Prières de Sainte Catherine de Sienne XIX, XX, XXI

XIX – Prière faite à Rome, le jour de la Chaire de saint Pierre, apôtre.

1. J’ai recours à vous, Médecin suprême, Amour inexprimable de mon âme; je soupire avec ardeur vers vous, Trinité éternelle, infinie, moi si peu de chose! Je m’adresse à vous dans le corps mystique de votre sainte Église pour que vous purifiiez par votre grâce toutes les taches de mon âme. Ne tardez pas davantage, je vous le demande par les mérites de saint Pierre, que vous avez chargé de conduire votre Barque. Secourez votre Épouse, qui espère dans le feu de votre charité et l’abîme de votre admirable sagesse.

2. Ne méprisez pas les désirs de vos serviteurs, mais dirigez vous-même la Barque sainte. Vous qui faites la paix, attirez à vous tous les fidèles; dissipez les ténèbres de l’orage, afin que l’aurore de votre lumière brille sur les champs de votre Église et y ramène le zèle pour le salut des âmes. O Père tendre et miséricordieux, vous nous avez donné des liens pour enchaîner le bras de votre justice; ce sont les humbles prières et les ardents désirs de vos ardents serviteurs, que vous avez promis d’exaucer, lorsqu’ils vous demanderaient d’avoir pitié du monde.

3. Je vous rends grâces, Ô Dieu puissant et éternel, du repos que vous voulez bien promettre à votre Épouse. Oui, j’entrerai dans ses jardins et je n’en sortirai pas avant d’avoir vu l’accomplissement de vos promesses qui ne trompent jamais. Effacez aujourd’hui nos péchés, Seigneur, et purifiez nos âmes avec le Sang que votre Fils unique a versé pour nous, afin que, la joie Sur le visage et la pureté tians l’âme, nous lui rendions amour pour amour, en mourant à nous-mêmes et en vivant pour lui.

4. Exaucez aussi les prières que nous vous adressons pour le Pontife qui garde la Chaire sacrée dont nous célébrons la fête; rendrez-le l’imitateur et le digne successeur de votre petit vieillard Pierre (Il succesore di questo tuo vecchiacciuolo di Petro.), et donnez-lui tout ce qui lui est nécessaire pour gouverner l’Église. Vous le savez, vous avez promis de satisfaire bientôt mes désirs: ainsi je m’adresse à vous avec confiance, mon Dieu; ne tardez pas davantage à accomplir vos promesses.

5. Et vous, mes frères bien-aimés, travaillons, tandis que nous le pouvons, pour l’Église du Christ, qui est notre mère dans la foi. Vous avez été placés dans l’Église comme ses colonnes; aidez-la de vos ferventes prières et de vos œuvres; détruisez eu vous tout amour-propre et toute paresse. Cultivons avec ardeur le champ sacré de la Foi, afin que nous accomplissions la volonté de Dieu, qui nous a donné cette tâche pour notre salut, pour celui des autres, et pour l’unité de l’Église, qui doit être le salut de nos âmes.

XX – Prière faite à Rome, le 26 mars 1379.

1. O Dieu éternel, souveraine Grandeur, vous êtes grand, moi je suis petite. Ma bassesse ne peut atteindre votre Grandeur qu’autant que la volonté, l’intelligence, la mémoire, surmontent la faiblesse de mon humanité pour vous contempler dans la lumière que vous m’avez donnée. Si je regarde votre Grandeur, toute grandeur que mon âme peut atteindre en vous est comme la nuit obscure comparée aux clartés du jour, ou comme les reflets de la lune comparés au disque éclatant du soleil. Je puis bien vous posséder par l’amour, mais je ne puis vous voir dans votre essence: vous avez dit que l’homme vivant ne peut vous voir.

2. Oui, l’homme vivant dans sa sensualité et sa volonté ne peut vous voir dans l’union de votre charité; celui qui vit dans la rectitude de la raison peut vous voir dans l’union de votre charité, mais il ne peut vous contempler dans votre essence tant qu’il habite son corps mortel. Il est donc bien certain que je ne puis vous atteindre, mais seulement jouir de vous comme dans un miroir, c’est-à-dire dans les effets de votre charité, et non dans votre essence.

3. Et quand ai-je pu prétendre à ce bonheur de vos adorateurs véritables, à ce bonheur incompatible avec ma vie mortelle? Lorsque arriva le moment sacré, le temps vraiment acceptable, où mon âme put voir dans la lumière l’accomplissement des promesses; lorsque vint au monde le grand Médecin, votre Fils unique; lorsque l’Époux fut uni à l’Épouse, et le Verbe-Dieu à notre humanité. Cette union s’est faite par Marie, car c’est elle qui vous a revêtu de sa chair, vous qui êtes l’éternel Époux!

4. Cette union ineffable était cachée d’abord; peu la connaissaient, et l’âme ne pouvait comprendre toute votre grandeur; mais l’âme eut la connaissance parfaite de votre charité dans la Passion du Verbe (Il ne s’agit pas d’une connaissance parfaite, absolue mais de la connaissance dont parle saint Jean dans sa première Épître, III, 16: In hoc cognovimus charitatem Dei, quoniam ille animan suam pro nobis posuit.). Alors le feu caché sous notre cendre se manifesta et produisit ces grandes flammes qui atteignirent le corps sacré du Sauveur sur l’arbre de la Croix. Pour que l’affection de l’âme fût attirée aux choses d’en haut, pour que l’œil de l’intelligence pût vous contempler dans ces flammes, ô Verbe éternel, vous avez voulu être élevé sur le Calvaire, et le sang que vous y avez versé nous a prouvé votre amour, votre miséricorde et votre générosité infinie. Vous nous avez aussi montré, par ce Sang, combien vous est odieuse et pesante la faute de l’homme. Vous avez purifié dans ce Sang l’âme, l’épouse que vous avait donnée l’union de votre divinité à notre humanité. Ce Sang a été un vêtement pour sa misère, et votre mort lui a rendu la vie.

5. O Passion désirable, mais qui ne peut être désirée ni aimée par ceux qui se désirent, s’aiment encore eux-mêmes! Passion que désire celui qui s’est dépouillé de lui-même pour se revêtir de vous, et qui a connu par votre lainière la grandeur de votre charité! Passion douce et profitable, qui donnez à l’âme la paix nécessaire pour traverser les flots d’une mer orageuse! Passion, la suavité, la douceur même, richesse de l’âme, repos des affligés, nourriture de ceux qui ont faim! vous êtes le port et le paradis de nos âmes! notre joie véritable, notre gloire, notre béatitude! Celui qui se glorifie en vous possède tout ce qu’il doit posséder. Et qui est-ce qui se glorifie en vous? Ce n’est pas celui qui abaisse la lumière de sa raison aux caprices-de ses sens: celui-là ne peut voir que ta terre.

6. O Passion qui guérissez toute maladie, pourvu que le malade consente à sa guérison, car vos bienfaits ne nous ôtent pas la liberté, vous rendez la vie aux morts et vous délivrez l’âme qui est tombée dans les pièges du démon si le monde nous poursuit, si notre fragilité nous accablé, vous êtes notre refuge. L’âme, en voyant les douleurs du Calvaire, connaît l’immensité de la charité divine que cette Passion lui révèle, et elle en est enivrée. La faiblesse que le Verbe emprunte à notre humanité pour souffrir est un miracle de grandeur et de puissance, puisqu’elle vient de Dieu, qu’elle nous élève à Dieu et qu’elle fait ce que rien ne pourrait faire.

7. O divine Passion! l’âme qui se repose en vous meurt à la sensualité, en goûtant le charme de votre amour. Qu’elle est grande, qu’elle est suave la douceur qu’elle trouve lorsqu’elle pénètre cette dure enveloppe sous laquelle se cachent la lumière et le feu de la charité, lorsqu’elle voit l’admirable union de la Divinité avec l’humanité qui seule souffre en notre Sauveur! Regarde, mon âme, contemple le Verbe dans notre humanité comme dans un nuage qui l’environne; la Divinité n’est pas plus blessée par ce nuage de notre humanité que le soleil ne l’est par les nuages qui voilent ses splendeurs et nous cachent la pureté du ciel. Oui, la divinité du Verbe assista aux souffrances de son corps mais après sa Résurrection, elle changea en lumière les ténèbres de son humanité et la rendit immortelle.

8. O Passion, vous êtes la doctrine que doit suivre la créature raisonnable; vous montrez combien s’égarent ceux qui préfèrent les plaisirs aux peines; puisqu’on ne parvient au Père que par le Verbe, et qu’on ne s’associe au Fils qu’en aimant ses souffrances. Si l’homme veut éviter la souffrance, il l’endurera malgré lui; s’il consent à la porter avec le Soleil de justice, il n’en souffrira pas plus que la Divinité n’a souffert dans le Verbe les douleurs de la Passion acceptée volontairement. Depuis votre Passion, ô Verbe de Dieu, l’âme ne peut avec la lumière de la grâce connaître l’étendue de votre charité; et c’est par cette lumière, qui nous est donnée dans le temps, que nous parviendrons à connaître votre essence dans l’éternité.

9. O Dieu aimable, Dieu éternel, Sublimité infinie, nous ne pouvions élever à votre hauteur, ni les affections de notre âme à cause de leur bassesse, ni les regards de notre intelligence à cause des ténèbres du péché; mais vous qui êtes le Médecin suprême, vous nous avez donné le Verbe avec son humanité; vous avez gagné l’homme, vous avez vaincu le démon, non par l’humanité mais par la Divinité. En vous faisant petit, vous avez grandi l’homme: vous vous êtes abreuvé d’outrages pour le remplir de béatitude; vous avez souffert la faim pour le rassasier de charité; vous vous êtes dépouillé de la vie pour le revêtir de la grâce; vous vous êtes couvert de honte pour lui rendre l’honneur; vous vous êtes caché dans votre humanité pour lui donner la lumière; vous vous êtes étendu sur la Croix pour l’embrasser; vous lui avez ouvert votre côté pour lui offrir un asile contre ses ennemis, et lui faire connaître votre amour, dont l’étendue n’a pas de bornes. C’est là qu’il a trouvé la piscine salutaire qui a guéri son âme de la lèpre du péché.

10. O Amour ineffable, ô Flamme, ô Abîme de charité, Grandeur qu’on ne peut mesurer, plus je vous contemple dans votre Passion, plus je rougis de la misère de mon âme qui ne vous a jamais connu, et cela parce qu’elle vivait pour les sens et qu’elle était morte à la raison. Mais que votre admirable charité illumine aujourd’hui mon intelligence, l’intelligence de ceux que vous m’avez confiés, et celle de toutes les créatures raisonnables. O Dieu, mon Amour, lors que le monde se mourait dans la faiblesse, vous lui avez envoyé pour le guérir votre Fils unique, et je sais que vous le lui avez envoyé à cause de votre amour, et non à cause de nos mérites.

11. Maintenant le monde s’affaisse dans la mort, et mon âme n’en peut supporter le douloureux spectacle. Quel moyen prendrez-vous pour le ranimer, puisque vous ne pouvez plus souffrir et que vous ne descendrez plus des cieux pour nous racheter, mais pour nous juger? Comment nous rendrez-vous la vie? Je crois, ô Bonté infinie, que les remèdes ne vous manquent pas; je sais que votre amour pour nous est toujours le même, et que votre puissance n’est pas plus affaiblie que votre sagesse. Vous voulez, vous pouvez, vous connaissez ce qui peut nous sauver. Je vous en supplie, montrez-moi ce remède, afin que mon âme ranimée reprenne courage.

12. Il est vrai que votre Fils ne doit plus venir que dans la majesté du jugement: mais vous avez des serviteurs que vous appelez vos Christs; et avec eux vous pouvez sauver le monde et lui rendre la vie, parce qu’ils marchent avec courage sur les traces de votre Fils, parce qu’ils brûlent du désir de vous glorifier, de sauver les âmes, et qu’ils supportent avec patience les peines, les tourments, les opprobres et les injures. Ces peines finies, accompagnées d’un désir infini, vous feront exaucer leurs prières, accomplir leurs désirs. S’ils souffraient corporellement sans ce désir infini, leurs souffrances ne pourraient suffire ni à eux ni aux autres, comme la Passion du Verbe sans la Divinité n’aurait pas suffi au salut du genre humain.

13. Sauveur par excellence, donnez-nous donc des Christs pour qu’ils répandent leur vie pour le salut du monde dans les jeûnes, les veilles et les larmes. Vous les appelez vos Christs parce qu’ils deviennent semblables à votre Fils unique. O Père éternel, sauvez-nous de notre ignorance, de notre aveuglement, de notre froideur, Que nous ne restions pas dans cette obscurité où nous ne voyons que nous-mêmes; mais faites-nous connaître votre volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi! Je vous remercie de ce que vous avez donné le repos à mon âme, en lui faisant connaître, dès ici-bas, la grandeur de votre charité et le moyen que vous avez pour délivrer le monde de la mort.

14. Réveille-toi donc, ô mon âme, secoue ce sommeil qui a duré toute ta vie! O Amour ineffable! ce que souffrent vos serviteurs devient méritoire par le désir de leur âme, et le désir de leur âme devient méritoire par le désir de votre charité infinie! O âme malheureuse qui ne suis pas la lumière, mais les ténèbres, sors, sors donc de ces ténèbres éveille-toi, ouvre les yeux de ton intelligence et regarde l’abîme de la charité divine, sans voir, tu ne peux pas aimer; et plus tu verras, plus tu aimeras; plus tu aimeras, plus tu suivras et te revêtiras sa volonté. J’ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi.

XXI – Prière faite à Rome, le Jeudi 5 Avril 1379.

1. O notre Résurrection! notre Résurrection! puissante et éternelle Trinité, faites donc éclater mon âme! O Rédempteur! notre Résurrection! Trinité éternelle! Feu qui brûlez toujours, qui ne vous éteignez jamais, qui ne pouvez diminuer quand même vous vous communiqueriez à toute la terre! O Lumière qui donnez la lumière, je vois dans votre lumière, et je ne puis rien voir sans vous, parce que vous êtes Celui qui êtes, et moi je suis celle qui ne suis pas! Je connais par vous mes besoins, ceux de l’Église et du monde! C’est parce que je les connais que je vous conjure d’ébranler, d’enflammer mon âme pour le salut du inonde; non pas que je puisse porter quelque fruit par moi-même, mais je le puis par la vertu de votre charité, qui est la source de tout bien.

2. Oui, dans l’abîme de votre charité, l’âme agit pour son salut et pour celui de prochain, comme votre Divinité, ô éternelle Trinité, nous a sauvés au moyen de notre humanité bornée, qui nous a procuré un bien infini. C’est par cette vertu toute puissante de votre Divinité qu’a été créé tout ce qui participe à l’être, et qu’a été donné à l’homme le bien spirituel et temporel qui se trouve en lui. Ce bien, vous avez voulu que l’homme le cultivât par son libre arbitre.

3. O Trinité, Trinité éternelle! votre lumière nous fait connaître que vous êtes le Jardin parfait qui renfermez les fleurs et les fruits. Vous êtes une Fleur de gloire qui vous glorifiez et qui fructifiez vous-même! Vous ne pouvez rien recevoir d’un autre: sans cela vous ne seriez pas le Tout-Puissant, l’Éternel! Celui qui vous donnerait ne paraîtrait pas venir de vous. Mais vous êtes votre gloire et votre fruit; ce que vous offre votre créature vient de vous; si elle ne recevait rien, elle ne pourrait rien vous rendre.

4. O Père éternel! l’homme était renfermé dans votre sein; vous l’avez tiré de votre sainte pensée, comme une fleur où se distinguent les trois puissances de l’âme. Dans chacune de ces puissances, vous avez mis un germe afin qu’elles puissent fructifier dans votre jardin et vous rendre le fruit que vous lui avez donné. Vous entrez dans l’âme pour la remplir de votre béatitude, et l’âme y est comme le poisson dans la mer et la mer dans le poisson.

5. Vous lui avez donné la mémoire afin qu’elle puisse retenir vos bienfaits polir fleurir à la gloire de votre nom et porter de bons fruits, Vous lui avez donné l’intelligence afin qu’elle connaisse votre vérité et votre volonté qui veut toujours notre sanctification, et que, la connaissant, elle vous honore et produise des vertus! Vous lui avez donné la volonté afin qu’elle puisse aimer ce que l’intelligence a vu et ce que la mémoire a retenu.

6. Si je regarde en vous, qui êtes la Lumière, ô Trinité éternelle, je vois que l’homme a perdu la fleur de la grâce par la faute qu’il a commise. Il ne pouvait dès lors vous rendre gloire et atteindre le but pour lequel vous l’aviez créé. Votre plan était détruit; votre jardin était fermé, et nous ne pouvions recevoir vos fruits. Alors vous avez envoyé le Verbe, votre Fils unique, à notre secours.

7. Vous lui avez donné la clef de la Divinité et de l’humanité réunies pour nous ouvrir la porte de la grâce; la Divinité ne pouvait l’ouvrir sans l’humanité, parce que l’humanité l’avait fermée par la faute du premier homme; et l’humanité seule ne pouvait ouvrir sans la Divinité, parce que son action est finie et que la faute avait été commise contre la perfection infinie. La satisfaction devait égaler la faute; tout autre moyen ne pouvait suffire. Et vous, doux et humble Agneau, vous nous avez ouvert les portes du jardin céleste; vous nous livrez l’entrée du paradis et vous nous offrez les fleurs et les fruits de l’éternité.

8. Je comprends maintenant la vérité de ce que vous disiez, lorsque vous êtes apparu sous la forme d’un pèlerin à vos deux disciples, sur la route d’Emmaüs. Vous leur disiez qu’il fallait que le Christ souffrit et qu’il entrât dans la gloire par la voie de la Croix (Luc, XXIV, 26); vous leur citiez les prophéties de Moïse, d’Élie, d’Isaïe, de David, et vous leur expliquiez les Écritures; mais ils ne vous comprenaient pas, parce que les yeux de leur intelligence étaient obscurcis. Mais vous vous compreniez bien, doux et aimable Verbe, et vous saviez où était votre gloire; il vous fallait souffrir pour entrer en vous-même. Ainsi soit-il.