur. Sa conversation est avec ceux qui me craignent véritablement; et si elle parle avec ceux qui sont séparés de ma volonté, ce n’est pas pour contracter leurs défauts, c’est pour les retirer de leur misère. La charité du prochain lui fait désirer de communiquer à d’autres le bien qu’elle possède, parce qu’elle voit que mon nom serait plus glorifié, si elle donnait à beaucoup son obéissance à la règle. Aussi elle s’applique à y attirer les religieux et les séculiers par ses paroles et ses exemples. Tous ses efforts tendent à les retirer des ténèbres du péché mortel. Toutes les conversations de l’obéissant véritable sont bonnes et parfaites; qu’il parle avec les justes ou avec les pécheurs, il suit toujours les règles d’une charité droite et expansive.

16. Sa cellule est un ciel où il se plaît à s’entretenir avec moi, l’éternel et souverain Bien; l’amour l’empêche d’y être oisif, et le porte à m’adresser d’humbles et continuelles prières. Quand le démon lui envoie des pensées dangereuses, il ne s’endort pas dans la négligence; il ne s’arrête pas à discuter les mouvements de son cœur, et à prendre des résolutions stériles; mais il s’arme aussitôt d’une sainte haine contre lui-même et contre ses sens. Il supporte avec patience et humilité les tentations qu’il éprouve, et il leur résiste par les veilles et la prière, en fixant vers moi le regard de son intelligence, et en voyant à la lumière de la foi que je suis son protecteur, qui peux, qui sais et qui veux le secourir. Alors je lui ouvre les bras de ma bonté, pour qu’en se fuyant lui-même il se réfugie en moi.

17. S’il lui semble ne pouvoir plus faire l’oraison mentale, à cause de la fatigue et des ténèbres de son âme, il a recours à la prière vocale et à quelque exercice corporel pour ne pas rester en repos; il se tourne vers moi, qui lui accorde tout avec une paternelle tendresse. Son humilité sincère lui persuade qu’il est indigne de la paix et du repos dont jouissent mes autres serviteurs, et qu’il ne mérite que des tourments; il a pour lui tant de mépris et de sainte haine, qu’il lui semble qu’il ne pourra jamais souffrir assez. Cependant il espère toujours en ma providence, et, avec le secours de la foi et de l’obéissance, il traverse tous les orages dans la barque de la vie religieuse, et il recueille laborieusement dans sa cellule des fruits abondants.

18. Celui qui obéit veut être le premier à entrer au chœur, et le dernier à en sortir; quand il voit un religieux plus obéissant et plus zélé que lui, il conçoit une sainte envie de cette vertu, qu’il s’approprie sans vouloir cependant la diminuer dans son prochain; car, s’il le voulait, il se séparerait de la charité qu’il lui doit.

19. L’obéissant prend ses repas au réfectoire; il y est fidèle et se plait à manger comme les pauvres, pour prouver qu’il n’aime pas les exceptions. Il retranche même de sa part, et il observe si parfaitement son vœu de pauvreté, qu’il se reproche ce qu’il accorde aux nécessités de son corps. Au lieu de beaux ornements, sa cellule est pleine des parfums de la pauvreté; il n’a pas à redouter que les voleurs le dépouillent et que les teignes rongent ses vêtements. Si on lui fait quelque présent, il ne songe pas à le conserver, mais il en fait part à ses frères.

20. Il ne s’inquiète pas du lendemain et se contente de ce qui suffit à chaque jour. Son unique pensée est le royaume du ciel et la vraie obéissance, qu’il cherche à observer le mieux qu’il lui est possible; et parce que l’humilité est la voie la plus sûre, il se soumet au petit comme au grand, au riche comme au pauvre. Il se fait l’esclave de chacun, ne refusant aucune fatigue et servant tout le monde avec amour. L’obéissant ne veut point obéir à sa manière et choisir le moment et le lieu; il obéit à sa règle et à son supérieur, et cela sans peine et sans ennui.

21. Son obéissance sincère et parfaite le fait passer par la porte étroite de la vie religieuse sans difficulté, sans violence, parce qu’il observe ses vœux de pauvreté, d’obéissance, de chasteté. Il abaisse l’orgueil en inclinant la tête avec soumission, et humilité; il ne se la brise pas par impatience, mais il est patient avec force et persévérance, ainsi que l’aime l’obéissance. Il repousse les attaques du démon en mortifiant et en macérant sa chair, en la privant de toute délicatesse, de tout plaisir, en lui imposant toutes les fatigues de la règle, en acceptant tout et ne méprisant rien. Semblable à l’enfant qui ne garde aucun ressentiment des corrections de son père et des injures qui lui sont faites il oublie les injures, les peines et les rigueurs qu’il peut éprouver de la part de ses supérieurs, et quand il est appelé, il retourne humblement vers eux, sans passion, sans haine, sans colère, mais avec douceur et bienveillance.

22. Ce sont là ces enfants dont mon Fils parlait à ses disciples lorsqu’ils se disputaient pour savoir qui d’entre eux serait le plus grand, il leur disait: « Laissez venir à moi les petits enfants, c’est à eux qu’est le royaume du ciel” (S. Marc. X, 14). Celui qui ne s’humiliera pas comme le petit enfant, c’est-à-dire qui n’aura pas ses qualités, sa simplicité, celui-là n’entrera pas dans le royaume du ciel.

23. Celui qui s’humiliera, ma fille bien-aimée, sera élevé, et celui qui s’élèvera sera humilié (S. Mt. XXIII, 12); ainsi l’a dit ma Vérité. Oui, les petits, les humbles, qui se seront abaissés, qui se seront soumis à la véritable et sainte obéissance, ceux qui n’ont pas résisté à la règle et à leur supérieur, je les exalterai, moi l’Éternel, le Tout-Puissant. Je les placerai parmi les habitants de la cité bienheureuse, où toutes leurs fatigues auront leur récompense. Et dès cette vie même, je leur donnerai un avant-goût de la vie éternelle.