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Le manuscrit de l’Enfer

Le manuscrit de l’Enfer

Lettre de l’au-delà

Le manuscrit suivant, que nous publions en version française, a été trouvé parmi les papiers d’une jeune fille morte au couvent, après seulement quelques années de vie religieuse.

J’avais une amie, ou plutôt, nous étions en contact pour raison de travail à *** Nous étions ensemble, l’une à côté de l’autre, dans une maison de commerce. Puis, Annette se maria et je ne la vis plus. Dans le fond, il régnait entre nous deux, depuis le début, plutôt de la courtoisie que de l’amitié. Je n’en ressentis, à cause de cela, que bien peu la privation, quand elle alla, après son mariage, habiter un quartier de la ville de *** très éloigné de ma demeure. Pendant l’automne de 1937, je passai mes vacances au bord du lac de Garde; ma mère m’écrivit vers la fin de la seconde semaine de septembre: « Pense donc! Annette est morte dans un accident d’automobile. Elle a été enterrée hier au Waldfriedhof» (cimetière du bois). Une telle nouvelle m’épouvanta. Je savais qu’elle n’avait jamais été très religieuse. Était-elle prête quand Dieu l’appela ainsi à l’improviste? Le matin suivant, j’entendis la Sainte Messe pour elle dans la chapelle des sœurs où j’avais pris pension, je priai avec ferveur pour la paix de son âme et offris aussi ma communion à cette intention. Mais pendant la journée, j’éprouvai un certain malaise qui augmenta, vers le soir, encore plus. Je m’endormis inquiète. Finalement, je fus réveillée comme par un coup violent. J’allumai la lumière. La pendule marquait minuit dix. Je ne vis personne. Aucun bruit ne s’entendait dans la maison. Seules les eaux du lac de Garde se brisaient d’une façon monotone sur la rive du jardin de la pension. On n’entendait pas même une brise de vent. Pourtant, au moment de mon réveil subit, en plus du coup, j’avais cru percevoir un bruit comme celui du vent, semblable à celui qui se produisait quand mon chef de bureau, agacé, me passait une lettre de mauvaise manière. Je me tournai de l’autre côté, récitai quelques Pater pour les âmes du Purgatoire et me rendormis. J’eus un songe.[1]

Je rêvais que je m’étais levée le matin vers 6 heures pour aller à la chapelle de la maison, quand, en ouvrant la porte de ma chambre j’aperçus une liasse de papier à lettre.

La ramasser, reconnaître l’écriture d’Annette et jeter un cri ne fut qu’une même chose. Les feuilles en main, j’étais tremblante. Je compris qu’avec un tel état d’esprit, je ne pourrais pas même dire un Pater, d’autant que je fus également assaillie comme par une sensation asphyxiante. Je ne trouvai pas de meilleure solution que de sortir dehors à l’air. J’ordonnai un peu mes cheveux, je cachai la lettre dans mon sac et laissai la maison. Une fois dehors, je grimpai par le sentier qui, de là, à partir de la route (la fameuse « Gardesana ») s’élève vers la montagne parmi les oliviers, les jardins des villas et les buissons de lauriers.

Le matin se levait lumineux. Les autres fois, tous les cent pas, je m’extasiais sur la vue magnifique qui, de là, s’ouvrait sur le lac et l’île de Garde, belle comme une fable. La merveilleuse couleur bleue de l’eau transparente me délassait toujours. Et je regardais étonnée la blanche montagne Baldo, qui, de l’autre côté, s’élevait lentement de 64 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu’à plus de 2200 mètres.

Maintenant, au contraire, je n’avais aucun regard pour tout cela. Après un quart d’heure de route, je me laissai tomber mécaniquement sur un banc qui s’appuie sur deux cyprès où encore deux jours auparavant, j’avais lu avec tant de plaisir la Junger Therese de Federer[2]. Alors, pour la première fois, je ressentis que les cyprès étaient les arbres des morts; ce qu’auparavant, dans les pays du sud où ils se voient souvent, je n’avais jamais soupçonné.

Je pris la lettre. La signature manquait, mais c’était très certainement l’écriture d’Annette. Il ne manquait pas même l’ample boucle ornementale des S et des T dont elle avait pris l’habitude au bureau pour contrarier M. Gr. Le style n’était pas le sien, ou tout du moins, elle ne parlait pas comme à son habitude, parce qu’elle savait converser d’une façon extraordinairement aimable et rire de ses yeux célestes. C’était seulement quand nous discutions de questions religieuses qu’elle pouvait devenir venimeuse et prendre le ton dur de cette lettre. (Voici qu’en la jugeant ainsi, je subis moi-même l’amertume de son style impitoyable.)

Cet écrit du monde de l’Au-delà, je le rapporte ici, littéralement comme je l’ai lu alors. Il se présentait ainsi:

« Claire, ne prie plus pour moi! Je suis damnée. Si je te le communique et t’en réfère plutôt longuement, ne crois pas que cela soit à titre d’amitié. Nous, ici, nous n’aimons plus personne. Je le fais comme contrainte à bien faire car je suis du côté de cette puissance qui toujours veut le Mal et fait le Bien. » (Parole de Méphistophèles dans Faust de Goethe.)

En vérité, je te voudrais voir aussi aboutir à cet état où moi, désormais, j’ai jeté l’ancre pour toujours[3]. Ne t’étonne pas de cette intention, ici, nous pensons tous ainsi; notre volonté est fixée dans le mal – tout du moins, en ce que vous, vous appelez mal. Aussi, quand nous faisons quelque chose de « bien », comme moi maintenant, en t’ouvrant tout grands les yeux sur l’enfer, cela ne procède pas d’une bonne intention[4]. Te souviens-tu, qu’il y a quatre ans, nous nous sommes connues à ***? Tu avais alors 23 ans et tu te trouvais déjà là depuis six mois quand j’arrivais.

Tu me tirais de quelque embarras; en tant que débutante, tu me donnais de bonnes adresses. Mais que veut dire « bon »? Je louais alors « ton amour du prochain ». Ridicule!

Ton secours dérivait d’une pure courtoisie comme du reste, déjà, je le soupçonnais. Ici, nous ne reconnaissons rien de bon, en personne.

Tu connais le temps de ma jeunesse. Je comblerai quelques lacunes. Selon le plan de mes parents, à dire vrai, je n’aurais jamais dû exister. Ce fut pour eux, proprement une « disgrâce ». Quand j’arrivai au monde, mes deux sœurs avaient 14 et 15 ans.

Puissè-je n’être jamais née! Puissè-je maintenant être anéantie et fuir ces tourments! Aucune volonté n’égalerait celle avec laquelle je laisserais mon existence comme un vêtement de cendre, se répandant dans le néant.[5]

Mais je dois exister. Je dois exister ainsi, comme je me suis faite, avec une existence manquée.

Quand papa et maman, encore jeunes quittèrent la campagne pour la ville, tous deux avaient perdu le contact avec l’Église, et ils sympathisèrent avec des gens éloignés de la foi; ce fut mieux ainsi.

Ils s’étaient connus dans un lieu dansant et six mois après, ils « durent » se marier. De la cérémonie nuptiale, il ne leur resta que juste assez d’eau bénite pour que maman allât à la messe du dimanche, environ deux fois par an. Elle ne m’a jamais enseigné à prier vraiment, tout se terminait avec les soucis de la vie quotidienne, bien que notre condition fût aisée.

Des mots comme: prier, messe, eau bénite, église, je les écris avec une répugnance intérieure sans pareille. J’abhorre tout cela, comme j’abhorre ceux qui fréquentent l’Église, et en général tous les hommes et toutes les choses. De tout, en effet, nous vient le tourment. Chaque connaissance, chaque souvenir de choses vues et sues est pour nous la cause d’une flamme cruelle[6]. Dans chacun d’eux en particulier, nous voyons le côté qui était grâce, grâce que nous avons méprisée. Quel tourment est cela!

Nous ne mangeons pas, nous ne dormons pas, nous ne marchons pas avec des pieds. Spirituellement enchaînés, nous regardons hébétés, avec hurlement et grincement de dents, notre vie manquée, haïssants et tourmentés!

M’entends-tu? Nous buvons la haine comme l’eau, la haine, même entre nous.[7]

Surtout, nous haïssons Dieu. Je veux te l’expliquer. Les bienheureux, au ciel, ne peuvent pas ne pas l’aimer, parce qu’ils le voient sans voile, dans sa beauté éblouissante. Cela les rend tellement heureux, qu’il est impossible de le décrire. Nous le savons et cette connaissance nous rend furieux[8].

Les hommes sur la terre, qui connaissent Dieu par la création et par la révélation, peuvent l’aimer, mais ils n’y sont pas contraints.

Le croyant, je le dis en grinçant des dents, qui, en méditant, contemple le Christ en croix avec les bras étendus, finira par l’aimer.

Mais celui, vers lequel Dieu s’avance seul comme un ouragan, comme punisseur, comme juste vengeur, parce qu’un jour il a été répudié par Lui, ainsi qu’il est advenu de nous, celui-là ne peut que le haïr, avec toute l’impétuosité de sa volonté mauvaise, éternellement[9]. Le haïr avec la vigueur d’une libre résolution d’être séparé de Lui, résolution avec laquelle en mourant, nous avons exhalé notre âme, et que, pas même maintenant nous ne retirerions et que jamais nous n’aurons la volonté de retirer.

Comprends-tu maintenant, pourquoi l’enfer dure éternellement? C’est parce que notre obstination ne cessera jamais.

Contrainte, j’ajoute que Dieu est miséricordieux même pour nous. Je dis « contrainte » parce que, tout en écrivant cette lettre de propos délibéré, il ne m’est, cependant, pas permis de mentir, comme je le voudrais volontiers. Je mets beaucoup de choses sur le papier contre ma volonté. Ainsi, l’emportement d’injures que je voudrais vomir, je dois l’étrangler.

Dieu est miséricordieux envers nous en ne nous laissant pas continuer à répandre sur la terre notre volonté mauvaise comme nous aurions été prêts à le faire. Cela aurait augmenté nos fautes et par suite nos souffrances. Il nous fait mourir prématurément comme il l’a fait pour moi ou bien il fait intervenir d’autres circonstances atténuantes.

Il se montre encore miséricordieux envers nous en ne nous contraignant pas à nous approcher de Lui plus que nous le sommes en ce lieu retiré de l’enfer, cela diminue le tourment[10].

Chaque pas qui m’approcherait davantage de Dieu m’occasionnerait une peine plus grande que celle qui t’arriverait pour un pas plus près d’un brasier ardent.

Tu avais été épouvantée, quand une fois, pendant une promenade, je te racontais que mon père, peu de jours avant ma première communion, m’avait dit: « Cherche à obtenir un beau vêtement, ma petite Annette, le reste n’est que comédie ».

A cause de ton épouvante, j’en ai eu presque honte. Maintenant, je m’en moque.

L’unique raison de cela était que l’on admettait à la Communion qu’à dix ans seulement. A ce moment, j’étais, en ce qui me concerne, passablement prise par la manie des amusements du monde, de sorte que, sans scrupule, je me moquais des choses religieuses et je ne donnais pas grande importance à la première Communion.

Que beaucoup d’enfants aillent maintenant recevoir l’Hostie dès l’âge de sept ans, nous met en fureur. Et nous faisons tout pour donner à entendre aux gens que les enfants de cet âge n’ont pas la raison suffisante. Ceux-ci doivent d’abord commettre quelque péché mortel. Alors la blanche particule ne fait plus en eux grand dommage comme lorsque leur cœur vit encore de la foi, de l’espérance et de la charité – pouah! quelle pensée – reçues au baptême. Te souviens-tu que déjà sur terre je soutenais cette opinion?

Je viens de parler de mon père. Souvent, il était en dispute avec ma mère. Je t’y faisais allusion, mais très rarement, parce que j’en avais honte. Chose ridicule d’avoir honte du mal! Pour nous, ici tout est pareil.

Mes parents ne dormaient même plus dans la même chambre; j’étais avec ma mère et mon père restait dans la chambre voisine où il pouvait rentrer librement à n’importe quelle heure. Il buvait beaucoup et de telle façon qu’il dissipait tout notre avoir. Mes sœurs travaillaient toutes les deux, mais tout l’argent qu’elles gagnaient leur était nécessaire, disaient-elles. Aussi ma mère commença-t-elle à travailler de son côté pour gagner quelque chose.

Dans sa dernière année de vie mon père battait souvent ma mère quand celle-ci ne voulait rien lui donner. A mon égard, au contraire, il était toujours affable. Un jour, je te l’ai raconté, et tu t’es choquée de mon caprice (au reste, de quoi ne t’es-tu pas choquée à mon sujet?), un jour, donc, il dut rapporter au moins deux fois les souliers qu’il m’avait achetés parce que la forme et les talons n’étaient pas assez modernes.

La nuit pendant laquelle mon père fut frappé d’une apoplexie mortelle, il m’advint quelque chose que, par crainte d’une mauvaise interprétation de, ta part, je n’ai jamais osé te confier. Mais maintenant tu dois le savoir. C’est important parce qu’alors, pour la première fois, je fus assaillie de mon esprit tourmenteur actuel. Je dormais dans la chambre avec ma mère. Ses respirations régulières indiquaient son profond sommeil, quand voici que je m’entendis appeler par mon nom. Une voix inconnue me disait: « Qu’arrivera-t-il si ton père meurt? »

Je n’aimais plus mon père depuis qu’il traitait si vilainement ma mère, comme du reste, je n’aimais, dès lors, absolument plus personne; j’étais seulement affectionnée à certaines qui étaient bonnes pour moi. L’amour, sans espoir de retour terrestre, existe seulement dans les âmes en état de grâce. Et moi je ne l’étais pas.

Je répondis à la mystérieuse demande sans savoir d’où elle venait: « Mais il ne meurt pas! »

Après une brève pause, la même demande se fit clairement percevoir. La même réponse: « Mais il ne meurt pas! » m’échappa encore brusquement de la bouche. Pour la troisième fois, il me fut demandé: « Qu’arrivera-t-il si ton père meurt? » Il me vint à l’esprit comment mon père venait souvent à la maison en état d’ivresse, tempêtait et maltraitait ma mère et comment il nous avait mises dans une condition humiliante vis-à-vis de notre entourage. Indisposée, je criais: « je m’en moque! » Alors tout se tut. Dans la matinée, quand ma mère voulut mettre en ordre la chambre de mon père, elle trouva la porte fermée à clef. Vers midi, on la força. Le cadavre de mon père, à demi vêtu, gisait sur le lit. En allant prendre la bière à la cave, il avait dû lui arriver quelque accident. Depuis longtemps il était en mauvais état de santé. (Dieu avait-il donc lié la conversion de cet homme, bon d’une certaine façon pour sa fille, à la volonté de celle-ci?)

Parenthèse du manuscrit.

Marthe et toi, vous m’aviez persuadée d’entrer dans l’association des jeunes. Je n’ai jamais caché que je trouvais bien accordé à la mode paroissiale les instructions des deux directrices. Les jeux étaient amusants. Comme tu sais, j’y eus tout de suite un rôle de direction. Cela suivait mon inclination naturelle. Les promenades aussi me plaisaient. Je me laissais faire jusqu’à aller quelquefois à la confession et à la Communion.

À dire vrai, je n’avais rien à confesser. Pensées et discours, pour moi, n’avaient pas d’importance, et pour les actions plus grossières, je n’étais pas encore assez corrompue.

Une fois, tu m’avertis: « Anne, si tu ne pries plus assez tu vas à la perdition. » Je priais vraiment peu et seulement d’une façon nonchalante. Maintenant je sais que tu avais vraiment raison. Tous ceux qui brûlent en enfer n’ont pas prié, ou prié insuffisamment.

La prière est le premier pas vers Dieu. Et il demeure le pas décisif. Spécialement la prière à Celle qui fut la Mère du Christ et dont nous ne prononçons jamais le nom. Sa dévotion arrache au démon d’innombrables âmes que le péché devrait infailliblement jeter entre ses mains.

Je poursuis en me consumant de colère et seulement parce que je le dois. Prier est la chose la plus facile que l’homme puisse faire sur la terre. Et c’est justement à cette chose très facile que Dieu a lié le salut de chacun.

À qui prie avec persévérance, peu à peu, Il donne tant de lumières et le fortifie de manière telle, qu’à la fin, même le pécheur le plus endurci peut définitivement se relever, fût-il enfoncé dans la boue jusqu’au cou. Dans les dernières années de ma vie, je n’ai plus prié comme je le devais et ainsi, je me suis privée de la grâce, sans laquelle personne ne peut se sauver. Ici, nous ne recevons plus aucune grâce, au reste, même si nous en recevions, nous les refuserions cyniquement.

Toutes les fluctuations de l’existence terrestre ont cessé en cette vie. Pour vous, sur la terre, vous pouvez monter d’un état de péché à l’état de grâce; de la grâce tomber dans le péché, souvent par faiblesse, quelquefois par malice. Avec la mort, ces changements sont finis, parce qu’ils ont pour cause l’instabilité de l’homme terrestre. Désormais, nous avons rejoint l’état final. Déjà, avec la croissance des ans, les changements deviennent plus rares. Il est vrai que jusqu’à la mort on peut toujours se retourner vers Dieu ou s’en détacher. Cependant, entraîné par l’habitude, l’homme avant de mourir, avec ses derniers faibles restes de volonté, se comporte comme il en avait l’habitude pendant sa vie. L’habitude devenue une seconde nature, il se laisse entraîner par elle. C’est ainsi qu’il advint pour moi. Depuis des années, je vivais loin de Dieu. A cause de cela, au moment du dernier appel de la grâce, je me tournai contre Dieu. Ce n’est pas le fait que je péchai souvent qui fut pour moi fatal, mais plutôt que je ne voulais plus me relever.

Plusieurs fois, tu m’as averti d’écouter les prédications, de lire des livres de piété. « Je n’ai pas le temps », était ma réponse ordinaire, rien d’autre n’augmentait davantage mon incertitude intérieure.

Du reste, je dois constater que lorsque je quittai l’association des jeunes, l’orientation était déjà tellement avancée qu’il m’aurait été extrêmement pénible de me mettre sur une autre voie. Je me sentais dans l’insécurité et non heureuse, mais devant la conversion surgissait une muraille. Tu ne soupçonnais pas cela, tu considérais le retour à Dieu comme une chose très simple; un jour, en effet, tu me disais: « Mais fais donc une bonne confession, Annette, et tout ira bien après. » Je sentais qu’il en serait ainsi, mais le monde, le démon, la chair me tenaient déjà fortement dans leurs griffes. Je n’aurais jamais cru à l’influence du démon. Et maintenant, j‘atteste qu’il influe considérablement sur les personnes qui se trouvent dans les conditions où je me trouvais alors. Seulement beaucoup de prières, faites par les autres et moi-même, jointes à des sacrifices et souffrances, auraient pu m’en arracher. Et même cela, peu à peu seulement. Si l’on voit peu de possédés extérieurement, il y en a de très nombreux qui le sont intérieurement. Le démon ne peut ravir la libre volonté à ceux qui se donnent à son influence, mais en punition de leur apostasie, pour ainsi dire, méthodique de Dieu; Dieu permet que le « Malin » se mette en eux. Je hais même le démon et pourtant il me plaît, parce qu’il cherche à vous ruiner, vous autres, lui et ses satellites, les esprits tombés avec lui au commencement du temps. Ils sont innombrables, et rôdent sur la terre, ils dansent comme un essaim de mouches et vous ne vous en apercevez même pas[11]. Ce n’est pas à nous, réprouvés, de vous tenter; cela est réservé aux esprits tombés[12]. À la vérité, cela accroît encore davantage leur tourment chaque fois qu’ils entraînent ici une âme. Mais que ne fait pas la haine![13] Je marchais dans des sentiers éloignés de Dieu et pourtant Dieu me poursuivait. J’aplanissais la voie à la grâce en raison d’actes de charité naturelle que j’accomplissais assez souvent par simple inclination. Quelquefois, Dieu m’attirait vers une église; alors je sentais comme une nostalgie. Quand je soignais ma mère malade, malgré mon travail de bureau durant la journée, d’une certaine façon je me sacrifiais vraiment, alors les attraits de Dieu agissaient puissamment. Une fois, dans l’église de l’hôpital dans laquelle tu m’avais conduite pendant l’arrêt de travail de midi, il m’arriva une chose qu’alors il n’aurait fallu qu’un pas pour que j’en vienne à me convertir: j’ai pleuré. Mais la joie du monde passait de nouveau comme un torrent par-dessus la grâce, le bon grain suffoquait vraiment parmi les épines. Sous le prétexte que la religion était affaire de sentiment, comme on disait souvent au bureau, je rejetais encore cette notion de grâce comme toutes les autres. Une fois, tu m’as attrapée parce que, à la place d’une génuflexion jusqu’à terre, je fis à peine une informe courbette en pliant le genou. Tu pensais que c’était un acte de paresse et ne semblais pas même suspecter qu’alors je ne croyais déjà plus à la présence du Christ dans le Saint-Sacrement. Maintenant, j’y crois, mais seulement d’une façon naturelle, comme on croit à un orage dont on entend les effets. En attendant, je m’étais accommodée d’une religion à ma façon. Je soutenais l’opinion, qui parmi nous au bureau était commune, que l’âme après la mort allait dans un autre être, de façon qu’elle continuait ainsi à pérégriner sans fin. Avec cela, l’angoissante question de l’Au-delà, était résolue et rendue inoffensive. Pourquoi ne me rappelais-tu pas la parabole du riche opulent et du pauvre Lazare, dans laquelle le Christ envoie immédiatement après la mort, l’un en enfer, l’autre au paradis? … Il est vrai que tu n’aurais rien obtenu, rien de plus qu’avec tes autres discours de bigote.

Peu à peu, je me créais à moi-même un dieu suffisamment étoffé pour être appelé Dieu; assez éloigné de moi pour ne devoir maintenir aucune relation avec lui, assez vague pour le laisser, selon le besoin, ressembler à un dieu panthéiste ou bien pour se laisser poétiser comme un dieu solitaire. Ce dieu n’avait aucun paradis pour me récompenser ni aucun enfer à m’infliger. Je le laissais en paix. En cela consistait mon adoration pour lui.

On croit volontiers à ce qui plait, aussi au cours des ans je me tins suffisamment convaincue de ma religion pour n’en avoir pas de souci. Une chose seulement aurait pu briser mon obstination: une longue et profonde douleur. Et cette douleur n’est pas venue! Comprends-tu maintenant ce que veut dire: « Dieu châtie ceux qu’il aime »?

Un dimanche de juillet, l’association des jeunes organisa une excursion à ***. Elle m’aurait bien plu, mais ses fades discours, ce comportement de bigotes, m’en ont détournée. D’ailleurs, une autre image bien différente de celle de la Madone demeurait depuis quelque temps sur l’autel de mon cœur: l’attrayant Max du magasin voisin; déjà nous avions plaisanté ensemble plusieurs fois.

Or, précisément pour ce dimanche, il m’avait invitée à une promenade. Celle avec laquelle il allait d’habitude était malade à l’hôpital. Il avait bien compris que j’avais mis les yeux sur lui. Je ne pensais pas encore à l’épouser toutefois. Il était certainement riche mais il se comportait trop gentiment avec toutes les filles. Et moi, jusqu’à ce moment, je voulais un homme qui m’appartînt uniquement. Non seulement être sa femme, mais sa femme unique. J’ai toujours eu, en effet, un certain goût naturel pour la bienséance. (Il est vrai, Annette, malgré toute son indifférence religieuse avait quelque chose de noble dans son comportement. Je m’épouvante à la pensée que même des personnes bien éduquées peuvent aller en enfer, quand, par ailleurs, elles le sont, en fait, si mal qu’elles fuient Dieu.) Au cours de la promenade susdite, Max se prodigua en gentillesses. Et l’on ne s’en tint nullement à des conversations de prêtres comme vous. Le jour suivant, au bureau, tu me faisais des reproches parce que je n’étais pas venue avec vous. Je te racontai mon divertissement de ce dimanche. Ta première demande fut: « As-tu été à la messe? » Sottise! Comment pouvais-je, étant donné que le départ avait été fixé pour six heures? Tu sais encore, comment, excitée, j’ajoutai: « Le Bon Dieu ne fait pas attention ainsi à ces bagatelles comme vos prêtres. » Maintenant, je dois confesser: « Dieu, malgré sa bonté infinie, pèse les choses avec une plus grande précision qu’eux tous. »

Après cette première promenade avec Max, je vins encore une seule fois à l’association, à Noël, pour la célébration de la fête; c’était quelque chose qui me plaisait suffisamment pour revenir encore, mais intérieurement j’étais déjà étrangère à vous autres.

Cinéma, bals, promenades se succédaient constamment. Avec Max, nous nous disputions quelquefois, mais je sus toujours l’enchaîner à moi de nouveau. J’eus beaucoup de mal avec l’autre amie qui, au retour de l’hôpital se comportait auprès de lui comme une obsédée. Ce fut un avantage pour moi car mon noble calme, par opposition, fit une profonde impression sur Max qui finit par décider que je serais la préférée. J’avais su la lui rendre odieuse en parlant froidement; positive à l’extérieur et vomissant le venin à l’intérieur. De tels sentiments, une telle conduite préparent excellemment à l’enfer. Ils sont diaboliques, dans le sens le plus étroit du mot. Pourquoi je te raconte cela? C’est pour te dire comment je me détachai définitivement de Dieu.

Entre moi et Max, nous n’étions pas arrivés souvent à la très grande familiarité. Je comprenais que je me serais abaissée à ses yeux si je m’étais laissée aller complètement avant le temps, c’est pourquoi je sus me maintenir. J’étais prête à tout, je devais le conquérir. A cette fin, rien ne m’était trop cher. En outre, peu à peu, nous nous aimions, possédant l’un et l’autre de précieuses qualités, qui nous faisaient nous apprécier réciproquement. J’étais habile et capable, d’une agréable compagnie, aussi je le tins solidement attaché et réussis, au moins dans les derniers mois avant notre mariage à être l’unique à le posséder.

En cela consistait mon apostasie de Dieu d’avoir fait d’une créature mon idole. Jamais une chose pareille ne peut arriver entièrement que dans l’amour d’une personne pour l’autre sexe lorsque cet amour reste enfermé dans les satisfactions purement terrestres; c’est aussi ce total abandon qui forme son attrait, son stimulant et son venin. Pour moi, en la personne de Mai, cette adoration de moi-même me devint une religion vécue. Pendant ce même temps, au bureau, je me lançai avec âcreté contre tout ce qui était d’église, les prêtres, les indulgences, le marmonnement du chapelet et semblables sottises. Tu cherchais, avec plus ou moins d’esprit, à prendre la défense de ces choses, sans soupçonner, semblait-il, que dans l’intime, je n’argumentais pas à la vérité contre elles mais je cherchais plutôt un soutien contre ma conscience – j’avais alors besoin d’un tel soutien pour justifier mon apostasie par la raison.

Tout au fond, je me révoltais contre Dieu. Tu ne le comprenais pas, je me tenais encore pour catholique et désirais être appelée ainsi; j’allais même jusqu’à payer les taxes ecclésiastiques. Une certaine contre-assurance ne pouvait me nuire, pensais-je.

Il arrivait parfois que tes réponses me frappaient mais elles n’avaient pas prise sur moi parce que tu ne « devais » pas avoir raison.

En raison de ces fausses relations, nous avons eu, l’une et l’autre, peu de regret lorsque nous nous sommes séparées à l’occasion de mon mariage.

Avant cette cérémonie, je me confessai et communiai encore une fois, comme c’était prescrit. Moi et mon mari, nous pensions la même chose sur ce point. Pourquoi ne pas accomplir ces formalités? Nous nous y soumîmes comme à toutes les autres. Vous appelez indigne une telle communion. Et bien, après l’avoir faite, j’eus plus de calme dans la conscience. Ce fut du reste la dernière.

Notre vie conjugale se passait, la plupart du temps en grande harmonie. Sur toutes ces questions, nous étions du même avis. En particulier, sur ce point que nous ne voulions pas endosser la charge d’élever des enfants. À la vérité, mon mari en aurait volontiers eu un, mais pas plus, bien sûr. À la fin, je sus le dissuader encore de ce désir. Vêtements, meubles de luxe, promenades, voyages en auto et semblables distractions m’importaient bien davantage.

Ce fut une année de plaisir sur la terre que ce temps entre mon mariage et ma mort soudaine.

Chaque dimanche nous allions en voiture ou bien nous rendions des visites aux parents de mon mari. (J’avais honte désormais de ma mère.) Ceux-ci glissaient à la surface de l’existence, ni plus ni moins que nous. Intérieurement, je ne me sentais jamais heureuse, cependant, extérieurement, je riais. C’était toujours, au-dedans de moi quelque chose qui me rongeait. J’aurais voulu qu’après la mort, laquelle, naturellement, devait être encore bien lointaine, tout fût fini.

Étant enfant, j’entendis un jour, au cours d’un sermon, que Dieu récompense toute bonne œuvre que chacun accomplit et quand il ne pourra la récompenser dans l’autre vie, il le fait sur la terre, cela est très exact.

Inopinément, j’eus un héritage de la tante « Lotte » et mon mari réussit à obtenir des émoluments très honorables. Je pus alors arranger ma nouvelle habitation d’une façon attrayante. La religion ne m’envoyait plus que de loin sa lumière, pâle, faible et incertaine.

Les cafés des villes, les hôtels dans lesquels nous allions durant les voyages, ne nous portaient certainement pas à Dieu. Tous ceux qui fréquentaient ces lieux, vivaient comme nous, de l’extérieur à l’intérieur, mais non de l’intérieur à l’extérieur. (L’extérieur envahissait l’intérieur au lieu que ce soit l’inverse.)

Si, dans nos voyages, au moment des vacances, nous visitions quelques cathédrales, nous n’avions d’intérêt que pour son contenu artistique. L’atmosphère religieuse que nous respirions, spécialement dans ces monuments du Moyen Âge, je savais les neutraliser avec quelques critiques de circonstance; un frère faisant l’office de guide, qui avait un maintien gauche ou n’était vêtu que peu proprement; le scandale que des moines, qui se faisaient passer pour pieux, vendissent des liqueurs; l’éternelle sonnerie des cérémonies sacrées pendant que l’on ne s’occupe que de faire de l’argent… De la sorte, je chassai de moi à chaque fois, la grâce, dès qu’elle passait. Je laissai libre cours à ma mauvaise humeur, en particulier, à propos de certains tableaux médiévaux de l’enfer, dans les cimetières ou ailleurs, dans lesquels le démon grille les âmes sur les charbons incandescents tandis que ses compagnons aux longues queues entraînent d’autres victimes avec de longues cordes. Claire! On peut se tromper pour peindre l’enfer, mais on n’exagère jamais!

Le feu de l’enfer, je l’ai toujours eu en vue d’une façon spéciale. Tu sais comment, durant une altercation à ce propos, je te tins une allumette sous le nez et te dis avec sarcasme: « A-t-elle l’odeur de l’enfer? » Tu as éteint en hâte la flamme. Ici, personne ne l’éteint!

Le feu, je te le dis moi-même, ne signifie pas le tourment de la conscience. Le feu est le feu. Cette parole de l’Évangile est à entendre littéralement: « Éloignez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel! » Littéralement!

Comment un esprit peut-il être touché par le feu matériel, demanderas-tu? Comment peut souffrir ton âme sur la terre quand tu mets le doigt sur une flamme? De fait, l’âme ne brûle pas; et pourtant, quel tourment en éprouve tout l’individu!

De façon analogue, nous ici, nous sommes spirituellement liés au feu, selon notre nature et selon nos facultés. L’âme est privée de sa liberté naturelle; nous ne pensons pas ce que nous voulons[14] ni comme nous le voulons.

Ne regarde pas hébétée ces lignes; cet état, qui à vous autres ne dit rien, me brûle sans me consumer.

Notre plus grand tourment, consiste dans la certitude que nous savons que nous ne verrons Dieu, jamais.

Comment cela peut-il nous tourmenter autant, alors que sur la terre on y demeure aussi insensible? Tant que le couteau reste étendu sur la table, on reste indifférent. On voit s’il est affilé, on ne l’éprouve pas. Que le couteau te transperce et tu te mettras à crier de douleur. Maintenant nous souffrons la perte de Dieu; avant nous y pensions seulement.

Toutes les âmes ne souffrent pas d’une égale façon. D’autant plus pernicieusement et d’autant plus systématiquement quelqu’un a péché, d’autant plus gravement pèse sur lui la perte de Dieu et d’autant plus la suffoque la créature dont elle a abusé.

Les catholiques damnés souffrent plus que ceux des autres religions parce que, le plus souvent, ils ont reçu et méprisé plus de grâces et de lumières.

Celui qui savait plus, souffre plus durement que celui qui savait moins. Ceux qui tombent par malice pâtissent plus cruellement que ceux qui tombent par faiblesse. Mais personne ne souffre plus que ce qu’il a mérité. Oh! si du moins, cela n’était pas vrai! J’aurais ainsi une raison de haïr!

Tu me disais un jour que personne ne va en enfer sans le savoir. Cela aurait été révélé à une sainte. Moi, j’en riais, mais ensuite, je me retranchai derrière cette déclaration: « De cette façon, en cas de nécessité, me disais-je secrètement, j’aurais toujours la possibilité de faire volte-face. »

Cette pensée est juste. Vraiment, avant ma fin subite, je ne connus pas l’enfer comme il est. Aucun mortel, ne le connaît. Mais j’en avais la pleine conscience. « Si tu meurs, tu vas dans le monde de l’Au-delà tout droit comme une flèche contre Dieu. Tu en porteras les conséquences. »

Je n’en changeai pas pour autant parce qu’enracinée par la force de l’habitude, comme je te l’ai dit déjà, j’étais poussée, entraîné par elle. Plus les hommes vieillissent, plus ils aiment leurs habitudes… Ma mort vint ainsi!

Il y a une semaine, je parle selon que vous comptez; en regard à la douleur, je pourrais dire très bien que je brûle en enfer déjà depuis dix ans. Il y a une semaine, donc, mon mari et moi, nous faisions pendant ce dimanche une promenade, la dernière.

Le jour pointait radieux. Je me sentais bien autant que jamais. Un sinistre sentiment de bonheur m’envahit qui serpentait en moi durant toute la journée. Quand voici qu’à l’improviste, pendant le retour, mon mari fut ébloui par une auto qui venait à toute allure. Il perdit le contrôle. « Jésus » me sortit des lèvres comme un frisson; non comme une prière, mais comme un cri. Une douleur déchirante m’opprimait toute. Et, en regard de celle d’à présent, c’était une bagatelle. Puis, je perdis les sens. Il est étrange que pendant cette même matinée, il m’était venu encore à l’esprit, d’une façon inexplicable, cette pensée: « Tu pourrais encore une fois aller à la messe. » Elle retentissait en moi comme une imploration.

Nettement et résolument mon « non » trancha le fil de mes pensées. « Avec toutes ces choses il faut en finir. Que j’en endosse toutes les conséquences! » Maintenant je les porte.

Ce qui advint après ma mort, tu le sais déjà. Le sort de mon mari, celui de ma mère, ce qui arriva de mon cadavre et le déroulement de mes funérailles je les ai connus dans leur détail par le moyen des connaissances naturelles que nous avons ici. Ce qui arrive sur la terre, nous le savon seulement d’une façon assez vague. Mais ce qui nous touche de plus près, en quelque façon, nous le connaissons. Ainsi, je vois maintenant où tu séjournes[15].

Moi-même, au moment de ma mort, je me réveillai soudainement du brouillard. Je me vis comme inondée d’une lumière éblouissante.

J’étais au lieu même où gisait mon cadavre. Il arriva comme il arrive au théâtre lorsque, d’un coup, s’éteignent les lumières pour ne plus laisser voir que la scène. Le rideau se divise avec grand bruit et s’ouvre sur une scène inattendue, horriblement lumineuse, la scène de ma vie.

Comme dans un miroir, mon âme se montra à elle-même les grâces méprisées, depuis ma jeunesse jusqu’au dernier « non » en face de Dieu.

Je me sentis comme un assassin, auquel, durant le procès judiciaire, on vient apporter sa victime inanimée. Me repentir? Jamais! [16]

En avoir honte? Jamais!

Pourtant, je ne pouvais non plus résister sous les yeux de Dieu que j’avais rejeté. Il ne me restait qu’une chose, la fuite.

Comme Caïn s’enfuit du cadavre de son frère Abel, ainsi mon âme fut poussée dehors, loin de cette vue d’horreur. Ce fut le jugement particulier: L’invisible Juge disait: « Éloigne-toi de moi! »

Alors mon âme, comme une ombre, enduite de soufre, se précipita dans l’éternel tourment![17]

Ainsi se terminait la lettre de l’enfer. Les dernières paroles étaient presque illisibles, tant elles étaient déformées. La lettre même, quant à elle, se réduisit en cendres entre mes mains.

Alors, après l’âpre accent de ces lignes que j’avais cru lire, résonna doucement un bruit venant de la campagne.

Je me réveillai en sursaut. J’étais encore au lit dans ma chambre. Par la fenêtre la lumière matinale pénétrait, tandis que de la paroisse arrivait le son de l’Angélus.

Je ne réalisais pas encore ce qui m’était advenu, mais jamais je ne ressentis un tel réconfort de l’Angélique Salutation. Lentement, je récitai les trois Ave Maria. « Pour toi, me fût-il fortement inspiré, il faut te tenir attachée à la Mère Bénie du Seigneur: tu dois honorer filialement Marie si tu ne veux pas subir le sort d’une âme qui ne verra jamais Dieu. »

Encore tremblante après cette terrible nuit, je me levai, m’habillai en hâte et couru en bas par l’escalier dans la chapelle de la maison.

Le cœur me battait jusque sous la gorge. Les quelques hôtes agenouillés près de moi me regardèrent; mais peut-être pouvaient-ils penser que j’étais excitée pour avoir ainsi descendu l’escalier en courant.

Une brave dame de Budapest, plutôt âgée, éprouvée par la souffrance, grêle comme un enfant, myope, mais expérimentée dans les choses spirituelles et ferventes dans le service du Seigneur, durant l’après-midi, dans le jardin me dit en souriant: « Mademoiselle, Jésus, ne veut pas être servi avec si grand empressement! » Mais ensuite elle s’aperçut que quelque chose d’autre m’avait agitée et m’agitait encore. Me calmant elle ajouta: « Ne vous troublez pas. Connaissez-vous la strophe de Sainte Thérèse?

Ne vous troublez pas.
Ne vous effrayez pas.
Tout passe,
Dieu seul ne change pas.
La patience arrive à tout.
À qui possède Dieu, rien ne manque.
Dieu seul suffit. »

Pendant qu’elle me disait doucement ces paroles lentement et sans vouloir instruire, il me parut qu’elle lisait dans mon âme: « Dieu, seul suffit. »

Oui, Lui seul doit me suffire, ici-bas et Là-Haut. Je ne veux pas aller en enfer. Je veux le posséder un jour, quelque sacrifice qu’il puisse m’en coûter.

Source : Bot, Jean-Marc. (c2002). Osons reparler de l’enfer: Editions de l’Emmanuel, 271 p.

[1] «De Dieu peut dépendre parfois la cause spirituelle d’un songe; il peut, par le ministre des anges, utiliser les songes lorsqu’il désire révéler quelque chose aux hommes» (Sait Thomas, Somme théologique, II-II,q.95,a.6.)

[2] H. FEDERER (1866-1928), prêtre, romancier, populaire: Thérèse, la jeune fille d’âge mûr, 1913)

[3] « Les Damnés voudraient que tous les bons soient damnés. » (Saint THOMAS, Supplément à la Somme Théologique, Éd. Du Cerf, Revue des jeunes, 1961, q. 98, a. 7,)

[4] « La volonté délibérative vient d’eux-mêmes [les damnés] […] Et cette volonté est en eux seulement mauvaises.» (Ibid., q. 98, a. 1, rép.)

[5] « Il vaut mieux n’être pas que d’être mal. Et ainsi les damnés peuvent choisir de ne plus exister » (Ibid., q. 98, a. 3). « Ne pas exister est le pire des maux. Cependant, la privation de l’existence est un grand bien si elle entraîne la privation du plus grand des maux: ainsi considérée, on peut la préférer à l’existence » (Ibid., q. 98, a. 3, ad 3.).

[6] « Il n’y aura rien, chez les damnés, qui ne soit pour eux matière et cause de tristesse […] Ainsi, chez les damnés, il y aura une considération des choses connues auparavant, mais comme source de tristesse et non de délectation » (Ibid., q. 98, a. 7, rép.).

[7] « Chez les damnés [règne] la plus parfaite haine » (Ibid., q. 98, a. 4, rép.).

[8] « Les damnés, avant le jour du jugement, verront les bienheureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu’ils comprennent quelle est leur gloire, mais en sachant qu’ils sont dans une gloire inestimable » (Ibid., q. 98, a. 9, rép.).

[9] « Les damnés n’ont de haine pour Dieu qu’à cause de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à leur volonté mauvaise: ils ne le considèrent donc que comme celui qui punit et qui interdit » (Ibid., q. 98, a. 8, ad 1). « Les damnés, qui voient Dieu à travers les effets de sa justice, c’est-à-dire dans leur châtiment, le haïssent, comme ils haïssent leur tourment » (Ibid., q. 98, a. 5, rép.) .

[10] « Dans la damnation même des réprouvés, la miséricorde de Dieu apparaît, non pour une relaxe totale, mais pour une certaine atténuation, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité » (Saint THOMAS D’AQUIN, Somme Théologique, Éd. du Cerf, 1984, I, q. 21, a. 4, ad 1).

[11] « Frères, soyez sobres et veillez parce que votre adversaire, le diable, rôde autour de vous comme un lion rugissant en quête de quelqu’un à dévorer » (1 P 5, 8). « Revêtez-vous des armes de Dieu pour pouvoir résister aux embûches du démon. Ce ne sont pas, en effet, des hommes que nous avons à combattre mais les Principautés et les Puissances, les maîtres de ce monde de ténèbres, les mauvais esprits répandus dans les airs » (Ep. 6, 11-12).

[12] « Il n’appartient pas au rôle des hommes damnés d’attirer les autres à damnation, comme cela appartient aux démons » (Saint Thomas, Supplément à la Somme Théologique, q. 98, a. 6, ad 2).

[13] « Bien que la souffrance de chaque damné soit accrue par leur multitude, pourtant la haine et l’envie se développent chez eux à tel point qu’ils préféreront mourir davantage avec un plus grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls » (Ibid., q. 98, a. 4, ad 3).

[14] « [Le feu] devient le châtiment de l’âme, lui interdisant l’exercice de sa volonté, l’empêchant d’agir où elle veut et comme elle veut » (Ibid., q. 70, a. 3, rép.).

[15] L’âme séparée ne reçoit pas […] une connaissance parfaite des choses, mais une sorte de connaissance générale et confuse » (Somme Théologique, q. 89, a. 3, rép. .). « Quant aux âmes séparées, elles ne peuvent connaître par ces espèces que les singuliers avec lesquels elles ont eu un certain rapport; soit par une connaissance antérieure, soit par quelque sentiment, soit par une relation naturelle, soit par une disposition divine » (Somme Théologique, I, q. 89, a. 4, rép.).

[16] « Les mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que le vouloir de la malice du péché demeure en eux; ils se repentiront par accident, en tant qu’ils seront attristés de la peine subie à cause du péché » (Supplément à la Somme Théologique, q. 98, a. 2, rép.)

[17] L’éternité des peines de l’enfer est une vérité de foi; sans doute la plus terrible de toutes. « Alors le Fils de l’homme dira à ceux qui sont à sa gauche: « Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel » […] et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle » (Mt 25, 41-46). « Lors de la révélation du Seigneur Jésus, ceux-là subiront la peine du châtiment éternel… » (2 Th 1, 9). « Les mauvais, auxquels sont réservés d’épaisses ténèbres pour l’éternité » (Jude, 13). « Si quelqu’un adore la bête et son image, et en prend la marque sur son front ou sur sa main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, du vin pur versé dans la coupe de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu, et la fumée de leur supplice s’élèvera aux siècles des siècles et il n’y aura de repos pour eux ni le jour ni la nuit » (Ap 14, 11). « Et ils seront tourmentés jour et nuit aux siècles des siècles » (Ap 20, 10).

Révélations sur le jugement particulier de certaines âmes

Pour notre salut, Dieu voulut que sainte Brigitte (1303-1373) assistât au jugement particulier de certaines âmes, lui ordonnant d’écrire ce qu’elle verrait, ce qu’elle fit en ses Révélations (Seguin Aine, Avignon, 1850, t.4. p.128+), dont voici quelques extraits : « J’ai plusieurs enfants, c’est-à-dire des chrétiens, qui sont pris dans les lacets du démon. Je veux leur envoyer mes Paroles par votre entremise. Si Je vous montrais la beauté, l’éclat des anges et des âmes bienheureuses, votre corps ne les saurait supporter, il se romprait de la joie que votre âme recevrait de cette vue. De même, si vous voyiez les damnés comme ils sont, vous mourriez subitement d’effroi à raison de leur horreur. Vous verrez donc les choses spirituelles comme si elles étaient corporelles. Tout vous sera représenté avec similitude, car vous ne pourriez autrement comprendre. »

« … La Très Sainte Vierge Marie dit à sainte Brigitte :

Je suis la Mère de Miséricorde, je veux montrer par similitude la peine du péché, afin que les amis de Dieu soient fervents en son Amour, et que les pécheurs, sachant le danger, fuient le péché. Il n’y a pas de pécheur si coupable que je ne sois prête à aller au-devant, et à qui mon Fils ne soit disposé à donner la Grâce et à pardonner, s’il demande Miséricorde.

I

Sainte Brigitte vit une femme qui rampait par terre, dans une boue infecte, et dont le cœur était arraché, les lèvres coupées, les narines rongées, et les yeux suspendus à deux nerfs tombant sur les joues. Elle n’avait plus de crâne et son cerveau bouillait comme du plomb fondu. Son cou était coupé sans relâche par un fer très aigu ; sa poitrine ouverte était pleine de vers qui grouillaient l’un sur l’autre. Un serpent l’enserrait, courait sans cesse par tout l’intérieur, ne lui laissant ni trêve ni repos, et l’infiltrait de son venin.

Et cette infortunée criait à sa fille encore vivante :

« Entends, lézarde et fille maudite ! Malheur à moi qui ai été votre mère et qui vous ai mise au nid de l’orgueil où vous croissez, malheur à moi ! Autant de fois vous tournez les yeux superbement sur quelqu’un comme je vous ai enseigné, vous jetez à mes yeux un venin tout bouillant, avec une intolérable ardeur. Chaque fois que vous proférez des paroles orgueilleuses ainsi que vous m’en avez entendu proférer, j’avale des breuvages horribles.

« Quand vous écoutez les louanges sur votre corps bien proportionné et désirez les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, autant de fois frappe à mes oreilles un son terrible avec un vent. Et d’autant que j’ai fait toutes choses pour l’amour du monde et pour la vanité, mes oreilles entendront toujours cet horrible fracas, et jamais les mélodies célestes. Malheur à moi, misérable, assaillie de tant de maux, et plongée pour toujours dans une irrémédiable infortune !

« Vous vous enorgueillissez de votre haute naissance, et les entrailles qui vous ont portée sont la proie des démons. Comme les vôtres, mes désirs ne tendaient qu’à tout ce qui est pourriture et ordure, à la longue vie dans les mêmes passe-temps.

« Mais pourquoi me plaindre à vous, ma fille ? Vous ne faites que ce que je vous ai enseigné de faire. J’étais créée pour la Gloire céleste et belle comme un ange. Je me suis rendue difforme en abusant de tout ; j’ai perdu le temps qui m’était donné, fuyant les prédications comme de la poix, de peur qu’elles ne me détournassent des délices corporels. Et si quelquefois, pour le respect des hommes, j’entendais la Parole de Dieu, elle sortait aussitôt de mon cœur.

Et néanmoins, ma conscience me disait que le temps était court, le Jugement de Dieu effroyable ; mais le désir de me satisfaire répliquait faussement que le jugement de la Fureur divine n’était pas si sévère et que ma vie serait longue. Ces suggestions renversaient ma conscience, et je suivais mes désirs mauvais pour lesquels je souffre pour l’Eternité tant de maux. »

Et s’adressant à sainte Brigitte, l’infortunée lui dit :

« Si vous me voyiez véritablement comme je suis, vous mourriez d’effroi, car tous mes membres sont des démons. L’Écriture est vraie qui dit que les justes sont membres de Dieu ; de même, les pêcheurs sont membres du diable. Les démons sont comme cloués à mon âme, ils me rongent sans jamais se rassasier. Ma fille, en suivant ma malice, augmente la peine qui ne cessera point. Ma douleur, mon malheur, jamais ne s’adouciront. Ma conscience entend et ressent que le Jugement de Dieu est juste. Ma volonté est maintenant comme l’homicide et le parricide : je désire toutes sortes de maux à mon Créateur qui m’a été si doux, si bon durant ma vie, usant de mille industries pour me ramener à Lui. Et je me réjouis d’une joie de démons, prenant sa source en un infini désespoir, de ce qu’Il n’aura pas de consolation de moi. »

La fille de cette malheureuse mère, après le récit de sainte Brigitte, quitta le monde, entra dans un monastère et fit pénitence tout le temps de sa vie avec grande perfection.

II

Sainte Brigitte eut la vision terrible du jugement d’un homme et d’une femme qui s’étaient unis dans un mariage interdit par l’Eglise, et furent condamnés à l’Enfer.

« Je vis, dit-elle, un homme dont les yeux étaient arrachés et pendaient aux joues par de petits nerfs. Il avait les oreilles comme d’un chien, la bouche ainsi qu’un loup farouche… une femme était auprès de lui, les cheveux comme un buisson d’épines ; ses yeux étaient au derrière de la tête, ses oreilles coupées, son nez plein de pourriture, sa langue un aiguillon venimeux. »

Et l’ange dit à la sainte :

« Les cheveux de cette femme ressemblent à un buisson d’épines car les cheveux qui ornent sa face signifient la volonté qui désire plaire à Dieu, et cette volonté orne et enrichit l’âme ; mais la volonté de cette femme était de plaire au monde plus qu’à Dieu. Ses yeux sont au derrière de sa tête car elle les détournait du but que Dieu lui fixa en la créant, la rachetant et la favorisant de diverses manières. Elle ne voulut regarder que les choses passagères jusqu’à ce qu’elles se soient évanouies de sa présence. Ses oreilles sont coupées, car elle se souciait peu du Saint Evangile. Elle enlaçait le cœur de son compagnon et le provoquait au mal plus durement et plus cruellement que par la morsure du serpent. Elle et lui s’éloignaient des prédications de peur d’avoir à considérer comment ils pouvaient se retirer du péché, et avec la Grâce de Dieu faire de bonnes œuvres.

« Cet homme ne se souciait nullement du Nom et de l’Honneur de Dieu ; il désirait ce que les autres possédaient ; il se courrouçait et, dans sa colère, il ne s’inquiétait point que les âmes tombassent en Enfer pourvu qu’il se vengeât. Et jusque dans la mort, il a voulu retenir ce qu’il a pris à autrui. »

Le démon s’avança, un trident à la main, et à l’un de ses pieds, trois griffes aiguës d’une longueur extrême.

« Ô Juge, dit-il, c’est maintenant mon heure, j’ai attendu, mais mon temps est venu. »

Et le Juge ordonna ainsi aux coupables : « Dites ce que vous avez fait, bien que je le sache. »

L’homme répondit : « Nous connaissions la défense que l’Eglise fait de tels mariages, mais nous l’avons méprisée. Bien que nous sachions que nous offensions Dieu, nous avons enfreint ses Commandements. »

Le Juge : « Je vous avais donné une conscience pour vous guider et remplir votre vie de mérites ; que M’apportez-vous maintenant ? »

La femme répondit lamentablement : « Juge ! Nous n’avons cherché que les délices de la terre, et nous n’apportons que la confusion misérable : nous aurions voulu la vie perpétuelle avec la félicité mondaine ; nous ne désirions pas le Ciel, préférant jouir du monde selon nos souhaits. »

Le juge dit au bourreau : « Rendez ce qui est juste. »

Et le démon enfonça la deuxième de ses griffes dans les entrailles de tous deux et les déchira effroyablement.

Le juge : « Je vous avais donné des talents, des biens. Où est le trésor que Je vous avais prêté pour le faire fructifier ? »

Et tous deux, d’une voix dont rien ne saurait dire ni plaindre le désespoir : « Nous l’avons foulé aux pieds, car nous cherchions un trésor terrestre et non un Trésor éternel. »

Le Juge dit au bourreau : « Donnez ce que vous devez rendre. »

Et le démon enfonça à l’instant sa troisième griffe dans leur cœur, leurs entrailles et leurs pieds, de sorte qu’ils ne ressemblaient plus qu’à un bloc informe.

Et le juge dit à sainte Brigitte :

« Ma fille, ceux là méritent pareils éternels supplices, qui s’éloignent de leur Créateur pour la créature et méprisent mes Commandements. Réjouissez-vous, ma fille, réjouissez-vous, mes fidèles, de ce que vous êtes séparés de telles choses ! »

IV

Sainte Brigitte étant en prières, vit un palais d’une grandeur incommensurable, où se trouvait une multitude d’hommes aux vêtements éclatants. Il y avait sur un trône, en ce palais, comme dans un soleil, un Juge, et la splendeur qui sortait du soleil était incompréhensible en longueur, largeur et profondeur. La très Sainte Vierge était debout auprès de ce soleil.

Un démon terrible à voir et qui marquait en ses gestes être plein d’envie et enflammé d’une grande colère, criait afin de pouvoir tourmenter à son gré un homme qui, vivant encore, n’avait plus que quelques instants à vivre.

« Ô Juge ! Voyez les œuvres mauvaises de cet homme, jugez-le, car il lui reste peu de temps à vivre. Et permettez-moi de punir le corps avec l’âme jusqu’à ce que la réparation en soit faite ! »

L’ange gardien de cet homme intervint : Ô Juge ! Voici les bonnes œuvres qu’il a faites jusqu’à cette heure ! »

Le Juge : « Il y a là plus de vices que de vertus. Il n’est pas juste et équitable que le vice soit uni à la souveraine Vertu. »

Le démon : « Il est donc juste que cette âme me soit unie, car elle a quelques vices en elle. De même qu’en moi, il y a toutes sortes de méchancetés. »

L’ange : « La Miséricorde de Dieu suit jusqu’au dernier moment de la vie, et après la mort le jugement se fait. Or, en cet homme, l’âme et le corps sont unis, et le libre-arbitre et la raison ne l’ont pas encore abandonné. »

Le démon : « L’Ecriture dit : vous aimerez Dieu sur toutes choses et le prochain comme vous-même. Voyez donc que toutes les œuvres de celui-ci sont faites sans amour, et quant aux péchés dont il s’est confessé, c’est avec une très petite contrition ; il mérite l’Enfer car il a démérité le Paradis. »

L’ange : « Il a certainement espéré obtenir la contrition avant de mourir. »

Le démon : « La Justice de Dieu, de toute l’Eternité, veut qu’aucun n’entre au Ciel sans avoir eu la parfaite contrition, laquelle il n’a pas. Il est impossible que Dieu juge contre l’Ordre et la Disposition qu’Il a prévus de toute Eternité. Donc, il faut que cette âme soit adjugée à l’Enfer, et la joindre avec moi aux peines éternelles. »

L’ange ne sut rien objecter à ces paroles… Et l’on vit une multitude de démons, qui criaient tous à Celui qui était assis sur le trône :

« Nous savons que vous êtes un Dieu en Trois Personnes, sans commencement ni fin ; rien n’a joie sans Vous qui êtes l’Amour et la Miséricorde, mais vous êtes aussi la Justice : pas une âme sans la contrition n’a obtenu le Ciel. Pourquoi donc, ô Juge, tardez-Vous à nous adjuger cette âme afin que nous la punissions selon ses œuvres ? »

Soudain, un son éclatant comme une trompette se fit entendre, et une voix prononça ces mots : « Silence ! Ecoutez, ô vous, anges ! Prêtez oreille aussi, démons ! Entendez ce que dit la Mère de Dieu ! »

Et à l’instant, la divine Marie parut devant le trône du Juge, et là, ayant ouvert les deux cotés de son manteau, on aperçut des femmes, des hommes, des religieux, tous amis de Dieu. Ils criaient d’une même voix disant : « Ô Dieu miséricordieux ! Miséricorde pour cette âme ! »

Puis, il se fit un grand silence et l’auguste Vierge parla :

« L’Écriture dit que celui qui a la Foi parfaite peut transporter des montagnes, que peuvent donc faire ces voix des justes qui ont l’Amour ? Que feront les amis de Dieu pour cet homme qui leur a demandé de prier Dieu, afin qu’il pût éviter l’Enfer et obtenir le Ciel ? Il les a libéralement secourus, ne demandant d’autre récompense que leurs prières pour obtenir le Ciel. Et moi, j’ajouterai ma prière à leur prière. »

Alors, parla le Juge :

« Pour les prières de ma Mère et de mes amis, cet homme obtiendra avant de mourir la contrition parfaite, de sorte qu’il ne descendra point en Enfer ; mais il sera purifié avec ceux qui, ayant commis de grands péchés, endurent de grandes peines dans le Purgatoire. Et cette âme étant purifiée, aura la récompense du Ciel avec ceux qui, sur terre ont eu la Foi et l’Espérance, avec quelque petite Charité. »

Ces choses étant dites, les démons s’enfuirent.

Peu après cette vision, sainte Brigitte vit un lieu fort terrible. C’était une fournaise ardente, large et profonde comme une mer, où le feu n’avait autre chose à brûler que les démons et les âmes toutes vivantes ; et sur cette fournaise, apparut l’âme dont nous avons vu le jugement. Or, les pieds de cet homme étaient comme attachés à la fournaise et le feu se poussait vers eux, ainsi que l’eau poussée en haut par le tuyau, de sorte que ses pores étaient comme des veines ouvertes d’où sortait le feu. Ses yeux étaient enfoncés, ses dents comme des clous de fer attachés au palais, ses bras étaient si tendus qu’ils allaient jusqu’aux pieds, et de ses mains gouttaient une poix ardente. De la peau, qui semblait être sur l’âme comme sur un corps, procédait une puanteur si horrible qu’on ne saurait la comparer à la plus infecte, à la plus pernicieuse puanteur.

Ayant donc vu cette effroyable calamité, sainte Brigitte entendit la voix de cet homme, qui criait avec un déluge de larmes :

« Malheur ! Malheur ! Malheur ! Malheur que j’aie aimé si peu Dieu pour ses grandes Perfections et les Grâces dont Il me comblait. Malheur que je n’aie pas considéré la Passion qu’Il souffrit avec grand Amour pour l’homme ! Malheur à moi de n’avoir pas craint sa Justice comme je le devais ! Malheur à moi d’avoir aimé les plaisirs de mon corps qui m’ont conduit au péché ! Malheur à moi pour mon orgueil et mon ambition des richesses ! Malheur à moi de vous avoir connus, ô Louis et Jeanne ! »

L’ange dit à sainte Brigitte : « L’Enfer brûle de telle sorte que, si tout ce qui au monde brûlait, il n’entrerait pas en comparaison de la violence de ce feu. On entend de cette fournaise sortir d’horribles voix, toutes contre Dieu, et toutes commencent par : Malheur ! Et finissent par Malheur ! Le supplice de cet homme au-dessus de l’Enfer est très cruel et doit durer jusqu’à la fin du monde, s’il n’est pas secouru par ses amis. »

Et avec force, l’ange ajouta : « Béni soit celui qui étant sur terre, vient au secours des âmes par des prières, ses œuvres et par le travail de son corps. La Justice de Dieu ne peut mentir, elle dit que les âmes peuvent être soulagées et affranchies par ces moyens. »

En ce moment, on entendit plusieurs voix qui du Purgatoire, suppliaient lamentablement : « Ô Seigneur Jésus-Christ ! Juste Juge ! imploraient-elles, envoyez votre Amour et votre Charité en ceux qui vivent au monde. Que Dieu récompense ceux qui nous envoient du secours ! »

V

Sainte Brigitte entendait une fille criant à sa mère, qui vivait encore :

« Ecoutez, ma mère : Malheur à moi ! Vous m’avez montré un visage doux mais vous avez été pour moi un bourreau. Vous m’avez cruellement pressé le cœur en me donnant de mauvais conseils et de mauvais exemples.

« Le premier conseil a été de m’attacher à plaire, à aimer et à être aimée selon le monde, à vivre avec joie corporelle. Le deuxième a été de dépenser prodigalement les biens pour avoir le repos, les plaisirs et pour l’honneur du monde.

« Vous m’avez appris une façon et mode de m’habiller avec un décolletage savant, des gants façonnés à mes mains, des souliers mignons aux pieds et mille artifices de la vanité, toutes choses odieuses à Dieu. Ma superbe fut brillante, et l’ostentation, fille de la superbe, donna tant d’éclat à mes yeux que je fus aveuglée sur ma fin dernière que je ne considérais point.

« Vous m’avez appris à faire quelques bonnes œuvres sans quitter le péché, et que je vivrais longtemps ; que l’heure de la mort n’approcherait point, que je pouvais pécher sans avoir une grande peine.

« Je me confessais, et par l’humilité de la confession, j’avançais d’un pas ; puis, soudain, je retombais comme celui qui chemine sur la glace, car je voulais le péché, appuyant, selon votre conseil, mes espérances en mes œuvres, sans que jamais j’aie considéré la Justice divine et que mes péchés étaient grands et mes bonnes œuvres fort petites.

« Et la maladie et la mort prompte arrivèrent, et les démons me saisirent, me donnèrent de grandes peines et douleurs, et j’étais moquée avec une confusion insupportable.

« Malheur donc à moi, ô ma mère, car tout ce que j’ai appris de vous avec joie, je le pleure maintenant avec amertume ! »

Et s’adressant à sainte Brigitte, l’infortunée ajouta :

« Vous qui ne pouvez me voir dans mon véritable état, entendez : ma tête et ma face sont un tonnerre qui fulmine au-dedans ; mon col est dans une presse garnie de clous ; mes bras et mes pieds sont comme des serpents ; mes veines sont pleines d’un vent violent : elles se serrent dans le cœur et éclatent à cause de sa fureur.

« Mes épaules, ma gorge, ma poitrine sont rongées, dévorées sans relâche, ce qui montre la vraie Justice divine, car elles offensèrent la pudeur, et mon cœur était lié aux choses passagères.

« Néanmoins, je suis en la voie de la Miséricorde, car la mort s’approchant, la considération de la Passion de Jésus-Christ me vint à l’esprit, et qu’elle était beaucoup plus douloureuse que la maladie dont je souffrais ; et je dis : Ô Seigneur ! Je crois que Vous êtes mon Dieu, ayez Miséricorde de moi, ô Fils de la Vierge, pour l’Amour de votre amère Passion. J’amenderai maintenant ma vie si j’en ai le temps.

« Et soudain, je fus illuminée d’une étincelle de Charité en mon cœur, de sorte que la Passion de Jésus me semblait plus amère que ma souffrance… Je mourus aussitôt et mon âme vint aux mains des démons pour être présentée au Jugement de Dieu, car il était indigne que les anges d’un grand éclat et d’une grande beauté portassent mon âme si difforme.

« Or, au Jugement de Dieu, les démons criant que mon âme fût condamnée à l’Enfer, puisqu’elle avait vécu pour les biens temporels, ne voulant prendre garde à ce que mon Rédempteur avait fait pour moi, le Juge répondit :

« Je vois une étincelle de Charité en son cœur, et partant, je condamne l’âme à être purifiée dans les tourments jusqu’à ce que l’étant dignement, elle mérite de Me posséder. »

« Par cette grande Miséricorde, et bien que je regorge de douleurs et de maux, je suis au lieu de l’Espérance. »

VI

Sainte Brigitte voyait un Jugement, l’âme d’homme qui, sur la terre, avait été comblé de prospérités, et il était damné. Cette âme avait la forme d’un horrible animal ; elle ressemblait au démon qui l’accusait devant le Juge :

« Donnez-moi, ô Juge, cette âme, puisque vous êtes juste. Vous l’aviez créée des ferveurs de votre Amour, et elle Vous était semblable ; mais ayant méprisé votre Douceur et vos Préceptes, elle est devenue semblable à moi. »

Le Juge répondit : « Bien que Je sache toutes choses, néanmoins, dites pour ma fille (sainte Brigitte), quel droit y avez-vous ? »

Le démon : « Cet homme avait des yeux et n’a jamais voulu voir ce qui concernait le salut de son âme ; les choses spirituelles ne lui plurent jamais, il s’amusait aux choses temporelles. Tout ce qu’il faisait, qui avait quelque apparence que c’était pour l’Amour de Vous, c’était pour l’honneur du monde. Il avait des oreilles, mais ne voulait rien entendre de ce qui revenait à votre Gloire. Sa bouche était ouverte à toutes les suavités et cajoleries du monde, et close à la prière et à vos Louanges. Il ne Vous aima jamais ni ne prit goût à vos Avertissements ; il n’approcha jamais de Vous par Amour ni par bonnes œuvres. Sa volonté fut toujours contraire à vos Commandements et sa cupidité était sans borne. Donnez-moi cette âme qui m’est semblable. »

Alors, un des anges approcha et dit au Juge :

« Seigneur Dieu ! Après que cette âme fut unie au corps, je la suivis toujours et ne m’en séparai point tant que je trouvai en elle quelque bien. Cet homme fut uni au mariage à une femme qu’il aimait tendrement et garda la fidélité du mariage parce qu’il l’aimait et non pour votre Amour, ne considérant en rien l’Honneur de Dieu et l’accomplissement de ses Volonté. Il entendait des Messes et assistait aux Offices, non par esprit de dévotion, mais afin qu’il ne fût pas séparé des chrétiens et noté par eux. Son cœur était en tout rebelle à Dieu et obéissant à la chair. Il se rendait néanmoins à l’Eglise afin d’obtenir de Vous la santé corporelle et que Vous lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde. Ô Seigneur ! Vous avez plus donné à cet homme qu’il ne Vous a servi sur terre. Vous lui avez donné la santé, des enfants remarquables ; Vous lui avez conservé les richesses et l’avez protégé des infortunes qu’il redoutait. Vous lui avez donné cent pour un, et tout ce qu’il a fait de bien a été récompensé en prospérités temporelles, comme il le voulait uniquement. Or, maintenant, je le laisse comme un sac vide de tout bien. »

« Donc, ô Juge, reprit le démon, adjugez-le-moi. Je suis plein de malice et je n’ai pas été racheté, cet homme est comme un autre moi. Vous avez dit que nul ne devait en rien tromper son prochain, et cet homme l’a fraudé et trompé. Vous avez dit que nul ne doit aimer la créature par-dessus son Créateur, or, cet homme a aimé toutes choses, hors Vous. Il a vendu l’Amour de Dieu pour son amour-propre. »

Le Juge : « Pourquoi vous réjouissez vous tant de la perte d’une âme ? »

Le démon : « A cause de l’envie enragée qui me déchire. Quand cette âme brûle, je brûle plus ardemment ; mais Vous l’avez rachetée par votre Sang et l’avez tellement aimée que Vous Vous êtes donné à elle. Quand je la puis arracher de Vous, je me réjouis. »

Le Juge s’adressant à l’âme :

« Que dites-vous de vous-même ? »

L’âme, avec de grandes larmes, répondit :

« Ma conscience profère mon jugement ; il faut que je suive aux peines ceux-là dont je suivis les suggestions sur terre. »

Et soudain sept démons s’approchèrent et le prince des démons ordonna :

« Vous, esprit de superbe, vous avez possédé cette âme dedans et dehors, entrez en elle et serrez-la si fortement que le cerveau, les yeux, les os, tout s’écoule et se fracasse.

« Vous, esprit de cupidité, entrez en elle avec un venin très ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-là misérablement. Qu’elle soit riche des confusions éternelles et des malheurs qui n’auront jamais de fin.

« Vous, esprit de rébellion et de mépris de la Religion, elle vous a plutôt obéi qu’à Dieu, entrez en elle, comme un glaive très aigu qui perce le cœur sans en sortir jamais.

« Vous, esprit de gourmandise, brisez-la de vos dents, déchirez-la sans cesse et sans la consommer ; elle a consenti à toutes les intempérances.

« Vous esprit de vaine gloire, entrez en elle et ne sortez jamais de sa bouche. Que toute la joie et l’honneur qu’elle cherchait au monde, soient changés en pleurs, misères et hontes éternelles. »

Les démons emportèrent leur proie et disparurent sauf le prince des démons.

***

Et voici qu’une âme, comme une brillante étoile montait de la terre au Ciel, et le Juge dit au démon :

« Regarde, Je te le permets. »

En voyant la lumineuse étoile, le démon resta muet. Notre Seigneur reprit :

« A qui est-elle semblable ? »

Le démon reprit avec rage : « Elle est plus luisante que le soleil, comme je suis plus noir que la fumée, elle est toute pleine de douceur et moi, je suis plein de malice et d’envie. »

« Que ferais-tu pour qu’elle fût en ta puissance ? »

Le démon répondit avec force : « Je descendrais du plus haut du Ciel jusqu’à l’Enfer pour l’avoir en ma puissance. »

« Ta malice est grande contre mes élus, et Moi, Je suis si charitable que, s’il était besoin, Je mourrais encore une fois pour chaque âme, et J’endurerais pour chacune d’elles le même supplice que J’ai enduré sur la Croix pour toutes les âmes. »

Le démon s’enfuit, et alors Notre Seigneur dit à cette âme bienheureuse qu’on voyait comme une étoile monter de la terre au Ciel :

« Venez, ma bien-Aimée, jouir du Bonheur ineffable que vous avez tant désiré, venez à Moi, quittant le monde semblable à la douleur et à la peine et en qui tout est misère. Venez à notre Dieu et Seigneur, venez à la Douceur qui ne finira jamais. »

Et s’adressant à sainte Brigitte, Notre Seigneur lui dit :

« Cette âme que vous voyez rayonnante comme une étoile, en s’approchant du dernier moment de sa vie, vint en Purgatoire, et ce Purgatoire était son corps dans lequel elle a été purifiée par ses douleurs et ses infirmités. Sa joie a commencé dans la tristesse, et la voilà pour toujours dans les contentements indicibles, sans mesure et sans fin.

« Savez-vous, ma fille, pourquoi je vous montre ces choses ? C’est afin que les bons voient la récompense et que les mauvais, sachant cet horrible jugement, se convertissent. »

***

Une dame, célèbre par sa beauté et ses élégances, suivait en tout ses fantaisies et abhorrait la confession… Atteinte d’une tumeur à la gorge, elle mourut sans se confesser. Au jugement de Dieu, tous les démons l’accusaient, criant au Juge : « Voici cette femme qui a voulu se cacher de Vous, et être connue de nous ! »

Le Juge : « La confession est une bonne blanchisseuse. Puisqu’elle n’a pas voulu s’humilier devant un seul, qu’elle soit confondue devant tous et noircie de vos immondices. Elle méprisait l’étendard de ma Croix en disant : ‘À quoi cela me sert-il ? Qu’il satisfasse ici mes appétits et mes désirs et garde Son Royaume et Son Ciel. J’aime mieux les perdre que de quitter mes volontés.’

Pour le bien qu’elle a fait, elle a reçu dans le monde sa récompense, car elle ne méritait pas d’être affligée sur terre, mais ses tourments sont éternels ; d’autant qu’elle aurait désiré vivre éternellement pour pécher éternellement […]. Dites à ma fille (Sainte Brigitte) quel supplice a mérité cette âme qui a plus aimé la créature que le Créateur, recherchant les plaisirs et se souciant plus du monde que de Dieu.

Pour la superbe qu’elle a eue en tous ses membres, sa tête, ses bras, ses mains, ses pieds sont allumés d’un feu horrible. Les serpents l’environnent, la rongent, la déchirent sans cesse avec désolation continuelle. Ses entrailles sont misérablement tourmentées, comme si avec une grande force, on s’efforçait d’y planter un pal. Ses pieds avec lesquels elle se portait aux délices, sont comme des rasoirs aigus qui la taillent incessamment. »

***

Sainte Brigitte vit un prince à qui les démons préparaient quatre chambres par lesquelles il fallait qu’il passât.

Dans la première, il fut accablé d’un poids écrasant et il s’écria en pleurant : « Malheur à moi, d’avoir plus aimé ce qui est beau que ce qui est utile, d’avoir eu la vertu en haine, les bons exemples et les prédications en aversion, car j’avais résolu en mon cœur de suivre mes volontés, ne me souciant ni de croire ni de connaître la Vérité ! Il est donc juste que je sois abattu sous le talon du diable. »

Dans la deuxième chambre, un torrent de poix et de flammes roula sur lui, et il gémit horriblement : « Malheur à moi ! Malheur éternellement ! J’ai aimé d’être aimé, loué, exalté, fuyant les opprobres, n’aimant que moi-même, considérant les péchés comme rien. Et maintenant, me voilà abreuvé du torrent des douleurs. »

Dans la troisième chambre, il sentit une puanteur insupportable ; des serpents venimeux l’enveloppèrent et ses hurlements redoublèrent : « Malheur ! Malheur ! Malheur ! J’ai aimé les douceurs, les parfums, les vêtements somptueux, les festins délicats. Je repoussais l’abstinence que je comprends maintenant être très utile. Je vivais selon les désirs de mon corps, ne voulant accepter ni privation ni peine. Il est juste que j’endure ce supplice. »

Dans la quatrième chambre, il entendit un son terrible et une voix : « La récompense de votre orgueil est que vous tombiez d’un démon dans un autre jusqu’à ce que vous soyez plongé au plus profond abîme de l’Enfer. Pour toutes vos pensées, vos paroles inutiles et nuisibles, pour vos mauvaises œuvres, vous subirez éternellement la violence des supplices. »

Et l’âme cria lamentablement : « Oh ! Que mérité est mon châtiment ! Que je suis terriblement triste ! Je savais par ma conscience que l’homme doit rendre compte, mais je pensais que Dieu était grand en Miséricorde et que je ferais pénitence en ma vieillesse. Et les douleurs, avant la mort, m’ont tellement accablée que je perdis mémoire et volonté. Et maintenant, je vois que Celui qui promettait de Se donner Lui-même à moi sous les espèces du Pain eucharistique est le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs. Je refusais de croire que sous une espèce si petite, une chose si grande, si sublime, put être indicible et admirable. Malheur à moi ! Malheur ! Malheur que je sois né ! Malheur ! Malheur ! »

Et Notre Seigneur dit à sainte Brigitte : « Voilà, ô ma fille, comment sont frappés ceux qui Me méprisent et violent Mes commandements ; voilà quelles peines et quelles douleurs ils achètent par des bagatelles et des petits et passagers plaisirs. Mes paroles leur sont insupportables, et s’ils font quelque bien, ils n’ont d’autre affection ni intention, sinon que les biens temporels leur soient accrus ; ils ne demandent et ne désirent rien si chèrement. Je leur donne ce qu’ils demandent et les récompense en cette vie présente… Sachez ma fille, que Je ne parle pas pour vous seule, mais pour tous les chrétiens : l’homme rendra compte de la moindre maille ; il rendra compte de tous les moments, de chaque denier, des pensées en détail et des paroles, s’il ne les amende point par contrition et pénitence. Véritablement, ma fille, J’en ferai exact jugement. »

« Or, Je vous le dis : de toute parole sans fondement que les hommes auront proférée, ils rendront compte au Jour du Jugement. (Mt 12.36) » ; « En vérité, Je te le dis, tu ne sortiras pas de là, que tu n’aies rendu jusqu’au dernier sou. (Mt 5.26) »

***

Un jour qu’elle priait pour les morts, sainte Brigitte vit l’âme d’un gentilhomme décédé depuis quatorze ans. Cette âme avait la forme d’une bête sauvage, qui avait autant de cornes que les autres bêtes ont ordinairement de crins. Cette bête était étendue sur une ouverture qui aboutissait à l’Enfer, et qui était comme un soupirail, en sorte qu’elle serait tombée dedans, sans un pieu mis en travers, sur lequel elle était couchée. En cet état, elle recevait les brûlantes vapeurs de l’Enfer et participait ainsi aux peines de ce lieu d’horreur et de supplices ; elle souffrait des douleurs inexprimables, ne recevant nul soulagement des suffrages de l’Église.

La sainte apprit de Dieu que ce gentilhomme étant sur terre, avait beaucoup péché par sa fierté et son orgueil, qui étaient excessifs. Le pieu qui lui servait d’appui et l’empêchait seul de tomber dans le gouffre de l’Enfer, représentait quelques mouvements de pénitence et de bonne volonté qu’il avait eus étant dans le monde, et qui, fortifiés de la Miséricorde divine, l’avaient garanti du malheur éternel.

Dieu ayant imprimé, par cette vue, dans le cœur de Brigitte, une forte compassion pour l’infortuné, elle s’adressa au Cœur divin par une ardente prière pour le soulagement de cette âme. Aussitôt, l’horrible peau de bête se fendit, et l’âme en sortit couverte de taches, mais faisant paraître beaucoup de joie, parce qu’elle était enfin en état d’avoir part aux Suffrages de l’Église.

***

Sainte Brigitte vit son ange gardien qui priait pour elle. Le Seigneur dit à l’ange : « Vous demandez Miséricorde pour celle que Je vous ai confiée. Dites-Moi en sa présence ce que vous désirez pour elle, car il y a trois sortes de miséricordes :

  • L’une épargne la peine au corps et à l’âme. C’est l’état de ceux qui croient en Moi et font quelques bonnes actions avec l’intention d’obtenir des biens temporels, considérant peu les choses célestes, et les abandonnant avec joie afin d’obtenir les choses présentes. Je récompense le bien qu’ils font, et jusqu’à la dernière maille, d’une récompense mondaine et temporelle ; mais dans l’éternité, ils ne sortiront jamais du supplice.
  • Par la deuxième miséricorde, le corps et l’âme sont affligés. C’est l’état de ceux qui tombent dans le péché, mais se relèvent. Je permets qu’ils aient des tribulations au corps ou à l’âme afin qu’ils soient sauvés. Néanmoins, ils auront à acquitter dans le Purgatoire.
  • La troisième miséricorde, c’est quand le corps et l’âme sont châtiés. C’est l’état de ceux qui aimeraient mieux souffrir de grandes peines, avec Mon aide, que de provoquer Ma colère. À ceux-ci sont données les tribulations corporelles et spirituelles, comme à saint Pierre, saint Paul et à mes autres saints, afin qu’ils soient purifiés dans le temps. Quiconque entrera dans le Ciel devra avoir été purifié par l’eau ou par le feu… L’eau, c’est-à-dire par une épreuve journalière, par quelque médiocre labeur de pénitence sur terre… Le feu, en l’autre vie, dans le Purgatoire. Donc, maintenant ô mon Ange, mon Serviteur, que demandez-vous pour celle que Je vous ai confiée ? »

L’Ange répondit : « Je demande pour elle la miséricorde de la correction ; je demande les tribulations du corps et de l’âme, afin qu’elle purifie en cette vie par cette eau salutaire toutes ses fautes, et qu’aucun péché ne vienne en jugement. »

TÉMOIGNAGE DE SŒUR LUCIE DE FATIMA :
« Lorsque la Vierge Marie disait les dernières paroles (« Sacrifiez-vous pour les pécheurs… »), Elle ouvrit de nouveau les mains comme les deux fois précédentes. Le faisceau de lumière projeté sembla pénétrer la terre et nous[2] vîmes comme une mer de feu. En ce feu étaient plongés, noirs et brûlés, des démons et des âmes sous forme humaine, ressemblant à des braises transparentes noires et bronzées. Soulevées par les flammes qui sortaient d’elles-mêmes, elles retombaient de tous les côtés comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu de grands cris et de gémissements de douleur et de désespoir qui faisaient frémir et trembler d’épouvante. Ce fut probablement à cette vue que je poussai l’exclamation d’horreur qu’on dit avoir entendue.

Les démons se distinguaient des humains par leurs formes terribles et dégoûtantes d’animaux épouvantables et inconnus, mais transparents comme des charbons embrasés. Cette vue dura un instant et nous devons remercier notre bonne Mère du Ciel qui, d’avance, nous avait prévenus par la promesse de nous prendre au Paradis. Autrement, je crois, nous serions morts de terreur et d’épouvante. (Autobiographie, au 13.07.1917) »

DE SAINT PIERRE-JULIEN EYMARD :
« Or, comment se fait-il que Dieu, qui est si bon, puisse condamner à l’Enfer éternel une de ses créatures qu’Il a faite dans l’amour, un de ses enfants qu’Il a tant aimé ? Il est pourtant vrai, qu’après la mort Il est sans miséricorde ! Il y a peu d’élus, a-t-on dit ; des deux chemins qui conduisent l’un à la vie et l’autre à la mort, le premier est peu suivi, le second couvert de monde ! D’après ces paroles, la majeure partie des hommes sera damnée. Quand l’Évangile ne le donnerait pas à entendre, ce que nous voyons parle assez fort pour le faire comprendre. (Écrits et sermons, DDB, 1972, p. 276) ».

DE SAINT ANTOINE-MARIE CLARET :
« Je me dis souvent : il est de foi qu’il y a un Ciel pour les bons et un Enfer pour les mauvais ; il est de foi que les peines de l’Enfer sont éternelles ; il est de foi qu’il suffit d’un seul péché mortel pour offenser un Dieu infini. Me rendant compte que ces principes sont très sûrs, voyant la facilité avec laquelle on pèche −aussi facilement que si l’on buvait un verre d’eau− voyant la multitude qui est continuellement en état de péché mortel et va ainsi à la mort et en Enfer, je ne puis rester en repos, je sens que je dois courir et crier. Je me dis : Si je voyais quelqu’un tomber dans un puits ou dans un brasier, je courrais certainement et je crierais pour l’avertir et l’empêcher de tomber ! Pourquoi donc n’en ferais-je pas autant pour empêcher quelqu’un de tomber dans le puits et le brasier de l’Enfer ? Je ne puis comprendre comment les autres prêtres qui croient aux mêmes vérités que moi −vérités que tous doivent croire− ne font ni prêches ni exhortations pour empêcher les gens de tomber en Enfer. Je m’étonne même que les laïcs, hommes et femmes, qui ont la foi ne crient pas, et je me dis : si une maison se mettait à brûler de nuit, ses habitants et les autres habitants du quartier étant endormis et ne voyant pas le péril, le premier qui s’en apercevrait ne courrait-il pas dans les rues en criant : « Au feu ! Au feu ! Dans telle maison ! » ? Alors, pourquoi ne pas crier « Au feu de l’Enfer ! » pour réveiller tant de dormeurs assoupis dans le sommeil du péché et qui, au réveil, se trouveront dans les flammes du feu éternel ? Ce qui m’oblige également à prêcher sans arrêt c’est de voir la multitude d’âmes qui tombent en Enfer, car il est de foi que tous ceux qui meurent en état de péché mortel se damnent. Car « Telle vie, telle mort ! » Et quand on voit comment vivent les gens, quand on les voit en très grand nombre vivre de façon stable et habituelle en état de péché mortel, on peut dire qu’il ne se passe pas de jour sans qu’augmente le nombre de leurs fautes. Ces malheureux vont de leur propre mouvement en Enfer […] Peut-être me direz-vous que le pécheur ne pense pas à l’Enfer et même n’y croit pas. Situation pire encore ! Vous pensez peut-être que le pécheur cesse, pour ce motif, de se damner ? Non, certainement pas ! Au contraire, c’est là un signe plus clair de sa damnation d’après l’Évangile : « Qui ne croit pas sera condamné (Mc 16.16) ». Et comme le dit Bossuet, cette vérité est indépendante du fait qu’on y croit ; celui qui ne croit pas à l’Enfer ne manquera pas pour autant d’y aller s’il a le malheur de mourir en état de péché mortel ; et ceci bien qu’il ne croie pas à l’Enfer et n’y pense pas.(Autobiographie, II, 11, 2-3-4, Soleil Levant, 1960) »

***

Sur un sujet différent, Notre Seigneur Jésus-Christ dit à SAINTE CATHERINE DE GÊNES :

« Je fais à l’âme un purgatoire de son corps ; par ce moyen, J’augmente sa gloire et Je l’attire à Moi sans autre purgatoire. De toutes les choses contraires qui assaillent mes amis, il leur en revient grand profit et grande récompense. Et l’homme, n’ayant d’autre temps que celui de sa vie pour purifier son âme en Mon amour, n’est-il pas bien misérable et bien fou de s’occuper d’autre chose et de perdre ces moments précieux qui lui sont donnés uniquement pour cet effet, sans que jamais, il puisse en avoir d’autres ? »

Sainte Catherine de Gênes : « Mieux vaut souffrir en ce monde avec toutes les douleurs dont on peut être affligé en cette chair et sur la terre, qu’une heure en Purgatoire. Sur la terre, le temps de nous purifier dure peu et Dieu donne l’aide nécessaire pour pouvoir supporter, car Il ne charge jamais l’homme d’un poids supérieur à ses forces.

« Je ne m’étonne pas que sous certains rapports, le Purgatoire soit aussi affreux que l’Enfer, tous les deux ayant le péché pour objet. Celui-ci étant hideux comme il l’est, il faut bien que le châtiment et l’expiation soient en rapport avec son abomination. »

« Mieux vaut souffrir mille ans en ce monde avec toutes les douleurs dont on peut être affligé en cette chair et sur la terre, qu’une heure en Purgatoire. »[3]

***

Tant que nous vivons sous l’empire de la Miséricorde, nous pouvons chaque jour vivre en état de grâce et nous préparer à mourir saintement, mais encore satisfaire pour les défunts, ainsi que Notre Seigneur l’assure :

« L’exercice de la vie, dit-Il, est un Purgatoire continuel, et sans qu’il vous en coûte davantage, vous vous trouverez purifiés de tout à l’heure de votre mort. Vous pourrez même satisfaire pour d’autres, car sur terre, tout est compté au plus haut point de valeur. Faites donc vos actions ordinaires en esprit de pénitence, unies à la contrition immense de mon Cœur Sacré. Vous avez aussi le moyen de satisfaire pour vous et pour les défunts à la Justice divine par les indulgences que mon Église a le droit de vous appliquer, et que Je recevrai toujours comme un paiement légitime et agréable, puisque c’est de Moi qu’elle tient ce pouvoir, et Je ratifie tout ce que décide l’Église. »

Ces choses qui m’ont été révélées sur le Purgatoire, sont tellement graves que, à côté de cela, toute connaissance, toute science humaine, ne sont que bagatelles de néant. (Traité du Purgatoire, Nabu Press, 2011, p.124) »

_____________

« L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’Enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement en Enfer […]. La peine principale de l’Enfer consiste en la séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. (Catéchisme de l’Église Catholique, 1992, n°1035) »

[1] Dumeige (Gervais), La Foi Catholique, Paris, 1975, n°951 : « Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration des démons et des impies, qu’il soit maudit ! »

[2] Il s’agit de Lucie elle-même et de ses deux cousins, Jacinthe et François Marto, témoins des apparitions si importantes pour le salut du monde de la Vierge Marie à Fatima en 1917.

[3] Saint Bernardin de Sienne affirme que, entre toutes les peines de la terre réunies ensemble et la peine du Purgatoire, il y a la même différence existant qu’entre un feu peint sur une toile et un feu réel.

Source

La Trinité dans la bible, Jésus est-il Dieu?

La Trinité dans l’ancien testament – Deux personnes révélées dans le premier verset

Genèse 1, 1 Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide; les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.

Dieu étant Esprit, l’Esprit de Dieu est l’Esprit de l’Esprit (Dieu)

Genèse 1, 26  Puis Dieu dit:  » Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et sur toute la terre, et sur les reptiles qui rampent sur la terre. « 

Dieu parle à au moins une autre personne quand Il dit : Faisons l’homme…

L’Esprit-Saint

Actes des Apôtres 2, 1 Comme le jour de la Pentecôte était arrivé, ils étaient tous ensemble au même (lieu). Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils virent paraître des langues séparées, comme de feu; et il s’en posa (une) sur chacun d’eux. Et tous furent remplis d’Esprit-Saint, et ils se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait de proférer.

L’apôtre Jean reconnait Jésus comme Dieu et rapporte le témoignage de Jean-Le-Baptiste (le précurseur)

Jean 1: 1  Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Tout par lui a été fait, et sans lui n’a été fait rien de ce qui existe. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. Il y eut un homme, envoyé de Dieu; son nom était Jean. Celui-ci vint en témoignage, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui: non que celui-ci fût la lumière, mais il avait à rendre témoignage à la lumière. La lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme, venait dans le monde. Il (le Verbe) était dans le monde, et le monde par lui a été fait, et le monde ne l’a pas connu. Il vint chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu. Mais quant à tous ceux qui l’ont reçu, Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, Qui non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu sont nés. Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, (et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle qu’un fils unique tient de son Père) tout plein de grâce et de vérité.

Jésus parlant de la trinité

Mathieu 28, 16  Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus leur avait désignée. En le voyant, ils se prosternèrent; mais il y en eut qui doutèrent. Et Jésus s’approchant leur parla ainsi:  » Toutes puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous toujours jusqu’à la fin du monde. « 

Jean-Baptiste parlant de Jésus qui baptisera par l’Esprit-Saint

Matthieu 3:11  » Moi, je vous baptise dans l’eau pour le repentir; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses sandales; lui, il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. Dans sa main est le van: il nettoiera son aire, il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point. « 

Nom de Dieu dans l’ancien testament

Exode 3,14 Moïse dit à Dieu: « Voici, j’irai vers les enfants d’Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. S’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je? » Et Dieu dit à Moïse: « Je suis celui qui suis » Et il ajouta: « C’est ainsi, que tu répondras aux enfants d’Israël: Celui qui est m’envoie vers vous. »

Exode 6,3  Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu tout-puissant mais sous mon nom de Yahweh, je ne me suis pas fait connaître à eux.

Jésus se déclarant Dieu

Jean 8:57  Les Juifs lui dirent: « Vous n’avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham? » Jésus leur répondit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fut, je suis. » Alors ils prirent des pierres pour les lui jeter; mais Jésus se cacha, et sortit du temple.

Jean 10: 22 On célébrait à Jérusalem la fête de la Dédicace; c’était l’hiver; Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon. Les Juifs l’entourèrent donc et lui dirent: « Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens? Si vous êtes le Christ dites-le nous franchement. » Jésus leur répondit: « Je vous l’ai dit, et vous ne me croyez pas: les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi; Mais vous ne me croyez point, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis entendent ma voix. Je les connais et elles me suivent. Et je leur donne une vie éternelle, et elles ne périront jamais, et nul ne les ravira de ma main. Mon Père qui me les a données, est plus grand que tous, et nul ne peut les ravir de la main de mon Père. Mon père et moi nous sommes un. » Les Juifs ramassèrent de nouveau des pierres pour le lapider. Jésus leur dit: « J’ai fait devant vous beaucoup d’œuvres bonnes qui venaient de mon Père: pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous? » Les Juifs lui répondirent: « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous vous lapidons, mais pour un blasphème, et parce que, étant homme, vous vous faites Dieu; Jésus leur répondit: « N’est-il pas écrit dans votre Loi: J’ai dit: vous êtes des dieux? Si la Loi appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et si l’Écriture ne peut être anéantie, comment dites-vous à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde: Vous blasphémez, parce que j’ai dit: Je suis le Fils de Dieu? Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, alors même que vous ne voudriez pas me croire, croyez à mes œuvres: afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi, et que je suis dans le Père. »

Traité de la perfection

Nous joignons au Dialogue le traité de la perfection qui est attribué à sainte Catherine de Sienne. Cet opuscule n’est connu que par le texte latin dont le manuscrit se trouve dans la bibliothèque du Vatican il a été imprimé à Sienne en 1545 et en 1609, et à Lyon en 1552, avec ce titre: Dialogus brevis sanctae Catharinae Senensis, consummatam continens perfectionem. Gigli en a donné une traduction italienne.

Ce traité de la perfection est-il véritablement de sainte Catherine de Sienne? Nous le pensons, quoique nous n’en trouvions aucune preuve dans les écrits de ses disciples et dans les dépositions du procès de Venise. La forme est moins riche, moins lumineuse que celle du Dialogue; mais le fond présente les mêmes pensées et les mêmes enseignements, Ce traité est sans doute le résumé d’un de ces discours admirables que sainte Catherine de Sienne adressait à ceux qui venaient lui demander des conseils; beaucoup de ses paroles ont été peut-être ainsi recueillies. Le bienheureux Thomas Caffarini, son confesseur, parle d’un traité sur les Évangiles qui auraient été fait d’après ses explications; ce traité n’a pas été retrouvé.

1. Une âme éclairée par l’Auteur de la lumière considérait sa misère et sa fragilité, son ignorance et sa pente naturelle au mal. Elle contemplait aussi la grandeur dé Dieu, sa sagesse, sa puissance, sa bonté, tous ses attributs divins, et elle comprenait combien il est juste et nécessaire que ce Dieu soit saintement et parfaitement honoré.

2. Dieu est père et seigneur de toutes choses; il les a faites pour qu’elles louent son très saint nom et qu’elles contribuent à sa gloire. N’est-il pas juste et convenable que le serviteur respecte son maître, le serve et lui obéisse avec toute la fidélité possible?

3. C’est aussi une chose nécessaire, parce que Dieu a créé l’homme, composé d’un esprit et d’un corps, à la condition que s’il lui rend volontairement un service fidèle jusqu’à la mort, il parviendra à la vie éternelle. L’homme ne peut autrement acquérir cette félicité, renfermant l’abondance de tous les biens; mais II y en a peu qui l’obtiennent, parce que presque tous cherchent leurs intérêts et non ceux de Dieu.

4. Cette âme voyait que les jours de l’homme sont courts, et qu’il ignore l’instant où doit finir le temps fugitif qui lui est donné pour mériter. En enfer, il n’y a plus de rédemption possible; car chacun dans la vie future reçoit justement, par une immuable et inévitable sentence, la récompense ou le châtiment que sa manière de vivre lui aura mérité.

5. Elle voyait combien les prédicateurs faisaient de discours et parlaient diversement des vertus par lesquelles on honore et sert Dieu. Elle voyait aussi le peu de capacité de la créature raisonnable, son intelligence bornée, sa faible mémoire, qui ne peut saisir beaucoup de choses, ni retenir fidèlement celles qu’elle a apprises. Beaucoup s’appliquent à toujours apprendre; mais bien peu s’efforcent d’arriver à une vraie perfection, en servant Dieu comme il serait juste et nécessaire de le faire. Presque tous vivent continuellement dans l’agitation de l’esprit et s’exposent à un péril extrême.

6. A la vue de toutes ces choses, cette âme s’adressait au Seigneur, dans l’ardeur du désir et de l’amour. Elle conjurait la divine Majesté de vouloir bien lui donner quelques courts préceptes pour régler saintement notre vie et la rendre aussi parfaite que possible, en nous faisant suivre véritablement l’enseignement de l’Église et des saintes Écritures, l’obéissance à ses préceptes devant nous faire rendre à Dieu les honneurs qui lui sont dus, et nous mériter, après cette vie courte et misérable, la félicité pour laquelle il nous avait créés.

7. Alors Dieu, qui inspire les saints désirs et ne permet pas que leur ardeur soit inutile, se manifesta tout à coup à cette âme dans l’extase, et il lui dit: Ma bien-aimée, tes désirs me ravissent; ils me, plaisent tant, que je suis beaucoup plus avide de les satisfaire, que tu ne l’es toi-même de les voir satisfaits. Je souhaite ardemment vous donner, quand vous y consentez, les grâces qui sont utiles et nécessaires à votre salut; aussi je m’empresse de contenter ton désir et d’agréer tes demandes.

8. Écoute donc attentivement ce que l’ineffable et infaillible Vérité va te dire. Je t’exposerai en peu de mots ce qu’est, ce que renferme la vraie perfection, et toutes les vertus qu’enseignent l’Église et les saintes Écritures. Si tu te contemples dans cette doctrine, situ y conformes ta vie, situ t’efforces de l’observer, tu accompliras tout ce qui est Contenu et caché dans ces paroles divines, et tu jouiras d’une joie sans bornes et d’une paix inaltérable.

9. Apprends que le salut de mes serviteurs et leur perfection consistent uniquement à faire ma seule volonté et à toujours l’accomplir, à ne servir que moi, à n’honorer que moi, à ne voir que moi dans tous les moments de leur vie. Plus ils s’y appliqueront avec ardeur, et plus ils approcheront de la perfection; car plus ils s’uniront et s’attacheront par des liens intimes et forts à moi, qui suis la souveraine perfection.

10. Ce que je te dis en ces quelques mots, tu le comprendras plus clairement si tu regardes mon Christ, en qui j’ai mis mes complaisances. Il s’est anéanti sous la forme d’un esclave, et il s’est revêtu des apparences du péché. Vous étiez plongés dans d’épaisses ténèbres, vous étiez éloignés du sentier de la vérité; il vous a éclairés des splendeurs de sa lumière, et vous a ramenés dans la voie droite par sa parole et son exemple. Il a été obéissant jusqu’à la mort, et cette obéissance persévérante vous enseigne que votre salut dépend du ferme propos de faire ma seule volonté.

11. Quiconque voudra méditer avec soin la vie et la doctrine de mon Fils, verra clairement que la justice et la perfection de l’homme consistent uniquement dans une continuelle et fidèle obéissance à ma volonté. C’est ce que votre Chef vous a répété tant de fois. N’a-t-il pas dit: « Ce n’est pas celui qui crie: Seigneur! Seigneur! qui entrera dans le royaume des cieux, mais celui qui fera la volonté de mon Père » (Mt. VII,21)?

12. Ce n’est pas sans raison que mon Fils a répété deux fois: Seigneur! Seigneur! Toutes les existences passagères de ce monde se partagent entre l’état religieux et l’état séculier, et il a voulu exprimer que personne, quelle que soit sa position, ne peut acquérir la gloire éternelle, quoiqu’il ait tout fait pour m’honorer extérieurement, s’il n’a pas accompli ma volonté.

13. Mon Fils a dit dans un autre endroit: « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle du Père qui m’a envoyé. Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé ». Et autre part: « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui se fasse. C’est selon l’ordre que m’a donné le Père que j’agis de la sorte » (Jean, VI,38; Vl,34; XIV,31).

14. Si tu veux donc imiter l’exemple de ton Sauveur, et faire ma volonté, qui renferme tout bien, il est nécessaire qu’en toute chose, tu renonces à ta volonté, que tu la méprises et la renies. Plus tu mourras à toi-même, plus tu rejetteras avec soin ce qui est toi, et plus je te donnerai avec abondance ce qui est moi.

15. Lorsque l’âme eut reçu ces salutaires enseignements de la vérité, elle disait dans sa joie: Mon Père, mon Dieu, je ne pourrais jamais exprimer combien je suis ravie des choses que vous avez daigné faire entendre à votre pauvre servante; j’en remercie de toutes mes forces votre souveraine Bonté. Rien ne pourra mieux et plus clairement faire comprendre ces enseignements à ma grossière intelligence, que l’exemple du Sauveur.

16. Puisque vous êtes le Bien suprême, et que vous ne voulez pas l’iniquité, mais la justice et la vertu, je fais ce que je dois faire si j’accomplis votre volonté, et elle l’accomplis en renonçant à la mienne, que vous ne voulez jamais violenter; car vous l’avez faite libre, pour que je vous la soumette de mon plein gré; En m’appliquant sans cesse à faire la vôtre, je vous deviendrai plus agréable, et j’acquerrai des mérites devant vous.

17. Je veux donc et je désire ardemment faire tout ce que vous commandez; mais je ne sais pas bien ce que renferme votre volonté, et comment je puis me soumettre à vous avec zèle et fidélité. Si je ne suis pas trop téméraire, si je n’abuse pas de votre bonté, je vous conjure humblement d’agréer ma demande, et de me donner encore quelques courts enseignements.

18. Alors le Seigneur répondit: Si tu désires connaître en peu de mots ma volonté, afin de pouvoir la suivre parfaitement, ma volonté est que tu m’aimes souverainement et toujours. Je vous ai fait le commandement de m’aimer de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et c’est à observer ce commandement que consiste la perfection; car la fin du commandement est la charité, et l’accomplissement de la loi est l’amour.

19. L’âme reprit: Je comprends que votre volonté et ma perfection se trouvent dans votre amour, et je voudrais vous aimer, comme je le dois, d’un amour ardent et souverain; mais je ne sais pas assez comment je puis et je dois le faire. Je vous supplie donc de vouloir bien m’instruire à ce sujet.

20. Dieu lui dit: Écoute et médite de toute l’application de ton esprit ce que je vais te dire. Pour m’aimer parfaitement, trois choses sont nécessaires. Il faut d’abord éloigner, séparer, retrancher ta volonté de tout amour et de tout attachement terrestre et charnel, de sorte qu’aucune chose passagère et périssable ne puisse te plaire en cette vie, si ce n’est pour moi.

21. La chose la plus importante, c’est qu’il ne faut pas que tu m’aimes pour toi, que tu t’aimes pour toi et que tu aimes le prochain pour toi; il faut que tu m’aimes pour moi; que tu t’aimes pour moi, et que tu aimes le prochain pour moi.

22. L’amour divin ne peut souffrir la société d’un autre amour. Selon que tu seras souillée de la contagion des choses de la terre, tu seras privée de mon amour et tu perdras la perfection; car, pour être pure et sainte, il est nécessaire que l’âme méprise toutes les choses sensibles. Fais donc en sorte qu’aucune des choses que ma bonté vous a données pour votre usage ne t’empêche de m’aimer. Que toutes, au contraire, t’aident, t’excitent et t’enflamment pour moi; car si je les ai créées, et je vous les ai données, c’est afin que, connaissant davantage la grandeur de ma bonté, vous m’aimiez d’un plus grand amour.

23. Applique-toi donc à soumettre au frein de la continence tes sens et tes désirs: garde-fui avec vigilance, et résiste avec courage aux concupiscences de la terre, que font naître de toute part les conditions de cette vie malheureuse et la corruption de la nature. Fais en sorte de pouvoir dire avec mon prophète: « C’est lui qui a formé mes pieds (c’est-à-dire mes affections, qui sont les pieds de l’âme) comme ceux du cerf, pour fuir les chiens (c’est-à-dire les liens de la concupiscence), et il m’a placée sur les hauteurs » (Ps. XVII,34), c’est-à-dire dans la contemplation.

24. Aussitôt que tu auras observé ce premier enseignement, tu pourras accomplir le second, qui est d’une plus grande perfection: c’est que toutes tes pensées, tes actes et tes opérations aient pour unique but mon bonheur et ma gloire. Il faut t’appliquer sans cesse à me louer par tes prières, tes paroles, tes exemples. Il faut non seulement le faire, mais encore y porter autant que tu le pourras les autres, afin que tous me connaissent, m’aiment et m’honorent uniquement. Ce moyen me plaît plus que le premier, parce qu’il accomplit plus ma volonté.

25. Quant au troisième enseignement qui reste, si tu le suis, sois persuadée que rien ne te manquera, et que tu arriveras à la justice parfaite. Voici en quoi il consiste: il faut chercher avec un ardent désir, et t’efforcer d’atteindre une disposition d’esprit telle, que tu me sois si unie, et que ta volonté soit si conforme à la mienne, que tu ne veuilles jamais non seulement le mal, mais encore le bien que je ne veux pas.

26. Quoi qu’il arrive au milieu des misères de cette vie, dans les choses temporelles ou spirituelles, rien ne doit détruire la paix ou troubler le calme de ton esprit. Il faut au contraire croire avec une foi inébranlable que moi, le Dieu tout puissant, je t’aime plus que tu ne t’aimes toi-même, et que j’ai pour toi plus de soin et de sollicitude que tu ne peux en avoir toi-même. Plus tu t’abandonneras, plus tu te confieras en moi, et plus je t’aiderai, plus je te serai présent, plus tu connaîtras et sentiras parfaitement la douceur de ma charité envers toi.

27. Tu ne peux arriver à cette perfection que par un entier et perpétuel renoncement à ta propre volonté. Quiconque n’apporte pas ce renoncement dans toutes ses œuvres manque par cela même à la vraie perfection; mais celui qui le pratique avec joie accomplit parfaitement ma volonté. Celui-là m’est très agréable; car rien ne m’est plus doux que d’agir avec vous par la grâce et d’habiter en vos âmes.

28. Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes. Je ne veux pas violer les droits de leur libre arbitre; mais dès qu’ils m’acceptent par la grâce, ils sont transformés en moi, tellement qu’ils sont une même chose avec moi par la participation de ma perfection, de ma paix particulière et de mon repos.

29. Afin que tu comprennes mieux avec quelle ardeur je désire être avec, vous, et que tu te presses de soumettre et d’unir ta volonté à la mienne, vois et considère attentivement que j’ai voulu que mon Fils unique s’incarnât, et que ma divinité, dépouillée de l’éclat de sa majesté, s’unît à votre humanité. C’est par cette preuve d’amour que je vous ai invités, excités à unir votre volonté à la mienne, et à vous attacher toujours à moi seul.

30. J’ai voulu que mon Fils bien-aimé s’assujettît à la mort cruelle et ignominieuse de la Croix, afin que par ses tourments il effaçât votre péché. Car le péché avait établi entre moi et vous une rupture qui m’avait obligé de détourner de vous mes regards.

31. Je vous ai aussi apprêté ce festin si grand et si peu connu, le Sacrement du corps et du sang de mon Fils. En le prenant pour nourriture, vous êtes transformés et changés en moi. De même que le pain et le vin dont vous vous nourrissez passe dans la substance de votre corps, de même, en vous nourrissant de lui, mon Fils, qui est une même chose avec moi, pénètre votre substance spirituelle sous les apparences du pain et du vin, et vous vous convertissez en moi. C’est ce que j’exprimais à mon serviteur Augustin lorsque je lui disais: « Je suis la nourriture des grands. Crois et mange, tu ne me changeras pas en toi, mais tu seras changé en moi » (Cibus sum grandium: credete manducabis; nec tu me mutabis in te, sed tu mutaberis in me.)

32. Cette âme comprit alors ce qu’était la volonté de Dieu; elle vit que, pour l’accomplir, la charité parfaite est nécessaire, et que la charité parfaite consiste dans le renoncement de la volonté propre. Seigneur mon Dieu, dit-elle, vous m’avez fait connaître votre volonté, vous m’avez expliqué que si je vous aime parfaitement, je n’aimerai aucune chose terrestre et périssable pour moi-même, mais que j’aimerai tout à cause de vous et pour vous. Vous m’avez dit que je devais chercher en toute occasion votre honneur et votre gloire, et porter mon prochain à le faire également. Vous m’avez dit que dans toutes les adversités que je rencontrerais pendant cette malheureuse vie, je devais m’appliquer à souffrir avec un esprit indifférent, tranquille et joyeux.

33. Puisque tontes ces choses doivent se faire par le renoncement de ma volonté propre, enseignez-moi, je vous prie, le moyen d’arriver à ce renoncement et d’acquérir, de conserver une si grande vertu; car, je le vois à la lumière de votre doctrine, je vivrai en vous autant que je mourrai en moi.

34. Alors Dieu, qui ne trompe jamais les saints désirs, ajouta: II est certain que tout bonheur consiste dans le parfait renoncement de toi-même: Je te remplirai de ma grâce à mesure que tu te dépouilleras de ta volonté. La communication de ma bonté divine fera ta perfection par la grâce, sans laquelle la créature humaine n’est rien en vertu et en dignité.

35. Si tu veux donc arriver à cette perfection, tu dois, avec une humilité profonde, avec une véritable et intime connaissance de ta misère et de ta pauvreté, travailler à une seule chose et la désirer sans cesse: obéir à moi seul et accomplir en tout ma volonté. Pour y parvenir, il est nécessaire qu’au moyen de ton imagination et de ton jugement, tu te construises en toi-même une cellule entièrement fermée par les ordres de ma volonté, pour t’y cacher et y habiter sans cesse. Quelque part que tu ailles, n’en sors jamais. Quelque chose que tu regardes, n’en détache jamais les yeux.

36. Que tous les mouvements de ton esprit et de ton corps Soient toujours dirigés vers ma volonté. Ne parle, ne pense et n’agis que pour me plaire et pour accomplir ce qui te semblera être ma volonté; et de cette manière, dans tout ce que tu feras, le Saint Esprit sera ton maître.

37. On peut arriver aussi par une autre voie au renoncement de la volonté propre. Si tu rencontres quelqu’un qui puisse t’instruire et te gouverner selon mon bon plaisir, tu lui assujettiras ta propre volonté. Tu te confieras entièrement à lui pour lui obéir en toutes choses, et suivre continuellement ses conseils. Car celui qui écoute mes serviteurs prudents et fidèles m’écoute moi-même.

38. Ce que je veux aussi, c’est qu’avec une foi ferme et une ardeur infatigable tu médites sur moi, ton Dieu, qui t’ai créée pour jouir de la béatitude. Je suis l’Être éternel, souverain, tout, puissant. Je fais pour vous tout ce qui rue plait. Rien ne peut résister à ma volonté, et rien ne peut vous arriver sans elle; car rien ne se fait sans ma permission. Le prophète Amos l’a dit: « Aucun mal n’arrive à la cité sans moi ou sans ma permission » (Amos. III, 6).

39. Songe que moi ton Dieu, je suis la plénitude de la sagesse, de la science et de l’intelligence, que je vois toutes les choses avec certitude, et que je les pénètre intimement. En te gouvernant, en gouvernant le ciel et la terre et le monde entier, je ne puis jamais être trompé ni égaré par quelque erreur. S’il en était autrement, je ne serais pas Dieu et la Sagesse suprême. Pour que tu comprennes l’efficacité de ma sagesse, apprends que, de la faute et du châtiment, je tire un bien plus grand que le mal même.

40. Considère enfin que je suis un Dieu souverainement bon et que mon amour me fait nécessairement vouloir tout ce qui vous est utile et salutaire. Il ne peut venir de moi aucun mal, aucune haine. C’est par bonté que j’ai créé l’homme, et je l’aime toujours d’une ineffable tendresse.

41. Lorsqu’une foi ferme et inébranlable, une méditation profonde t’auront convaincue de ces vérités, ta connaîtras que les tribulations, les tentations, les difficultés, les maladies et toutes les choses contraires de la vie vous sont toujours envoyées par ma providence pour votre salut. Ce qui vous parait fâcheux doit vous corriger de votre malice et vous conduire à la vertu, par laquelle on acquiert le vrai, le souverain bien que vous ne connaissez pas.
42. La lumière de la foi doit aussi t’apprendre que je sais, je veux et je puis accomplir ton bonheur mieux que toi-même. Tu ne peux rien faire, savoir et vouloir, sans ma grâce. Tu dois donc apporter tous tes soins à soumettre entièrement ta volonté à la volonté divine. En le faisant, ton âme se reposera dans la paix, et tu m’auras toujours avec toi, car j’habite dans la paix.

43. Tu ne souffriras d’aucun scandale, et rien ne pourra te faire tomber. Une paix profonde est le partage de ceux qui aiment mon nom; aucune cause ne les ébranle, parce qu’ils aiment uniquement ma loi, c’est-à-dire ma volonté; et ma loi est ce qui gouverne toutes choses. Ils me sont si intimement unis par elle, ils aiment tant l’observer, que rien au monde ne peut les attrister, excepté le péché, parce qu’il me fait injure.

44. Ils voient avec le regard pur et tranquille de l’âme que moi, le Maître souverain de l’univers, je gouverne tout avec une sagesse, un ordre et une charité infinis. Ils savent, par conséquent, que ce qui leur arrive est bon. Je choisis le meilleur pour eux, et je pourvois plus utilement à leurs besoins qu’ils ne pourraient eux-mêmes le savoir, le vouloir et le pouvoir faire.

45. II en est de même des épreuves qu’ils supportent. Comme ils m’attribuent les évènements, au lieu de les attribuer au prochain, ils sont tellement affermis dans une invincible patience qu’ils souffrent tout, non seulement avec calme, mais encore avec joie et bonheur. Dans tout ce qui leur arrive à l’intérieur et à l’extérieur, ils goûtent la douceur de mon ineffable charité.

46. C’est savoir apprécier ma bonté que de croire et de penser avec reconnaissance, au milieu des difficultés et des tribulations, que je dispose de tout avec douceur, et que tout découle de la source élevée de mon amour. Une seule chose peut corrompre et détruire le bien de cette salutaire pensée et de cette sainte disposition, c’est la volonté propre, l’amour de vous-mêmes. Si vous vous séparez de cette volonté, de cet amour, vous vous séparez de l’enfer des flammes éternelles préparées à l’âme et au corps des maudits: vous vous séparez aussi de l’enfer des agitations de l’esprit et des tempêtes de l’adversité, que les hommes aveugles souffrent sur cette terre.

47. Ainsi, ma fille, situ désires vivre dans ce siècle périssable et trompeur par la grâce, et dans l’éternité bienheureuse par la gloire, il faut mourir en te renonçant toi-même et en déposant ta volonté propre. Car bienheureux les morts qui meurent dans le Seigneur, et bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’ils me voient pendant leur pèlerinage par l’union de l’amour, pour me voir ensuite par la gloire, dans les splendeurs de la patrie.

Traité de l’obéissance – Chapitre CLXVI, CLXVII

CLXVI – Résumé de presque tout le Dialogue.

1. Maintenant, ma chère et bien-aimée fille, j’ai satisfait ton désir depuis le commencement jusqu’à la fin, au sujet de l’obéissance. Si tu te le rappelles, tu m’as demandé d’abord avec une grande ardeur, et c’est moi qui te l’ai inspiré, pour augmenter le feu de la charité dans ton âme, tu m’as demandé quatre choses. L’une pour toi; je te l’ai accordée en t’éclairant de ma Vérité et en te montrant comment, à la lumière de la foi, en me connaissant et en te connaissant toi-même, tu peux parvenir à la connaissance de la vérité.

2. Ta seconde demande a été ma miséricorde pour le monde; la troisième a été pour le corps mystique de la sainte Église, me suppliant de la délivrer des ténèbres et des persécutions, voulant que je punisse sur toi-même les iniquités des autres. Alors je t’ai expliqué qu’aucune peine temporelle et passagère ne peut satisfaire par elle seule à l’offense commise contre moi, le Bien éternel. Cette peine satisfait seulement, si elle est unie au désir de l’âme et à la contrition du cœur; je t’ai expliqué comment.

3. Je t’ai dit aussi que je voulais faire miséricorde au monde, et je t’ai montré que la miséricorde m’est propre. Car, à cause d’elle et de l’amour incompréhensible que j’ai eu pour l’homme, j’ai envoyé le Verbe mon Fils unique, et, pour te le faire bien comprendre, je l’ai comparé à un pont qui va du ciel à la terre, c’est-à-dire qui unit la nature divine à la nature humaine.

4. Pour t’éclairer de plus en plus de ma Vérité, je t’ai montré qu’on montait à ce pont par trois degrés, qui sont les trois puissances de l’âme. Après t’avoir présenté le Verbe sous l’image d’un pont, je me suis servi d’une autre figure, et je t’ai montré trois degrés sur son corps: ses pieds, la plaie de son côté et sa bouche, qui indiquent trois états de l’âme: l’état imparfait, l’état parfait et l’état supérieur, où l’âme parvient à l’excellence et à l’union de l’amour. Je t’ai montré ce qui détruit l’imperfection et ce qui conduit à la perfection, la voie qu’il faut suivre, les embûches secrètes du démon et de l’amour-propre spirituel.

5. Je t’ai dit les trois moyens de punir qu’emploie ma clémence dans ces états, Le premier est ce que j’inflige à l’homme pendant sa vie, le second est le châtiment qui frappe ceux qui meurent sans espérance dans le péché mortel. Ils vont sous le pont par les sentiers du démon, et je t’ai fait connaître les supplices qu’ils endurent. Le troisième moyen est le Jugement général, et je t’ai dit quelque chose de la peine des damnés et de la gloire des bienheureux, quand chacun aura retrouvé les propriétés de son corps.

6. Je t’ai promis et je te promets de réformer mon Épouse par les souffrances de mes serviteurs, que j’invite à expier avec toi, par la douleur et par les larmes, l’iniquité de ses ministres. Je t’ai montré la dignité que j’ai mise en eux et le respect que j’exige des séculiers à leur égard. Je t’ai montré que leurs défauts ne doivent en rien diminuer ce respect, et combien on me déplaît quand on y manque. Je t’ai parlé de la vertu de ceux qui vivent comme des anges, et je t’ai entretenue à ce sujet de l’excellence du Sacrement de l’Autel.

7. En te parlant de ces trois états de l’âme, j’ai voulu te faire connaître les différentes sortes de larmes, d’où elles viennent, et comment elles se rapportent aux différents états de l’âme. Je t’ai dit que toutes les larmes avaient leur source dans le cœur, et je t’ai expliqué pourquoi. Je t’ai parlé de quatre espèces de larmes et d’une cinquième qui cause la mort.

8. J’ai répondu à ta quatrième demande, que j’avais pourvu au cas particulier dont il s’agissait, et tu sais comme je l’ai fait. Je t’ai expliqué à ce sujet ma providence générale et particulière, depuis le commencement de la création jusqu’à la fin du monde. J’ai fait et je fais tout par ma providence souveraine et divine, donnant et permettant ce qui vous arrive, les tribulations ou les consolations temporelles et spirituelles. Tout est pour votre bien, pour que vous soyez sanctifiés en moi, et que ma Vérité s’accomplisse en vous; car il est vrai que je vous ai créés pour la vie éternelle, et cette vérité vous a été révélée par le sang du Verbe, mon Fils unique.

9. Enfin, j’ai satisfait à ton désir et à la promesse que je t’avais faite, en te montrant la perfection de l’obéissance, et l’imperfection de la désobéissance, d’où vient l’obéissance, et ce qui la perd. Je te l’ai donnée comme la clef qui ouvre tout, et c’est la vérité. Je t’ai parlé de l’obéissance particulière, des parfaits et des imparfaits, de ceux qui vivent dans un Ordre et de ceux qui vivent dans le monde. L’obéissance donne la paix, et la guerre vient de la désobéissance; celui qui n’obéit pas se trompe lui-même, et c’est par la désobéissance d’Adam que la mort est venue dans le monde.

10. Maintenant, mai, Dieu le Père, suprême et éternelle Vérité, je termine en te disant que c’est par l’obéissance du Verbe mon Fils que vous avez la vie. De même que tous vous avez contracté la mort dans le premier homme, tous aussi, en prenant la clef de l’obéissance, vous trouverez la vie dans le nouvel homme, le doux Seigneur Jésus. J’en ai fait un pont pour vous, parce que c’est la voie sûre du ciel.

11. Je vous invite à pleurer tous, toi et mes serviteurs: vos larmes, vos humbles et continuelles prières me permettront de faire miséricorde au monde. Cours donc, en mourant à toi-même, dans cette route de la Vérité; que je ne puisse pas te reprocher d’aller lentement, car je te demanderai plus qu’auparavant, parce que je me suis manifesté à toi dans ma Vérité. Prend garde de sortir de la cellule de la connaissance de toi-même, mais augmente et conserves-y le trésor que je t’ai donné. C’est une doctrine de vérité fondée sur la Pierre vive, le Christ, le doux Jésus; elle est revêtue d’une lumière qui fait distinguer les ténèbres; qu’elle soit aussi ton vêtement, ma fille très douce et très aimée.

CLXVII – L’âme reconnaissante loue Dieu et prie pour le monde et la sainte Église. – Elle recommande la vertu de la loi et termine cet ouvrage.

1. Après que cette âme eut vu avec l’œil de son intelligence, et connu, à la sainte lumière de la foi, la vérité et la perfection de l’obéissance, après qu’elle l’eut entendue avec sa raison, et goûtée avec son cœur par l’ardeur du désir, elle se contempla dans la Majesté divine, et lui rendit grâces en disant:

2. O Père, je voué remercie de ce que vous n’avez pas méprisé votre créature. Vous n’avez pas détourné de moi votre visage, et vous n’avez pas repoussé mes désirs. Vous, la Lumière, vous n’avez pas considéré mes ténèbres; vous, la Vie, vous ne vous êtes pas éloigné de moi, qui suis la mort; vous, le Médecin suprême, vous avez regardé ma grande infirmité; vous, l’éternelle Pureté, vous ne vous êtes pas détourné de mes souillures et de mes misères; vous, l’Infini; moi, le néant; vous, la Sagesse; moi, la folie. Malgré les fautes et les vices innombrables qui sont en moi, vous ne m’avez pas méprisée: oui, vous, la Sagesse, la Bonté, la Clémence; vous, le Bien suprême et infini. Dans votre lumière j’ai trouvé la lumière; dans votre sagesse, la vérité; dans votre clémence, la charité et l’amour du prochain. Qui vous a déterminé? Ce ne sont pas mes vertus, c’est votre seule charité. L’amour vous a porté à éclairer l’œil de mon intelligence par la lumière de la foi, pour me faire connaître et comprendre votre Vérité qui se manifestait à moi.

3. Faites, Seigneur, que ma mémoire puisse retenir vos bienfaits; que ma volonté s’embrase, du feu de votre charité; que ce feu me fasse répandre tout mon sang, et qu’avec ce sang donné pour l’amour du Sang et avec la clef de l’obéissance, je puisse ouvrir la porte du ciel. Je vous demande du fond de mon cœur cette grâce pour toutes les créatures raisonnables, en général et en particulier, et pour le corps mystique de l’Église. Je confesse et je ne nie pas que vous m’avez aimée avant ma naissance, et que vous m’aimez jusqu’à la folie de l’amour.

4. O Trinité éternelle! ô Déité, qui, par l’union de votre nature divine, avez donné un si grand prix au sang de votre Fils unique! ô Trinité éternelle! vous êtes une mer profonde où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche. Vous êtes inépuisable, et en rassasiant l’âme dans vos profondeurs, vous ne la rassasiez jamais; elle est toujours affamée de vous, éternelle Trinité; elle désire vous voir avec la lumière dans votre lumière.

5. Comme le cerf soupire après l’eau vive des fontaines, mon âme désire sortir de l’obscure prison de son corps pour vous voir dans la vérité de votre être. Combien de temps encore votre visage sera-t-il caché à mes regards, ô éternelle Trinité! Feu et abîme de charité, dissipez donc ce nuage de mon corps, car la connaissance que vous m’avez donnée de vous-même dans votre Vérité me fait violemment désirer de déposer le fardeau de mon corps, et de donner ma vie pour l’honneur et la gloire de votre nom.

6. J’ai goûté et j’ai vu avec la lumière de l’intelligence, dans votre lumière, l’abîme de votre Trinité éternelle et la beauté de votre créature. En me regardant en vous, j’ai vu que j’étais votre image, puisque vous m’avez fait participer à votre puissance. O Père éternel! vous avez communiqué à mon intelligence la sagesse qui appartient à votre Fils unique, et le Saint Esprit, qui procède de vous et de votre Fils, m’a donné la volonté qui me rend capable d’aimer, O Trinité éternelle! vous êtes le Créateur; je suis votre créature, et j’ai connu, par la création nouvelle que vous m’avez donnée dans le sang de votre Fils, combien vous vous êtes passionné pour la beauté de votre créature.

7. O abîme, ô Déité éternelle, ô Mer profonde! Pouviez-vous me donner plus qu’en vous donnant vous-même? Vous êtes un feu qui brûle toujours et ne se consume jamais. Vous consumez par votre ardeur tout amour de l’âme pour elle-même. Vous êtes un feu qui détruisez toute froideur. Vous éclairez, et votre lumière me fait connaître votre vérité. Vous êtes la lumière qui surpasse toute lumière. C’est cette lumière qui donne à l’œil de l’intelligence une lumière surnaturelle, si abondante et si parfaite, que la lumière de la foi en est éclairée.

8. Par cette foi, je vois que mon âme a la vie et vous reçoit dans cette lumière, vous qui êtes la Lumière. Car, par la lumière de la foi, j’acquiers la sagesse qui est dans la sagesse du Verbe votre Fils; par la lumière de la foi, j’obtiens la force, le courage, la persévérance; par la lumière de la foi, j’ai l’espérance, qui m’empêche de défaillir en chemin. Cette lumière m’enseigne la route, et sans cette lumière je marcherais dans les ténèbres.

9. Aussi je vous demande, ô Père! que vous m’illuminiez de la sainte lumière de la foi. Cette lumière est un océan qui nourrit l’âme qui est en vous. O Trinité éternelle, Océan de paix! votre eau n’est pas trouble, et loin de causer l’épouvante, elle fait connaître la vérité; elle est transparente et montre les choses cachées. Là où abonde la lumière resplendissante de la foi, l’âme est pour ainsi dire glorifiée par ce qu’elle croit.

10. Oui, Trinité éternelle, vous me l’avez fait connaître, cette lumière est un miroir que la main de votre amour tient devant les yeux de mon âme. Et moi, votre créature, je me vois en vous et je vous vois en moi par l’union de la Divinité avec notre humanité; et dans cette lumière je vous connais et je vous contemple, vous, le Bien suprême et infini, le Bien au dessus de tout bien, le Bien qui est la félicité, le Bien inestimable, incompréhensible, la Beauté au dessus de toute beauté, la Sagesse qui est au dessus de toute sagesse, car vous êtes la Sagesse même. Vous, la nourriture des anges par le feu de la charité, vous vous êtes donné aux hommes, vous êtes un vêtement qui couvre toute nudité; vous rassasiez les affamés de votre douceur, et vous êtes doux sans aucune amertume.

11. O Trinité éternelle! dans vôtre lumière, que vous m’avez donnée et que j’ai reçue par la sainte lumière de la foi, j’ai connu par de nombreuses et d’admirables leçons la voie de la véritable perfection, afin que je vous serve dans la lumière et non dans les ténèbres. Il faut que je devienne un miroir de bonne et sainte vie, et que je sorte de cette vie misérable où jusqu’à présent, et par ma faute, je vous ai servi dans les ténèbres. Je ne connaissais pas votre vérité et je ne l’ai pas aimée. Mais pourquoi ne vous ai-je pas connue? parce que je ne vous ai pas vue avec la lumière glorieuse de la sainte foi. Les nuages de l’amour-propre obscurcissaient l’œil de mon intelligence; et vous, Trinité éternelle, vous avez dissipé mes ténèbres par votre lumière.

12. Qui pourra s’élever jusqu’à vous, et vous remercier dignement du trésor ineffable et des grâces surabondantes que vous m’avez accordés, et de la doctrine de la vérité que vous m’avez révélée? Cette doctrine est une grâce spéciale ajoutée à la grâce générale que vous donnez aux autres créatures. Vous avez voulu condescendre à mes besoins, à ceux des autres créatures, qui pourront se servir de cette doctrine comme d’un miroir. Parlez vous-même, Seigneur; c’est vous qui avez donné, c’est vous qui pouvez reconnaître le bienfait et vous remercier, en répandant en moi la lumière de votre grâce, afin qu’avec cette lumière je vous témoigne ma reconnaissance. Revêtez-moi, revêtez-moi de vous-même, éternelle Vérité, afin que je parcoure cette vie mortelle avec la véritable obéissance et la lumière de la sainte foi, dont vous enivrez de plus en plus mon âme.
Grâces à Dieu! Amen.

Ici se termine le livre fait et composé par la vénérable vierge, la très fidèle servante et épouse de Jésus crucifié, Catherine de Sienne, de l'Ordre de Saint Dominique, en l'année du Seigneur 1378, au mois d'octobre. Amen.

PRIEZ DIEU POUR VOTRE FRERE

Traité de l’obéissance – Chapitre CLXIII, CLXIV, CLXV

CLXIII – De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure.

1. Je t’ai fait connaître le bon et salutaire moyen que le religieux prend chaque jour pour augmenter en Lui la vertu de l’obéissance par la lumière de la foi. Il désire le mépris, les affronts et les fardeaux que lui imposent ses supérieurs. Afin que l’obéissance et la patience sa sœur ne s’affaiblissent pas et ne lui manquent jamais, quand il a besoin de les exercer, il fait entendre continuellement les cris de ce désir, et il utilise toujours le temps parce qu’il est affamé. L’obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut jamais rester oisive.

2. Aimable Obéissance, chère Obéissance, douce Obéissance, Obéissance resplendissante qui dissipes les ténèbres de l’amour-propre; Obéissance qui vivifies l’âme en lui donnant la vie de la grâce, lorsqu’elle te prend pour épouse et te délivre dd la volonté propre qui cause la guerre et la mort, tu es prodigue de toi-même, puisque tu te soumets à toute créature raisonnable. Tu es bonne et compatissante; tu portes avec douceur les plus grands fardeaux, parce que tu as pour compagnes la force et la patience véritable. Tu recevras la couronne de la persévérance. Tu ne te laisses pas abattre par les importunités des supérieurs et par les épreuves qu’ils t’imposent sans discrétion. Tu supportes tout avec la lumière de la foi. Tu es tellement liée avec l’humilité, qu’aucune créature ne peut l’arracher de l’âme qui te possède.

3. Que te dire, ma chère et bien-aimée fille, de l’excellence de cette vertu? Oui, l’obéissance est un bien sans mélange, la barque qui la possède n’a pas à redouter les vents contraires; l’âme qu’elle dirige est portée par sa règle et les supérieurs, sans avoir à s’occuper d’elle-même, celui qui obéit parfaitement n’a pas de compte à me rendre: il n’en en doit qu’à celui auquel il est soumis.

4. Passionne-toi, ma fille bien-aimée, pour cette glorieuse vertu. Veux-tu connaître les bienfaits que tu as reçus de moi, ton Père? Sois obéissante. L’obéissance te montrera si tu es reconnaissante, parce qu’elle procède de la charité. L’obéissance prouvera si tu n’es pas ignorante, parce qu’elle vient de la connaissance de ma Vérité. C’est un trésor qu’a fait connaître mon Verbe, en vous enseignant la voie de l’obéissance et de la règle, en se faisant obéissant lui-même jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix; et c’est son obéissance qui a ouvert le ciel et servi de fondement à l’obéissance générale et particulière, ainsi que je te l’ai dit au commencement.

5. L’obéissance est une lumière pour l’âme; elle montre qu’elle m’est fidèle et qu’elle est fidèle à l’Ordre et à ses supérieurs. Dans cette lumière que lui donne la foi, elle s’oublie et ne se cherche pas pour elle-même; car, dans l’obéissance acquise par la lumière de la foi, elle a prouvé que sa volonté est morte à ce sens particulier qui s’occupe des affaires d’autrui plutôt que des siennes. Ainsi fait le désobéissant qui examine la volonté des supérieurs, et qui la juge avec ses bas sentiments et ses vues obscures, ne se mettant pas en peine de sa volonté corrompue qui lui donne la mort.

6. Celui qui obéit véritablement à la lumière de la foi juge toujours bien- la volonté de ses supérieurs; il n’écoute pas la sienne et incline seulement la tête, en nourrissant son âme des parfums d’une véritable et sainte obéissance. Cette vertu grandit à mesure que s’y répand la sainte-lumière de la foi; car c’est à cette lumière de la foi que l’âme se connaît et me connaît, qu’elle m’aime et qu’elle s’humilie; et plus elle aime et s’humilie, plus elle est obéissante. L’obéissance, et sa sœur la patience, montrent que l’âme est véritablement revêtue du vêtement nuptial de la charité, avec lequel on entre dans la vie éternelle.

7. Ainsi l’obéissance ouvre le ciel et reste dehors: la charité qui lui a donné la clef entre avec les fruits de l’obéissance; car, comme je te l’ai dit, les vertus restent en dehors, la charité seule entre au ciel. Mais l’obéissance a l’honneur d’ouvrir le ciel, que la désobéissance du premier homme a fermé. C’est l’obéissance de l’humble et fidèle Agneau sans tache, mon Fils unique, qui a ouvert la vie éternelle depuis si longtemps fermée.

CLXIV – Distinction de deux obéissances: celle des religieux et celle qu’on rend à une personne en dehors de la vie religieuse.

1. Ainsi que je te l’ai dit, ma chère fille, mon Fils vous a laissé la douce obéissance, comme une clef pour ouvrir le ciel et parvenir à votre fin; il vous l’a laissée par précepte et par conseil: par précepte pour tous, et par conseil, si vous vouliez tendre à la perfection et passer par la porte étroite de la vie religieuse. Il y en a qui ne sont pas attachés à un Ordre, et qui sont cependant dans la barque de la perfection. Ce sont ceux qui observent les conseils sans être religieux, et qui rejettent réellement et spirituellement les richesses et les pompes du monde. Ils gardent la chasteté, soit dans l’état de virginité, soit dans le parfum de la continence, s’ils n’ont pas la virginité; ils observent l’obéissance en se soumettant, comme je te l’ai dit ailleurs, à une personne à laquelle ils s’efforcent d’obéir parfaitement jusqu’à la mort.

2. Si tu me demandes qui a plus de mérite, de ceux qui obéissent ainsi, ou de ceux qui sont dans un Ordre, je te répondrai que le mérite de l’obéissance ne se mesure pas aux actes, au lieu ou à la personne, qui peut être bonne ou mauvaise, séculière ou religieuse. Le mérite de l’obéissance est dans l’amour de celui qui obéit, et cet amour est la mesure de sa récompense. L’imperfection d’un supérieur ne nuit aucunement à celui lui obéit; elle lui est même utile quelquefois, car les persécutions et les rigueurs indiscrètes d’ordres trop sévères font acquérir la vertu de l’obéissance, et la patience sa sœur. Un lien imparfait ne nuit pas non plus: je dis imparfait, parce que la vie religieuse est l’état le plus parfait, le plus assuré. J’appelle imparfait l’état de ceux qui observent les conseils de l’obéissance en dehors d’un Ordre; mais je ne dis pas pour cela que leur obéissance est imparfaite et moins méritoire, car l’obéissance, comme les autres vertus, a pour mesure l’amour.

3. Il est vrai qu’en beaucoup de choses il est préférable d’obéir dans un Ordre, à cause du vœu qu’on fait entre les mains d’un supérieur, et des épreuves plus grandes qu’on y rencontre. Toutes les actions du corps sont liées à ce joug, et on ne peut s’y soustraire, quand on le voudrait, sans commettre un péché mortel, parce que la règle est approuvée par l’Église, et qu’on a fait un vœu. Il n’en est pas de même pour les autres: ils sont liés volontairement par l’amour de l’obéissance, et non par un vœu solennel. Ils peuvent sans péché mortel renoncer à cette obéissance à une créature, s’ils ont pour le faire des raisons légitimes, et s’ils n’agissent pas par faiblesse. Si c’est par faiblesse, ils commettent une faute très grave mais cependant il ne sont pas engagés sous peine de péché mortel.

4. Sais-tu la différence qu’il y a entre les uns et ]es autres? la différence qu’il y a entre celui qui prend le bien d’autrui, et celui qui retire à quelqu’un ce qu’il lui avait donné par amour, avec l’intention de ne pas le reprendre: l’un n’a pas fait d’acte authentique, tandis que l’autre s’est engagé publiquement par sa profession. Il a renoncé à lui-même entre les mains du supérieur, et il a promis d’observer l’obéissance, la chasteté, la pauvreté volontaire. Le supérieur, de son côté, a promis, s’il était fidèle jusqu’à sa mort, de lui donner la vie éternelle.

5. Ainsi, pour ce qui est des obligations, du lieu et de la manière, l’obéissance dans un Ordre est plus parfaite que l’obéissance dans le monde. L’obéissance dans un Ordre est aussi plus sûre; quand on tombe, on a plus de secours pour se relever. L’obéissance dans le monde est moins certaine; elle expose davantage, quand on tombe, à tourner la tête en arrière, parce qu’on ne se sent pas lié par un vœu consommé. On est comme le religieux avant sa profession: tant qu’il ne l’a pas faite, il peut partir; ce qui ne lui est plus permis lorsqu’elle est prononcée.

6. Quant au mérite, je te le répète, sa mesure est l’amour de celui qui obéit. Dans quelque état qu’on soit, on peut avoir un mérite parfait, parce que le mérite est uniquement dans l’amour. Les vocations sont différentes; j’appelle à ces deux états selon la capacité de chacun; mais la récompense est mesurée sur l’amour: si le séculier aime plus que le religieux, il reçoit davantage; il en est de même du religieux et de tous les autres.

CLXV – Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de l’obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité. – Miracles que Dieu fait par l’obéissance.

1. Je vous ai tous envoyés dans la vigne de l’obéissance pour y travailler de différentes manières, et à chacun je donnerai le prix de son amour, et non de son ouvrage et de son temps; car sans cela celui qui vient de bonne heure recevrait plus que celui qui vient plus tard. Ma Vérité vous a donné dans l’Évangile l’exemple de ceux qui étaient oisifs, et que le maître envoya travailler à sa vigne, li donna autant à ceux qui étaient venus au point du jour qu’à ceux qui étaient venus à la première heure; et ceux qui vinrent à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la dernière reçurent autant que les premiers.

2. Ma vérité vous a enseigné par là que vous serez récompensés, non pas selon le temps et selon l’ouvrage, mais selon le degré d’amour. Beaucoup sont appelés, dès l’enfance, pour travailler à cette vigne; d’autres y viennent plus tard, et n’arrivent même que dans la vieillesse. Ceux-là souvent, parce qu’ils voient le peu de temps qui reste, agissent avec tant d’amour, qu’ils atteignent ceux qui sont venus dès l’enfance, mais qui ont marché lentement. C’est donc par l’amour de l’obéissance que l’âme acquiert des mérites; elle remplit son vase en moi, qui suis l’Océan pacifique.

3. Beaucoup ont une obéissance si prompte et si incarnée dans leur âme, que non seulement ils ne cherchent point à comprendre les motifs de leur supérieur, mais qu’ils attendent à peine que les ordres soient sortis de sa bouche, parce que la lumière de la foi leur fait deviner ses intentions. L’obéissant parfait obéit plus à l’intention qu’à la parole, pensant que la volonté du supérieur est ma volonté, que je le charge de lui transmettre. Et c’est pour cela que je te dis qu’il obéissait plus à l’intention qu’à la parole. Il obéit à la parole du supérieur, parce qu’il obéit avec amour à sa volonté, que la lumière de la foi lui fait croire unie à la mienne.

4. On lit dans la vie des Pères l’exemple d’un religieux qui obéissait ainsi par amour. Son Abbé lui ayant donné un ordre pendant qu’il écrivait un o, qui est une bien petite chose, il ne se donna pas le temps de finir, et courut sur-le-champ où l’appelait l’obéissance. Je voulus lui montrer combien cette promptitude m’était agréable, et ma bonté termina en or la lettre inachevée.

5. Cette glorieuse vertu m’est si agréable, que pour aucune vertu je n’ai fait autant de miracles que pour elle. C’est qu’elle procède de la lumière de la foi, et qu’il faut que les hommes sachent combien je l’aime. La terre obéit à cette vertu, et les animaux la servent. L’eau porte l’obéissant. Si tu regardes la nature, tu verras qu’elle est soumise à celui qui obéit.

6. N’as-tu pas lu l’histoire de ce disciple auquel son Abbé remit un bâton de bois mort? Il lui ordonna de le planter et de l’arroser tous les jours; le disciple, éclairé par la lumière de la foi, se garda bien de dire que c’était là chose inutile. Il obéit sans s’inquiéter du résultat, et, par la vertu de l’obéissance et de la foi, le bois mort reverdit et porta des fruits. Pour montrer que cette âme avait triomphé de la sécheresse de la désobéissance, et que ses rameaux renouvelés avaient donné un bon fruit, ce fruit fut appelé par les saints Pères le fruit de l’obéissance.

7. Si tu regardes les animaux, tu verras qu’ils obéissent aussi à l’obéissance. Un religieux remarquable par son obéissance et sa pureté fut chargé d’aller prendre un grand serpent; il le conduisit à son Abbé, qui, en médecin prudent, pour le préserver de la vaine gloire et l’exercer à la patience, le chassa de sa présence, et lui dit avec reproche: « Il faut être vraiment bête pour conduire ainsi cette bête enchaînée ».

8. Le feu présente les mêmes miracles. N’as-tu pas lu dans la sainte Écriture que beaucoup, pour ne pas transgresser mes ordres, se sont laissé jeter dans les flammes, et que les flammes ne leur ont fait aucun mal? Tels furent les trois enfants dans la fournaise, et tant d’autres que je pourrais te citer. L’eau s’affermit sous les pieds de saint Maur, lorsqu’il alla chercher par obéissance un religieux qui se noyait. Il ne pensait pas à lui, mais il pensait, avec la lumière de la foi, à remplir l’ordre qu’il avait reçu: il alla sur l’eau comme s’il eût marché sur la terre, et il sauva le disciple.

9. Partout, si tu ouvres l’œil de ton intelligence, tu verras que je t’enseigne l’excellence de l’obéissance. On doit tout abandonner pour l’obéissance, tellement que si tu étais élevée à une si haute et si parfaite union en moi, que ton corps fût séparé de la terre, tu devrais, si l’obéissance te rappelait, faire tous tes efforts pour lui obéir. Je te parle en général et non pour certains cas particuliers, qui font exception. Tu ne dois jamais quitter l’oraison que par nécessité, par charité ou par obéissance. Je te dis cela pour que tu comprennes combien je veux que l’obéissance soit prompte dans mes serviteurs et combien elle m’est agréable.

10. Tout ce que fait l’obéissant est méritoire: s’il mange, il mange par obéissance; s’il dort, il dort par obéissance; s’il va, s’il vient, s’il jeûne, s’il veille, il fait tout par obéissance. S’il sert le prochain, c’est par obéissance. S’il est au chœur, au réfectoire, dans sa cellule, qui le guide ou le retient? c’est l’obéissance, qui, par la sainte lumière de la foi, le jette, mort à sa volonté et plein de mépris pour lui-même, entre les bras de ceux qui lui commandent. Placé dans cette barque de l’obéissance, il se-laisse conduire par son supérieur et traverse heureusement la mer orageuse de cette vie dans la paix de l’âme et la tranquillité du cœur: l’obéissance et la foi en dissipent toutes les ténèbres. Il est fort parce qu’il n’a plus aucune faiblesse ni aucune crainte, car il a détruit la volonté propre, d’où viennent les faiblesses et les craintes déréglées.

11. Et de quoi se nourrit et s’abreuve celui qui épouse l’obéissance? il se nourrit de la connaissance de lui-même et de moi. Il voit son imperfection et son néant; il voit que je suis Celui qui suis, et il goûte en moi ma Vérité, que lui a révélée le Verbe incarné. Et de quoi s’abreuve-t-il? du Sang; de ce Sang par lequel mon Fils lui montre ma Vérité, et l’amour ineffable que j’ai pour lui. Il lui fait comprendre par ce Sang la perfection de cette obéissance que moi, son Père, je lui ai imposée à cause de vous. Il y puise avidement, et lorsqu’il est ivre de ce Sang et de cette obéissance du Verbe, il perd toute pensée, tout sentiment de lui-même; il me possède par la grâce et me goûte par l’amour, à la lumière de-la foi dans la sainte obéissance.

12. Toute sa vie rayonne la paix, et à la mort il reçoit ce que lui a promis son supérieur au moment de sa profession, la vie éternelle, la vision de la paix, le repos d’une tranquillité souveraine et parfaite, un bien ineffable dont personne ne peut apprécier et comprendre la valeur. Ce bien est infini et ne peut être compris par une créature finie, comme un vase plongé dans la mer ne peut en comprendre l’immensité, mais seulement la quantité qu’il renferme: la mer seule se comprend.

13. Je suis la Mer pacifique, et je puis seul me comprendre, m’estimer et jouir de cette estime, de cette intelligence en moi-même. Cette jouissance intérieure, je la communique et je la donne à chacun selon sa mesure; et cette mesure, je la remplis complètement d’une félicité parfaite. L’âme connaît et comprend ma bonté autant qu’elle a mérité de la connaître. Aussi l’obéissant, éclairé par la foi et la vérité, embrasé des flammes de la charité, inondé des parfums de l’humilité, enivré du sang précieux de l’Agneau, accompagné de la patience, du mépris de lui-même, de la force et de la persévérance, enfin du fruit de toutes les vertus, l’obéissant reçoit de moi, son créateur, la récompense qui lui est destinée.

Traité de l’obéissance – Chapitre CLXIII, CLXIV, CLXV

CLXIII.- De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure.

1. Je t’ai fait connaître le bon et salutaire moyen que le religieux prend chaque jour pour augmenter en Lui la vertu de l’obéissance par la lumière de la foi. Il désire le mépris, les affronts et les fardeaux que lui imposent ses supérieurs. Afin que l’obéissance et la patience sa sœur ne s’affaiblissent pas et ne lui manquent jamais, quand il a besoin de les exercer, il fait entendre continuellement les cris de ce désir, et il utilise toujours le temps parce qu’il est affamé. L’obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut jamais rester oisive.

2. Aimable Obéissance, chère Obéissance, douce Obéissance, Obéissance resplendissante qui dissipes les ténèbres de l’amour-propre; Obéissance qui vivifies l’âme en lui donnant la vie de la grâce, lorsqu’elle te prend pour épouse et te délivre de la volonté propre qui cause la guerre et la mort, tu es prodigue de toi-même, puisque tu te soumets à toute créature raisonnable. Tu es bonne et compatissante; tu portes avec douceur les plus grands fardeaux, parce que tu as pour compagnes la force et la patience véritable. Tu recevras la couronne de la persévérance. Tu ne te laisses pas abattre par les importunités des supérieurs et par les épreuves qu’ils t’imposent sans discrétion. Tu supportes tout avec la lumière de la foi. Tu es tellement liée avec l’humilité, qu’aucune créature ne peut l’arracher de l’âme qui te possède.

3. Que te dire, ma chère et bien-aimée fille, de l’excellence de cette vertu? Oui, l’obéissance est un bien sans mélange, la barque qui la possède n’a pas à redouter les vents contraires; l’âme qu’elle dirige est portée par sa règle et les supérieurs, sans avoir à s’occuper d’elle-même, celui qui obéit parfaitement n’a pas de compte à me rendre: il n’en en doit qu’à celui auquel il est soumis.

4. Passionne-toi, ma fille bien-aimée, pour cette glorieuse vertu. Veux-tu connaître les bienfaits que tu as reçus de moi, ton Père? Sois obéissante. L’obéissance te montrera si tu es reconnaissante, parce qu’elle procède de la charité. L’obéissance prouvera si tu n’es pas ignorante, parce qu’elle vient de la connaissance de ma Vérité. C’est un trésor qu’a fait connaître mon Verbe, en vous enseignant la voie de l’obéissance et de la règle, en se faisant obéissant lui-même jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix; et c’est son obéissance qui a ouvert le ciel et servi de fondement à l’obéissance générale et particulière, ainsi que je te l’ai dit au commencement.

5. L’obéissance est une lumière pour l’âme; elle montre qu’elle m’est fidèle et qu’elle est fidèle à l’Ordre et à ses supérieurs. Dans cette lumière que lui donne la foi, elle s’oublie et ne se cherche pas pour elle-même; car, dans l’obéissance acquise par la lumière de la foi, elle a prouvé que sa volonté est morte à ce sens particulier qui s’occupe des affaires d’autrui plutôt que des siennes. Ainsi fait le désobéissant qui examine la volonté des supérieurs, et qui la juge avec ses bas sentiments et ses vues obscures, ne se mettant pas en peine de sa volonté corrompue qui lui donne la mort.

6. Celui qui obéit véritablement à la lumière de la foi juge toujours bien- la volonté de ses supérieurs; il n’écoute pas la sienne et incline seulement la tête, en nourrissant son âme des parfums d’une véritable et sainte obéissance. Cette vertu grandit à mesure que s’y répand la sainte-lumière de la foi; car c’est à cette lumière de la foi que l’âme se connaît et me connaît, qu’elle m’aime et qu’elle s’humilie; et plus elle aime et s’humilie, plus elle est obéissante. L’obéissance, et sa sœur la patience, montrent que l’âme est véritablement revêtue du vêtement nuptial de la charité, avec lequel on entre dans la vie éternelle.

7. Ainsi l’obéissance ouvre le ciel et reste dehors: la charité qui lui a donné la clef entre avec les fruits de l’obéissance; car, comme je te l’ai dit, les vertus restent en dehors, la charité seule entre au ciel. Mais l’obéissance a l’honneur d’ouvrir le ciel, que la désobéissance du premier homme a fermé. C’est l’obéissance de l’humble et fidèle Agneau sans tache, mon Fils unique, qui a ouvert la vie éternelle depuis si longtemps fermée.

CLXIV.- Distinction de deux obéissances: celle des religieux et celle qu’on rend à une personne en dehors de la vie religieuse.

1. Ainsi que je te l’ai dit, ma chère fille, mon Fils vous a laissé la douce obéissance, comme une clef pour ouvrir le ciel et parvenir à votre fin; il vous l’a laissée par précepte et par conseil: par précepte pour tous, et par conseil, si vous vouliez tendre à la perfection et passer par la porte étroite de la vie religieuse. Il y en a qui ne sont pas attachés à un Ordre, et qui sont cependant dans la barque de la perfection. Ce sont ceux qui observent les conseils sans être religieux, et qui rejettent réellement et spirituellement les richesses et les pompes du monde. Ils gardent la chasteté, soit dans l’état de virginité, soit dans le parfum de la continence, s’ils n’ont pas la virginité; ils observent l’obéissance en se soumettant, comme je te l’ai dit ailleurs, à une personne à laquelle ils s’efforcent d’obéir parfaitement jusqu’à la mort.

2. Si tu me demandes qui a plus de mérite, de ceux qui obéissent ainsi, ou de ceux qui sont dans un Ordre, je te répondrai que le mérite de l’obéissance ne se mesure pas aux actes, au lieu ou à la personne, qui peut être bonne ou mauvaise, séculière ou religieuse. Le mérite de l’obéissance est dans l’amour de celui qui obéit, et cet amour est la mesure de sa récompense. L’imperfection d’un supérieur ne nuit aucunement à celui lui obéit; elle lui est même utile quelquefois, car les persécutions et les rigueurs indiscrètes d’ordres trop sévères font acquérir la vertu de l’obéissance, et la patience sa sœur. Un lien imparfait ne nuit pas non plus: je dis imparfait, parce que la vie religieuse est l’état le plus parfait, le plus assuré. J’appelle imparfait l’état de ceux qui observent les conseils de l’obéissance en dehors d’un Ordre; mais je ne dis pas pour cela que leur obéissance est imparfaite et moins méritoire, car l’obéissance, comme les autres vertus, a pour mesure l’amour.

3. Il est vrai qu’en beaucoup de choses il est préférable d’obéir dans un Ordre, à cause du vœu qu’on fait entre les mains d’un supérieur, et des épreuves plus grandes qu’on y rencontre. Toutes les actions du corps sont liées à ce joug, et on ne peut s’y soustraire, quand on le voudrait, sans commettre un péché mortel, parce que la règle est approuvée par l’Église, et qu’on a fait un vœu. Il n’en est pas de même pour les autres: ils sont liés volontairement par l’amour de l’obéissance, et non par un vœu solennel. Ils peuvent sans péché mortel renoncer à cette obéissance à une créature, s’ils ont pour le faire des raisons légitimes, et s’ils n’agissent pas par faiblesse. Si c’est par faiblesse, ils commettent une faute très grave mais cependant il ne sont pas engagés sous peine de péché mortel.

4. Sais-tu la différence qu’il y a entre les uns et ]es autres? la différence qu’il y a entre celui qui prend le bien d’autrui, et celui qui retire à quelqu’un ce qu’il lui avait donné par amour, avec l’intention de ne pas le reprendre: l’un n’a pas fait d’acte authentique, tandis que l’autre s’est engagé publiquement par sa profession. Il a renoncé à lui-même entre les mains du supérieur, et il a promis d’observer l’obéissance, la chasteté, la pauvreté volontaire. Le supérieur, de son côté, a promis, s’il était fidèle jusqu’à sa mort, de lui donner la vie éternelle.

5. Ainsi, pour ce qui est des obligations, du lieu et de la manière, l’obéissance dans un Ordre est plus parfaite que l’obéissance dans le monde. L’obéissance dans un Ordre est aussi plus sûre; quand on tombe, on a plus de secours pour se relever. L’obéissance dans le monde est moins certaine; elle expose davantage, quand on tombe, à tourner la tête en arrière, parce qu’on ne se sent pas lié par un vœu consommé. On est comme le religieux avant sa profession: tant qu’il ne l’a pas faite, il peut partir; ce qui ne lui est plus permis lorsqu’elle est prononcée.

6. Quant au mérite, je te le répète, sa mesure est l’amour de celui qui obéit. Dans quelque état qu’on soit, on peut avoir un mérite parfait, parce que le mérite est uniquement dans l’amour. Les vocations sont différentes; j’appelle à ces deux états selon la capacité de chacun; mais la récompense est mesurée sur l’amour: si le séculier aime plus que le religieux, il reçoit davantage; il en est de même du religieux et de tous les autres.

CLXV.- Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de l’obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité. – Miracles que Dieu fait par l’obéissance.

1. Je vous ai tous envoyés dans la vigne de l’obéissance pour y travailler de différentes manières, et à chacun je donnerai le prix de son amour, et non de son ouvrage et de son temps; car sans cela celui qui vient de bonne heure recevrait plus que celui qui vient plus tard. Ma Vérité vous a donné dans l’Évangile l’exemple de ceux qui étaient oisifs, et que le maître envoya travailler à sa vigne, li donna autant à ceux qui étaient venus au point du jour qu’à ceux qui étaient venus à la première heure; et ceux qui vinrent à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la dernière reçurent autant que les premiers.

2. Ma vérité vous a enseigné par là que vous serez récompensés, non pas selon le temps et selon l’ouvrage, mais selon le degré d’amour. Beaucoup sont appelés, dès l’enfance, pour travailler à cette vigne; d’autres y viennent plus tard, et n’arrivent même que dans la vieillesse. Ceux-là souvent, parce qu’ils voient le peu de temps qui reste, agissent avec tant d’amour, qu’ils atteignent ceux qui sont venus dès l’enfance, mais qui ont marché lentement. C’est donc par l’amour de l’obéissance que l’âme acquiert des mérites; elle remplit son vase en moi, qui suis l’Océan pacifique.

3. Beaucoup ont une obéissance si prompte et si incarnée dans leur âme, que non seulement ils ne cherchent point à comprendre les motifs de leur supérieur, mais qu’ils attendent à peine que les ordres soient sortis de sa bouche, parce que la lumière de la foi leur fait deviner ses intentions. L’obéissant parfait obéit plus à l’intention qu’à la parole, pensant que la volonté du supérieur est ma volonté, que je le charge de lui transmettre. Et c’est pour cela que je te dis qu’il obéissait plus à l’intention qu’à la parole. Il obéit à la parole du supérieur, parce qu’il obéit avec amour à sa volonté, que la lumière de la foi lui fait croire unie à la mienne.

4. On lit dans la vie des Pères l’exemple d’un religieux qui obéissait ainsi par amour. Son Abbé lui ayant donné un ordre pendant qu’il écrivait un o, qui est une bien petite chose, il ne se donna pas le temps de finir, et courut sur-le-champ où l’appelait l’obéissance. Je voulus lui montrer combien cette promptitude m’était agréable, et ma bonté termina en or la lettre inachevée.

5. Cette glorieuse vertu m’est si agréable, que pour aucune vertu je n’ai fait autant de miracles que pour elle. C’est qu’elle procède de la lumière de la foi, et qu’il faut que les hommes sachent combien je l’aime. La terre obéit à cette vertu, et les animaux la servent. L’eau porte l’obéissant. Si tu regardes la nature, tu verras qu’elle est soumise à celui qui obéit.

6. N’as-tu pas lu l’histoire de ce disciple auquel son Abbé remit un bâton de bois mort? Il lui ordonna de le planter et de l’arroser tous les jours; le disciple, éclairé par la lumière de la foi, se garda bien de dire que c’était là chose inutile. Il obéit sans s’inquiéter du résultat, et, par la vertu de l’obéissance et de la foi, le bois mort reverdit et porta des fruits. Pour montrer que cette âme avait triomphé de la sécheresse de la désobéissance, et que ses rameaux renouvelés avaient donné un bon fruit, ce fruit fut appelé par les saints Pères le fruit de l’obéissance.

7. Si tu regardes les animaux, tu verras qu’ils obéissent aussi à l’obéissance. Un religieux remarquable par son obéissance et sa pureté fut chargé d’aller prendre un grand serpent; il le conduisit à son Abbé, qui, en médecin prudent, pour le préserver de la vaine gloire et l’exercer à la patience, le chassa de sa présence, et lui dit avec reproche: « Il faut être vraiment bête pour conduire ainsi cette bête enchaînée ».

8. Le feu présente les mêmes miracles. N’as-tu pas lu dans la sainte Écriture que beaucoup, pour ne pas transgresser mes ordres, se sont laissé jeter dans les flammes, et que les flammes ne leur ont fait aucun mal? Tels furent les trois enfants dans la fournaise, et tant d’autres que je pourrais te citer. L’eau s’affermit sous les pieds de saint Maur, lorsqu’il alla chercher par obéissance un religieux qui se noyait. Il ne pensait pas à lui, mais il pensait, avec la lumière de la foi, à remplir l’ordre qu’il avait reçu: il alla sur l’eau comme s’il eût marché sur la terre, et il sauva le disciple.

9. Partout, si tu ouvres l’œil de ton intelligence, tu verras que je t’enseigne l’excellence de l’obéissance. On doit tout abandonner pour l’obéissance, tellement que si tu étais élevée à une si haute et si parfaite union en moi, que ton corps fût séparé de la terre, tu devrais, si l’obéissance te rappelait, faire tous tes efforts pour lui obéir. Je te parle en général et non pour certains cas particuliers, qui font exception. Tu ne dois jamais quitter l’oraison que par nécessité, par charité ou par obéissance. Je te dis cela pour que tu comprennes combien je veux que l’obéissance soit prompte dans mes serviteurs et combien elle m’est agréable.

10. Tout ce que fait l’obéissant est méritoire: s’il mange, il mange par obéissance; s’il dort, il dort par obéissance; s’il va, s’il vient, s’il jeûne, s’il veille, il fait tout par obéissance. S’il sert le prochain, c’est par obéissance. S’il est au chœur, au réfectoire, dans sa cellule, qui le guide ou le retient? c’est l’obéissance, qui, par la sainte lumière de la foi, le jette, mort à sa volonté et plein de mépris pour lui-même, entre les bras de ceux qui lui commandent. Placé dans cette barque de l’obéissance, il se-laisse conduire par son supérieur et traverse heureusement la mer orageuse de cette vie dans la paix de l’âme et la tranquillité du cœur: l’obéissance et la foi en dissipent toutes les ténèbres. Il est fort parce qu’il n’a plus aucune faiblesse ni aucune crainte, car il a détruit la volonté propre, d’où viennent les faiblesses et les craintes déréglées.

11. Et de quoi se nourrit et s’abreuve celui qui épouse l’obéissance? il se nourrit de la connaissance de lui-même et de moi. Il voit son imperfection et son néant; il voit que je suis Celui qui suis, et il goûte en moi ma Vérité, que lui a révélée le Verbe incarné. Et de quoi s’abreuve-t-il? du Sang; de ce Sang par lequel mon Fils lui montre ma Vérité, et l’amour ineffable que j’ai pour lui. Il lui fait comprendre par ce Sang la perfection de cette obéissance que moi, son Père, je lui ai imposée à cause de vous. Il y puise avidement, et lorsqu’il est ivre de ce Sang et de cette obéissance du Verbe, il perd toute pensée, tout sentiment de lui-même; il me possède par la grâce et me goûte par l’amour, à la lumière de-la foi dans la sainte obéissance.

12. Toute sa vie rayonne la paix, et à la mort il reçoit ce que lui a promis son supérieur au moment de sa profession, la vie éternelle, la vision de la paix, le repos d’une tranquillité souveraine et parfaite, un bien ineffable dont personne ne peut apprécier et comprendre la valeur. Ce bien est infini et ne peut être compris par une créature finie, comme un vase plongé dans la mer ne peut en comprendre l’immensité, mais seulement la quantité qu’il renferme: la mer seule se comprend.

13. Je suis la Mer pacifique, et je puis seul me comprendre, m’estimer et jouir de cette estime, de cette intelligence en moi-même. Cette jouissance intérieure, je la communique et je la donne à chacun selon sa mesure; et cette mesure, je la remplis complètement d’une félicité parfaite. L’âme connaît et comprend ma bonté autant qu’elle a mérité de la connaître. Aussi l’obéissant, éclairé par la foi et la vérité, embrasé des flammes de la charité, inondé des parfums de l’humilité, enivré du sang précieux de l’Agneau, accompagné de la patience, du mépris de lui-même, de la force et de la persévérance, enfin du fruit de toutes les vertus, l’obéissant reçoit de moi, son créateur, la récompense qui lui est destinée.

Traité de l’obéissance – Chapitre CLX, CLXI, CLXII

CLX.-  Ceux qui obéissent reçoivent le centuple et la vie éternelle.- Ce que veut dire le centuple.

1. Ma fille bien-aimée, c’est en ceux qui obéissent que s’accomplit la parole de mon aimable et doux Verbe. Pierre lui avait dit: « Maître, voici que nous avons tout laissé par amour pour vous, et que nous vous avons suivi, que nous donnerez-vous? » Mon Fils lui répondit: « Vous recevrez le centuple, et vous posséderez la vie éternelle » (S. Marc, x, 28, 30); c’est-à-dire: Pierre, vous avez bien fait, car vous ne pouviez me suivre autrement, et moi, dans cette vie, je vous donnerai le centuple.

2. Quel est, ma fille bien-aimée, le centuple que suivra la vie éternelle? que voulait dire ma Vérité? Parlait-elle des biens temporels? Non, certainement, quoique je les multiplie quelquefois pour récompenser l’aumône. De qui parle-t-elle? De celui qui donne sa volonté propre, qui est son unique chose; et pour cette unique chose je lui en donne cent, car je lui donne la charité. Pourquoi le nombre cent? parce que ce nombre est parfait, et qu’on ne peut y ajouter sans recommencer le premier nombre. De même la charité est la plus parfaite de toutes les vertus, et on ne peut y ajouter qu’en recommençant la connaissance de soi-même, et en l’augmentant de mérite jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une nouvelle centaine. Tel est le centuple que je donne à ceux qui m’ont donné leur seule volonté par l’obéissance générale, et mieux encore par l’obéissance particulière.

3. Avec le centuple vous avez la vie éternelle; car il n’y a que la charité qui entre en maîtresse dans le ciel avec le fruit des autres vertus qui restent en dehors. Elle vient à moi, la Vie éternelle, que possèdent à jamais, les bienheureux. La foi ne l’accompagne pas; puisque les bienheureux connaissent par expérience et en vérité ce qu’ils ont cru par la foi; ils n’ont pas non plus l’espérance, puisqu’ils possèdent ce qu’ils espéraient. Il en est ainsi de toutes les autres vertus. La seule charité entre en reine, et elle me possède comme je la possède.

4. Tu vois donc que ces petits enfants de l’obéissance reçoivent le centuple et la vie éternelle, puisqu’ils reçoivent le feu de la charité, qui est représenté par le nombre cent. Et parce qu’ils ont reçu le centuple, ils vivent dans une admirable allégresse de cœur; car jamais dans la vraie charité ne se trouve la tristesse; il y règne au contraire une joie qui dilate le cœur, qui le rend généreux, sans petitesse et sans fausseté. L’âme qui est frappée de cette douce blessure ne met jamais sur le visage et sur la langue autre chose que ce qui est dans le cœur. Elle ne sert pas son prochain par hypocrisie ou par intérêt; car la charité se dévoue à toute créature, et l’âme qui la possède ne tombe jamais dans l’abattement et la tristesse; elle ne se sépare jamais de l’obéissance, et lui reste fidèle jusqu’à la mort.

CLXI.- Des misères de ceux qui n’obéissent pas.

1. Celui au contraire qui n’obéit pas dans la barque de la vie religieuse est si à charge à lui et aux autres, qu’il a dès ici-bas un avant-goût de l’enfer. Il vit toujours au milieu de la tristesse, de la honte et des remords de sa conscience; il déplaît à ses supérieurs et à son Ordre, il devient insupportable à lui-même. Vois, ma fille bien-aimée, celui qui s’est lié par un vœu à une règle et qui se fait cependant l’esclave de la désobéissance. La désobéissance devient sa maîtresse, avec sa compagne l’impatience qui est nourrie par l’orgueil; et l’orgueil, comme je l’ai dit, naît de l’amour de soi-même.

2. Il arrive alors à l’âme le contraire de ce que produit en elle la véritable obéissance. Comment celui qui désobéit pourrait-il éviter ce malheur, puisqu’il n’a pas la charité? Il faut qu’il baisse de force la tête que l’orgueil vient relever; toutes ses volontés sont en désaccord avec la volonté de la règle. Elle lui commande l’obéissance, et il aime désobéir; elle lui impose la pauvreté volontaire, et il la fuit; il possède ou convoite la richesses; elle veut la continence, la pureté, il désire les plaisirs déshonnêtes.

3. En violant ses trois vœux, ma chère fille, le religieux tombe si bas, et dans des faiblesses si honteuses, qu’il ne ressemble plus à un religieux, mais à un démon revêtu d’un corps, ainsi que je te l’ai expliqué déjà plus au long. J’ajouterai cependant quelque chose pour te faire mieux comprendre les fruits déplorables de la désobéissance, et pour te faire admirer davantage le mérite de l’obéissance.

4. Ce malheureux qui n’obéit pas est trompé par l’amour-propre. Le regard de son intelligence, qui n’est plus éclairé par la foi, se complaît dans sa volonté propre et dans les choses du monde. Il est éloigné du monde par son corps, mais il y habite par le désir. L’obéissance lui semble un fardeau; il veut désobéir pour l’éviter, et ce fardeau devient bien plus pesant, parce qu’il faut obéir ou par force, ou par amour, et il est bien plus facile d’obéir par amour que sans amour.

5. Oh! comme il est dans l’erreur! Personne ne le trompe, mais il se trompe lui-même. Il recherche le bien-être, et il ne trouve que la peine, même dans ce qu’il fait, à cause de l’obéissance qui lui est imposée. Il veut jouir et se faire une vie éternelle de cette vie passagère; la règle veut qu’il n’y soit qu’un voyageur, et qu’il ne s’arrête pas au plaisir qu’il y trouve et aux endroits qui lui sont agréables. Il doit changer, et ce changement lui est un supplice parce que sa volonté n’est pas morte et voudrait résister; mais s’il n’obéissait pas, il encourrait les châtiments de la règle, et c’est ce qui le fait souffrir continuellement.

6. Tu vois donc qu’il se trompe; en voulant fuir la peine, il en trouve une plus grande, parce que son aveuglement l’empêche de connaître la voie véritable de l’obéissance, cette voie véritable est tracée par l’obéissant Agneau, mon Fils, qui délivre de toute peine ceux qui obéissent. Lui, au contraire, suit la voie du mensonge; il espère y trouver sa consolation, et il n’y rencontre que des peines amères. Qui lui sert de guide? c’est l’amour qu’il a pour l’indépendance. Il veut, dans sa folie, surmonter les tempêtes et les flots avec ses seules forces et sa science misérable; il refuse les secours de son Ordre et de ses supérieurs.

7. Il est dans la barque de la vie religieuse, de corps seulement et non d’esprit; il l’abandonne par ses désirs, en n’observant pas les prescriptions de la règle, et les trois vœux qu’il a promis d’accomplir dans sa profession. Aussi est-il sur la mer le jouet des orages et des vents qui attaquent sa barque; il n’y est attaché que par les vêtements que portent son corps, et non son cœur: ce n’est pas un religieux, c’est un homme vêtu.

8. Cet homme même n’en a que l’apparence, et n’est pas réellement un homme; car sa vie est pire que celle de l’animal. Il ne voit pas qu’il se fatigue plus à se soutenir avec ses bras qu’avec ceux des autres; il ne s’aperçoit pas qu’il est menacé d’une mort éternelle, et que si cet habit qui l’attache encore à la barque se rompait avec sa vie, tout secours deviendrait impossible. Non, il ne voit rien, parce que les nuages de l’amour-propre qui cause sa désobéissance, le privent de la lumière, et l’empêchent de connaître son malheur. Tu vois combien son erreur est déplorable.

9. Quels fruits porte ce mauvais arbre? Des fruits de mort, car il a sa racine dans l’orgueil, qui vient de l’estime et de l’amour de soi-même. Aussi tout ce qui en sort est corrompu, les feuilles, les fleurs et les fruits. Les branches en sont gâtées. Ces branches sont au nombre de trois: l’obéissance, lit pauvreté, la chasteté. Elles partent du tronc de l’arbre, c’est-à-dire des affections de l’âme mal placées. Les feuilles que produit l’arbre sont des paroles mauvaises, qui seraient déplacées même dans la bouche d’un séculier dissolu. S’il doit annoncer l’Évangile, il le revêtira d’un beau langage et d’une forme recherchée, non pour faire germer dans les âmes cette semence de mon Verbe, mais pour faire admirer son talent.

10. Si tu examines les fleurs de cet arbre, tu sentiras leur mauvaise odeur: ce sont les pensées frivoles et coupables qu’il entretient avec plaisir, sans fuir les occasions et les lieux qui les font naître; il cherche plutôt à consommer le mal, et c’est le fruit qui tue la vie de la grâce et lui donne la mort éternelle. Et quelle infection cause ce fruit que porte la fleur de cet arbre, c’est cette puanteur de la désobéissance qui juge et condamne intérieurement la volonté des supérieurs; c’est cette corruption des conversations dangereuses qu’on recherche avec des dévotes prétendues. O malheureux, ne vois-tu pas combien cette fausse dévotion fait naître d’enfants illégitimes! Voilà ce que te produit la désobéissance. Tu n’as pas pris pour tes enfants les saintes vertus, comme le font ceux qui obéissent parfaitement.

11. Le mauvais religieux cherche à tromper son supérieur. Quand il voit qu’on lui refuse ce que sa volonté mauvaise désire, il a recours à des paroles flatteuses ou dures, à des reproches ou à des menaces. Il ne se gêne pas avec ses frères, et ne peut supporter la moindre critique de leur part. Il porte aussitôt, les fruits empoisonnés de l’impatience, de la colère, de la haine du prochain; il trouve mal ce qui a été fait pour son bien, et cette irritation bouleverse son esprit et son corps. Pourquoi n’aime-t-il pas son frère? Parce qu’il s’aime lui-même d’une manière sensuelle.

12. Il fuit sa cellule comme la peste, parce qu’il est sorti de la cellule de la connaissance de lui-même; et c’est ce qui le porte à la désobéissance et l’empêche de rester dans sa cellule véritable. Il ne veut pas paraître au réfectoire, qui lui semble un ennemi tant qu’il a de l’argent à dépenser, et il ne s’y rend que quand la nécessité l’y force.

13. Ceux qui obéissent font bien d’être fidèles à leur vœu de pauvreté, et de n’avoir rias le moyen de quitter dette douce table commune, où l’obéissance nourrit dans le calme et le repos l’âme et le corps. Ils ne cherchent point à se procurer des mets délicats comme le malheureux qui fuit le réfectoire parce qu’il y trouve tout détestable.

14. Le désobéissant tâche toujours de venir à l’Office le dernier et d’en sortir le premier; il approche de moi des lèvres, mais son cœur est bien loin. Il évite tant qu’il peut le Chapitre, par crainte des pénitences qu’on y donne; et quand il y est, il lui semble être dans une odieuse prison, et il y éprouve une honte qu’il n’a pas eue en commettant des péchés mortels. Quelle en est la raison? la désobéissance. Il ne connaît pas les saintes veilles de la prière: non seulement il néglige l’oraison mentale, mais encore il omet souvent l’Office qu’il est obligé de réciter. Comment aurait-il la charité fraternelle, puisqu’il n’aime que lui? Il n’aime pas comme les êtres raisonnables, mais comme les bêtes. Enfin, les fruits qu’il porte sont si malheureux, que ta langue ne pourra jamais le raconter.

15. O malheureuse désobéissance qui prives l’âme de la lumière de l’obéissance, et lui ôtes la paix et la vie pour lui donner la guerre et la mort! Tu l’enlèves de la barque des saintes observances pour la jeter aux flots de la mer, contre lesquels elle doit lutter seule, sans le secours de son Ordre; tu l’accables de misères, tu la fais mourir en lui enlevant la nourriture et le mérite de l’obéissance; tu l’abreuves d’amertume, tu la dépouilles de toute puissance, de tout bien, et tu la livres à toutes sortes de maux. Dès cette vie tu lui donnes l’avant-goût des plus cruels supplices; et si elle ne se corrige avant que la mort ne déchire les vêtements qui la retiennent encore à cette barque de l’obéissance, tu la conduis à la damnation éternelle avec les démons, qui tombèrent du ciel jusque dans l’abîme, parce qu’ils s’étaient révoltés contre moi. Toi qui désobéis, tu auras le même sort; car tu as été rebelle à l’obéissance; tu as jeté la clef qui devait t’ouvrir la porte du ciel; tu as ouvert avec la clef de la désobéissance la porte de l’enfer.

CLXII.- Imperfection de ceux qui vivent en religion avec tiédeur, tout en évitant le péché mortel.- Remèdes pour sortir de la tiédeur.

1. O ma fille bien-aimée, combien sont nombreux ceux qui vivent ainsi dans la barque de l’obéissance, et combien sont rares au contraire ceux qui obéissent parfaitement! Entre ces parfaits et ces malheureux, il y en a qui vivent dans leur Ordre avec négligence, sans les vertus qu’ils devraient avoir, mais aussi sans de grands défauts: leur conscience les empêche de pécher mortellement, mais leur cœur est plongé dans la tiédeur et l’engourdissement. S’ils ne font pas des efforts pour mieux observer leur règle, ils couvent de grands dangers. Ils ont besoin de se réveiller et de travailler avec courage à secouer leur langueur; car s’ils y persévèrent, ils sont exposés à bien des chutes. S’ils évitent ces chutes, ils se contenteront des apparences de la vie religieuse, dont ils s’appliqueront plus à suivre les cérémonies que l’esprit.

2. Souvent, par défaut de lumière, ils seront portés à juger témérairement ceux qui observent plus parfaitement la règle, parce qu’ils les voient accomplir avec moins d’exactitude les actes extérieurs dont ils sont si fiers. Il leur est dur de toute manière de vivre sous une règle commune; car la tiédeur leur rend pénible l’obéissance. Ces cœurs nonchalants trouvent pesants les plus légers fardeaux, et ils se fatiguent beaucoup pour recueillir bien peu; ils pèchent contre la perfection qu’ils ont embrassée et qu’ils sont tenus d’observer. S’ils font moins mal que ceux dont je te parlais, ils font cependant mal; car ils n’ont pas quitté le monde pour rester dans l’obéissance générale, mais pour ouvrir le ciel avec la clef de l’obéissance particulière, et cette clef, ils devraient l’attacher par le mépris d’eux-mêmes à la ceinture de l’humilité, et la tenir fermement avec un ardent amour.

3. Apprends, ma fille bien-aimée, que ceux-là pourraient arriver à la perfection, s’ils voulaient y travailler; car ils en sont plus près que les autres pécheurs. Mais, d’un autre côté, ils ont plus de difficultés à quitter leur imperfection que n’en ont les pécheurs à se retirer de leur état misérable. Et sais-tu pourquoi? Parce que le pécheur voit très bien qu’il fait mal; sa conscience le lui montre, mais il est affaibli par l’amour-propre, et il ne s’efforce pas de sortir des fautes dont la lumière naturelle lui fait voir le mal. Si on lui demande: N’est-ce pas mal d’agir ainsi? le pécheur répond: Oui, mais ma faiblesse est si grande, qu’il me semble que je ne puis sortir du péché. Il ne dit pas vrai; car avec mon secours il pourrait en sortir. Mais, enfin, il sait qu’il fait mal, et cette connaissance peut l’aider à se convertir, s’il veut.

4. Les tièdes, au contraire, qui ne font pour ainsi dire ni bien ni mal, ne connaissent pas l’engourdissement où ils sont et le danger qui les menace; cette ignorance les empêche de faire des efforts pour changer, et quand on cherche à les avertir, la nonchalance de leur cœur les retient dans leurs longues et tristes habitudes.

5. Quel moyen pourrait les tirer de cette inertie? Ils doivent prendre le bois de la connaissance d’eux-mêmes avec une sainte haine de l’estime et de la réputation, pour le mettre dans le feu de ma divine charité. Qu’ils renouvellent leur entrée dans la vie religieuse en épousant de nouveau l’obéissance parfaite avec l’anneau de la sainte foi, et qu’ils sortent de ce sommeil qui m’est si odieux, et qui leur est si préjudiciable; car c’est à eux surtout que s’adresse cette parole: « Malheur à vous qui êtes tièdes! Car il vaudrait mieux que vous fussiez froids. Si vous ne vous corrigez pas, je vous vomirai de ma bouche » (Ap. III,15).

6. Ceux qui restent dans l’inertie s’exposent à tomber, et ceux qui tombent encourent ma réprobation. J’aimerais mieux que vous fussiez froids en restant dans le monde, soumis à l’obéissance générale, qui est comme la glace, quand on la compare au feu de l’obéissance particulière. Si je dis que j’aimerais mieux que vous fussiez froids, ce n’est pas pour vous faire croire que je préfère la glace du péché mortel à la tiédeur de l’imperfection; non, car je ne puis vouloir le péché: le péché est un poison qui n’est pas en moi; il me déplaît tellement dans l’homme, qu’il m’est impossible de ne pas le châtier; et comme l’homme ne suffisait point à la peine que le péché mérite, j’ai envoyé le Verbe, mon Fils unique, afin qu’il pût y satisfaire dans son corps par l’obéissance.

7. Que les tièdes donc se réveillent et se livrent à de saints exercices, aux veilles, à une humble et continuelle prière, qu’ils s’appliquent à leur règle, et qu’ils imitent les patrons de la barque qui les porte. C’étaient des hommes comme eux, nés de la même manière et nourris des mêmes aliments. Dieu est maintenant le même qu’il était alors: ma puissance n’a pas faibli, ma volonté veut avec autant d’ardeur votre salut, et ma sagesse vous donnera toujours la lumière qui vous fera connaître ma Vérité. Les tièdes peuvent donc se relever s’ils le veulent, pourvu qu’ils délivrent leur intelligence des nuages de l’amour-propre, et qu’ils courent à la lumière de la foi, dans les sentiers de l’obéissance parfaite. Ils n’ont que ce moyen pour y parvenir.

Traité de l’obéissance – Chapitre CLVII, CLVIII, CLIX

CLVII.- De ceux qui aiment tant l’obéissance, qu’ils ajoutent à l’observation générale des préceptes une obéissance plus particulière.

1. Ma fille bien-aimée, il en est en qui augmente tellement l’amour de l’obéissance, qu’ils ne veulent plus se contenter de l’obéissance générale aux préceptes de la loi, que vous êtes toujours obligés d’observer, si vous voulez avoir la vie et ne pas tomber dans la mort éternelle; ils tendent à la perfection en recherchant une obéissance plus particulière et plus parfaite, qui consiste à observer les préceptes et les conseils mentalement et réellement.

2. En effet, il n’y a pas d’ardent amour sans haine de la sensualité, et avec cet amour croit nécessairement cette haine. Ceux-là donc, à cause de cette haine et pour tuer entièrement leur volonté propre, veulent se lier sous le joug d’une règle religieuse, ou, en dehors d’un Ordre, sous l’obéissance plus étroite de quelqu’un qu’ils prennent pour supérieur, afin de marcher plus rapidement et d’ouvrir plus sûrement avec la clef de l’obéissance la porte de la vie éternelle. Ce sont ceux qui choisissent l’obéissance parfaite.

3. Je t’ai parlé de l’obéissance générale; mais puisque tu veux que je te parle spécialement de cette obéissance parfaite, je vais t’en entretenir. Elle n’est pas séparée de la première, elle est seulement plus parfaite; mais elles sont si unies, qu’elles ne peuvent exister l’une sans l’autre. Je t’ai dit d’où vient l’obéissance générale, où elle se trouve et ce qui vous la fait perdre; je t’expliquerai de la même façon l’obéissance particulière.

CLVIII.- De quelle manière on parvient de l’obéissance générale à l’obéissance particulière.

1. L’âme qui, avec un amour sincère, a pris le joug de l’obéissance aux préceptes, en suivant la doctrine de ma Vérité, et en s’exerçant par des actes de vertu à cette obéissance générale, arrive à la seconde obéissance par la lumière qui l’a conduite à la première. La sainte lumière de la foi lui fait connaître par le sang de l’humble Agneau la vérité de l’amour ineffable que je lui porte, et la faiblesse qui la rend incapable d’y répondre avec la perfection que je mérite. Et alors, à l’aide de cette lumière, elle cherche le lieu et le moyen de s’acquitter envers moi, de surmonter sa faiblesse et de tuer sa volonté.

2. La foi lui montre le lieu qu’elle cherche; c’est la vie religieuse établie par l’Esprit Saint comme une barque pour recevoir les âmes qui veulent atteindre la perfection et parvenir au port du salut. Le patron de cette barque est l’Esprit Saint, que personne ne peut mettre en défaut; car le religieux qui désobéit à ses ordres ne nuit point à la barque et ne nuit qu’à lui-même. Il est vrai que, par la faute de celui qui tient le gouvernail, la barque peut être battue par la tempête. Les mauvais pilotes sont les supérieurs qui remplissent d’une manière si déplorable les fonctions que leur a confiées le patron de cette barque. Cette barque est plus désirable que ta langue ne saura jamais le dire.

3. Lorsque cette âme augmente ainsi le feu de son amour par la sainte haine d’elle-même, et qu’elle trouve, par la lumière de la foi, la barque de la vie religieuse, elle y entre morte à elle-même, si elle est véritablement obéissante, c’est-à-dire si elle a déjà parfaitement observé l’obéissance générale. L’imperfection qu’elle y apporte ne l’empêchera pas de parvenir ensuite à la perfection, Elle y parviendra à mesure qu’elle s’exercera davantage à l’obéissance.

4. La plupart de ceux qui entrent en religion sont encore imparfaits. Les uns le font par légèreté d’âge, les autres par crainte, d’autres pour y trouver des consolations ou des jouissances. L’important est qu’ils fassent bien ce qu’ils ont entrepris et qu’ils y persévèrent jusqu’à la mort. Ce n’est pas sur le commencement, mais sur la fin que porte le jugement. Beaucoup qui paraissent parfaits d’abord regardent ensuite en arrière ou restent dans leur Ordre avec une grande imperfection. Les motifs et les circonstances avec lesquels on entre en religion ne sont rien; c’est moi qui les fais naître en appelant chacun de différentes manières. Ce qu’il faut seulement considérer, c’est l’amour avec lequel on persévère dans la véritable obéissance.

5. Cette barque de l’obéissance est pleine de richesses, et celui qui s’y trouve n’a pas à se préoccuper de ses besoins spirituels ou temporels; car celui qui obéit véritablement et qui observe la règle a pour patron le Saint Esprit lui-même. Je te l’ai dit en te parlant de ma providence, mes serviteurs peuvent être pauvres, mais jamais misérables, parce que je fournis chaque jour à leurs besoins. Ceux qui se soumettent à une règle le savent par expérience.

6. En effet, tu vois qu’au moment où les Ordres religieux florissaient davantage par l’esprit de pauvreté et de charité fraternelle, jamais leurs moyens de vivre n’ont diminué; ils se trouvaient plutôt du superflu. Mais dès que le poison de l’amour-propre eut introduit le désir de vivre séparément, et que l’obéissance eut disparu, leurs ressources temporelles se sont amoindries et plus ils possédaient, plus ils avaient de nécessités. Même dans les plus petites choses, ils devaient éprouver le fruit que porte la désobéissance; car, s’ils avaient été obéissants et fidèles au vœu de pauvreté, ils n’auraient pas possédé quelque chose et vécu séparément.

7. Tu trouveras dans cette barque le trésor de ces saintes règles, composées avec tant de sagesse et de lumière par ceux qui étaient les temples du Saint Esprit. Regarde avec quelle science Benoît sut disposer sa barque; considère les parfums de pauvreté et les diamants de vertus dont François enrichit la barque de son Ordre, qu’il conduisit à une si haute perfection il la monta lui-même le premier, et donna l’exemple de ce mariage avec la sainte pauvreté à laquelle il s’était attaché par l’amour de l’abaissement et par le mépris de lui-même. Il ne désirait plaire à aucune créature en dehors de ma volonté; il recherchait les humiliations du monde; il macérait son corps et détruisait sa volonté; il se couvrait d’opprobres et d’ignominies par amour pour l’humble Agneau que l’amour a cloué et percé sur la Croix, tellement que, par une grâce extraordinaire, les plaies sacrées de mon Verbe apparurent sur son corps pour manifester, dans sa chair, l’ardeur qui dévorait son âme: c’est ainsi que François fraya la route aux autres.

8. Te me diras: Est-ce que les autres Ordres ne sont pas fondés sur la pauvreté? Si, assurément. Mais pour tous elle n’est pas la chose principale: tous peuvent s’affermir sur la pauvreté; mais, comme dans les vertus qui tirent leur vie de la charité il y en-a de spéciales aux uns et aux autres, quoiqu’elles aient toutes la même origine, mon cher pauvre François eut pour sa part la vraie pauvreté; c’est par amour pour elle qu’il construisit sa barque, et qu’il y plaça des hommes d’une rare perfection; ils n’étaient pas nombreux, mais excellents. Il y en a peu maintenant qui choisissent cette perfection. Hélas! ils ont augmenté en nombre et diminué en vertu; et ce n’est pas la faute de la barque, mais c’est la faute de ceux qui n’obéissent pas et qui commandent mal.

9. Si tu regardes la barque de ton père Dominique, mon fils bien-aimé, tu verras qu’il y a parfaitement tout disposé pour m’honorer et sauver les âmes par la lumière de la science: en prenant cette lumière pour principe de son œuvre, il n’a pas renoncé à la pauvreté volontaire; il l’a embrassée aussi, et, afin de le prouver, il a laissé pour toujours dans son testament à ses fils, sa malédiction et la mienne, sur tous ceux qui possèderaient ou retiendraient quelque chose, d’une manière générale ou particulière: c’était montrer qu’il avait pris pour épouse la royale pauvreté. Mais, comme bien spécial, il choisit la lumière de la science, afin de détruire les erreurs qui s’étaient élevées de son temps. Il prit la charge du Verbe, mon Fils unique, et il parut comme un apôtre dans le monde, tant il sema ma parole avec ardeur, dissipant les ténèbres et répandant partout la lumière.

10. Ce fut un flambeau que je donnai aux hommes par l’intermédiaire de Marie, pour détruire les hérésies. Oui, ce fut par l’intermédiaire de Marie; car c’est elle qui lui donna l’Habit: ma bonté lui en avait confié le soin. Sur quelle table prenait-il avec ses enfants la lumière de la science? sur la table de la Croix, qui est la table des saints désirs, où on se rassasie des âmes en mon honneur. Dominique voulait que ses enfants fussent sans cesse occupés à cette table pour chercher, à la lumière de la science, la gloire de mon nom et le salut des âmes. Afin de les empêcher de songer à autre chose, il leur ôta le soin des biens temporels; il voulut qu’ils fussent pauvres; il montrait qu’il ne craignait pas de les voir manquer de rien; car il était revêtu d’une foi puissante, et il espérait d’une espérance ferme en ma providence.

11. Il prescrivit l’obéissance, et voulut-que chacun fût fidèle à la tâche qui lui était imposée; et comme une vie sensuelle obscurcit la lumière de l’intelligence, et que les excès de la débauche éteignent même les yeux du corps, il prit un moyen pour conserver la vue et acquérir plus parfaitement la lumière de la science. Il établit le vœu de continence, et voulut qu’il fût observé par tous avec une vraie et parfaite obéissance. Mais aujourd’hui combien sont infidèles! Ceux-là cachent la lumière de la science par les ténèbres de l’orgueil; ces ténèbres n’obscurcissent pas la science elle-même, mais seulement leur âme. Où est l’orgueil, là ne peut être l’obéissance.

12. Je te l’ai dit, l’humilité est la mesure de l’obéissance, et l’obéissance la mesure de l’humilité: celui qui viole le vœu d’obéissance respecte rarement celui de continence dans ses actes ou ses désirs. Ton père Dominique a mis à sa barque trois cordages, qui sont la chasteté, l’obéissance et la vraie pauvreté: il a mis dans sa règle une grande modération, puisqu’il n’y a pas obligé les âmes sous peine de péché mortel. En cela je l’ai éclairé de ma lumière, dans l’intérêt de ceux qui seraient moins parfaits; car, quoique tous ceux qui se soumettent à la règle soient dans un état de perfection, les uns vivent d’une manière plus parfaite que les autres; mais les parfaits et les mi-parfaits sont tous dans la barque. Dominique est ainsi d’accord avec ma Vérité, puisqu’il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.

13. Aussi sa religion est toute large, toute joyeuse, toute parfumée; c’est un jardin de délices, mais les malheureux qui n’en observent pas la règle le rendent inculte et sauvage; la vertu y répand à peine quelque odeur, et la lumière de la science s’affaiblit en ceux qui s’y nourrissent. Ce jardin si désirable n’était point ainsi dans son principe; les fleurs y abondaient, et les religieux y étaient d’une grande perfection; ils ressemblaient à saint Paul par la lumière, et les ténèbres de l’erreur se dissipaient en leur présence.

14. Regarde le glorieux Thomas, dont l’admirable intelligence contemplait ma Vérité, qu’il acquérait par une lumière surnaturelle et par une science infuse; il dut cette grâce beaucoup plus à ses prières qu’à ses études. Aussi fut-il un flambeau resplendissant qui éclaira son Ordre et le corps mystique de la sainte Église, dont il éloigna toutes les hérésies.

15. Regarde Pierre, vierge et martyr, qui combattit l’erreur avec son sang. Il l’avait en si grande horreur, qu’il résolut d’y sacrifier sa vie. Tant qu’il respira, il ne fit autre chose que prier, prêcher, disputer avec les hérétiques, confesser, annoncer la vérité et répandre la foi sans rien craindre. Il la confessa pendant toute sa vie et jusqu’à son dernier soupir. Au moment d’expirer, la voix et l’encre lui manquaient: il trempa le doigt dans le sang qui sortait de sa blessure, et comme il n’avait pas de papier, ce glorieux martyr s’inclina vers la terre pour y écrire cette profession de foi: Credo in Deum. Son cœur était tellement embrasé de ma charité, qu’il ne ralentit pas sa course, et qu’il ne tourna pas la tête en arrière, lorsqu’il apprit qu’il devait mourir. Je le lui avais annoncé; mais, en vrai chevalier, il ne connut pas la peur, et s’élança sur le champ de bataille.

16. Je pourrais t’en citer bien d’autres qui, sans éprouver le martyre dans leur corps, le reçurent dans l’âme comme le bienheureux Dominique. C’étaient là les ouvriers que le Père de famille envoyait travailler à sa vigne, pour en arracher les épines du vice et y planter des vertus. Oui, Dominique et François étaient véritablement les deux colonnes de l’Église: François par la pauvreté qui a été partage, et Dominique par la science.

CLIX.- Des obéissants et des désobéissants qui vivent en religion.

1. Ainsi le lieu de l’obéissance est trouvé: ce sont ces barques admirables que le Saint Esprit a fait préparer par les fondateurs d’Ordres à ra sainte lumière de la foi; c’est lui-même qui en est le patron. Maintenant je te parlerai de l’obéissance et de la désobéissance de ceux qui sont dans ces barques, d’une manière générale et sans te désigner aucun Ordre en particulier; je te signalerai la faute de ceux qui désobéissent et la vertu de ceux qui obéissent, pour que tu les apprécies par leur opposition et que tu saches comment doit faire celui qui veut entrer dans la vie religieuse.

2. Quelle route doit suivre celui qui veut arriver à l’obéissance parfaite? Il doit suivre la lumière sainte de la foi, qui lui apprendra qu’il faut tuer sa volonté avec le glaive de la haine de toute sensualité, et qu’il faut prendre l’épouse et la sœur que lui donnera la charité. Cette épouse, c’est l’obéissance sincère et prompte; sa sœur est la patience. Il faut aussi sa nourrice, l’humilité; car, si elle ne l’avait pas pour la nourrir, l’obéissance mourrait de faim.

3. Oui, l’obéissance ne peut vivre dans l’âme où ne se trouve pas cette bonne vertu de l’humilité. L’humilité n’est jamais seule, elle est servie par l’abaissement et par le mépris du monde et de soi-même. L’âme qui se trouve méprisable ne désire pas les honneurs, mais les affronts; elle doit mourir en entrant dans la barque de la vie religieuse, quand le moment est venu. L’âge et les circonstances varient selon les appels de ma providence; mais dès qu’on est entré, il faut acquérir cette perfection et prendre franchement, joyeusement, la clef de l’obéissance à la règle.

4. Cette clef ouvre la petite porte qui est à l’entrée du ciel, de même que les grandes portes en ont une particulière qui n’est pas ouverte à tout le monde. Ceux qui vont au delà de l’obéissance commune prennent une clef plus petite qui leur permet d’entrer par la porte étroite et basse. Cette porte n’est pas séparée de la grande; quand ils en ont la clef, ils doivent la garder et ne pas la jeter loin d’eux.

5. Les vrais obéissants voient, à la lumière de la foi, que le fardeau des richesses et le poids de leur propre volonté leur causeraient une grande fatigue pour entrer par cette petite porte, et qu’ils risqueraient de se tuer en levant la tête là où il faut bon gré mal gré la baisser; il se débarrassent alors de leurs richesses et de leur volonté, en observant le vœu de pauvreté volontaire. Ils ne veulent rien, posséder, parce qu’ils voient à la lumière de la foi à quelle ruine ils s’exposeraient sans cela, puisqu’ils transgresseraient l’obéissance, en n’étant pas fidèles à leur vœu de pauvreté.

6. Ils se rendraient également coupables d’orgueil en levant la tête de leur volonté. Toutes les fois qu’il faut obéir, si ce n’était pas l’humilité, mais la force qui leur faisait baisser la tête, elle serait brisée par la violence, et cette obéissance ne pourrait plaire à leur supérieurs et à leur Ordre. Ils arriveraient alors graduellement à une autre révolte et tomberaient dans l’incontinence.

7. Ceux qui ne règlent pas leurs désirs et ne se dépouillent pas des biens temporels, multiplient leurs relations et trouvent beaucoup d’amis qui les aiment par intérêt; ces rapports entraînent des affections secrètes. Leur corps vivent dans les délices. Ils n’ont pas pour se soutenir l’humilité et le mépris d’eux-mêmes; ils recherchent le bien-être, le plaisir, les délicatesses, comme des grands seigneurs, et non comme des religieux; ils abandonnent ses veilles et la prière.

8. Ils font d’autres chutes parce qu’ils ont de quoi dépenser; cela n’arriverait pas s’ils n’avaient rien. Ils tombent dans des souillures spirituelles et corporelles. Si, par honte ou par impuissance, ils ne font pas matériellement le mal, ils le commettent au moins dans leurs cœurs. Celui qui recherche les conversations, les délicatesses du corps, les plaisirs de la table, sans veiller et sans prier, ne pourra jamais conserver la pureté de son âme.

9. Celui qui obéit parfaitement au contraire aperçoit sur-le-champ, à la sainte lumière de la foi, le mal et les ruines que causent la possession des biens temporels et le fardeau de la volonté propre. Il comprend qu’il faut passer par la porte étroite, et qu’il y perdrait la vie, s’il ne l’ouvrait avec la clef de l’obéissance; car je t’ai dit que c’était là lé moyen. Tant qu’il est dans la barque de la vie religieuse, il suit bon gré mal gré la route étroite de l’obéissance à son supérieur.

10. L’obéissant parfait s’élève au dessus de lui-même et domine ses sens; il en triomphe par la foi vive. Il place dans son âme la haine du moi, pour la servir et pour en chasser son ennemi, l’amour-propre; car il veut préserver de toute offense l’obéissance, cette épouse bien-aimée que lui a donnée la charité, sa mère, à la lumière de la foi. Il chasse avec une sainte rigueur celui qui s’élève contre elle, et il lui donne ses compagnes et sa nourrice. Dès que la haine a chassé l’ennemi, l’amour de l’obéissance introduit dans l’âme les amies de son épouse: ce sont les vertus sincères, l’habitude, l’observance fidèle de la règle. Cette aimable épouse entre dans l’âme avec sa sœur, la patience et sa nourrice, l’humilité, qu’accompagnent l’abaissement et le mépris de soi-même.

11. Dès que l’obéissance est entrée, l’âme possède la paix et le repos, parce que ses ennemis sont dehors. Elle est dans le jardin de la véritable continence avec le soleil qui éclaire l’intelligence, et fait contempler à l’œil de la foi ma Vérité incarnée, son unique objet. Elle ressent aussi le feu d’une tendre charité qui embrase tous ses amis et ses compagnons, parce qu’elle observe la règle avec un ardent amour.

12. Quels sont ses ennemis qui sont dehors? Le principal est l’amour-propre, qui produit l’orgueil; c’est l’ennemi de la charité et de l’humilité. L’impatience est opposée à la patience, la révolte à l’obéissance, l’infidélité à la foi. La présomption et la fausse confiance combattent la véritable espérance que l’âme doit mettre en moi. L’injustice ne peut exister avec la justice, l’imprudence avec la prudence, l’intempérance avec la tempérance, la violation de la règle avec son observance. Les mauvaises conversations des méchants ne peuvent s’allier avec les saintes relations: ce sont des ennemis qui ruinent les habitudes et les usages salutaires de la vie religieuse. Il faut craindre leurs cruelles attaques. La colère combat contre la douceur, la haine de la vertu contre son amour, la volupté contre la pureté, la négligence contre le zèle, l’ignorance contre la science, le Sommeil contre les veilles et la prière persévérante.

13. Dès que la lumière, de la foi lui a fait apercevoir ces ennemis qui voulaient souiller la sainte obéissance, l’âme envoie la haine pour les chasser, et l’amour pour introduire ceux qui lui sont chers. Alors la haine tue avec son glaive la volonté mauvaise, qui, nourrie par l’amour-propre, donnait la vie à tous les ennemis de la véritable obéissance. Une fois qu’est détruit le principe qui les entretenait, l’âme est libre et possède la paix. Qui lui ferait la guerre, puisqu’elle est délivrée de tout ce qui cause le trouble et la tristesse?

14. Qui pourrait nuire à l’âme obéissante? Est-ce l’injure? Non, car elle est patiente; la patience est sœur de l’obéissance. Est-ce le fardeau de la vie religieuse? Non, puisqu’elle le porte volontairement Les ordres rigoureux de ses supérieurs lui causeront-ils quelque peine? Non, car elle a foulé aux pieds sa volonté, et jamais elle n’examine et ne juge les obligations qu’on lui impose, parce que la lumière de la foi lui fait voir ma volonté dans ces obligations. Elle sait que ma bonté les lui envoie dans l’intérêt de son salut. Aura-t-elle du dégoût et de l’ennui dans les plus viles occupations? souffrira-t-elle des reproches, des injures, des affronts qu’elle reçoit, et des mépris dont elle est l’objet? Non, puisqu’elle aime l’abnégation et qu’elle se déteste sincèrement.

15. Elle se réjouit au contraire dans la patience, et tressaille d’allégresse à cause de l’obéissance, sa chère épouse. Elle s’attriste seulement quand elle voit offenser son Créateur. Sa conversation est avec ceux qui me craignent véritablement; et si elle parle avec ceux qui sont séparés de ma volonté, ce n’est pas pour contracter leurs défauts, c’est pour les retirer de leur misère. La charité du prochain lui fait désirer de communiquer à d’autres le bien qu’elle possède, parce qu’elle voit que mon nom serait plus glorifié, si elle donnait à beaucoup son obéissance à la règle. Aussi elle s’applique à y attirer les religieux et les séculiers par ses paroles et ses exemples. Tous ses efforts tendent à les retirer des ténèbres du péché mortel. Toutes les conversations de l’obéissant véritable sont bonnes et parfaites; qu’il parle avec les justes ou avec les pécheurs, il suit toujours les règles d’une charité droite et expansive.

16. Sa cellule est un ciel où il se plaît à s’entretenir avec moi, l’éternel et souverain Bien; l’amour l’empêche d’y être oisif, et le porte à m’adresser d’humbles et continuelles prières. Quand le démon lui envoie des pensées dangereuses, il ne s’endort pas dans la négligence; il ne s’arrête pas à discuter les mouvements de son cœur, et à prendre des résolutions stériles; mais il s’arme aussitôt d’une sainte haine contre lui-même et contre ses sens. Il supporte avec patience et humilité les tentations qu’il éprouve, et il leur résiste par les veilles et la prière, en fixant vers moi le regard de son intelligence, et en voyant à la lumière de la foi que je suis son protecteur, qui peux, qui sais et qui veux le secourir. Alors je lui ouvre les bras de ma bonté, pour qu’en se fuyant lui-même il se réfugie en moi.

17. S’il lui semble ne pouvoir plus faire l’oraison mentale, à cause de la fatigue et des ténèbres de son âme, il a recours à la prière vocale et à quelque exercice corporel pour ne pas rester en repos; il se tourne vers moi, qui lui accorde tout avec une paternelle tendresse. Son humilité sincère lui persuade qu’il est indigne de la paix et du repos dont jouissent mes autres serviteurs, et qu’il ne mérite que des tourments; il a pour lui tant de mépris et de sainte haine, qu’il lui semble qu’il ne pourra jamais souffrir assez. Cependant il espère toujours en ma providence, et, avec le secours de la foi et de l’obéissance, il traverse tous les orages dans la barque de la vie religieuse, et il recueille laborieusement dans sa cellule des fruits abondants.

18. Celui qui obéit veut être le premier à entrer au chœur, et le dernier à en sortir; quand il voit un religieux plus obéissant et plus zélé que lui, il conçoit une sainte envie de cette vertu, qu’il s’approprie sans vouloir cependant la diminuer dans son prochain; car, s’il le voulait, il se séparerait de la charité qu’il lui doit.

19. L’obéissant prend ses repas au réfectoire; il y est fidèle et se plait à manger comme les pauvres, pour prouver qu’il n’aime pas les exceptions. Il retranche même de sa part, et il observe si parfaitement son vœu de pauvreté, qu’il se reproche ce qu’il accorde aux nécessités de son corps. Au lieu de beaux ornements, sa cellule est pleine des parfums de la pauvreté; il n’a pas à redouter que les voleurs le dépouillent et que les teignes rongent ses vêtements. Si on lui fait quelque présent, il ne songe pas à le conserver, mais il en fait part à ses frères.

20. Il ne s’inquiète pas du lendemain et se contente de ce qui suffit à chaque jour. Son unique pensée est le royaume du ciel et la vraie obéissance, qu’il cherche à observer le mieux qu’il lui est possible; et parce que l’humilité est la voie la plus sûre, il se soumet au petit comme au grand, au riche comme au pauvre. Il se fait l’esclave de chacun, ne refusant aucune fatigue et servant tout le monde avec amour. L’obéissant ne veut point obéir à sa manière et choisir le moment et le lieu; il obéit à sa règle et à son supérieur, et cela sans peine et sans ennui.

21. Son obéissance sincère et parfaite le fait passer par la porte étroite de la vie religieuse sans difficulté, sans violence, parce qu’il observe ses vœux de pauvreté, d’obéissance, de chasteté. Il abaisse l’orgueil en inclinant la tête avec soumission, et humilité; il ne se la brise pas par impatience, mais il est patient avec force et persévérance, ainsi que l’aime l’obéissance. Il repousse les attaques du démon en mortifiant et en macérant sa chair, en la privant de toute délicatesse, de tout plaisir, en lui imposant toutes les fatigues de la règle, en acceptant tout et ne méprisant rien. Semblable à l’enfant qui ne garde aucun ressentiment des corrections de son père et des injures qui lui sont faites il oublie les injures, les peines et les rigueurs qu’il peut éprouver de la part de ses supérieurs, et quand il est appelé, il retourne humblement vers eux, sans passion, sans haine, sans colère, mais avec douceur et bienveillance.

22. Ce sont là ces enfants dont mon Fils parlait à ses disciples lorsqu’ils se disputaient pour savoir qui d’entre eux serait le plus grand, il leur disait: « Laissez venir à moi les petits enfants, c’est à eux qu’est le royaume du ciel” (S. Marc. X, 14). Celui qui ne s’humiliera pas comme le petit enfant, c’est-à-dire qui n’aura pas ses qualités, sa simplicité, celui-là n’entrera pas dans le royaume du ciel.

23. Celui qui s’humiliera, ma fille bien-aimée, sera élevé, et celui qui s’élèvera sera humilié (S. Mt. XXIII, 12); ainsi l’a dit ma Vérité. Oui, les petits, les humbles, qui se seront abaissés, qui se seront soumis à la véritable et sainte obéissance, ceux qui n’ont pas résisté à la règle et à leur supérieur, je les exalterai, moi l’Éternel, le Tout-Puissant. Je les placerai parmi les habitants de la cité bienheureuse, où toutes leurs fatigues auront leur récompense. Et dès cette vie même, je leur donnerai un avant-goût de la vie éternelle.

Traité de l’obéissance – Chapitre CLIV, CLV, CLVI

CLIV.- Ou se trouve l’obéissance, ce qu’elle est, ce qui la fait perdre, et ce qui prouve qu’on la possède.

1. Alors Dieu le Père jeta, dans sa bonté, un regard miséricordieux sur cette âme, et il lui dit: Ma douce et bien-aimée fille, les saints désirs et les demandes justes méritent d’être exaucés. Je suis la Vérité souveraine et je remplirai les promesses que je t’ai faites, en exauçant ta prière. Tu me demandes où tu peux trouver l’obéissance, la cause qui peut te la faire perdre, et à quel signe tu reconnaîtras que tu la possèdes, ou qu’elle te manque.

2. Je te répondrai d’abord que tu trouveras l’obéissance d’une manière parfaite dans mon aimable Verbe, mon Fils unique. Cette vertu a été si ardente en lui, que pour l’accomplir il s’est élancé vers la mort ignominieuse de la Croix. Si tu veux savoir ce qui l’a fait perdre, regarde le premier homme, et tu verras comment il a transgressé le commandement que je lui avais imposé. C’est l’orgueil qui lui a fait perdre l’obéissance, par amour pour lui-même et par complaisance pour sa, compagne. Telle fut la cause qui lui ravit l’obéissance, et qui le fit tomber dans la révolte, perdre la vie de la grâce et l’innocence, trouver la mort, la corruption et la misère, non seulement pour lui, mais pour le genre humain tout entier.

3. Le signe qui prouve qu’on possède la vertu de l’obéissance, c’est la patience. L’impatience, au contraire, montre qu’on en est privé, ainsi que je te l’ai déjà fait clairement comprendre. Mais remarque qu’il y a deux obéissances, une bonne et une autre parfaite. Elle ne sont pas séparées, mais elles sont unies ensemble, ainsi que je te l’ai expliqué en te parlant des préceptes et des conseils, dont les uns sont bons et les autres parfaits.

4. Nul ne peut entrer dans la vie éternelle que par l’obéissance. C’est la clef de l’obéissance qui a ouvert la porte du paradis, fermée par la désobéissance d’Adam. Quand je vis que l’homme, que j’aimais tant, était privé de la fin glorieuse pour laquelle je l’avais créé, et qu’il ne pouvait, jamais revenir à moi par lui-même, je me sentis forcé par mon ineffable bonté de prendre les clefs de la sainte obéissance et de les remettre aux mains de mon Fils bien-aimé, qui, fidèle à mes ordres, ouvrit la porte du ciel; et nul, depuis, ne peut entrer par cette porte, si ce divin portier ne lui ouvre avec la clef de l’obéissance; car il a dit dans l’Évangile que personne ne peut venir à moi que par lui.

5. Mon Fils vous a laissé la douce clef de l’obéissance, lorsque, retournant vers moi avec la palme de la victoire, il est monté au ciel en s’éloignant des hommes. Il a confié cette clef à son Vicaire, au Pape, qu’on peut bien appeler le Christ sur terre auquel vous êtes tous obligés d’obéir jusqu’à la mort. Si quelqu’un se sépare de son obéissance, il est sans aucun doute en état de damnation, à moins qu’il ne change avant de mourir, ainsi que je te l’ai expliqué ailleurs.

6. Je veux maintenant que tu voies cette belle vertu de l’obéissance dans l’Agneau sans tache, et que tu comprennes d’où elle vient en lui. Si tu me demandes d’où procède l’obéissance si prompte de mon Fils, tu sauras qu’elle vient de son amour pour mon honneur et pour votre salut. Et cet amour, d’où vient-il? De la claire vision que son âme avait de l’essence divine et de l’éternelle Trinité. Il me contemplait toujours, et cette vision produisait en lui d’une manière parfaite cette fidélité que la lumière de la foi ne produit qu’imparfaitement en vous. Aussi m’a-t-il été très fidèle, à moi qui suis son Père et il a couru à cette lumière glorieuse dans la voie de l’obéissance, avec toute l’ardeur de l’amour.

7. L’amour n’est jamais seul; il était accompagné de toutes les vertus royales, qui puisent la vie ait foyer de la vraie charité. Mais les vertus étaient bien différentes en lui qu’en vous. Entre toutes, l’amour possède la vertu d’une invincible patience, qui est comme sa moelle, et qui montre clairement si une âme est eu état de grâce, et si elle aime véritablement ou non. La mère des vertus, qui est la charité, a donné la patience pour sœur à l’obéissance, et les a tellement unies, qu’elles ne peuvent jamais vivre l’une sans l’autre.

8. L’obéissance a l’humilité pour nourrice; c’est elle qui l’alimente chaque jour. On est aussi obéissant qu’on est humble, et aussi humble qu’on est obéissant. L’humilité est la nourrice qui aide la charité, et qui nourrit de son lait la vertu de l’obéissance; elle la couvre d’opprobres, elle la revêt du mépris de soi-même, afin de me plaire davantage. Quel en est le plus parfait modèle? C’est mon Fils, le doux Jésus. Qui s’est plus abaissé et méprisé? N’est-ce pas lui, puisqu’il a été abreuvé d’opprobres, de moqueries et d’affronts, puisqu’il a sacrifié sa vie corporelle pour me plaire? Qui a été plus patient? Jamais on n’entendit sortir de sa bouche la plainte ou le murmure; il a reçu avec patience les injures, et il suivit avec amour l’obéissance qui lui avait été imposée par moi son Père.

9. C’est donc en lui que vous trouverez la parfaite obéissance; il vous en a donné la règle en l’accomplissant le premier lui-même. Sa doctrine vous enseigne la voie, puisqu’elle est la voie directe qui conduit à Celui qui est la vie, et qui vous a dit dans l’Évangile qu’il était la voie, la vérité et la vie (S. Jean. XIV, 6). Celui qui marche dans cette voie est dans la lumière, et celui qui marche dans la lumière ne se heurte pas, et n’est heurté par personne sans s’en apercevoir, parce qu’il s’est retiré des ténèbres de l’amour-propre, qui fait tomber dans la désobéissance. Car, comme je te l’ai déjà dit, la compagne de l’obéissance est l’humilité.

10. Je te le répète aussi, c’est de l’orgueil que procède la désobéissance, qui vient de l’amour- propre. La sœur que l’amour-propre donne à la désobéissance est certainement l’impatience. L’orgueil la nourrit, et, au milieu des ténèbres de l’infidélité, il fait courir l’âme dans la voie mauvaise, jusqu’à ce qu’elle trouve la mort éternelle. Il vous faut tous nécessairement lire dans le Livre glorieux où vous trouverez l’obéissance enseignée avec toutes les autres vertus.

CLV.- L’obéissance est la clef qui ouvre le ciel.

1. Après t’avoir montré où se trouve l’obéissance, d’où elle vient, quelle est sa compagne et qui la nourrit, je vais te parler des obéissants et des désobéissants, de l’obéissance générale et de l’obéissance particulière, c’est-à-dire de l’obéissance des préceptes et de celle des conseils.

2. Toute votre foi est fondée sur l’obéissance, et c’est par l’obéissance que vous vous montrez fidèles. Ma Vérité a établi dans la loi les préceptes que vous devez observer; le plus grand est celui de m’aimer par dessus toute chose, et d’aimer le prochain comme vous-mêmes. Et ces préceptes sont tellement unis ensemble, que vous ne pouvez pas en observer un sans observer tous les autres, ou en violer un sans violer tous les autres.

3. Si quelqu’un observe ces deux commandements, il garde les autres, et il est fidèle envers moi et envers son prochain; il m’aime et il persévère dans ma charité, il est obéissant par conséquent et se soumet à tous les préceptes de la loi, et au prochain à cause de moi. Il souffre tout avec patience et humilité, même la peine et l’injure qui lui vient du prochain. Cette obéissance est d’une telle efficacité, qu’elle vous donne la grâce, comme la désobéissance vous a donné la mort.

4. Il ne suffirait pas que l’obéissance se fût trouvée dans mon Verbe incarné pour votre salut, si elle ne se trouvait pas en vous. Car je te l’ai dit, c’est la clef qui ouvre le ciel, et mon Fils l’a remise et confiée aux mains de son Vicaire. Son Vicaire la remet entre les mains de tous ceux qui, ayant reçu le baptême, promettent volontairement de renoncer au démon, au monde et à ses pompes. C’est cette promesse qui donne la clef de l’obéissance, et cette clef de chacun est la même clef que celle du Verbe.

5. Si quelqu’un ne marche pas à la lumière de la foi, et ne cherche pas à ouvrir avec la main de l’amour cette porte de la vie éternelle, il ne pourra jamais entrer avec cette clef, quoique mon Verbe l’ait déjà ouverte. Je vous ai créés sans vous, vous ne me l’avez pas demandé, et je vous ai aimés avant votre naissance; mais je ne peux pas vous sauver sans vous. Il faut donc prendre à la main cette clef de l’obéissance et ne pas vous arrêter, mais marcher dans la voie de la Vérité incarnée, en suivant fidèlement sa doctrine.

6. Oui, vous ne devez pas vous arrêter à des choses finies, en plaçant vos affections comme le font les insensés qui suivent le vieil homme, Adam, qui jeta la clef de l’obéissance dans la fange du péché, la brisa avec le marteau de l’orgueil, et la laissa ronger par la rouille de l’amour-propre. C’est pour cela que mon Fils bien-aimé est venu avec cette clef de l’obéissance; il l’a purifiée dans le feu de la charité divine; il l’a retirée de la fange et l’a parfaitement lavée dans son Sang; il l’a redressée avec l’instrument de la justice, en travaillant vos iniquités sur l’enclume de son Corps sacré; il l’a si bien réparée, que toutes les fois qu’un homme l’a faussée par son libre arbitre, il peut la redresser par son libre arbitre, avec ma grâce et les mêmes instruments.

7. O homme aveugle et malheureux, comment, lorsque tu as brisé cette clef de l’obéissance, négliges-tu de la réparer? Penses-tu que la désobéissance, qui a fermé le ciel au premier homme, te l’ouvrira, et que l’orgueil qui en a été précipité t’y fera monter? Crois-tu entrer aux noces avec un vêtement sale et déchiré? Crois-tu qu’en t’arrêtant et en t’enchaînant toi-même avec les liens du péché, tu pourras marcher et ouvrir cette porte sans clef? Ne te laisse donc pas ainsi abuser par l’imagination. Il faut que tu sois délivré; il faut sortir du péché mortel par la contrition du cœur, par l’humble confession de la bouche et la satisfaction des œuvres, avec le ferme propos de te corriger et de ne plus m’offenser.

8. De cette manière tu mépriseras, tu dépouilleras, tu jetteras par terre le vêtement qui te souille; tu prendras la robe nuptiale pour courir à la lumière de la foi, en portant dans ta main cette clef de l’obéissance qui ouvre la porte. Attache, attache cette clef avec le cordon de l’abjection, du mépris de toi-même et du monde; fixe-la au saint désir de me plaire à moi, ton Créateur. Que ce désir te soit comme une forte ceinture qui t’empêche toujours de la perdre.

9. Apprends, ma fille bien-aimée, que beaucoup prennent la clef de l’obéissance, parce qu’ils ont vu à la lumière de la foi qu’ils ne pouvaient sans elle échapper à la damnation; mais ils la tiennent à la main, sans l’attacher à ce cordon et à cette ceinture dont je te parle. Ils ne se ceignent pas du désir de me plaire, parce qu’ils s’aiment eux-mêmes, et ils n’y pendent pas le cordon de l’abaissement, parce qu’au lieu de souhaiter l’humiliation, ils recherchent plutôt la louange des hommes.

10. Ceux-là sont exposés à perdre la clef de l’obéissance lorsqu’il leur arrive quelque peine, quelque épreuve spirituelle ou corporelle; et s’ils n’y font attention, ils peuvent la perdre pour toujours, en négligeant de retrouver à temps le saint désir; car, pendant qu’ils vivent, ils peuvent s’ils veulent, ressaisir la clef de l’obéissance; mais s’ils ne savent pas vouloir, ils ne la retrouveront jamais. Et qui est-ce qui montrera qu’ils l’ont perdue? L’impatience, parce que la patience est la compagne inséparable de l’obéissance. Dès que quelqu’un n’est pas patient, il est évident que l’obéissance n’habite pas son âme.

11. Oh! combien est douce et glorieuse cette vertu de l’obéissance, par laquelle existent toutes les autres vertus, parce qu’elle est niée de la charité! Sur elle est fondée la pierre de la sainte foi; c’est une reine magnifique; celui qui l’épouse est riche de tous les biens et ne ressent jamais aucun mal. Tous ses jours sont pleins de paix et de repos; les flots d’une mer irritée ne peuvent lui nuire par leurs orages. Le centre de son âme est inaccessible à la haine, même au temps de l’injure, parce qu’il veut obéir et qu’il connaît le précepte du pardon.

12. Il ne sent aucune amertume lorsque ses désirs ne sont pas satisfaits, parce que l’obéissance fait qu’il ne désire réellement que moi, qui peut, qui sait, qui veut satisfaire tous ses désirs. Il s’est dépouillé de toutes joies mondaines, et il trouve en toutes choses une heureuse paix, car il a épousé cette grande reine, l’obéissance, que j’ai comparée à une clef,

13. O douce obéissance, qui navigues sans peine et qui arrives sans péril au port du salut! tu ressembles au Verbe, mon Fils bien-aimé; tu montes la barque de la sainte Croix, tu es prête à tout souffrir plutôt que de manquer à l’obéissance de mon Verbe et de t’éloigner de sa doctrine. Elle est pour toi comme une table sur laquelle tu prends la nourriture des âmes, en te passionnant d’amour pour le prochain. Tu es toute parfumée d’une humilité sincère, et tu ne désires rien de ton prochain en dehors de ma volonté. Tu es droite sans détour, parce que tu rends le cœur simple et charitable sans réserve et sans dissimulation. Tu es comme l’aurore qui annonce la lumière de la grâce divine; tu es comme le soleil qui réchauffe celui qui te possède, parce que l’ardeur de la charité ne t’abandonne jamais. Chaque jour tu fécondes la terre, parce que tu fais produire au corps et à l’âme un fruit qui donne la vie à l’homme et à son prochain.

14. Tu plais à tout le monde, parce que ton visage n’est troublé par aucun orage, mais qu’il est toujours éclairé par la douce lumière de la patience. Ton calme vient de ta force; tu es si grande et si puissante par ta persévérance, que tu vas de la terre jusqu’au ciel, et que tu l’ouvres par son moyen. Tu es une perle précieuse, mais cachée, que beaucoup méconnaissent et que le monde foule aux pieds; mais en te méprisant toi-même et en te faisant petite en toute occasion, tu élèves les créatures qui te possèdent. Ton pouvoir est si grand, que personne ne peut te commander, parce que tu es affranchie de la servitude mortelle de la sensualité, qui détruisait la grandeur. En tuant cet ennemi avec la’ haine et le mépris de toi-même, tu as reconquis toute ta liberté.

CLVI.- De la misère des désobéissants et de l’excellence des obéissants.

1. Ma fille bien-aimée, tout ce que ma bonté a fait, a été fait pour que le Verbe, mon Fils unique, réparât cette clef de l’obéissance. Les hommes du monde, qui n’ont aucune vertu, ne veulent pas s’en servir; ils sont au contraire comme des animaux sans frein, car ils n’ont pas le frein de l’obéissance, et ils vont de mal en pis, de péché en péché, de misère en misère, de ténèbres en ténèbres, de mort en mort, jusqu’à ce qu’ils tombent dans l’abîme de la dernière mort, où le ver de la conscience les ronge éternellement.

2. Ils pourraient bien revenir à l’obéissance et se soumettre aux préceptes de la loi; ils ont encore le temps de pleurer dans leur cœur, mais parce qu’ils ont vieilli dans la désobéissance, il leur est difficile de rompre cette longue habitude du péché. Personne ne doit compter sur des délais, et il est bien dangereux d’attendre le moment de la mort pour ressaisir la clef de l’obéissance. On peut, on doit même espérer en moi pendant toute la vie présente; mais c’est s’exposer beaucoup que de différer sa conversion, et de compter sur un temps qu’on n’a pas, tandis qu’on perd celui que ma grâce accorde.

3. Quelle est la cause de ce malheur et de cet aveuglement, si ce n’est les hommes qui méconnaissent ce trésor? Les nuages de l’amour-propre et de l’orgueil les ont séparés de l’obéissance et fait tomber dans la révolte. Parce qu’ils ne sont plus obéissants, ils ne sont plus patients, et leur impatience leur cause des maux insupportables. Ils sont détournés de la voie de la vérité pour su perdre dans celle de l’erreur et du mensonge; ils deviennent les esclaves et les amis des démons, et s’ils ne se corrigent pas, ils se précipitent par leur désobéissance dans les flammes éternelles, avec les démons dont ils ont reconnu le pouvoir.

4. Ceux, au contraire, qui observent la loi de mon Fils bien-aimé se réjouissent dans leur obéissance, et goûtent d’une manière ineffable mon éternelle Vision, avec l’agneau sans tache qui a fait, gardé et donné la loi. En l’accomplissant pendant la vie présente, ils ont trouvé la paix, et dans la vie bienheureuse ils reçoivent et goûtent une paix plus parfaite encore, parce que là se trouvent une paix sans orage, un bien sans mélange, une confiance sans crainte, des richesses infinies sans défaut, une satiété sans dégoût, une faim sans peine, une lumière sans ténèbres, un bonheur suprême, infini, sans bornes et sans limites, un bonheur que partagent tous les bienheureux.

5. Qui a pu donner à l’homme tant de joie? Le sang de l’Agneau, dont la vertu a dépouillé de la rouille la clef de l’obéissance, avec laquelle vous pouvez ouvrir la porte du ciel. Oui, c’est l’obéissance qui l’a ouverte par la vertu de ce Sang.

6. O malheureux insensés! ne différez donc plus de sortir de la boue de la corruption et du péché. Il semble que vous vous plaisez à vous vautrer dans les ordures de la chair comme le pourceau dans les immondices et la fange. Laissez donc les injustices, la haine, l’homicide, la vengeance, les injures, les murmures, les jugements téméraires, la cruauté envers le prochain, le vol, le mensonge, la trahison et les jouissances déréglées de la fortune; abattez les cornes de l’orgueil. Si vous le faites, vous éteindrez la haine que nourrit votre cœur contre celui qui vous a fait injure.

7. Comparez donc les injures que vous me faites et que vous faites au prochain avec celles qui vous sont faites, et vous verrez que vous n’avez aucun droit de vous plaindre. Quand vous êtes l’ennemi de votre prochain, vous me faites injure, parce que vous méprisez et transgressez mon commandement. Vous offensez aussi votre prochain en vous dépouillant des sentiments de charité à son égard.

8. Il vous est ordonné de m’aimer par dessus toutes choses et d’aimer le prochain comme vous-mêmes; il n’y a pas de commentaire qui ajoute: A moins qu’il ne vous fasse injure. Il a été dit au contraire par ma Vérité, que ce qu’elle a observé parfaitement, vous devez l’observer parfaitement vous-mêmes. Si vous ne l’observez pas, vous faites tort à votre âme en la privant de la grâce.

9. Prenez donc, oui, prenez la clef de l’obéissance à la lumière de la foi. Ne marchez pas dans l’aveuglement et la tiédeur, mais maintenez l’obéissance dans votre cœur avec l’ardeur de la charité, afin qu’un jour, avec les observateurs de la loi, vous goûtiez l’éternelle félicité.