Archives de catégorie : Purgatoire

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 50, 51

Chapitre 50

Avantages – prières des âmes pour nous – Suarez

Nous venons de parler de la reconnaissance des âmes; elles la témoignent parfois d’une manière très visible, comme nous avons vu; mais le plus souvent elles l’exercent invisiblement par leurs prières. Les âmes prient pour nous, non seulement quand après leur délivrance elles sont avec Dieu dans le ciel; mais déjà dans le lieu de leur exil et au milieu de leurs souffrances. Quoiqu’elles ne puissent prier pour elles-mêmes, elles obtiennent par leurs supplications de grandes grâces pour nous. Tel est l’enseignement exprès de deux illustres Théologiens, Bellarmin et Suarez. Il Ces âmes sont saintes, dit Suarez (1), et chères à Dieu; la charité les porte à nous aimer, et elles savent, au moins d’une manière générale, à quels périls nous sommes exposés, quel besoin nous avons du secours divin. Pourquoi et donc ne prieraient-elles pas pour leurs bienfaiteurs? 1)

Pourquoi? Mais, répondra-t-on, parce qu’elles ne les connaissent pas. Dans leur sombre séjour et au milieu de leurs tourments, comment savent-elles quels sont ceux qui les aident par leurs suffrages?

A cette objection on peut répondre d’abord, que les âmes ~entent au moins le soulagement qu’elles reçoivent, et le secours qui leur est donné; cela suffit, lors même, qu’elles ignoreraient d’où il leur vient, pour appeler les bénédictions du ciel sur leurs bienfaiteurs, quels qu’ils soient, et qui sont connus de Dieu.

Mais, de fait, ne savent-elles pas de qui leur vient l’assistance dans leurs peines? Leur ignorance en ce point n’est nullement prouvée, et de fortes raisons insinuent que cette ignorance n’existe pas. Leur ange gardien qui demeure avec elles pour leur donner toutes les consolations en son pouvoir, les priverait-il d’une connaissance si consolante? Ensuite, cette connaissance n’est-elle pas bien, conforme au dogme de la communion des saints? Le commerce qui existe entre nous et l’Église souffrante ne sera-t-il pas d’autant plus parfait qu’il sera réciproque et que les âmes connaîtront mieux leurs bienfaiteurs?

Sainte Brigitte

Cette doctrine se trouve confirmée par une foule de révélations particulières et par la pratique de plusieurs saints personnages. Nous avons dit déjà que sainte Brigitte, dans un de ses ravissements, entendit plusieurs de ces âmes dire à haut~ voix: « Seigneur, Dieu tout-puissant, rendez le centuple à ceux qui nous assistent par leurs prières, et qui vous offrent des bonnes œuvres pour nous faire jouir de la lumière de votre divinité. »

Sainte Catherine de Bologne – Le vénérable Vianney

On lit dans la vie de sainte Catherine dé Bologne (1), qu’elle avait une dévotion pleine de tendresse pour les âmes du purgatoire; qu’elle priait pour elles souvent et avec beaucoup de ferveur; qu’elle se recommandait à elles avec grande confiance dans ses besoins spirituels, et qu’elle engageait les autres à le faire, en leur disant: « Quand je veux obtenir quelque grâce de notre Père du ciel, j’ai recours aux âmes qui sont détenues dans le purgatoire: je les supplie de présenter à la divine majesté ma requête en leur nom, et je sens que je suis exaucée par leur entremise. » – Un saint prêtre de notre temps, dont la cause de béatification est commencée à Rome, le vénérable Vianney, curé d’Ars, disait à un ecclésiastique qui le consultait: « Oh! si l’on savait combien grande est la puissance des bonnes âmes du purgatoire sur le cœur de Dieu, et si l’on connaissait bien toutes les grâces que nous pouvons obtenir par leur intercession, elles ne seraient pas tant oubliées. Il faut bien prier pour elles, afin qu’elles prient bien pour nous. »

Cette dernière parole du vénérable Vianney indique la vraie manière de recourir aux âmes du purgatoire: il faut les aider pour obtenir en retour leurs prières et les effets de leur reconnaissance: n faut bien prier pour elles, afin qu’elles prient bien pour nous. Il ne s’agit donc pas de les invoquer comme on invoque les Saints du paradis; tel n’est pas l’esprit de l’Église, qui avant tout, prie pour les défunts et les aide par ses suffrages. Mais il n’est nulle- ment contraire à l’esprit de l’Église, ni à la piété chrétienne de procurer des secours aux âmes dans l’intention d’obtenir en retour par leurs prières les faveurs qu’on désire. Ainsi c’est chose louable et pieuse d’offrir une messe pour les défunts quand on a besoin d’une grâce particulière.

Si la prière des âmes est si puissante quand elles sont encore dans les souffrances, on conçoit aisément qu’elle le sera bien davantage,’ quand, entièrement purifiées, elles seront devant le trône de Dieu.

Chapitre 51

Avantages – Reconnaissance du divin Époux des âmes

Si les âmes sont reconnaissantes envers leurs bienfaiteurs, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui aime ces âmes, qui reçoit comme fait à lui-même tout le bien qu’on leur procure, ne rendra pas un moindre retour, souvent dès cette vie, et toujours en l’autre. Il récompense ceux qui font miséricorde, et il punit ceux qui oublient de la faire aux âmes souffrantes.

La venérable Archangèle Panigarola et son père Gothard

Voyons d’abord un exemple de châtiment. La vénérable Archangèle Panigarola, religieuse Dominicaine, prieure du monastère de Sainte-Marthe, à Milan, avait un zèle extraordinaire pour le soulagement des âmes du purgatoire. Elle priait et faisait prier pour toutes ses connaissances, et même pour les inconnus, dont la mort lui était annoncée. Son père Gothard, qu’elle aimait tendrement, était un de ces chrétiens du monde qui ne s’occupent guère de prier pour les défunts. Il vint à mourir, et Archangèle désolée, comprenant qu’elle devait à ce cher défunt moins de larmes que de prières, forma la résolution de le recommander à Dieu par des suffrages tout particuliers. Mais, chose étonnante cette résolution n’eut presque aucun effet: cette fille si pieuse et si dévouée à son père, fit peu de chose pour son âme: Dieu permettait que, malgré ses saintes résolutions, elle la perdit constamment de vue pour s’occuper des autres. Enfin un événement inattendu vint lui donner l’explication de cet oubli étrange et exciter sa dévotion en faveur de son père.

Le jour de la Fête des morts, elle s’était renfermée dans sa cellule, s’occupant uniquement d’exercices de piété et de pénitence pour les âmes. Tout d’un coup son ange gardien lui apparaît, la prend par la main et la conduit en esprit en purgatoire. Là parmi les âmes qu’elle aperçut, elle reconnut celle de son père, plongée dans un étang d’eau glacée. A peine Gothard a-t-il vu sa fille, que, se soulevant vers elle, il lui reproche en gémissant de l’abandonner dans ses souffrances, tandis qu’elle a tarît de charité pour les autres, tandis qu’elle ne cesse de soulager et de délivrer des âmes qui lui sont étrangères.

Archangèle demeura interdite à ces reproches qu’elle reconnaissait mériter; bientôt répandant un torrent de larmes, elle répondit avec des sanglots: Je ferai, ô mon bien-aimé père, tout ce que vous me demandez: plaise au Seigneur que mes supplications vous délivrent au plus tôt. » – Cependant elle ne pouvait revenir de son étonnement, ni comprendre comment elle eut ainsi oublié un père bien-aimé. Son ange l’ayant ramenée, lui dit que cet oubli avait été l’effet d’une disposition de la justice divine. « Dieu l’a permis, dit-il, en punition du peu de zèle que votre père a eu durant sa vie pour Dieu, pour son âme et pour celles de son prochain. Vous l’avez vu tourmenté et transi d’un froid insupportable dans un lac de glace: c’est le châtiment de sa tiédeur au service de Dieu et de son indifférence à l’égard du salut des âmes. Votre père n’avait pas de mauvaises mœurs, il est vrai; mais il ne montrait aucun empressement pour le bien, pour les œuvres pieuses et charitables auxquelles l’Église exhorte les fidèles. Voilà pourquoi Dieu a permis qu’il fût oublié, même de vous, qui auriez trop diminué ses peines. La divine justice inflige d’ordinaire ce châtiment à ceux qui manquent de ferveur et de charité: il permet qu’on se conduise à leur égard, comme ils se sont conduits envers Dieu et envers leurs frères. » – C’est au reste, la règle de justice que le Sauveur établit dans l’Évangile: On se servira envers vous de la mesure dont vous vous serez servis (Matth. Vil, 2. Rossign. Merv. 22).

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 48, 49

Chapitre 48

Avantages. – Faveurs temporelles. – La femme napolitaine et le billet mystérieux.

Pour montrer que les âmes du purgatoire témoignent leur reconnaissance même par des bienfaits temporels, le P. Rossignoli rapporte un fait arrivé à Naples, qui a quelque analogie avec celui qu’on vient de lire.

S’il n’est pas donné à tous d’offrir à Dieu la riche aumône de Judas Machabée, qui envoya à Jérusalem douze mille drachmes d’argent pour les sacrifices et les prières en faveur des morts; il en est bien peu qui ne puissent faire au moins le don de la pauvre veuve de l’Évangile, louée par le Sauveur lui-même. Elle ne donnait que deux oboles, mais, disait Jésus, ces deux oboles valaient plus que tout l’or des riches, parce que dans son indigence, elle avait donné ce qui lui était nécessaire pour vivre (1). Ce touchant exemple fut suivi par une humble femme napolitaine, qui avait le plus grand mal à subvenir aux besoins de sa famille. – Les ressources de la maison se bornaient au salaire journalier du mari, qui apportait tous les soirs le fruit de ses sueurs.

Hélas! un jour vint où ce pauvre père fut jeté en prison pour dettes, en sorte que toute la subsistance de la famille resta à la charge de la malheureuse mère, qui n’avait plus guère que sa confiance en Dieu. Elle conjurait avec foi la divine Providence de lui venir en aide, et surtout de délivrer son mari, qui gémissait sous les verrous sans autre crime que son indigence.

Elle alla trouver un seigneur riche et bienfaisant, lui exposa sa triste situation et le supplia avec larmes de la secourir! Dieu permit qu’elle n’en reçût qu’une légère aumône, un carlin, pièce du pays qui vaut un peu moins de cinquante centimes. Désolée, elle entre dans une église pour supplier le Dieu des indigents de la protéger dans sa détresse, puisqu’elle n’a plus d’appui sur la terre. Elle était plongée dans sa prière et dans ses larmes, lorsque, par une inspiration -5ans doute de son bon ange, il lui vient à la pensée d’intéresser à sa situation les âmes du purgatoire, dont elle a entendu raconter les douleurs et la reconnaissance envers ceux qui les assistent. Pleine de confiance, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande qu’on lui fasse la charité d’une messe des morts. Un bon prêtre qui était là s’empresse de la satisfaire, et monte à l’autel, pendant que prosternée sur le pavé, la pauvre femme assiste au sacrifice et offre ses prières pour les défunts.

Elle s’en retournait toute consolée, comme si elle eût eu l’assurance que Dieu avait exaucé sa prière. En parcourant les rues populeuses de Naples, elle se voit abordée par un vénérable vieillard, qui lui demande d’où elle vient et où elle va. L’infortunée lui explique sa détresse et l’usage qu’elle a fait de la modique aumône qu’on lui a donnée. Le vieillard se montre fort touché de sa misère, lui adresse des paroles d’encouragement, et lui remet un billet fermé avec ordre de le porter de sa part à un gentilhomme qu’il lui désigne; après quoi il s’éloigne.

La femme n’a rien de plus empressé que de porter le billet au gentilhomme désigné. Celui-ci, ouvrant le papier fut tout saisi et sur le point de s’évanouir: il a reconnu l’écriture de son père, mort depuis quelque temps. – Et d’où vous vient cette lettre? s’écrie-t-il hors de lui.

– Monsieur, répond la bonne femme, c’est un charitable vieillard qui m’a abordée dans la rue. Je lui ai » exposé ma détresse et il m’a dit de venir vous trouver de sa part pour vous remettre ce billet; après quoi il s’est éloigné. Quant aux traits de son visage, ils ressemblaient beaucoup à ceux du tableau que vous avez là au-dessus de la porte. »

De plus en plus frappé de ces circonstances, le gentilhomme reprend le billet et lit tout haut: « Mon fils, votre père vient de quitter le purgatoire, grâce à une messe que la porteuse de cet écrit a fait célébrer ce matin. »

Elle est dans une grande nécessité, et je vous la recommande. »’ – Il lit et relit ces lignes tracées par une main si chère, par un père qui est désormais du nombre des élus. Des larmes de bonheur inondent son visage; et se tournant vers la femme: « Pauvre mère; lui dit-il, vous, avez avec une faible aumône assuré la félicité éternelle de celui qui m’a donné la vie. Je veux à mon tour assurer votre félicité temporelle. Je me charge de tous vos besoins de vous et de votre famille. »

Quelle joie pour ce gentilhomme, quelle joie pour cette femme! Il serait difficile de dire de quel côté fut le plus grand bonheur. Ce qui est plus important et plus facile, c’est de voir l’enseignement qui se dégage de cette histoire: elle nous apprend que la moindre charité envers les membres de l’Église souffrante est précieuse devant Dieu, et nous attire des miracles de miséricorde.

Chapitre 49

Avantages – Faveurs; temporelles et spirituelles – Christophe Sandoval à Louvain – L’avocat renonçant au monde

Citons encore un fait, d’autant plus digne de figurer ici qu’un grand Pape, Clément VIII, y vit le doigt de Dieu et recommanda de le publier pour l’édification de l’Église. ‘

Plusieurs auteurs, dit le P. Rossignoli (Ver. 43.), ont rapporté le merveilleux secours que reçut des âmes du purgatoire Christophe Sandoval, archevêque de Séville. N’étant encore qu’un enfant, il avait l’habitude de distribuer en aumône pour les âmes une partie de l’argent qu’on lui donnait pour ses menus plaisirs. Sa piété ne fit que croître avec les années: il donnait en vue des âmes tout ce dont il pouvait disposer, jusqu’à se river de mille choses qui lui eussent été utiles ou nécessaires. Lorsqu’il suivait les cours de l’Université de Louvain, il arriva que les lettres qu’il attendait d’Espagne, restèrent en retard, et par suite il se trouva dépourvu d’argent, au point de ne plus avoir de quoi se nourrir. En ce moment un pauvre lui demanda l’aumône au nom des âmes du purgatoire: et, ce qui ne lui était jamais arrivé, il eut la douleur de la devoir refuser.

Désolé de cet incident, il entra dans une église: Si je ne puis pas donner d’aumône, se disait-il, pour mes pauvres âmes, je veux du moins les aider en priant pour elles. »

A peine avait-il fini sa prière, qu’au sortir de l’église il fut abordé par un beau jeune homme, en habit de voyageur, qui le salua avec une bienveillance respectueuse.

Christophe éprouva un sentiment de religieuse frayeur, comme s’il eût été en présence d’un esprit sous forme humaine. Mais il fut bientôt rassuré par son aimable interlocuteur, qui lui parla avec.la plus grande politesse du marquis de Dania, son père, de ses parents, de Ses amis, absolument comme un espagnol, qui arrivait à l’heure même de la Péninsule. II finit par le prier de venir avec lui à l’hôtel, où ils pourraient dîner ensemble et s’entretenir plus à l’aise.

Sandoval, qui n’avait pas mangé de la journée, accepta volontiers cette offre gracieuse. Ils se mirent donc à table et continuèrent à s’entretenir très amicalement ensemble.

Après le repas, l’étranger remit à Sandoval une certaine somme, qu’il lui pria d’accepter pour en faire tel usage qu’il lui plairait, ajoutant qu’il se la ferait rendre, quand il voudrait par le marquis son père, en Espagne. Puis, prétextant quelque affaire, il se retira et Christophe ne le revit jamais. Malgré toutes ses informations au sujet de cet inconnu, il ne parvint à aucun éclaircissement: per- sonne, ni à Louvain ni en Espagne, ne l’avait vu, personne ne connaissait un jeune homme semblable. Quant à l’argent, c’était exactement la somme dont le pieux Christophe avait besoin pour attendre ses lettres en retard; et jamais cet argent ne fut réclamé auprès de sa famille.

II demeura donc persuadé que le ciel avait fait un miracle en sa faveur, et avait envoyé à son secours quelqu’une des âmes qu’il avait lui-même secourues par ses prières et ses aumônes. Il fut confirmé dans ce sentiment par le Pape Clément VIII, auquel il raconta l’histoire, quand il se rendit à Rome pour recevoir ses bulles d’Évêque.

Ce Pontife frappé des circonstances particulières de cet événement, l’engagea à le faire connaître pour l’édification des fidèles; il y voyait une faveur du ciel, qui montre combien la charité envers les défunts est précieuse aux yeux de Dieu.

Telle est la reconnaissance des âmes saintes sorties de ce monde, qu’elles la témoignent même pour des services qu’on leur a rendus pendant qu’ils étaient encore en vie. Il est rapporté dans les Annales des Frères Prêcheurs (Malvenda, an. 1241), que parmi ceux qui vinrent demander l’habit de S. Dominique en 1241, se trouvait un avocat, qui avait quitté sa profession, par suite de circonstances extraordinaires. Il avait été lié d’amitié avec un jeune homme fort pieux, qu’il assista charitablement dans la maladie dont il mourut. Après la mort de son ami, il n’oublia pas de faire pour son âme quelques prières, bien qu’il n’eût pas grande piété. Ce fut assez pour que le défunt lui procurât le plus grand des bienfaits, celui de la conversion et de la vocation religieuse.

Environ trente jours après sa mort, il apparut à l’avocat et le supplia de le secourir parce qu’il était en purgatoire. Vos peines sont-elles rigoureuses? 1 lui demanda son ami. – Hélas! répondit-il, si toute la terre avec ses forêts et ses montagnes était en feu, ce ne serait pas un brasier comme celui où je me trouve plongé. » –

L’avocat fut saisi d’effroi, sa foi se ranima, et songeant à sa propre âme: En quel état, demanda-t-il, me trouvé- je moi-même aux yeux de Dieu? – En mauvais état, répondit le défunt, et dans une profession dangereuse.

 – Qu’ai-je à faire? Quel conseil me donnez-vous? – Quittez le monde pervers où vous êtes engagé, et ne vous occupez que du salut de votre âme. » – L’avocat suivit ce conseil, donna tous ses biens aux pauvres et prit l’habit de S. Dominique.

Voici comment un saint religieux de la Compagnie de Jésus, sut reconnaître après sa mort, les services du médecin Verdiano qui l’avait traité dans sa dernière maladie. Le frère coadjuteur François La qui était mort au collège de Naples en 1098. C’était un homme de Dieu, plein de charité, de patience et d’une tendre dévotion envers la Sainte Vierge. Quelque temps après sa mort, le docteur Verdiano, entra d’assez bon matin dans l’église du collège pour entendre la messe avant de commencer ses visites. C’était le jour où’ l’on célébrait les obsèques du roi Philippe il, décédé quatre mois auparavant. Au moment où, sortant de l’église, il prenait de l’eau bénite, un religieux se présente à lui et demande pourquoi on avait dressé le catafalque et quel service on allait célébrer? – C’est celui du roi Philippe il, répondit-il.

Le frère Lacci et le médecin Verdiano

En même temps Verdiano, étonné qu’un religieux fit cette question à un étranger, et ne distinguant point dans cet endroit peu éclairé les traits de son interlocuteur, demanda qui il était? – « Je suis, répondit-il, le frère François Lacci, à qui vous avez donné vos soins durant ma maladie. » – Le docteur le regarde attentivement et reconnait parfaitement les traits de Lacci. Stupéfait et saisi: « Mais, lui dit-il, vous êtes mort de cette maladie!

Vous souffrez donc au purgatoire et vous venez demander des suffrages. – Béni soit le Seigneur, je n’ai plus ni douleur ni tristesse; je n’ai plus besoin de suffrages:

Je suis dans les joies du paradis. -Et le roi Philippe Il, est-il aussi déjà au ciel? – Oui il y est; mais placé au-dessous de moi, autant, qu’il était élevé au-dessus de moi sur la terre. Pour vous, docteur, ajouta Lacci, où comptez-vous aller faire votre première visite aujourd’hui? Verdiano lui ayant répondu qu’il allait de ce pas chez le patricien di Maio, fort malade alors, Lacci l’avertit de prendre garde à un grave danger qui le menaçait à la porte de cette maison. En effet, le médecin trouva en cet endroit une grande pierre placée de façon, qu’en la heurtant il eût pu faire une chute mortelle (Schinosi, Istoria della C. D. J. Napoli.).

– Cette circonstance matérielle semble avoir été ménagée par la Providence, pour prouver à Verdiano qu’il n’avait pas été le jouet d’une illusion.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 46, 47

Chapitre 46

Avantages – Reconnaissance des âmes – Retour d’un prêtre émigré – Faveurs temporelles

Pour bien comprendre la reconnaissance des âmes, nous devrions avoir une notion plus claire du bienfait qu’elles reçoivent de leurs libérateurs: nous devrions savoir ce que c’est que l’entrée dans le ciel. Qui nous dira, dit l’abbé Louvet, les joies de cette heure bénie! Représentez-vous le bonheur d’un exilé qui rentre enfin dans la patrie. Pendant les jours de la terreur, un pauvre prêtre de la Vendée avait fait partie des célèbres noyades de Carrier. Échappé par miracle à la mort, il avait dû émigrer pour sauver ses jours. Quand la paix fut rendue à l’Église et à la France, il s’empressa de rentrer dans sa chère paroisse.

Ce jour-là, le village s’était mis en fête, tous les paroissiens étaient venus au-devant de leur pasteur et de leur père; les cloches sonnaient joyeusement dans le vieux clocher, et l’église s’était parée comme au jour des grandes solennités. Le vieillard s’avançait souriant au milieu de ses enfants; mais quand les portes du saint lieu s’ouvrirent devant lui, quand il revit cet autel qui avait réjoui si longtemps les jours de sa jeunesse, son cœur se brisa dans sa poitrine trop faible pour supporter une telle joie.

Il entonna d’une voix tremblante le Te Deum, mais c’était le Nunc dimittis de sa vie sacerdotale: il tomba mourant, au pied même de l’autel. L’exilé n’avait pas eu la force de supporter les joies du retour.

Si telles sont les joies du retour de l’exil dans la patrie terrestre, qui nous dira celles de l’entrée au ciel, la vraie patrie de nos âmes! Et comment s’étonner de la reconnaissance des bienheureux que nous y avons introduits ?

Le Père Munford et l’imprimeur Guill. Freyssen

Le Père Jacques Munford, de la Compagnie de Jésus, né en Angleterre en 1605, et qui combattit pendant quarante ans pour la cause de l’Église, dans ce pays livré à l’hérésie, avait composé sur le purgatoire un ouvrage remarquable (De la charité envers les défunts. Ce livre a été traduit en français par le P. Marcel Bouix), qu’il fit imprimer à Cologne par Guillaume Freyssen, éditeur catholique et bien connu. Ce livre se répandit beaucoup, fit un grand bien dans les âmes, et l’éditeur Freyssen fut un de ceux qui en tira les plus grands avantages. Voici ce qu’il écrivit au Père Munford en 1649.

Je Vous écris, mon Père, pour vous faire part de la double et miraculeuse guérison de mon fils et de ma femme. Pendant les jours de fête où mon magasin était fermé, je me mis à lire le livre dont vous m’avez confié l’impression: De la miséricorde à exercer envers les âmes du purgatoire. J’étais tout pénétré encore de cette lecture, quand on vint m’avertir que mon jeune fils, âgé de quatre ans, éprouvait les premiers symptômes d’une grave maladie. Le mal empira promptement, les médecins désespéraient, et déjà on songeait aux préparatifs de l’enterrement La pensée me vint alors que je pourrais peut-être le sauver en faisant un vœu en faveur des âmes du purgatoire. »

Je me rendis donc à l’église de grand matin, et je suppliai avec ferveur le Bon Dieu d’avoir pitié de moi, m’engageant par vœu à distribuer gratuitement cent exemplaires de votre livre aux ecclésiastiques et aux religieux, afin de leur rappeler avec quel zèle ils doivent s’intéresser aux membres de l’Église souffrante, et quelles sont les meilleures pratiques pour s’acquitter de ce devoir.

J’étais, je l’avoue, plein d’espoir. De retour à la maison, je trouvai l’enfant en meilleur état. Il demandait déjà de la nourriture, bien que, depuis plusieurs jours, il n’eût pu avaler une seule goutte de liquide. Le lendemain, sa guérison était complète: il se leva, sortit en promenade et mangea d’aussi bon appétit que s’il n’avait jamais été malade. -Pénétré de reconnaissance, je n’eus rien de plus pressé que d’accomplir ma promesse: je me rendis au collège de.la Compagnie, et je priais vos Pères d’accepter mes cent exemplaires: d’en garder pour eux ce qu’ils en voudraient, et de distribuer les autres aux communautés et aux ecclésiastiques de leur connaissance; afin que les âmes souffrantes, mes bienfaitrices, fussent soulagées par de nouveaux suffrages.

Trois semaines après, un autre accident non moins grave, m’arriva. Ma femme, en rentrant chez elle, fut prise tout à coup d’un tremblement dans tous ses membres, tellement violent, qu’il la jetait à terre et lui ôtait tout sentiment.

Elle perdit bientôt l’appétit et jusqu’à l’usage de la parole. Vainement on employa tous les remèdes, le mal ne faisait que s’aggraver et tout espoir sembla perdu. Son confesseur, la voyant en cet état, m’adressait des paroles de consolation, et déjà m’exhortait paternellement à me résigner à la volonté de Dieu. – Pour moi, après l’expérience que j’avais faite de la protection des bonnes âmes, du purgatoire, je me refusais à désespérer. Je retournai donc à la même église; prosterné devant l’autel du Saint- Sacrement, je renouvelai mes supplications avec toute l’ardeur dont j’étais capable: « 0 mon Dieu, m’écriai-je, votre miséricorde est sans mesure. Au nom de cette bonté infinie, ne permettez pas que la guérison de mon fils soit payée par la mort de ma femme! » – Je fis vœu alors de distribuer deux cents exemplaires de votre livre, afin d’obtenir pour les âmes souffrantes de nombreux secours. En même temps je suppliai les âmes qui avaient été délivrées précédemment d’unir leurs prières à celles des autres, encore retenues en purgatoire.

Après cette prière, je m’en retournais à la maison, quand je vis accourir mes serviteurs au-devant de moi. Ils venaient m’annoncer que ma chère malade éprouvait un soulagement notable: le délire avait cessé, la parole était revenue. Je courus m’en assurer; tout était vrai. Je lui offre des aliments, elle les prend avec appétit Très- peu de temps après, elle était si complètement remise, qu’elle vint à l’église avec moi, remercier le Dieu de toute miséricorde.

Votre Révérence peut ajouter une foi entière à ce récit. Je la prie de m’aider à remercier Notre-Seigneur de ce double miracle. – Freyssen. (Voir Rossignoli Merv.16)

Chapitre 47

Avantages – Faveurs temporelles –  L’abbé Postel et la servante de Paris.

Le trait suivant est rapporté par l’abbé Postel, traducteur du P.Rossignoli. Il le dit arrivé à Paris vers 1827, et l’a inséré dans les Merveilles du purgatoire, sous le numéro 51.

Une pauvre servante, élevée chrétiennement dans son village, avait adopté la sainte pratique de faire dire chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes souffrantes. Amenée avec ses maîtres dans la capitale, elle n’y manqua pas une seule fois, se faisant d’ailleurs une loi d’assister elle-même au divin sacrifice, et d’unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l’âme dont l’expiation avait plus besoin que de peu de chose pour être achevée. C’était sa demande ordinaire.

Dieu l’éprouva bientôt par une longue maladie, qui non seulement la fit cruellement souffrir, mais lui fit perdre sa place et épuiser ses dernières ressources. Le jour où elle put sortir de l’hospice, il ne lui restait que vingt sous pour tout argent. Après avoir fait au ciel une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d’une condition. On lui avait parlé d’un bureau de placement à l’autre extrémité de la ville, et elle s’y rendait, lorsque l’église de Saint-Eustache se trouvant sur sa route, elle y’ entra. La vue d’un prêtre à l’autel lui rappela qu’elle avait manqué, ce mois à sa messe ordinaire des défunts, et que ce jour était précisément celui, où depuis bien des années elle s’était procuré cette consolation. Mais comment faire? Si elle se dessaisissait de son dernier franc, il ne lui resterait pas même de quoi apaiser sa faim. Ce fut un combat entre sa dévotion et la prudence humaine. La dévotion l’emporta. « Après tout, se dit-elle, le Bon Dieu voit que c’est pour lui, et il ne saurait m’abandonner! »

 – Elle entre à la sacristie, remet son offrande pour une messe, puis assiste à cette messe avec sa ferveur accoutumée.

Elle continuait sa route, quelques instants après, pleine d’une inquiétude que l’on comprend. Dénuée de tout absolument, que faire si un emploi lui manque? Elle était dans ces pensées, lorsqu’un jeune homme pâle, d’une taille élancée, d’un maintien distingué, s’approche d’elle et lui dit: « Vous cherchez une place? – Oui, monsieur – Eh bien, allez à telle rue, tel numéro, chez Madame…je crois que vous lui conviendrez, et que vous serez bien là. » – Ayant dit ces mots, il disparut dans la foule des passants, sans attendre les remerciements que la pauvre fille lui adressait.

Elle se fait indiquer la rue, reconnaît le numéro et monte à l’appartement. Une domestique en sortait, tenant un paquet sous le bras, et murmurant des paroles de plainte et de colère. – IX Madame y est-elle? demanda la nouvelle venue. – « Peut-être oui, peut-être non » répond l’autre; que m’importe? Madame ouvrira elle- même, si cela lui convient: je n’ai plus à m’en mêler.

« Adieu.» Et elle descend. Notre pauvre fille sonne en tremblant, et une voix douce lui dit d’entrer. Elle se trouve en face d’une Dame âgée, d’un aspect vénérable, qui l’encourage à exposer sa demande. – « Madame, dit la servante, j’ai appris ce matin que vous aviez besoin d’une femme de chambre, et je viens m’offrir à vous, on m’a assuré que vous m’accueilleriez avec bonté. – Mais, ma chère enfant, ce que vous dites là est fort extraordinaire. Ce matin je n’avais besoin de personne; depuis une demi-heure seulement j’ai chassé une insolente domestique, et il n’est pas une âme au monde, hors elle et moi, qui le sache encore. Qui donc vous envoie? – C’est un monsieur, Madame, un jeune monsieur que j’ai rencontré dans la rue, qui m’a arrêtée pour cela, et j’en ai béni Dieu car il faut absolument que je sois placée aujourd’hui: il ne me reste pas un sou.»

La vieille Dame ne pouvait comprendre quel était ce personnage et se perdait en conjectures, lorsque la servante, levant les yeux au-dessus d’un meuble du petit salon, aperçut un portrait. « Tenez, Madame, dit-elle aussitôt, ne cherchez pas plus longtemps: voilà exactement la figure du jeune homme qui m’a parlé: c’est de sa part que je viens. »

A ces mots, la Dame pousse un grand cri et semble prête à perdre connaissance: Elle se fait redire toute cette histoire, celle de la dévotion aulx âmes du purgatoire, de la messe du matin, de la rencontre de l’étranger; puis se jetant au cou de la pauvre fille, elle l’embrasse avec effusion, et lui dit: « Vous ne serez point ma servante, vous êtes dès ce moment ma fille! C’est mon fils, mon fils unique que vous avez vu: mon fils mort depuis deux ans, qui vous a dû sa délivrance, je n’en puis douter, et à qui Dieu a permis de vous envoyer ici. Soyez donc bénie, et prions désormais ensemble pour tous ceux qui souffrent avant d’entrer dans la bienheureuse éternité. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 44, 45

Chapitre 44

Motifs, stimulants de la dévotion envers les défunts – Avantages personnels – Pensée salutaire

Nous venons de voir combien la charité envers les défunts est sainte et méritoire devant Dieu: Sancta cogitatio. Il nous reste à considérer combien elle est en même temps salutaire pour nous-mêmes: Salubris cogitatio. Si l’excellence de l’œuvre en elle-même est un si puissant motif pour nous y appliquer, les avantages précieux que nous y trouvons ne sont pas un moindre stimulant. Ils consistent d’une part dans les grâces, que nous recevons en retour de notre bienfaisance; de l’autre, dans la ferveur chrétienne, que cette bonne œuvre nous inspire.

Bienheureux, dit le Sauveur, ceux qui sont miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde (Matth. V, 7). – Heureux l’homme, dit l’Esprit-Saint, qui se souvient de l’indigent et du pauvre, le Seigneur le délivrera au jour mauvais (Ps. 40). -En vérité je vous le dis, toutes les fois que vous avez exercé la miséricorde envers le moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Matth. XXV, 40). -Que le Seigneur vous soit miséricordieux, comme vous l’avez été envers ceux qui sont morts (Ruth. 1, 8). Ces diverses paroles s’entendent, dans leur sens le plus élevé, de la charité envers les défunts.

Saint Jean de Dieu – Faites l’aumône pour l’amour de vous-mêmes

Tout ce qu’on offre à Dieu par charité pour les morts, dit S. Ambroise dans son livre des Offices, se change en mérite pour nous, et nous le retrouvons au centuple après la mort: Omne quod defunctis impenditur, in nostrum tandem meritum commutatur, et illud post mortem centuplum recipimus duplicatum. On peut dire que le sentiment de l’Église, de ses Docteurs et de ses Saints peut s’exprimer par cette seule parole: Ce que vous faites pour les défunts, vous le faites de la manière la plus excellente pour vous-même. La raison en est, que cette œuvre de miséricorde vous sera rendue au centuple, au jour où vous-même serez dans la détresse. On peut appliquer ici la célèbre parole de S. Jean de Dieu, lorsqu’il demandait aux habitants de Grenade de donner l’aumône pour l’amour d’eux-mêmes. Ce charitable saint, pour subvenir aux besoins des malades qu’il entretenait dans son hôpital, parcourait les rues de Grenade, en criant: Faites l’aumône, mes frères, faites l’aumône pour l’amour de vous-mêmes. On s’étonnait de cette nouvelle formule, parce qu’on était accoutumé à entendre dire: l’aumône pour l’amour de Dieu; pourquoi disait-on au Saint, demandez-vous l’aumône pour l’amour de nous-mêmes ? – «Parce que, répondait-il, c’est le grand moyen de racheter vos péchés, selon cette parole du Prophète: Rachetez vos péchés par l’aumône, et vos iniquités par la miséricorde envers les pauvres (Daniel IV, 24). En faisant l’aumône vous agissez dans votre propre intérêt, puisque par elle vous vous soustrayez aux plus terribles châtiments que vos péchés ont mérités.» – Ne faut-il pas convenir que tout ceci est vrai pour l’aumône que nous faisons aux pauvres âmes du purgatoire ? Les aider, c’est nous préserver nous-mêmes de ces terribles expiations, auxquelles autrement nous ne pourrons échapper. Nous pouvons donc crier avec S. Jean de Dieu, Faites leur l’aumône de vos suffrages, secourez-les pour l’amour de vous-mêmes.

Sainte Brigitte

La bienfaisance envers les morts, avons-nous dit, est payée de retour, elle est récompensée par toutes sortes de grâces, dont la source est la reconnaissance des âmes, et celle de Jésus-Christ, qui regarde comme fait à lui-même tout le bien que nous faisons aux âmes.  Sainte Brigitte atteste dans ses révélations, et son témoignage est cité par Benoît XIII (Serm. 4. n. 12), que du fond des cavernes enflammées du purgatoire, elle entendit une voix, prononçant ces paroles: «Qu’il soit béni, qu’il soit récompensé, quiconque nous soulage dans ces peines !» Et une autre fois: «O Seigneur Dieu, déployez votre toute-puissance pour récompenser au centuple ceux qui nous viennent en aide par leurs suffrages, et qui font luire à nos yeux un rayon de vos divines clartés. » – dans une autre vision la même Sainte entendit la voix d’un ange disant: «Béni soit sur la terre quiconque par des prières et des bonnes œuvres vient en aide aux pauvres âmes souffrantes !»

Le Bienheureux Pierre Lefèvre

Le bienheureux Pierre Lefèvre de la Compagnie de Jésus, si connu par sa piété envers les saints anges, avait aussi une singulière dévotion pour les âmes du purgatoire. – « Ces âmes, disait-il, ont des entrailles de charité, toujours « ouvertes sur ceux qui marchent encore dans les sentiers si dangereux de la vie; « elles sont pleines de reconnaissance pour ceux qui les assistent. Elles peuvent « nous aider par leurs prières et offrir à Dieu leurs tourments en notre faveur. C’est chose excellente d’invoquer les âmes du purgatoire, pour obtenir par elles du Seigneur « une vraie connaissance et un sentiment profond de contrition de ses péchés, la « ferveur dans les bonnes œuvres, le soin de porter de dignes fruits de pénitence, « et en général toutes les vertus, dont l’absence leur a fait infliger un si terrible « châtiment (Mémorial du Bienheureux Lefèvre. Voir Messager du Sacré-Cœur, novembre 1873). »

Chapitre 45

Avantages de la dévotion envers les âmes – Reconnaissance de leur part

La reconnaissance des âmes est-elle d’ailleurs bien difficile à comprendre ? Si vous aviez délivré un captif du plus dur esclavage, ne serait-il pas reconnaissant d’un tel bienfait ? Lorsque l’empereur Charles-Quint s’empara de la ville de Tunis, il remit en liberté vingt mille esclaves chrétiens, réduits avant sa victoire à la plus affreuse condition. Pénétrés de reconnaissance pour leur bienfaiteur, ils l’entouraient en le bénissant, en chantant ses louanges. Si vous rendiez la santé à un malade désespéré, la fortune à un malheureux tombé dans l’indigence, ne recueilleriez-vous pas leur gratitude et leurs bénédictions ? Et les âmes si saintes et si bonnes se conduiront-elles autrement à l’égard de leurs bienfaiteurs, elles, dont la captivité, la souffrance, la nécessité fut bien autrement pressante et dure que toute captivité, toute indigence, toute maladie terrestre. Elles viennent surtout à leur rencontre au moment de la mort, pour les protéger, les accompagner et les lieux de l’éternel repos.

Sainte Marguerite De Cortone

Nous avons parlé plus haut de sainte Marguerite de Cortone (22 février) et de son dévouement pour les défunts. L’histoire rapporte qu’à sa mort elle vît venir à elle une multitude d’âmes qu’elle avait délivrées, et qui venaient lui faire cortège pour la conduire en paradis. Dieu révéla cette faveur accordée à Marguerite, par l’intermédiaire d’une sainte personne de la ville de Castello. Cette servante de Dieu, ravie en esprit au moment où Marguerite quittait la terre, vit son âme bienheureuse au milieu du cortège céleste; et revenue à elle, elle fit connaître à ses amis ce que le Seigneur lui avait donné à contempler.

Saint Philippe de Néri

Philippe de Néri (26 mai.), fondateur de la Congrégation de l’Oratoire, avait pour les âmes du purgatoire une dévotion très tendre; et son attrait le portait surtout à prier pour celles dont il avait dirigé la conscience. Il se croyait plus obligé envers elles, parce que la Providence les avait particulièrement confiées, à son zèle. A ses yeux, sa charité devait les suivre jusqu’à leur entière purification et à leur entrée dans la gloire. Il avouait que beaucoup de ses enfants spirituels lui apparaissaient après leur mort, pour lui demander des prières, ou pour le remercier de, celles qu’II avait faites en leur faveur. Il assurait également que par leur moyen il avait, reçu plus d’une grâce.

Après sa mort, un père Franciscain d’une grande piété priait dans la chapelle où l’on avait déposé ses restes vénérés, lorsque le Saint lui apparut, environné de gloire, au milieu d’un cortège brillant. Le religieux, gagné par l’air de bonté et de familiarité avec lequel le Saint le regardait, s’enhardit à lui demander quelle était cette troupe de bienheureux qui l’entouraient Le Saint lui répondit que c’étaient les âmes de ceux à qui il avait été utile durant sa vie mortelle, et que par ses suffrages il avait délivré du purgatoire. Il ajouta qu’elles étaient venues a sa rencontre au sortir de ce monde, pour l’introduire à leur tour dans la Jérusalem céleste.

Le Cardinal Baronius et la mourante

Il n’y a pas à douter, dit le pieux Père Rossignoli, qu’après leur entrée dans la gloire, les premières faveurs qu’elles demandent à la divine miséricorde, ne soient pour ceux qui leur ont ouvert la porte du paradis; et elles ne manqueront point de prier pour eux toutes les fois qu’elles les verront dans quelque besoin ou dans quelque péril. Dans les revers de fortune, les maladies, les accidents de tout genre, elles seront leurs protectrices. Leur zèle grandira quand il s’agira des intérêts de l’âme, elles les aideront puissamment à vaincre les tentations, à pratiquer les bonnes œuvres, à mourir chrétiennement, à échapper aux peines de l’autre vie. Le Cardinal Baronius, dont l’autorité historique est connue, raconte qu’une personne fort charitable envers les âmes, se trouva au lit de la mort dans de vives angoisses. L’esprit de ténèbres lui suggéra de sombres craintes, et voilant à Son esprit la douce lumière des divines miséricordes, s’efforçait de la plonger dans le désespoir; lorsque tout à coup le ciel sembla s’ouvrir à ses yeux et des milliers de défenseurs en descendaient, volant à son secours, ranimant sa confiance et lui promettant la victoire. Réconfortée par ce secours inattendu, elle demanda à ses défenseurs qui ils étaient: « Nous sommes, répondirent-ils, les âmes que vos suffrages ont tirées du purgatoire; nous venons vous aider à notre tour, et bientôt nous vous conduirons en paradis. A ces paroles consolantes la malade se sentit toute changée et remplie de la plus douce confiance. Peu de temps après elle expira tranquillement, la sérénité sur le front et l’allégresse dans le cœur.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 42, 43

Chapitre 42

Motif de justice – larmes stériles – Thomas de Cantimpré et son aïeule

Nous venons de parler de l’obligation de justice qui incombe aux héritiers pour l’exécution des legs pieux. Il y a un autre devoir de stricte justice qui regarde les enfants: ils sont obligés de prier pour leurs parents défunts. Réciproquement, les parents à leur tour sont tenus de droit naturel à ne pas oublier devant Dieu ceux de leurs enfants qui les ont précédés dans l’éternité. Hélas ! Il y a des parents qui sont inconsolables de la mort d’un fils, d’une fille bien-aimée; et qui, au lieu de prières, ne leur donnent que des larmes stériles. Écoutez ce que raconte à ce sujet Thomas de Cantimpré (Rossignoli, Merv. 68): Le fait était arrivé dans sa propre famille.

La grand-mère de Thomas avait perdu un fils, sur lequel elle avait fondé les plus belles espérances. Jour et nuit, elle le pleurait et ne voulait recevoir aucune consolation. Dans l’excès de sa tristesse, elle oubliait le grand devoir de l’amour chrétien, et ne songeait pas à prier pour cette âme si chère. Aussi, au milieu des flammes du purgatoire, le malheureux objet d’une tendresse stérile se désolait de ne recevoir aucun soulagement dans ses souffrances. Dieu eut enfin pitié de lui.

Un jour au plus fort de sa douleur, cette femme reçut une vision miraculeuse. Elle vit au milieu d’une belle route une procession de jeunes gens, gracieux comme des anges, qui s’avançaient pleins de joie vers une cité magnifique. Elle comprit que c’étaient des âmes du purgatoire faisant leur entrée dans le ciel. Elle regarde avec avidité pour voir si dans leurs rangs elle ne découvrirait pas son cher fils. Hélas ! L’enfant n’y était point; mais elle l’aperçut qui venait, bien loin derrière tous les autres, triste, souffrant, fatigué, et les vêtements trempés d’eau. «O cher objet de mes douleurs, lui cria-t-elle, pourquoi donc restes-tu en arrière de cette brillante troupe ? Je voudrais te voir à la tête de tes compagnons.»

– O ma mère, répond l’enfant d’une voix triste, c’est vous, ce sont les larmes que vous versez sur moi, qui trempent et souillent mes vêtements, qui retardent mon entrée dans la gloire. Cessez donc de vous livrer à une douleur aveugle et stérile. Ouvrez votre cœur à des sentiments plus chrétiens. S’il est « vrai que vous m’aimez, soulagez-moi dans mes souffrances: appliquez-moi quelque indulgence, faites des prières, des aumônes pour moi, obtenez-moi les fruits du saint Sacrifice. Voilà comment vous me témoignerez votre amour; c’est par là que vous me délivrerez de la prison où je gémis, et que vous m’enfanterez à la vie éternelle, bien plus désirable que la vie terrestre que vous m’aviez donnée.

La vision disparut alors et cette mère rappelée ainsi aux vrais sentiments chrétiens, au lieu de se livrer à une douleur immodérée, s’appliqua aux bonnes œuvres qui devaient soulager l’âme de son fils.

La grande cause des oublis, de l’indifférence, de la négligence coupable et de l’injustice envers les défunts, c’est le manque de foi. Aussi voit-on ces vrais chrétiens que l’esprit de foi anime, faire les plus nobles sacrifices pour les âmes de leurs défunts. Pénétrant du regard dans le lieu des expiations, considérant les rigueurs de la divine justice, écoutant la voix des défunts qui implorent leur pitié, ils ne songent qu’à les secourir, et ils regardent comme le premier et le plus saint de tous leurs devoirs de procurer à leurs parents et amis défunts le plus de suffrages possibles, selon les moyens de leur état. Heureux ces chrétiens: ils montrent leur foi par leurs œuvres, ils sont miséricordieux, et ils obtiendront à leur tour miséricorde.

La Bienheureuse Marguerite de Cortone.

La bienheureuse Marguerite de Cortone avait été d’abord une grande pécheresse; mais s’étant convertie sincèrement, elle effaça ses désordres passés par de grandes pénitences et par des œuvres de miséricorde. Sa charité envers les âmes ne connaissait point de bornes: elle sacrifiait tout, temps, repos, satisfactions, pour obtenir de Dieu leur délivrance. Comprenant que la piété bien entendue envers les morts a pour premier objet les parents, son père et sa mère étant morts, elle ne cessa d’offrir pour eux ses prières, ses mortifications, ses veilles, ses souffrances, ses communions, les messes auxquelles elle avait le bonheur d’assister. Or, pour la récompenser de sa piété filiale, Dieu lui fit connaître que par tous ses suffrages elle avait abrégé les longues souffrances que ses parents auraient dû endurer au purgatoire, qu’elle avait obtenu leur délivrance complète et leur entrée dans le paradis.

Chapitre 43

Motif de justice. – Prière pour les parents défunts – Sainte Catherine de Sienne et son père Jacomo

Sainte Catherine de Sienne (30 avril) nous a donné un exemple semblable. Voici comment il est rapporté par son historien, le Bienheureux Raymond de Capoue. « La servante de Dieu, écrit-il, avait un zèle ardent pour le salut des âmes. Je dirai d’abord ce qu’elle fit pour son père, Jacomo, dont nous avons déjà parlé. Cet excellent homme avait reconnu la sainteté de sa fille, et il était rempli pour elle d’une respectueuse tendresse; il recommandait à tout le monde dans la maison, de ne jamais la contrarier en rien, et de la laisser pratiquer ses bonnes œuvres comme elle le voudrait. Aussi l’affection qui unissait le père et la fille augmentait tous les jours. Catherine priait sans cesse pour le salut de son père; Jacomo se réjouissait saintement des vertus de sa fille, et comptait bien, par ses mérites, obtenir grâce devant Dieu.

La vie de Jacomo approcha enfin de son terme, et il se mit au lit, très-gravement malade. Dès que sa fille le vit dans cet état, elle eut, selon son habitude, recours à la prière, et demanda à son céleste Époux de guérir celui qu’elle aimait tant. Il lui fut répondu que Jacomo était sur le point de mourir, et qu’il lui était utile de ne pas vivre davantage. Catherine alors se rendit près de son père et trouva son esprit si parfaitement disposé à quitter le monde sans y rien regretter, qu’elle en remercia Dieu de tout son cœur.

Mais son affection filiale n’était pas satisfaite; elle se remit en prière pour obtenir de Dieu, source de toute grâce, de vouloir bien, non seulement pardonner à son père toutes ses fautes, mais encore, à l’heure de sa mort, le conduire au ciel, sans le faire passer par les flammes du purgatoire. Il lui fut répondu que la justice ne pouvait perdre ses droits, et qu’il fallait que l’âme fût parfaitement pure pour jouir des splendeurs de la gloire. «Ton père, dit Notre-Seigneur, a bien vécu dans l’état du mariage, il a fait beaucoup de choses qui m’ont été agréables, et je lui sais gré surtout de sa conduite envers toi; mais ma justice demande que son âme passe par le feu, pour se purifier des souillures qu’elle a contractées dans le monde.» – O mon aimable Sauveur, répondit Catherine, comment supporter la pensée de voir tourmenter dans des flammes si cruelles, celui qui m’a nourrie, qui m’a élevée avec tant de soin, qui a été si bon pour moi pendant toute sa vie ! Je supplie votre infinie bonté de ne pas permettre que son âme quitte son corps, avant d’être, d’une manière ou d’une autre, si parfaitement purifiée, qu’elle n’ait pas besoin de passer par le feu du purgatoire.

Chose admirable, Dieu céda à la prière et au désir de sa créature. Les forces de Jacomo étaient éteintes, mais son âme ne pouvait partir tant que durait le conflit entre Notre-Seigneur, qui alléguait sa justice, et Catherine, qui invoquait sa miséricorde. Enfin, Catherine se mit à dire: «Si je ne puis obtenir cette grâce sans satisfaire à votre justice, que cette justice s’exerce sur moi; je suis prête à souffrir pour mon père toutes les peines que votre bonté voudra bien m’envoyer.» – Notre-Seigneur y consentit. Je veux bien, lui dit-il, à cause de ton amour pour moi, accepter ta proposition. J’exempte de toute expiation l’âme de ton père; mais je te ferai souffrir à toi, tant que tu vivras, la peine qui lui était destinée.» – Catherine, pleine de joie, s’écria: «Merci de votre parole, Seigneur, et que votre volonté s’accomplisse !»

La sainte retourna aussitôt près du lit de son père qui entrait en agonie; elle le remplit de force et de joie, en lui donnant, de la part de Dieu même, l’assurance de son salut éternel, et elle ne le quitta que lorsqu’il eut rendu le dernier soupir.

Au moment même où l’âme de son père se sépara du corps, Catherine fut saisie de violentes douleurs de côté, qui lui restèrent jusqu’à la mort, sans jamais lui laisser un moment de relâche. Elle-même, ajoute le Bienheureux Raymond, me l’a bien souvent assuré, et tous ceux qui l’approchaient en voyaient au dehors des preuves évidentes. Mais sa patience était plus grande que son mal. Tout ce que je viens de dire, je l’ai su de Catherine, lorsque, touché de ses douleurs, je lui en demandai la cause. – Je dois ajouter que, au moment où son père expirait, on l’entendit s’écrier, le visage tout joyeux et le sourire sur les lèvres: «Que Dieu soit béni ! Mon père, je voudrais bien être comme vous.» – Pendant qu’on célébrait ses funérailles et que tous pleuraient, Catherine montrait une véritable allégresse. Elle consolait sa mère et tout le monde, comme si cette mort lui eut été étrangère. C’est qu’elle avait vu cette âme bien-aimée sortir triomphante de la prison de son corps, et s’élancer sans obstacle dans l’éternelle lumière: cette vue l’avait inondée de consolation, parce que peu de temps avant, elle avait elle-même goûté le bonheur des clartés célestes.

Admirons ici la sagesse de la Providence: elle pouvait certainement purifier l’âme de Jacomo d’une autre manière, et le faire entrer sur-le-champ dans la gloire, comme l’âme du bon larron qui confessa Notre-Seigneur sur la croix; mais elle voulut que ce fût par les souffrances de Catherine qui le demandait: et cela non pas pour l’éprouver, mais pour augmenter ses mérites et sa couronne. Il fallait que cette sainte fille, qui aimait tant l’âme de son père, retirât de son amour filial quelque récompense, et parce qu’elle avait préféré le salut de cette âme à celui de son propre corps, les souffrances de son corps profitèrent au bonheur de son âme. Aussi parlait-elle toujours de ses douces, de ses chères souffrances; et elle avait bien raison, puisque ces souffrances augmentaient les douceurs de la grâce en cette vie, et les délices de la gloire dans l’autre. – Elle m’a confié que, longtemps encore après sa mort, l’âme de son père Jacomo se présentait sans cesse devant elle pour la remercier du bonheur qu’elle lui avait procuré. Elle lui révélait beaucoup de choses cachées, l’avertissait des pièges du démon, et la préservait de tout danger. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 40, 41

Chapitre 40

Motifs d’aider les âmes – Obligation, non seulement de charité, mais encore de justice

Nous venons de considérer la dévotion envers les âmes comme œuvre de charité. La prière pour les morts avons-nous dit est une œuvre sainte parce que c’est un exercice très-excellent de la plus excellente des vertus, la charité.

Cette charité envers les défunts n’est pas purement facultative et de conseil, elle est de précepte, non moins que l’aumône à faire aux pauvres. Comme il existe une obligation générale de charité pour l’aumône corporelle, ainsi, et à plus forte raison, sommes-nous tenus par la loi générale de la charité d’assister nos frères souffrants du purgatoire.

Legs pieux

A cette obligation de charité vient se joindre souvent une obligation de stricte justice. Lorsqu’un mourant exprime de vive voix ou par disposition testamentaire, ses dernières volontés en matière d’œuvres pies; lorsqu’il charge ses héritiers de faire célébrer autant de messes, de distribuer autant d’aumônes, n’importe en faveur de quelle bonne œuvre; les héritiers sont obligés en stricte justice, du moment qu’ils acceptent la succession, d’en remplir toutes les charges, et d’acquitter sans retard les legs pieux établis par le défunt.

Ce devoir de justice est d’autant plus sacré, que souvent les legs pieux ne sont que des restitutions déguisées.

Or que nous montre l’expérience journalière ? Est-ce avec zèle, avec un soin religieux que l’on s’empresse d’acquitter toutes les charges pieuses et qui concernent l’âme du défunt ? Hélas ! Le contraire est un fait qui se passe tous les jours sous nos yeux: une famille, qui vient d’être mise en possession d’une fortune quelquefois considérable, marchandera à un malheureux défunt les quelques suffrages qu’il s’était réservés; et, si les subtilités de la loi civile s’y prêtent, on n’aura pas honte de faire casser un testament, sous prétexte de captation, afin de se débarrasser de l’obligation d’en acquitter les legs pieux. Ce n’est pas en vain que l’auteur de l’Imitation nous avertit de faire des œuvres satisfactoires pendant notre vie, et de ne pas trop compter sur nos héritiers, qui trop souvent négligent d’acquitter les pieuses fondations que nous avions faites pour le soulagement de notre pauvre âme.

Eh bien ! C’est là, que les familles le sachent, c’est là une injustice sacrilège jointe à une cruauté abominable. Voler un pauvre, dit le IVe concile de Carthage, c’est se faire son meurtrier: Egentium necatores. Que dire de ceux qui dépouillent les défunts, qui les privent injustement de leurs suffrages et les laissent sans secours dans les terribles tourments du purgatoire ?

Le P. Rossignoli, et la propriété ravagée

Aussi, ceux qui se rendent coupables de ce vol infâme, sont bien souvent punis de Dieu dès cette vie, et d’une manière très-sévère. On s’étonne quelquefois de voir se fondre entre les mains d’héritiers avides une fortune considérable; une sorte de malédiction semble planer sur certains héritages. Au jour du jugement, lorsque tout ce qui est caché sera découvert, on verra que la cause de ces ruines a souvent été l’avarice et l’injustice des héritiers, qui n’ont pas acquitté les legs pieux dont leur succession était chargée.  Il est arrivé à Milan, dit le P. Rossignoli (Merv. 20), qu’une magnifique propriété, peu éloignée de la ville, fut toute ravagée par la grêle, tandis que les champs voisins étaient restés complètement intacts. Ce phénomène excita l’attention et l’étonnement: on se rappelait le fléau d’Égypte, cette grêle qui ravagea les champs des Égyptiens et respecta la terre de Gessen, habitée par les enfants d’Israël. On voyait ici un fléau semblable: cette grêle étrange n’avait pu se renfermer si exactement dans les limites d’une propriété unique, sans avoir obéi à une cause intelligente. On ne savait comment expliquer ce mystère, lorsque l’apparition d’une âme du purgatoire fit connaître que c’était un châtiment infligé à des enfants ingrats et coupables, qui n’avaient pas exécuté la dernière volonté de leur père relativement à des œuvres pies.

On sait que dans tous les pays, dans toutes les localités on parle de maisons hantées, rendues inhabitables, au grand détriment de leurs propriétaires: or quand on va au fond des choses, on trouve généralement une âme oubliée des siens, et qui réclame l’acquittement des suffrages qui lui sont dus. Ne soyons pas crédules et faisons aussi large que l’on voudra la part de l’imagination, de l’illusion, de la fourberie même; il restera toujours assez de faits parfaitement prouvés, pour apprendre aux héritiers sans entrailles comment Dieu punit, même dès cette vie, ces procédés injustes et sacrilèges.

Thomas de Cantimpré et le soldat de Charlemage

Le trait suivant, emprunté à Thomas de Cantimpré (Rossignoli, Merv. 15), fait bien ressortir combien sont coupables aux yeux de Dieu les héritiers injustes envers les défunts. Pendant les guerres de Charlemagne, un valeureux soldat avait servi de longues années dans des charges importantes et honorables. Sa vie avait été celle d’un chrétien: content de sa paye, il s’interdisait tout acte de violence, et le tumulte des camps ne lui faisait omettre aucun de ses devoirs essentiels; il avait toutefois commis quantité de petites fautes, ordinaires aux gens de sa profession. Étant arrivé à un âge fort avancé, il tomba malade; et voyant approcher la mort, il appela auprès de son lit un neveu orphelin, dont il s’était fait le père, et lui exprima ses dernières volontés. « Mon fils, lui dit-il, vous « savez que je n’ai pas de richesses à vous léguer: je n’ai que mes armes et mon « cheval. Mes armes seront pour vous. Quant au cheval, lorsque j’aurai rendu « mon âme à Dieu, vous le vendrez et vous en partagerez le prix entre les prêtres « et les pauvres, afin que les premiers offrent pour moi le divin sacrifice, et que « les autres me secourent de leurs prières. »

Le neveu pleura et promit d’exécuter ponctuellement, sans retard, ce que demandait de lui son oncle et son bienfaiteur. Le vieillard étant mort bientôt après, l’héritier prit les armes, et emmena le cheval. C’était un animal fort beau et d’un grand prix. Au lieu de le vendre aussitôt, selon la dernière volonté du défunt, il commença par s’en servir pour quelques petits voyages; et comme il en était fort satisfait, il désirait ne pas s’en priver de sitôt. Il différa donc, sous le double prétexte que rien ne pressait d’exécuter si promptement sa promesse, et qu’il pouvait attendre une bonne occasion pour obtenir peut-être un meilleur prix. En tardant ainsi de jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, il finit par étouffer les réclamations de sa conscience et oublia l’obligation sacrée qu’il avait à remplir envers l’âme de son bienfaiteur.

Six mois s’étaient éculés, lorsqu’un matin le défunt lui apparut et lui adressa les plus sévères reproches. « Malheureux, lui dit-il, tu as oublié l’âme de « ton oncle; tu as violé l’engagement sacré que tu avais pris à mon lit de mort. « Où sont les saintes messes que tu devais faire offrir, où sont les aumônes que tu « devais distribuer aux pauvres pour mon âme ? A cause de ta coupable négligence, j’ai souffert dans le purgatoire des tourments inouïs. Enfin, « Dieu a eu pitié de moi: aujourd’hui même j’entre dans la félicité des saints.

« Mais toi, par un juste jugement de Dieu, tu mourras dans peu de jours, et « tu subiras en ma place les peines, qui me fussent restées à subir, si Dieu n’eût « pas usé d’indulgence à mon égard. Tu souffriras tout le temps dont Dieu m’a fait « grâce; après quoi, tu commenceras les expiations dues à tes propres fautes. »

Quelques jours après le neveu tomba gravement malade. Aussitôt il appela un prêtre, raconta sa vision et se confessa avec beaucoup de larmes. « Je mourrai « bientôt, dit-il, et j’accepte la mort des mains de Dieu comme un châtiment que « je n’ai que trop mérité. » – Il expira en effet dans ces sentiments d’un humble repentir: ce n’était que la moindre partie de la peine qui lui avait été annoncée en punition de son injustice; on frémit en pensant à la seconde qu’il allait subir dans l’autre vie.

Chapitre 41

Motif de justice – Saint Bernardin de Sienne et la veuve infidèle

Bernardin de Sienne rapporte que deux époux, qui n’avaient pas d’enfants, firent une convention pour le cas où l’un d’eux viendrait à mourir: le survivant devait distribuer le bien laissé par le défunt en aumônes, pour le repos de son âme. Le mari mourut le premier, et sa veuve négligea de remplir sa promesse. La mère de cette veuve vivait encore: le défunt lui apparut, la priant d’aller trouver sa fille, pour la presser au nom de Dieu de remplir son engagement. « Si elle diffère, ajouta-t-il, de « distribuer en aumônes la somme que j’ai destinée aux pauvres, dites-lui de la « part de Dieu que, dans trente jours, elle sera frappée de mort subite. » – Quand la veuve impie entendit ce grave avertissement, elle osa le traiter de rêverie, et persista dans sa sacrilège infidélité. Trente jours s’écoulèrent et la malheureuse étant montée à une chambre haute, tomba d’une fenêtre et se tua sur le coup.

Les injustices envers les défunts, dont nous parlons, et les manœuvres frauduleuses par lesquelles on se soustrait à l’exécution des legs pieux, sont des péchés graves, des crimes qui méritent l’enfer. A moins d’en faire une sincère confession et en même temps une due restitution, ce n’est pas en purgatoire, mais en enfer, qu’on en subira le châtiment.

Hélas ! Oui, c’est surtout dans l’autre vie que la justice divine punira comme ils le méritent les coupables détenteurs du bien des morts. Un jugement sans miséricorde, dit l’Esprit-Saint, attend celui qui a été sans miséricorde (Jacob. II, 13). Si cette parole est vraie, à quelle rigueur de jugement ne doit pas s’attendre celui dont l’abominable avarice a laissé, pendant des mois, des années, des siècles peut-être, l’âme d’un parent, d’un bienfaiteur, au milieu des effroyables supplices du purgatoire ?

Restitutions déguisées – Non-exécution des dernières volontés

Ce crime, comme nous avons dit plus haut, est d’autant plus grave, que dans bien des cas les suffrages que le défunt avait demandés pour son âme, ne sont, au fond, que des restitutions déguisées. C’est là ce que les familles ignorent trop souvent. On trouve très-commode de parler de captations et d’avidité cléricale; on fait casser un testament sous ces beaux prétextes; et bien souvent, le plus souvent peut-être, il s’agissait d’une restitution nécessaire. Le prêtre n’était que l’intermédiaire de cet acte indispensable, obligé au secret le plus absolu, en vertu de son ministère sacramentel.

Expliquons-nous plus clairement. Un mourant a commis des injustices durant sa vie: cela arrive plus fréquemment qu’on ne pense, même à des très-honnêtes gens selon le monde. Au moment de paraître devant Dieu, ce pécheur se confesse: il veut réparer, comme il le doit, tous les préjudices qu’il a causés au prochain; mais le temps lui manque pour le faire lui-même, et il ne veut pas révéler à ses enfants ce triste secret. Que fait-il ? Il couvre sa restitution sous le voile d’un legs pieux.

Or si ce legs n’est pas acquitté, et conséquemment si l’injustice n’est pas réparée, que deviendra l’âme du défunt ? Sera-t-elle retenue au purgatoire indéfiniment ? Nous ne connaissons pas toutes les lois de la divine justice, mais des apparitions nombreuses témoignent dans ce sens: « toutes déclarent qu’elles ne peuvent être admises au séjour de la béatitude, tant que la justice reste lésée. » – D’ailleurs ces âmes ne sont-elles pas coupables d’avoir différé jusqu’à leur mort une restitution à laquelle elles étaient obligées depuis longtemps ? Et si maintenant leurs héritiers négligent de le faire pour elles, n’est-ce, pas une déplorable conséquence de leur propre péché, de leurs délais coupables ? C’est par leur faute qu’il reste dans leur famille du bien mal acquis, et ce bien ne cesse de crier, tant que restitution n’est pas faite. Res clamat domino, le bien d’autrui crie vers son maître légitime, il crie contre son injuste détenteur.

Que si, par le mauvais vouloir des héritiers, la restitution ne devait jamais se faire, il est clair que cette âme ne saurait rester toujours en purgatoire; mais dans ce cas, un long retard à son entrée dans le ciel semble être le juste châtiment d’une injustice, que cette âme infortunée a rétractée, il est vrai, mais dont elle avait posé la cause toujours subsistance et toujours efficace.

Que l’on songe donc à ces graves conséquences, quand on laisse s’écouler les jours, les semaines, les mois, les années peut-être, avant d’acquitter une dette aussi sacrée.

Hélas ! Que notre foi est faible ! Si un animal domestique, un petit chien, tombait dans le feu, est-ce que vous tarderiez à le retirer ? Et voilà que vos parents, vos bienfaiteurs, les personnes qui vous furent les plus chères, se tordent dans les flammes du purgatoire, et vous ne croyez point devoir vous presser de les secourir, vous tardez, vous différez, vous laissez passer des jours si longs et si douloureux pour les âmes, sans vous mettre en peine d’accomplir les œuvres qui doivent les soulager !

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 38, 39

Chapitre 38

Motifs d’aider les âmes – Exemple de saints personnages – Le Père Jacques Laynez

Celui qui oublie son ami, après que la mort l’a fait disparaître à ses yeux, n’a pas eu d’amitié véritable. Cette sentence, le Père Laynez, second Général de la Compagnie de Jésus, ne cessait de la répéter aux fils de S. Ignace: il voulait que les intérêts des âmes leur fussent à cœur après la mort comme pendant la vie. Joignant l’exemple aux pieux conseils, Laynez appliquait aux âmes du purgatoire une bonne partie de ses prières, de ses sacrifices et des satisfactions qu’il méritait devant Dieu par ses travaux pour la conversion des pécheurs. Les Pères de la Compagnie furent fidèles à ces leçons de charité, en tout temps ils montrèrent un zèle particulier pour cette dévotion, comme on peut le voir dans le livre intitulé Héros et victimes de la charité dans la Compagnie de Jésus. J’en transcrirai ici une seule page.

Le Père Fabricius

A Munster en Westphalie, vers le milieu du XVIIe siècle, éclata un mal contagieux qui faisait chaque jour d’innombrables victimes. La crainte paralysait la charité du grand nombre; et on trouvait peu de personnes qui voulussent se dévouer aux malheureux, atteints du fléau. Alors le Père Jean Fabricius, animé de l’esprit des Laynez et des Ignace, s’élança dans cette arène du dévouement. Mettant de côté toute préoccupation personnelle, il employait ses journées à visiter les malades, à leur procurer des remèdes, à les disposer à une mort chrétienne: il les confessait, leur donnait les autres sacrements, les ensevelissait de ses mains, et célébrait ensuite la sainte messe pour leurs âmes.

Du reste durant toute sa vie, ce serviteur de Dieu eut la plus grande dévotion pour les défunts. Parmi ses exercices de piété les plus chers, et qu’il recommandait davantage, était celui de célébrer la messe des défunts, toutes les fois que les règles liturgiques le permettaient. Ses conseils eurent assez d’effet pour engager les Pères de Munster à consacrer chaque mois un jour aux défunts: ils tendaient alors leur église de noir et priaient solennellement pour les morts.

Dieu daigna, comme il le fait souvent, récompenser le P. Fabricius et encourager son zèle par plusieurs apparitions des âmes. Les unes le suppliaient de hâter leur délivrance, les autres le remerciaient du secours qu’il leur avait procuré, d’autres encore lui annonçaient que le moment bienheureux du triomphe était enfin venu pour elles.

Son plus grand acte de charité fut celui qu’il accomplit à sa mort. Avec une générosité vraiment admirable, il fit le sacrifice de tous les suffrages, prières, messes, indulgences et mortifications que la Compagnie applique à ses membres décédés: il demanda à Dieu de l’en priver lui-même pour en gratifier les âmes souffrantes les plus agréables à sa divine Majesté.

Déjà nous avons parlé du Père Jean-Eusèbe Nierembert, Jésuite espagnol, également célèbre par les ouvrages de piété qu’il a publiés et par ses éclatantes vertus. Sa dévotion envers les âmes ne se contentait pas de sacrifices et de prières fréquentes; elle le portait à souffrir pour elles, avec une générosité qui allait jusqu’à l’héroïsme. Il y avait à la cour de Madrid, parmi ses pénitentes, une Dame de qualité, qui, sous sa sage direction, était parvenue à une haute vertu au milieu du monde; mais elle était tourmentée d’une crainte excessive de la mort, dans la perspective du purgatoire qui devrait la suivre. Elle tomba dangereusement malade, et ses craintes redoublèrent au point qu’elle en perdait presque ses sentiments chrétiens. Le saint confesseur eut beau user de toutes les industries de son zèle, il ne put réussir à la calmer, ni même à lui faire recevoir les derniers sacrements.

Pour comble de malheur, elle perdit tout à coup connaissance, et fut bientôt réduite à la dernière extrémité. Le Père, justement alarmé du péril où se trouvait cette âme, se retira dans une chapelle voisine, près de la chambre de la moribonde. Il y offrit le saint Sacrifice avec une grande ferveur pour obtenir à la malade le temps de se reconnaître, et de recevoir en pleine liberté d’esprit les sacrements de l’Église. En même temps, poussé par une charité vraiment héroïque, il s’offrit en victime à la justice divine, pour souffrir lui-même en cette vie, les peines réservées à cette pauvre âme dans l’autre.

Sa prière fut agréable à Dieu. La messe était à peine achevée, que la malade revint à elle, et se trouva toute changée: ses dispositions étaient si bonnes, qu’elle demanda elle-même les sacrements, et les reçut avec la plus édifiante ferveur. Son confesseur lui ayant dit ensuite qu’elle n’avait plus à craindre le purgatoire, elle expira, le sourire sur les lèvres, dans la plus parfaite tranquillité.

Le Père Nieremberg, victime de sa charité

A partir de cette heure, le Père Nieremberg fut accablé de toutes sortes de peines dans son corps et dans son âme: pendant seize ans qu’il vécut encore, son existence ne fut plus qu’un martyre et un rigoureux purgatoire. Aucun remède naturel ne pouvait soulager ses douleurs: son unique adoucissement était le souvenir de la sainte cause pour laquelle il les endurait. Enfin la mort vint mettre un terme à ses prodigieuses souffrances, et en même temps, on est bien fondé à le croire, lui ouvrir la porte du paradis: car il est écrit: Bienheureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde.

Chapitre 39

Motifs, stimulants de la dévotion envers les âmes – Saint Pierre Damien et son père

Les exemples de charité généreuse envers les trépassés ne manquent pas; et il est toujours utile de se les rappeler. Nous ne pouvons pas omettre la belle et touchante action de S Pierre Damien (23 février), évêque d’Ostie, cardinal et Docteur de la sainte Église, exemple qu’on ne se lasse jamais d’entendre répéter. Étant encore fort jeune, Pierre Damien eut le malheur de perdre sa mère; et, bientôt après, son père s’étant remarié, il tomba dans les mains d’une marâtre. Quoiqu’il se montrât plein d’affection pour elle, cette femme ne sut pas aimer ce tendre enfant: elle le traita avec une dureté barbare et finit pas s’en débarrasser en le mettant au service de son frère aîné, qui l’employa à garder les pourceaux.

Son père, qui aurait dû le protéger, l’abandonnait à son malheureux sort. Mais l’enfant levant les yeux au ciel, y voyait un autre Père, en qui il mit toute sa confiance. Il accepta tout ce qui lui arrivait de ses mains divines et se résigna volontiers à la dure situation qui lui était ménagée: « Dieu, disait-il, a ses vues en « tout, et ce sont des vues de miséricorde: nous n’avons qu’à nous abandonner à « lui: il fera tout servir à notre bien. » – Il ne se trompait pas: ce fut dans cette pénible épreuve que le futur cardinal de la sainte Église, celui qui devait étonner son siècle par l’étendue de ses lumières et édifier le monde par l’éclat de ses vertus, fit l’apprentissage de la sainteté. A peine couvert de haillons, l’histoire dit qu’il n’avait pas même toujours de quoi rassasier sa faim; mais il priait Dieu, il était content.

Or il arriva sur ces entrefaites que son père mourut. Le jeune saint, oubliant la dureté qu’il avait éprouvé de sa part, le pleura comme un bon fils et ne cessait de prier Dieu pour son âme. Un jour, il trouva sur le chemin un écu, que la Providence semblait y avoir déposé pour lui: c’était toute une fortune pour le pauvre enfant. Mais au lieu de s’en servir pour adoucir sa propre misère, sa première pensée fut de le porter à un prêtre, en le priant de célébrer la messe pour l’âme de son père. La sainte Église a trouvé ce trait si beau, qu’elle l’a inséré, tout au long, dans la légende de l’Office, qui se lit le jour de sa fête.

La jeune Annamite

Qu’on me permette, dit l’abbé missionnaire Louvet, d’ajouter ici un souvenir personnel. Quand je prêchais la foi en Cochinchine, une pauvre petite fille Annamite, baptisée depuis peu, vint à perdre sa mère. A quatorze ans elle se trouvait chargée de pourvoir avec son faible gain, cinq tiên par jour, environ huit sous de France, à sa nourriture et à celle de ses deux petits frères. Quelle fut ma surprise de la voir venir, à la fin de la semaine, m’apporter le gain de deux journées, pour que je dise la messe à l’intention de sa mère ! Ces pauvres petits avaient jeûné une partie de la semaine, pour procurer à leur mère défunte cet humble suffrage. O sainte aumône du pauvre et de l’orphelin ! Si mon cœur en fut si profondément ému, comme elle a dû toucher le cœur du Père céleste et attirer ses bénédictions sur cette mère et sur ses enfants !

Exemples de générosité

Voilà la générosité des pauvres. Quel exemple et quel reproche pour tant de riches, prodigues en fait de luxe et de plaisirs, mais qui sont si avares quand il s’agit d’aumônes et de messes en faveur de leurs défunts !

La propagation de la foi

Bien qu’avant tout il faille consacrer ses aumônes à faire offrir le saint Sacrifice pour les âmes des siens ou pour sa propre âme; il convient d’en affecter une partie au soulagement des pauvres ou à d’autres bonnes œuvres, telles que les écoles catholiques, la propagation de la foi et bien d’autres, selon le besoin des circonstances. Toutes ces libéralités sont saintes, conformes à l’esprit de l’Église, et fort efficaces pour les âmes du purgatoire.

L’abbé Louvet, que nous avons cité plus haut, rapporte un autre trait qui mérite de trouver ici sa place. Il s’agit d’un homme de condition pauvre, qui fit une libéralité en faveur de la Propagation de la foi, mais dans des circonstances qui ont rendu cet acte particulièrement précieux pour le besoin futur de son âme au purgatoire.

Le portier de séminaire

Un pauvre portier de séminaire avait, durant sa longue vie, amassé sou par sou la somme de huit cents francs. N’ayant pas de famille, il destinait cet argent à faire dire des messes après sa mort. Mais que ne peut la charité dans un cœur embrasé de ses saintes flammes ? Un jeune prêtre se préparait à quitter le séminaire pour entrer aux Missions étrangères. Le pauvre vieillard, apprenant cette nouvelle, fut inspiré de lui donner son petit trésor pour l’œuvre si belle de la Propagation de la foi. Il le prit donc en particulier et lui dit: « Cher Monsieur, « je vous prie d’accepter cette petite aumône pour vous aider dans l’œuvre de la « propagation de l’Évangile. Je l’avais réservée pour faire dire des messes après « ma mort; mais j’aime mieux rester un peu plus longtemps dans le purgatoire, et « que le nom du bon Dieu soit glorifié. » – Le séminariste était ému jusqu’aux larmes. Il voulait ne pas accepter l’offrande trop généreuse de ce pauvre homme; mais celui-ci insista tellement qu’il y aurait eu cruauté à lui infliger un refus.

A quelques mois de là, ce bon vieillard mourait. Aucune révélation n’est venue annoncer ce qui lui arriva dans l’autre monde. Mais en est-il besoin ? Ne connaissons-nous pas assez le Cœur de Jésus, qui ne saurait se laisser vaincre en générosité ? Ne comprenons-nous pas qu’un Homme assez généreux pour se dévouer aux flammes du purgatoire afin de faire connaître Jésus-Christ aux nations infidèles, aura trouvé devant le Souverain Juge une abondante miséricorde ?

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 36, 37

Chapitre 36

Motifs d’aider les âmes – Liens intimes qui nous unissent à elles –  Cimon d’Athènes, et son père en prison

Si nous devons aider les âmes à cause de leur nécessité extrême, combien ce motif devient plus pressant quand on songe que ces âmes nous sont unies par les liens les plus sacrés, par les liens du sang, par le sang divin de Jésus-Christ, et par le sang humain d’où nous sommes issus selon la chair ? Oui, il y a au purgatoire des âmes qui nous sont unies par la parenté la plus étroite. C’est un père, c’est une mère qui gémit dans les tourments et me tend les bras ! Que ne ferions-nous pas pour notre père, pour notre mère, s’ils languissaient dans une dure prison ? Un ancien Athénien, le célèbre Cimon, avait eu la douleur de voir emprisonner son père par d’impitoyables créanciers qu’il n’avait pu satisfaire. Pour comble d’infortune il ne put trouver les ressources nécessaires pour le délivrer, et le vieillard mourut dans les fers. Désolé, inconsolable, Cimon court à la prison et demande qu’on lui donne du moins le corps de son père pour l’ensevelir. On le lui refuse, sous prétexte que, n’ayant pas payé ses dettes, il ne pouvait être rendu à la liberté. « Laissez-moi donc d’abord ensevelir mon père, « s’écria Cimon, je viendrai après prendre sa place dans la prison. »

Piété filiale

On admire ce trait de piété filiale; mais ne devons-nous pas l’imiter ? N’avons-nous pas peut-être aussi un père, une mère dans la prison du purgatoire ? Ne devons-nous pas les délivrer au prix de tous les sacrifices? Plus heureux que Cimon, nous sommes à même de payer leurs dettes; nous n’aurons pas à prendre leur place: au contraire, les délivrer de la captivité, c’est nous en affranchir nous-mêmes par anticipation.

Saint Jean de Dieu sauvant les malades de l’incendie.

On admire aussi la charité de S. Jean de Dieu (8 mars), qui affronta la fureur des flammes pour sauver de pauvres malades du milieu d’un incendie. Ce grand serviteur de Dieu mourut à Grenade, l’an 1550, à genoux devant une image de Jésus crucifié, qu’il embrassait et qu’il continua de tenir serrée dans ses bras, après qu’il eut rendu son âme à Dieu. Né de parents fort pauvres, et obligé de garder les troupeaux pour subsister, il était riche de foi et de confiance en Dieu. Son bonheur était de prier et d’entendre la parole de Dieu: ce fut le principe de la sainteté à laquelle il s’éleva bientôt. Un sermon du vénérable Père Jean d’Avila, apôtre de l’Andalousie, le toucha tellement qu’il résolut de consacrer sa vie entière au service des pauvres et des malades. Sans autre ressource que sa charité et sa confiance en Dieu, il parvint à acheter une maison où il recueillit des infirmes abandonnés, pour les nourrir, pour soigner leurs corps et leurs âmes. Cet asile s’élargit bientôt et devint l’hôpital royal de Grenade, vaste établissement, rempli d’une multitude de vieillards et de malades de tout genre.

Un jour le feu ayant pris à cet hôpital, plusieurs malades allaient y périr d’une mort affreuse. Les flammes les environnaient de toutes parts et empêchaient qu’on ne les approchât pour les sauver. Ils poussaient des cris lamentables, appelant le ciel et la terre à leur secours. Jean les a vus, sa charité s’enflamme, il s’élance dans l’incendie, pénètre à travers le feu et la fumée jusqu’au lit des malades; il charge sur ses épaules et porte en lieu de sûreté l’un après l’autre tous ces malheureux. Obligé de traverser à plusieurs reprises ce vaste brasier, courant et travaillant dans le feu pendant toute une demi-heure que dura le sauvetage, le Saint ne souffrit pas la moindre lésion: les flammes respectèrent sa personne, ses vêtements et jusqu’au moindre cheveu de sa tête: Dieu voulut montrer par un miracle combien lui était agréable la charité de son serviteur.

Et ceux qui sauvent, non pas les corps, mais les âmes des flammes du purgatoire, font-ils une œuvre moins agréable au Seigneur ? La nécessité, les cris et gémissements de ces âmes sont-ils moins touchants pour un cœur qui a la foi ? Est-il plus difficile de les secourir ? Est-il nécessaire pour les aider de se jeter soi-même dans les flammes ?

Certes, nous avons les moyens les plus faciles de leur porter secours, et Dieu ne demande pas que nous nous imposions de grandes peines. Toutefois la charité des âmes ferventes va jusqu’aux plus grands sacrifices, jusqu’à partager les douleurs de leurs frères du purgatoire.

Chapitre 37

Motifs d’aider les âmes – la facilité de les secourir – L’exemple des saints et de tous les fervents chrétiens – La servante de Dieu Marie Villani.

Nous avons vu déjà, comment sainte Catherine de Ricci et plusieurs autres portèrent l’héroïsme jusqu’à souffrir à la place des âmes du purgatoire; ajoutons encore quelques exemples d’une si admirable charité. La servante de Dieu Marie Villani, de l’Ordre de S. Dominique, dont la vie a été écrite par le Père Marchi (Cf. Rossig. Merv. 41), s’appliquait nuit et jour à pratiquer des œuvres satisfactoires en faveur des défunts. Un jour, c’était la veille de l’Epiphanie, elle fit pour eux de longues prières, suppliant le Seigneur d’adoucir leurs souffrances en vue de celles de Jésus-Christ, lui offrant à cet effet les cruels tourments du Sauveur, sa flagellation, sa couronne d’épines, ses liens, ses clous et sa croix, toutes les douleurs en un mot, tous les détails et tous les instruments de la passion. La nuit suivante, le ciel se plut à lui manifester combien lui était agréable cette sainte pratique.

Pendant sa prière, étant ravie en extase elle vit une longue procession de personnes vêtues de blancs, éclatantes de lumières, portant dans leurs mains les divers insignes de la passion et faisant leur entrée dans la gloire. La servante de Dieu connut en même temps que c’étaient les âmes délivrées par ses ferventes prières et par les mérites de la passion de Jésus-Christ.

Un autre jour, celui de la Commémoration des Morts, on lui avait ordonné de travailler à un manuscrit et de passer la journée à écrire. Ce travail, imposé par l’obéissance, coûtait à sa piété: elle en éprouvait une sensible répugnance, parce qu’elle aurait voulu consacrer tout ce jour à la prière, à la pénitence et autres exercices de dévotion pour le soulagement des âmes du purgatoire. Elle oubliait un peu que l’obéissance doit l’emporter sur tout et qu’il est écrit: Melior est obedientia quam victimœ, l’obéissance vaut mieux que les victimes et les sacrifices les plus précieux (1 Reg. XV, 22). Le Seigneur, voyant sa grande charité pour les âmes, daigna lui apparaître, l’instruire et la consoler. « Obéissez, ma « fille, lui dit-il, faites le travail que l’obéissance vous impose et offrez-le pour les « âmes: chaque ligne que vous écrirez aujourd’hui en cet esprit d’obéissance et de « charité, procurera la délivrance d’une âme. » – On comprend qu’elle travailla toute la journée avec la plus grande ardeur et qu’elle traça le plus possible de ces lignes si agréables à Dieu.

Sa charité envers les âmes ne se bornait point à des prières et des jeûnes, elle désira endurer elle-même une partie de leurs souffrances. Comme elle priait un jour dans cette intention, elle fut ravie en esprit et conduite en purgatoire. Là parmi la multitude des âmes souffrantes, elle en vit une plus cruellement tourmentée que les autres et qui lui inspira la plus vive compassion.

« Pourquoi, lui demanda-t-elle, avez-vous à souffrir des peines si atroces ? Ne recevez-vous point de soulagement ? – Je suis, répondit-elle, depuis fort longtemps en ce lieu, endurant des tourments effroyables en punition de mes vanités passées et de mon luxe scandaleux. Je n’ai pas obtenu jusqu’à cette heure, le moindre soulagement, parce que le Seigneur a permis que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants, de toute ma famille et de mes amis: ils ne font pour moi aucune prière. Quand j’étais sur la terre, livrée aux toilettes immodérées, aux pompes mondaines, aux fêtes et aux plaisirs, je n’avais de Dieu et de mes devoirs qu’un rare et stérile souvenir. Les seules préoccupations sérieuses de ma vie, étaient d’accroître le renom et les richesses périssables des miens. J’en suis bien punie, vous le voyez, puisqu’ils ne m’accordent pas un souvenir. »

La brûlure au front

Ces paroles firent sur Marie Villani une douloureuse impression. Elle pria cette âme de lui communiquer une partie de ce qu’elle souffrait. A l’instant même il lui semblait qu’on la touchait au front avec un doigt de feu, et la douleur qu’elle en éprouva fut si forte, si aigüe, qu’elle la fit revenir de son extase. La marque lui en resta au front si profondément imprimée, qu’on la voyait encore deux mois après, et elle lui causait une douleur insupportable. La servante de Dieu offrit cette douleur, avec des prières et d’autres œuvres, pour l’âme qui lui avait parlé. Cette âme lui apparut au bout de deux mois, et lui dit que, délivrée par son intercession, elle montait au ciel. Dès ce moment, la brûlure du front s’effaça pour toujours.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 34, 35

Chapitre 34

Excellence de cette œuvre

Nous venons de passer en revue les moyens et les ressources que la divine miséricorde nous met entre les mains pour soulager nos frères du purgatoire. Ces moyens sont puissants, ces ressources sont riches, prodigieuses; mais en faisons-nous un abondant usage ? Pouvant aider les pauvres âmes, avons-nous du zèle pour le faire ? Sommes-nous aussi riches en charité que Dieu est riche en miséricorde ? Hélas ! Combien de chrétiens ne font presque rien pour les défunts ! Et ceux qui ne les oublient pas, ceux qui ont assez de charité pour les aider de leurs suffrages, comme ils le font souvent avec peu de zèle et de ferveur ! Comparez le secours qu’on donne aux malades avec celui qu’on accorde aux âmes souffrantes: quand un père ou une mère est affligée de quelque maladie, quand un enfant ou toute autre personne chérie est en proie à la souffrance, quel soin, quelle sollicitude, quel dévouement ne montre-t-on pas pour les aider ! Mais les âmes, qui ne nous sont pas moins chères, et qui gémissent dans les étreintes, non d’une cruelle maladie, mais des tourments mille fois plus cruels de l’expiation, est-ce avec le même zèle, avec le même dévouement qu’on s’applique à les aider ?

Saint François de Sales

 « Non, disait S. François de Sales, nous ne nous souvenons pas assez de « nos chers trépassés. Leur mémoire semble périr, avec le son des cloches; et « nous oublions « que l’amitié qui peut finir, même par la mort, ne fut jamais véritable. »

Motifs d’aider les âmes

D’où vient ce triste et coupable oubli ? La cause principale en est dans le manque de réflexion: Quia nullus est qui recogitat corde, parce que personne ne réfléchit dans son cœur (Jérém. XII, 11). On perd de vue les grands motifs qui nous pressent d’exercer la charité envers les défunts. C’est pourquoi afin de stimuler notre zèle, nous allons rappeler ces motifs et tâcher de les exposer dans tout leur jour.

 On peut dire que tous les motifs se résument dans cette parole du Saint-Esprit: C’est une pensée, une œuvre sainte et salutaire de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, c’est-à-dire des peines temporelles dues à leurs péchés (II Machab. XII, 46). D’abord c’est une œuvre sainte et excellente en elle-même, agréable et méritoire aux yeux de Dieu. Ensuite c’est une œuvre salutaire, souverainement avantageuse pour notre propre salut, pour notre bien en ce monde et en l’autre.

Une des œuvres les plus saintes, un des meilleurs exercices de piété qu’on puisse pratiquer en ce monde, dit S. Augustin, c’est d’offrir des sacrifices, des aumônes et des prières pour les défunts (Homél. 16, alias 50). Le soulagement que nous procurions aux défunts, dit S. Jérôme, nous fait obtenir une miséricorde semblable.

Considérée en elle-même, la prière pour les défunts est une œuvre de foi, de charité, souvent même de justice, ayant toutes les circonstances qui en portent le prix à son comble. Quelles sont en effet, 1° les personnes qu’il s’agit d’assister ? Ce sont des âmes prédestinées, saintes, très-chères à Dieu et à Notre-Seigneur Jésus-Christ très-chères à l’Église leur mère, qui les recommande sans cesse à notre charité; des âmes qui nous sont aussi bien chères à nous-mêmes, qui nous furent peut-être étroitement unies sur la terre, et qui nous supplient par ces touchantes paroles: Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous surtout qui êtes mes amis (Job. XIX, 21). – 2° Quelles sont les nécessités où elles se trouvent ? Hélas ! Ces nécessités sont extrêmes, et les âmes qui les souffrent ont d’autant plus de droit à notre assistance qu’elles sont impuissantes pour s’aider elles-mêmes. – 3° Quel est le bien que nous procurons aux âmes ? C’est le bien suprême, puisque nous les mettons en possession de la béatitude éternelle.

Saint Thomas d’Aquin

Assister les âmes du purgatoire, disait S. François de Sales, c’est faire la plus excellente des œuvres de miséricorde, ou plutôt c’est pratiquer de la manière la plus sublime toutes les œuvres de miséricorde à la fois: « c’est visiter « les malades, c’est donner à boire à ceux qui ont soif de la vision de Dieu, c’est « nourrir les affamés, racheter les prisonniers, revêtir les nus, procurer aux exilés « l’hospitalité dans la Jérusalem céleste; c’est consoler les affligés, éclairer les « ignorants, faire enfin toutes les œuvres de miséricorde en une seule. » – Cette doctrine est d’accord avec celle de S. Thomas, qui dit dans sa Somme: « Les suffrages pour les morts sont plus agréables à Dieu que les suffrages pour les vivants, parce que les premiers se trouvent dans un plus pressant besoin, ne pouvant se secourir eux-mêmes, comme ceux qui vivent encore (Suppelem. q. 71. Art. 5). »

Sainte Brigitte

Notre-Seigneur regarde comme faite à lui-même toute œuvre de miséricorde exercée envers le prochain: C’est à moi, dit-il, que vous l’avez fait, mihi fecistis. Ceci est vrai d’une manière toute particulière de la miséricorde pratiquée envers les âmes. Il fut révélé à sainte Brigitte, que celui qui délivre une âme du purgatoire, a le même mérite que s’il délivrait Jésus-Christ lui-même de la captivité.

Chapitre 35

Motifs d’aider les âmes – Excellence de l’œuvre.

Quand nous élevons si haut le mérite de la prière pour les morts, nous n’en voulons nullement conclure qu’il faut laisser toutes les autres œuvres pour celle-ci; car toutes les bonnes œuvres doivent s’exercer en temps et lieu, selon les circonstances; nous avons uniquement en vue de donner une juste idée de la miséricorde pour les défunts, et d’en faire aimer la pratique.

Du reste, les œuvres de miséricorde spirituelles, qui tendent à sauver les âmes, sont toutes également excellentes; et ce n’est qu’à certains égards qu’on peut mettre l’assistance des défunts au-dessus des œuvres de zèle pour la conversion des pécheurs vivants.

Controverse entre le Frère Benoît et le Frère Bertrand

Il est rapporté dans les Chroniques des Frères-Prêcheurs (Cf. Rossign. Merv. 1), qu’une vive controverse s’éleva entre deux religieux de cet Ordre, Frère Benoît et Frère Bertrand, au sujet des suffrages pour les défunts. En voici l’occasion. Le Frère Bertrand célébrait souvent la sainte Messe pour les pécheurs, et faisait pour leur conversion de continuelles oraisons, jointes à des pénitences rigoureuses; mais rarement on le voyait célébrer en noir pour les défunts. Le Frère Benoît, qui avait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, ayant remarqué sa conduite, lui demanda pourquoi il en agissait ainsi ?

« Parce que les âmes du purgatoire sont sûres de leur salut, répondit-il; tandis que les pécheurs sont exposés continuellement à tomber en enfer. Quel état plus triste que celui d’une âme en état de péché mortel ? Elle est dans l’inimitié de Dieu et dans les chaînes du démon; suspendue sur l’abîme de l’enfer par le fil si fragile de la vie, qui peut se rompre à tout moment. Le pécheur marche dans la voie de la perdition: s’il continue d’avancer, il tombera dans l’abîme éternel. Il faut donc venir à son aide, le préserver de ce malheur suprême en opérant sa conversion. D’ailleurs n’est-ce pas pour sauver les pécheurs que le Fils de Dieu est venu sur la terre et qu’il est mort sur la croix ? Aussi S. Denis nous assure-t-il, que ce qu’il y a de plus divin dans les choses divines, c’est de travailler avec Dieu à sauver les pécheurs. – Quant aux âmes du purgatoire, il n’y a plus à travailler à leur salut, puisque leur salut éternel est assuré. Elles souffrent, il est vrai, elles sont en proie à de grands tourments, mais elles n’ont rien à craindre pour l’enfer, et leurs souffrances finiront. Les dettes qu’elles ont contractées s’acquittent chaque jour, et bientôt elles jouiront de la lumière éternelle; tandis que les pécheurs sont continuellement menacés de la damnation, malheur suprême, le plus effroyable qui puisse arriver à une créature humaine. »

 – « Tout ce que vous venez de dire est vrai, repartit le frère Benoît; mais n’y a-t-il pas une autre considération à faire ? Si les pécheurs sont esclaves de Satan, c’est qu’ils le veulent bien: leurs chaînes sont volontaires, il dépend d’eux de les briser; tandis que les pauvres âmes du purgatoire ne peuvent que gémir et implorer le secours des vivants. Il leur est impossible de briser les fers qui les tiennent enchaînées dans les flammes expiatrices. – Supposez que vous rencontriez deux pauvres qui vous demandent l’aumône: l’un est estropié et perclus de tous ses membres, absolument incapable de rien faire pour gagner sa vie; l’autre au contraire, bien que dans une grande détresse, est jeune et vigoureux. Tous deux implorent votre charité: auquel croirez-vous devoir donner la meilleure part de vos aumônes ?

– « A celui qui ne peut point travailler, répondit le Frère Bertrand.

 – « Hé bien, mon Père, continua Benoît, les âmes du purgatoire sont dans ce cas: elles ne peuvent plus s’aider elles-mêmes. Le temps de la prière, de la confession et des bonnes œuvres est passé pour elles: nous seuls pouvons les soulager. Il est vrai d’autre part, qu’elles souffrent pour leurs fautes passées, mais ces fautes elles les pleurent et les détestent; elles sont dans la grâce de Dieu et les amies de Dieu: tandis que les pécheurs sont des rebelles, des ennemis du Seigneur. Certes nous devons prier pour leur conversion, mais sans préjudice de ce que nous devons aux âmes souffrantes, si chères au Cœur de Jésus. Ayons pitié des pécheurs, mais n’oublions pas qu’ils ont à leur disposition tous les moyens de salut: ils peuvent et ils doivent se soustraire au péril de la damnation qui les menace. Ne vous semble-t-il pas que les âmes souffrantes sont dans une nécessité plus grande et méritent la meilleure part de notre charité ? »

Malgré la force de ces raisons, le Frère Bertrand persista dans sa première idée, et dit que l’œuvre capitale était de sauver les pécheurs. Dieu permit que la nuit suivante une âme du purgatoire lui fit éprouver durant quelque temps les peines qu’elle souffrait elle-même: elles étaient si terribles qu’il lui semblait impossible de les supporter. Alors, comme dit Isaïe, le tourment lui donna l’intelligence: Vexatio intellectum dabit (Isaïe XXVIII, 19), et il comprit qu’il devait faire davantage pour les âmes souffrantes. Dès le lendemain matin, la compassion dans le cœur et les larmes aux yeux, il monta au saint autel revêtu de l’ornement noir et offrit le sacrifice pour les défunts.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 32, 33

Chapitre 32

Soulagement des âmes

Nous avons vu les ressources et les nombreux moyens que la divine miséricorde a mis entre nos mains pour soulager les âmes du purgatoire; mais quelles sont les âmes qui sont en ce lieu d’expiation et auxquelles nous devons porter secours ? Pour quelles âmes devons-nous prier et offrir à Dieu nos suffrages ?

Lesquelles doivent être l’objet de notre charité ? Tous les fidèles défunts

A cette question il faut répondre, que nous devons prier pour les âmes de tous les fidèles défunts, omnium fidelium defunctorum, selon l’expression de l’Église. Bien que la piété filiale nous impose des devoirs particuliers envers nos parents et nos proches, la charité chrétienne nous commande de prier pour tous les fidèles défunts en général, parce que tous sont nos frères en Jésus-Christ, tous sont notre prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes.

Par ce mot, fidèles défunts, l’Église entend toutes les âmes qui sont actuellement en purgatoire: c’est-à-dire, celles qui ne sont ni en enfer, ni dignes encore d’être admises à la gloire du paradis. Mais quelles sont ces âmes ? Pouvons-nous les connaître ? – Dieu s’est réservé cette connaissance; et à moins qu’il ne lui plaise de nous le révéler, nous ignorons complètement quel est le sort des âmes dans l’autre vie. Or rarement il fait connaître qu’une âme se trouve au purgatoire ou dans la gloire du ciel; plus rarement encore révèle-t-il une réprobation.

Dans cette incertitude nous devons prier en général, comme le fait l’Église, pour tous les défunts, sans préjudice des âmes que nous voulons secourir plus particulièrement.

Saint André Avellino

Nous pourrions évidemment restreindre notre intention à ceux des défunts qui sont encore dans le besoin, si Dieu nous accordait comme à S. André Avellino le privilège de connaître l’état des âmes dans l’autre vie. Lorsque ce saint religieux de l’Ordre des Théatins suivant sa pieuse coutume, priait avec une angélique ferveur pour les défunts, il lui arrivait parfois d’éprouver en lui-même une sorte de résistance, un sentiment d’invincible répulsion; d’autres fois, c’était au contraire une grande consolation, un attrait particulier. Il comprit bientôt ce que signifiaient ces impressions si différentes: la première marquait que sa prière était inutile, que l’âme qu’il voulait aider était indigne de miséricorde et condamnée au feu éternel; l’autre indiquait que sa prière était efficace pour le soulagement de l’âme au purgatoire. De même, quand il voulait offrir le saint Sacrifice pour quelque défunt, s’il sentait au sortir de la sacristie comme une main irrésistible qui le retenait, il comprenait que cette âme était en enfer; mais quand il était inondé de joie, de lumière, et de dévotion, il était sûr de contribuer à la délivrance d’une âme.

Ce charitable Saint priait donc avec la plus vive ardeur pour les défunts qu’il savait être dans les souffrances, et il ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier, lui donnaient l’assurance de leur délivrance (Vie du Saint).

Les pécheurs mourant sans sacrements

Pour nous qui n’avons point ces lumières surnaturelles nous devons prier pour tous les défunts, même pour les plus grands pécheurs et pour les chrétiens les plus vertueux. Saint Augustin connaissait la grande vertu de sa mère sainte Monique; néanmoins, non content d’offrir à Dieu ses suffrages pour elle, il demanda à tous ses lecteurs de ne jamais cesser de la recommander à Dieu.

Quant aux grands pécheurs qui meurent sans s’être extérieurement réconciliés avec Dieu, nous ne pouvons les exclure de nos suffrages, parce que nous n’avons pas la certitude de leur impénitence intérieure. La foi nous enseigne que tout homme mourant en état de péché mortel, encourt la damnation; mais quels sont ceux qui de fait meurent en ce triste état ? Dieu seul, qui s’est réservé le jugement suprême des vivants et des morts, en a la certitude. Quant à nous, nous ne pouvons que déduire des circonstances extérieures une conclusion conjecturale, qui peut tromper, et dont nous devons nous abstenir.

Il faut bien avouer pourtant qu’il y a tout à craindre pour ceux qui meurent sans s’être préparés à la mort; et tout espoir semble s’évanouir pour ceux qui refusent les sacrements. Ces derniers quittent la vie avec les signes extérieurs de la réprobation. Toutefois il faut laisser le jugement à Dieu, selon ces paroles: Dei judicium est, c’est à Dieu qu’appartient le jugement (Deut. I, 17). – Il y a plus à espérer pour ceux qui ne sont pas positivement hostiles à la religion, qui sont bienfaisants envers les pauvres, qui conservent quelque pratique de piété chrétienne, ou qui du moins approuvent et favorisent la piété; il y a plus, dis-je, à espérer pour ceux-là, lorsqu’il arrive qu’après avoir ainsi vécu, ils meurent subitement, sans avoir le temps de recevoir les sacrements de l’Église.

Saint François de Sales

Saint François de Sales ne voulait pas qu’on désespérât de la conversion des pécheurs jusqu’au dernier soupir; et même après la mort, il défendait de juger mal de ceux qui avaient mené une mauvaise vie. A l’exception des pécheurs dont la damnation est manifeste par l’Écriture, il ne faut, disait-il, damner personne, mais respecter le secret de Dieu. – Sa raison principale était que, comme la première grâce ne tombe pas sous le mérite, la dernière, qui est la persévérance finale ou la bonne mort, ne se donne pas non plus au mérite. C’est pourquoi il voulait qu’on espérât bien de la personne défunte, quelque fâcheuse mort qu’on lui eût vu faire; parce que nous ne pouvons avoir que des conjectures fondées sur l’extérieur, où les plus habiles peuvent se tromper (Esprit de S. Fr. de Sales, part. 3).

Chapitre 33

Soulagement des âmes – Pour lesquelles devons-nous prier ? les grands pécheurs. Le Père de Ravignan et le général Exelmans.

Le Père de Ravignan, illustre et saint prédicateur de la Compagnie de Jésus, aimait aussi à espérer beaucoup pour les pécheurs surpris par la mort, lorsque d’ailleurs ils n’avaient pas eu au cœur la haine des choses de Dieu. Volontiers il parlait des mystères du moment suprême, et son sentiment paraît avoir été qu’un grand nombre de ces pécheurs se convertissent à leurs derniers instants, et sont réconciliés avec Dieu, sans qu’on puisse le voir à l’extérieur. Il y a dans certaines morts des mystères de miséricorde et des coups de grâce, où l’œil de l’homme ne voit que des coups de justice. A la lueur d’un dernier éclair, Dieu quelquefois se révèle à des âmes dont le plus grand malheur avait été de l’ignorer; et le dernier soupir, compris de Celui qui sonde les cœurs, peut être un gémissement qui appelle le pardon, c’est-à-dire un acte de contrition parfaite. – le général Exelmans, parent du bon Père, fut précipité subitement dans la tombe par un accident de cheval, et malheureusement il ne pratiquait pas la religion. Il avait promis pourtant de se confesser un jour mais il n’en eut pas le temps. Le P. de Ravignan, qui depuis longtemps priait et faisait prier pour lui, demeura dans la consternation quand il apprit cette mort. Or, le jour même, une personne habituée aux communications célestes, crut entendre une voix intérieure qui lui disait: « Qui donc connaît l’étendue de ma miséricorde « ? Sait-on la profondeur de la mer et ce qu’il y a d’eau dans l’océan ? Beaucoup « sera pardonné à certaines âmes qui ont beaucoup ignoré. »

L’historien à qui nous empruntons ce récit, le Père de Ponlevoy, ajoute plus loin: « Chrétiens, placés sous la loi de l’espérance, non moins que de la foi et de l’amour, nous devons nous élever sans cesse du fond de nos peines jusqu’à la pensée de la bonté infinie du Sauveur. Aucune borne, aucune impossibilité, n’est placée ici-bas entre la grâce et l’âme, tant qu’il reste un souffle de vie. Il faut donc toujours espérer, et adresser au Seigneur d’humbles et persévérantes instances. On ne saurait dire jusqu’à quel point elles peuvent être exaucées. De grands saints et de grands docteurs ont été bien loin en parlant de cette efficacité puissante des prières pour des âmes chéries, quelle qu’ait été leur fin. Nous connaîtrons un jour ces ineffables merveilles de la miséricorde divine. Il ne faut jamais cesser de l’implorer avec une profonde confiance. »

Voici un trait qu’on a pu lire dans le Petit Messager du Cœur de Marie, novembre 1880. Un religieux, prêchant une retraite aux Dames de Nancy, avait rappelé dans une conférence qu’il ne faut jamais désespérer du salut d’une âme, et que parfois les actes les moins importants aux yeux des hommes sont récompensés par le Seigneur à l’heure de la mort. – Au moment de quitter l’église, une Dame en deuil s’approcha de lui et lui dit: Mon Père, vous venez de nous recommander la confiance et l’espoir: ce qui m’est arrivé justifie pleinement vos paroles. J’avais un époux, toujours bon, affectueux, irréprochable, mais qui était resté en dehors de toute pratique religieuse. Mes prières, mes paroles bien souvent hasardées, étaient restées sans résultat.

Durant le mois de mai qui précéda sa mort, j’avais élevé, comme j’en avais l’habitude, dans mon appartement, un petit autel à la sainte Vierge, et je l’ornais de fleurs, renouvelées de temps en temps. Mon mari passait le dimanche à la campagne, et chaque fois à son retour, il m’offrait un bouquet qu’il avait lui-même cueilli, j’employais ces fleurs à l’ornementation de mon oratoire. S’en apercevait-il ? Agissait-il uniquement pour m’être agréable ? Ou un sentiment de piété envers la sainte Vierge l’animait-il ? Je l’ignore; mais il ne manqua pas un dimanche de m’apporter des fleurs.

La veuve en deuil et le vénérable Curé d’Ars

Dans les premiers jours du mois suivant, il fut subitement frappé par la mort, sans avoir le temps de recevoir les secours de la religion. J’en fus inconsolable, surtout parce que je voyais s’évanouir toutes mes espérances pour son retour à Dieu. Par suite de ma douleur, ma santé se trouva bientôt profondément altérée, et ma famille me força de partir pour le midi. Comme je passais par Lyon, je voulus voir le curé d’Ars. Je lui écrivis pour demander une audience et recommander à ses prières mon mari, mort subitement. Je ne lui donnai pas d’autres détails.

Arrivée à Ars, à peine étais-je entrée dans l’appartement du vénérable curé, qu’il m’adressa ces étonnantes paroles: « Madame vous êtes désolée; mais « avez-vous donc oublié les bouquets de fleurs de chaque dimanche du mois de « mai ? » – Impossible de dire quel fut mon étonnement en entendant M. Vianney rappeler une circonstance dont je n’avais parlé à personne, et qu’il ne pouvait connaître que par révélation. Il ajouta: « Dieu a eu pitié de celui qui avait honoré « sa sainte Mère: A l’instant de la mort, votre époux a pu se repentir; son âme « est dans le purgatoire: nos prières et nos bonnes œuvres l’en feront sortir. »

La sœur Catherine de Saint-Augustin et la pécheresse morte dans une grotte

On lit dans la vie d’une sainte religieuse, la sœur Catherine de Saint-Augustin (S. Alphonse, Paraphr. du Salve Regina), que dans le lieu qu’elle habitait se trouvait une femme, appelée Marie, qui s’était livrée au désordre pendant sa jeunesse, et qui, devenue âgée, s’obstinait tellement dans le mal, que les habitants du pays, ne pouvant souffrir cette peste au milieu d’eux, la chassèrent honteusement. Elle ne trouva pas d’autre asile qu’une grotte dans les forêts, où elle mourut au bout de quelques mois, sans assistance et sans sacrements. Son corps fut enterré dans un champ comme un objet immonde.

 La sœur Catherine, qui avait coutume de recommander à Dieu les âmes de tous ceux dont elle apprenait la mort, ne songea pourtant point à prier pour celle-ci, jugeant avec tout le monde qu’elle était sûrement damnée. Quatre mois après, la servante de Dieu entendit une voix, qui disait: « Sœur Catherine, quel malheur « est le mien ! Vous recommandez à Dieu les âmes de tous, il n’y a que la mienne « dont vous n’avez point de pitié ! – Qui donc êtes-vous ? répondit la sœur. – Je « suis cette pauvre Marie, morte dans la grotte. – Comment ! Marie, vous êtes « sauvée ? – Oui, je le suis, par la miséricorde divine. Sur le point de mourir, « épouvantée au souvenir de mes crimes et à la vue de mon abandon, je criai vers « la sainte Vierge. Elle fut assez bonne pour m’entendre, et m’obtint une « contrition parfaite, accompagnée du désir de me confesser si je le pouvais. Je « rentrai ainsi dans la grâce de Dieu, et j’échappai à l’enfer; mais il m’a fallu « descendre dans le purgatoire, où je souffre cruellement. Mon temps serait « abrégé et j’en sortirais bientôt, si l’on offrait pour moi quelques messes. Oh ! «Faites-les célébrer, ma bonne sœur, et je vous promets de prier toujours Jésus et « Marie pour vous.»

La sœur Catherine se hâta de faire dire ces messes, et, après quelques jours l’âme se fit voir à elle, brillante comme un astre, montant au ciel et la remerciant de sa charité.