Sermon sur les péchés cachés en confession

11ème dimanche après la Pentecôte

Les péchés sexuels sont ceux qui font commettre le plus de sacrilèges

Mais, de tous les péchés, celui qui nous fait faire le plus de sacrilèges, c’est celui qui est contre la sainte vertu de pureté ; ce maudit péché porte une telle infamie avec lui qu’il nous entraîne dans toutes sortes de malheurs ; et nous verrons, au jour du jugement, que le plus grand nombre de mauvaises confessions ont été rendues mauvaises par ce péché. Il est rapporté dans l’histoire qu’il y avait un jeune homme qui s’était consacré à Dieu dès sa jeunesse. Il s’était même retiré dans un bois pour vivre en solitaire. Il devint par ses grandes vertus, un sujet d’admiration pour tous les environs ; l’on en parlait comme d’un saint. Mais le démon, qui ne pouvait souffrir tant de vertus dans un si jeune homme, mit tous ses artifices pour le perdre. Il le poursuivait continuellement par de mauvaises pensées. Ce jeune homme avait aussitôt recours à la prière, en demandant au bon Dieu la force de ne pas succomber. Le démon ne le quittait ni jour ni nuit, toujours dans l’espérance qu’il le gagnerait. Hélas ! ce pauvre jeune homme, las de combattre, se rendit peu à peu ; et enfin, dans son cœur, il donna un consentement à un désir d’impureté. Hélas ! à peine eut-il consenti seulement à ce désir, qu’il se sentit tout troublé dans l’âme. Tant il est vrai, hélas ! que dès que le péché entre dans notre cœur, la paix de l’âme s’en va. Se voyant vaincu, il s’abandonna à une si profonde tristesse que rien ne pouvait le consoler ; il pleurait continuellement : « Ah ! Pélage, disait-il, en se parlant à lui-même, que tu as peu tardé à te laisser tromper ! toi qui, il y a si peu de temps, étais un enfant chéri de Dieu, et, maintenant, te voilà un enfant esclave du démon : il faudra bien t’en confesser, faire pénitence de ton péché. Mais, si je le confesse, que va-t-on penser de moi ! Je vais perdre l’estime que l’on a de moi dans le monde. » Au milieu de tant de sortes de pensées, étant allé vers la porte de son ermitage, il vit passer un personnage vêtu en pèlerin, qui lui dit : « Pélage, pourquoi vous livrez-vous à une si profonde tristesse ; celui qui sert un Dieu si bon, ne doit pas être si triste ; si vous l’avez offensé, faites pénitence et confessez-vous, et sans doute, le bon Dieu étant si bon, vous pardonnera. » – « Et où m’avez-vous connu ? lui demanda Pélage. » – « Je vous connais fort bien, répondit le pèlerin, pour Pélage qui passe pour un saint dans tout le pays. Si vous voulez sortir de cette tristesse, confessez-vous, et vous reprendrez l’ancienne paix de votre âme et votre première tranquillité. » Le pauvre Pélage demeura tout étonné de ce que lui disait le pèlerin, et, regardant de tous côtés, il n’aperçut plus son pèlerin, parce qu’il avait disparu : ce qui lui fit bien comprendre que c’était un avertissement du Ciel. Alors il résolut de faire une véritable pénitence qui fût capable d’apaiser la justice de Dieu ; et pour mieux exécuter son dessein, il résolut d’aller dans un monastère voisin où l’on faisait de grandes pénitences. Il alla trouver le supérieur en lui disant qu’il avait un grand désir de prendre le saint habit. L’abbé et tous les religieux en eurent une grande joie, d’autant plus qu’il passait pour un grand saint. En effet, quand il fut dans le monastère, il était toujours le premier dans tous les exercices de piété ; il faisait de rigoureuses pénitences, il portait toujours un cilice et jeûnait fort exactement. Au bout de quelque temps, il tomba malade, il ne douta pas qu’il allait mourir Le bon Dieu dans sa miséricorde, en reconnaissance de tant de vertus qu’il avait pratiquées dans son monastère, lui donna de fortes pensées de se confesser de son péché caché ; mais jamais il n’eut la force de le confesser ; toujours retenu par la crainte et la honte, il confessa bien tous ses autres péchés avec un grand regret. Un moment après avoir reçu le saint Viatique, il mourut. Les religieux firent l’enterrement, non comme celui d’un mort ordinaire, mais d’un saint dont on commençait déjà à implorer la protection auprès du bon Dieu. Tous les habitants des pays voisins venaient en foule pour se recommander à ses prières. Hélas ! que le bon Dieu juge bien autrement que ces hommes. La nuit suivante, le sacristain s’étant levé pour aller sonner l’office, et passant par l’église, jeta les yeux sur l’endroit où était enterré Pélage ; il s’aperçut que le corps était sur la terre, et pensant qu’on ne l’avait pas bien couvert, il l’enterra sans rien dire. Mais le lendemain, il le trouva encore hors de sa tombe ; il remarqua que la terre l’avait rejeté dehors. Il alla trouver l’abbé et lui raconta ce qu’il avait vu. L’abbé fit rassembler tous ses religieux et ordonna d’aller à l’église. Étant auprès de la sépulture de Pelage, ils prièrent Notre-Seigneur Jésus-Christ de vouloir bien manifester sa volonté s’il fallait enterrer le défunt dans un lieu plus honorable ; ils s’adressèrent même au défunt, en lui disant à haute voix : « Vous, Pélage, qui avez été si obéissant pendant votre vie, dites-nous si c’est la volonté de Dieu que votre corps soit mis dans un endroit plus digne de vous ? » Alors le défunt jeta un cri épouvantable en leur disant : « Ah ! malheureux que je suis, pour avoir caché un péché en confession, je suis condamné au feu de l’enfer, pour autant de temps que Dieu sera Dieu ; si vous voulez vous en assurer, approchez-vous et regardez mon corps. » L’abbé s’approcha et vit son corps tout embrasé, semblable aux morceaux de fer qui sont dans une fournaise. Alors le défunt lui dit que la volonté de Dieu était qu’il fût jeté à la voirie comme une bête. Hélas ! quel malheur, mes frères ! combien il lui aurait été facile de se sauver puisqu’il était un saint sous le rapport de toutes les autres vertus ! O mon Dieu, quel malheur ! pour n’avoir pas eu la force de confesser un seul mauvais désir, qu’à peine avait-il laissé naître dans son cœur, il s’en était aussitôt repenti. Hélas ! que de regrets et que de larmes pendant toute l’éternité ! Hélas ! mes frères, que ce péché fait faire de mauvaises confessions, ou plutôt que ce péché conduit d’âmes en enfer ! Hélas ! combien, parmi ceux qui maintenant m’écoutent, sont du nombre et auxquels il faut toutes leurs forces pour ne point le laisser paraître au dehors ! Ah ! mon ami, lâchez la bride à vos remords, laissez couler vos larmes, venez vous jeter aux pieds du Seigneur, et vous trouverez la paix et l’amitié de votre Dieu que vous avez perdues.

Mais, pensez-vous, je ne crois pas qu’il y en ait qui soient capables de cacher leurs péchés, parce qu’ils seraient bien trop tourmentés. – Ah ! mes frères, s’il me fallait prêter serment, pour affirmer qu’il y en a ou qu’il n’y en a point, je ne balancerais pas à dire qu’il y en a au moins cinq ou six qui sont brûlés par leurs remords et par leurs péchés, et qui m’entendent, et qui pensent que cela est vrai ; mais, prenez patience, vous les verrez au jour du jugement, et vous vous rappellerez ce que je vous dis aujourd’hui, O mon Dieu ! la honte ou la crainte peuvent-elles bien retenir un chrétien dans un état si épouvantable ? Ah ! mon ami, qu’est-ce que vous vous préparez à vous-même ? Vous n’osez pas vous en ouvrir à votre pasteur ? mais est-il seul dans le monde ? Ne trouveriez-vous pas des prêtres qui auraient la charité de vous recevoir ? Pensez-vous que l’on vous donnera une trop longue pénitence ? Ah ! mon ami, que cela ne vous arrête pas ! l’on vous aidera, l’on en fera la plus grande partie ; on priera pour vous, on pleurera vos péchés, pour attirer avec plus d’abondance les miséricordes de Dieu sur vous ! Mon ami, ayez pitié de cette pauvre âme qui a coûté si cher à Jésus-Christ !… O mon Dieu ! qui pourra jamais comprendre l’aveuglement de ces pauvres pécheurs ! Vous avez caché votre péché, mon ami, mais il faudra qu’il soit connu un jour, et même aux yeux de tout l’univers ; tandis que, d’une parole, vous l’auriez caché pour jamais et vous changeriez votre enfer en une éternité de bonheur ! Hélas ! qu’un sacrilège conduit loin ces pauvres pécheurs ! ils ne veulent pas mourir dans cet état, mais ils n’ont pas la force d’en sortir. Mon Dieu, tourmentez-les si fort qu’ils ne puissent pas y rester !…

Sermon sur l’Impureté (les péchés sexuels)

19ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE

Liez-lui pieds et mains, et jetez-le dans les ténèbres extérieures, et là il y aura des pleurs et des grincements de dents (S. Matthieu, XXII, 13.).

Si tout péché mortel, mes frères, doit nous traîner, nous précipiter, nous foudroyer dans les enfers, comme Jésus-Christ nous le dit dans l’Évangile, quel sera donc le sort de celui qui aura le malheur de se livrer au péché le plus infâme, le péché d’impureté ? O mon Dieu ! peut-on bien oser prononcer le nom d’un vice si horrible, non seulement aux yeux des chrétiens, mais encore à ceux de créatures raisonnables ? Pourrais-je le dire, mes frères, et vous, pourrez-vous l’entendre sans frémir ? Ah ! si j’avais le bonheur, en vous montrant toute la noirceur et toute l’horribilité de ce péché, de vous le faire fuir pour jamais ! O mon Dieu ! un chrétien peut-il bien s’abandonner à une passion qui le dégrade jusqu’à le mettre au-dessous de la bête la plus vile, la plus brute, la plus immonde ! Un chrétien peut-il bien se livrer à un crime qui fait tant de ravages dans une pauvre âme ! Un chrétien, dis-je, qui est le temple de l’Esprit-Saint, un membre de Jésus-Christ, peut-il bien se plonger et se rouler, se noyer, pour ainsi dire, dans le limon d’un vice aussi infâme, qui, en abrégeant ses jours, lui faisant perdre sa réputation, lui prépare tant de maux et de malheurs pour l’éternité ! Oui, mes frères, pour vous donner une idée de la grandeur de ce péché, je vais

  1.  vous montrer, autant qu’il me sera possible, toute l’horribilité de ce crime ;
  2. en combien de manières nous pouvons nous en rendre coupables
  3. quelles sont les causes qui peuvent nous y conduire ;
  4. enfin, ce que nous devons faire pour nous en préserver.

I. – Pour vous faire comprendre la grandeur de ce maudit péché qui perd tant d’âmes, il faudrait ici étaler à vos yeux tout ce que l’enfer a de plus affreux, de plus désespérant, et, en même temps, tout ce que la puissance de Dieu exerce sur une victime coupable d’un tel crime. Mais, vous comprenez comme moi, que jamais il ne sera donné de saisir la grandeur de ce péché et la rigueur de la justice de Dieu envers les impudiques. Je vous dirai seulement que celui qui commet le péché d’impureté se rend coupable d’une espèce de sacrilège, puisque notre cœur étant le temple du Saint-Esprit, notre corps étant un membre de Jésus-Christ, nous profanons véritablement ce temple par les impuretés auxquelles nous nous abandonnons ; et de notre corps, qui est un membre de Jésus-Christ, nous faisons véritablement le membre d’une prostituée . Examinez maintenant, si vous pourrez jamais vous former une idée qui approche de la grandeur de l’outrage que ce péché fait à Dieu et de la punition qu’il mérite. Ah ! mes frères, il faudrait pouvoir traîner ici, à ma place, cette infâme reine Jézabel, qui a perdu tant d’âmes par ses impudicités ; il faudrait qu’elle vous fit elle-même la peinture désespérante des tourments qu’elle endure, et qu’elle endurera toute l’éternité, dans ce lieu d’horreur où elle s’est précipitée par ses turpitudes. Ah ! vous l’entendriez crier du milieu de ces flammes qui la dévorent : « Hélas ! que je souffre ! Adieu, beau ciel, je ne te verrai jamais, tout est fini pour moi. Ah ! maudit péché d’impureté, les flammes de la justice de Dieu me font payer bien cher les plaisirs que j’ai goûtés ! Si j’avais encore le bonheur d’être sur la terre, comme cette vertu de pureté me serait bien plus précieuse qu’elle ne m’a été ! »
Allons encore plus loin, mes frères, peut-être que vous sentirez un peu mieux l’horreur de ce maudit péché. Je ne parle pas d’un païen, qui n’a pas le bonheur de connaître le bon Dieu ; mais d’un chrétien qui connaît combien ce vice est opposé à la sainteté de sa condition d’enfant de Dieu, d’un chrétien qui a été tout arrosé du sang adorable, qui tant de fois lui a servi de demeure et de tabernacle. Comment ce chrétien peut-il bien s’abandonner à un tel péché ! O mon Dieu ! peut-on y penser et ne pas mourir d’horreur ! Écoutez ce que dit le Saint-Esprit : Celui qui est assez malheureux pour s’abandonner à ce maudit péché, mérite d’être foulé sous les pieds du démon comme le fumier sous les pieds des hommes . Jésus-Christ dit un jour à sainte Brigitte, qu’il se voyait forcé de préparer des tourments affreux pour punir les impudiques, et que presque tous les hommes étaient atteints de ce vice infâme.

Si nous prenons la peine de parcourir l’Écriture sainte, nous voyons que, depuis le commencement du monde, le bon Dieu a poursuivi les impudiques de la manière la plus sévère. Voyez tous les hommes avant le déluge qui s’abandonnent à ce vice infâme ; le Seigneur ne peut plus les souffrir ; il se repent de les avoir créés ; il se voit forcé de les punir de la manière la plus effroyable, puisqu’il ouvre sur eux les cataractes du ciel et les fait tous périr par un déluge universel . Il fallait que cette terre souillée par tant de crimes, et si horrible aux yeux de Dieu fût purifiée par le déluge ; c’est-à-dire par les eaux de la colère du Seigneur. Si vous allez plus loin : Voyez les habitants de Sodome et de Gomorrhe, ainsi que les autres villes voisines, leurs habitants se livraient à des crimes si épouvantables d’impureté, que le Seigneur, dans sa juste colère, fit tomber sur ces lieux maudits une pluie de feu et de soufre qui les brûla avec leurs habitants ; les hommes, les bêtes, les arbres, les terres et les pierres furent comme anéantis ; ce lieu a été si maudit de Dieu, qu’il n’est plus maintenant qu’une mer maudite . On l’appelle Mer-morte, parce qu’elle ne nourrit aucun poisson et que, sur ses rivages, on trouve certains fruits qui ont une belle apparence, mais ne renferment qu’une poignée de cendres. Dans un autre endroit, nous voyons que le Seigneur ordonna à Moïse de mettre à mort vingt-quatre mille hommes, parce qu’ils s’étaient abandonnés à l’impureté .

Oui, mes frères, nous pouvons dire que ce maudit péché d’impureté a été, depuis le commencement du monde, jusqu’à la venue du Messie, la cause de presque tous les malheurs des Juifs. Voyez David, voyez Salomon et tant d’autres. Qui a attiré tant de châtiments sur leurs personnes et sur leurs sujets, sinon ce maudit péché ? O mon Dieu ! que ce péché vous ravit d’âmes, oh ! qu’il en traîne aux enfers !

Si nous passons de l’Ancien Testament au Nouveau, les châtiments ne sont pas moindres. Saint Jean nous dit que Jésus-Christ lui fit voir, dans une révélation, le péché d’impureté sous la figure d’une femme assise sur une bête qui avait, sept têtes et dix cornes , pour nous montrer que ce péché attaque les dix commandements de Dieu et renferme les sept péchés capitaux . Si vous voulez vous en convaincre, vous n’avez qu’à examiner la conduite d’un impudique ; vous verrez qu’il n’y a pas un commandement qu’il ne transgresse, et un des péchés capitaux dont il ne se rende coupable, en contentant les désirs de son corps. Je ne veux pas entrer dans tous ces détails, voyez-le vous-mêmes, et vous direz que cela est vrai. Mais j’ajouterai qu’il n’y a point de péché dans le monde qui fasse faire tant de sacrilèges : les uns ne connaissent pas la moitié des péchés qu’ils commettent de cette manière, par conséquent ils ne les disent pas ; les autres ne veulent pas les dire, quoiqu’ils les connaissent ; de sorte que nous verrons au jour du jugement qu’il n’y a point de péché qui ait jeté tant d’âmes en enfer. Oui, mes frères, ce péché est si affreux que non seulement nous nous cachons pour le commettre ; mais nous voudrions encore nous le cacher à nous-mêmes, tant il est infâme, même aux yeux de ceux qui s’en rendent coupables !

II. – Mais, pour mieux vous faire comprendre combien ce péché, quoique si affreux, est commun parmi les chrétiens, et comme il est facile de le commettre, je vous dirai en combien de manières l’on pèche contre le sixième commandement de Dieu. L’on pèche en six manières : par pensées, par désirs, par regards, par paroles, par actions et par occasions.

Je dis

  1. par pensées : il y en a plusieurs qui ne savent pas distinguer une pensée d’avec un désir ; ce qui peut faire faire des confessions sacrilèges. Écoutez-moi bien et vous allez le voir : une mauvaise pensée, c’est lorsque notre esprit s’arrête volontairement à penser à une chose impure, soit par rapport à nous, soit par rapport à d’autres, sans désirer accomplir ce que l’on pense ; on laisse seulement croupir son esprit sur ces choses sales et déshonnêtes. Vous vous accusez de cela ; il faut dire combien de temps vous y avez laissé reposer votre pensée, sans vous en détourner, ou encore si vous avez pensé à des choses qui pouvaient vous y conduire par le souvenir de quelque conversation que vous avez eue, ou de quelque familiarité que vous avez permise, ou de quelque objet que vous avez vu. Le démon ne vous remet cela devant les yeux que dans l’espérance qu’il vous conduira au péché, au moins par la pensée.
  2. Nous péchons par désirs. Voilà, mes frères, la différence qu’il y a entre la pensée et le désir ; le désir, c’est vouloir accomplir ce à quoi nous pensons ; mais pour vous parler plus clairement, c’est vouloir commettre le péché d’impureté, après y avoir pensé pendant quelque temps, lorsque nous en trouverons l’occasion ou lorsque nous la chercherons. Il faut bien dire si ce désir est resté dans notre cœur, si nous avons fait quelque démarche pour accomplir ce que nous avons désiré, si nous avons sollicité quelques personnes à faire mal avec nous ensuite quelles sont les personnes que nous avons voulu porter au mal, si c’est un frère, une sœur, un enfant ; une mère, une belle-sœur, un beau-frère, un cousin. Il faut bien dire tout cela, autrement votre confession ne vaudrait rien. Cependant, il ne faut nommer les personnes qu’autant qu’il est nécessaire pour faire connaître son péché. Il est bien certain que si vous aviez fait mal avec un frère ou une sœur, et que vous vous contentiez de dire que vous avez fait un péché contre la sainte vertu de pureté, cela ne suffirait pas.
  3. L’on pèche par regards, lorsqu’on porte ses yeux sur des objets impurs, ou quelque chose qui peut nous y conduire. Il n’y a point de porte par laquelle le péché entre si facilement et si souvent que par les yeux ; aussi le saint homme Job disait : « Qu’il avait fait un pacte avec ses yeux pour ne jamais regarder une personne en face . »
  4. Nous péchons par paroles. Nous parlons, mes frères, pour manifester à l’extérieur ce que nous pensons au dedans de nous-mêmes, c’est-à-dire ce qui se passe dans notre cœur. Vous devez vous accuser de toutes les paroles impures que vous avez dites, combien de temps votre conversation a duré ; quel motif vous a engagé à les dire, à quelles personnes et à combien de personnes vous avez pu les dire. Hélas ! mes frères, il y a de pauvres enfants, pour lesquels il vaudrait bien mieux trouver sur leur chemin un tigre ou un lion, que certains impudiques. Si, comme l’on dit, la bouche parle de l’abondance du cœur, jugez quelle doit être la corruption du cœur de ces infâmes qui se roulent, se traînent et se noient pour ainsi dire dans la fange de leur impureté. O mon Dieu ! si vous nous dites que l’on connaît l’arbre à son fruit, quel abîme de corruption peut être semblable !
  5. Nous péchons par actions. Telles sont les libertés coupables sur soi-même ou sur d’autres, les baisers impurs, sans oser vous dire le reste ; vous comprenez bien ce que je dis. Mon Dieu ! où sont ceux qui, dans leurs confessions, s’accusent de tout cela ? Mais aussi que de sacrilèges ce maudit péché d’impureté fait faire ! Nous ne connaîtrons cela qu’au grand jour des vengeances. Combien de jeunes filles resteront deux ou trois heures avec des libertins, et il n’y aura sorte d’impureté que leur bouche infernale ne vomisse continuellement. Hélas ! mon Dieu, comment ne pas brûler au milieu d’un brasier si ardent ?
  6. L’on pèche par occasion, soit en la donnant, soit en la prenant. Je dis, en la donnant, comme une personne du sexe qui est mise d’une manière indécente, laissant son mouchoir trop écarté, ayant le cou et les épaules découverts, portant des vêtements qui dessinent trop les formes du corps ; ou ne portant point de mouchoir en été, ou bien s’habillant d’une manière trop affectée. Non, ces malheureuses-là ne sauront qu’au tribunal de Dieu le nombre de crimes qu’elles auront fait commettre. Combien de gens mariés qui ont moins de réserves que des païens ! Une fille est encore coupable de quantité de péchés impurs, qui sont presque tous des péchés mortels, toutes les fois qu’elle est trop facile et trop familière avec les jeunes gens. L’on est encore coupable, lorsqu’on va avec des personnes que l’on sait n’avoir que des mauvaises paroles à la bouche. Vous pouvez ne pas y avoir pris plaisir, mais vous avez eu le tort de vous y exposer.

Souvent, on se fait illusion, l’on croit ne point faire de mal, tandis que l’on pèche affreusement. Ainsi les personnes qui se voient sous prétexte de mariage, croient qu’il n’y a point de mal de passer un temps considérable seuls, le jour et la nuit. N’oubliez pas, mes frères, que tous ces embrassements qui se font dans ces moments sont presque tous des péchés mortels, parce qu’ordinairement ce n’est qu’une amitié charnelle qui les fait faire. Combien de jeunes fiancés n’ont aucune réserve ; ils se chargent des crimes les plus épouvantables, et semblent forcer la justice de Dieu de les maudire au moment où ils entrent dans l’état du mariage. Vous devez être aussi réservés pendant ce temps que vous l’êtes avec vos sœurs ; tout ce que l’on fait de plus est un péché. Hélas ! mon Dieu, où sont ceux qui s’en accusent ? presque personne. Mais aussi, où sont ceux qui entrent dans l’état du mariage saintement ? Hélas ! presque point. De là résultent tant de maux dans le mariage et pour l’âme et pour le corps. Eh ! mon Dieu ! des parents qui le savent peuvent dormir ! Hélas ! que d’âmes qui se traînent dans les enfers !

On pèche encore contre la sainte vertu de pureté quand on se lève la nuit sans être habillé pour sortir, pour aller servir un malade, ou pour aller ouvrir la porte. Une mère doit faire attention de ne jamais avoir de regards déshonnêtes, ni d’attouchements sans nécessité sur ses enfants. Les pères et mères et les maîtres sont coupables de toutes les familiarités qu’ils permettent entre leurs enfants et leurs domestiques, pouvant les empêcher. L’on se rend encore coupable, en lisant et prêtant de mauvais livres ou des chansons licencieuses ; en s’écrivant des lettres entre personnes de différent sexe. L’on participe au péché en favorisant des rendez-vous de jeunes gens, sous prétexte même de mariage.

Vous êtes obligés, mes frères, de déclarer toutes les circonstances aggravantes, si vous voulez que vos confessions soient bonnes. Écoutez-moi, vous allez encore mieux le comprendre. Péchez-vous avec une personne déjà abandonnée au vice, qui en fait profession, vous vous rendez volontairement l’esclave de Satan, et encourez la damnation éternelle. Mais, apprendre le mal à une jeune personne, la porter au mal pour la première fois, lui ravir l’innocence, lui enlever la fleur de sa virginité, ouvrir la porte de son cœur au démon, fermer le ciel à cette âme qui était l’objet de l’amour des trois personnes de la Sainte-Trinité, la rendre digne de l’exécration du ciel et de la terre : ce péché est encore infiniment plus grand que le premier, et vous êtes obligés de vous en accuser. Pécher avec une personne libre, ni mariée, ni parente, est, selon saint Paul, un crime qui nous ferme le ciel et nous ouvre les abîmes ; mais pécher avec une personne engagée dans les liens du mariage, c’est un crime qui en renferme un grand nombre d’autres ; c’est une horrible infidélité, qui anéantit et qui profane toutes les grâces du sacrement de mariage ; c’est encore un exécrable parjure qui foule aux pieds une foi jurée au pied des autels, en présence non seulement des anges, mais de Jésus-Christ lui-même ; crime qui est capable d’attirer toutes sortes de malédictions, non seulement sur une maison, mais encore sur une paroisse. Pécher avec une personne qui n’est ni parente, ni alliée, c’est un gros péché, puisqu’il nous perd pour jamais ; mais, pécher avec une parente ou une alliée, c’est-à-dire, un père avec sa fille, une mère avec son fils, un frère avec sa sœur, un beau-frère avec sa belle-sœur, un cousin avec sa cousine, c’est le plus grand de tous les crimes que l’on puisse imaginer ; c’est se jouer des règles les plus inviolables de la pudeur ; c’est fouler aux pieds les droits les plus sacrés de la religion et de la nature. Enfin, pécher avec une personne consacrée à Dieu, c’est le comble de tous les malheurs, puisque c’est un sacrilège épouvantable. O mon Dieu ! peut-il y avoir des chrétiens qui se livrent à toutes ces turpitudes ! Hélas ! si au moins, après de telles horreurs, l’on avait recours au bon Dieu pour lui demander de nous tirer de cet abîme ! Mais, non, l’on vit tranquille, et la plupart n’ouvrent les yeux qu’en tombant en enfer. Vous êtes-vous, mes frères, formé une idée de la grandeur de ce péché ? Non, sans doute, parce que vous en auriez bien plus d’horreur, et vous auriez pris plus de précautions pour ne pas y tomber.

III. – Si vous me demandez maintenant ce qui peut nous conduire à un tel crime. Mon ami, je n’ai qu’à ouvrir mon catéchisme et à le demander à un enfant, en lui disant : Qu’est-ce qui nous conduit ordinairement à ce vice honteux ? Il me répondra simplement : Monsieur le Curé, ce sont les danses, les bals, les fréquentations trop familières avec des personnes de différent sexe ; les chansons, les paroles libres, les immodesties dans les habits, les excès dans le boire et le manger.

Je dis : les excès dans le boire et le manger. Si vous me demandez pourquoi cela, le voici, mes frères : C’est que notre corps ne tend qu’à la perte de notre âme ; il faut nécessairement le faire souffrir en quelque manière, sans quoi tôt ou tard, il jettera notre âme en enfer. Une personne qui a bien à cœur le salut de son âme ne passera jamais un jour sans se mortifier en quelque chose dans le boire, le manger, le sommeil. Pour l’excès du vin, saint Augustin nous dit clairement qu’un ivrogne est impudique, ce qui est bien facile à prouver. Entrez dans un cabaret, ou soyez en la compagnie d’un ivrogne, il n’aura pas autre chose à la bouche que les paroles les plus sales ; vous le verrez faire les actions les plus honteuses ; et certainement il ne les ferait pas s’il n’était pas dans le vin. Vous voyez donc par là, mes frères, que, si nous voulons conserver la pureté dans notre âme, il faut nécessairement refuser quelque chose à notre corps, sans quoi il nous perdra.

Je dis que les bals et les danses nous conduisent à ce vice infâme. C’est le moyen dont le démon se sert pour enlever l’innocence au moins aux trois quarts des jeunes gens. Je n’ai pas besoin de vous le prouver, vous ne le savez que trop malheureusement par votre propre expérience. Hélas ! combien de mauvaises pensées, de mauvais désirs et d’actions honteuses causées par les danses ! Il me suffirait de vous dire que huit conciles tenus en France défendaient la danse, même dans les noces, sous peine d’excommunication. – Mais, me direz-vous, pourquoi donc y a-t-il des prêtres qui donnent l’absolution à ces personnes sans les éprouver ? – Pour cela, je ne vous en dis rien, chacun rendra compte de ce qu’il aura fait. Hélas ! mes frères, d’où est venue la perte des jeunes gens ? Pourquoi n’ont-ils plus fréquenté les sacrements ? Pourquoi ont-ils même laissé leurs prières ? N’en cherchez pas d’autre cause que la danse. D’où peut venir ce grand malheur que plusieurs ne font plus de pâques, ou les font mal ? Hélas ! de la danse. Combien de jeunes filles, à la suite de la danse, ont perdu leur réputation, leur pauvre âme, le ciel, leur Dieu ! Saint Augustin nous dit qu’il n’y aurait pas autant de mal à travailler toute la journée le dimanche, qu’à danser. Oui, mes frères, nous verrons au grand jour du jugement, que ces filles mondaines ont fait commettre plus de péchés qu’elles n’ont de cheveux sur la tête. Hélas ! que de mauvais regards, que de mauvais désirs, que d’attouchements déshonnêtes, que de paroles impures, que d’embrassements mauvais, que de jalousies, que de disputes, que de querelles ne voit-on pas commettre dans la danse ou à la suite des danses ! Pour mieux vous en convaincre, mes frères, écoutez ce que nous dit le Seigneur par la bouche du prophète Isaïe : « Les mondains dansent au son des flûtes et des tambours, et un moment après ils descendent dans les enfers . » L’Esprit-Saint nous dit par la bouche du prophète Ezéchiel : « Va dire aux enfants d’amour, que parce qu’ils se sont livrés à la danse, je vais les punir rigoureusement ; afin que tout Israël soit saisi de frayeur. » Saint Jean Chrysostome nous dit que les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ne voulurent jamais permettre que l’on dansât à leur mariage, dans la crainte d’attirer les malédictions du ciel sur eux. Mais, je n’ai pas besoin d’aller chercher d’autres preuves que vous-mêmes. Parlez-moi sincèrement, n’est-ce pas que vous ne voudriez pas mourir en venant d’une danse ? Non, sans doute, parce que vous ne seriez guère prêts à aller paraître devant le tribunal de Dieu. Dites-moi pourquoi vous ne voudriez pas mourir dans cet état, et pourquoi vous ne manquez pas de vous en confesser ? C’est donc bien prouvé, vous sentez vous-mêmes que vous faites mal ; autrement vous n’auriez pas besoin de vous en accuser et ne craindriez pas de paraître devant Jésus-Christ. Écoutez ce que nous dit saint Charles Borromée parlant de la danse : de son temps, l’on condamnait à trois ans de pénitence publique une personne qui allait à la danse, et, si elle continuait, on la menaçait d’excommunication. N’allons pas plus loin, mes frères, la mort vous prouvera ce que nous disons aujourd’hui, mais trop tard pour un grand nombre. Il faut vraiment être aveugle pour croire qu’il n’y a pas grand mal dans la danse, lorsque nous voyons que toutes les personnes désireuses de s’assurer le ciel, l’ont quittée et ont pleuré le malheur d’y être allées, dans le temps de leurs folies. Mais, tirons le rideau jusqu’au grand jour des vengeances où nous verrons tout cela plus clairement, où la corruption du cœur ne pourra plus trouver d’excuse.

Je dis que les immodesties dans les habits nous conduisent à ce vice honteux. Oui, mes frères, une personne qui ne s’habille pas décemment est la cause de beaucoup de péchés : de mauvais regards, de mauvaises pensées, de paroles déshonnêtes. Voulez-vous savoir, du moins en partie, le mal dont vous êtes la cause ? Mettez-vous un instant aux pieds de votre crucifix, comme si vous alliez être jugé. L’on peut dire que les personnes mises d’une manière mondaine sont une source d’impureté, et un poison qui donne la mort à tous ceux qui n’ont pas la force de les fuir. Voyez en elles cet air efféminé ou enjoué, ces regards perçants, ces gestes honteux, qui, comme autant de traits trempés dans le poison de leur impudicité, blessent presque tous les yeux assez malheureux pour les regarder. Hélas ! que de péchés fait commettre un cœur une fois imbibé de ce limon impur ! Hélas ! il y a de ces pauvres cœurs qui sont aussi brûlés de ce vice impur, qu’une poignée de paille dans un feu, Je ne sais pas si vous avez commencé à vous former une idée de la grandeur de ce péché et en combien de manières l’on peut s’en rendre coupable, priez le bon, Dieu, mes frères, qu’il vous le fasse bien connaître et en concevoir une telle horreur que vous ne le commettiez jamais plus.

IV. – Mais, voyons maintenant ce qu’il faut faire pour se garantir de ce péché, qui est si horrible aux yeux de Dieu, et qui traîne tant de pauvres âmes en enfer. Pour vous le montrer d’une manière claire et simple, je n’ai qu’à ouvrir encore une fois mon catéchisme. Si je demandais à un enfant, quels sont les moyens que nous devons employer pour ne pas tomber dans ce maudit péché, il me répondrait avec sa simplicité ordinaire : Il y en a plusieurs, mais les principaux sont : la retraite, la prière, la fréquentation des sacrements, une grande dévotion envers la sainte Vierge, la fuite des occasions, et enfin rejeter promptement toutes les mauvaises pensées que le démon nous présente.

Je dis qu’il faut aimer la retraite, je ne veux pas dire qu’il faille se cacher dans un bois, ni même dans un monastère, ce qui serait cependant un grand bonheur pour vous ; mais je veux dire, qu’il faut fuir seulement les compagnies des personnes qui ne parlent que de choses capables de vous salir l’imagination, ou bien qui ne s’occupent que d’affaires terrestres et nullement du bon Dieu. Voilà, mes frères, ce que je veux dire. Le dimanche surtout, au lieu d’aller voir vos voisins ou voisines, prenez un livre, comme l’Imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou bien la Vie des saints ; vous y verrez comment ils ont combattu les tentations que le démon a tâché de faire naître dans leur esprit ; vous verrez combien ils ont fait de sacrifices pour plaire à Dieu et sauver leurs âmes : cela vous encouragera. Vous ferez comme saint Ignace, qui, étant blessé, se mit à lire la vie des saints ; voyant les luttes qu’ils avaient éprouvées et le courage avec lequel ils combattaient pour le bon Dieu, il se dit à lui-même : « Et pourquoi ne ferais-je pas ce que ces saints ont fait ? N’ai-je pas le même Dieu qui m’aidera à combattre, le même ciel à espérer et le même enfer à craindre ?… » Vous ferez de même. Oui, mes frères, il est nécessaire de fuir la compagnie des personnes qui n’aiment pas le bon Dieu. Ne soyons avec le monde que par nécessité, quand notre devoir nous y appelle.

Nous disons qu’il faut aimer la prière, si nous voulons conserver la pureté de notre âme. Si vous me demandez pourquoi il faut prier, je vous en donnerai la raison : c’est que cette belle vertu de pureté vient du ciel, c’est donc par la prière que nous devons la demander et la conserver. Il est certain qu’une personne qui n’a pas recours à la prière ne conservera jamais son âme pure aux yeux de Dieu. Par la prière, nous conversons avec le bon Dieu, les anges et les saints, et par cet entretien céleste nous devenons nécessairement spirituels ; notre esprit et notre cœur se détachent peu à peu des choses créées pour ne considérer et n’aimer que les biens du ciel. Cependant il ne faut pas croire que, toutes les fois que l’on est tenté, l’on offense le bon Dieu ; le péché ne se trouve que dans le consentement et dans le plaisir que l’on y prend. Quand nous serions tentés huit ou quinze jours, si cela nous fait horreur, nous faisons comme les enfants dans la fournaise de Babylone, qui n’en sortirent que plus beaux . IL nous faut vite avoir recours au bon Dieu en lui disant : « Mon Dieu, venez à mon aide ; vous savez que sans vous, je ne peux que me perdre ; mais, aidé de votre grâce, je suis sûr de sortir victorieux du combat. Ah ! Vierge sainte, devons-nous dire, ne permettez pas que le démon ravisse mon âme qui a coûté tant de souffrances à votre divin Fils. »

Pour conserver la pureté, il faut avoir recours aux sacrements, et les recevoir avec de bonnes dispositions. Oui, mes frères, une personne qui a le bonheur de fréquenter les sacrements souvent et saintement, peut très facilement conserver cette belle vertu. Nous avons une preuve que les sacrements nous sont d’un grand secours, dans les efforts du démon pour nous en éloigner ou nous les faire profaner. Voyez, quand nous voulons nous en approcher, combien le démon suscite en nous de craintes, de troubles, de dégoûts. Tantôt il nous dit que nous agissons presque toujours mal, tantôt, que le prêtre ne nous connaît pas, ou bien que nous ne nous faisons pas assez connaître, que sais-je ? Mais, pour nous moquer de lui, il faut redoubler de soins, nous en approcher encore plus souvent, et ensuite nous ensevelir dans le sein de la miséricorde de Dieu, en lui disant : « Vous savez, mon Dieu, que je ne cherche que vous et le salut de ma pauvre âme. » Non, mes frères, il n’y a rien qui nous rende si redoutables au démon que la fréquentation des sacrements ; en voici la preuve. Voyez sainte Thérèse. Le démon avoua, par la bouche d’un possédé, que cette sainte lui était devenue si redoutable par la sainteté puisée dans la sainte communion, qu’il ne pouvait pas même respirer l’air où elle avait passé. Si vous en cherchez la raison, elle est très facile à comprendre : le sacrement adorable de l’Eucharistie, n’est-il pas ce vin qui produit la virginité ? Comment n’être pas vierge en recevant le roi de la pureté ? Voulez-vous conserver ou acquérir cette belle vertu qui rend semblable aux anges ? Fréquentez souvent et saintement les sacrements, vous êtes sûrs que, malgré tous les efforts du démon, vous aurez le grand bonheur de conserver la pureté de votre âme.

Si nous voulons conserver pur ce temple du Saint-Esprit, il faut avoir une grande dévotion à la très sainte Vierge, puisqu’elle est la Reine des vierges. C’est elle qui, la première, a levé l’étendard de cette incomparable vertu. Voyez combien le bon Dieu en fait d’estime : il n’a pas dédaigné de naître d’une mère pauvre, inconnue dans le monde, d’avoir pour père nourricier un père pauvre ; mais il lui fallait une mère pure et sans tâche, un père d’une pureté telle que la sainte Vierge seule pouvait le surpasser en pureté. Saint Jean Damascène nous encourage grandement à avoir une tendre dévotion envers la pureté de la sainte Vierge ; il nous dit que tout ce que l’on demande au bon Dieu en l’honneur de la pureté de la sainte Vierge on l’obtient toujours. Il nous dit que cette vertu est si agréable aux anges qu’ils chantent sans cesse dans le ciel : « O Vierge des vierges, nous vous louons ; nous vous bénissons, ô Mère du bel amour. » Saint Bernard, ce grand serviteur de Marie, nous dit qu’il a converti plus d’âmes par l’Ave Maria, que par tous ses sermons. Êtes-vous tentés ? nous dit-il, appelez Marie à votre secours, et vous êtes sûrs de ne pas succomber à la tentation . Lorsque nous récitons l’Ave Maria, nous dit-il, tout le ciel se réjouit et tressaille de joie, et tout l’enfer frémit en se rappelant, que Marié a été l’instrument dont Dieu s’est servi pour l’enchaîner. C’est pour cela que ce grand saint nous recommande tant la dévotion : à la Mère de Dieu, afin que Marie nous regarde comme ses enfants. Si vous êtes bien aimés de Marie, vous êtes sûrs d’être bien aimés de son Fils. Plusieurs saints Pères nous recommandent d’avoir une grande dévotion envers Marie, et de faire de temps en temps quelques communions en son honneur, et surtout en l’honneur de sa sainte Pureté ; ce qui, lui est si agréable qu’elle ne manquera pas de nous faire sentir son intercession auprès de son divin Fils.

Pour conserver cette vertu angélique nous devons combattre les tentations et fuir les occasions, comme ont fait les saints, qui ont mieux aimé mourir que de perdre cette belle vertu. Voyez ce que fit le patriarche Joseph, lorsque la femme de Putiphar voulut le solliciter au péché, il lui laissa la moitié de son manteau entre les mains . Voyez la chaste Suzanne, qui aima mieux perdre sa réputation, celle de sa famille et sa vie même, que de perdre cette vertu qui est si agréable à Dieu . Voyez encore ce qui arriva à saint Martinien, qui s’était retiré dans un bois, pour ne penser qu’à plaire à Dieu. Une femme de mauvaise vie vint le trouver, feignant de s’être égarée dans les forêts et le priant de vouloir bien avoir pitié d’elle. Le saint la reçut dans sa solitude et la laissa seule. Le lendemain étant revenu voir ce qu’elle était devenue, il la trouva bien parée. Alors elle lui dit que le bon Dieu l’avait envoyée pour faire alliance avec lui ; qu’elle avait de grands biens dans la ville, qu’il pourrait faire beaucoup d’aumônes. Le saint voulut savoir si cela venait de Dieu ou du démon ; il lui dit d’attendre, parce que tous les jours il venait des gens pour se recommander à ses prières et qu’il ne fallait pas leur laisser faire un voyage inutile ; il allait sur la montagne pour voir s’il en arrivait quelques-uns. Lorsqu’il fut sur la montagne, il entendit une voix qui lui dit : « Martinien, Martinien, que fais-tu ? tu écoutes la voix de Satan. » Il en fut si effrayé qu’il retourna dans sa solitude, fit un grand feu et se mit dedans ; la douleur du péché qu’il était exposé à commettre et la douleur du feu lui firent pousser de grands cris. Cette malheureuse étant venue à ce bruit, lui demanda ce qui l’avait mis dans un tel état. « Ah ! lui répondit le saint, je ne puis pas supporter le feu de ce monde, comment pourrais-je endurer celui de l’enfer, si j’ai le malheur de pécher comme vous le désirez ? » Ce qui frappa tellement cette femme qu’elle resta dans la cellule du saint, fit pénitence toute sa vie, et Martinien alla plus loin pour continuer ses austérités .

Il est rapporté dans la vie de saint Thomas d’Aquin qu’on lui envoya une femme de mauvaise vie pour le porter au péché. On la fit entrer dans sa chambre pendant qu’il était absent. Lorsqu’il aperçut cette créature, il prit un tison ardent et la chassa honteusement. Voyez encore saint Benoît, qui, pour se délivrer de ses mauvaises pensées, se roulait dans les ronces où il se mettait tout en sang. D’autres fois, il se plongeait dans l’eau glacée jusqu’au cou pour éteindre ce feu impur . Mais je ne trouve rien dans la vie des saints qui soit comparable au récit de saint Jérôme. Du fond de son désert, il écrit à un de ses amis, et lui fait la peinture des combats qu’il éprouve et des pénitences qu’il exerce sur son corps ; on ne peut le lire sans pleurer de compassion : « Dans cette vaste solitude que les ardeurs du soleil rendent insupportable, dit-il, ne me nourrissant que d’un peu de pain noir et d’herbes crues, couchant sur la terre nue, ne buvant que de l’eau, même dans mes maladies, je ne cesse de pleurer aux pieds de mon crucifix. Lorsque mes larmes manquent, je prends une pierre, je m’en frappe la poitrine jusqu’à ce que le sang me sorte par la bouche, et malgré cela, le démon ne me laisse point de repos ; il faut toujours avoir les armes à la main . »

Que conclure, mes frères, de tout ce que nous venons de dire ? IL n’y a point de vertu qui nous rende si agréables au bon Dieu, que la vertu de pureté, et point de vice qui plaise tant au démon que le péché d’impureté. Cet ennemi ne peut souffrir qu’une personne qui est à Dieu possède cette vertu ; et c’est ce qui doit vous engager à ne rien négliger pour la conserver. Pour cela, veillez avec soin sur vos regards, vos pensées et tous les mouvements de votre cœur ; ayez fréquemment recours à la prière ; fuyez les mauvaises compagnies, les danses, les jeux ; pratiquez la mortification ; recourez à la très sainte Vierge ; fréquentez souvent les sacrements. Quel bonheur ! si nous sommes assez heureux pour ne pas laisser souiller notre cœur par ce maudit péché, puisque Jésus-Christ nous dit qu’il n’y aura que à ceux qui ont le cœur pur qui verront Dieu ! » Demandons, mes frères, chaque matin au bon Dieu de purifier nos yeux, nos mains et généralement tous nos sens ; afin que nous puissions paraître avec confiance devant Jésus-Christ, qui est le partage des âmes pures ; c’est tout le bonheur que je vous souhaite.

Vision de l’enfer

Récit tiré du livre de Josefa Menendez "Un appel à l’amour, chap "L’entrée dans les ténèbres de l'au-delà"

« Instantanément, je me trouvai en enfer, mais sans y être traînée comme les autres fois, et vraiment comme y tombent les damnés.

L’âme s’y précipite d’elle-même, comme si elle désirait disparaître de la vue de Dieu pour pouvoir Le haïr, et Le maudire.

Mon âme se laissa tomber dans un abîme dont le fond ne peut pas se voir, car il est immense … J’ai vu l’enfer comme toujours : des cavités, du feu … Bien qu’on ne voie pas de formes corporelles, les tourments se sentent comme si les corps étaient présents et les âmes s’y reconnaissent.

Je fus poussée dans cette niche de feu et pressée comme entre des plaques d’acier brûlantes, et comme si des pointes rougies au feu s’enfonçaient dans mon corps.

J’ai senti comme si on voulait m’arracher la langue, ce qui me réduisait à l’extrémité dans une douleur atroce. Les yeux me semblaient sortir de leurs orbites. Je crois que c’est à cause du feu qui les brûlait tellement.

«On ne peut même pas remuer un doigt pour chercher quelque soulagement, ni changer de position: le corps est comme écrasé, aplati. Les oreilles sont accablées par des cris de confusion qui ne cessent pas un seul instant. »

Une odeur nauséabonde et répugnante asphyxie et envahit tout; c’est comme de la chair en putréfaction qui brûle avec de la poix, du soufre. Tout cela, je l’ai senti comme les autres fois, et bien que ces tourments soient terribles, ce ne serait rien si l’âme ne souffrait pas. Mais elle souffre d’une manière qui ne peut se dire.

J’ai vu quelques-unes de ces âmes damnées qui rugissaient à cause de l’éternel supplice qu’elles savaient devoir subir, spécialement dans leurs mains. Je pense qu’elles avaient volé, puisqu’elles disaient: « maudites mains ! Pourquoi cette ambition de voler, puisque je ne pouvais garder ce bien que quelques jours. Où est maintenant ce que tu as pris ? maudites mains.. »

D’autres âmes accusaient leur langue, leurs yeux … Chacune, ce qui avait été cause de son péché : « Nous voilà bien récompensées maintenant, ô mon corps, des plaisirs que je t’ai accordés … Et c’est toi, ô corps, qui l’a voulu.Pour un instant de plaisir, une éternité de douleur. »

Il me semble qu’en Enfer les âmes s’accusent spécialement des péchés d’impureté. Beaucoup d âmes accusaient les autres d’être la cause de leur malheur.

Pendant que j’étais dans cet abîme, j’y ai vu précipiter des mondains et on ne saurait dire ni comprendre les cris qu’ils proféraient et les rugissements épouvantables qu’ils vomissaient: Malédiction éternelle … Je me suis donc trompé … Je me suis perdu … Je suis ici pour toujours … Pour toujours … et il n’y a plus de remède … Maudit que je suis! Une jeune fille hurlait de désespoir en lançant des imprécations contre les satisfactions défendues qu’elle avait accordées à son corps et elle maudissait ses parents qui lui avaient laissé trop de liberté pour suivre la mode et les divertissements mondains. Elle était damnée depuis trois mois.

Une des âmes damnées criait : « Voilà mon tourment : vouloir aimer, et ne plus pouvoir le faire. Il ne me reste que haine et désespoir. Oh! Si je pouvais, une seule fois, faire un acte d’amour, ce ne serait plus l’enfer. Mais je ne le puis. Le plus grand tourment, ici c’est de ne pouvoir aimer Celui que nous haïssons éternellement. »

Tout ce que j’ai écrit, concluait Joséfa, n’est qu’une ombre en comparaison de ce qu’on souffre en Enfer.

Les démons y entraînent les âmes, et par haine pour Dieu, et par jalousie à l’égard des hommes, ils travaillent sans relâche à peupler l’éternel abîme. Dieu a mis les hommes sur terre à l’état d’épreuve pour qu’ils puissent mériter la récompense éternelle. Il leur a donné deux grands commandements: Aimer Dieu de tout leur cœur et le prochain comme eux-mêmes. Chaque homme est doué de liberté et il peut obéir à son Créateur ou lui désobéir. Malheur à lui s’il vient à abuser du don de sa liberté. Les démons ne peuvent pas violenter la liberté de l’homme, mais ils essaient, au moyen d’attractions mauvaises, d’incliner sa volonté vers le mal.

Le démon criait « Maintenant, le monde est pour moi! Je sais le meilleur moyen de saisir les âmes : c’est d’exciter en elles le désir de jouir! Surtout pas d’humilité ! Jouir, voilà ce qui m’assure la victoire! »

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Appendice

APPENDICE

MÉTHODES POUR RÉCITER LE ROSAIRE

Méthodes saintes pour réciter le saint Rosaire et attirer sur soi la grâce des mystères de la vie, de la passion et de la gloire de Jésus et de Marie

1ère Méthode

Veni, Sancte Spiritus, etc.

Offrande générale du Rosaire

155. Je m’unis à tous les saints qui sont dans le ciel, à tous les justes qui sont sur la terre; je m’unis à vous, mon Jésus, pour louer dignement votre sainte Mère et vous louer en Elle et par Elle. Je renonce à toutes distractions qui me pourront venir pendant ce chapelet.

Nous vous offrons, sainte Vierge, ce Credo pour honorer votre foi sur la terre et vous demander part à cette même foi.

Nous vous offrons ce Pater, Seigneur, pour vous adorer dans votre unité, et vous reconnaître comme le premier principe et la fin de toutes choses.

Nous vous offrons, très sainte Trinité, ces trois Ave Maria pour vous remercier de toutes les grâces que vous avez faites à Marie, et que vous nous avez faites par son intercession.

1 Pater et 3 Ave, Gloria Patri.

Offrandes particulières des dizaines

Mystères Joyeux

156. A la première dizaine. — Nous vous offrons cette première dizaine, Seigneur Jésus, en l’honneur du mystère de votre Incarnation, et nous vous demandons, par ce mystère et par l’intercession de votre sainte Mère, une profonde humilité de cœur.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de l’Incarnation, descendez dans mon âme et la rendez vraiment humble.

A la deuxième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette deuxième dizaine en l’honneur de la Visitation de votre sainte Mère à sa cousine sainte Élisabeth, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de Marie, une parfaite charité envers notre prochain.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de la Visitation, descendez dans mon âme et la rendez vraiment charitable.

A la troisième dizaine. — Nous vous offrons cette troisième dizaine, Enfant Jésus, en l’honneur de votre sainte Nativité, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, le détachement des biens du monde, l’amour de la pauvreté et des pauvres.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de la Nativité, descendez en mon âme et la rendez pauvre d’esprit.

A la quatrième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette quatrième dizaine en l’honneur de votre Présentation au temple par les mains de Marie, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, le don de la sagesse et la pureté de cœur et de corps.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de la Purification, descendez dans mon âme et la rendez vraiment sage et vraiment pure.

A la cinquième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette cinquième dizaine en l’honneur de votre Recouvrement par Marie au milieu des docteurs, lorsqu’elle vous eut égaré, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, notre conversion et celle des pécheurs, hérétiques, et schismatiques, et idolâtres.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère du Recouvrement de Jésus au Temple, descendez dans mon âme et la convertissez véritablement.

Mystères Douloureux

157. A la sixième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette sixième dizaine en l’honneur de votre Agonie mortelle au jardin des Olives, et nous vous demandons, par ce mystère et par l’intercession de votre sainte Mère, une parfaite contrition de nos péchés et une parfaite conformité à votre sainte volonté.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce de l’Agonie de Jésus, descendez dans mon âme et la rendez vraiment contrite et conforme à la volonté de Dieu.

A la septième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette septième dizaine en l’honneur de votre sanglante Flagellation, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, une parfaite mortification de nos sens.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce de la Flagellation de Jésus, descendez en mon âme et la rendez vraiment mortifiée.

A la huitième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette huitième dizaine en l’honneur de votre cruel Couronnement d’épines, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, un grand mépris du monde.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère du Couronnement d’épines de Jésus, descendez en mon âme et la rendez vraiment contraire au monde.

A la neuvième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette neuvième dizaine en l’honneur de votre Portement de croix, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, une grande patience pour porter notre croix à votre suite tous les jours de notre vie.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère du Portement de Croix, descendez en mon âme et la rendez vraiment patiente.

A la dixième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette dixième dizaine en l’honneur de votre Crucifiement sur le Calvaire, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, une grande horreur du péché, l’amour de la Croix, et une bonne mort pour nous et pour ceux qui sont maintenant à l’agonie.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de la Mort et Passion de Jésus-Christ, descendez en mon âme et la rendez vraiment sainte.

Mystères Glorieux

158. A la onzième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette onzième dizaine en l’honneur de votre triomphante Résurrection, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, une vive foi.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce de la Résurrection, descendez en mon âme et la rendez vraiment fidèle.

A la douzième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette douzième dizaine en l’honneur de votre glorieuse Ascension, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de votre sainte Mère, une ferme espérance et un grand désir du paradis.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce du mystère de l’Ascension de Jésus-Christ, descendez en mon âme et la rendez vraiment céleste.

A la treizième dizaine. — Nous vous offrons, Saint-Esprit, cette treizième dizaine en l’honneur du mystère de la Pentecôte, et nous vous demandons, par ce mystère et l’intercession de Marie, votre fidèle Épouse, la divine sagesse pour connaître, goûter et pratiquer la vérité et la faire participer à tout le monde.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce de la Pentecôte, descendez en mon âme et la rendez vraiment sage selon Dieu.

A la quatorzième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette quatorzième dizaine en l’honneur de la Conception Immaculée et de l’Assomption en corps et en âme de votre sainte Mère dans les cieux, et nous vous demandons, par ces deux mystères et son intercession, une vraie dévotion envers elle, pour bien vivre et bien mourir.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

Grâce de l’Immaculée Conception et de l’Assomption de Marie, descendez en mon âme et la rendez vraiment dévote à Marie.

A la quinzième dizaine. — Nous vous offrons, Seigneur Jésus, cette quinzième et dernière dizaine, en l’honneur du Couronnement de gloire de votre sainte Mère dans les cieux, et nous vous demandons, par ce mystère et son intercession, la persévérance et l’augmentation dans la vertu jusqu’à la mort, et la couronne éternelle, qui nous est préparée. Nous vous demandons la même grâce pour tous les justes et tous nos bienfaiteurs.

1 Pater, 10 Ave Maria, Gloria Patri.

159. Nous vous prions, Seigneur Jésus, par les quinze mystères de votre Vie, votre Mort et Passion, et votre gloire et les mérites de votre sainte Mère, de convertir les pécheurs, d’aider les agonisants, de délivrer les âmes du purgatoire, et de nous donner à tous votre grâce pour bien vivre et bien mourir, et votre gloire pour vous voir face à face et vous aimer pendant l’éternité. Ainsi soit-il.

(2ème) Méthode plus abrégée

pour célébrer la vie, la mort et la gloire de Jésus et de Marie en récitant le saint Rosaire, et pour diminuer les distractions de l’imagination

160. Il faut pour cela ajouter à chaque Ave Maria de chaque dizaine un petit mot qui nous remette en mémoire le mystère qu’on célèbre par la dizaine; et il faut ajouter ce mot après Jésus, au milieu de l’Ave.

A la 1ère dizaine. — Et béni le fruit de votre ventre, Jésus incarné.

A la 2ème dizaine. — Jésus sanctifiant.

A la 3ème dizaine. — Jésus pauvre enfant.

A la 4ème dizaine. — Jésus sacrifié.

A la 5ème dizaine. — Jésus saint des saints.

A la 6ème dizaine. — Jésus agonisant.

A la 7ème dizaine. — Jésus flagellé.

A la 8ème dizaine. — Jésus couronné d’épines.

A la 9ème dizaine. — Jésus portant sa croix.

A la 10ème dizaine. — Jésus crucifié.

A la 11ème dizaine. — Jésus ressuscité.

A la 12ème dizaine. — Jésus montant au cieux.

A la 13ème dizaine. — Jésus vous remplissant du Saint-Esprit.

A la 14ème dizaine. — Jésus vous ressuscitant.

A la 15ème dizaine. — Jésus vous couronnant.

Ensuite, à la fin du premier chapelet, on dit: Grâce des mystères joyeux, descendez en nos âmes et les rendez vraiment saintes.

A la fin du second: Grâce des mystères douloureux, descendez en nos âmes et les rendez vraiment patientes.

A la fin du troisième: Grâce des mystères glorieux, descendez en nos âmes et les rendez éternellement bienheureuses. Ainsi soit-il.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Cinquième Dizaine

CINQUIÈME DIZAINE

LA MANIÈRE SAINTE DE RÉCITER LE ROSAIRE

41ème Rose

116. Ce n’est pas proprement la longueur, mais la ferveur de la prière, qui plaît à Dieu et qui lui gagne le cœur. Un seul Ave Maria bien dit est d’un plus grand mérite que cent cinquante mal dits. Presque tous les chrétiens catholiques récitent le Rosaire, le chapelet ou du moins quelques dizaines d’Ave. Pourquoi donc y en a-t-il si peu qui se corrigent de leurs péchés et s’avancent dans la vertu, sinon parce qu’ils ne font pas ces prières comme il faut.

117. Voyons donc la manière qu’il faut les réciter pour plaire à Dieu et devenir plus saints.

Premièrement il faut que la personne qui récite le saint Rosaire soit en état de grâce ou du moins dans la résolution de sortir de son péché, parce que toute la théologie nous enseigne que les bonnes œuvres et les prières faites en péché mortel, sont des œuvres mortes, qui ne peuvent être agréables à Dieu ni mériter la vie éternelle; c’est en ce sens qu’il est écrit: Non est speciosa laus in ore peccatoris (Si 15,9).

La louange et le salut de l’ange et l’Oraison même de Jésus-Christ n’est pas agréable à Dieu lorsqu’elle sort de la bouche d’un pécheur impénitent: Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me (Mc 7,6).

Ces personnes qui se mettent de mes confréries, (dit Jésus-Christ), qui récitent tous les jours le chapelet ou le Rosaire, sans aucune contrition de leurs péchés, m’honorent de leurs lèvres, mais leur cœur est bien éloigné de moi.

J’ai dit: «ou du moins dans la résolution de sortir du péché», 1º parce que s’il fallait absolument être en grâce de Dieu pour faire des prières qui lui fussent agréables, il s’ensuivrait que ceux qui sont en péché mortel ne devraient point du tout prier, quoiqu’ils en aient plus de besoin que les justes, ce qui est une erreur condamnée par l’Église, et, ainsi, il ne faudrait jamais conseiller à un pécheur de dire son chapelet ou son Rosaire parce qu’il lui serait inutile; 2º parce que, si avec la volonté de demeurer dans le péché, et sans aucune intention d’en sortir, on s’enrôlait dans une confrérie de la Sainte Vierge, ou on récitait le chaplet, le Rosaire ou quelque autre prière, on se rendrait du nombre des faux dévots de la Sainte Vierge, et dévots présomptueux et impénitents, qui, sous le manteau de la Sainte Vierge, avec le scapulaire sur leur corps ou le rosaire à la main, crient: sainte Vierge, bonne Vierge, je vous salue, Marie, et cependant crucifient et déchirent cruellement Jésus-Christ par leurs péchés et tombent malheureusement, du milieu des plus saintes confréries de la Sainte Vierge, dans le milieu des flammes de l’enfer.

118. Nous conseillons le saint Rosaire à tout le monde: aux justes pour persévérer et croître dans la grâce de Dieu, et aux pécheurs pour sortir de leurs péchés. Mais à Dieu ne plaise que nous exhortions un pécheur à faire du manteau de la protection de la Sainte Vierge, un manteau de damnation pour voiler ses crimes, et à changer le Rosaire, qui est un remède à tous maux, en un poison mortel et funeste. Corruptio optimi pessima.

«Il faut être un ange en pureté, dit le savant Hugues, cardinal, pour approcher de la Sainte Vierge et réciter la Salutation angélique. Elle fit un jour voir à un impudique, qui récitait le saint Rosaire régulièrement tous les jours, de beaux fruits dans un vaisseau souillé d’ordures; il en eut horreur, et elle lui dit: « Voilà comme tu me sers, tu me présentes de belles roses dans un vaisseau sale et corrompu. Juge si je puis les avoir agréables »» (Rosier mystique, 8ème dizaine, ch. 1).

42ème Rose

119. Il ne suffit pas, pour bien prier, d’exprimer nos demandes par la plus excellente de toutes les manières d’oraison qui est le Rosaire, mais il faut encore y apporter une grande attention, car Dieu écoute plutôt la voix du cœur que celle de la bouche. Prier Dieu avec des distractions volontaires serait une grande irrévérence, qui rendrait nos Rosaires infructueux et nous remplirait de péchés. Comment ose-t-on demander à Dieu qu’il nous écoute, si nous ne nous écoutons pas nous-mêmes, et si, pendant que nous prions cette redoutable majesté qui fait tout trembler, nous nous arrêtions volontairement à courir après un papillon? C’est éloigner de soi la bénédiction de ce grand Seigneur et la changer dans la malédiction portée contre ceux qui font l’œuvre de Dieu négligemment: Maledictus qui facit opus Dei neglegenter (Jr 48,10).

120. Vous ne pouvez pas, à la vérité, réciter votre Rosaire sans avoir quelques distractions involontaires; il est même bien difficile de dire un Ave Maria sans que votre imagination toujours remuante ne vous ôte quelque chose de votre attention; mais vous pouvez le réciter sans distractions volontaires, et vous devez prendre toutes sortes de moyens pour diminuer les involontaires et fixer votre imagination.

A cet effet, mettez-vous en la présence de Dieu, croyez que Dieu et sa sainte Mère vous regardent, que votre bon Ange à votre main droite prend vos Ave Maria comme autant de roses, s’ils sont bien dits, pour en faire une couronne à Jésus et à Marie, et qu’au contraire, le démon est à votre gauche et rôde autour de vous, pour dévorer vos Ave Maria et les marquer sur son livre de mort, s’ils ne sont pas dits avec attention, dévotion et modestie; surtout ne manquez pas de faire les offrandes des dizaines en l’honneur des mystères, et de vous représenter, dans l’imagination, Notre-Seigneur et sa sainte Mère dans le mystère que vous honorez.

121. «On lit dans la vie du bienheureux Herman, de l’ordre des Prémontrés, que, lorsqu’il disait le Rosaire avec attention et dévotion, en méditant les mystères, la Sainte Vierge lui apparaissait toute brillante de lumière, avec une beauté et majesté ravissantes. Mais ensuite, sa dévotion s’étant refroidie et ne récitant plus son Rosaire qu’à la hâte, et sans attention, elle lui apparut le visage tout ridé, triste et désagréable. Herman, étonné d’un tel changement, la Sainte Vierge lui dit: « Je parais telle devant tes yeux, que je suis à présent dans ton âme, car tu ne me traites plus que comme une personne vile et méprisable. Où est le temps que tu me saluais avec respect et attention, en méditant mes mystères et admirant mes grandeurs? »» (Rosier mystique, 8ème dizaine, ch. 2).

43ème Rose

122. Comme il n’y a point de prière plus méritoire à l’âme et plus glorieuse à Jésus et à Marie que le Rosaire bien dit, il n’y en a point aussi qui soit plus difficile à bien dire et dans laquelle il soit plus difficile de persévérer, à cause particulièrement des distractions qui viennent comme naturellement dans la répétition si fréquente de la même prière.

Lorsqu’on dit l’office de la Sainte Vierge, ou les sept psaumes, ou quelques autres prières que le chapelet ou le Rosaire, le changement ou la diversité des termes dont ces prières sont conçues arrêtent l’imagination et récréent l’esprit, et par conséquent donnent facilité à l’âme pour les bien réciter. Mais dans le Rosaire, comme on y a toujours le même Pater et Ave à dire, et la même forme à garder, il est bien difficile qu’on ne s’y ennuie, qu’on ne s’y endorme et qu’on ne l’abandonne, pour prendre d’autres prières plus récréatives et moins ennuyeuses. C’est ce qui fait qu’il faut infiniment plus de dévotion pour persévérer dans la récitation du saint Rosaire que d’aucune autre prière, quand ce serait le psautier de David.

123. Ce qui augmente cette difficulté, c’est notre imagination, qui est si volage qu’elle n’est pas quasi un moment en repos, et la malice du démon si infatigable à nous distraire et à nous empêcher de prier. Que ne fait point ce malin esprit contre nous, tandis que nous sommes à dire notre Rosaire contre lui? Il augmente notre langueur et notre négligence naturelles. Avant de commencer notre prière, il augmente notre ennui, nos distractions et nos accablements; pendant que nous le prions, il nous accable de tous côtés, et il nous sifflera après que nous l’aurons dit avec beaucoup de peines et de distractions: «Tu n’a rien dit qui vaille; ton chapelet, ton Rosaire, ne vaut rien, tu ferais bien mieux de travailler et de faire tes affaires; tu perds ton temps à réciter tant de prières vocales sans attention; une demi-heure de méditation ou une bonne lecture vaudrait bien mieux. Demain, que tu seras moins endormi, tu prieras avec plus d’attention, remets le reste de ton Rosaire à demain.» Ainsi le diable, par ses artifices, fait souvent quitter le Rosaire tout à fait ou en partie, ou fait prendre le change ou le fait différer.

124. Ne le croyez pas, cher confrère du Rosaire, et prenez courage, quoique pendant tout votre Rosaire votre imagination n’ait été remplie que d’imaginations et pensées extravagantes, que vous avez tâché de chasser le mieux que vous avez pu, quand vous vous en êtes aperçu. Votre Rosaire est d’autant meilleur qu’il est plus méritoire; il est d’autant plus méritoire qu’il est difficile; il est d’autant plus difficile qu’il est naturellement moins agréable à l’âme et qu’il est plus rempli de misérables petites mouches et fourmis, qui, ne faisant que courir çà et là dans l’imagination malgré la volonté, ne donnent pas à l’âme le temps de goûter ce qu’elle dit et de se reposer dans la paix.

125. S’il faut que vous combattiez pendant tout votre Rosaire, contre les distractions qui vous viennent, combattez vaillamment les armes au poing, c’est-à-dire en continuant votre Rosaire, quoique sans aucun goût ni consolation sensible: c’est un terrible combat, mais salutaire à l’âme fidèle. Si vous mettez les armes bas, c’est-à-dire si vous quittez votre Rosaire, vous êtes vaincu, et pour lors, le diable, comme vainqueur de votre fermeté, vous laissera en paix et vous reprochera au jour du jugement votre pusillanimité et infidélité. Qui fidelis est in minimo et in majori fidelis est (Lc 16,10): «Celui qui est fidèle dans les petites choses le sera aussi dans les plus grandes.»

Celui qui est fidèle à rejeter les plus petites distractions à la moindre partie de ses prières, sera aussi fidèle dans les plus grandes choses. Rien n’est si sûr, puisque le Saint-Esprit l’a dit. Courage donc, bon serviteur et servante fidèle à Jésus-Christ et à la Sainte Vierge, qui avez pris la résolution de dire votre Rosaire tous les jours. Que la multitude des mouches (j’appelle ainsi les distractions qui vous font la guerre pendant que vous priez), ne soient pas capables de vous faire lâchement quitter la compagnie de Jésus et de Marie, dans laquelle vous êtes en disant votre Rosaire. Je mettrai ci-après des moyens de diminuer les distractions.

44ème Rose

126. Après avoir invoqué le Saint-Esprit, pour bien réciter votre Rosaire, mettez-vous un moment en la présence de Dieu et faites les offrandes des dizaines, comme vous verrez ci-après.

Avant de commencer la dizaine, arrêtez-vous un moment, plus ou moins, selon votre loisir, pour considérer le mystère que vous célébrez par la dizaine et demandez toujours, par ce mystère et l’intercession de la Sainte Vierge, une des vertus qui éclatent le plus dans ce mystère ou dont vous aurez le plus de besoin.

Prenez surtout garde aux deux fautes ordinaires que font presque tous ceux qui disent le chapelet ou le Rosaire:

La première, c’est de ne prendre aucune intention en disant leur chapelet, en sorte que, si vous leur demandez pourquoi ils disent leur chapelet, ils ne sauraient vous répondre. C’est pourquoi ayez toujours en vue, en récitant votre Rosaire, quelque grâce à demander, quelque vertu à imiter, ou quelque péché à détruire.

La seconde faute qu’on commet ordinairement en récitant le saint Rosaire, c’est de n’avoir point d’autre intention, en le commençant, que de l’avoir bientôt fini. Cela vient de ce qu’on regarde le Rosaire comme une chose onéreuse, qui pèse bien fort sur les épaules lorsqu’on ne l’a pas dit; surtout quand on s’en est fait un principe de conscience, ou quand on l’a reçu par pénitence et comme malgré soi.

127. C’est une pitié de voir comment la plupart disent leur chapelet ou leur Rosaire. Ils le disent avec une précipitation étonnante et ils mangent même une partie des paroles. On ne voudrait pas faire un compliment de cette manière ridicule au dernier des hommes, et on croit que Jésus et Marie en seront honorés!

Après cela, faut-il s’étonner si les plus saintes prières de la religion chrétienne restent quasi sans aucun fruit, et si, après mille et dix mille Rosaires récités, on n’en est pas plus saint?

Arrêtez, cher confrère du Rosaire, votre précipitation naturelle, en récitant votre Rosaire, et faites quelques pauses au milieu du Pater et de l’Ave, et une plus petite après les paroles du Pater et de l’Ave que j’ai marquées par une croix ci-après.

Notre Père qui êtes aux cieux + votre nom soit sanctifié + votre règne arrive + votre volonté soit faite + en la terre comme au ciel +.

Donnez-nous aujourd’hui + notre pain quotidien + et nous pardonnez nos offenses + comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés + et ne nous laissez point tomber dans la tentation + mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il +.

Je vous salue, Marie, pleine de grâce + le Seigneur est avec vous + vous êtes bénie entre toutes les femmes + et béni est le fruit de votre ventre, Jésus +.

Sainte Marie, Mère de Dieu + priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant + et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il +.

Vous aurez d’abord de la peine à faire ces médiantes, par la mauvaise habitude que vous avez de prier à la hâte; mais aussi une dizaine dite ainsi posément vous sera plus méritoire que des milliers de Rosaires récités à la hâte, sans réfléchir ni s’arrêter.

128. «Le bienheureux Alain de la Roche et d’autres auteurs, entre autres Bellarmin, racontent qu’un bon prêtre conseilla à trois pénitentes qu’il avait, et qui étaient toutes trois sœurs, de réciter tous les jours dévotement le Rosaire, pendant un an, sans y manquer, pour former un bel habillement de gloire à la Sainte Vierge, et que c’était un secret qu’il avait reçu du ciel. Toutes les trois le dirent pendant un an. Le jour de la Purification, sur le soir, lorsqu’elles étaient couchées, la Sainte Vierge, accompagnée de sainte Catherine et de sainte Agnès, entra dans leur chambre, revêtue d’un habit tout brillant de lumière, sur lequel il y avait de tous côtés écrit en lettres d’or: Ave Maria gratia plena. La Reine des cieux approcha du lit de l’aînée des sœurs et lui dit: « Je vous salue, ma fille, qui m’avez si souvent et si bien saluée. Je viens vous remercier des beaux habits que vous m’avez faits. »

Les deux saintes vierges qui l’accompagnaient la remercièrent aussi et toutes trois disparurent.

Une heure après, la Sainte Vierge, avec ses deux compagnes, vint encore dans la chambre, habillée d’un habit vert, mais sans or et sans lumière, approcha du lit de la seconde sœur, la remercia de cet habit qu’elle lui avait fait, en disant son Rosaire. Mais comme cette seconde sœur avait vu la Sainte Vierge apparaître à sa sœur aînée avec beaucoup plus de brillant, elle lui en demanda la raison. « C’est, lui répondit Marie, qu’elle m’a fait de plus beaux habits, en disant mieux son Rosaire que toi. »

Environ une heure après, la Sainte Vierge apparut une troisième fois à la plus jeune des sœurs, habillée d’un haillon sale et déchiré et lui dit: « O fille, vous m’avez ainsi habillée, je vous en remercie. »

La jeune fille, couverte de confusion, s’écria: « Et quoi! ma maîtresse, je vous ai si mal habillée, je vous en demande pardon. Je vous demande du temps pour faire un plus bel habit, en récitant mieux mon Rosaire. » La vision ayant disparu et la plus jeune sœur fort affligée ayant dit à leur confesseur tout ce qui s’était passé, il les anima à dire pendant un an leur Rosaire avec plus de perfection que jamais, ce qu’elles firent. Au bout de l’année, le jour même de la Purification, la Sainte Vierge, accompagnée encore de sainte Catherine et de sainte Agnès qui portaient des couronnes, et habillée d’un habit merveilleux, leur apparut sur le soir et leur dit: « Soyez assurées, mes filles, du royaume des cieux, vous y entrerez demain avec grande allégresse. » A quoi toutes trois répondirent: « Notre cœur est préparé, notre chère Maîtresse, notre cœur est préparé. » La vision disparut. Cette même nuit il leur prit mal, elles envoyèrent chercher leur confesseur, reçurent les derniers sacrements et après avoir remercié leur confesseur de la sainte pratique qu’il leur avait enseignée. Après complies, la Sainte Vierge leur apparut encore, accompagnée d’un grand nombre de vierges, fit revêtir les trois sœurs de robes blanches, après quoi, elles marchèrent toutes trois pendant que les anges chantaient: « Venez, épouses de Jésus-Christ, recevez les couronnes qui vous sont préparées dans l’éternité »» (J. A. Coppestein, Beati F. Alani redivivi tractatus mirabilis, c. 70).

Apprenez plusieurs vérités de cette histoire: 1º combien il est important d’avoir de bons directeurs qui inspirent de saintes pratiques de piété et particulièrement le saint Rosaire; 2º combien il est important de réciter le Rosaire avec attention et dévotion; 3º combien la Sainte Vierge est bénigne et miséricordieuse envers ceux qui se repentent du passé et proposent de mieux faire; 4º combien elle est libérale à récompenser pendant la vie, à la mort et dans l’éternité, les petits services qu’on lui rend avec fidélité.

45ème Rose

129. J’ajoute qu’il faut réciter le saint Rosaire avec modestie, c’est-à-dire, autant qu’on peut, à genoux, les mains jointes, le rosaire en mains. Si cependant on est malade, on peut le dire en son lit; si on est en voyage, on peut le dire en marchant; si pour quelques infirmités on ne peut être à genoux, on peut le dire debout ou assis. On peut même le réciter en travaillant, lorsqu’on ne peut pas quitter son travail, pour satisfaire aux devoirs de sa profession, car le travail manuel n’est pas toujours contraire à la prière vocale.

J’avoue que notre âme étant limitée dans son opération, quand elle est attentive au travail des mains, elle en est moins attentive aux opérations de l’esprit, telle qu’est la prière; mais cependant, dans la nécessité, cette prière a son prix devant la Sainte Vierge, qui récompense plus la bonne volonté que l’action extérieure.

130. Je vous conseille de partager votre Rosaire en trois chapelets ou trois différents temps de la journée; il vaut mieux le partager ainsi que de le dire tout à la fois.

Si vous ne pouvez pas trouver assez de temps pour en dire le tiers de suite, dites-en une dizaine ici et une dizaine là; vous pourrez faire en sorte, malgré toutes vos occupations et affaires, que vous ayez dit votre Rosaire tout entier avant de vous mettre au lit.

Imitez en cela la fidélité de saint François de Sales. Étant un soir fort fatigué des visites qu’il avait faites pendant la journée, et étant près de minuit, il se ressouvint qu’il lui restait quelques dizaines de son Rosaire à dire, il se mit à genoux et les récita avant de se coucher, malgré tout ce que son aumônier, qui le voyait fatigué, lui pût dire pour l’engager à remettre à dire au lendemain ce qui lui restait de prières.

Imitez encore la fidélité, modestie et dévotion de ce saint religieux, dont parlent les chroniques de saint François, qui avait coutume, avant le dîner, de réciter un chapelet avec beaucoup d’attention et de modestie. J’en ai parlé ci-devant (7ème Rose).

46ème Rose

131. De toutes les manières de réciter le saint Rosaire, la plus glorieuse à Dieu, la plus salutaire à l’âme et la plus terrible au diable, c’est de le psalmodier ou réciter publiquement à deux chœurs.

Dieu aime les assemblées. Tous les anges et les bienheureux assemblés dans le ciel y chantent incessamment ses louanges. Les justes assemblés en plusieurs communautés sur la terre y prient en commun jour et nuit. Notre-Seigneur a expressément conseillé cette pratique à ses apôtres et disciples, et leur promit que toutes les fois qu’ils seraient au moins deux ou trois assemblés en son nom, il se trouverait au milieu de ceux qui sont assemblés pour prier en son nom et réciter sa même prière (Mt 18,20). Quel bonheur d’avoir Jésus-Christ en sa compagnie! Pour le posséder il ne faut que s’assembler pour dire le chapelet. C’est la raison pourquoi les premiers chrétiens s’assemblaient si souvent pour prier ensemble, malgré les persécutions des empereurs, qui leur défendaient les assemblées. Ils aimaient mieux s’exposer à la mort que de manquer à s’assembler pour avoir la compagnie de Jésus-Christ.

132. Cette manière de prier est plus salutaire à l’âme:

1º parce que l’esprit est ordinairement plus attentif dans une prière publique que dans une particulière;

2º quand on prie en commun, les prières de chaque particulier deviennent communes à toute l’assemblée et ne font toutes ensemble qu’une même prière, en sorte que, si quelque particulier ne prie pas si bien, un autre dans l’assemblée qui prie mieux supplée à son défaut. Le fort supporte le faible, le fervent embrase le tiède, le riche enrichit le pauvre, le mauvais passe parmi le bon. Comment vendre une mesure d’ivraie? Il ne faut pour cet effet que la mêler avec quatre ou cinq boisseaux de bon blé; le tout est vendu.

3º Une personne qui récite son chapelet toute seule n’a que le mérite d’un chapelet; mais si elle le dit avec trente personnes, elle a le mérite de trente chapelets. Ce sont les lois de la prière publique. Quel gain! quel avantage!

4º Urbain VIII, étant fort satisfait de la dévotion du saint Rosaire qu’on récitait à deux chœurs, en plusieurs lieux de Rome, particulièrement au couvent de la Minerve, donna cent jours d’indulgences toutes les fois qu’on le réciterait à deux chœurs: Toties quoties. Ce sont les termes de son bref qui commence: Ad perpetuam rei memoriam, an 1626. Ainsi, toutes les fois qu’on dit le chapelet en commun, on gagne cent jours d’indulgences.

5º C’est que cette prière publique est plus puissante, pour apaiser la colère de Dieu et attirer sa miséricorde, que la prière particulière, et l’Église, conduite par le Saint-Esprit, s’en est servie dans tous les temps de calamités et de misères publiques.

Le pape Grégoire XIII déclare, par sa bulle, qu’il faut pieusement croire que les prières publiques et processions des confrères du saint Rosaire avaient beaucoup contribué à obtenir de Dieu la grande victoire que les chrétiens gagnèrent au golfe de Lépante sur l’armée navale des Turcs, le 1er dimanche d’octobre en 1571.

133. «Louis le Juste, d’heureuse mémoire, assiégeant La Rochelle, où les hérétiques révoltés tenaient leurs forts, écrivit à la reine sa mère de faire faire des prières publiques pour la prospérité de ses armes. La reine résolut de faire réciter le Rosaire publiquement dans l’église des Frères prêcheurs du faubourg Saint-Honoré de Paris, ce qui fut exécuté par les soins de Monseigneur l’archevêque. On commença cette dévotion le 20 mai 1628. La reine mère et la reine régnante s’y rendirent, avec Monseigneur le duc d’Orléans, les cardinaux de la Rochefoucault et de Bérulle, plusieurs prélats, toute la cour et une foule innombrable de peuple. Monseigneur l’archevêque lisait à haute voix les méditations sur les mystères du Rosaire, il commençait ensuite le Pater et l’Ave de chaque dizaine et les religieux avec les assistants répondaient; après le chapelet, on portait l’image de la Sainte Vierge en procession, en chantant ses litanies.

On continua cette dévotion tous les samedis avec une ferveur admirable et une bénédiction du ciel évidente, car le roi triompha des Anglais à l’île de Ré et entra victorieux dans La Rochelle, le jour de la Toussaint de la même année» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 8). On voit par là quelle est la force de la prière publique.

134. Enfin le Rosaire récité en commun est bien plus terrible au démon, puisqu’on fait, par ce moyen, un corps d’armée pour l’attaquer. Il triomphe quelquefois fort facilement de la prière d’un particulier, mais si elle est unie à celle des autres, il n’en peut venir à bout que difficilement. Il est aisé de rompre une houssine toute seule; mais si vous l’unissez avec plusieurs autres et en faites un faisceau, on ne peut plus la rompre. Vis unita fit fortior. Les soldats s’assemblent en corps d’armée pour battre leurs ennemis; les méchants s’assemblent souvent pour faire leurs débauches et leurs danses; les démons même s’assemblent pour nous perdre; pourquoi donc les chrétiens ne s’assembleront-ils pas pour avoir la compagnie de Jésus-Christ, pour apaiser la colère de Dieu, pour attirer sa grâce et sa miséricorde, et pour vaincre et terrasser plus puissamment les démons?

Cher confrère du Rosaire, si vous demeurez à la ville ou à la campagne, auprès de l’église de la paroisse ou d’une chapelle, allez-y au moins tous les soirs, avec permission de monsieur le recteur de ladite paroisse, et là en compagnie de tous ceux qui voudront y venir récitez le chapelet à deux chœurs; faites la même chose dans votre maison ou celle d’un particulier du village, si vous n’avez pas la commodité de l’église ou de la chapelle.

135. C’est une sainte pratique que Dieu, par sa miséricorde, a établie dans les lieux ou j’ai fait des missions, pour en conserver et augmenter le fruit, pour empêcher le péché. On ne voyait dans ces bourgs et villages, auparavant que le chapelet y fût établi, que danses, débauches, dissolutions, immodesties, jurements, querelles, divisions; on n’y entendait que des chansons déshonnêtes, paroles à double entente. A présent on n’y entend que le chant des cantiques et la psalmodie du Pater et de l’Ave; on n’y voit que de saintes compagnies de 20, 30, 100 personnes et plus, qui chantent comme des religieux les louanges de Dieu à une heure réglée.

Il y a même des lieux où on récite le Rosaire en commun tous les jours, en trois temps de la journée. Quelle bénédiction du ciel! Comme il y a des réprouvés partout, ne doutez pas qu’il n’y ait, dans les lieux où vous demeurez, quelques méchants qui négligeront de venir au chapelet, qui s’en railleront peut-être même et feront tout ce qu’ils pourront, par leurs mauvaises paroles et leurs mauvais exemples, pour vous empêcher de continuer ce saint exercice; mais tenez bon. Comme ces malheureux doivent être à jamais séparés de Dieu et de son paradis, dans l’enfer, il faut qu’ici-bas, par avance, ils se séparent de la compagnie de Jésus-Christ et de ses serviteurs et servantes.

47ème Rose

136. Séparez-vous des méchants, peuple de Dieu, âmes prédestinées, et pour vous échapper et vous sauver du milieu de ceux qui se damnent par leur impiété, indévotion ou oisiveté, sans perdre le temps, récitez souvent le saint Rosaire avec foi, avec humilité, avec confiance et avec persévérance.

Premièrement, quiconque pensera sérieusement au commandement que Jésus-Christ nous a fait de prier toujours, à l’exemple qu’il nous a donné, aux besoins infinis que nous avons de la prière, à cause de nos ténèbres, ignorances et faiblesses et de la multitude de nos ennemis, certes, celui-là ne se contentera pas de réciter le Rosaire une fois tous les ans, comme la confrérie du Rosaire perpétuel demande, ni toutes les semaines, comme le Rosaire ordinaire prescrit, mais le récitera tous les jours, sans y manquer, comme le Rosaire quotidien marque, quoiqu’il n’en ait point d’autre obligation que celle de son salut.

Oportet: il faut, il est nécessaire semper orare, toujours prier, et non deficere (Lc 18,1), ne point cesser de prier.

137. Ce sont des paroles éternelles de Jésus-Christ, qu’il faut croire et pratiquer sous peine de damnation. Expliquez-les comme il vous plaira, pourvu que vous ne les expliquiez pas à la mode, afin de ne les pratiquer qu’à la mode. Jésus-Christ nous en a donné la vraie explication dans les exemples qu’il nous a laissés: Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis (Jn 13,15). Erat pernoctans in oratione Dei (Lc 6,12). Comme si le jour ne lui eût pas suffi, il employait encore la nuit à la prière.

Il répétait souvent à ses apôtres ces deux paroles: Vigilate et orate (Mt 26,41). Veillez et priez. La chair est infirme, la tentation est proche et continuelle. Si vous ne priez toujours, vous y tomberez. Apparemment qu’ils crurent que ce que Notre-Seigneur leur disait n’était que de conseil, ils interprétèrent ces paroles à la mode, c’est pourquoi ils tombèrent dans la tentation et dans le péché, étant même dans la compagnie de Jésus-Christ.

138. Si vous voulez, cher confrère, vivre à la mode, et vous damner à la mode, c’est-à-dire de temps en temps tomber dans le péché mortel, et puis aller à confesse, éviter les péchés grossiers et criants, et conserver les honnêtes, il n’est pas nécessaire que vous fassiez tant de prières, que vous disiez tant de Rosaires; une petite prière le matin et le soir, quelques chapelets donnés en pénitences, quelques dizaines d’Ave Maria sur un chapelet à la cavalière, quand la fantaisie vous en prend, il n’en faut pas davantage pour vivre en honnête homme. Si vous en faisiez moins, vous approcheriez du libertinage; si vous en faites plus, vous approcheriez de la singularité et de la bigoterie.

139. Mais si, comme un vrai chrétien qui veut se sauver en vérité et marcher sur les traces des saints, vous voulez ne point tomber du tout en péché mortel, rompre tous les pièges et éteindre tous les traits enflammés du diable, il faut que vous priiez toujours comme a enseigné et ordonné Jésus-Christ.

Ainsi, il faut pour le moins que vous disiez votre Rosaire tous les jours ou quelques prières équivalentes.

Je dis encore pour le moins, car ce sera tout ce que vous pourrez faire avec votre Rosaire, tous les jours, que d’éviter tous les péchés mortels et de vaincre toutes les tentations, au milieu des torrents d’iniquité du monde, qui emportent souvent les plus assurés; au milieu des ténèbres épaisses qui aveuglent souvent les plus éclairés, au milieu des esprits malins qui, étant plus expérimentés que jamais, et ayant moins de temps à tenter, tentent avec plus de finesse et de succès.

Oh! quelle merveille de la grâce du saint Rosaire, si vous échappez au monde, au diable et à la chair et au péché et vous sauvez dans le ciel!

140. Si vous ne voulez pas croire ce que j’avance, croyez-en votre propre expérience. Je vous demande si, lorsque vous ne faisiez qu’un peu de prières qu’on fait dans le monde, et de la manière dont on les fait ordinairement, vous pouviez vous empêcher de faire de lourdes fautes et des péchés griefs qui ne vous paraissaient légers que par votre aveuglement. Ouvrez donc les yeux, et pour vivre et mourir en saint sans péché, du moins mortel, priez toujours; récitez tous les jours votre Rosaire, comme tous les confrères faisaient autrefois dans l’établissement de la confrérie (voir à la fin de ce livre la preuve de ce que j’avance). La Sainte Vierge le donnant à saint Dominique lui ordonna de le dire et faire dire tous les jours; aussi le saint ne recevait-il personne dans la confrérie qui ne fût dans la résolution de le dire tous les jours. Si, à présent, on ne demande dans la confrérie du Rosaire ordinaire que la récitation d’un Rosaire par semaine, c’est parce que la ferveur s’est ralentie, la charité s’est refroidie. On tire ce qu’on peut d’un mauvais prieur. Non fuit ab initio sic (Mt 19,8).

Il faut ici remarquer trois choses.

141. La première que si vous voulez vous enrôler dans la confrérie du Rosaire quotidien et participer aux prières et mérites de ceux qui y sont, il ne suffit pas d’être enrôlé dans la confrérie du Rosaire ordinaire, ou de prendre seulement la résolution de réciter son Rosaire tous les jours. Il faut de plus donner son nom à ceux qui ont le pouvoir d’enrôler. Il est bon de se confesser et communier à cette intention; la raison de ceci est que le Rosaire ordinaire ne renferme pas le quotidien, mais le Rosaire quotidien renferme le Rosaire ordinaire.

La seconde chose à remarquer est qu’il n’y a, absolument parlant, aucun péché, même véniel, à manquer de réciter le Rosaire de tous les jours, ni de toutes les semaines, ni de tous les ans.

La troisième, c’est que lorsque la maladie ou une obéissance légitime, ou la nécessité, ou l’oubli involontaire, sont cause que vous ne pouvez pas réciter votre Rosaire, vous ne laissez pas d’en avoir le mérite et vous ne perdez pas la participation aux Rosaires des autres confrères; ainsi il n’est pas absolument nécessaire que le jour suivant vous récitiez deux Rosaires, pour suppléer à un que vous avez manqué sans votre faute, comme je suppose. Si cependant la maladie ne vous permet de réciter qu’une partie de votre Rosaire, vous la devez réciter. Beati qui stant coram te semper. Beati qui habitant in domo tua, Domine, in saecula saeculorum laudabunt te (1 R 10,8; Ps 84,5). Bienheureux, Seigneur Jésus, les confrères du Rosaire quotidien qui, tous les jours, sont autour et dans votre petite maison de Nazareth, autour de votre croix sur le Calvaire, et autour de votre trône dans les cieux, pour méditer et contempler vos mystères joyeux, douloureux et glorieux. Oh! qu’ils sont heureux sur la terre par les grâces spéciales que vous leur communiquez, et qu’ils seront bienheureux dans le ciel où ils vous loueront d’une manière spéciale dans les siècles des siècles.

142. Secondement, il faut réciter le Rosaire avec foi, selon les paroles de Jésus-Christ: Credite quia accipietis et fiet vobis (Mc 11,24). Croyez que vous recevrez de Dieu ce que vous lui demandez, et il vous exaucera. Il vous dira: Sicut credidisti, fiat tibi (Mt 8,13): Qu’il vous soit fait comme vous avez cru. Si quis indiget sapientia, postulet a Deo; postulet autem in fide nihil haesitans (Jc 1,5-6): Si quelqu’un a besoin de la sagesse, qu’il la demande à Dieu, avec foi, sans hésiter, en récitant son Rosaire, et elle lui sera donnée.

143. Troisièmement, il faut prier avec humilité, comme le publicain; il était à deux genoux à terre, et non un genou en l’air ou sur un banc comme les orgueilleux mondains; il était au bas de l’église et non dans le sanctuaire comme le pharisien; il avait les yeux baissés vers la terre, n’osant regarder le ciel, et non la tête levée regardant çà et là comme le pharisien; il frappait sa poitrine, se confessant pécheur et demandant pardon: Propitius esto mihi peccatori (Lc 18,13) et non pas comme le pharisien qui se vantait de ses bonnes œuvres, qui méprisait les autres dans ses prières. Gardez-vous de l’orgueilleuse prière du pharisien qui le rendit plus endurci et plus maudit; mais imitez l’humilité du publicain dans sa prière qui lui obtient la rémission de ses péchés.

Prenez bien garde de donner dans l’extraordinaire et de demander et de désirer même des connaissances extraordinaires, des visions, des révélations et autres grâces miraculeuses que Dieu quelquefois a communiquées à quelques saints dans la récitation de leur chapelet et Rosaire. Sola fides sufficit (Pange lingua): la foi seule suffit présentement que l’Évangile et toutes les dévotions et pratiques de piété sont suffisamment établis.

N’omettez jamais la moindre partie de votre Rosaire dans vos sécheresses, dégoûts et délaissements intérieurs; ce serait une marque d’orgueil et d’infidélité; mais comme un brave champion de Jésus et Marie, sans rien voir, sentir, ni goûter, dites tout sèchement votre Pater et Ave, en regardant le mieux que vous pourrez les mystères.

Ne désirez point le bonbon et les confitures des enfants pour manger votre pain quotidien; mais pour imiter Jésus-Christ plus parfaitement dans son agonie, prolongez quelquefois votre Rosaire, lorsque vous sentirez plus de peine à le réciter: Factus in agonia prolixius orabat (Lc 22,43), afin qu’on puisse dire de vous ce qui est dit de Jésus-Christ, lorsqu’il était dans l’agonie de la prière: Il priait encore plus longtemps.

144. Quatrièmement, priez avec beaucoup de confiance, laquelle est fondée sur la bonté et libéralité infinies de Dieu et sur les promesses de Jésus-Christ. Dieu est une source d’eau vive qui coule incessamment dans le cœur de ceux qui prient. Jésus-Christ est la mamelle du Père éternel toute pleine du lait de la grâce et de la vérité. Le plus grand désir qu’ait le Père éternel à notre égard, c’est de nous communiquer les eaux salutaires de sa grâce et de sa miséricorde, et il crie: Omnes sitientes venite ad aquas (Is 55,1): Venez boire de mes eaux par la prière, et quand on ne le prie pas il se plaint de ce qu’on l’abandonne: Me dereliquerunt fontem aquae vivae (Jr 2,13). C’est faire plaisir à Jésus-Christ de lui demander ses grâces et plus grand plaisir qu’on ne ferait à une mère nourrice, dont les mamelles sont toutes pleines, en lui suçant son lait. La prière est le canal de la grâce de Dieu et le tétin des mamelles de Jésus-Christ. Si on ne les suce pas par la prière comme doivent faire tous les enfants de Dieu, il s’en plaint amoureusement: Usque modo non petistis quidquam, petite et accipietis, quaerite et invenietis, pulsate et aperietur vobis (Jn 16,24; Mt 7,7). Jusqu’à ici vous ne m’avez rien demandé. Ah! demandez-moi et je vous donnerai, cherchez chez moi et vous trouverez; frappez à ma porte et je vous l’ouvrirai. De plus, pour nous donner encore plus de confiance à le prier, il a engagé sa parole: que le Père éternel nous accorderait tout ce que nous lui demanderions en son nom.

48ème Rose

145. Mais à notre confiance joignons, en cinquième lieu, la persévérance dans la prière. Il n’y aura que celui qui persévérera à demander, à chercher et à frapper, qui recevra, qui trouvera et qui entrera. Il ne suffit pas de demander quelques grâces à Dieu pendant un mois, un an, dix ans, vingt ans; il ne faut point s’ennuyer, et non deficere, il faut la demander jusqu’à la mort et être résolu ou à obtenir ce qu’on lui demande pour son salut ou à mourir, et même il faut joindre la mort avec la persévérance dans la prière et la confiance en Dieu et dire: Etiam si occiderit me, sperabo in eum (Jb 13,15): Quand il devrait me tuer, j’espérerais en lui et de lui ce que je lui demande.

146. La libéralité des grands et riches du monde paraît à prévenir par leurs bienfaits ceux qui en ont besoin, avant même qu’ils les leur demandent; mais Dieu, tout au contraire, montre sa magnificence à faire longtemps chercher et demander les grâces qu’il veut accorder, et plus la grâce qu’il veut faire est précieuse et plus longtemps il diffère de l’accorder:

1º Afin, par là, de l’augmenter encore davantage;

2º Afin que la personne qui la recevra en ait une grande estime;

3º Afin qu’elle se donne de garde de la perdre après l’avoir reçue; car on n’estime pas beaucoup ce qu’on obtient en un moment et à peu de frais.

Persévérez donc, cher confrère du Rosaire, à demander à Dieu par le saint Rosaire tous vos besoins spirituels et corporels et particulièrement la divine Sagesse qui est un trésor infini: Thesaurus est infinitus (Sg 7,14), et vous l’obtiendrez tôt ou tard infailliblement, pourvu que vous ne le quittiez point et que vous ne perdiez point courage au milieu de votre course. Grandis enim tibi restat via (1 R 19,7).

Car vous avez encore beaucoup de chemin à faire, beaucoup de mauvais temps à essuyer, beaucoup de difficultés à surmonter, beaucoup d’ennemis à terrasser, avant que vous ayez assez amassé de trésors de l’éternité, des Pater et Ave pour acheter le paradis et gagner la belle couronne qui attend un fidèle confrère du Rosaire.

Nemo accipiat coronam tuam (Ap 3,11): Prenez garde qu’un autre, plus fidèle que vous à dire son Rosaire tous les jours, ne vous l’enlève. Coronam tuam: elle était vôtre, Dieu vous l’avait préparée, elle était vôtre, vous l’aviez déjà demi gagnée par vos Rosaires bien dits, et parce que vous vous êtes arrêté en si beau chemin où vous courriez si bien, currebatis bene (Ga 5,7). Un autre, qui vous a devancé, y est arrivé le premier; un autre plus diligent et plus fidèle a acquis et payé, par ses Rosaires et bonnes œuvres, ce qui était nécessaire pour avoir cette couronne.

Quid vos impedivit? (Ga 5,7): Qui est-ce qui vous a empêché d’avoir la couronne du saint Rosaire? Hélas! les ennemis du saint Rosaire, qui sont en si grand nombre.

147. Croyez-moi, il n’y a que les violents qui la ravissent de force: Violenti rapiunt (Mt 11,12). Ces couronnes ne sont pas pour ces timides qui craignent les railleries et les menaces du monde. Ces couronnes ne sont pas pour ces paresseux et fainéants, qui ne disent leur Rosaire qu’avec négligence, ou à la hâte, ou par manière d’acquit, ou par intervalle, selon leur fantaisie. Ces couronnes ne sont pas pour ces poltrons qui perdent cœur et mettent les armes bas, quand ils voient tout l’enfer déchaîné contre leur Rosaire.

Si vous voulez, cher confrère du Rosaire, entreprendre de rendre service à Jésus et Marie en récitant le Rosaire tous les jours, préparez votre âme à la tentation: Accedens ad servitutem Dei, praepara animam tuam ad tentationem (Si 2,1). Les hérétiques, les libertins, les honnêtes gens du monde, les demi-dévots et faux prophètes, de concert avec votre nature corrompue et tout l’enfer, vous livreront de terribles combats, pour vous faire quitter cette pratique.

148. Pour vous prémunir contre les attaques, non pas tant des hérétiques et des libertins déclarés que des honnêtes gens selon le monde, et des personnes même dévotes à qui cette pratique ne revient pas, je veux vous rapporter ici simplement une petite partie de ce qu’ils pensent et disent tous les jours.

Quid vult seminiverbius ille? Venite, opprimamus eum, contrarius est enim (Ac 17,18; Sg 2,12), etc.: Que veut dire ce grand diseur de chapelets et de Rosaires, qu’est-ce qu’il marmotte toujours? quelle fainéantise! il ne fait rien autre chose que chapeleter, il ferait bien mieux de travailler, sans s’amuser à tant de bigoteries. Vraiment oui!… Il ne faut que dire son Rosaire, et les alouettes toutes rôties tomberont du ciel; le Rosaire nous apportera bien de quoi dîner. Le bon Dieu dit: Aide-toi, je t’aiderai. Pourquoi aller s’embarrasser de tant de prières? Brevis oratio penetrat coelos; un Pater et un Ave bien dits suffisent. Le bon Dieu ne nous a point commandé le chapelet ni le Rosaire; cela est bon, c’est une bonne chose quand on a le temps, mais on n’en sera pas moins sauvé pour cela. Combien de saints qui ne l’ont jamais dit?

Il y a des gens qui jugent tout le monde à leur aune, il y a des indiscrets qui portent tout à l’extrémité, il y a des scrupuleux qui mettent du péché où il n’y en a point, ils disent que tous ceux qui ne diront pas leur Rosaire seront damnés.

Dire son chapelet, cela est bon pour les femmelettes ignorantes, qui ne savent pas lire. Dire son Rosaire? Vaut-il pas mieux dire l’Office de la Sainte Vierge ou réciter les sept psaumes? Y a-t-il rien de si beau que ces psaumes que le Saint-Esprit a dictés?

Vous entreprenez de dire votre Rosaire tous les jours; feu de paille que tout cela, cela ne durera pas longtemps; ne vaut-il pas mieux en prendre moins et y être plus fidèle? Allez, mon cher ami, croyez-moi, faites bien votre prière soir et matin et travaillez pour Dieu pendant la journée, Dieu ne vous demande pas davantage. Si vous n’aviez pas, comme vous avez, votre vie à gagner, encore passe, vous pourriez vous engager à dire votre Rosaire; vous pouvez le dire les dimanches et fêtes à votre loisir, mais non pas les jours ouvriers, il vous faut travailler.

Quoi! avoir un si grand chapelet de bonne femme! J’en ai vu d’une dizaine, il vaut autant qu’un de quinze dizaines. Quoi! porter le chapelet à la ceinture, quelle bigoterie; je vous conseille de le mettre à votre cou, comme font les Espagnols; ce sont de grands diseurs de chapelets, ils portent un grand chapelet d’une main, tandis qu’ils ont dans l’autre une dague pour donner un coup de traître. Laissez là, laissez là ces dévotions extérieures, la vraie dévotion est dans le cœur, etc.

149. Plusieurs habiles gens et grands docteurs, mais esprits forts et orgueilleux, ne vous conseilleront guère le saint Rosaire; ils vous porteront plutôt à réciter les sept psaumes pénitentiaux ou quelques autres prières que celle-là. Si quelque bon confesseur vous a donné en pénitence un Rosaire à dire pendant quinze jours ou un mois, vous n’avez qu’à aller à confesse à quelqu’un de ces messieurs, pour que votre pénitence vous soit changée en quelques autres prières, jeûnes, messes ou aumônes.

Si vous consultez même quelques personnes d’oraison, qu’il y a dans le monde, comme elles ne connaissent point par leur expérience l’excellence du Rosaire, non seulement elles ne le conseilleront pas à personne, mais elles en détourneront les autres pour les appliquer à la contemplation, comme si le Rosaire et la contemplation étaient incompatibles, comme si tant de saints qui ont été dévots au Rosaire n’avaient pas été dans la plus sublime contemplation.

Vos ennemis domestiques vous attaqueront d’autant plus cruellement que vous êtes plus uni avec eux. Je veux dire les puissances de votre âme et les sens de votre corps, les distractions de l’esprit, les ennuis de la volonté, les sécheresses du cœur, les accablements et les maladies du corps, tout cela, de concert avec les malins esprits qui s’y mêleront, vous crieront: Quitte ton Rosaire, c’est lui qui te fait mal à la tête; quitte ton Rosaire, il n’y a point d’obligation sous peine de péché; n’en dis du moins qu’une partie, tes peines sont une marque que Dieu ne veut pas que tu le dises, tu le diras demain quand tu seras mieux disposé, etc.

150. Enfin, mon cher frère, le Rosaire quotidien a tant d’ennemis que je regarde comme une des plus signalées faveurs de Dieu que la grâce d’y persévérer jusqu’à la mort.

Persévérez-y et vous aurez la couronne admirable qui est préparée dans les cieux à votre fidélité: Esto fidelis usque ad mortem et dabo tibi coronam (Ap 2,10).

49ème Rose

151. Afin qu’en récitant votre Rosaire vous gagniez les indulgences accordées aux confrères du saint Rosaire, il est à propos de faire quelques remarques sur les indulgences.

L’indulgence en général est une rémission ou relaxation des peines temporelles, dues pour les péchés actuels, par l’application des satisfactions surabondantes de Jésus-Christ, de la Sainte Vierge et de tous les saints, qui sont renfermées dans les trésors de l’Église.

L’indulgence plénière est une rémission de toutes les peines dues au péché; la non plénière, comme de 100, 1.000 ans, plus ou moins, est la rémission d’autant de peines, qu’on aurait pu expier pendant cent ou mille années, si l’on avait reçu aussi longtemps à proportion des pénitences taxées par les anciens canons de l’Église. Or ces canons ordonnaient pour un seul péché mortel sept et quelquefois dix et quinze ans de pénitence, en sorte qu’une personne qui aurait fait vingt péchés mortels devait pour le moins faire sept, vingt années de pénitence, et ainsi du reste.

152. Pour que les confrères du Rosaire en gagnent les indulgences, il faut: premièrement qu’ils soient vraiment pénitents et confessés et communiés, comme disent les bulles des indulgences; deuxièmement qu’ils n’aient affection à aucun péché véniel, parce que l’affection au péché restant, la coulpe reste, et la coulpe restant, la peine n’est point remise; troisièmement il faut qu’ils fassent les prières et autres bonnes œuvres marquées par la bulle; et si, selon l’intention des papes, on peut gagner une indulgence non plénière, par exemple de 100 ans, sans gagner la plénière, il n’est pas toujours nécessaire pour les gagner d’être confessé et communié, comme sont les indulgences attachées à la récitation du chapelet et Rosaire, aux processions, aux rosaires bénits, etc. Ne négligez pas ces indulgences.

153. «Flammin et un grand nombre d’auteurs rapportent qu’une demoiselle de bon lieu nommée Alexandre, ayant été miraculeusement convertie et enrôlée dans la confrérie du Rosaire par saint Dominique, lui apparut après sa mort et lui dit qu’elle était condamnée à être sept cents ans en purgatoire pour plusieurs péchés qu’elle avait commis et fait commettre à plusieurs par ses vanités mondaines, le priant de la soulager et faire soulager par les prières des confrères du Rosaire, ce qu’il fit. Quinze jours après, elle apparut à saint Dominique, plus brillante qu’un soleil, ayant été délivrée si promptement par les prières que les confrères du Rosaire avaient faites pour elle. Elle avertit aussi le saint qu’elle venait de la part des âmes du Purgatoire, pour l’exhorter à continuer à prêcher le Rosaire et faire en sorte que leurs parents leur fassent part de leurs Rosaires, dont elles les récompenseraient abondamment quand elles seraient avancées dans la gloire» (Cavanac, Merveilles du S. Rosaire, ch. 8).

50ème Rose

154. Afin de vous faciliter l’exercice du saint Rosaire, voici plusieurs méthodes pour le réciter saintement, avec la méditation des mystères joyeux, douloureux et glorieux de Jésus et de Marie. Vous vous arrêterez à celle qui sera le plus à votre goût: vous pourrez vous en former vous-même une autre méthode particulière, comme plusieurs saints personnages ont fait.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Quatrième Dizaine

QUATRIÈME DIZAINE

L’EXCELLENCE DU SAINT ROSAIRE DANS LES MERVEILLES QUE DIEU A OPÉRÉES EN SA FAVEUR

31ème Rose

98. «Saint Dominique étant allé visiter sainte Blanche, reine de France, qui, depuis 12 ans qu’elle était mariée, n’avait point eu d’enfants, et donc elle était fort affligée, lui conseilla de dire son Rosaire tous les jours, pour obtenir cette grâce du ciel, ce qu’elle fit, et elle accoucha, l’an 1213, de son aîné qui fut appelé Philippe. Mais la mort l’ayant ravi en son berceau, la dévote reine eut plus que jamais recours à la Sainte Vierge et elle fit distribuer quantité de rosaires à toute la cour et dans plusieurs villes du royaume, afin que Dieu la comblât d’une entière bénédiction. Ce qui arriva ainsi, car l’an 1215 saint Louis vint au monde, la gloire de la France et le modèle des rois chrétiens» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 1).

99. «Alphonse huitième, roi d’Aragon et de Castille, fut, à cause de ses péchés, châtié de Dieu en plusieurs manières et il fut contraint de se retirer dans une ville de l’un de ses alliés. Saint Dominique, se rencontrant en cette même ville le jour de Noël, y prêcha à son ordinaire le Rosaire et les grâces que l’on obtient de Dieu par cette dévotion et dit, entre autres choses, que ceux qui le réciteraient dévotement obtiendraient la victoire de leurs ennemis et recouvreraient tout ce qu’ils avaient perdu.

Le roi remarque bien ces paroles, envoie quérir saint Dominique et lui demande si ce qu’il avait prêché du saint Rosaire était véritable. Le saint répondit qu’il n’en fallait point douter et lui promit que s’il voulait pratiquer cette dévotion et s’enrôler en la confrérie, il en verrait les effets. Le roi se résolut à réciter tous les jours le Rosaire, et il continua pendant un an, et le même jour de Noël, ayant récité son Rosaire, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit: « Alphonse, il y a un an que tu me sers dévotement par mon Rosaire, je viens te récompenser. Sache que j’ai obtenu de mon Fils le pardon de tous tes péchés; voilà un rosaire que je te donne; porte-le sur toi, et jamais aucun de tes ennemis ne te pourra nuire. » Elle disparut et laissa le roi fort consolé; il s’en retourna, tenant ce rosaire à la main et, abordant la reine, il lui raconta tout joyeux la faveur qu’il venait de recevoir de la Sainte Vierge; il lui toucha les yeux de ce rosaire, elle recouvra la vue qu’elle avait perdue.

Quelque temps après, le roi, ayant ramassé quelques troupes, avec l’aide de ses alliés, attaqua hardiment ses ennemis, les obligea de rendre ses terres, de réparer ses dommages, les chassa entièrement et devint si heureux en guerre que de tous côtés il lui venait des soldats pour combattre sous ses enseignes, parce que les victoires semblaient suivre partout ses batailles. Il ne s’en faut pas étonner, car il ne livrait jamais de combats qu’après avoir récité son Rosaire à genoux; il faisait recevoir dans la confrérie du saint Rosaire toute sa cour et il obligeait ses officiers et domestiques d’y être dévots. La reine s’y engagea aussi, et tous deux persévérèrent au service de la Sainte Vierge et vécurent en grande piété» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 8).

32ème Rose

100. «Saint Dominique avait un cousin nommé dom Perez ou Pedro, qui menait une vie fort dissolue. Ayant entendu que le saint prêchait les merveilles du Rosaire et que plusieurs se convertissaient et changeaient de vie par ce moyen, il dit: « J’avais perdu l’espérance de mon salut, mais je commence à prendre courage, il faut que j’entende cet homme de Dieu. » Il vint donc un jour au sermon de saint Dominque. Quand le saint le vit, il redoubla sa ferveur à tonner contre les vices, et il pria Dieu dans son cœur d’ouvrir les yeux de son cousin pour connaître l’état misérable de son âme.

Dom Perez fut d’abord un peu effrayé; mais il ne résolut pas de se convertir; il retourna une autre fois au sermon et le saint, voyant que ce cœur endurci ne se convertirait pas sans quelque coup extraordinaire, il cria tout haut: « Seigneur Jésus, faites voir à toute cette audience l’état où est celui qui vient d’entrer en votre maison. »

Alors tout le peuple vit dom Perez environné d’une troupe de diables en forme de bêtes horribles qui le tenaient lié avec des chaînes de fer. Chacun s’enfuit tout effrayé qui de-çà, qui de-là, et lui fut encore plus épouvanté de se voir l’objet de l’horreur de tout le monde. Saint Dominique les fit tous arrêter et dit à ce seigneur: « Connaissez, malheureux, l’état déplorable où vous êtes; jetez-vous aux pieds de la Sainte Vierge. » Il lui envoya un rosaire. « Prenez ce rosaire, récitez-le avec dévotion et repentance de vos péchés et faites résolution de changer de vie. »

Il se mit à genoux, récita le Rosaire; il se sentit inspiré de se confesser, ce qu’il fit avec une grande contrition. Le saint lui ordonna de dire tous les jours le saint Rosaire; il promit de le faire; il écrivit lui-même son nom dans la confrérie. Son visage, qui auparavant avait effrayé tout le monde, parut, sortant de l’église, brillant comme celui d’un ange. Il persévéra dans la dévotion du Rosaire, mena une vie fort réglée et mourut heureusement» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 1).

33ème Rose

101. Saint Dominique prêchant près de Carcassonne le saint Rosaire, on lui amena un hérétique albigeois possédé par le démon. Le saint l’exorcisa en présence d’une grande multitude de peuple; on tient qu’il y avait plus de douze mille hommes à l’entendre. Les démons, qui possédaient ce pauvre misérable, étant obligés de répondre malgré eux aux interrogations que le saint leur faisait, dirent:

1. Qu’ils étaient quinze mille dans le corps de ce misérable, parce qu’il avait attaqué les quinze mystères du Rosaire;

2. Que, par le Rosaire qu’il prêchait, il mettait la terreur et l’épouvante dans tout l’enfer, et qu’il était l’homme du monde qu’ils haïssaient davantage à cause des âmes qu’il leur enlevait par la dévotion du Rosaire;

3. Ils révélèrent plusieurs autres particularités.

Saint Dominique, ayant jeté son rosaire au cou du possédé, leur demanda qui, de tous les saints du ciel, ils craignaient davantage et devait être plus aimé et honoré des hommes.

A cette interrogation, ils firent des cris si épouvantables que la plupart des auditeurs, saisis d’effroi, tombèrent par terre. Ensuite, ces malins esprits, pour ne pas répondre, pleurèrent et se lamentèrent d’une manière si pitoyable, si touchante, que plusieurs des assistants en pleurèrent eux-mêmes, par une pitié naturelle. Ils disaient par la bouche du possédé d’un ton de voix lamentable: «Dominique, Dominique, aie pitié de nous, nous te promettons que nous ne te nuirons jamais.

Toi qui as tant pitié des pécheurs et misérables, aie pitié de nous, misérables. Hélas, nous souffrons tant, pourquoi prends-tu plaisir à augmenter nos peines? Contente-toi des peines que nous endurons. Miséricorde! miséricorde! miséricorde!»

102. Le saint, sans être touché des paroles tendres de ces esprits malheureux, leur répondit qu’il ne cesserait de les tourmenter jusqu’à ce qu’ils eussent répondu à la question. Les démons lui dirent qu’ils y répondraient, mais en secret et à l’oreille, et non pas devant tout le monde. Le saint incite et leur commande de parler et répondre tout haut. Les diables ne voulurent plus dire mot, quelque commandement qu’il leur fit.

Il se mit à genoux et fit cette prière à la Sainte Vierge: «O excellentissima Virgo Maria, per virtutem psalterii et rosarii tui, compelle hos humani generis hostes questioni meae satisfacere. — O très sainte Vierge Marie, par la vertu du saint Rosaire, ordonnez à ces ennemis du genre humain de répondre à ma question.»

Cette prière étant faite, voilà qu’une flamme ardente sortit des oreilles, des narines et de la bouche du possédé, qui fit trembler tout le monde, mais cependant qui ne fit de mal à personne. Alors les diables s’écrièrent: «Dominique, nous te prions, par la passion de Jésus-Christ et par les mérites de sa sainte Mère et de tous les saints, que tu nous permettes de sortir de ce corps sans rien dire; car les anges, quand tu le voudras, te le révèleront. Ne sommes-nous pas des menteurs? Pourquoi veux-tu nous croire? Ne nous tourmente pas davantage, aie pitié de nous.»

«Malheureux que vous êtes, indignes d’être exaucés», dit saint Dominique, qui, se mettant encore à genoux, fit sa prière à la Sainte Vierge: «O Mater sapientiae dignissima et de cujus salutatione quomodo illa fieri debeat jam edoctus est populus; pro salute populi circumstantis rogo: Coge hosce tuos adversarios, ut plenam et sinceram veritatem palam hic profiteantur» (O très digne Mère de la Sagesse, je prie pour ce peuple ici présent qui déjà est instruit de la manière de bien dire la Salutation angélique: Forcez vos ennemis à confesser en public la vérité pleine et sincère sur ce point). Il n’eut pas plus tôt fini sa prière, qu’il vit la Sainte Vierge auprès de lui, entourée d’une grande multitude d’anges, qui, avec une verge d’or qu’elle tenait à la main, frappait le démoniaque en lui disant: «Réponds à mon serviteur Dominique, selon sa demande.» Il faut remarquer que le peuple n’entendait ni ne voyait point la Sainte Vierge; il n’y avait que saint Dominique.

103. Alors les démons commencèrent à s’écrier en disant: «O inimica nostra, o nostra damnatrix, o nostra inimica, o nostra damnatrix, o confusio nostra, quare de coelo descendisti, ut nos hic ita torqueres? Per te quae infernum evacuas et pro peccatoribus tanquam potens advocata exoras; o Via coeli certissima et securissima, cogimur sine mora et intermissione ulla, nobis quamvis invitis, et contra nitentibus, totam rei proferre veritatem. Nunc declarandum nobis est simulque publicandum ipsum medium et modus quo ipsimet confundamur, unde vae et maledictio in aeternum nostris tenebrarum principibus.

Audite igitur vos, christiani. Haec Christi Mater potentissima est in preservandis suis servis quominus precipites ruant in baratrum nostrum inferni. Illa est quae dissipat et enervat, ut sol, tenebras omnium machinarum et astutiarum nostrarum, detegit omnes fallacias nostras et ad nihilum redigit omnes nostras tentationes. Coactique fatemur neminem nobiscum damnari qui ejus sancto cultui et pio obsequio devotus perseverat. Unicum ipsius suspirium, ab ipsa et per ipsam sanctissimae Trinitati oblatum, superat et excedit omnium sanctorum preces, atque pium et sanctum eorum votum et desiderium, magisque eum formidamus quam omnes paradisi sanctos; nec contra fideles ejus famulos quidquam praevalere possumus.

Notum sit etiam vobis plurimos christianos in hora mortis ipsam invocantes contra nostra jura salvari, et nisi Marietta illa obstitisset nostrosque conatus repressisset, a longo jam tempore totam Ecclesiam exterminassemus, nam saepissime universos Ecclesiae status et ordines a fide deficere fecissemus. Imo planius et plenius vi et necessitate compulsi, adhuc vobis dicimus, nullum in exercitio Rosarii sive psalterii ejus perseverantem aeternos inferni subire cruciatus. Ipsa enim devotis servis suis veram impetrat contritionem qua fit ut peccata sua confiteantur, et eorum indulgentiam a Deo consequantur.»

104. C’est-à-dire en français: «O notre ennemie, ô notre ruine, ô notre confusion, pourquoi êtes-vous venue exprès du ciel pour nous tourmenter si fort? Faut-il que, malgré nous, ô avocate des pécheurs qui les retirez des enfers, ô chemin très assuré du paradis, nous soyons obligés de dire toute la vérité? Faut-il que nous confessions devant tout le monde ce qui sera la cause de notre confusion et de notre ruine? Malheur à nous, malheur à nos princes des ténèbres. Écoutez donc, chrétiens. Cette Mère de Jésus-Christ est toute puissante pour empêcher que ses serviteurs ne tombent en enfer; c’est elle qui, comme un soleil, dissipe les ténèbres de nos machines et finesses; c’est elle qui évente nos mines, qui rompt nos pièges et rend toutes nos tentations inutiles et sans effet. Nous sommes contraints d’avouer qu’aucun de ceux qui persévèrent dans son service n’est damné avec nous. Un seul de ses soupirs, qu’elle offre à la Sainte-Trinité, surpasse toutes les prières, les vœux et les désirs de tous les saints. Nous la craignons plus que tous les bienheureux ensemble et nous ne pouvons rien contre ses fidèles serviteurs.

Plusieurs chrétiens mêmes qui l’invoquent à la mort, et qui devraient selon nos lois ordinaires être damnés, sont sauvés par son intercession. Ah! si cette Mariette (c’est ainsi que leur rage la faisait appeler) ne s’était opposée à nos desseins et à nos efforts, nous aurions depuis longtemps renversé et détruit l’Église et fait tomber tous ses ordres dans l’erreur et l’infidélité. Nous protestons de plus, par la violence qu’on nous fait, qu’aucun de ceux qui persévèrent à dire le Rosaire n’est damné; car elle obtient à ses dévots serviteurs une vraie contrition de leurs péchés par laquelle ils en obtiennent le pardon et l’indulgence.»

Alors saint Dominique fit réciter le Rosaire à tout le peuple, fort lentement et dévotement, et, à chaque Ave Maria que le saint et le peuple récitaient (chose étonnante), il sortait du corps de ce malheureux une grande multitude de démons, en forme de charbons ardents. Les démons étant tous sortis et l’hérétique fut tout à fait délivré, la Sainte Vierge donna, quoique invisiblement, sa bénédiction à tout le peuple, qui en ressentit une joie très sensible. Ce miracle fut cause qu’un grand nombre d’hérétiques se convertirent et se mirent de la confrérie du saint Rosaire.

34ème Rose

105. «Qui pourrait raconter les victoires que Simon, comte de Montfort, a remportées sur les Albigeois sous la protection de Notre-Dame du Rosaire? Elles sont si fameuses que le monde n’en a jamais vu de pareilles. Il défit une fois dix mille hérétiques avec cinq cents hommes; une autre fois, avec trente, il demeura vainqueur de trois mille; ensuite avec huit cents cavaliers et mille hommes d’infanterie, il tailla en pièces l’armée du roi d’Aragon, composée de cent mille hommes, sans perdre qu’un seul cavalier et huit soldats des siens.

106. De quels dangers la Sainte Vierge a-t-elle délivré Alain de l’Anvallay, chevalier breton, qui combattait pour la foi contre les Albigeois! Un jour, étant environné de ses ennemis de tous côtés, la Sainte Vierge lança contre eux cent cinquante pierres et le délivra de leurs mains.

Un autre jour, son vaisseau ayant fait naufrage et étant près d’abîmer, cette bonne Mère lui fit paraître cent cinquante petites collines par sur lesquelles il aborda en Bretagne. Et en mémoire des miracles que la Sainte Vierge avait faits en sa faveur à cause d’un Rosaire qu’il récitait tous les jours, il prépara un couvent à Dinan pour loger les religieux du nouvel ordre de saint Dominique et, s’étant fait religieux, il mourut saintement à Orléans.

107. Othère, de même soldat breton de Vaucouleurs, a souvent mis en fuite des compagnies entières d’hérétiques et de voleurs, portant son rosaire au bras et à la garde de son épée. Ses ennemis, après avoir été vaincus, lui ont avoué qu’ils avaient vu son épée toute éclatante et une fois un bouclier à son bras, dans lequel Jésus-Christ, la Sainte Vierge et les saints étaient dépeints, le rendaient invincible et lui donnaient la force de bien charger.

Une fois, avec dix compagnies, il défit vingt mille hérétiques sans perdre un seul des siens, ce qui toucha tellement le général de l’armée hérétique, qu’il vint trouver Othère, abjura son hérésie et déclara qu’il l’avait vu couvert d’armes de feu dans le combat» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 8).

35ème Rose

108. Le bienheureux Alain rapporte qu’un cardinal nommé Pierre, du titre de Sainte-Marie delà le Tibre, instruit par saint Dominique, son ami intime, de la dévotion au saint Rosaire, s’y affectionna tellement qu’il en devint le panégyriste et le persuadait à tous. Le cardinal fut envoyé légat dans la Terre Sainte vers les chrétiens qui étaient croisés contre les Sarrasins. Il persuada si bien l’efficace du Rosaire à l’armée chrétienne que tous l’ayant embrassé pour implorer le secours du ciel dans un combat, où ils n’étaient que trois mille, ils triomphèrent de cent mille.

Les démons, comme nous avons vu, craignent infiniment le Rosaire. Saint Bernard dit que la Salutation angélique leur donne la chasse et fait frémir tout l’enfer. Le bienheureux Alain assure qu’il a vu plusieurs personnes, qui s’étaient livrées au diable corps et âme, en renonçant au baptême et à Jésus-Christ, et puis, après avoir pris la dévotion du saint Rosaire, ont été délivrées de sa tyrannie.

36ème Rose

109. «L’an 1578, une femme d’Anvers s’était donnée au démon par une cédule signée de son sang. Quelque temps après, elle en eut un sensible regret et un grand désir de réparer le mal qu’elle avait fait. Elle chercha un confesseur prudent et charitable, pour savoir par quel moyen elle pourrait être affranchie de la puissance du diable.

Elle trouva un prêtre sage et dévot, qui lui conseilla d’aller trouver le père Henri, directeur de la confrérie du saint Rosaire, du couvent de Saint-Dominique, pour s’y faire enrôler et se confesser. Elle le demanda et, au lieu du Père, elle trouva le diable, sous la figure d’un religieux, qui la reprit sévèrement et lui dit qu’elle n’avait plus de grâces à espérer de Dieu, ni de moyen de révoquer ce qu’elle avait signé, ce qui l’affligea fort. Mais elle ne perdit pas toute espérance en la miséricorde de Dieu, elle retourna encore chercher le Père et elle trouva encore le diable, qui la rebuta comme auparavant. Elle retourna pour la troisième fois et elle trouva par la permission divine le père Henri qu’elle cherchait, qui la reçut charitablement, l’exhorta à se confier en la bonté de Dieu et à faire une bonne confession; il la reçut dans la confrérie et lui ordonna de réciter souvent le Rosaire. Un jour, pendant la Messe que le Père célébrait pour elle, la Sainte Vierge força le diable de lui rendre la cédule qu’elle avait signée; et ainsi elle fut délivrée par l’autorité de Marie et la dévotion du saint Rosaire» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 7).

37ème Rose

110. «Un seigneur qui avait plusieurs enfants mit une de ses filles dans un monastère entièrement déréglé, où les religieuses ne respiraient que la vanité et les plaisirs. Le confesseur, homme fervent et dévot au saint Rosaire, désirant d’abord conduire cette jeune religieuse dans les pratiques d’une meilleure vie, lui ordonna de réciter tous les jours le Rosaire en l’honneur de la Sainte Vierge, méditant la vie, la passion et la gloire de Jésus-Christ. Elle agréa fort cette dévotion; peu à peu elle eut du dégoût du dérèglement de ses sœurs; elle commença à aimer le silence et l’oraison, malgré les mépris et les railleries des autres, qui la traitaient de bigote.

En ce temps-là, un saint abbé, étant allé faire la visite dans ce monastère, eut une étrange vision, en son oraison; il lui sembla voir une religieuse dans sa chambre en oraison, devant une grande dame d’une beauté admirable, accompagnée d’une troupe d’anges, lesquels à coup de dards enflammés chassaient une multitude de démons qui voulaient entrer. Et ces esprits malins s’enfuyaient aux chambres des autres religieuses, sous la figure de sales animaux, pour les exciter au péché auquel plusieurs donnaient entrée.

L’abbé connut, par cette vision, l’état malheureux de ce monastère et pensa mourir de tristesse; il fit venir la jeune religieuse et l’exhorta à la persévérance. En faisant réflexion sur l’excellence du Rosaire, il prit dessein de réformer ces religieuses par cette dévotion. Il acheta de beaux rosaires qu’il donna à toutes les religieuses, les persuadant de le réciter tous les jours et leur promit, si elles voulaient bien le faire, de ne les contraindre jamais de se réformer. Elles reçurent agréablement ces rosaires et promirent de le réciter à cette condition. (Chose admirable!) Peu à peu elles quittèrent leurs vanités, se portèrent au silence et à la récollection, et en moins d’un an, elles demandèrent toutes la réforme. Le Rosaire opéra plus sur leurs cœurs que l’abbé n’aurait pu gagner par ses exhortations et son autorité» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 5).

38ème Rose

111. «Une comtesse d’Espagne, ayant été instruite dans la dévotion du saint Rosaire par saint Dominique, le disait tous les jours avec des avancements merveilleux dans la vertu. Comme elle ne respirait que la perfection, elle demanda un jour à un prélat et fameux prédicateur quelques pratiques de perfection. Ce prélat lui dit qu’il fallait, auparavant, lui déclarer l’état de son âme et ses exercices de piété; elle lui dit que le principal était le Rosaire, qu’elle récitait tous les jours, méditant les mystères joyeux, douloureux et glorieux avec un grand profit spirituel de son âme. L’évêque, ravi d’entendre expliquer les rares instructions qui sont renfermées dans les mystères, lui dit: « Il y a vingt ans que je suis docteur en théologie, j’ai lu quantité d’excellentes pratiques de dévotion; mais je n’en ai pas connu de plus fructueuses ni de plus conformes au christianisme. Je veux vous imiter, je prêcherai le Rosaire. » Il le fit avec un si heureux succès, qu’à peu de temps il vit un très grand changement de mœurs en son diocèse, plusieurs conversions, restitutions et réconciliations; les débauches, le jeu, le luxe cessèrent; la paix dans les familles, la dévotion et la charité commencèrent à fleurir. Changement d’autant plus admirable que cet évêque avait beaucoup travaillé à réformer son diocèse avec très peu de fruit.

Pour mieux persuader la dévotion du Rosaire, il en portait un beau à son côté et le montrait à ses auditeurs. Il disait: « Sachez, mes frères, que le Rosaire de la Sainte Vierge est si excellent, que moi, qui suis votre évêque, docteur en théologie, en l’un et l’autre droit, je fais gloire de le porter toujours comme la plus illustre marque de mon épiscopat et doctorat »» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 6).

39ème Rose

112. «Un recteur d’une paroisse de Danemark racontait souvent, à la plus grande gloire de Dieu et avec une grande joie de son âme, qu’il avait vu un pareil fruit de la dévotion du Rosaire dans sa paroisse, que cet évêque dans son diocèse.

« J’avais, disait-il, prêché toutes les matières les plus pressantes et les plus fructueuses, sans aucun profit; je ne voyais aucun amendement dans ma paroisse; enfin je fis résolution de prêcher le saint Rosaire, j’en expliquai l’excellence et sa pratique, et je proteste qu’après avoir fait goûter cette dévotion à mon peuple, je vis un changement évident dans six mois.

Tant il est véritable que cette divine prière a une onction toute divine pour toucher les cœurs et leur inspirer l’horreur du péché et l’amour de la vertu »» (Rosier mystique, 7ème dizaine, ch. 6).

La Sainte Vierge dit un jour au bienheureux Alain: Comme Dieu a choisi le salut angélique pour l’Incarnation de son Verbe et la Rédemption des hommes, ainsi, ceux qui désirent réformer les mœurs des peuples et les régénérer en Jésus-Christ me doivent honorer et saluer par le même salut. Je suis, ajoute-t-elle, la voie par laquelle Dieu est venu aux hommes et il faut qu’après Jésus-Christ ils obtiennent la grâce et les vertus par mon moyen.

113. Pour moi, qui écris, j’ai appris, par ma propre expérience, la force de cette prière pour convertir les cœurs les plus endurcis. J’en ai trouvé sur lesquels toutes les plus terribles vérités prêchées dans une mission n’avaient fait aucune impression et qui, pour avoir, par mon conseil, pris la pratique de réciter tous les jours le Rosaire, se sont convertis et donnés tout à Dieu.

J’ai vu une infinie différence entre les mœurs des peuples des paroisses où j’avais fait des missions, parce que les uns, ayant quitté la pratique du chapelet et du Rosaire, étaient retombés dans leurs péchés; et les autres, pour l’avoir conservée, s’étaient conservés dans la grâce de Dieu et augmentaient tous les jours dans la vertu.

40ème Rose

114. Le bienheureux Alain de la Roche, le Père Jean Dumont, le Père Thomas, les chroniques de saint Dominique et d’autres auteurs qui ont été souvent témoins oculaires, rapportent d’une grande quantité de conversions miraculeuses de pécheurs et pécheresses, qui, depuis 20, 30 et 40 ans étaient dans les derniers désordres, que rien n’avait pu les convertir et qui l’ont été par cette dévotion merveilleuse. Je ne les rapporterai point, de peur d’une trop grande longueur.

Je ne veux pas même rapporter celles que j’ai vues moi-même, de mes propres yeux; je les passe sous silence pour plusieurs raisons.

Cher lecteur, par votre expérience, si vous pratiquez et prêchez cette dévotion, vous en apprendrez plus qu’en aucun livre et vous expérimenterez heureusement l’effet des promesses qu’a faites la Sainte Vierge à saint Dominique, au bienheureux Alain de la Roche et à ceux qui font fleurir cette dévotion qui lui est si agréable, qui instruit les peuples des vertus de son Fils et des siennes, porte à l’oraison mentale, à l’imitation de Jésus-Christ, à la fréquentation des sacrements, à la pratique solide des vertus, et de toutes sortes de bonnes œuvres, à gagner tant de belles indulgences que les peuples ignorent parce que les prédicateurs de cette dévotion n’en parlent quasi jamais et se contentent de faire un sermon du Rosaire, à la mode, bien souvent qui ne cause que de l’admiration, point d’instruction.

115. Enfin, je me contente de vous dire, avec le bienheureux Alain de la Roche, que le Rosaire est une source et un magasin de toutes sortes de biens:

1º P Peccatoribus praestat poenitentiam;

2º S Sitientibus stillat satietatem;

3º A Alligatis adducit absolutionem;

4º L Lugentibus largitur laetitiam;

5º T Tentatis tradit tranquillitatem;

6º E Egenis expellit egestatem;

7º R Religiosis reddit reformationem;

8º I Ignorantibus inducit intelligentiam;

9º V Vivis vincit vastitatem;

10º M Mortuis mittit misericordiam per modum suffragii.

(1º Les pécheurs obtiennent le pardon;

2º Les âmes altérées sont rassasiées;

3º Ceux qui sont liés voient leurs entraves brisées;

4º Ceux qui pleurent trouvent la joie;

5º Ceux qui sont tentés trouvent la tranquillité;

6º Les indigents reçoivent du secours;

7º Les religieux sont réformés;

8º Les ignorants sont instruits;

9º Les vivants triomphent de la décadence;

10º Les morts sont soulagés par manière de suffrage.)

«Volo», dit un jour la Sainte Vierge au bienheureux Alain, «ut psaltae mei in vita et in morte, et post mortem, habeant benedictionem, gratiae plenitudinem ac libertatem, immunesque sint a caecitate, obduratione, inopia ac servitute.»

Je veux que les dévots de mon Rosaire aient la grâce et la bénédiction de mon Fils pendant leur vie, à leur mort, et après leur mort, et qu’ils soient affranchis de toutes sortes d’esclavages et qu’ils soient des rois, qu’ils aient la couronne sur la tête, le sceptre à la main et la gloire éternelle. Ainsi soit-il.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Troisième Dizaine

TROISIÈME DIZAINE

EXCELLENCE DU SAINT ROSAIRE DANS LA MÉDITATION DE LA VIE ET DE LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

21ème Rose

Les quinze mystères du Rosaire

60. Un mystère est une chose sacrée et difficile à comprendre. Les œuvres de Jésus-Christ sont toutes sacrées et divines, parce qu’il est Dieu et homme tout ensemble. Celles de la Sainte Vierge sont très saintes, parce qu’elle est la plus parfaite de toutes les pures créatures. On appelle avec raison les œuvres de Jésus-Christ et de sa sainte Mère des mystères, parce qu’elles sont remplies de quantité de merveilles, de perfections et d’instructions profondes et sublimes, que le Saint-Esprit découvre aux humbles et aux âmes simples qui les honorent.

On peut encore appeler les œuvres de Jésus et de Marie des fleurs admirables, dont l’odeur et la beauté ne sont connues que de ceux qui les approchent, qui les flairent et qui les ouvrent par une attentive et sérieuse méditation.

61. Saint Dominique a partagé la vie de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge en quinze mystères, qui nous représentent leurs vertus et leurs principales actions comme quinze tableaux dont les traits doivent nous servir de règle et d’exemple pour la conduite de notre vie. Ce sont quinze flambeaux pour guider nos pas dans ce monde; quinze miroirs ardents pour connaître Jésus et Marie, pour nous connaître nous-mêmes et pour allumer le feu de leur amour dans nos cœurs; quinze fournaises pour nous consumer entièrement de leurs célestes flammes.

La Sainte Vierge a enseigné à saint Dominique cette excellente méthode de prier et lui a ordonné de la prêcher, afin de réveiller la piété des chrétiens et de faire revivre l’amour de Jésus-Christ dans leurs cœurs. Elle l’enseigna aussi au bienheureux Alain de la Roche. «C’est une prière très utile, lui dit-elle, c’est un service qui m’est fort agréable, que de réciter cent cinquante Salutations angéliques. Il me l’est encore davantage, et ceux-là feront encore beaucoup mieux, qui réciteront les salutations avec la méditation de la vie, de la passion et de la gloire de Jésus-Christ, car cette méditation est l’âme de ces oraisons.» En effet, le Rosaire, sans la méditation des mystères sacrés de notre salut, ne serait presque qu’un corps sans âme, une excellente matière sans sa forme qui est la méditation, qui le distingue des autres dévotions.

62. La première partie du Rosaire contient cinq mystères, dont le premier est l’Annonciation de l’archange Gabriel à la Sainte Vierge; le second, la Visitation de la Sainte Vierge à sainte Élisabeth; le troisième, la Nativité de Jésus-Christ; le quatrième, la Présentation de l’Enfant Jésus au temple et la purification de la Sainte Vierge; le cinquième, le Recouvrement de Jésus dans le temple parmi les docteurs. On appelle ces Mystères joyeux à cause de la joie qu’ils ont donnée à tout l’univers. La Sainte Vierge et les anges furent comblés de joie au moment heureux où le Fils de Dieu s’incarna. Sainte Élisabeth et saint Jean-Baptiste furent remplis de joie par la visite de Jésus et de Marie. Le ciel et la terre se sont réjouis à la naissance du Sauveur. Siméon fut consolé et comblé de joie, quand il reçut Jésus dans ses bras. Les docteurs étaient ravis d’admiration en entendant les réponses de Jésus; et qui exprimera la joie de Marie et de Joseph en retrouvant Jésus après trois jours d’absence?

63. La seconde partie du Rosaire se compose aussi de cinq mystères que l’on appelle Mystères douloureux, parce qu’ils nous représentent Jésus-Christ accablé de tristesse, couvert de plaies, chargé d’opprobres, de douleurs et de tourments. Le premier de ces mystères est la prière de Jésus et son Agonie au jardin des Olives; le second, sa Flagellation; le troisième, son Couronnement d’épines; le quatrième, le Portement de Croix; le cinquième, son Crucifiement et sa mort sur le Calvaire.

64. La troisième partie du Rosaire contient cinq autres mystères qu’on appelle glorieux, parce que nous y contemplons Jésus et Marie dans le triomphe et dans la gloire. Le premier est la Résurrection de Jésus-Christ; le second, son Ascension au ciel; le troisième, la Descente du Saint-Esprit sur les apôtres; le quatrième, l’Assomption de la glorieuse Vierge; le cinquième, son Couronnement.

Voilà les quinze fleurs odoriférantes du Rosier mystique sur lesquelles les âmes pieuses s’arrêtent comme de sages abeilles, pour en cueillir le suc admirable et en composer le miel d’une dévotion solide.

22ème Rose

La méditation des mystères nous conforme à Jésus

65. Le soin principal de l’âme chrétienne est de tendre à la perfection. Soyez les fidèles imitateurs de Dieu, comme ses enfants bien-aimés, nous dit le grand Apôtre (Ep 5,1). Cette obligation est comprise dans le décret éternel de notre prédestination, comme l’unique moyen ordonné pour parvenir à la gloire éternelle. Saint Grégoire de Nysse dit gracieusement que nous sommes des peintres. Notre âme est la toile d’attente sur laquelle nous devons appliquer le pinceau, les vertus sont les couleurs qui doivent relever son éclat, et l’original que nous devons copier, c’est Jésus-Christ, l’image vivante qui représente parfaitement le Père éternel. Comme donc un peintre pour tirer un portrait au naturel se met devant les yeux l’original, et qu’à chaque coup de pinceau qu’il donne il regarde, de même le chrétien doit toujours avoir devant les yeux la vie et les vertus de Jésus-Christ, pour ne rien dire, ne rien penser, ne rien faire qui n’y soit conforme.

66. C’est pour nous aider dans l’important ouvrage de notre prédestination, que la Sainte Vierge a ordonné à saint Dominique d’exposer aux fidèles qui récitent le Rosaire les mystères sacrés de la vie de Jésus-Christ, non seulement afin qu’ils l’adorent et le glorifient, mais principalement afin qu’ils règlent leur vie et leurs actions sur ses vertus. Or, comme les enfants imitent leurs parents en les voyant et en conversant avec eux; qu’ils apprennent leur langage en les entendant parler; qu’un apprenti, en voyant travailler son maître, apprend son art; de même les fidèles confrères du Rosaire, en considérant sérieusement et dévotement les vertus de Jésus-Christ, dans les quinze mystères de sa vie, deviennent semblables à ce divin Maître, avec le secours de sa grâce et par l’intercession de la Sainte Vierge.

67. Si Moïse ordonna au peuple hébreu, de la part de Dieu même, de ne jamais oublier les bienfaits dont il avait été comblé, à plus forte raison le Fils de Dieu peut-il nous commander de graver dans notre cœur et d’avoir sans cesse devant les yeux les mystères de sa vie, de sa passion et de sa gloire, puisque ce sont autant de bienfaits dont il nous a favorisés et par lesquels il nous a montré l’excès de son amour pour notre salut. «O vous tous qui passez, dit-il, arrêtez-vous et considérez s’il y eut jamais douleurs semblables aux douleurs que j’endure pour votre amour (Lm 1,12). Souvenez-vous de ma pauvreté et de mes abaissements, pensez à l’absinthe et au fiel que j’ai pris pour vous dans ma passion (Lm 3,19).»

Ces paroles et beaucoup d’autres qu’on pourrait alléguer nous convainquent assez de l’obligation que nous avons de ne pas nous contenter de réciter le Rosaire vocalement en l’honneur de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge, mais de le réciter avec la méditation des mystères sacrés.

23ème Rose

Le Rosaire mémorial de la vie et de la mort de Jésus

68. Jésus-Christ, le divin Époux de nos âmes, notre très doux ami, Jésus désire que nous nous souvenions de ses bienfaits et que nous les estimions sur toutes choses; il a une joie accidentelle, aussi bien que la Sainte Vierge avec tous les saints du paradis, lorsque nous méditons dévotement et avec affection sur les mystères sacrés du Rosaire, qui sont les effets les plus signalés de son amour pour nous et les plus riches présents qu’il puisse nous faire, puisque c’est par de tels présents que la Sainte Vierge même et tous les saints jouissent de la gloire.

«La bienheureuse Angèle de Foligno pria un jour Notre-Seigneur de lui enseigner à quel exercice elle l’honorerait le plus. Il lui apparut attaché à la croix et lui dit: « Ma fille, regarde mes plaies. » Elle apprit de ce très aimable Sauveur que rien ne lui est plus agréable que la méditation de ses souffrances. Ensuite il lui découvrit les blessures de sa tête et plusieurs circonstances de ses tourments et lui dit: « J’ai souffert tout cela pour ton salut, que peux-tu faire qui égale mon amour pour toi? »» (Rosier mystique, 4ème dizaine, ch. 7).

69. Le saint sacrifice de la Messe honore infiniment la très sainte Trinité, parce qu’il représente la passion de Jésus-Christ et que nous y offrons les mérites de son obéissance, de ses souffrances et de son sang. Toute la cour céleste en reçoit aussi une gloire accidentelle, et plusieurs docteurs, avec saint Thomas, nous disent, pour la même raison, qu’elle se réjouit de la communion des fidèles, parce que le Saint-Sacrement est un mémorial de la passion et de la mort de Jésus-Christ, et que, par ce moyen, les hommes participent à ses fruits et avancent l’affaire de leur salut.

Or, le saint Rosaire, récité avec la méditation des mystères sacrés, est un sacrifice de louanges à Dieu pour le bienfait de notre Rédemption et un dévot souvenir des souffrances, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ. Il est donc vrai que le Rosaire cause une gloire, une joie accidentelle à Jésus-Christ, à la Sainte Vierge et à tous les bienheureux, car ils ne désirent rien de plus grand, pour notre bonheur éternel, que de nous voir occupés à un exercice aussi glorieux à notre Sauveur et aussi salutaire pour nous.

70. L’Évangile nous assure qu’un pécheur qui se convertit et fait pénitence cause de la joie à tous les anges. Si c’est assez pour réjouir les anges qu’un pécheur quitte ses péchés et en fasse pénitence, quelle joie, quelle jubilation sera-ce pour toute la cour céleste, quelle gloire pour Jésus-Christ même, de nous voir sur la terre, méditer dévotement et avec amour sur ses abaissements, sur ses tourments, sur sa mort cruelle et ignominieuse? Y a-t-il rien de plus efficace, pour nous toucher et nous porter à une sincère pénitence?

Le chrétien qui ne médite pas sur les mystères du Rosaire montre une grande ingratitude pour Jésus-Christ et le peu d’estime qu’il fait de tout ce que le divin Sauveur a souffert pour le salut du monde. Sa conduite semble dire qu’il ignore la vie de Jésus-Christ, qu’il se met fort peu en peine d’apprendre ce qu’il a fait, ce qu’il a souffert pour nous sauver. Ce chrétien doit fort craindre que, n’ayant pas connu Jésus-Christ, ou que l’ayant mis en oubli, il ne le rejette au jour du jugement avec ce reproche: «Je vous dis en vérité que je ne vous connais point» (Mt 25,12).

Méditons donc sur la vie et les souffrances du Sauveur par le saint Rosaire, apprenons à le bien connaître et à reconnaître ses bienfaits, afin qu’il nous reconnaisse pour ses enfants et pour ses amis au jour du jugement.

24ème Rose

La méditation des mystères du Rosaire est un grand moyen de perfection

71. Les saints faisaient leur principale étude de la vie de Jésus-Christ, ils ont médité sur ses vertus et sur ses souffrances, et, par ce moyen, ils sont arrivés à la perfection chrétienne. Saint Bernard a commencé par cet exercice, qu’il a toujours continué. «Dès le commencement de ma conversion, dit-il, je fis un bouquet de myrrhe composé des douleurs de mon Sauveur; je mis ce bouquet sur mon cœur, pensant aux fouets, aux épines et aux clous de la passion. J’appliquai tout mon esprit à méditer tous les jours sur ces mystères.»

C’était aussi l’exercice des saints martyrs; nous admirons comment ils ont triomphé des plus cruels tourments. D’où pouvait venir cette admirable constance des martyrs, dit saint Bernard, sinon des plaies de Jésus-Christ, sur lesquelles ils faisaient leur plus fréquente méditation? Où était l’âme de ces généreux athlètes, lorsque leur sang coulait et que leur corps était broyé par les supplices? Leur âme était dans les plaies de Jésus-Christ et ces plaies les rendaient invincibles.

72. La très sainte Mère du Sauveur ne s’est occupée toute sa vie qu’à méditer sur les vertus et les souffrances de son Fils. Lorsqu’elle entendit les anges chanter à sa naissance leur cantique d’allégresse, lorsqu’elle vit les pasteurs l’adorer dans l’étable, son esprit fut rempli d’admiration et elle méditait toutes ces merveilles. Elle comparait les grandeurs du Verbe incarné à ses profonds abaissements; la paille et la crèche, à son trône et au sein de son Père; la puissance d’un Dieu, à la faiblesse d’un enfant; sa sagesse, à sa simplicité.

La Sainte Vierge dit un jour à sainte Brigitte: «Lorsque je contemplais la beauté, la modestie, la sagesse de mon Fils, mon âme était transportée de joie, et lorsque je considérais ses mains et ses pieds qu’on percerait avec des clous, je versais un torrent de larmes, le cœur me fendait de tristesse et de douleur.»

73. Après l’Ascension de Jésus-Christ, la Sainte Vierge passa le reste de sa vie à visiter les lieux que ce divin Sauveur avait sanctifiés par sa présence et par ses tourments. Là, elle méditait sur l’excès de sa charité et sur les rigueurs de sa passion. C’était encore l’exercice continuel de Marie-Madeleine pendant les trente années qu’elle vécut dans la Sainte-Baume. Enfin saint Jerôme dit que c’était la dévotion des premiers fidèles. De tous les pays du monde ils venaient en Terre Sainte pour graver plus profondément dans leurs cœurs l’amour et le souvenir du Sauveur des hommes, par la vue des objets et des lieux qu’il avait consacrés par sa naissance, par ses travaux, par ses souffrances et par sa mort.

74. Tous les chrétiens n’ont qu’une foi, n’adorent qu’un Dieu, n’espèrent qu’une même félicité dans le ciel; ils ne connaissent qu’un médiateur qui est Jésus-Christ; tous doivent imiter ce divin modèle, et pour cela considérer les mystères de sa vie, de ses vertus et de sa gloire. C’est une erreur de s’imaginer que la méditation des vérités de la foi et des mystères de la vie de Jésus-Christ ne regarde que les prêtres, les religieux et ceux qui se sont retirés des embarras du monde. Si les religieux et les ecclésiastiques sont obligés de méditer sur les grandes vérités de notre sainte religion pour répondre dignement à leur vocation, les gens du monde y sont au moins autant obligés, à cause des dangers où ils sont tous les jours de se perdre. Ils doivent donc s’armer du fréquent souvenir de la vie, des vertus et des souffrances du Sauveur, que nous représentent les quinze mystères du saint Rosaire.

25ème Rose

Richesses de sanctification renfermées dans les prières et les méditations du Rosaire

75. Jamais personne ne pourra comprendre les richesses admirables de sanctification qui sont renfermées dans les prières et dans les mystères du saint Rosaire. Cette méditation des mystères de la vie et de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ est, pour tous ceux qui en font usage, la source des fruits les plus merveilleux. Aujourd’hui, on veut des choses qui frappent, qui émeuvent, qui produisent dans l’âme des impressions profondes. Qu’y a-t-il au monde de plus émouvant que cette histoire merveilleuse de notre Rédempteur se déroulant à nos yeux en quinze tableaux nous rappelant les grandes scènes de la vie, de la mort et de la gloire du Sauveur du monde? Quelles prières sont plus excellentes et plus sublimes que l’Oraison dominicale et l’Ave de l’ange? Là sont renfermés tous nos désirs, tous nos besoins.

76. La méditation des mystères et des prières du Rosaire est la plus facile de toutes les oraisons, parce que la diversité des vertus, des états de Jésus-Christ que l’on étudie, récrée et fortifie merveilleusement l’esprit et empêche les distractions. Les savants trouvent dans ces formules la doctrine la plus profonde, et les petits, les instructions les plus familières.

Il faut passer par cette méditation facile, avant de s’élever au degré le plus sublime de la contemplation. Telle est la pensée de saint Thomas d’Aquin, et le conseil qu’il nous donne, quand il dit qu’il faut s’exercer d’abord comme dans un champ de combat par l’acquisistion de toutes les vertus dont nous avons le parfait modèle dans les mystères du Rosaire; car c’est là, dit le savant Cajetan, que nous acquerrons l’union intime avec Dieu, sans laquelle la contemplation n’est qu’une illusion capable de séduire les âmes.

77. Si les faux illuminés de nos jours ou les quiétistes avaient suivi ce conseil, ils n’auraient pas fait de si terribles chutes, ni causé tant de scandales dans la dévotion. C’est une étrange illusion du démon de croire qu’on puisse faire des oraisons plus sublimes que celles du Pater et de l’Ave, en abandonnant ces divines oraisons qui sont le soutien, la force et la garde de l’âme.

J’avoue qu’il n’est pas toujours nécessaire de les réciter vocalement et que la prière intérieure, en un sens, est plus parfaite que la vocale; mais je vous assure qu’il est très dangereux, pour ne pas dire pernicieux, de quitter de son propre mouvement la récitation du chapelet ou du Rosaire sous prétexte d’une plus parfaite union à Dieu. L’âme finement orgueilleuse, trompée par le démon du midi, fait tout ce qu’elle peut intérieurement pour s’élever au degré sublime des oraisons des saints, méprise et quitte pour cela ses anciennes manières de prier, bonnes pour les âmes du commun. Elle ferme d’elle-même l’oreille aux prières et au salut d’un ange et même à l’oraison qu’un Dieu a faite, pratiquée et commandée: Sic orabitis: Pater noster (Mt 6,9) et Vous prierez ainsi, et, par là, elle tombe d’illusion en illusion, et de précipice en précipice.

78. Croyez-moi, mon cher confrère du Rosaire, voulez-vous arriver à un haut degré d’oraison sans pourtant l’affecter et sans tomber dans les illusions du démon si ordinaires aux personnes d’oraison, dites tous les jours, si vous pouvez, votre Rosaire entier ou du moins le chapelet.

Y êtes-vous déjà arrivé par la grâce de Dieu, si vous voulez vous y conserver et y croître dans l’humilité, conservez la pratique du saint Rosaire, car jamais une âme qui dit son Rosaire tous les jours ne sera formellement hérétique ni trompée par le démon; c’est une proposition que je signerais de mon sang.

Si cependant Dieu, par sa très grande miséricorde, vous attire au milieu de votre chapelet aussi puissammment que quelques saints, laissez-vous aller à son attrait, laissez Dieu opérer et prier en vous et y réciter le Rosaire à sa manière, et que celui-là vous suffise dans la journée.

Mais si vous n’êtes que dans la contemplation active ou oraison ordinaire, de quiétude, de présence de Dieu et d’affection, vous avez encore moins de raison de quitter le Rosaire, et bien loin de reculer dans l’oraison et la vertu en le récitant, qu’au contraire, il vous sera un aide merveilleux et la véritable échelle de Jacob, où il y avait 15 échelons, par lesquels vous irez de vertu en vertu, de lumières en lumières, et arriverez facilement sans tromperie jusqu’à la plénitude de l’âge de Jésus-Christ.

26ème Rose

79. Gardez-vous bien d’imiter l’opiniâtreté de cette dévote de Rome dont les merveilles du Rosaire parlent tant. C’était une personne si dévote et si fervente qu’elle faisait confusion par sa sainte vie aux religieux les plus austères de l’Église de Dieu.

Voulant consulter saint Dominique et s’étant confessée à lui, il lui imposa pour pénitence de dire un seul Rosaire et par conseil de le dire tous les jours. Elle s’excusa sur ce sujet et dit qu’elle a ses exercices réglés, qu’elle gagne tous les jours les stations de Rome, qu’elle porte la haire, le cilice, qu’elle prend la discipline plusieurs fois par semaine, qu’elle fait tant de jeûnes et autres pénitences. Saint Dominique la presse et represse à suivre son conseil, elle n’en veut rien faire; elle sort comme scandalisée du confessionnal de voir le procédé de ce nouveau directeur pour elle, qui lui voulait persuader une dévotion qu’elle ne pouvait goûter.

Voilà qu’étant en oraison et ravie en extase, elle voit son âme obligée de paraître devant le Souverain Juge. Saint Michel met toutes ses pénitences et autres prières dans un bassin de la balance et de l’autre tous ses péchés et imperfections. Saint Michel hausse la balance, le bassin de ses bonnes œuvres s’en va en l’air et ne peut contrepeser le bassin de ses péchés et imperfections. Tout alarmée, elle crie miséricorde, elle s’adresse à la Sainte Vierge, son avocate, laquelle laissa tomber dans le bassin de ses bonnes œuvres le seul Rosaire qu’elle avait dit pour pénitence, lequel fut si pesant qu’il contrepesa tous ses péchés aussi bien que toutes ses bonnes œuvres. Elle fut reprise en même temps de la Sainte Vierge de ce qu’elle avait refusé de suivre le conseil de son serviteur Dominique, de dire le saint Rosaire tous les jours. Étant revenue à elle-même, elle alla se jeter aux pieds de saint Dominique, lui raconta ce qui lui était arrivé, lui demanda pardon de son incrédulité, promit de dire le Rosaire tous les jours et arriva par ce moyen à la perfection chrétienne, et à la gloire éternelle.

Apprenez de là, personnes d’oraison, la force, le prix et l’importance de cette dévotion du saint Rosaire avec la méditation des mystères.

80. Quoi de plus élevé en oraison que sainte Madeleine, qui était portée sept fois le jour par les anges au-dessus du Saint Pillon, laquelle avait été à l’école de Jésus-Christ et de sa sainte Mère, et, cependant, lorsqu’elle demandait un jour à Dieu un bon moyen pour s’avancer en son amour et arriver à la plus haute perfection, l’archange saint Michel vient de la part de Dieu lui dire qu’il n’en savait point d’autre que de considérer au milieu d’une croix, qu’il lui planta au devant de sa caverne, les mystères douloureux qu’elle avait vu opérer de ses propres yeux.

Que l’exemple de saint François de Sales, ce grand directeur des âmes spirituelles de son siècle, vous oblige à vous rendre d’une si sainte confrérie, puisque, tout saint qu’il était, il s’obligea par vœu de le dire tout entier tous les jours autant de temps qu’il vivrait.

Saint Charles Borromée le récitait aussi tous les jours et recommandait fort cette dévotion à ses prêtres et ecclésiastiques dans les séminaires et à tout son peuple.

Le bienheureux Pie V, l’un des grands papes qui ait gouverné l’Église, récitait tous les jours le Rosaire. Saint Thomas de Villeneuve, archevêque de Valence, saint Ignace, saint François Xavier, saint François de Borgia, sainte Thérèse, saint Philippe de Néri, plusieurs autres grands hommes que je passe sous silence, ont excellé en cette dévotion. Suivez leurs exemples, vos directeurs en seraient bien aises, et s’ils sont informés des fruits que vous en pouvez retirer, ils vous y exciteront les premiers.

27ème Rose

81. Pour vous animer encore davantage à cette dévotion des grandes âmes, j’ajoute que le Rosaire récité avec la méditation des mystères: 1º nous élève insensiblement à la connaissance parfaite de Jésus-Christ; 2º purifie nos âmes du péché; 3º nous rend victorieux de tous nos ennemis; 4º nous rend la pratique des vertus facile; 5º nous embrase de l’amour de Jésus-Christ; 6º nous enrichit de grâces et de mérites; 7º nous fournit de quoi payer toutes nos dettes à Dieu et aux hommes, et enfin, nous fait obtenir de Dieu toutes sortes de grâces.

82. La connaissance de Jésus-Christ est la science des chrétiens et la science du salut; elle surpasse, dit saint Paul (Ph 3,8), toutes les sciences humaines en prix et en excellence: 1º pour la dignité de son objet, qui est un Dieu homme, en présence duquel tout l’univers n’est qu’une goutte de rosée ou un grain de sable; 2º pour son utilité; les sciences humaines ne nous remplissent que de vent et de fumée de l’orgueil; 3º pour sa nécessité; car on ne peut être sauvé, si on n’a la connaissance de Jésus-Christ, et celui qui ignore toutes les autres sciences sera sauvé, pourvu qu’il soit éclairé de la science de Jésus-Christ. Heureux Rosaire qui nous donne cette science et connaissance de Jésus-Christ, en nous faisant méditer sa vie, sa mort et passion et sa gloire.

La reine de Saba, admirant la sagesse de Salomon, s’écria: «Heureux vos domestiques et vos serviteurs qui sont toujours en votre présence et entendent les oracles de votre sagesse» (1 R 10,8); plus heureux les fidèles qui méditent attentivement la vie, les vertus, les souffrances et la gloire du Sauveur, parce qu’ils acquièrent par ce moyen, sa parfaite connaissance dans laquelle consiste la vie éternelle. Haec est vita aeterna (Jn 17,3).

83. La Sainte Vierge a révélé au bienheureux Alain qu’aussitôt que saint Dominique prêcha le Rosaire, les pécheurs endurcis furent touchés et pleurèrent amèrement leurs crimes; les jeunes enfants même firent des pénitences incroyables, la ferveur fut si grande, partout où il prêchait le Rosaire, que les pécheurs changèrent de vie et édifièrent tout le monde par leurs pénitences et l’amendement de leur vie.

Si vous sentez votre conscience chargée de quelques péchés, prenez votre rosaire, en récitant une partie en l’honneur de quelques mystères de la vie, de la passion ou de la gloire de Jésus-Christ, et soyez persuadé que, pendant que vous méditerez et honorerez ces mystères, il montrera ses plaies sacrées à son Père au ciel. Il plaidera pour vous et vous obtiendra la contrition et le pardon de vos péchés. Il dit un jour au bienheureux Alain: «Si ces misérables pécheurs récitaient souvent mon Rosaire, ils participeraient aux mérites de ma passion, et, comme leur Avocat, j’apaiserais la divine justice.»

84. Cette vie est une guerre et une tentation continuelles; nous n’avons pas à combattre des ennemis de chair et de sang, mais les puissances mêmes de l’enfer (Ep 6,12). Quelles armes meilleures prendrons-nous, pour les combattre, que l’oraison que notre grand Capitaine nous a enseignée, que la Salutation angélique, qui a chassé les démons, détruit le péché et renouvelé le monde, que la méditation de la vie, de la passion de Jésus-Christ, de la pensée de laquelle nous devons nous armer, comme nous ordonne saint Pierre, pour nous défendre des mêmes ennemis qu’il a vaincus et qui nous attaquent tous les jours. «Depuis que le démon, dit le cardinal Hugues, a été vaincu par l’humilité et la passion de Jésus-Christ, il ne se peut quasi attaquer à une âme armée de la méditation de ses mystères ou, s’il l’attaque, il en est vaincu honteusement.» Induite vos armaturam Dei (Ep 6,11).

85. Armez-vous donc de ces armes de Dieu, du saint Rosaire, et vous briserez la tête du démon, et demeurerez stables contre toutes ses tentations. C’est d’où vient que le Rosaire même matériel est si terrible au diable, et que les saints s’en sont servis pour l’enchaîner et le chasser des corps des possédés, comme plusieurs histoires rendent témoignage.

86. Un homme, dit le bienheureux Alain, ayant en vain tenté toutes sortes de pratiques de dévotion pour être délivré du malin esprit qui le possédait, s’avisa de mettre à son col son rosaire, ce qui le soulagea, et ayant éprouvé que lorsqu’il l’ôtait de son cou, le démon le tourmentait cruellement, résolut de le porter au cou jour et nuit, ce qui chassa le diable pour toujours, ne pouvant supporter une si terrible chaîne. Le bienheureux Alain témoigne qu’il a délivré un grand nombre de possédés, en leur mettant ainsi le rosaire au cou.

87. Le Révérend Père Jean Amât, de l’ordre de Saint-Dominique, prêchant le Carême dans un lieu de ce royaume d’Aragon, on lui amena une jeune fille possédée du démon; après l’avoir plusieurs fois exorcisée, mais en vain, il lui mit son rosaire au cou, et aussitôt elle se mit à faire de cris et des hurlements épouvantables, disant: «Otez-moi, ôtez-moi ces grains qui me tourmentent.» Enfin le père, par compassion pour la pauvre fille, lui ôta son rosaire du cou.

La nuit suivante, lorsque le Révérend Père était dans son lit à se reposer, les mêmes démons qui possédaient cette fille vinrent à lui, tout écumants de rage, pour se saisir de sa personne; mais avec son rosaire qu’il tenait fortement à la main, malgré les efforts qu’ils firent pour le lui ôter, il les fouetta admirablement bien et les chassa en disant: «Sainte Marie, Notre-Dame du saint Rosaire, à mon aide!»

Lorsque, le lendemain, il allait à l’église, il rencontra cette pauvre fille encore possédée; un des démons qui étaient en elle se mit à dire en se moquant de lui: «Ah! frère, si tu n’avais point eu ton rosaire, nous t’aurions bien accommodé.» Alors le Révérend Père jette derechef son rosaire au cou de la fille, disant: «Par les très sacrés noms de Jésus et de Marie, sa sainte Mère, et par la vertu du très saint Rosaire, je vous commande, esprits malins, de sortir de ce corps tout à l’heure»; aussitôt ils furent contraints d’obéir, et elle fut délivrée. Ces histoires nous marquent quelle est la force du saint Rosaire pour vaincre toutes sortes de tentations des démons et toutes sortes de péchés, parce que les grains bénits du Rosaire les mettent en fuite.

28ème Rose

88. Saint Augustin assure qu’il n’y a point d’exercice si fructueux et si utile au salut que de penser souvent aux souffrances de Notre-Seigneur. Le bienheureux Albert le Grand, maître de saint Thomas, a su par révélation que le simple souvenir ou la méditation de la passion de Jésus-Christ est plus méritoire au chrétien que de jeûner pendant un an tous les vendredis au pain et à l’eau, ou de prendre la discipline jusqu’au sang toutes les semaines, ou de réciter tous les jours le psautier. Ah! Quel est, par conséquent, le mérite du Rosaire, qui fait mémoire de toute la vie et la passion de Notre-Seigneur?

La Sainte Vierge révéla un jour, au bienheureux Alain de la Roche, qu’après le saint sacrifice de la Messe, qui est la première et la plus vive mémoire de la passion de Jésus-Christ, il n’y avait point de dévotion plus excellente et plus méritoire que le Rosaire, qui est comme une seconde mémoire et représentation de la vie et de la passion de Jésus-Christ.

89. Le Révérend Père Dorland rapporte que la Sainte Vierge dit un jour au vénérable Dominique, chartreux, dévot du saint Rosaire, qui résidait à Trèves l’an 1481:

«Toutes les fois qu’un fidèle récite le Rosaire avec les méditations des mystères de la vie et de la passion de Jésus-Christ, en état de grâce, il obtient pleine et entière rémission de tous ses péchés.»

Elle dit aussi au bienheureux Alain: «Sachez qu’encore qu’il y ait quantité d’indulgences données à mon Rosaire, j’y en ajouterai beaucoup davantage pour chaque cinquantaine à ceux qui le réciteront sans péché mortel, à genoux, dévotement, et quiconque persévérera dans la dévotion du saint Rosaire avec ces articles et méditations, je lui obtiendrai, pour récompense de ce bon service, pleine rémission de la peine et de la coulpe de tous ses péchés à la fin de la vie.

Et que cela ne te semble pas incroyable; il m’est facile, puisque je suis la Mère du Roi des cieux, qui m’appelle pleine de grâce, et, si j’en suis remplie, j’en ferai une ample effusion à mes chers enfants.»

90. Saint Dominique était si bien persuadé de l’efficace et mérite du saint Rosaire qu’il ne donnait quasi point d’autre pénitence à ceux qu’il confessait, comme nous avons vu dans l’histoire que j’ai rapportée d’une dame romaine à qui il ne donna pour pénitence qu’un seul Rosaire.

Les confesseurs devraient aussi, pour marcher sûrement sur les traces de ce grand saint, enjoindre aux pénitents le Rosaire, avec la réflexion sur les sacrés mystères, plutôt que d’autres pénitences qui ne sont pas d’un si grand mérite, ni si agréables à Dieu, ni si salutaires aux âmes pour les faire avancer dans la vertu, ni si efficaces pour les empêcher de tomber dans le péché, et de plus, en disant le Rosaire, on gagne quantité d’indulgences qui ne sont pas attachées à plusieurs autres dévotions.

91. «Certes, dit l’abbé Blosius, ce Rosaire, avec les méditations de la vie et de la passion, est très agréable à Jésus-Christ et à la Sainte Vierge et très efficace pour obtenir toutes choses; nous le pouvons dire tant pour nous que pour ceux qui nous sont recommandés et pour toute l’Église. Recourons donc à la dévotion du saint Rosaire dans toutes nos nécessités, et nous obtiendrons infailliblement ce que nous demanderons à Dieu pour notre salut.»

29ème Rose

92. Il n’est rien de plus divin, selon la pensée de saint Denis, rien de plus noble ni de plus agréable à Dieu, que de coopérer au salut des âmes et de renverser les machines du démon qui tâche de les perdre. C’est le motif qui a fait descendre le Fils de Dieu en terre. Il avait ruiné l’empire de Satan par la fondation de l’Église, mais ce tyran avait repris ses forces et exercé une cruelle violence sur les âmes par l’hérésie des Albigeois, par les haines, les dissensions et par les vices abominables qu’il faisait régner dans le monde dans le onzième siècle.

Quel remède à ces grands désordres, comment abattre les forces de Satan? La Sainte Vierge, protectrice de l’Église, n’a point donné de moyen plus efficace pour apaiser la colère de son Fils, pour extirper l’hérésie et réformer les mœurs des chrétiens que la confrérie du saint Rosaire, comme l’effet l’a vérifié. Il a renouvelé la charité, la fréquentation des sacrements des premiers siècles d’or de l’Église, réformé les mœurs des chrétiens.

93. Le pape Léon X dit en sa bulle que cette confrérie a été fondée en l’honneur de Dieu et de la Sainte Vierge comme un mur pour arrêter les malheurs qui allaient fondre sur l’Église.

Grégoire XIII dit que le Rosaire a été donné du ciel comme un moyen pour apaiser la colère de Dieu et implorer l’intercession de la Sainte Vierge.

Jules III dit que le Rosaire a été inspiré pour nous ouvrir plus facilement le ciel, par les faveurs de la Sainte Vierge.

Paul III et le bienheureux Pie V déclarent que le Rosaire a été établi et donné aux fidèles pour se procurer plus efficacement le repos et la consolation spirituelle. Qui négligera d’entrer en une confrérie instituée pour des fins aussi nobles?

94. «Le Père Dominique, chartreux, fort dévot au Rosaire, vit un jour le ciel ouvert et toute la cour céleste rangée en un ordre admirable et entendit chanter le Rosaire, d’une mélodie ravissante, honorant à chaque dizaine un mystère de la vie, de la passion et de la gloire de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge. Et il remarqua que quand ils prononçaient le sacré nom de Marie, ils faisaient tous une inclination de la tête, et à celui de Jésus, ils faisaient tous une génuflexion et rendaient grâces à Dieu des grands biens qu’il a faits au ciel et en la terre par le saint Rosaire. Il vit aussi la Sainte Vierge et les saints présenter à Dieu les Rosaires que les confrères récitent en terre, et prient pour ceux qui pratiquent cette dévotion; il vit encore d’innombrables couronnes, de très belles et odoriférantes fleurs, préparées pour ceux qui récitent dévotement le saint Rosaire, et qu’autant de fois qu’ils le récitent ils se font une couronne dont ils seront parés au ciel» (Rosier mystique, 10ème dizaine, ch. 3). La vision de ce dévot chartreux est conforme à la vision qu’eut le disciple bien-aimé, dans laquelle il vit une multitude innombrable d’anges et des saints, qui louaient et bénissaient Jésus-Christ pour tout ce qu’il a fait et souffert dans ce monde pour notre salut; n’est-ce pas ce que font les dévots confrères du Rosaire?

95. Il ne faut pas s’imaginer que le Rosaire soit seulement pour les femmes, et les petits et les ignorants; il est aussi pour les hommes, et les plus grands hommes. D’abord que saint Dominique eut rendu compte au pape Innocent III de l’ordre qu’il avait reçu du ciel, d’établir cette sainte confrérie, le Saint-Père l’approuva, exhorta saint Dominique à la prêcher et il voulut y être associé. Les cardinaux mêmes l’embrassèrent avec une grande ferveur, en sorte que Lopez avance ces paroles: Nullum sexum, nullam aetatem, nullam conditionem ab oratione rosarii subtraxit se.

Ainsi on remarque, dans cette confrérie, toutes sortes de personnes: des ducs, des princes, des rois, aussi bien que des prélats, des cardinaux, souverains pontifes, dont le dénombrement serait trop long pour cet abrégé; et vous mettant, cher lecteur, en cette confrérie, vous aurez part à leur dévotion et leurs grâces sur la terre et à leur gloire dans le ciel. Cum quibus consortium vobis erit devotionis, erit et communio dignitatis.

30ème Rose

96. Si les privilèges, les grâces et les indulgences rendent une confrérie recommandable, on peut dire que celle du Rosaire est la plus recommandable de l’Église, puisqu’elle est la plus favorisée et enrichie d’indulgences, et il n’y a presque point de papes depuis son institution qui n’aient ouvert les trésors de l’Église pour la gratifier; et comme l’exemple persuade mieux que les paroles et les bienfaits, les Saints Pères n’ont pu mieux marquer l’estime qu’ils faisaient de cette sainte confrérie qu’en s’y associant eux-mêmes.

Voici un petit abrégé des indulgences que les Souverains Pontifes ont entièrement accordées à la confrérie du Saint Rosaire, confirmées de nouveau par notre Saint-Père le pape Innocent XI le 31 juillet 1679, reçues et permises d’être publiées par monseigneur l’archevêque de Paris le 25 septembre de la même année:

1º Pour le jour de l’entrée dans la confrérie: indulgence plénière;

2º Pour l’article de la mort: indulgence plénière;

3º Pour chacun des trois chapelets du Rosaire récités: dix ans et dix quarantaines d’indulgences;

4º Pour chaque fois qu’ils prononceront dévotement les saints noms de Jésus et de Marie: sept jours d’indulgences;

5º Pour ceux qui assisteront dévotement à la procession du saint Rosaire: sept ans et sept quarantaines d’indulgences;

6º A ceux qui, vraiment pénitents et confessés, visiteront la chapelle du Rosaire dans l’église où elle est établie, les premiers dimanches de chaque mois et les fêtes de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge: indulgence plénière;

7º A ceux qui assistent au Salve Regina: cent jours d’indulgence;

8º A ceux qui dévotement et pour montrer exemple portent ouvertement le saint Rosaire: cent jours d’indulgence;

9º Aux confrères malades, qui ne pourront venir à l’église, étant confessés et communiés, réciteront le jour le saint Rosaire ou du moins le chapelet: indulgence plénière au jour marqué pour la gagner;

10º Les Saints-Pères, par une grande libéralité envers les confrères du saint Rosaire, leur ont donné la faculté de gagner les indulgences des stations de Rome, visitant cinq autels, en récitant devant chacun cinq fois le Pater et l’Ave, pour l’heureux état de l’Église. S’il n’y a qu’un autel ou deux dans cette église, où est le Rosaire établi, ils réciteront 25 fois le Pater et l’Ave devant cet autel.

97. Grande faveur pour les confrères du saint Rosaire, parce que dans les églises des stations de Rome, il y a des indulgences plénières, des délivrances d’âmes du purgatoire et plusieurs autres grandes rémissions que les confrères peuvent gagner sans peine, sans frais, sans sortir de leur pays; et même, si la confrérie n’est pas établie dans le lieu où demeurent les confrères, ils gagneront lesdites indulgences, visitant cinq autels de quelque église que ce soit, par la concession de Léon dixième.

Voici les jours auxquels ils les peuvent gagner, déterminés et fixés, pour ceux qui sont hors la ville de Rome, par un décret de la Sacrée Congrégation établie pour les indulgences, approuvé par notre Saint-Père le 7 mars 1678, qui a ordonné qu’il sera inviolablement observé:

Tous les dimanches de l’Avent; les trois jours des Quatre-Temps; la vigile de Noël, aux messes de minuit, de l’aurore et du jour; les fêtes de saint Étienne, de saint Jean l’Évangéliste, et des Innocents, de la Circoncision et des Rois; les dimanches de la Septuagésime, Sexagésime, Quinquagésime et, depuis le jour des Cendres, tous les jours, jusqu’au dimanche de la Quasimodo inclusivement; les trois jours des Rogations; le jour de l’Ascension; la vigile de la Pentecôte, et tous les jours de l’octave et les trois jours des Quatre-Temps de septembre.

Cher confrère du Rosaire, il y a un grand nombre d’autres indulgences. Si vous les voulez voir, lisez le sommaire des indulgences accordées aux confrères du Rosaire. Vous y verrez les noms des papes, l’année et plusieurs autres particularités que cet abrégé ne souffre pas.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Deuxième Dizaine

DEUXIÈME DIZAINE

L’EXCELLENCE DU SAINT ROSAIRE DANS LES PRIÈRES DONT IL EST COMPOSÉ

11ème Rose

34. Le Credo ou le Symbole des Apôtres qu’on récite sur la croix du rosaire ou du chapelet, étant un sacré raccourci et abrégé des vérités chrétiennes, est une prière d’un grand mérite, parce que la foi est la base, le fondement et le commencement de toutes les vertus chrétiennes, de toutes les vertus éternelles et de toutes les prières que Dieu a pour agréables. Accedentem ad Deum credere oportet (He 11,6). Il faut que celui qui s’approche de Dieu par la prière commence par croire, et plus il aura de foi, et plus sa prière aura de force et de mérite en elle-même et rendra de gloire à Dieu.

Je ne m’arrêterai pas à expliquer les paroles du Symbole des Apôtres; mais je ne puis m’empêcher de déclarer que ces trois premières paroles: Credo in Deum: «Je crois en Dieu», renfermant les actes des trois vertus théologales: la foi, l’espérance et la charité, ont une efficace merveilleuse pour sanctifier l’âme et terrasser le démon. C’est avec ces paroles que plusieurs saints ont vaincu les tentations, particulièrement celles qui sont contre la foi, l’espérance ou la charité, soit pendant la vie, soit à l’heure de la mort. Ce furent les dernières paroles que saint Pierre le martyr écrivit le mieux qu’il put avec le doigt sur le sable, lorsque ayant la tête fendue en deux par un coup de sabre qu’un hérétique lui donna, il était près d’expirer.

35. Comme la foi est la seule clef qui nous fait entrer dans tous les mystères de Jésus et de Marie renfermés au saint Rosaire, il faut le commencer en récitant le Credo avec une grande attention et dévotion, et plus notre foi sera vive et forte, et plus le Rosaire sera méritoire. Il faut que cette foi soit vive et animée par la charité, c’est-à-dire que pour bien réciter le saint Rosaire, il faut être en grâce de Dieu ou dans la recherche de cette grâce; il faut que la foi soit forte et constante, c’est-à-dire qu’il ne faut pas chercher dans la pratique du saint Rosaire seulement son goût sensible et sa consolation spirituelle, c’est-à-dire qu’il ne faut pas l’abandonner parce qu’on a une foule de distractions involontaires dans l’esprit, un dégoût étrange dans l’âme, un ennui accablant et un assoupissement presque continuel dans le corps; il n’est pas besoin de goût ni de consolation, ni de soupirs, ni d’élans, ni de larmes, ni d’application continuelle de l’imagination, pour bien réciter son Rosaire. La foi pure et la bonne intention suffisent. Sola fides sufficit (Pange lingua).

12ème Rose

36. Le Pater, ou l’Oraison dominicale, tire sa première excellence de son auteur, qui n’est pas un homme ou un ange, mais le Roi des anges et des hommes, Jésus-Christ. «Il était nécessaire, dit saint Cyprien, que Celui qui venait nous donner la vie de la grâce comme Sauveur, nous enseignât la manière de prier comme Maître céleste.» La sagesse de ce divin Maître paraît bien dans l’ordre, la douceur, la force et la clarté de cette divine prière; elle est courte, mais elle est riche en instruction, intelligible pour les simples et remplie de mystères pour les savants.

Le Pater renferme tous les devoirs que nous devons rendre à Dieu, les actes de toutes les vertus et les demandes de tous nos besoins spirituels et corporels. Elle contient, dit Tertullien, l’abrégé de l’Évangile. Elle surpasse, dit Thomas à Kempis, tous les désirs des saints, elle contient en abrégé toutes les douces sentences des psaumes et des cantiques; elle demande tout ce qui nous est nécessaire; elle loue Dieu d’une excellente manière; elle élève l’âme de la terre au ciel et l’unit étroitement avec Dieu.

37. Saint Chrysostome dit que celui qui ne prie pas comme le divin Maître a prié et enseigné à prier, n’est pas son disciple, et Dieu le Père n’écoute pas agréablement les prières que l’esprit humain a formées, mais bien celles de son Fils, qu’il nous a enseignées.

Nous devons réciter l’Oraison dominicale avec certitude que le Père éternel l’exaucera, puisqu’elle est la prière de son Fils, qu’il exauce toujours, et que nous sommes ses membres; car que peut refuser un si bon Père à une requête si bien conçue et appuyée sur les mérites et la recommandation d’un si digne Fils?

Saint Augustin assure que le Pater bien récité efface les péchés véniels. Le juste tombe sept fois. L’Oraison dominicale contient sept demandes par lesquelles il peut remédier à ses chutes et se fortifier contre ses ennemis. Elle est courte et facile, afin que, comme nous sommes fragiles et sujets à plusieurs misères, nous recevions un plus prompt secours en la récitant plus souvent et plus dévotement.

38. Désabusez-vous donc, âmes dévotes qui négligez l’Oraison que le propre Fils de Dieu a composée et qu’il a ordonnée à tous les fidèles; vous qui n’avez d’estime que pour les prières que les hommes ont composées, comme si l’homme, même le plus éclairé, savait mieux que Jésus-Christ comment nous devons prier. Vous cherchez dans les livres des hommes la façon de louer et de prier Dieu, comme si vous aviez honte de vous servir de celle que son Fils nous a prescrite. Vous vous persuadez que les oraisons qui sont dans les livres sont pour les savants et pour les riches, et que le Rosaire n’est que pour les femmes, pour les enfants et pour le peuple, comme si les louanges et les prières que vous lisez étaient plus belles et plus agréables à Dieu que celles qui sont contenues dans l’Oraison dominicale. C’est une dangereuse tentation que de se dégoûter de l’Oraison que Jésus-Christ nous a recommandée pour prendre les oraisons que les hommes ont composées. Ce n’est pas que nous désapprouvions celles que les saints ont composées pour exciter les fidèles à louer Dieu, mais nous ne pouvons souffrir qu’ils les préfèrent à l’Oraison qui est sortie de la bouche de la Sagesse incarnée, et qu’ils laissent la source pour courir après les ruisseaux, et qu’ils dédaignent l’eau claire pour boire l’eau trouble. Car enfin le Rosaire, composé de l’Oraison dominicale et de la Salutation angélique, est cette eau claire et perpétuelle qui coule de la source de la grâce, tandis que les autres oraisons qu’ils cherchent dans les livres ne sont que de bien petits ruisseaux qui en dérivent.

39. Nous pouvons appeler heureux celui qui, en récitant l’Oraison du Seigneur, en pèse attentivement chaque parole; là il trouve tout ce dont il a besoin, tout ce qu’il peut désirer.

Quand nous récitons cette admirable prière, tout d’abord nous captivons le cœur de Dieu en l’invoquant par le doux nom de Père.

«Notre Père», le plus tendre de tous les pères, tout-puissant dans la création, tout admirable dans sa conservation, tout aimable dans sa Providence, tout bon et infiniment bon dans la Rédemption. Dieu est notre Père, nous sommes tous frères, le ciel est notre patrie et notre héritage. N’y a-t-il pas là de quoi nous inspirer à la fois l’amour de Dieu, l’amour du prochain et le détachement de toutes les choses de la terre? Aimons donc un tel Père et disons-lui mille et mille fois: «Notre Père qui êtes aux cieux.» Vous qui remplissez le ciel et la terre par l’immensité de votre essence, qui êtes présent partout; vous qui êtes dans les saints par votre gloire, dans les damnés par votre justice, dans les justes par votre grâce, dans les pécheurs par votre patience qui les souffre, faites que nous nous souvenions toujours de notre céleste origine, que nous vivions comme vos véritables enfants; que nous tendions toujours vers vous seul par toute l’ardeur de nos désirs.

«Que votre nom soit sanctifié.» Le nom du Seigneur est saint et redoutable, dit le prophète-roi, et le ciel, suivant Isaïe, retentit des louanges que les séraphins ne cessent de donner à la sainteté du Seigneur, Dieu des armées. Nous demandons ici que toute la terre connaisse et adore les attributs de ce Dieu si grand et si saint; qu’il soit connu, aimé et adoré des païens, des Turcs, des Juifs, des Barbares et de tous les infidèles; que tous les hommes le servent et le glorifient par une foi vive, une espérance ferme, par une charité ardente, et par le renoncement à toutes les erreurs: en un mot, que tous les hommes soient saints parce qu’il est saint lui-même.

«Que votre règne arrive.» C’est-à-dire que vous régniez dans nos âmes par votre grâce, durant la vie, afin que nous méritions, après notre mort, de régner avec vous dans votre royaume, qui est la souveraine et éternelle félicité, que nous croyons, que nous espérons et que nous attendons, cette félicité qui nous est promise par la bonté du Père, qui nous est acquise par les mérites du Fils et qui nous est révélée par les lumières du Saint-Esprit.

«Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.» Sans doute, rien ne peut se dérober aux dispositions de la Providence divine qui a tout prévu, tout arrangé avant l’événement; nul obstacle ne l’écarte de la fin qu’elle s’est proposée, et quand nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite, ce n’est pas que nous craignions, dit Tertullien, que quelqu’un s’oppose efficacement à l’exécution de ses desseins, mais que nous acquiescions humblement à tout ce qu’il lui a plû d’ordonner à notre égard; que nous accomplissions toujours et en toutes choses sa très sainte volonté, qui nous est connue par ses commandements, avec autant de promptitude, d’amour et de constance, que les anges et les bienheureux lui obéissent dans le ciel.

40. «Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour.» Jésus-Christ nous enseigne à demander à Dieu tout ce qui est nécessaire à la vie du corps et à la vie de l’âme. Par ces paroles de l’Oraison dominicale, nous faisons l’humble aveu de notre misère et nous rendons hommage à la Providence, en déclarant que nous croyons, que nous voulons tenir de sa bonté tous les biens temporels. Sous le nom de pain nous demandons ce qui est simplement nécessaire à la vie, le superflu n’est point compris. Ce pain nous le demandons aujourd’hui, c’est-à-dire que nous bornons au jour présent toutes nos sollicitudes, nous reposant sur la Providence pour le lendemain. Nous demandons le pain de chaque jour, avouant ainsi nos besoins toujours renaissants et montrant la continuelle dépendance où nous sommes de la protection et du secours de Dieu.

«Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.» Nos péchés, disent saint Augustin et Tertullien, sont autant de dettes que nous contractons envers Dieu, et sa justice en exige le paiement jusqu’à la dernière obole. Or nous avons tous ces tristes dettes. Malgré le nombre de nos iniquités, approchons-nous donc de lui avec confiance et disons-lui avec un vrai repentir: Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez-nous les péchés de notre cœur et de notre bouche, les péchés d’action et d’omission qui nous rendent infiniment coupables aux yeux de votre justice, parce qu’en qualité d’enfants d’un père clément et miséricordieux, nous pardonnons par obéissance et par charité à ceux qui nous ont offensés.

Et «ne permettez pas» à cause de notre infidélité à vos grâces, «que nous succombions aux tentations» du monde, du démon et de la chair. Mais «délivrez-nous du mal», qui est le péché, du mal de la peine temporelle et de la peine éternelle, que nous avons méritées.

«Ainsi soit-il.» Parole d’une grande consolation, qui est, dit saint Jérôme, comme le sceau que Dieu met à la fin de nos requêtes pour nous assurer qu’il nous a exaucés, comme si lui-même nous répondait:

Amen!!! Qu’il soit fait comme vous le demandez, vous l’avez obtenu en vérité, car c’est ce que signifie ce mot: Amen.

13ème Rose

41. Nous honorons les perfections de Dieu en récitant chaque parole de l’Oraison dominicale. Nous honorons sa fécondité par le nom de Père, qui engendrez de toute éternité un Fils qui est Dieu comme vous, éternel, consubstantiel, qui est une même essence, une même puissance, une même bonté, une même sagesse avec vous, Père et Fils, qui, vous aimant, produisez le Saint-Esprit, qui est Dieu comme vous, trois personnes adorables, qui êtes un seul Dieu.

Notre Père! C’est-à-dire, Père des hommes par la création, par la conservation et par la rédemption, Père miséricordieux des pécheurs, Père ami des justes, Père magnifique des bienheureux.

Qui êtes. Par ces paroles nous admirons l’infinité, la grandeur et la plénitude de l’essence de Dieu, qui s’appelle véritablement Celui qui est (Ex 3,14), c’est-à-dire, qui existe essentiellement, nécessairement et éternellement, qui est l’Être des êtres, la cause de tous les êtres; qui renferme éminemment en lui-même les perfections de tous les êtres; qui est dans tous par son essence, par sa présence et par sa puissance, sans y être renfermé. Nous honorons sa sublimité, sa gloire et sa majesté par ces mots: Qui êtes aux cieux, c’est-à-dire assis comme dans votre trône, exerçant votre justice sur tous les hommes.

Nous adorons sa sainteté en désirant que son nom soit sanctifié. Nous reconnaissons sa souveraineté et la justice de ses lois, en souhaitant que son règne arrive, et que les hommes lui obéissent sur la terre comme les anges lui obéissent dans le ciel. Nous croyons à sa Providence, en le priant de nous donner notre pain de chaque jour. Nous invoquons sa clémence, en lui demandant la rémission de nos péchés. Nous recourons à sa puissance, en le priant de ne pas nous laisser succomber à la tentation. Nous nous confions à sa bonté, en espérant qu’il nous délivrera du mal. Le Fils de Dieu a toujours glorifié son Père par ses œuvres; il est venu au monde pour le faire glorifier des hommes; il leur a enseigné la manière de l’honorer, par cette Oraison qu’il a daigné nous dicter lui-même. Nous devons donc la réciter souvent avec attention et dans le même esprit qu’il l’a composée.

14ème Rose

42. Lorsque nous récitons attentivement cette divine Oraison, nous faisons autant d’actes des plus nobles vertus chrétiennes que nous prononçons de paroles. En disant: Notre Père qui êtes aux cieux, nous formons des actes de foi, d’adoration et d’humilité. En désirant que son nom soit sanctifié et glorifié, nous faisons paraître un zèle ardent pour sa gloire.

En lui demandant la possession de son royaume, nous faisons un acte d’espérance. En souhaitant que sa volonté soit accomplie sur la terre comme dans le ciel, nous montrons un esprit de parfaite obéissance. En lui demandant notre pain de chaque jour, nous pratiquons la pauvreté d’esprit et le détachement des biens de la terre. En le priant de nous remettre nos péchés, nous faisons un acte de repentir. Et en pardonnant à ceux qui nous ont offensés, nous exerçons la miséricorde dans la plus haute perfection. En lui demandant son secours dans les tentations, nous faisons des actes d’humilité, de prudence et de force. En attendant qu’il nous délivre du mal, nous pratiquons la patience. Enfin, en demandant toutes ces choses, non seulement pour nous, mais encore pour notre prochain et pour tous les membres de l’Église, nous faisons le devoir des vrais enfants de Dieu, nous l’imitons dans sa charité qui embrasse tous les hommes et nous accomplissons le commandement de l’amour du prochain.

43. Nous détestons tous les péchés et nous observons tous les commandements de Dieu, lorsqu’en récitant cette Oraison notre cœur s’accorde avec notre langue, et que nous n’avons point d’intentions contraires au sens de ces divines paroles. Car lorsque nous faisons réflexion que Dieu est au ciel, c’est-à-dire infiniment élevé au-dessus de nous par la grandeur de sa majesté, nous entrons dans les sentiments du plus profond respect en sa présence; tout saisis de crainte, nous fuyons l’orgueil et nous nous abaissons jusqu’au néant. Lorsqu’en pronoçant le nom du Père, nous nous souvenons que nous tenons notre existence de Dieu, par le moyen de nos parents, et notre instruction même par le moyen de nos maîtres, qui nous tiennent ici la place de Dieu, dont ils sont les images vivantes, nous nous sentons obligés de les honorer ou, pour mieux dire, d’honorer Dieu en leurs personnes, et nous nous gardons bien de les mépriser et de les affliger.

Lorsque nous désirons que le saint Nom de Dieu soit glorifié, nous sommes bien éloignés de le profaner. Lorsque nous regardons le royaume de Dieu comme notre héritage, nous renonçons à toute attache aux biens de ce monde; lorsque nous demandons sincèrement pour notre prochain les mêmes biens que nous désirons pour nous-mêmes, nous renonçons à la haine, à la dissension et à l’envie. En demandant à Dieu notre pain de chaque jour, nous détestons la gourmandise et la volupté qui se nourrissent de l’abondance. En priant Dieu véritablement de nous pardonner, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, nous réprimons notre colère et notre vengeance, nous rendons le bien pour le mal et nous aimons nos ennemis. En demandant à Dieu de ne pas nous laisser tomber dans le péché au moment de la tentation, nous montrons que nous fuyons la paresse, que nous cherchons les moyens de combattre les vices et de faire notre salut. En priant Dieu de nous délivrer du mal, nous craignons sa justice, et nous sommes heureux, car la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse, c’est par la crainte de Dieu que tout homme évite le péché.

15ème Rose

44. La Salutation angélique est si sublime, si relevée, que le bienheureux Alain de la Roche a cru qu’aucune créature ne peut la comprendre et qu’il n’y a que Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, qui puisse l’expliquer.

Elle tire principalement son excellence de la très sainte Vierge à qui elle fut adressée, de la fin de l’Incarnation du Verbe pour laquelle elle fut apportée du ciel, et de l’archange Gabriel qui la prononça le premier.

La Salutation angélique résume dans l’abrégé le plus concis toute la théologie chrétienne sur la Sainte Vierge. On y trouve une louange et une invocation. La louange renferme tout ce qui fait la véritable grandeur de Marie; l’invocation renferme tout ce que nous devons lui demander, et ce que nous pouvons attendre de sa bonté pour nous. La très sainte Trinité en a révélé la première partie; sainte Élisabeth, éclairée du Saint-Esprit, y a ajouté la seconde; et l’Église, dans le premier concile d’Éphèse, tenu l’an 430, y a mis la conclusion, après avoir condamné l’erreur de Nestorius et défini que la Sainte Vierge est véritablement Mère de Dieu. Le concile ordonna qu’on invoquerait la Sainte Vierge sous cette glorieuse qualité par ces paroles: Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

45. La sainte Vierge Marie a été celle à qui cette divine Salutation a été présentée pour terminer l’affaire la plus grande et la plus importante du monde, l’Incarnation du Verbe éternel, la paix entre Dieu et les hommes et la rédemption du genre humain. L’ambassadeur de cette heureuse nouvelle fut l’archange Gabriel, un des premiers princes de la cour céleste. La Salutation angélique contient la foi et l’espérance des patriarches, des prophètes et des apôtres. Elle est la constance et la force des martyrs, la science des docteurs, la persévérance des confesseurs et la vie des religieux. Elle est le cantique nouveau de la loi de grâce, la joie des anges et des hommes, la terreur et la confusion des démons.

Par la Salutation angélique, Dieu s’est fait homme, une Vierge est devenue Mère de Dieu, les âmes des justes ont été délivrées des limbes, les ruines du ciel ont été réparées et les trônes vides ont été remplis, le péché a été pardonné, la grâce nous a été donnée, les malades ont été guéris, les morts ressuscités, les exilés rappelés, la très sainte Trinité a été apaisée, et les hommes ont obtenu la vie éternelle. Enfin, la Salutation angélique est l’arc-en-ciel, le signe de la clémence et de la grâce que Dieu a faites au monde.

16ème Rose

46. Quoiqu’il n’y ait rien d’aussi grand que la majesté divine ni rien d’aussi abject que l’homme considéré comme pécheur, cette suprême Majesté ne dédaigne pas néanmoins nos hommages, elle est honorée quand nous chantons ses louanges. Et le salut de l’ange est un des plus beaux cantiques que nous puissions adresser à la gloire du Très-Haut. Canticum novum cantabo tibi (Ps 144,9): «Je vous chanterai un cantique nouveau.» Ce cantique nouveau que David a prédit qu’on chanterait à la venue du Messie, c’est la Salutation de l’archange.

Il y a un cantique ancien et un cantique nouveau. L’ancien est celui que les Israélites ont chanté en reconnaissance de la création, de la conservation, de la délivrance de leur captivité, du passage de la mer Rouge, de la manne et de toutes les autres faveurs du ciel. Le cantique nouveau est celui que les chrétiens chantent en actions de grâces de l’Incarnation et de la Rédemption. Comme ces prodiges ont été accomplis par le salut angélique, nous répétons ce même salut pour remercier la très sainte Trinité de ses bienfaits inestimables. Nous louons Dieu le Père de ce qu’il a tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique pour sauveur. Nous bénissons le Fils de ce qu’il est descendu du ciel sur la terre, de ce qu’il s’est fait homme et de ce qu’il nous a rachetés. Nous glorifions le Saint-Esprit de ce qu’il a formé dans le sein de la Sainte Vierge ce corps très pur qui a été la victime de nos péchés. C’est dans cet esprit de reconnaissance que nous devons réciter le salut angélique, produisant des actes de foi, d’espérance, d’amour et d’actions de grâces pour ce bienfait de notre salut.

47. Quoique ce cantique nouveau s’adresse directement à la Mère de Dieu et qu’il contienne ses éloges, il est néanmoins très glorieux à la Sainte-Trinité, parce que tout l’honneur que nous rendons à la Sainte Vierge retourne à Dieu comme à la cause de toutes ses perfections et de toutes ses vertus. Dieu le Père est glorifié de ce que nous honorons la plus parfaite de ses créatures. Le Fils est glorifié de ce que nous louons sa très pure Mère. Le Saint-Esprit est glorifié de ce que nous admirons les grâces dont il a rempli son épouse.

De même que la Sainte Vierge, par son beau cantique Magnificat, renvoya à Dieu les louanges et les bénédictions que lui donna sainte Élisabeth sur son éminente dignité de Mère du Seigneur, de même elle renvoie promptement à Dieu les éloges et les bénédictions que nous lui donnons par le salut angélique.

48. Si la Salutation angélique rend gloire à la Sainte-Trinité, elle est aussi la louange la plus parfaite que nous puissions adresser à Marie.

«Sainte Mechtilde, désirant savoir par quel moyen elle pourrait mieux témoigner la tendresse de sa dévotion à la Mère de Dieu, fut ravie en esprit; et sur cette pensée, la Sainte Vierge lui apparut portant sur son sein la Salutation angélique écrite en lettres d’or et lui dit: « Sachez, ma fille, que personne ne peut m’honorer par un salut plus agréable que celui que m’a fait présenter la très adorable Trinité et par lequel elle m’a élevée à la dignité de Mère de Dieu. Par le mot « Ave », qui est le nom d’Ève, Eva, j’appris que Dieu, par sa toute-puissance, m’avait préservée de tout péché et des misères auxquelles la première femme fut sujette.

Le nom de « Marie », qui signifie dame de lumières, marque que Dieu m’a remplie de sagesse et de lumière, comme un astre brillant, pour éclairer le ciel et la terre.

Ces mots: « pleine de grâces », me représentent que le Saint-Esprit m’a comblée de tant de grâces que je puis en faire part abondamment à ceux qui en demandent par ma médiation.

En disant: « le Seigneur est avec vous », on me renouvelle la joie ineffable que je ressentis lorsque le Verbe éternel s’incarna dans mon sein.

Quand on me dit: « vous êtes bénie entre toutes les femmes », je loue la divine miséricorde qui m’a élevée à ce haut degré de bonheur.

A ces paroles: « Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni », tout le ciel se réjouit avec moi de voir Jésus mon Fils adoré et glorifié pour avoir sauvé les hommes »» (Rosier mystique, 2ème dizaine, ch. 9).

17ème Rose

49. Entre les choses admirables que la Sainte Vierge a révélées au bienheureux Alain de la Roche (et nous savons que ce grand dévot à Marie a confirmé par serment ses révélations), il y en a trois des plus remarquables: la première, que c’est un signe probable et prochain de réprobation éternelle, que d’avoir de la négligence, de la tiédeur et de l’aversion pour la Salutation angélique qui a réparé le monde — la seconde, que ceux qui ont de la dévotion pour cette divine Salutation portent un très grand signe de prédestination — la troisième, que ceux qui ont reçu du ciel la faveur d’aimer la Sainte Vierge et de la servir par affection, doivent être extrêmement soigneux de continuer à l’aimer et à la servir jusqu’à ce qu’elle les ait fait placer dans le ciel par son Fils au degré de gloire convenable à leurs mérites.

50. Tous les hérétiques, qui sont tous des enfants du diable et qui portent les marques évidentes de la réprobation, ont horreur de l’Ave Maria; ils apprennent encore le Pater, mais non pas l’Ave Maria; ils aimeraient mieux porter sur eux un serpent qu’un chapelet ou un rosaire.

Entre les catholiques, ceux qui portent la marque de réprobation ne se soucient guère du chapelet ni du Rosaire, négligent de le dire ou ne le disent qu’avec tiédeur et à la hâte. Quand je n’ajouterais aucune foi pieuse à ce qui a été révélé au bienheureux Alain de la Roche, mon expérience me suffit pour être persuadé de cette terrible et douce vérité. Je ne sais pas, et je ne vois pas même évidemment comment il se peut faire qu’une dévotion si petite en apparence soit la marque infaillible du salut éternel, et son défaut la marque de la réprobation. Cependant, rien n’est si véritable.

Nous voyons même que les gens de nouvelles doctrines de nos jours condamnées par l’Église, avec toute leur piété apparente, négligent beaucoup la dévotion au chapelet et au Rosaire et souvent l’ôtent de l’esprit et du cœur de ceux ou celles qui les approchent, sous les plus beaux prétextes du monde; ils se gardent bien de condamner ouvertement, comme font les calvinistes, le chapelet, Rosaire, scapulaire; mais la manière dont ils s’y prennent est d’autant plus pernicieuse qu’elle est plus fine. Nous en parlerons dans la suite.

51. Mon Ave Maria, mon Rosaire ou mon chapelet, est ma prière, et ma très sûre pierre de touche, pour distinguer ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu d’avec ceux qui sont dans l’illusion du malin esprit. J’ai connu des âmes qui volaient, ce semble, comme des aigles, jusqu’aux nues par leur sublime contemplation, et qui cependant étaient malheureusement trompées par le démon, et je n’ai découvert leurs illusions que par l’Ave Maria et le chapelet, qu’elles rejetaient comme au-dessous d’elles.

L’Ave Maria est une rosée céleste et divine qui, tombant dans l’âme d’un prédestiné, lui communique une fécondité admirable pour produire toutes sortes de vertus, et plus l’âme est arrosée par cette prière, plus elle devient éclairée dans l’esprit, embrasée dans le cœur et fortifiée contre tous ses ennemis.

L’Ave Maria est un trait perçant et enflammé qui, étant uni par un prédicateur à la parole de Dieu qu’il annonce, lui donne la force de percer, de toucher et de convertir les cœurs les plus endurcis, quoique d’ailleurs il n’ait pas beaucoup de talent naturel pour la prédication.

Ce fut ce trait secret que la Sainte Vierge, comme j’ai déjà dit, enseigna à saint Dominique et au bienheureux Alain, pour convertir les hérétiques et les pécheurs. C’est de là qu’est venue la pratique des prédicateurs de dire un Ave Maria en commençant leurs prédications, comme assure saint Antonin.

18ème Rose

52. Cette divine Salutation attire sur nous la bénédiction abondante de Jésus et de Marie, car c’est un principe infaillible que Jésus et Marie récompensent magnifiquement ceux qui les glorifient: ils rendent au centuple les bénédictions qu’on leur donne. Ego diligentes me diligo… ut ditem diligentes me et thesauros eorum repleam (Pr 8,17,21). C’est ce que Jésus et Marie criaient hautement: «Nous aimons ceux qui nous aiment, nous les enrichissons et nous remplissons leurs trésors.» — Qui seminat in benedictionibus, in benedictionibus et metet (2 Co 9,6): «Ceux qui sèment des bénédictions recueilleront des bénédictions.»

Or n’est-ce pas aimer, bénir et glorifier Jésus et Marie que de réciter comme il faut la Salutation angélique? En chaque Ave Maria, on donnera deux bénédictions à Jésus et à Marie. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de votre ventre, Jésus. Par chaque Ave Maria, vous rendez à Marie le même honneur que Dieu lui rendit en la saluant avec l’archange Gabriel. Qui pourrait croire que Jésus et Marie, qui font du bien souvent à ceux qui les maudissent, donnassent leurs malédictions à ceux et celles qui les bénissent et les honorent par l’Ave Maria?

La Reine des cieux, disent saint Bernard et saint Bonaventure, n’est pas moins reconnaissante et honnête que les personnes de qualité bien élevées en ce monde: elle les surpasse même en cette vertu comme en toutes les autres perfections; elle ne souffrira donc jamais que nous l’honorions avec respect, qu’elle ne nous le rende au centuple. Marie, dit saint Bonaventure, nous salue avec la grâce, si nous la saluons avec l’Ave Maria: Ipsa salutabit nos cum gratia si salutaverimus eam cum Ave Maria.

Qui pourrait comprendre les grâces et les bénédictions qu’opèrent en nous le salut et les regards bénins de la Sainte Vierge?

Dans le moment que sainte Élisabeth entendit le salut que lui donna la Mère de Dieu, elle fut remplie du Saint-Esprit, et l’enfant qu’elle portait dans son sein tressaillit de joie. Si nous nous rendons dignes du salut et de la bénédiction réciproques de la Sainte Vierge, sans doute nous serons remplis de la grâce et un torrent de consolations spirituelles découlera dans nos âmes.

19ème Rose

53. Il est écrit: «Donnez et l’on vous donnera» (Lc 6,38). Prenons la comparaison du bienheureux Alain: «Si je vous donnais chaque jour cent cinquante diamants, quand vous seriez mon ennemi, ne me pardonneriez-vous pas? Ne me feriez-vous pas comme un ami, toutes les grâces que vous pourriez? Voulez-vous vous enrichir des biens de la grâce et de la gloire? saluez la Sainte Vierge, honorez votre bonne Mère.»

Sicut qui thesaurizat, ita et qui honorificat matrem (Si 3,5). Celui qui honore sa Mère, la Sainte Vierge, est semblable à un homme qui amasse des trésors.

Présentez-lui chaque jour au moins cinquante Ave Maria dont chacun contient quinze pierres précieuses, qui lui sont plus agréables que toutes les richesses de la terre. Que ne devez-vous pas attendre de sa libéralité? Elle est notre Mère et notre amie. Elle est l’impératrice de l’univers qui nous aime plus que toutes les mères et les reines ensemble n’ont aimé un homme mortel, car, dit saint Augustin, la charité de la Vierge Marie excède tout l’amour naturel de tous les hommes et de tous les anges.

54. Un jour, Notre-Seigneur apparut à sainte Gertrude comptant des pièces d’or; elle eut la hardiesse de lui demander ce qu’il comptait. «Je compte, lui répondit Jésus-Christ, tes Ave Maria, c’est la monnaie dont on achète mon paradis.»

Le dévot et le docte Suarez, de la Compagnie de Jésus, estimait tant le mérite de la Salutation angélique, qu’il disait qu’il aurait volontiers donné toute sa science pour le prix d’un Ave Maria bien dit.

55. «Que celui qui vous aime, ô divine Marie, lui dit le bienheureux Alain de la Roche, écoute et goûte: Le ciel est dans la joie, la terre est dans l’admiration, toutes les fois que je dis: Ave Maria; j’ai le monde en horreur, j’ai l’amour de Dieu dans mon cœur, lorsque je dis: Ave Maria; mes craintes s’évanouissent, mes passions se mortifient, quand je dis: Ave Maria; je croîs dans la dévotion, je trouve la componction, quand je dis: Ave Maria; mon espérance s’affermit, ma consolation s’augmente, lorsque je dis: Ave Maria; mon esprit se réjouit, mon chagrin se dissipe, quand je dis: Ave Maria; car la douceur de cette bénigne salutation est si grande qu’on n’a point de terme pour l’expliquer comme il faut, et après qu’on en aura dit des merveilles, elle demeure encore si cachée et si profonde qu’on ne la peut découvrir. Elle est courte en paroles, mais grande en mystères; elle est plus douce que le miel et plus précieuse que l’or; il faut très fréquemment l’avoir dans le cœur pour la méditer, et dans la bouche pour la lire et la répéter dévotement.»

«Auscultet tui nominis amator, o Maria, coelum gaudet, omnis terra stupet cum dico Ave Maria; Satan fugit, infernus contremiscit, cum dico Ave Maria; mundus vilescit, cor in amore liquescit, cum dico Ave Maria; terror evanescit, caro marcescit, cum dico Ave Maria; crescit devotio, oritur compunctio, cum dico Ave Maria; spes proficit, augetur consolatio, cum dico Ave Maria; recreatur animus, et in bono confortatur aeger affectus, cum dico Ave Maria. Siquidem tanta suavitas hujus benignae salutationis, ut humanis non possit explicari verbis, sed semper manet altior et profundior quam omnis creatura indagare sufficiat. Haec oratio parva est verbis, alta mysteriis, brevis sermone, alta virtute, super mel dulcis, super aurum pretiosa; ore cordis est jugiter ruminanda labiisque puris frequentissime legenda ac devote repetenda.»

Le même bienheureux Alain rapporte, au chapitre 69 de son psautier, qu’une religieuse très dévote au Rosaire apparut après sa mort à une de ses sœurs et lui dit: «Si je pouvais retourner dans mon corps pour dire seulement un Ave Maria, quoique sans beaucoup de ferveur, pour avoir le mérite de cette prière, je souffrirais volontiers tout de nouveau toutes les douleurs que j’ai souffertes avant de mourir.» Il faut remarquer qu’elle avait souffert plusieurs années sur son lit des douleurs violentes.

56. Michel de Lisle, évêque de Salubre, disciple et collègue du bienheureux Alain de la Roche dans le rétablissement du saint Rosaire, dit que la Salutation angélique est le remède à tous les maux qui nous affligent, pourvu que nous la récitions dévotement en l’honneur de la Sainte Vierge.

20ème Rose

Brève explication de l’Ave Maria

57. Êtes-vous dans la misère du péché? Invoquez la divine Marie, dites-lui: «Ave», qui veut dire: je vous salue dans un très profond respect, ô vous qui êtes sans péché et sans malheur. Elle vous délivrera du mal de vos péchés.

Êtes-vous dans les ténèbres de l’ignorance ou de l’erreur? Venez à Marie, dites-lui: «Ave Maria», c’est-à-dire Illuminée des rayons du soleil de justice; et elle vous fera part de ses lumières.

Êtes-vous égaré du chemin du ciel? Invoquez Marie, qui veut dire: Étoile de la mer et l’étoile polaire qui guide notre navigation en ce monde, et elle vous conduira au port du salut éternel.

Êtes-vous dans l’affliction? Ayez recours à Marie qui veut dire: mer amère qui a été remplie d’amertume en ce monde et qui est présentement changée dans une mer de pures douceurs au ciel; elle convertira votre tristesse en joie et vos afflictions en consolations.

Avez-vous perdu la grâce? Honorez l’abondance des grâces dont Dieu a rempli la Sainte Vierge, dites-lui:

«Pleine de grâces» et de tous les dons du Saint-Esprit, et elle vous fera part de ses grâces.

Êtes-vous seul, privé de la protection de Dieu, adressez-vous à Marie, dites-lui: «Le Seigneur est avec vous» plus noblement et intimement que dans les justes et les saints, car vous êtes une même chose avec Lui; étant votre Fils, sa chair est votre chair, vous êtes avec le Seigneur par une très parfaite ressemblance et par une mutuelle charité; car vous êtes sa Mère. Dites-lui enfin: Toute la très sainte Trinité est avec vous dont vous êtes le Temple précieux; et elle vous remettra sous la protection et sauvegarde de Dieu.

Êtes-vous devenu l’objet de la malédiction de Dieu? Dites: «Vous êtes bénie par-dessus toutes les femmes» et de toutes les nations, pour votre pureté et fécondité; vous avez changé la malédiction divine en bénédiction; et elle vous bénira.

Avez-vous faim du pain de la grâce et du pain de vie? Approchez de celle qui a porté le pain vivant qui est descendu du Ciel, dites-lui: «Le fruit de votre ventre soit béni», lequel vous avez conçu sans nul déchet de votre virginité, que vous avez porté sans peine et enfanté sans douleur. «Jésus» soit béni qui a racheté le monde captif, guéri le monde malade, ressuscité l’homme mort, ramené l’homme banni, justifié l’homme criminel, sauvé l’homme damné. Sans doute votre âme sera rassasiée du pain de la grâce en cette vie et de la gloire éternelle en l’autre. Amen.

58. Concluez votre prière avec l’Église et dites: «Sainte Marie», sainte au corps et en l’âme, sainte par un dévouement singulier et éternel au service de Dieu, sainte en qualité de Mère de Dieu qui vous a douée d’une éminente sainteté, convenable à cette dignité infinie.

«Mère de Dieu», qui êtes aussi notre Mère, notre Avocate et Médiatrice, la Trésorière et Dispensatrice des grâces de Dieu, procurez-nous promptement le pardon de nos péchés et notre réconciliation avec la divine Majesté.

«Priez pour nous pécheurs», vous qui avez tant de compassion des misérables, qui ne méprisez et ne rebutez point les pécheurs, sans lesquels vous ne seriez pas la Mère du Sauveur.

«Priez pour nous maintenant», pendant le temps de cette vie courte, fragile et misérable, «maintenant», car nous n’avons d’assuré que ce moment présent, maintenant que nous sommes attaqués et environnés nuit et jour d’ennemis puissants et cruels.

«Et à l’heure de notre mort», si terrible et si périlleuse, où nos forces sont épuisées, où nos esprits et nos corps sont abattus par la douleur et la crainte; à l’heure de notre mort que Satan redouble ses efforts afin de nous perdre pour jamais; à cette heure que ce sera la décision de notre sort pour toute l’éternité bienheureuse ou malheureuse. Venez au secours de vos pauvres enfants, ô Mère pitoyable, ô l’avocate et le refuge des pécheurs, chassez loin de nous, à l’heure de la mort, les démons nos accusateurs et nos ennemis, dont l’aspect effroyable nous épouvante. Venez nous éclairer dans les ténèbres de la mort. Conduisez-nous, accompagnez-nous au tribunal de notre juge, votre Fils; intercédez pour nous, afin qu’il nous pardonne et nous reçoive au nombre de vos élus dans le séjour de la gloire éternelle. «Amen.» Ainsi soit-il.

59. Qui n’admirera l’excellence du saint Rosaire, composé de ces deux divines parties: l’Oraison dominicale et la Salutation angélique? Y a-t-il de prière plus agréable à Dieu et à la Sainte Vierge, plus facile, plus douce et plus salutaire aux hommes? Ayons-les toujours au cœur et dans la bouche pour honorer la très sainte Trinité, Jésus-Christ notre Sauveur et sa très sainte Mère. De plus, à la fin de chaque dizaine, il est bon d’ajouter le Gloria Patri, etc., c’est-à-dire: Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il était au commencement, comme il est maintemant et il sera dans tous les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Première Dizaine

PREMIÈRE DIZAINE

L’EXCELLENCE DU SAINT ROSAIRE DANS SON ORIGINE ET SON NOM

1ère Rose

9. Le Rosaire renferme deux choses, savoir: l’oraison mentale et l’oraison vocale. L’oraison mentale du saint Rosaire n’est autre chose que la méditation des principaux mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa très sainte Mère. L’oraison vocale du Rosaire consiste à dire quinze dizaines d’Ave Maria précédées par un Pater pendant qu’on médite et qu’on contemple les quinze vertus principales que Jésus et Marie ont pratiquées dans les quinze mystères du saint Rosaire.

Dans le premier chapelet, qui est de cinq dizaines, on honore et on considère les cinq mystères joyeux; au second les cinq mystères douloureux, et au troisième les cinq mystères glorieux. Ainsi le saint Rosaire est un sacré composé de l’oraison vocale et mentale pour honorer et imiter les mystères et les vertus de la vie, de la mort et de la passion et de la gloire de Jésus-Christ et de Marie.

2ème Rose

10. Le saint Rosaire dans son fond et dans sa substance étant composé de la prière de Jésus-Christ et de la Salutation angélique, savoir le Pater et l’Ave, et de la méditation des mystères de Jésus et de Marie, c’est sans doute la première prière et la première dévotion des fidèles, qui depuis les apôtres et les disciples a été en usage de siècle en siècle jusqu’à nous.

11. Cependant le saint Rosaire, dans sa forme et la méthode dont on le récite à présent, n’a été inspiré à son Église, donné de la Sainte Vierge à saint Dominique pour convertir les hérétiques albigeois et les pécheurs, qu’en l’an 1214, de la manière que je vais dire, comme le rapporte le bienheureux Alain de la Roche dans son fameux livre intitulé: De Dignitate Psalterii. «Saint Dominique, voyant que les crimes des hommes mettaient obstacle à la conversion des Albigeois, entra dans une forêt proche de Toulouse et y passa trois jours et trois nuits dans une continuelle oraison et pénitence; il ne cessait de gémir, de pleurer et de se macérer le corps à coups de discipline, afin d’apaiser la colère de Dieu, de sorte qu’il tomba à demi mort. La Sainte Vierge lui apparut, accompagnée de trois princesses du ciel et lui dit: « Sais-tu, mon cher Dominique, de quelle arme la Sainte-Trinité s’est servie pour réformer le monde? — O Madame, répondit-il, vous le savez mieux que moi, car après votre Fils Jésus-Christ vous avez été le principal instrument de notre salut. » Elle ajouta: « Sache que la principale pièce de batterie a été le psautier angélique, qui est le fondement du Nouveau Testament; c’est pourquoi, si tu veux gagner à Dieu ces cœurs endurcis, prêche mon psautier. » Le saint se leva tout consolé et, brûlant du zèle du salut de ces peuples, il entra dans l’église cathédrale; incontinent les cloches sonnèrent par l’entremise des anges pour assembler les habitants, et au commencement de la prédication un orage effroyable s’éleva; la terre trembla, le soleil s’obscurcit, les tonnerres et les éclairs redoublés firent pâlir et trembler tous les auditeurs; et leur terreur augmenta quand ils virent une image de la Sainte Vierge, exposée sur un lieu éminent, lever les bras par trois fois vers le ciel pour demander vengeance à Dieu contre eux, s’ils ne se convertissaient et ne recouraient à la protection de la sacrée Mère de Dieu.

Le ciel voulait par ces prodiges augmenter la nouvelle dévotion du saint Rosaire et la rendre plus fameuse.

L’orage cessa enfin par les prières de saint Dominique. Il poursuivit son discours et expliqua avec tant de ferveur et de force l’excellence du saint Rosaire, que les Toulousains l’embrassèrent presque tous et renoncèrent presque tous à leurs erreurs, et l’on vit, en peu de temps, un grand changement de mœurs et de vie dans la ville» (Rosier mystique, 1ère dizaine, ch. 3).

3ème Rose

12. Cet établissement miraculeux du saint Rosaire, qui a quelque rapport avec la manière dont Dieu donna sa loi au monde sur la montagne de Sinaï, montre évidemment l’excellence de cette divine pratique; aussi saint Dominique, inspiré du Saint-Esprit, instruit par la Sainte Vierge et par sa propre expérience, prêcha tout le reste de sa vie le saint Rosaire par exemple et de vive voix dans les villes et les campagnes, devant les grands et les petits, devant les savants et les ignorants, devant les catholiques et les hérétiques. Le saint Rosaire, qu’il récitait tous les jours, était sa préparation devant la prédication et son rendez-vous après la prédication.

13. Lorsque le saint était, un jour de Saint-Jean l’Évangéliste, à Notre-Dame de Paris, derrière le grand autel, dans une chapelle, pour se préparer à prêcher, en récitant le saint Rosaire, la Sainte Vierge lui apparut et lui dit: «Dominique, quoique ce que tu as préparé pour prêcher soit bon, voici pourtant un sermon bien meilleur que je t’apporte.» Saint Dominique reçoit de ses mains le livre où était ce sermon, le lit, le goûte et le comprend, en rend grâces à la Sainte Vierge. L’heure du sermon arrivée, il monte en chaire et, après n’avoir dit à la louange de saint Jean l’Évangéliste autre chose sinon qu’il avait mérité d’être le gardien de la Reine du ciel, il dit à toute l’assemblée des grands et des docteurs qui étaient venus l’entendre, qui étaient accoutumés à n’entendre que des discours curieux et polis, mais que, pour lui, il ne parlerait point dans les paroles savantes de la sagesse humaine, mais dans la simplicité et la force du Saint-Esprit. Alors saint Dominique leur prêcha le saint Rosaire et leur expliqua mot à mot, comme à des enfants, la Salutation angélique, en se servant des comparaisons fort simples qu’il avait lues dans le papier que lui avait donné la Sainte Vierge.

14. Voici les propres paroles du savant Cartagène qu’il a tirées en partie du livre du bienheureux Alain de la Roche intitulé De Dignitate Psalterii: «B. Alanus Patrem sanctum Dominicum sibi haec in revelatione dixisse testatur: « Tu praedicas, fili, sed uti caveas ne potius laudem humanam quaeras quam animarum fructum, audi quid mihi Parisiis contigit. Debebam in majori ecclesia beatae Mariae praedicare, et volebam curiose non jactantiae causa, sed propter astantium facultatem et dignitatem. Cum igitur more meo per horam fere ante sermonem in psalterio meo (Rosarium intelligit) quadam in capella post altare majus orarem, subito factus in raptum, cernebam amicam meam Dei Genitricem afferentem mihi libellum et dicentem: « Dominice, et si bonum est quod praedicare disposuisti sermonem, tamen longe meliorem attuli. » Laetus librum capio, lego constanter, ut dixit, reperio, gratias ago, adest hora sermonis, adest parisiensis Universitas tota, dominorumque numerus magnus. Audiebant quippe et videbant signa magna quae per me Dominus operabatur; itaque ambonem ascendo. Festum erat sancti Joannis Evangelistae. De eo aliud non dico nisi quod custos singularis esse meruit Reginae coeli. Deinde auditores sic alloquor: Domini et Magistri praestantissimi, aures reverentiae vestrae solitae sunt curiosos audire sermones et auscultare. At nunc ego non in doctis humanae sapientiae verbis, sed in ostensione spiritus et virtutis loquar. » Tunc, ait Carthagena post beatum Alanum, stans Dominicus eis explicavit Salutationem angelicam comparationibus et similitudinibus familiaribus hoc modo.»

(Le bienheureux Alain affirme que son Père saint Dominique lui dit un jour dans une révélation: « Mon fils, tu prêches; mais pour que tu ne cherches pas plutôt la louange humaine que le salut des âmes, écoute ce qui m’est arrivé à Paris. Je devais prêcher dans la grande église dédiée à la bienheureuse Marie, et je voulais le faire d’une manière ingénieuse, non par orgueil, mais à cause de la puissance et de la dignité des assistants. Comme, selon ma coutume, je priais en récitant mon Rosaire durant l’heure qui précédait mon sermon, j’eus un ravissement. Je voyais mon amie la Mère de Dieu m’apportant un petit livre et me disant: « Dominique, si bon que soit le sermon que tu as résolu de prêcher, je t’en ai apporté un bien meilleur. » Tout joyeux, je prends le livre, je le lis en entier, et, comme Marie l’avait dit, je trouve ce qu’il faut prêcher. Je l’en remercie de tout cœur. L’heure du sermon venue, j’avais devant moi l’Université de Paris tout entière et un grand nombre de seigneurs. Ils entendaient et voyaient les grands signes que le Seigneur opérait par moi. Je monte à l’ambon. C’était la fête de saint Jean, mais de cet apôtre je me contente de dire qu’il mérita d’être choisi pour le gardien de la Reine du ciel. Ensuite je parlai ainsi à mon auditoire: Seigneurs et Maîtres illustres, vous êtes habitués à entendre des sermons élégants et savants. Pour moi, je ne veux pas vous adresser les doctes paroles de la sagesse humaine, mais vous montrer l’Esprit de Dieu et sa vertu. » Et alors, dit Cartagène après le bienheureux Alain, saint Dominique leur expliqua la Salutation angélique par des comparaisons et des similitudes familières.)

15. Et le bienheureux Alain de la Roche, comme dit le même Cartagène, rapporte plusieurs autres apparitions de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge à saint Dominique pour le presser et l’animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire, afin de détruire le péché et de convertir les pécheurs et les hérétiques; il dit en un endroit: «Beatus Alanus dicit sibi a beata Virgine revelatum fuisse Christum Filium suum apparuisse post se sancto Dominico et ipsi dixisse: « Dominice, gaudeo quod non confidas in tua sapientia, sed cum humilitate potius affectas salvare animas quam vanis hominibus placere. Sed multi praedicatores statim volunt contra gravissima peccata instare, ignorantes quod ante gravem medicinam debet fieri praeparatio, ne medicina sit inanis et vacua: quapropter prius homines debent induci ad orationis devotionem et signanter ad psalterium meum angelicum; quoniam, si omnes coeperint hoc orare, non dubium est quin perseverantibus aderit pietas divinae clementiae. Praedica ergo psalterium meum. »»

(Le bienheureux Alain dit que la Sainte Vierge lui révéla que Jésus-Christ son Fils était apparu après elle à saint Dominique et lui avait dit: « Dominique, je me réjouis de voir que tu ne t’appuies pas sur ta propre sagesse, et que tu travailles avec humilité au salut des âmes, plutôt que de chercher à plaire aux hommes vains. Mais beaucoup de prédicateurs veulent tout de suite tonner contre les péchés les plus graves, ignorant qu’avant de donner un remède pénible, il faut préparer le malade à le recevoir et à en profiter. C’est pourquoi ils doivent d’abord exhorter leurs auditeurs à l’amour de l’oraison, et spécialement à mon angélique psautier; car si tous commencent à prier de la sorte, il n’est pas douteux que la divine clémence ne soit propice à ceux qui persévéreront. Prêche donc mon Rosaire. »)

16. Il dit dans un autre endroit: «Omnes sermocinantes et praedicantes christicolis exordium pro gratia impetranda a Salutatione angelica faciunt. Hujus rei ratio sumpta est ex revelatione facta beato Dominico cui beata Virgo dixit: « Dominice, fili, nil mireris quod concionando minime proficias. Enimvero aras solum a pluvia non irrigatum. Scitoque, cum Deus renovare decrevit mundum Salutationis angelicae pluviam praemisit; sicque ipse in melius est reformatus. — Hortare igitur homines in concionibus ad Rosarii mei recitationem, et magnos animarum fructus colliges. » Quod sanctus Dominicus strenue executus uberes ex suis concionibus animarum fructus retulit.»

(Tous les prédicateurs font dire aux chrétiens la Salutation angélique au commencement de leurs sermons pour obtenir la grâce divine. La raison en vient d’une révélation faite à saint Dominique par la bienheureuse Vierge. « Mon fils, lui dit-elle, ne t’étonne pas de ne pas réussir en tes prédications. Car tu laboures un sol qui n’a pas été arrosé par la pluie. Sache que, quand Dieu voulut renouveler le monde, il envoya d’abord la pluie de la Salutation angélique; et c’est ainsi que le monde fut réformé. Exhorte donc les hommes dans tes sermons à réciter mon Rosaire et tu en recueilleras de grands fruits pour les âmes. » Ce que saint Dominique ayant fait avec constance, ses prédications obtinrent un remarquable succès.)

17. J’ai pris plaisir à rapporter mot à mot ces passages latins de ces bons auteurs en faveur des prédicateurs et personnes savantes qui pourraient révoquer en doute la merveilleuse vertu du saint Rosaire. Pendant qu’à l’exemple de saint Dominique les prédicateurs prêchaient la dévotion du saint Rosaire, la piété et la ferveur fleurissaient dans les ordres religieux qui pratiquaient cette dévotion, et dans le monde chrétien; mais depuis qu’on eut négligé ce présent venu du ciel, on ne vit que péchés et que désordres partout.

4ème Rose

18. Comme toutes choses, même les plus saintes, quand particulièrement elles dépendent de la volonté des hommes, sont sujettes aux changements, il ne faut pas s’étonner si la confrérie du saint Rosaire n’a subsisté en sa première ferveur qu’environ cent ans, après son institution; ainsi, elle a été presque ensevelie dans l’oubli. Outre que la malice et l’envie du démon a sans doute beaucoup contribué à faire négliger le saint Rosaire pour arrêter le cours des grâces de Dieu que cette dévotion attirait au monde. En effet, la justice divine affligea tous les royaumes de l’Europe l’an 1349 de la plus horrible peste que l’on ait jamais vue, laquelle, du levant, se répandit dans l’Italie, l’Allemagne, la France, la Pologne, la Hongrie, et de là presque toutes ces terres furent dévastées, car de cent hommes à peine en restait-il un en vie; les villes, les bourgs, les villages et les monastères furent presque entièrement désertés pendant trois ans que dura cette contagion. Et ce fléau de Dieu fut suivi de deux autres: de l’hérésie des Flagellants et d’un malheureux schisme en 1376.

19. Après que, par la miséricorde de Dieu, ces misères eurent cessé, la Sainte Vierge ordonna au bienheureux Alain de la Roche, célèbre docteur et fameux prédicateur de l’ordre de Saint-Dominique du couvent de Dinan en Bretagne, de renouveler l’ancienne confrérie du saint Rosaire, afin que, comme cette célèbre confrérie avait pris naissance en cette province, un religieux de la même province eût l’honneur de la rétablir. Ce bienheureux Père commença à travailler à ce grand ouvrage l’an 1460, après particulièrement que Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme il rapporte de lui-même, lui ayant dit un jour dans la sainte Hostie, lorsqu’il célébrait la sainte Messe, afin de le déterminer à prêcher le saint Rosaire: «Quoi donc, lui dit Jésus-Christ, tu me crucifies encore derechef! — Comment, Seigneur? répondit le bienheureux Alain tout épouvanté. — Ce sont tes péchés qui me crucifient, lui répondit Jésus-Christ, et j’aimerais mieux être crucifié encore une fois que de voir mon Père offensé par les péchés que tu as autrefois commis. Et tu me crucifies encore à présent, parce que tu as la science et ce qui est nécessaire pour prêcher le Rosaire de ma Mère et par ce moyen instruire et retirer plusieurs âmes du péché; tu les sauverais et tu empêcherais de grands maux; et ne le faisant pas, tu es coupable des péchés qu’ils commettent.» Ces terribles reproches firent résoudre le bienheureux Alain de prêcher incessamment le Rosaire.

20. La Sainte Vierge lui dit aussi un jour, pour l’animer de plus en plus à prêcher le saint Rosaire: «Tu as été un grand pécheur en ta jeunesse, mais j’ai obtenu de mon fils ta conversion, j’ai prié pour toi et j’ai désiré, s’il eût été possible, toutes sortes de peines pour te sauver parce que les pécheurs convertis sont ma gloire, et pour te rendre digne de prêcher partout mon Rosaire.» Saint Dominique, lui découvrant les grands fruits qu’il avait faits parmi les peuples par cette belle dévotion qu’il leur prêchait continuellement, lui disait: «Vides quomodo profecerim in sermone isto; id etiam facies et tu, et omnes Mariae amatores, ut sic trahatis omnes populos ad omnem scientiam virtutum.» «Vois le fruit que j’ai fait par la prédication du saint Rosaire; faites-en de même, tu et tous les autres qui aimez la Sainte Vierge, afin que vous attiriez, par ce saint exercice du Rosaire, tous les peuples à la véritable science des vertus.»

Voilà en abrégé ce que l’histoire nous apprend de l’établissement du saint Rosaire par saint Dominique et de sa rénovation par le bienheureux Alain de la Roche.

5ème Rose

21. Il n’y a à proprement parler qu’une sorte de confrérie du Rosaire composé de 150 Ave Maria; mais par rapport à la ferveur des différentes personnes qui le pratiquent, il y en a de trois sortes, savoir: le Rosaire commun ou ordinaire, le Rosaire perpétuel et le Rosaire quotidien. La confrérie du Rosaire ordinaire n’exige qu’on le récite qu’une fois par semaine. Celle du Rosaire perpétuel qu’une fois par an, mais celle du Rosaire quotidien demande qu’on le dise tous les jours tout entier, c’est-à-dire 150 Ave Maria. Aucun de ces Rosaires n’engage à péché, pas même véniel, si on vient à y manquer, parce que cet engagement est tout à fait volontaire et de surérogation; mais il ne faut pas s’enrôler dans la confrérie si on n’a pas la volonté déterminée à le réciter selon que la confrérie le demande autant qu’on le pourra sans manquer aux obligations de l’état. Ainsi lorsque la récitation du saint Rosaire se trouve en concurrence avec une action à laquelle l’état engage, on doit préférer cette action au Rosaire, quelque saint qu’il soit. Lorsque dans la maladie on ne peut le dire ni tout entier ni en partie, sans augmenter son mal, on n’y est pas obligé. Lorsque par une obéissance légitime, ou par un oubli involontaire, ou par une nécessité pressante, on n’a pu le dire il n’y a aucun péché, même véniel; on ne laisse pas de participer aux grâces et aux mérites des autres frères et sœurs du saint Rosaire qui le disent dans le monde.

Chrétien, si vous manquez même de le dire par pure négligence, sans aucun mépris formel, vous ne péchez pas aussi, absolument parlant, mais vous perdez la participation des prières et des bonnes œuvres et mérites de la confrérie, et par votre infidélité en choses petites et de surérogation, vous tomberez insensiblement dans l’infidélité aux choses grandes et d’obligation essentielle; car: Qui spernit modica paulatim decidet (Si 19,1).

6ème Rose

22. Depuis le temps que saint Dominique a établi cette dévotion jusqu’à l’an 1460, que le bienheureux Alain de la Roche, par l’ordre du ciel, l’a renouvelée, on l’appelle le psautier de Jésus et de la Sainte Vierge, parce qu’elle contient autant de Salutations angéliques que le psautier de David contient de psaumes, et que, les simples et les ignorants ne pouvant pas réciter le psautier de David, on trouve dans la récitation du saint Rosaire un fruit égal à celui qu’on tire de la récitation des psaumes de David et même encore un plus abondant: 1º Parce que le psautier angélique a un fruit plus noble, savoir: le Verbe incarné, au lieu que le psautier de David ne fait que le prédire; 2º Comme la vérité surpasse la figure et le corps l’ombre, de même le psautier de la Sainte Vierge surpasse le psautier de David qui n’en a été que l’ombre et la figure; 3º Parce que la Sainte-Trinité a immédiatement fait le psautier de la Sainte Vierge ou le Rosaire composé du Pater et de l’Ave.

Voici ce que le savant Cartagène rapporte sur ce sujet: «Sapientissimus Aquensis, libro ejus de Rosacea Corona ad Imperatorem Maximilianum conscripto, dicit: Salutandae Mariae ritus novitiis inventis haud quaquam adscribitur. Si quidem cum ipsa pene ecclesia pullulavit; nam cum inter ipsa nascentis ecclesiae primordia, perfectiores quoque fideles tribus illis Davidicorum psalmorum quinquagenis, divinas laudes assidue celebrarent, ad rudiores quoque qui modo arctius divinis vacabant piis moris aemulatio est derivata… rati id quod erat, cuncta illorum sacramenta psalmorum in coelesti hoc elogio delitescere, si quidem eum quem psalmi venturum concinunt, hunc jam adesse, haec formula nuntiavit; sicque trinas salutationum quinquagenas « Mariae Psalterium » appellare coeperunt, oratione utique dominica in singulas decades ubique praeposita prout a psalmidicis observari ante adverterunt.»

(Le très savant écrivain d’Aix-la-Chapelle (J. Beyssel) dit dans son livre La Couronne de Roses dédié à l’empereur Maximilien: On ne peut pas soutenir que la salutation mariale soit une invention récente. Elle se répandit avec l’Église elle-même. En effet, aux toutes premières origines de l’Église, les fidèles plus instruits célébraient les louanges divines par la triple cinquantaine des Psaumes de David. Chez les simples, qui se heurtaient à plus de difficulté dans le service divin, naquit ainsi une sainte émulation… Ils pensèrent, ce qui est un fait, que dans cet éloge céleste (le Rosaire) sont inclus tous les divins secrets des Psaumes, et cela surtout parce que si les Psaumes le chantaient comme devant venir, cette formule de prière s’adressait à Lui comme étant déjà venu. C’est ainsi qu’ils commencèrent à appeler « Psautier de Marie » les trois cinquantaines de Salutations, faisant même précéder chaque dizaine de l’Oraison dominicale comme ils avaient vu faire à ceux qui récitaient les psaumes.)

23. Le psautier ou le Rosaire de la Sainte Vierge est divisé en trois chapelets de cinq dizaines chacun: 1º pour honorer les trois personnes de la Sainte-Trinité; 2º pour honorer la vie, la mort et la gloire de Jésus-Christ; 3º pour imiter l’Église triomphante, pour aider la militante et soulager la souffrante; 4º pour imiter les trois parties des psaumes dont la première est pour la vie purgative, la seconde pour la vie illuminative et la troisième pour la vie unitive; 5º pour nous remplir de grâce pendant la vie, de paix à la mort et de gloire dans l’éternité.

7ème Rose

24. Depuis que le bienheureux Alain de la Roche a renouvelé cette dévotion, la voix publique, qui est la voix de Dieu, lui a donné le nom de Rosaire qui signifie couronne de roses; c’est-à-dire que toutes les fois que l’on dit comme il faut son Rosaire, on met sur la tête de Jésus et de Marie une couronne composée de cent-cinquante-trois roses blanches et de seize roses rouges du paradis, lesquelles ne perdront jamais ni leur beauté ni leur éclat. La Sainte Vierge a approuvé et confirmé ce nom de Rosaire, révélant à plusieurs qu’ils lui présentaient autant d’agréables roses qu’ils réciteront d’Ave Maria en son honneur et autant de couronnes de roses qu’ils diront de Rosaires.

25. «Le frère Alphonse Rodriguez, de la Compagnie de Jésus, récitait son Rosaire avec tant d’ardeur qu’il voyait souvent, à chaque Pater, sortir de sa bouche une rose vermeille, et à chaque Ave Maria une blanche égale en beauté et en bonne odeur et seulement différente de couleur.

Les chroniques de saint François racontent qu’un jeune religieux avait cette louable coutume de dire tous les jours avant son repas la couronne de la Sainte Vierge. Un jour, par je ne sais quel accident, il y manqua; le dîner étant sonné, il pria le supérieur de lui permettre de la réciter avant que d’aller à table. Avec cette permission, il se retira dans sa chambre; mais comme il tardait trop, le supérieur envoya un religieux pour l’appeler.

Ce religieux le trouva dans sa chambre, tout éclatant d’une céleste lumière, et la Sainte Vierge avec deux anges auprès de lui; à mesure qu’il disait un Ave Maria, une belle rose sortait de sa bouche, les anges prenaient les roses l’une après l’autre et les mettaient sur la tête de la Sainte Vierge qui en témoignait de l’agrément. Deux autres religieux envoyés pour voir la cause du retardement des autres virent tout ce mystère, et la Sainte Vierge ne disparut point que la couronne ne fût récitée» (Antoine Boissieu, S.J., Le Chrétien prédestiné par la dévotion à la Sainte Vierge).

Le Rosaire est donc une grande couronne et le chapelet est un petit chapeau de fleurs ou petite couronne de roses célestes qu’on met sur la tête de Jésus et de Marie. La rose est la reine des fleurs, de même le Rosaire est la rose et la première des dévotions.

8ème Rose

26. Il n’est pas possible d’exprimer combien la Sainte Vierge estime le Rosaire sur toutes les dévotions et combien elle est magnifique à récompenser ceux qui travaillent à le prêcher, l’établir et le cultiver; et au contraire combien elle est terrible contre ceux qui veulent s’y opposer.

Saint Dominique n’a eu rien tant à cœur pendant sa vie que de louer la Sainte Vierge, de prêcher ses grandeurs et d’animer tout le monde à l’honorer par son Rosaire. Cette puissante Reine du ciel n’a cessé aussi de répandre sur ce saint des bénédictions à pleines mains; et elle a couronné ses travaux de mille prodiges et miracles, il n’a jamais rien demandé à Dieu qu’il ne l’ait obtenu par l’intercession de la Sainte Vierge; et, pour comble de faveur, elle l’a rendu victorieux de l’hérésie des Albigeois et fait père et patriarche d’un grand ordre.

27. Que dirai-je du bienheureux Alain de la Roche, réparateur de cette dévotion?

La Sainte Vierge l’a honoré plusieurs fois de sa visite pour l’instruire des moyens de faire son salut, de se rendre bon prêtre, parfait religieux et imitateur de Jésus-Christ.

Pendant les tentations et les persécutions horribles des démons qui le réduisaient à une extrême tristesse et presque au désespoir, elle le consolait et dissipait par sa douce présence tous ces nuages et ces ténèbres. Elle lui a enseigné la méthode de dire le Rosaire, ses excellences et ses fruits; elle l’a favorisé de la glorieuse qualité de son nouvel époux, et pour gage de ses chastes affections, elle lui a mis une bague au doigt, un collier fait de ses cheveux au col, et lui a donné un rosaire. L’abbé Tritème, le docte Cartagène, le savant Martin Navarre et les autres en parlent avec éloges.

Après avoir attiré à la confrérie du Rosaire plus de cent mille âmes, il mourut à Zwolle, en Flandre, le 8 septembre 1475.

28. «Le démon, jaloux des grands fruits que le bienheureux Thomas de Saint-Jean, célèbre prédicateur du saint Rosaire, faisait par cette pratique, le réduisit, par ses mauvais traitements, à une longue et fâcheuse maladie dans laquelle il fut désespéré des médecins. Une nuit qu’il croyait infailliblement mourir, le démon lui apparut sous une figure épouvantable; mais élevant dévotement les yeux et le cœur vers une image de la Sainte Vierge qui était près de son lit, il cria de toutes ses forces: « Aidez-moi, secourez-moi, ô ma très douce Mère! » A peine eut-il achevé ces paroles, que la Sainte Vierge lui tendit la main de la sainte image, lui serra le bras en lui disant: « Ne crains point, mon fils Thomas, me voici à ton secours; lève-toi et continue de prêcher la dévotion de mon Rosaire comme tu as commencé. Je te défendrai contre tous tes ennemis. » A ces paroles de la Sainte Vierge, le démon prit la fuite. Le malade se leva en parfaite santé, et il rendit grâces à sa bonne Mère avec un torrent de larmes, et continua de prêcher le Rosaire avec un succès merveilleux» (Rosier mystique, 9ème dizaine, ch. 8).

29. La Sainte Vierge ne favorise pas seulement les prédicateurs du Rosaire, elle récompense aussi glorieusement ceux qui, par leur exemple, attirent les autres à cette dévotion.

«Alphonse, roi de Léon et de Galice, désirant que tous ses domestiques honorassent la Sainte Vierge par le Rosaire, s’avisa, pour les y animer par son exemple, de porter un gros rosaire à son côté, mais sans le réciter pourtant: ce qui obligea tous les gens de sa cour à le dire dévotement.

Le roi tomba malade à l’extrémité et lorsqu’on le croyait mort, il fut ravi en esprit au tribunal de Jésus-Christ. Il vit les diables qui l’accusaient de tous les crimes qu’il avait commis et le juge étant sur le point de le condamner aux peines éternelles, la Sainte Vierge se présenta en sa faveur devant son Fils; on apporta une balance, on mit tous les péchés du roi dedans un bassin, et la Sainte Vierge mit le gros rosaire qu’il avait porté en son honneur et avec ceux qu’il avait fait dire par son exemple, qui pesa plus que tous ses péchés, et puis, le regardant d’un œil favorable, elle lui dit: « J’ai obtenu de mon Fils, pour récompense du petit service que tu m’as rendu en portant le rosaire, la prolongation de ta vie pour quelques années. Emploie-les bien, et fais pénitence. » Le roi, revenu de ce ravissement, s’écria: « O bienheureux Rosaire de la Sainte Vierge, par lequel j’ai été délivré de la damnation éternelle. » Après qu’il eut recouvré la santé, il passa le reste de sa vie dans la dévotion du saint Rosaire et le récitait tous les jours» (Rosier mystique, 9ème dizaine, ch. 8).

Que les dévots de la Sainte Vierge tâchent de gagner le plus qu’ils pourront de fidèles à la confrérie du saint Rosaire, à l’exemple de ces saints et de ce roi; ils auront ici-bas ses bonnes grâces et la vie éternelle. Qui elucidant me vitam aeternam habebunt (Si 24,31).

9ème Rose

30. Mais, voyons maintenant quelle injustice c’est d’empêcher le progrès de la confrérie du saint Rosaire et quels sont les châtiments dont Dieu a puni plusieurs malheureux qui ont méprisé et voulu détruire la confrérie du saint Rosaire.

Quoique la dévotion du saint Rosaire ait été autorisée du ciel par plusieurs prodiges et qu’elle soit approuvée de l’Église par plusieurs bulles des papes, il ne se trouve que trop de libertins, d’impies et d’esprits forts du temps, qui tâchent ou de décrier la confrérie du saint Rosaire, ou d’en éloigner du moins les fidèles. Il est aisé de connaître que leurs langues sont infectées du venin de l’enfer et qu’ils sont poussés par l’esprit malin; car nul ne peut désapprouver la dévotion du saint Rosaire, qu’il ne condamne ce qu’il y a de plus pieux dans la religion chrétienne, savoir: l’Oraison dominicale, la Salutation angélique, les mystères de la vie, de la mort et de la gloire de Jésus-Christ et de sa sainte Mère.

Ces esprits forts, qui ne peuvent souffrir qu’on dise le Rosaire, souvent tombent, sans y penser, dans le sens réprouvé des hérétiques qui ont en horreur le chapelet et le Rosaire.

C’est s’éloigner de Dieu et de la vraie piété que d’abhorrer les confréries, puisque Jésus-Christ nous assure qu’il se trouve au milieu de ceux qui sont assemblés en son nom. Ce n’est pas être bon catholique que de négliger tant et de si grandes indulgences que l’Église accorde aux confréries. Enfin c’est être ennemi du salut des âmes, de dissuader les fidèles d’être du saint Rosaire, puisque, par ce moyen, ils quittent le parti du péché pour embrasser la piété. Si saint Bonaventure a eu raison de dire que celui-là mourra en son péché et sera damné qui aura négligé la Sainte Vierge: Qui negligerit illam morietur in peccatis suis, quels châtiments doivent attendre ceux qui détournent les autres de sa dévotion!

10ème Rose

31. «Lorsque saint Dominique prêchait cette dévotion dans Carcassonne, un hérétique tournait en ridicule ses miracles et les 15 mystères du saint Rosaire, ce qui empêchait la conversion des hérétiques. Dieu, pour punir cet impie, permit à quinze mille démons d’entrer en son corps; ses parents l’amenèrent au bienheureux Père pour le délivrer de ces malins esprits. Il se mit en oraison et exhorta toute la compagnie de réciter avec lui le Rosaire tout haut, et voilà qu’à chaque Ave Maria, la Sainte Vierge faisait sortir cent démons du corps de cet hérétique en forme de charbons ardents. Après qu’il fut délivré, il abjura ses erreurs, se convertit et se fit enrôler en la confrérie du Rosaire avec plusieurs de son parti qui furent touchés de ce châtiment et de la vertu du Rosaire» (Rosier mystique, 9ème dizaine, ch. 10).

32. Le docte Cartagène, de l’ordre de Saint-François, avec plusieurs auteurs, rapporte que l’an 1482, lorsque le vénérable Père Jacques Sprenger et ses religieux travaillaient avec grand zèle à rétablir la dévotion et la confrérie du saint Rosaire dans la ville de Cologne, deux fameux prédicateurs, jaloux des grands fruits qu’ils faisaient par cette pratique, tâchaient de la décrier par leurs sermons, et comme ils avaient du talent, et un grand crédit, ils dissuadaient beaucoup de personnes de s’y enrôler; l’un de ces prédicateurs, pour mieux venir à bout de son pernicieux dessein, prépara un sermon exprès et l’assigna à un jour de dimanche. L’heure du sermon étant venue le prédicateur ne paraissait point; on l’attendit, on le chercha, et enfin on le trouva mort sans avoir été secouru de personne. L’autre prédicateur, se persuadant que cet accident était naturel, résolut de suppléer à son défaut pour abolir la confrérie du Rosaire. Le jour et l’heure du sermon étant arrivés, Dieu châtia ce prédicateur d’une paralysie qui lui ôta le mouvement et la parole. Il reconnut sa faute et celle de son compagnon, il eut recours à la Sainte Vierge dans son cœur, lui promettant de prêcher partout le Rosaire avec autant de force qu’il l’avait combattu. Il la pria de lui rendre pour cela la santé et la parole, ce que la Sainte Vierge lui accorda, et se trouvant subitement guéri il se leva comme un autre Saul, de persécuteur devenu défenseur du saint Rosaire. Il fit réparation publique de sa faute, et prêcha avec beaucoup de zèle et d’éloquence l’excellence du saint Rosaire.

33. Je ne doute point que les esprits forts et critiques de ce temps, qui liront les histoires de ce petit traité, ne les révoqueront en doute, comme ils ont toujours fait, quoique je n’aie fait autre chose que les transcrire de très bons auteurs contemporains et en partie dans un livre nouvellement composé par le Révérend Père Antonin Thomas, de l’ordre des frères prêcheurs, intitulé: Le Rosier mystique.

Tout le monde sait qu’il y a trois sorte de foi aux histoires différentes. Nous devons aux histoires de l’Écriture sainte une foi divine; aux histoires profanes qui ne répugnent point à la raison et écrites par de bons auteurs, une foi humaine; et aux histoires pieuses rapportées par de bons auteurs et nullement contraires à la raison, à la foi ni aux bonnes mœurs, quoiqu’elles soient quelquefois extraordinaires, une foi pieuse; j’avoue qu’il ne faut être ni trop crédule ni trop critique, et qu’il faut tenir le milieu en tout pour trouver le point de la vérité et de la vertu; mais aussi je sais que, comme la charité croit facilement tout ce qui n’est point contraire à la foi ni aux bonnes mœurs: Caritas omnia credit (1 Co 13,7), de même l’orgueil porte à nier presque toutes les histoires bien avérées, sous prétexte qu’elles ne sont point dans l’Écriture sainte.

C’est le piège de Satan, où les hérétiques qui nient la tradition sont tombés, et où les critiques du temps tombent insensiblement, ne croyant pas ce qu’ils ne comprennent pas, ou ce qui ne leur revient pas, sans aucune autre raison que l’orgueil et la suffisance de leur propre esprit.

Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Introduction

INTRODUCTION

Rose blanche

Aux prêtres

1. Ministres du Très-Haut, prédicateurs de la vérité, trompettes de l’Évangile, permettez-moi de vous présenter la rose blanche de ce petit livre pour mettre en votre cœur et en votre bouche les vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse.

En votre cœur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire et en goûter les fruits.

En votre bouche, pour prêcher aux autres l’excellence de cette sainte pratique et les convertir par ce moyen. Prenez garde, s’il vous plaît, de regarder comme le vulgaire, et même comme plusieurs savants orgueilleux, cette pratique comme petite et de peu de conséquence; elle est vraiment grande, sublime et divine. C’est le ciel qui nous l’a donnée, il l’a donnée pour convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire dans l’autre. Les saints l’ont pratiquée et les souverains Pontifes l’ont autorisée.

Oh! qu’un prêtre et un directeur des âmes est heureux, à qui le Saint-Esprit a révélé ce secret inconnu de la plus grande partie des hommes ou qui ne le connaissent que superficiellement! S’il en reçoit la connaissance pratique, il le récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa sainte Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un instrument de sa gloire; et il fera plus de fruit par sa parole, quoique simple, en un mois, que les autres prédicateurs en plusieurs années.

2. Ne nous contentons donc pas, mes chers confrères, de le conseiller aux autres; il faut que nous le pratiquions nous-mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l’esprit de l’excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce qu’il n’a pas: Coepit Jesus facere et docere (Ac 1,1). Imitons Jésus-Christ, qui a commencé par faire ce qu’il a enseigné. Imitons l’Apôtre, qui ne connaissait et ne prêchait que Jésus-Christ crucifié.

C’est ce que nous ferons en prêchant le saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n’est pas seulement une composition de Pater et d’Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion, de la mort et la gloire de Jésus et Marie.

Si je croyais que l’expérience que Dieu m’a donnée de l’efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que j’ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire; mais je me contente de vous rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J’ai seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons auteurs qui prouvent ce que j’explique au peuple en français.

Rose rouge

Aux pécheurs

3. C’est à vous, pauvres pécheurs et pécheresses, qu’un plus grand pécheur que vous offre cette rose rougie du sang de Jésus-Christ pour vous fleurir et vous sauver. Les impies et pécheurs impénitents crient tous les jours: Coronemus nos rosis (Sg 2,8): Couronnons-nous de roses. Chantons aussi: Couronnons-nous des roses du saint Rosaire.

Ah! que leurs roses sont bien différentes des nôtres; leurs roses sont leurs plaisirs charnels, leurs vains honneurs et leurs richesses périssables, qui seront bientôt flétries et pourries; mais les nôtres, qui sont nos Pater et nos Ave bien dits, joints avec nos bonnes œuvres de pénitence, ne se flétriront, ni ne passeront jamais et leur éclat sera aussi brillant en cent mille ans d’ici qu’à présent.

Leurs roses prétendues n’ont que l’apparence de roses, elles ne sont, dans le fond, que des épines piquantes pendant la vie par les remords de la conscience, perçantes à la mort par le repentir et brûlantes à toute éternité par la rage et le désespoir.

Si nos roses ont des épines, ce sont des épines de Jésus-Christ qui convertit nos épines en roses. Si nos roses piquent, elles ne piquent que pour un temps, elle ne piquent que pour nous guérir du péché et nous sauver.

4. Couronnons-nous à l’envi de telles roses du paradis, récitant tous les jours un Rosaire, c’est-à-dire trois chapelets de cinq dizaines chacun ou trois petits chapeaux de fleurs ou couronnes: 1º pour honorer les trois couronnes de Jésus et de Marie, la couronne de grâce de Jésus dans son incarnation, sa couronne d’épines dans sa passion et sa couronne de gloire dans le ciel, et la triple couronne que Marie a reçue dans le ciel de la très sainte Trinité; 2º pour recevoir de Jésus et de Marie trois couronnes, la première de mérite pendant la vie, la seconde de paix à la mort et la troisième de gloire dans le paradis.

Si vous êtes fidèles à le dire, malgré la grandeur de vos péchés, dévotement jusqu’à la mort, croyez-moi: Percipietis coronam immarcescibilem (1 P 5,4), Vous recevrez une couronne de gloire qui ne se flétrira jamais. Quand vous seriez sur le bord de l’abîme, quand vous auriez déjà un pied dans l’enfer, quand vous auriez vendu votre âme au diable comme un magicien, quand vous seriez un hérétique endurci et obstiné comme un démon, vous vous convertirez tôt ou tard et vous sauverez, pourvu que, je le répète et remarquez les paroles et les termes de mon conseil, vous disiez tous les jours le saint Rosaire dévotement jusqu’à la mort pour connaître la vérité et obtenir la contrition et le pardon de vos péchés. Vous verrez en cet ouvrage plusieurs histoires de grands pécheurs convertis par la vertu du saint Rosaire. Lisez-les pour les méditer.

Dieu seul.

Rosier mystique

Aux âmes mystiques

5. Vous ne trouverez pas mauvais, âmes dévotes et éclairées par le Saint-Esprit, que je vous donne un petit rosier mystique venu du ciel pour planter dans le jardin de votre âme; il n’endommagera pas les fleurs odoriférantes de vos contemplations. Il est très odoriférant et tout divin, il ne gâtera rien dans l’ordre de votre parterre; il est très pur et bien ordonné, il porte tout à l’ordre et à la pureté: il croît d’une hauteur si prodigieuse et devient d’une si grande étendue, si on l’arrose et si on le cultive comme il faut tous les jours, que non seulement il n’empêche pas, mais même il conserve et perfectionne toutes les autres dévotions. Vous qui êtes spirituelles, vous m’entendez bien! Ce rosier est Jésus et Marie dans la vie, dans la mort et dans l’éternité.

6. Les feuilles vertes de ce rosier mystique expriment les mystères joyeux de Jésus et de Marie; les épines, les douloureux; et les fleurs, les glorieux. Les roses en boutons sont l’enfance de Jésus et de Marie; les roses ouvertes représentent Jésus et Marie dans les souffrances, et les roses épanouies montrent Jésus et Marie dans leur gloire et leur triomphe. La rose réjouit par sa beauté: voilà Jésus et Marie dans les mystères joyeux; elle pique par ses épines: les voilà dans les mystères douloureux; et elle réjouit par la suavité de son odeur: les voilà enfin dans les mystères glorieux.

Ne méprisez donc pas ma plante heureuse et divine, plantez-la vous-mêmes en votre âme en prenant la résolution de réciter votre Rosaire; cultivez-la et arrosez-la en le récitant fidèlement tous les jours et en faisant de bonnes œuvres, et vous verrez que ce grain qui paraît présentement si petit deviendra avec le temps un grand arbre où les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les âmes prédestinées et élevées en contemplation, feront leur nid et leur demeure pour être, sous l’ombre de ses feuilles, garanties des ardeurs du soleil, pour être préservées par sa hauteur des bêtes féroces de la terre, et enfin pour être délicatement nourries par son fruit qui n’est autre que l’adorable Jésus, auquel soit honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. Ainsi soit-il.

Dieu seul.

Bouton de rose

Aux enfants

7. Je vous offre, mes petits enfants, un beau bouton de rose; c’est un des petits grains de votre chapelet qui vous paraît si peu de chose! Que ce grain est précieux! Oh! que ce bouton de rose est admirable, oh! qu’il s’épanouira large si vous dites dévotement votre Ave Maria! Ce serait trop vous demander que de vous conseiller un Rosaire tous les jours. Dites au moins votre chapelet tous les jours bien dévotement, qui est un petit chapeau de roses que vous mettrez sur la tête de Jésus et de Marie. Croyez-moi, écoutez la belle histoire et la retenez bien.

8. «Deux petites filles, toutes deux sœurs, étant à la porte de leur logis à dire le chapelet dévotement, une belle dame s’apparut à elles, approche de la plus jeune qui n’avait que six à sept ans, la prit par la main et l’emmène. Sa sœur aînée, toute étonnée, la cherche et ne l’ayant pu trouver s’en vint toute éplorée à la maison et dit qu’on avait emporté sa sœur. Le père et la mère cherchèrent inutilement pendant trois jours. Au bout du troisième jour, ils la trouvèrent à la porte avec un visage gai et joyeux; ils lui demandèrent d’où elle venait; elle dit que la dame à laquelle elle disait son chapelet l’avait emmenée dans un beau lieu et lui avait donné à manger de bonnes choses et lui avait mis entre les bras un joli petit enfant qu’elle avait tant baisé. Le père et la mère, qui étaient nouvellement convertis à la foi, firent venir le révérend père jésuite qui les avait instruits dans la foi et la dévotion du Rosaire, ils lui racontèrent ce qui s’était passé. C’est de lui que nous l’avons su. Ceci est arrivé dans le Paraguay» (Antoine Boissieu, S.J., Le Chrétien prédestiné par la dévotion à la Sainte Vierge).

Imitez, mes petits enfants, ces petites filles, et dites comme elles tous les jours votre chapelet, et vous mériterez par là d’aller en paradis et de voir Jésus et Marie, sinon pendant la vie, du moins après la mort pendant l’éternité. Ainsi soit-il.

Que les savants donc et les ignorants, que les justes et les pécheurs, que les grands et les petits louent et saluent jour et nuit par le saint Rosaire Jésus et Marie.

Salutate Mariam, quae multum laboravit in vobis (Rm 16,6).

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