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Le Secret Admirable du Très Saint Rosaire – Introduction

INTRODUCTION

Rose blanche

Aux prêtres

1. Ministres du Très-Haut, prédicateurs de la vérité, trompettes de l’Évangile, permettez-moi de vous présenter la rose blanche de ce petit livre pour mettre en votre cœur et en votre bouche les vérités qui y sont exposées simplement, sans politesse.

En votre cœur, pour entreprendre vous-mêmes la sainte pratique du Rosaire et en goûter les fruits.

En votre bouche, pour prêcher aux autres l’excellence de cette sainte pratique et les convertir par ce moyen. Prenez garde, s’il vous plaît, de regarder comme le vulgaire, et même comme plusieurs savants orgueilleux, cette pratique comme petite et de peu de conséquence; elle est vraiment grande, sublime et divine. C’est le ciel qui nous l’a donnée, il l’a donnée pour convertir les pécheurs les plus endurcis et les hérétiques les plus obstinés. Dieu y a attaché la grâce dans cette vie et la gloire dans l’autre. Les saints l’ont pratiquée et les souverains Pontifes l’ont autorisée.

Oh! qu’un prêtre et un directeur des âmes est heureux, à qui le Saint-Esprit a révélé ce secret inconnu de la plus grande partie des hommes ou qui ne le connaissent que superficiellement! S’il en reçoit la connaissance pratique, il le récitera tous les jours et le fera réciter aux autres. Dieu et sa sainte Mère verseront abondamment la grâce en son âme pour être un instrument de sa gloire; et il fera plus de fruit par sa parole, quoique simple, en un mois, que les autres prédicateurs en plusieurs années.

2. Ne nous contentons donc pas, mes chers confrères, de le conseiller aux autres; il faut que nous le pratiquions nous-mêmes. Nous pourrons être convaincus dans l’esprit de l’excellence du saint Rosaire, mais comme nous ne le pratiquerons point, on se mettra fort peu en peine de ce que nous conseillerons, car personne ne donne ce qu’il n’a pas: Coepit Jesus facere et docere (Ac 1,1). Imitons Jésus-Christ, qui a commencé par faire ce qu’il a enseigné. Imitons l’Apôtre, qui ne connaissait et ne prêchait que Jésus-Christ crucifié.

C’est ce que nous ferons en prêchant le saint Rosaire qui, comme vous verrez ci-après, n’est pas seulement une composition de Pater et d’Ave, mais un divin abrégé de la vie, de la passion, de la mort et la gloire de Jésus et Marie.

Si je croyais que l’expérience que Dieu m’a donnée de l’efficace de la prédication du saint Rosaire pour convertir les âmes pût vous déterminer à prêcher le saint Rosaire malgré la mode contraire des prédicateurs, je vous dirais les conversions merveilleuses que j’ai vues arriver en prêchant le saint Rosaire; mais je me contente de vous rapporter en cet abrégé quelques histoires anciennes et bien approuvées. J’ai seulement, en votre faveur, inséré plusieurs passages latins tirés de bons auteurs qui prouvent ce que j’explique au peuple en français.

Rose rouge

Aux pécheurs

3. C’est à vous, pauvres pécheurs et pécheresses, qu’un plus grand pécheur que vous offre cette rose rougie du sang de Jésus-Christ pour vous fleurir et vous sauver. Les impies et pécheurs impénitents crient tous les jours: Coronemus nos rosis (Sg 2,8): Couronnons-nous de roses. Chantons aussi: Couronnons-nous des roses du saint Rosaire.

Ah! que leurs roses sont bien différentes des nôtres; leurs roses sont leurs plaisirs charnels, leurs vains honneurs et leurs richesses périssables, qui seront bientôt flétries et pourries; mais les nôtres, qui sont nos Pater et nos Ave bien dits, joints avec nos bonnes œuvres de pénitence, ne se flétriront, ni ne passeront jamais et leur éclat sera aussi brillant en cent mille ans d’ici qu’à présent.

Leurs roses prétendues n’ont que l’apparence de roses, elles ne sont, dans le fond, que des épines piquantes pendant la vie par les remords de la conscience, perçantes à la mort par le repentir et brûlantes à toute éternité par la rage et le désespoir.

Si nos roses ont des épines, ce sont des épines de Jésus-Christ qui convertit nos épines en roses. Si nos roses piquent, elles ne piquent que pour un temps, elle ne piquent que pour nous guérir du péché et nous sauver.

4. Couronnons-nous à l’envi de telles roses du paradis, récitant tous les jours un Rosaire, c’est-à-dire trois chapelets de cinq dizaines chacun ou trois petits chapeaux de fleurs ou couronnes: 1º pour honorer les trois couronnes de Jésus et de Marie, la couronne de grâce de Jésus dans son incarnation, sa couronne d’épines dans sa passion et sa couronne de gloire dans le ciel, et la triple couronne que Marie a reçue dans le ciel de la très sainte Trinité; 2º pour recevoir de Jésus et de Marie trois couronnes, la première de mérite pendant la vie, la seconde de paix à la mort et la troisième de gloire dans le paradis.

Si vous êtes fidèles à le dire, malgré la grandeur de vos péchés, dévotement jusqu’à la mort, croyez-moi: Percipietis coronam immarcescibilem (1 P 5,4), Vous recevrez une couronne de gloire qui ne se flétrira jamais. Quand vous seriez sur le bord de l’abîme, quand vous auriez déjà un pied dans l’enfer, quand vous auriez vendu votre âme au diable comme un magicien, quand vous seriez un hérétique endurci et obstiné comme un démon, vous vous convertirez tôt ou tard et vous sauverez, pourvu que, je le répète et remarquez les paroles et les termes de mon conseil, vous disiez tous les jours le saint Rosaire dévotement jusqu’à la mort pour connaître la vérité et obtenir la contrition et le pardon de vos péchés. Vous verrez en cet ouvrage plusieurs histoires de grands pécheurs convertis par la vertu du saint Rosaire. Lisez-les pour les méditer.

Dieu seul.

Rosier mystique

Aux âmes mystiques

5. Vous ne trouverez pas mauvais, âmes dévotes et éclairées par le Saint-Esprit, que je vous donne un petit rosier mystique venu du ciel pour planter dans le jardin de votre âme; il n’endommagera pas les fleurs odoriférantes de vos contemplations. Il est très odoriférant et tout divin, il ne gâtera rien dans l’ordre de votre parterre; il est très pur et bien ordonné, il porte tout à l’ordre et à la pureté: il croît d’une hauteur si prodigieuse et devient d’une si grande étendue, si on l’arrose et si on le cultive comme il faut tous les jours, que non seulement il n’empêche pas, mais même il conserve et perfectionne toutes les autres dévotions. Vous qui êtes spirituelles, vous m’entendez bien! Ce rosier est Jésus et Marie dans la vie, dans la mort et dans l’éternité.

6. Les feuilles vertes de ce rosier mystique expriment les mystères joyeux de Jésus et de Marie; les épines, les douloureux; et les fleurs, les glorieux. Les roses en boutons sont l’enfance de Jésus et de Marie; les roses ouvertes représentent Jésus et Marie dans les souffrances, et les roses épanouies montrent Jésus et Marie dans leur gloire et leur triomphe. La rose réjouit par sa beauté: voilà Jésus et Marie dans les mystères joyeux; elle pique par ses épines: les voilà dans les mystères douloureux; et elle réjouit par la suavité de son odeur: les voilà enfin dans les mystères glorieux.

Ne méprisez donc pas ma plante heureuse et divine, plantez-la vous-mêmes en votre âme en prenant la résolution de réciter votre Rosaire; cultivez-la et arrosez-la en le récitant fidèlement tous les jours et en faisant de bonnes œuvres, et vous verrez que ce grain qui paraît présentement si petit deviendra avec le temps un grand arbre où les oiseaux du ciel, c’est-à-dire les âmes prédestinées et élevées en contemplation, feront leur nid et leur demeure pour être, sous l’ombre de ses feuilles, garanties des ardeurs du soleil, pour être préservées par sa hauteur des bêtes féroces de la terre, et enfin pour être délicatement nourries par son fruit qui n’est autre que l’adorable Jésus, auquel soit honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen. Ainsi soit-il.

Dieu seul.

Bouton de rose

Aux enfants

7. Je vous offre, mes petits enfants, un beau bouton de rose; c’est un des petits grains de votre chapelet qui vous paraît si peu de chose! Que ce grain est précieux! Oh! que ce bouton de rose est admirable, oh! qu’il s’épanouira large si vous dites dévotement votre Ave Maria! Ce serait trop vous demander que de vous conseiller un Rosaire tous les jours. Dites au moins votre chapelet tous les jours bien dévotement, qui est un petit chapeau de roses que vous mettrez sur la tête de Jésus et de Marie. Croyez-moi, écoutez la belle histoire et la retenez bien.

8. «Deux petites filles, toutes deux sœurs, étant à la porte de leur logis à dire le chapelet dévotement, une belle dame s’apparut à elles, approche de la plus jeune qui n’avait que six à sept ans, la prit par la main et l’emmène. Sa sœur aînée, toute étonnée, la cherche et ne l’ayant pu trouver s’en vint toute éplorée à la maison et dit qu’on avait emporté sa sœur. Le père et la mère cherchèrent inutilement pendant trois jours. Au bout du troisième jour, ils la trouvèrent à la porte avec un visage gai et joyeux; ils lui demandèrent d’où elle venait; elle dit que la dame à laquelle elle disait son chapelet l’avait emmenée dans un beau lieu et lui avait donné à manger de bonnes choses et lui avait mis entre les bras un joli petit enfant qu’elle avait tant baisé. Le père et la mère, qui étaient nouvellement convertis à la foi, firent venir le révérend père jésuite qui les avait instruits dans la foi et la dévotion du Rosaire, ils lui racontèrent ce qui s’était passé. C’est de lui que nous l’avons su. Ceci est arrivé dans le Paraguay» (Antoine Boissieu, S.J., Le Chrétien prédestiné par la dévotion à la Sainte Vierge).

Imitez, mes petits enfants, ces petites filles, et dites comme elles tous les jours votre chapelet, et vous mériterez par là d’aller en paradis et de voir Jésus et Marie, sinon pendant la vie, du moins après la mort pendant l’éternité. Ainsi soit-il.

Que les savants donc et les ignorants, que les justes et les pécheurs, que les grands et les petits louent et saluent jour et nuit par le saint Rosaire Jésus et Marie.

Salutate Mariam, quae multum laboravit in vobis (Rm 16,6).

Source

Le péché d’impureté

Notre-Dame n’est pas venue à Fatima pour nous enseigner du nouveau ; mais seulement pour nous rappeler les réalités éternelles trop généralement oubliées.

Plus que jamais nous côtoyons la mort.

Tel qui sort de chez lui en pleine santé peut, victime des événements actuels, n’y pas revenir. Abstraction faite des accidents toujours possibles.

Rien n’est donc plus opportun que de nous mettre en face de notre destinée :

« Après chaque action viendra le jugement qui en discernera le bien et le mal » (Hébr. IX, 27.). – « Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ » (II Cor. V, 10.).

Par ses aimables Confidents, Marie nous remémore ces vérités et les maximes de l’Évangile les plus urgentes à observer. Plusieurs fois et avec insistance, Elle réclame le changement de vie.

«Les péchés qui jettent le plus d’âmes en enfer sont les péchés d’impureté», déclare-t-elle.

Hélas ! ni ses avertissements maternels, ni les fléaux qui nous frappent n’ont provoqué l’amendement ! L’immoralité du monde s’accroît et s’étale de plus en plus. L’un de ses agents actifs est ce que nous appelons : la mode !

« Il viendra certaines modes qui offenseront beaucoup Notre-Seigneur », prédit Jacintha, instruite par la Vierge bénie.

La mode !… Voilà donc le Barrabas moderne que la plupart osent mettre en parallèle avec le Christ Jésus !… Et ce n’est pas le divin Sauveur qui l’emporte !

La mode ! la mode exerce une sorte de fascination sur la foule sans caractère. Peu possèdent assez d’énergie pour se soustraire à sa tyrannie, et les soi-disant civilisés se contentent du pagne de la brousse africaine, avec la dépravation européenne en plus.

Nul ne peut démentir ce que tous ont pu voir, parmi les chrétiens tout comme chez les autres. Quelle aberration de la part de ceux-ci ! Ils prétendent allier le Ciel et l’enfer… Chose impossible !

« Les personnes qui servent Dieu ne doivent pas suivre les modes, poursuit Jacintha. L’Église n’a pas de modes. Notre-Seigneur est toujours le même. »

Supprimez les vêtements commençant trop tard et finissant trop tôt, les tissus et les formes qui soulignent ce qu’ils devraient voiler. Revêtez-vous décemment, il y va de votre salut et du salut d’un grand nombre, entraînés au mal par votre seul aspect.

Dans une riche famille américaine (connue et que nous pourrions nommer), une jeune fille élégante : un as de la mode venait de mourir. On l’avait mise en bière et, dans le salon, sa mère pleurait près du cercueil fermé. Soudain l’on perçoit des coups partant de l’intérieur. On ouvre. Quel saisissement ! La malheureuse défunte déclare :

« Je suis damnée pour avoir suivi les modes immodestes, et, si elle ne fait pénitence, ma mère a sa place marquée auprès de moi, pour m’y avoir encouragée. » Puis elle retombe dans le silence éternel.

« Si les hommes savaient ce qu’est l’Éternité, ils feraient tout pour changer de vie. »

Entre toutes les vertus, il en est une sans laquelle toutes les autres ne sont rien : c’est l’état de grâce, l’habitude de l’état de grâce : la pureté. Sans elle, tous nos biens spirituels sont des diamants perdus dans la boue.

Croyons notre Mère du Ciel qui ne veut que notre bonheur : marchons dans le sillage de sa modestie et de sa pureté. Efforçons-nous d’y attirer tous ceux qui nous entourent.

« Celui qui aime la pureté du cœur, dit le Sage, aura le Roi du Ciel pour Ami. »

« Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. »

Prière

Vierge incomparable, douce par-dessus toute créature, rendez-nous purs, doux et chastes. Faites qu’une vie parfaitement pure nous conduise au Ciel, où nous jouirons du bonheur de voir et d’aimer votre divin Fils. Amen.

Vierge très pure, priez pour nous.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 58, 59

Chapitre 58

Moyens d’éviter le purgatoire – Privilèges du saint Scapulaire.  La Sabbatine

D’après ce qui précède, la Sainte Vierge a attaché au saint scapulaire deux grands privilèges; de leur côté les Souverains-Pontifes y ont ajouté les plus riches indulgences. Nous ne dirons rien ici des indulgences; mais nous croyons utile de faire bien connaître les deux privilèges précieux connus, l’un sous le nom de la préservation, l’autre sous celui de la délivrance ou de la sabbatine.

Le premier est l’exemption des peines de l’enfer: ln hoc moriens œternum non patietur incendium, celui qui mourra avec cet habit, ne souffrira lilas le feu de l’enfer.

Il est évident que ceux qui mourraient en état de péché mortel, même revêtus du scapulaire, ne seraient point exempts de la damnation; et tel n’est pas le sens de la promesse de Marie, Cette Bonne Mère a promis de disposer miséricordieusement les choses de manière que ceux qui meurent revêtus de ce saint habit, auront une grâce efficace pour se confesser dignement et pleurer leurs fautes; ou que, s’ils sont surpris par une mort subite, ils auront le temps et la volonté de faire un acte de contrition par- faite. On ferait un volume des faits miraculeux qui témoignent de l’accomplissement de cette promesse, contentons-nous d’en citer l’un ou l’autre.

Le vénérable Père de la Colombière

Le Vénérable Père Claude de la Colombière rapporte qu’une jeune personne pieuse d’abord, et portant le saint scapulaire; eut le malheur de s’éloigner du bon chemin, par suite de lectures imprudentes et de la fréquentation de compagnies dangereuses, elle fut entraînée dans de graves désordres et allait tomber dans le déshonneur. Au lieu de se tourner vers Dieu et de recourir à la Sainte Vierge, qui est le refuge des pécheurs, elle s’abandonna à un sombre désespoir. Le démon lui suggéra bientôt un remède à ses maux, l’affreux remède du suicide, qui devait la soustraire à ses misères temporelles en la plongeant dans les supplices éternels. Elle courut donc à la rivière, et revêtue encore de son scapulaire elle se précipita dans les eaux. Chose étonnante, elle surnagea au lieu d’enfoncer, et ne trouvait point la mort qu’elle cherchait. Un pêcheur qui l’aperçut voulut accourir pour la sauver; mais la malheureuse le prévint, elle ôta son scapulaire, le jeta loin d’elle, et s’enfonça aussitôt. Le pêcheur ne put la sauver, mais il trouva le scapulaire et reconnut que cette livrée sacrée avait d’abord empêché cette pécheresse de mourir dans l’acte de son criminel suicide.

Hôpital de Toulon

À l’hôpital de Toulon se trouvait un officier fort impie qui refusait de voir le prêtre. Il approchait de la mort et tomba dans une sorte de léthargie. On profita de cet état pour lui mettre un scapulaire, à son insu. Il revint bientôt à lui et dit avec fureur: « Pourquoi avez-vous mis du feu sur moi, un feu qui me brûle? Ôtez-le, ôtez-le. » – On enleva le saint habit, et le moribond retomba dans son assoupissement. On invoqua la Sainte Vierge et on essaya encore une fois de revêtir ce malheureux pécheur de son saint habit. Il s’en aperçut, l’arracha avec rage, el l’ayant jeté loin de lui en blasphémant, il expira.

Le second privilège, celui de la sabbatine ou de la délivrance, consiste a être délivré du purgatoire par la Sainte Vierge le premier samedi après la mort. Pour jouir de ce privilège il faut observer certaines conditions, savoir: 1- Garder la chasteté propre à son état. 2- Réciter le petit office de la Sainte Vierge. Ceux qui récitent l’office canonial satisfont par-là même, ceux qui ne savent pas lire, doivent à la place de l’office, observer les jeûnes prescrits par l’Église et faire maigre tous les mercredis, vendredis et samedis. 3° En cas de nécessité, l’obligation de l’office, l’abstinence et le jeûne, peuvent être commués en d’autres œuvres pieuses par ceux qui en ont le pouvoir.

Tel est le privilège de la délivrance avec les conditions pour en jouir. Si l’on se rappelle ce qui a été dit plus haut des rigueurs du purgatoire et de sa durée, on trouvera que ce privilège est bien précieux et les conditions bien faciles.

Nous savons que des doutes ont été soulevés sur l’authenticité de la Bulle sabbatine; mais, outre la tradition constante et la pieuse pratique des fidèles, le grand Pape Benoît XIV, dont.la science éminente et la modération doctrinale sont connues, se prononce en sa faveur.

Sainte Thérèse

De plus, les Annales des Carmes rapportent des faits miraculeux en grand nombre, qui confirment la promesse faite par la Reine des Cieux, l’illustre sainte Thérèse, dans un de ses ouvrages, dit avoir vu une âme délivrée le premier samedi, pour avoir fidèlement observé pendant sa vie les conditions de la sabbatine.

Chapitre 59

Une dame d’Otrante

A Otrante, ville du royaume de Naples, une Dame de la haute société éprouvait le plus sensible bonheur à suivre les prédications d’un Père Carme, grand promoteur de la dévotion envers Marie. Il assurait à ses auditeurs que tout chrétiens portant pieusement le scapulaire et observant les pratiques prescrites, rencontrerait la divine Mère au sortir de la vie, et que cette grande consolatrice des affligés viendrait, le samedi suivant; le délivrer de toute souffrance pour l’emmener avec elle au séjour de la gloire. Frappée de si précieux avantages, cette dame prit aussitôt l’habit du saint!) Vierge, fermement résolue d’observer fidèlement les règles de la confrérie. Sa piété prit de grands accroissements: elle priait Marie jour et nuit, mettant en elle toute sa confiance, lui rendant toutes sortes d’hommages: Entre autres faveurs qu’elle lui demandait, elle implorait celle de mourir un samedi, afin d’être aussitôt délivrée du purgatoire. Elle fut exaucée.

Quelques années après, étant tombée malade, malgré l’assurance contraire des médecins, elle déclara que son mal était grave et la conduirait à la mort. « J’en bénis Dieu, ajouta-t-elle, dans l’espérance d’être bientôt avec lui. » – Sa maladie fit en effet de tels progrès, que les médecins la jugèrent sur le point de mourir, et déclarèrent à l’unanimité qu’elle ne passerait pas le jour, qui était un mercredi. Vous vous trompez encore, dit la malade, je vivrai trois jours de plus, et ne mourrai que samedi.

L’événement justifia sa parole. Regardant les jours de souffrances qui lui restaient comme un trésor inestimable, elle en profita pour se purifier et augmenter ses mérites.

Le samedi venu, elle rendit l’âme à son Créateur. Sa fille, très-pieuse aussi, était inconsolable de la perte qu’elle avait faite. Comme elle priait dans son oratoire pour l’âme de sa chère mère, et qu’elle versait d’abondantes larmes, un grand serviteur de Dieu, favorisé habituellement de communications surnaturelles vint la trouver et lui dit: « Cessez de pleurer, mon enfant ou plutôt, que votre tristesse se change en joie. Je viens vous assurer de la part de Dieu, qu’aujourd’hui samedi, grâce au privilège accordé aux confrères du saint Scapulaire, votre mère est montée au ciel et a été admise parmi les élus. Consolez-vous donc et bénissez l’auguste Vierge Marie, Mère des miséricordes. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 5, 6

Chapitre 5

Consolations des âmes. – La Sainte Vierge. – Révélations de sainte Brigitte – Le Père Jérôme Carvalho – Le Bienheureux Renier de Cîteaux.

Les âmes du purgatoire reçoivent aussi de grandes consolations de la Sainte Vierge. N’est-elle pas la Consolatrice des affligés ? et quelle affliction comparable à celle des pauvres âmes? N’est-elle pas la Mère de miséricorde ? Et n’est-ce pas à l’égard de ces âmes saintes et souffrantes qu’elle doit montrer toute la miséricorde de son Cœur ? Il ne faut donc pas s’étonner que dans les Révélations de sainte Brigitte la Reine des cieux se donne à elle-même le beau nom de Mère des âmes du purgatoire: « Je suis, dit-elle à cette Sainte, la Mère de tous ceux qui sont dans le lieu de l’expiation; mes prières adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs fautes (Révélations S. Brig. 1. 4. c. 1. ). »

Le 25 octobre 1604, au collège de la Compagnie de Jésus à Coïmbre, mourut en odeur de sainteté le Père Jérôme Carvalho, âgé de 60 ans. Cet admirable et humble serviteur de Dieu sentait une très vive appréhension des peines du purgatoire. Ni les rudes macérations auxquelles il se livrait plusieurs fois chaque jour, sans compter celles que lui suggérait encore chaque semaine le souvenir plus particulier de la Passion, ni les six heures qu’il consacrait soir et matin à la méditation des choses saintes, ne lui semblaient devoir le mettre à l’abri des châtiments, dus après sa mort à ses prétendues infidélités. Mais, un jour, la Reine du ciel, à laquelle il avait une tendre dévotion, daigna consoler elle-même son serviteur par la simple assurance qu’elle était Mère de miséricorde pour ses chers enfants du purgatoire, aussi bien que pour ceux qui vivent sur la terre. – Cherchant plus tard à répandre une doctrine si consolante, le saint homme laissa, par mégarde et dans la chaleur du discours, échapper ces mots: Elle me l’a dit.

On rapporte qu’un autre grand serviteur de Marie, le Bienheureux Renier de Cîteaux (30 mars), tremblait à la pensée de ses péchés et de la justice terrible de Dieu après la mort. Dans sa frayeur, s’étant adressé à sa grande protectrice, qui s’appelle la Mère de miséricorde, il fut ravi en esprit, et vit la Mère de Dieu supplier son Fils en sa faveur. « Mon Fils, disait-elle, faites-lui grâce du purgatoire, puisqu’il se repent humblement de ses péchés. » – « Ma Mère, répondit Jésus-Christ, je remets sa cause entre vos mains »; ce qui voulait dire, qu’il soit fait à votre client comme vous souhaitez. – Le Bienheureux comprit avec une ineffable joie que Marie lui avait obtenu l’exemption du purgatoire.

Chapitre 6

Consolations du purgatoire. – La Sainte Vierge Marie, privilège du samedi. – La vénérable Paule de Sainte-Thérèse

C’est à certains jours surtout que la Reine des cieux exerce sa miséricorde au purgatoire. Ces jours privilégiés sont d’abord tous les samedis, ensuite les diverses fêtes de Marie, qui deviennent ainsi comme les jours de fête du purgatoire. – Nous voyons dans les révélations des Saints que le samedi, jour spécialement consacré à la Sainte Vierge, la douce Mère des miséricordes descend dans les cachots du purgatoire pour visiter et consoler ses dévots serviteurs. Alors, selon la pieuse croyance des fidèles, elle délivre les âmes qui, ayant porté le saint Scapulaire, ont droit au privilège de la Sabbatine; ensuite elle prodigue les douceurs de ses consolations aux autres âmes qui l’ont particulièrement honorée. Voici ce que vit à ce sujet la Vénérable Sœur Paule de Sainte-Thérèse, religieuse Dominicaine du monastère de Sainte-Catherine à Naples (Rossign. Merv. 50. Marchese, t. I, p. 56).

Ayant été ravie en extase, un jour de samedi, et transporté en esprit dans le purgatoire, elle fut toute surprise de le trouver transformé comme en un paradis de délices, éclairé par une vive lumière, en place des ténèbres habituelles. Comme elle se demandait la raison de ce changement, elle aperçut la Reine des cieux, entourée d’une infinité d’anges, auxquels elle ordonnait de délivrer les âmes qui lui avaient été spécialement dévouées et de les conduire au ciel.

S. Pierre Damien

S’il en est ainsi des simples samedis, on ne peut guère douter qu’il n’en soit de même des jours de fête consacrés à la Mère de Dieu. Parmi toutes ces fêtes, celle de la glorieuse Assomption de Marie semble être le grand jour des délivrances. S. Pierre Damien (Opusc. 34, p. 2, c. 3.) nous dit que, chaque année au jour de l’Assomption, la Sainte Vierge délivre plusieurs milliers d’âmes. Voici la vision miraculeuse qu’il rapporte à ce sujet.

La défunte Marozi

C’est un pieux usage, dit-il, qui existe parmi le peuple de Rome, de visiter les églises un cierge à la main, pendant la nuit qui précède la fête de l’Assomption de Notre-Dame. Or il arriva à cette occasion qu’une personne de qualité, se trouvant agenouillée dans la basilique de l’Ara Cœli, au capitole, aperçut en prière devant elle une autre Dame, sa marraine, qui était morte plusieurs mois auparavant. Surprise et ne pouvant en croire ses yeux, elle voulut éclaircir ce mystère, et alla se placer près de la porte de l’église. Dès qu’elle la vit sortir, elle la prit par la main et la tirant à l’écart: « N’êtes-vous pas, lui dit-elle, ma marraine Marozi, qui m’avez tenue sur les fonts du baptême ? – Oui, répond aussitôt l’apparition, c’est moi-même. – Eh ! comment se fait-il que je vous retrouve parmi les vivants, puisque vous êtes morte il y a près d’une année ? – Jusqu’à ce jour je suis restée plongée dans un feu épouvantable, à cause des nombreux péchés de vanité que j’ai commis dans ma jeunesse; mais dans cette grande solennité, la Reine du ciel est descendue au milieu des flammes du purgatoire, et m’a délivrée ainsi qu’un grand nombre d’autres défunts, afin que nous entrions au ciel le jour de son Assomption. Ce grand acte de clémence elle l’exerce chaque année; et, dans la circonstance actuelle, le nombre de ceux qu’elle a délivrés égale celui du peuple de Rome. »

Voyant que sa filleule restait stupéfaite et semblait douter encore, l’apparition ajouta: « En preuve de la vérité de mes paroles, sachez que vous-même vous mourrez dans un an, à la fête de l’Assomption: si vous passez ce terme, tenez tout ceci pour illusion. »

Saint-Pierre Damien termine ce récit en disant, que la jeune Dame passa l’année en bonnes œuvres pour se préparer à paraître devant Dieu. L’année suivante, l’avant-veille de l’Assomption, elle tomba malade, et mourut le jour même de la fête, comme il lui avait été prédit.

La fête de l’Assomption est donc le grand jour des miséricordes de Marie envers les âmes: elle se plaît à introduire ses enfants la gloire l’anniversaire du jour où elle-même y fit son entrée. Cette pieuse croyance, ajoute l’abbé Louvet, est appuyée sur un grand nombre de révélations particulières; c’est pourquoi, à Rome, l’église de Sainte-Marie in Montorio, qui est le centre de l’archiconfrérie des suffrages pour les trépassés, est dédiée sous le vocable de l’Assomption.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XIV

Comme le Très-Haut manifesta aux saints anges le temps déterminé et convenable de la conception de la très-sainte Vierge, et de ceux qu’il destina pour sa garde.

189. Toutes les choses qui doivent être sont décrétées et déterminées avec leurs propriétés et leurs circonstances du tribunal de la volonté divine, comme dans un principe inévitable et dans la cause universelle de tout ce qui est créé, sans qu’aucune y soit oubliée, ni qu’après avoir été déterminée, elle puisse être empêchée par aucune puissance créée. Tout l’univers et tout ce qu’il contient dépend de ce gouvernement ineffable, qui survient et qui concourt à tout avec les causes naturelles, sans avoir jamais manqué ni même pouvoir manquer d’un seul point au nécessaire. Dieu a fait tout ce qui est créé, et il le soutient par sa seule volonté; il dépend de lui de conserver l’être qu’il a donné à toutes choses, ou de le leur ôter, les réduisant au néant, d’où il les a tirées. Mais comme il les créa toutes pour sa gloire et pour celle du Verbe incarné, il s’est employé dès le commencement de la création à ouvrir et à disposer les voies par où le même Verbe devait descendre pour prendre chair humaine et pour converser avec les hommes, afin de les conduire à Dieu et de leur apprendre à le chercher, à le connaître, à le craindre et à le servir, à l’aimer, à mériter d’en jouir et de le louer éternellement.

190. Son saint nom a été admirable par toute la terre , et glorifié en la plénitude et en la société des saints, qu’il avait choisis pour en faire un peuple su Verbe incarné, qui en devait être le chef . Lorsque tout était en la dernière et convenable disposition en laquelle sa divine providence l’avait voulu mettre, et que le temps qu’elle avait déterminé pour créer cette merveilleuse femme, qui apparut su ciel revêtue du soleil , s’approchait; voulant réjouir et enrichir la terre par sa venue, la très-sainte Trinité pour exécuter son dessein décréta ce que je déclarerai par mes faibles expressions et par mes simples conceptions touchant ce que j’en ai découvert.

191. Nous avons déjà dit comment, à l’égard de Dieu, rien n’est ni passé ni futur, parce que tout est présent à son entendement divin et infini, connaissant toutes choses par un acte très-simple. Mais les réduisant à nos manières d’exprimer et à notre faible façon de concevoir, nous considérons que sa Majesté divine regarda les décrets quelle avait faits de créer une digne et proportionnée Mère dont le Verbe dût prendre chair humaine, car l’accomplissement de ses décrets est infaillible. Le temps convenable et déterminé étant donc déjà arrivé, les trois divines personnes dirent en elles-mêmes: «Il est temps que nous commencions l’ouvrage de notre bon plaisir, et que nous créions cette pure créature et cette âme a bienheureuse qui nous doit être chère sur toutes les autres. Ornons-la de riches dons, et déposons en elle seule les plus grands trésors de notre grâce. Puisque toutes les autres à qui nous avons donné l’être ont été ingrates et rebelles à notre volonté, s’opposant à l’intention que nous avions, qu’elles se conservassent dans le premier et heureux état auquel nous créâmes les premiers hommes, qu’ils s’y sont opposés par leur péché, et puisqu’il n’est pas convenable que notre volonté soit entièrement frustrée, créons en toute sainteté et perfection cette créature, en laquelle le désordre du premier péché n’ait aucune part. Créons une âme selon nos désirs, un fruit de nos attributs, a nu prodige de notre pouvoir infini, sans que la tache du péché d’Adam la souille ni l’approche Faisons un ouvrage qui soit l’objet de notre toute-puissance et un modèle de perfection que nous présenterons à nos enfants comme la fin du projet que nous eûmes en la création. Et puisqu’ils ont tous prévariqué en la volonté libre du premier homme et par le péché qu’il a commis , que cette seule créature soit le dépôt par lequel ceux qu’il a perdus par sa désobéissance soient restaurés; qu’elle soit l’unique image et ressemblance de notre divinité, et qu’elle soit pendant toutes les éternités le chef-d’œuvre de nos complaisances et de nos délices. Nous déposerons en elle toutes les prérogatives et toutes les grâces que nous destinions en notre première et conditionnelle volonté pour les anges et pour les hommes s’ils se fussent maintenus dans leur premier état. Mais puisqu’ils les ont perdues, renouvelons-les en cette créature, et nous ajouterons à ces dons plusieurs autres. Ainsi le décret que nous fîmes ne sera pas entièrement frustré de ses fins, mais il sera plutôt accompli dans toute sa perfection en la personne de notre élue et unique . Car ayant déterminé pour les créatures ce qui était le plus saint, et ayant prévenu ce qui leur était le plus avantageux, le plus parfait et le plus louable, faveurs dont elles se sont rendues indignes, il faut tourner le torrent de notre bonté vers notre bien-aimée, et l’exempter de la loi ordinaire de la génération de tous les mortels, afin que la semence venimeuse du serpent n’ait aucune part en elle. Je veux descendre du ciel dans son sein, et me revêtir de la nature humaine, que je prendrai de sa propre substance.

192. Il est juste que la Divinité, qui est inépuisable en bonté, choisisse une matière très-pure et très-nette pour se renfermer et pour se couvrir, et qui n’ait jamais été souillée par le péché. Notre équité et notre providence demandent ce qui est le plus décent, le plus parfait et le plus saint, et cela s’exécutera, puisqu’il n’est aucune chose qui puisse résister à notre volonté . Le Verbe qui se doit faire homme, étant le rédempteur et le maître des hommes, doit fonder et établir la très-parfaite loi de grâce, et y enseigner à obéir et à honorer le père et la mère , comme des causes secondes de l’être naturel. Et le Verbe divin doit être le premier à l’exécuter, honorant celle qu’il a choisie pour sa Mère par la protection de son bras tout-puissant, qui l’anoblira et l’honorera, en la prévenant par ce qu’il y a de plus admirable, de plus saint et de plus excellent dans toutes les grâces et dans tous les a trésors de ses dons, entre lesquels le plus singulier sera l’honneur et la grâce de ne la pas assujettir à nos ennemis ni à leur malice: ainsi elle doit être exempte de la mort du péché.»

193. «Le Verbe aura enterre une Mère sans père, comme il a su ciel un Père sans mère. Et afin qu’il a y ait sine due correspondance et une juste proportion et convenance en appelant Dieu Père, et cette femme Mère, nous voulons que toute l’égalité et correspondance possible s’observe entre Dieu et la créature, afin qu’en aucun temps le dragon infernal ne puisse se glorifier d’avoir été supérieur à la femme à qui Dieu a obéi comme à sa véritable Mère. Cette dignité d’être délivrée du péché est due et proportionnée à celle qui doit être Mère du Verbe, et lui sera d’un plus grand ornement et d’un plus grand profit, car c’est un plus grand bien d’être sainte que d’en être seulement Mère; ainsi toute la sainteté et toute la perfection doivent accompagner la dignité de Mère de Dieu. Et la chair humaine dont il se doit revêtir doit être éloignée et séparée du péché; et devant en elle racheter les pécheurs, il ne doit pas racheter sa propre chair, comme il rachètera les autres, puisque étant unie à la Divinité, elle doit être rédemptrice; et pour ce sujet nous la préservons par avance, puisque nous avons déjà prévu et accepté a en cette même chair et en cette nature les mérites infinis du Verbe; et nous voulons que pendant a toute l’éternité le Verbe incarné soit glorifié en son tabernacle et en la glorieuse habitation de l’humanité qu’il en a reçue.»

194. «Elle sera fille du premier homme, mais quant à la grâce singulière, elle sera libre et exempte de son péché; et quant à la nature, elle sera très-parfaite et formée par une providence spéciale. Mais parce que le Verbe incarné doit être le maître qui enseignera l’humilité et la sainteté, et qui ne les établira que par les travaux et les peines qu’il doit souffrir, pour confondre la vanité et les apparences trompeuses des mortels, faisant a élection de cet apanage comme d’un trésor que nous estimons le plus; nous voulons aussi que celle qui doit être sa Mère en ait sa bonne part, qu’elle soit unique et singulière en la patience, admirable dans a les souffrances, et qu’elle nous offre avec son Fils unique un sacrifice de douleur, qui sera agréablement reçu de notre volonté et d’une plus grande a gloire pour elle.»

195. Ce fut le décret que les trois personnes divines manifestèrent aux anges bienheureux, qui exaltèrent et adorèrent leurs très-hauts et impénétrables jugements. Et comme la Divinité est un miroir volontaire qui manifeste dans la même vision de gloire, quand il lui plait, de nouveaux mystères aux bienheureux, elle leur fit cette nouvelle démonstration de sa grandeur, pour leur découvrir l’ordre admirable et l’accord merveilleux de ses œuvres. Et tout ceci suivit ce que nous avons dit aux chapitres précédents, sur ce que Dieu fit en la création des anges, quand il leur proposa qu’ils devaient honorer et reconnaître le Verbe incarné et sa très-sainte Mère pour leurs supérieurs. Car le temps qu’il avait destiné pour la conception de cette grande Reine étant arrivé, il n’était pas convenable que le Seigneur, qui dispose toutes choses avec poids et mesure , le célât. Il ne m’est pas possible de ne pas ternir et de ne pas obscurcir par des termes humains et des expressions si bornées, la connaissance que le Très-Haut m’a donnée de mystères si profonds et si relevés; mais je ne laisserai pas de dire, autant que ma faiblesse me le permettra, ce que je pourrai touchant les grands secrets que le Seigneur découvrait aux anges dans cette occasion.

196. «Le temps est déjà arrivé, ajouta sa Majesté divine, auquel notre providence avait déterminé de donner le jour à notre plus agréable et chère créature, la restauratrice du premier péché du genre humain, celle qui doit écraser la tête du dragon , celle que cette mystérieuse femme représenta, et qui apparut en notre présence comme un très-grand signe , et celle qui donnera la chair humaine au Verbe éternel. Cette heure si fortunée pour les mortels s’est approchée, en laquelle nous leur devons distribuer les trésors de notre divinité, et par ce moyen leur ouvrir les portes du ciel. Que la rigueur de notre justice s’arrête dans les châtiments qu’elle a exercés jusqu’à présent sur les a hommes, et que l’attribut de notre miséricorde se fasse connaître, en enrichissant les créatures par les richesses de la grâce et de la gloire éternelle que le Verbe incarné leur méritera.»

197. «Que le genre humain reçoive un réparateur, un maître, un médiateur, un frère et un ami, qu’il soit la vie des morts, le salut des infirmes, la consolation des affligés, le soulagement, le repos et le compagnon des persécutés. Que les prophéties de nos serviteurs et les promesses que nous leur avons faites de leur envoyer un Sauveur pour les racheter, s’accomplissent. Et afin que le tout s’exécute selon notre bon plaisir, et pour commencer l’ouvrage de ce mystère caché dès le commencement du monde, faisons élection, pour former notre bien-aimée Marie, du sein d’Anne, notre humble servante, afin qu’elle y soit conçue, et que sa très-heureuse âme y soit créée. Et quoique sa génération et sa formation doivent être selon l’ordre commun de la naturelle propagation, ce sera néanmoins par un ordre différent de grâce, selon la disposition de notre immense pouvoir.»

198. «Vous savez déjà comme l’ancien serpent, depuis le signe qu’il vit de cette merveilleuse femme, rôde autour de toutes pour les dévorer; que depuis la première que nous créâmes, il poursuit par ses tromperies et par ses embûches celles qu’il connaît être les plus parfaites en leur vie et en leurs œuvres, dans l’espérance qu’il a de rencontrer entre toutes celle dont on le menaça qu’elle a le foulerait aux pieds et lui écraserait la tète. Il a n’est pas douteux que quand il reconnaîtra, par e les grandes diligences qu’il y apportera, la sainteté u singulière de cette très-pure et très-innocente créature, tous les soins et tous les efforts qu’il emploiera pour la persécuter ne soient aussi grands que l’estime qui il en concevra. L’orgueil pourtant de ce dragon sera bien plus grand que sa force ; ainsi il est de notre volonté que vous veilliez sur notre sainte cité, et protégiez d’une manière toute particulière ce tabernacle du Verbe incarné, pour la garder, la secourir et la défendre contre nos ennemis, et pour l’éclairer, la fortifier et la consoler avec un soin et un respect digne de son mérite, pendant qu’elle sera parmi les mortels.»

199. Tous les anges bienheureux se montrèrent avec une profonde humilité, et comme prosternés devant le trône de la très-sainte Trinité, soumis à cette proposition que le Très-Haut leur fit, et tout prêts à exécuter son divin commandement. Chacun d’eux désirait avec une sainte émulation d’être envoyé, et s’offrait à un si heureux emploi: faisant tous su Très-Haut des hymnes et des cantiques nouveaux de louanges, de ce que l’heure arrivait en laquelle ils voyaient l’accomplissement d’une chose qu’ils avaient demandée avec tant d’ardeur durant plusieurs siècles. Je connus dans cette occasion que, depuis cette grande bataille que saint Michel eut su ciel avec le dragon et ses alliés, qui furent ensuite précipités dans les ténèbres éternelles , les légions de saint Michel restant victorieuses et confirmées en grâce et en gloire, ces esprits bienheureux commencèrent alors à demander l’exécution des mystères de l’incarnation du Verbe, qui leur furent révélés, et persévérèrent à réitérer leurs demandes jusqu’à ce que Dieu leur manifestât l’heure de l’accomplissement de leurs désirs.

200. Les esprits célestes reçurent par cette nouvelle révélation une nouvelle joie et une gloire accidentelle, et dirent au Seigneur: «Très-Haut et incompréhensible Seigneur de toutes choses, vous êtes digne de tout honneur, de toute louange et d’une gloire éternelle, et nous sommes créés pour exécuter votre divine volonté. Employez-nous, Seigneur tout-puissant, à tout ce qui regardera vos merveilleux ouvrages et vos grands mystères, afin qu’en tous et en tout votre très-juste bon plaisir s’accomplisse.» Dans ces affections et dans ces souhaits, les princes célestes ne se croyaient pas dignes de cet honneur, et ils auraient souhaité, s’il eût été possible, d’être plus purs et plus parfaits, pour être plus dignes de garder et de servir cette Reine admirable.

201. Le Très-Haut détermina et assigna ceux qui devaient s’occuper à un ministère si relevé; et il fit choix de cent dans chaque chœur, pour faire le nombre de neuf cents, outre lesquels il en destina douze pour servir leur Reine en forme corporelle et visible avec plus d’assiduité, et leur imprima des signes on des devises de la rédemption: ce sont les douze dont il est fait mention dans l’Apocalypse, qui gardaient les portes de la cité, et j’en parlerai dans la déclaration que je ferai ci-après ce chapitre. Le Seigneur en assigna dix-huit autres des plus relevés, afin qu’ils montassent et descendissent par la mystique échelle de Jacob dont nous avons déjà parlé, pour faire les ambassades de la Reine au grand Roi, et du Seigneur à cette même Reine; car elle les envoyait plusieurs fois au Père éternel pour être dirigée dans toutes ses actions selon les mouvements du Saint-Esprit, n’en faisant aucune que par son ordre et conformément à sa divine volonté, en sorte qu’elle n’aurait pas fait la moindre chose sans l’avoir consulté auparavant. Et quand elle n’était pas instruite par une spéciale illustration, elle envoyait ces anges bienheureux au Seigneur pour lui représenter son doute et le désir qu’elle avait de faire ce qui était le plus agréable à sa très-sainte volonté, et pour recevoir ses commandements, comme nous dirons dans la suite de cette histoire.

202. Par-dessus le nombre de tous ces anges dont nous venons de faire mention’, le Très-Haut choisit encore soixante-dix des plus relevés séraphins et des plus proches du trône de la Divinité, afin qu’ils conférassent et communiquassent avec la Reine du ciel, de la même manière qu’ils communiquent et parlent entre eux, et que les supérieurs éclairent les inférieurs. Cet avantage fut accordé à la Mère de Dieu (quoiqu’elle fût supérieure en dignité et en grâce à tous les séraphins), parce qu’elle était voyageuse et inférieure par sa nature. Et quand le Seigneur s’absentait d’elle quelquefois en suspendant sa présence sensible, comme nous verrons: ci-après, ces soixante-dix séraphins l’illustraient et la consolaient, et elle leur communiquait les affections de son ardent amour et les tendres soucis que l’absence de son trésor lui causait. Le nombre de soixante-dix, dont elle fut favorisée, répond aux soixante-dix années de sa très-sainte vie, qui ne fut pas de soixante, comme je le dirai en son lieu. Ce nombre a rapport à ces soixante courageux qui gardaient le lit du roi Salomon, comme il est écrit dans le troisième chapitre des Cantiques, qu’on choisissait entre les plus vaillants d’Israël et les plus expérimentés en la guerre, ayant leurs épées à la ceinture pour le préserver pendant la nuit des surprises des ennemis.

203. Ces princes et ces forts capitaines jurent destinés pour la garde de leur Reine, et choisis parmi les premiers des ordres hiérarchiques: parce qu’en cette ancienne bataille qui se donna dans le ciel entre les esprits humbles et le superbe dragon, ils furent armés par le Roi souverain de l’univers, afin qu’ils combattissent et vainquissent Lucifer et tous les apostats qui le suivirent, avec l’épée de sa vertu et de sa parole divine . Et parce que dans ce fameux combat ces suprêmes séraphins se distinguèrent par un grand zèle pour l’honneur du Très-Haut, comme de braves et adroits cal haines en l’amour divin, ces armes de la grâce leur étant données parla vertu du Verbe incarné, dont ils défendirent l’honneur, combattant pour leur chef et leur Seigneur aussi bien que pour sa très-sainte Mère, dont les intérêts se trouvent inséparables des siens; c’est pourquoi il est dit qu’ils gardaient le lit de Salomon et ne l’abandonnaient jamais, et qu’ils avaient leurs épées à la ceinture , endroit qui désigne la génération humaine, et en elle l’humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, conçue dans le lit virginal de Marie, de sa propre substance et de son sang le plus pur.

204. Les autres dix séraphins, qui restent pour achever le nombre de soixante-dix, furent aussi des plus relevés de ce premier ordre, qui témoignèrent plus de zèle pour l’honneur de la divinité et de l’humanité du Verbe et de sa très-sainte Mère: et, quoique ce combat des auges fidèles fût fort court, il y eut assez d’instants pour toutes ces opérations. Les principaux chefs de cette sainte milice qui se signalèrent te plus dans cette première épreuve furent comme récompensés par cet honneur particulier qu’ils reçurent, d’être encore chefs parmi ceux qui devaient garder leur Reine et leur Maîtresse. Ils font tous ensemble le nombre de mille anges, en comptant les séraphins avec les autres des ordres inférieurs; de manière que cette Cité de Dieu était suffisamment garnie pour se défendre contre les légions infernales.

205. Pour mieux ordonner cet invincible escadron on y mit à la tète le prince de la milice céleste, saint Michel; lequel, bien qu’il ne fût pas toujours présent à la Reine, lui manifestait néanmoins sa présence et l’accompagnait souvent. Le Très-Haut le lui destina, afin que, comme principal et extraordinaire ambassadeur de notre Seigneur Jésus-Christ, il s’employât dans quelques affaires mystérieuses de la très-sainte Vierge. Le prince saint Gabriel y fut aussi employé, afin qu’il descendit, par l’ordre du Père éternel, pour les légations et les mystères qui regardaient cette princesse du ciel. Et ce fut ce que la très-sainte Trinité ordonna pour sa défense et pour sa garde ordinaire.

206. Tout ce dénombrement se fit par une grâce spéciale du Seigneur; car j’eus connaissance qu’il y garda quelque ordre de justice distributive, parce que son équité et sa providence eurent égard aux opérations et à, la volonté avec lesquelles les anges bienheureux reçurent les mystères de l’incarnation du Verbe et de sa très-sainte Mère, qui leur furent révélés au commencement: les mouvements de leurs affections et de leurs inclinations n’étant pas égaux à obéir à la divine volonté et à recevoir les mystères qui leur furent proposés, la grâce tic produisant pas entiers tous les mémos effets: ce qui fut cause que les uns s’y soumirent par une dévotion spéciale, connaissant l’union des deux nature, la divine et l’humaine, en la personne du Verbe, cachée sous l’humble voile d’un corps humain, et élevée à titre chef de toutes les créatures. L’affection des autres se mouvait d’admiration de ce que le Fils unique du hère céleste voulait bien se faire passible et avoir ont si grand amour pour les hommes que de s’offrir à mourir pour eux. Les autres se distinguèrent par les louanges qu’ils rendirent au Très-Haut de ce qu’il devait créer une femme d’une excellence si admirable, qu’elle serait élevée en-dessus de tons les esprits célestes, et dont le Créateur prendrait chair humaine. Selon donc tous ces mouvements et leurs proportions, que le Tout Puissant voulut récompenser d’une gloire accidentelle, il destina ces anges fidèles pour les mystères de Jésus-Christ et de sa très-pure Mère, de la manière que seront récompensés ceux qui se signaleront en cette présente vie en quelque vertu, comme les docteurs, les vierges, et les autres parleurs auréoles.

207. Lorsque ces esprits: bienheureux se manifestaient corporellement, selon cet ordre, à la Mère de Dieu, comme je le dirai dans la suite, ils lui découvraient et lui représentaient par des devises et par des caractères lumineux les divers mystères, soit de l’incarnation, soit de la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, et plusieurs autres qui représentaient cette même Reine, ses grandeurs et sa dignité: quoiqu’elle ne les pénétrât pas quand ils commencèrent de les lui manifester, parce que le Très-Haut commanda à tous ces anges qu’ils ne lui déclarassent pas qu’elle dit être Mère de son Fils unique jusqu’à ce que le temps déterminé par sa divine sagesse fût arrivé; mais pourtant qu’ils l’entretinssent toujours des mystères de l’incarnation et de la rédemption des hommes, pour la conserver dans ses ferventes demandes. Les langues humaines sont incapables, et mes paroles sont trop faibles pour manifester une lumière aussi relevée et; une connaissance aussi sublimes que celles que j’en ai reçues.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XIII

Comme la conception de la très-sainte Marie fut annoncée par le saint archange Gabriel, et comme pour cela Dieu prévint sainte Anne d’une faveur singulière.

177. Les demandes de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent à la présence et au trône de la très-heureuse Trinité, où, étant exaucées et acceptées, la volonté divine fut manifestée aux anges bienheureux, comme si, à notre façon de concevoir, les trois personnes divines eussent parlé à eux, et leur eussent dit: «Nous avons déterminé par notre bénignité que la personne du Verbe prenne chair humaine, pour réa parer en elle tout le genre humain: nous l’avons a manifesté et promis aux prophètes, nos serviteurs, a afin qu’ils le prédissent au monde. La malice et les a péchés des vivants sont arrivés à un tel excès, qu’ils nous obligeraient d’exécuter la rigueur de a notre justice: mais notre bonté et notre miséricorde surpassent toutes leurs méchancetés, qui ne peuvent éteindre notre charité . Ayons égard qu’ils sont les ouvrages de nos mains, et que nous les avons créés à notre image et ressemblance , afin qu’ils fussent héritiers et participants de notre gloire éternelle. Considérons les agréables services que nos serviteurs et amis nous ont rendus, et le grand nombre de ceux qui se distingueront en nos louanges, et en la pratique de tout ce qui sera de notre bon plaisir. Jetons singulièrement notre vue sur Celle qui doit être élue entre toutes, qui sera la plus agréable, et l’objet de nos délices et de nos complaisances, et qui doit recevoir en son sein la personne du Verbe, et le revêtir de la mortalité de la chair humaine. Et puisque l’œuvre en laquelle nous devons manifester les trésors de notre Divinité au monde doit commencer, c’est maintenant le temps propre d’exécuter ce mystère. Joachim et Anne ont trouvé grâce devant nous; c’est pourquoi nous les a regardons avec miséricorde, et les prévenons par la vertu de nos dons et de nos grâces. Ils ont été fidèles en toutes sortes d’épreuves, ils ont rendu a témoignage de la vérité, et leurs âmes se sont rendues agréables en notre présence par leur sincère candeur. Que Gabriel, notre ambassadeur, leur aille donner des nouvelles de consolation et de joie, pour eux et pour tout le genre humain, et leur annonce que notre bénignité les a regardés et les a choisis pour l’accomplissement de nos desseins.»

178 Les esprits célestes ayant connu cette volonté et ce décret du Très-Haut, le saint archange Gabriel adorant et honorant sa divine Majesté en la manière que ces très-pures et spirituelles substances le font, étant humilié devant le trône de la très-sainte Trinité, il en sortit une voix intelligible qui lui dit; «Gabriel, illuminez, vivifiez et consolez Joachim et Anne, nos serviteurs, et dites-leur que leurs prières sont arrivées à notre présence, et que notre clémence les exaucées Promettez-leur qu’ils recevront un fruit de bénédiction par la faveur de notre droite, et qu’Anne concevra et enfantera une fille à laquelle nous donnons le nom de MARIE.»

179. Plusieurs mystères et secrets qui concernaient cette ambassade furent révélés à (archange saint Gabriel, recevant ce commandement du Très-Haut, qui le fit descendre incontinent du ciel empyrée pour s’acquitter de sa mission. Il apparut à saint Joachim, qui était en oraison, et lui dit; «Homme juste et équitable, le Très-Haut a vu de son trône royal vos désirs, et a exaucé vos prières et vos larmes: il vous rend heureux en la terre. Anne, voire épouse, concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre toutes les femmes, et que toutes les nations reconnaîtront comme bienheureuse . Celai qui est le Dieu éternel, incréé et créateur de tontes choses, très-équitable en ses jugements, très-puissant et très-fort, m’envoie vers vous, d’autant que vos œuvres et vos aumônes lui ont été agréables. La charité attendrit le cœur du Tout-Puissant, et hâte ses miséricordes; c’est pourquoi il veut enrichir avec libéralité votre maison et votre famille par la fille qu’Anne concevra, à laquelle le même Seigneur donne le nom de MARIE. Elle doit être dès a son enfance consacrée à Dieu dans son temple, comme vous le lui avez promis. Elle sera grande, a élue, puissante et remplie du Saint-Esprit; et sa conception sera miraculeuse à cause de la stérilité d’Anne; et cette fille sera en sa vie et en ses œuvres a un prodige de grâces et de bénédictions. Louez, Joachim, le Seigneur pour un tel bienfait, et exaltez son saint nom, car il n’a rien opéré de si grand en aucune nation. Vous monterez au temple de Jérusalem pour y rendre vos actions de grâces; et, en témoignage de cette vérité et de cette bonne nouvelle que je vous annonce, vous rencontrerez votre sœur Anne à la porte d’Or, qui ira au temple pour le même sujet. Je vous avertis que cette ambassade est merveilleuse, car la conception de cette fille réjouira le ciel et la terre.»

180. Saint Joachim reçut cette apparition en un sommeil mystérieux qu ïl eut dans la longue prière qu’il fit, afin que cette ambassade fût conforme à celle que saint Joseph, époux de la très-sainte Vierge, reçut ensuite, quand il lui fut manifesté qu’elle était enceinte par l’opération du Saint-Esprit . Le très-heureux saint Joachim revint de ce sommeil tout rempli de joie et de consolation; et, par une prudente précaution, il cacha dans son cœur le secret du grand Roi; il s’en alla au temple par un commandement exprès, où il se prosterna avec une vive foi et une forte espérance en la présence du Très-Haut, et, tout pénétré qu’il était de tendresse et de reconnaissance, lui rendit des actions de grâces, et y adora ses jugements impénétrables .

181. Au même temps que ceci arrivait à saint Joachim, sainte Anne était dans une contemplation très-sublime, et tout absorbée cri Dieu et dans le mystère qu’elle attendait de l’incarnation dit Verbe éternel, dont le même Seigneur lui avait donné de très-hautes connaissances, et communiqué une lumière infuse toute particulière. Elle demandait à sa Majesté, avec une humilité profonde et une vive foi, que la venue du Réparateur du genre humain fût avancée, faisant cette prière; «Roi de très-haute majesté, et Seigneur de tout ce qui est créé, je désirerais, quoique vile a et abjecte créature (mais pourtant ouvrage de vos mains), obliger votre infinie bonté au prix de cette vie que j’ai reçue de vous, Seigneur, d’avancer le temps de notre salut. O quel bonheur, si votre clémence inépuisable s’inclinait à notre grand besoin, et si nos yeux avaient la consolation de voir le Réparateur et le Rédempteur des hommes! Souvenez-vous, Seigneur, des anciennes miséricordes que vous avez pratiquées envers votre peuple, lui promettant votre Fils unique, et que cette délibération de votre amour infini vous y oblige; que ce jour si désiré arrive avant que nous achevions les nôtres. Est-il bien possible que le Très Haut veuille descendre de son trône céleste! Est-il possible qu’il ait une mère sur la terre! Quelle femme sera si heureuse et si fortunée! Oh! qui la pourrait voir! Qui serait digne de servir ses servante! Bienheureuses les nations qui la verront et qui pourront se prosterner à ses pieds et l’adorer. Combien douce sera sa vue! Combien sera charmante sa conversation! Heureux les yeux qui la verront; heureuses les oreilles qui entendront ses discours, et la famille qui aura le glorieux avantage de lui donner une Mère. Que ce décret, Seigneur, s’exécute maintenant, et que votre divine volonté s’accomplisse.»

182. Sainte Aune s’occupait en de semblables oraisons et colloques après les connaissances qu’elle reçut de cet ineffable mystère, et elle en communiquait toutes les raisons à son ange gardien, qui lui apparaissait souvent, et principalement dans cette occasion, en laquelle il se fit voir plus éclatant qu’à l’ordinaire. Le Très-Haut ordonna que l’ambassade de la conception de sa très-sainte Mère frit en quelque chose semblable à celle qui se devait faire ensuite touchant son ineffable incarnation; parce que sainte Anne s’occupait à méditer avec une humble ferveur sur le bonheur de celle qui devait être mère de la Mère du Verbe incarné; et la très-sainte Vierge formait les mêmes souhaits et les mêmes actes touchant celle qui devait être mère de Dieu, comme je le dirai eu son lieu: le même ange faisant sous une forme humaine les deux ambassades, bien que l’apparition qui se fit à la Vierge Marie fût avec plus d’éclat et avec plus de mystère.

183. Le saint archange Gabriel se présenta à sainte Anne sous une forme humaine, plus beau et plus reluisant que le soleil, et lui dit; «Anne, servante du Très-Haut, je suis l’ange du conseil de sa divine Majesté, envoyé des cieux par son infinie bonté, qui regarde toujours favorablement les humbles qui habitent la terre . La prière persévérante est bonne, et l’humble confiance lui est agréable. Le Seigneur a exaucé vos demandes, parce qu’il est près de ceux qui l’invoquent avec une foi vive et une ferme espérance , et qui attendent avec patience et avec résignation les effets de sa miséricorde. Que s’il tarde quelquefois d’accomplir les souhaits et les prières des justes, et s’il semble ne vouloir pas leur accorder ce qu’ils lui demandent, ce n’est que pour les disposer à l’obtenir de sa bonté beaucoup plus avantageusement. La prière et l’aumône sont des clefs qui ouvrent les trésors du Roi tout-puissant, et attirent les richesses de ses miséricordes sur ceux qui l’invoquent . Vous et Joachim avez demandé un fruit de bénédiction, et le Très-Haut a déterminé de vous le donner autant admirable que saint, et de vous accorder beaucoup plus que vous ne lui avez demandé, en vous enrichissant de ses dons célestes; parce que vous étant humiliés dans vos demandes, le Seigneur, satisfaisant vos désirs, se veut exalter avec magnificence: car la créature ne lui saurait être plus agréable que lorsqu’elle lui demande avec humilité et confiance, sans douter de son pouvoir infini. Persévérez dans vos prières, et demandez sans casse le remède du genre humain, afin d’obliger le Seigneur de vous exaucer. Moise , par la persévérance de sa prière, rendit son peuple victorieux. Esther, par la prière et par la confiance, le délivra de la mort. Judith, par la même prière, fut fortifiée et encouragée pour réussir dans une aussi difficile exécution que celle qu’elle devait entreprendre pour la défense d’Israël; et elle en vint à bout, n’étant qu’une femme faible. David vainquit Goliath, parce qu’il pria en invoquant le nom du Seigneur . Élie obtint le feu du ciel pour son sacrifice, et il ouvrait et fermait les cieux par sa prière . L’humilité, la foi et les aumônes de Joachim aussi bien que les vôtres sont montées jusqu’au qu’au trône du Très-Haut, qui m’a envoyé, comme l’un de ses ministres angéliques, pour vous combler de joie et de consolation par les bonnes nouvelles que je vous annonce; parce que sa divine Majesté vous veut rendre bienheureuse, en vous choisissant pour mère de celle qui doit concevoir et enfanter le a Fils unique du Père éternel. Vous enfanterez une fille qui s’appellera MARIE par une ordonnance divine. Elle sera bénie entre toutes les femmes, et remplie du Saint-Esprit. Elle sera la nuée qui vous doit donner la rosée du ciel pour le soulagement des mortels, et les prophéties de vos anciens pères s’accompliront en elle. Elle sera la porte de la vie a et du salut pour les enfants d’Adam. Et vous saurez que j’ai annoncé à Joachim qu’il aurait une fille qui sera bienheureuse et bénie; mais le Seigneur lui a caché le mystère, ne lui manifestant pas quelle dût être mère du Messie. C’est pourquoi vous devez garder ce secret: et vous irez au plus tôt au a temple, pour y rendre grâces au Très-Haut de tant de faveurs que sa puissante et libérale droite vous a faites. Vous rencontrerez Joachim à la porte d’Or, où vous confèrerez avec lui des assurances que vous avez reçues de votre enfantement. Mais pour vous, qui êtes bénie du Seigneur, son infinie Majesté veut vous visiter et enrichir par ses plus singulières a grâces; il parlera à votre cour dans la solitude , et donnera le principe à la loi de grâce, en donnant l’être dans votre sein à Celle qui doit donner la chair mortelle au Seigneur immortel par la forme humaine qu’il en recevra. Et la véritable loi de miséricorde sera écrite dans cette humanité unie au Verbe par son sang .»

184. Afin que la faiblesse de l’humble cœur de sainte Anne pût supporter la grande admiration et la joie extraordinaire que lui causait la nouvelle que cet ambassadeur céleste lui donnait, elle fut fortifiée par le Saint-Esprit: ainsi elle la reçut avec une consolation inconcevable de son âme. Ensuite elle s’en alla au temple de Jérusalem, où elle rencontra saint Joachim, comme l’ange le leur avait prédit. Ils y rendirent tous deux des actions de grâces à l’auteur de cette merveille, et ils y offrirent des dons et des sacrifices particuliers. Ils y reçurent de nouvelles illustrations de la grâce de l’Esprit divin, et ils s’en retournèrent en leur maison remplis de consolations célestes, s’entretenant des faveurs qu’ils venaient de recevoir du Très-Haut par le ministère de son saint ange Gabriel, qui leur avait annoncé et promis à chacun en particulier, de la part du Seigneur, qu’il leur donnerait une fille qui serait la plus éminente en bonheur et en gloire. Et ils se communiquèrent dans cette occasion l’ordre qu’ils avaient reçu du même ange, de se marier ensemble pour le plus grand service de Dieu. Ils différèrent vingt ans de se communiquer ce secret, et ils ne le firent qu’après que l’ange leur eut promis la succession d’un telle fille. Ils renouvelèrent ensuite leurs vœux de l’offrir au temple, qu’ils y monteraient tous les ans dans un semblable jour, avec des offrandes extraordinaires, et qu’ils l’emploieraient en de divines louanges, en des actions de grâces et en aumônes. Ce qu’ils exécutèrent après; et ils ne cessèrent de rendre honneur et gloire au Très-Haut.

185. La prudence de sainte Anne lui fit garder le secret caché, sans jamais découvrir à saint Joachim, ni à aucune autre créature, que sa fille dût être la mère du Messie. Et le saint père n’en connut autre chose durant tout le cours de sa vie, sinon qu’elle serait une grande et mystérieuse femme; mais le Très-Haut le lui manifesta seulement quelques moments avant sa mort, comme je le dirai en son lieu. Et quoique j’aie reçu de grandes pénétrations et de sublimes conna4ssances des vertus et de la sainteté de ces deux saints parents de la Reine du ciel, je ne m’arrête point à déclarer ce que tous les fidèles doivent supposer, pour passer à mon principal dessein.

186. La première conception du corps qui devait servir à la Mère de la grâce, ayant été faite, et avant que de créer son âme très-sainte, Dieu fit une faveur singulière à sainte Anne. Elle eut une vision ou apparition intellectuelle de sa divine Majesté qui lui arriva d’une façon très-relevée; et, lui communiquant dans cette vision de grandes connaissances et des dons particuliers de grâces, il la disposa et la prévint par de très-douces bénédictions . Par la parfaite pureté qu’il lui communiqua, il spiritualisa tout son corps, et éleva son âme à un tel degré de perfection, que dès ce jour elle ne s’occupa à aucune chose humaine qui pût l’empocher d’unir toutes ses affections et toutes ses puissances à Dieu, sans le perdre jamais de vue. Le Seigneur lui dit, pendant qu’il lui départait, ces faveurs: «Anne, ma chère servante, je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob: ma bénédiction et ma lumière éternelle est avec toi. J’ai formé l’homme pour l’élever de la poussière, pour le faire héritier de ma gloire et participant de ma Divinité. Quoique je l’aie enrichi de plusieurs dons et que je l’aie mis en un état très-parfait, il a tout perdu en écoutant le serpent. Mais, oubliant par un effet de ma bonté son ingratitude, je veux réparer son dommage, et accomplir ce que j’ai promis à mes serviteurs et à mes prophètes, de leur envoyer mon Fils unique et leur rédempteur. Les cieux sont fermés, les anciens pères sont détenus sans pouvoir jouir de ma face, et sont privés du prix de ma gloire éternelle, que je leur ai promis: l’inclination de ma bonté infinie est comme violentée en ne se communiquant pas au genre humain. Je voudrais déjà user de ma miséricorde libérale à son égard, et lui donner la personne du Verbe éternel, afin qu’il se fasse homme, naissant d’une femme qui soit mère et vierge immaculée, pure, bénie et sainte sur toutes les créatures; et, pour en venir à l’exécution, je te fais mère de cette mienne et unique élue .»

187. Je ne puis pas facilement expliquer les effets que causèrent ces paroles du Très-Haut dans le cœur candide de sainte Anne, ayant été la première des mortels à qui le ministère de sa très-sainte fille fut révélé: qu’elle serait Mère de Dieu, et que celle qui était choisie pour le plus grand ouvrage de la puissance divine serait conçue dans son sein. Il était convenable aussi qu’elle en fût informée, parce qu’elle devait enfanter et élever avec tous ses soins cette mystérieuse fille, et afin qu’elle sût estimer le trésor qu’elle possédait. Elle écouta avec une humilité profonde la voix du Seigneur, et répondit avec une sainte crainte: «Seigneur Dieu éternel, c’est le propre de votre bonté immense, et l’ouvrage de votre puissant bras, de tirer le pauvre et le méprisé de la confusion . Je me reconnais, Seigneur, indigne de telles a miséricordes et de tels bienfaits. Que peut faire ce petit vermisseau en votre présence? Je ne puis vous offrir en actions de grâces que votre être même et votre propre grandeur, et en sacrifice, que mon âme et toutes mes puissances. Faites, Seigneur, de moi selon votre sainte volonté, puisque je m’y abandonne entièrement. Je voudrais être aussi dignement vôtre, que les grandes faveurs que vous me faites le méritent; mais que ferai-je, moi qui suis indigne d’être la servante de celle qui doit être mère de votre Fils unique et ma fille? Je confesserai, Seigneur, toujours cette vérité, dont je suis pénétrée, aussi bien que mon extrême pauvreté, qui ne m’empêchera pas de me prosterner aux pieds de vos immenses grandeurs pour y attendre les effets de votre miséricorde, puisque vous êtes un père pitoyable et le Dieu tout-puissant. Rendez-moi telle, Seigneur, que la dignité dont vous m’honorez le demande.»

188. Sainte Anne eut une merveilleuse extase dans cette vision, où elle reçut des connaissances très-profondes de la loi de nature, de la loi écrite et de la loi évangélique. Elle y découvrit comment la nature divine, dans le Verbe éternel, se devait unir à la nôtre; comment la très-sainte humanité serait élevée à l’être de Dieu, et plusieurs autres mystères de ceux qui se devaient opérer en l’incarnation du Verbe divin: le Très-Haut la disposant, par ces illustrations et par d’autres dons de grâces, pour la conception et la création de l’âme de sa très-sainte fille, qui devait être Mère de Dieu.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XI

Que le Tout-Puissant en la création de toutes choses eut notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère présents, et qu’il élut et favorisa son peuple figurant ces mystères.

133. La Sagesse, parlant de soi-même, dit au chapitre huitième des Proverbes, qu’elle se trouva présente en la création de toutes choses avec le Très-Haut. Et j’ai déjà dit que cette sagesse est le Verbe incarné, qui était présent avec sa très-sainte Mère lorsque Dieu déterminait dans son entendement divin la création de tout le monde; car dans cet instant non-seulement le Fils était avec le Père éternel et avec le Saint-Esprit en l’unité de la nature divine, mais aussi l’humanité qu’il devait prendre était, en premier lieu de tout ce qui est créé, prévue et désignée dans l’entendement du Père éternel; et avec son humanité, sa très-sainte Mère, qui devait la lui administrer du plus pur de son sang. En ces deux personnes tous ses ouvrages furent prévus, et à leur considération le Très-Haut s’obligeait, à notre façon de parler, de ne pas faire cas de toutes les ingratitudes que le genre humant et les anges mêmes qui prévariquèrent pouvaient commettre, et de ne pas laisser pourtant de procéder à la création de ce qui restait à faire, et des autres créatures qu’il préparait pour le service de l’homme.

134. Le Très-Haut regardait son Fils unique humanisé et sa très-sainte Mère comme des modèles qu’il venait de former par la grandeur de sa sagesse et de son pouvoir, pour sen servir comme d’originaux, sur lesquels il copiait tout le genre humain; et parce que ces deux images avaient une grande ressemblance à sa divinité, toutes les autres aussi, par rapport à ces deux modèles, seraient formées sur cette ressemblance de la Divinité. Il créa aussi les choses matérielles qui sont nécessaires à la vie humaine, mais avec une telle sagesse, que quelques-unes servissent aussi de symboles qui représentassent en quelque façon les deux objets, Jésus-Christ et Marie, sur lesquels il arrêtait principalement sa vue, et auxquels elles devaient servir. C’est pourquoi il fit ces deux grandes lumières du ciel, le soleil et la lune, afin qu’en divisant la nuit d’avec le jour , elles nous représentassent le Soleil de justice, Jésus-Christ, et sa très-sainte Mère, qui est belle comme la lune , lesquels divisent le jour de la grâce de la nuit du péché; et par ses continuelles influences le soleil éclairant la lune, les deux ensemble éclairent toutes les créatures, depuis le firmament et ses astres jusqu’au bout de l’univers.

135. Il créa les autres choses et en augmenta la perfection, voyant qu’elles devaient servir à Jésus-Christ, à la très-pure Marie, et à leur considération aux autres hommes; auxquels il prépara, avant que de les tirer du néant, une table fort délicate, très-abondante et très-assurée, et bien plus mémorable que celle d’Assuérus, parce qu’il les devait créer pour ses plaisirs, et les convier aux saintes délices de sa connaissance et de son amour: il ne voulut pas, comme discret et magnifique Seigneur, que le convié attendit, mais que ce fût tout une même chose d’être créé et de se trouver assis à la table de sa connaissance et de son amour, afin qu’il ne fût point distrait en ce qu’il lui était si important, que de reconnaître et de louer son Créateur tout-puissant.

136. Au sixième jour de la création, il forma et créa Adam comme dans un état de trente-trois ans; le même âge que notre Seigneur Jésus-Christ devait avoir au ‘temps de sa mort, si semblable en son corps et en son âme à sa très-sainte humanité, qu’à peine on l’aurait distingué. D’Adam il forma Ève, qui ressemblait si fort à la sainte Vierge, qu’elle la représentait en tous 1e traits de son visage et en sa personne. Le Seigneur regardait avec une extrême complaisance et avec un amour égal ces deux portraits des deux originaux qu’il devait créer en son temps; et, en leur considération, il donna de grandes bénédictions à leurs copies, comme pour entretenir avec eux et avec leurs descendants un commerce de charité, jusqu’à ce que le jour arrivât auquel il devait former Jésus et Marie.

137. Mais l’heureux. état auquel Dieu avait créé les deux premiers parents du genre humain dura fort peu: parce que, aussitôt qu’ils furent créés, l’envie du serpent, qui était comme à l’affût, s’éleva contre eux quoique Lucifer ne pût point apercevoir la formation d’Adam et d’Ève, comme il aperçut celle des autres créatures à l’instant qu’elles furent produites, car le Seigneur ne lui voulut point manifester l’ouvrage de la création de l’homme, ni la formation d’Ève de la côte d’Adam ; sa Majesté lui cachant tout cela l’espace de quelque temps, pendant lequel ils vécurent ensemble. Mais quand le démon eut vu la disposition admirable de la nature humaine sur tout le reste; la beauté de lame et celle du corps d’Adam et d’Ève, et qu’il eut connu l’amour paternel que le Seigneur leur portait, et qui les faisait maîtres et souverains de tout ce qui était créé, leur faisant espérer outre cela la vie éternelle, ce fut alors que la rage de ce dragon devint plus furieuse, et il n’y a aucune langue qui puisse exprimer les convulsions et les troubles que cette bête féroce eu conçut, son envie effrénée lui inspirant de leur ôter la vie. Il l’aurait fait comme un lion dévorant, s’il n’eut ressenti une force supérieure qui l’en empêchait mais il méditait et cherchait les moyens de les faire déchoir de la grâce du très-Haut et de les rendre rebelles à leur Créateur.

138. Lucifer s’éblouit ici et se trouva dans de grands doutes, parce que, comme le Seigneur lui avait manifesté dès le commencement que le Verbe se devait faire homme dans le sein de la très-sainte Vierge, sans lui déclarer ni en quel lieu, ni quand ce mystère se devait accomplir; il lui cacha la création d’Adam et la formation d’Ève, afin qu’il commençât dès lors à ressentir cette ignorance du mystère et du temps de l’incarnation. Or, comme sa colère et tous ses soins étaient tendus singulièrement contre Jésus-Christ et Marie, il douta qu’Adam ne fût sorti d’Ève, et qu’elle ne fût la Mère, et lui le Verbe incarné. Et le doute que le démon avait s’augmentait d’autant plus qu’il ressentait cette vertu divine qui l’empêchait de les offenser en leur vie. Mais comme il connut d’ailleurs les préceptes que Dieu leur fit incontinent (car ils ne lui furent point cachés, les découvrant dans la conférence qu’Adam et Ève en eurent ensemble), il sortait insensiblement de son doute, épiant les entretiens des deux premiers parents et sondant leur naturel, commençant dès lors à rôder autour d’eux comme un lion affamé , et à s’introduire dans leurs esprits par la connaissance de leurs inclinations. Néanmoins, jusqu’à ce qu’il en fût tout à fait désabusé, il chancelait toujours entre la haine irréconciliable qu’il portait à Jésus-Christ et à sa Mère, et la crainte qu’il avait d’être vaincu par lai: outre qu’il craignait que la Reine du ciel ne le vainquit, bien qu’elle ne fuit qu une pure créature, et non pas un Dieu.

139. Or, considérant le précepte qu’Adam et Ève avaient reçu, armé d’un mensonge trompeur, avec ce secours il résolut de les tenter, commençant de contredire et de s’opposer avec tous ses efforts à la volonté divine. Ce ne fut pas l’homme qu’il attaqua le premier, mais la femme, parce qu’il la connut d’un naturel plus délicat et plus faible; ayant plus d’espérance de remporter ses prétendus avantages sur elle, qu’il savait bien n’être pas aussi forte pour lui résister que Jésus-Christ, au cas qu’Adam l’eût été; outre qu’il avait conçu une très grande indignation contre elle, depuis le signe qu’il avait vu su ciel, et depuis les menaces que Dieu lui avait faites de cette femme. Toutes ces considérations l’entraînèrent et l’émurent plutôt contre Éve que contre Adam: avant que de se déclarer à elle, il lui envoya plusieurs pensées ou imaginations fortes et désordonnées comme ses avant-coureurs, pour la rendre en quelque façon disposée par les troubles que ses passions en recevraient. Et parce que j’en écrirai quelque chose dans un autre endroit, je ne m’étends pas ici à dire avec combien de violence et de cruauté il la tenta; il suffit a mon propos qu’on sache pour le présent ce que les Écritures saintes en disent, et c’est qu’il prit la forme d’un serpent, et que sous cette forme il parla à Ève , qui prêta l’oreille A sa conversation, qu’elle ne devait point écouter; puisqu’en l’écoutant et y répondant elle commença à y donner créance, et ensuite à transgresser le précepte pour soi, et enfin à persuader à son mari d’enfreindre la loi qu’il avait reçue, à son grand dommage et à celui de tous les autres, perdant potin eux et pour nous cet heureux état auquel le Très-Haut les avait mis.

140. Quand Lucifer vit leur chute, et que leur beauté intérieure par la grâce et la justice originelle s’était changée en la difformité du péché, le transport et le triomphe qu’il en témoigna à ses démons furent incroyables. Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, parce qu’il connut d’abord avec combien de clémence (contre ce qu’il désirait) l’amour miséricordieux de Dieu s’était montré ù l’égard des criminels, et qu’il leur avait donné lieu de faire pénitence, d’en espérer le pardon et le retour de sa grâce; à quoi ils se disposaient par leur douleur et par leur contrition. Lucifer connut aussi qu’on leur rendait la beauté de la grâce et l’amitié du Seigneur, ce qui mit de nouveau dans le trouble tout l’enfer, voyant les heureux effets de la contrition. Et ses gémissements s’accrurent beaucoup plus, entendant la sentence que Dieu fulminait coutre les coupables, en laquelle le démon s’aveuglait, ne sachant à quoi se déterminer: et surtout ce lui fut un nouveau tourment d’ouïr qu’on lui renouvelait cette menace sur la terre: La femme t’écrasera la tête , comme elle lui avait été faite dans le ciel.

141. Les couches d’Ève se multiplièrent après le péché, par lequel se fit la distinction et la multiplication des bons et des mauvais, des élus et des réprouvés, les uns qui suivent Jésus-Christ notre Rédempteur et notre Maître, et les autres Satan. Les élus suivent leur chef par la foi, l’humilité, la charité, la patience et par toutes les vertus: et pour remporter le triomphe il sont secourus, aidés et embellis de la divine grâce et des dons que le même Seigneur et restaurateur de tous leur a mérités. Mais les réprouvés, sans recevoir des bienfaits et des faveurs semblables de leur cruel maître, ni en attendre d’autre récompense que la peine et la confusion éternelle de l’enfer, le suivent par orgueil, par présomption, par ambition, par toutes sortes d’ impuretés et de méchancetés, qui partent du père du mensonge et de l’auteur du péché.

142. Nonobstant ce péché, l’ineffable bénignité du Très-Haut leur donna sa bénédiction, afin qu’avec elle ils crussent, et que le genre humain se multipliait. Mais sa divine providence permit que le premier enfantement d’Ève portât les prémices du premier péché en la personne de l’injuste Caïn, et que le second figurait, en celle de l’innocent Abel , le réparateur du péché, notre Seigneur Jésus-Christ; commençant tout à la fois de le représenter en la figure et en l’imitation, afin qu’en la personne du premier juste commençassent la loi et la doctrine de Jésus-Christ, dont tous les autres doivent être disciples, en souffrant pour la justice et étant laits et opprimés des pécheurs, des réprouvés et de leurs propres frères . C’est pourquoi la patience, l’humilité et la douceur eurent leurs prémices en Abel; et en Caïn, l’envie et toutes les méchancetés qu’il pratiqua pour le bonheur du juste et pour sa propre perte, le méchant triomphant, et le bon endurant; et l’on trouve en ces spectacles le commencement de ceux qui devaient ensuite arriver dans le monde, composé de deux villes bien contraires, de Jérusalem pour les justes, et de Babylone pour les réprouvés, chacune ayant son chef pour le bonheur des uns et pour le malheur des autres.

143. Le Très-Haut voulut aussi que le premier Adam fût la figure du second en la manière de la création; puisque, par préférence au premier, il créa pour lui et ordonna la république de toutes les créatures, dont il le faisait le seigneur et le chef: ainsi il laissa passer plusieurs siècles avant que d’envoyer son Fils unique, afin qu’il trouvât eu la multiplication du genre humain un peuple dont il devait être 1e chef, le maître et le roi naturel, et afin qu’il ne fût pas un seul moment sans royaume et sans sujets; la sagesse divine disposant toutes choses avec cet ordre admirable, et voulant que celui qui avait été le premier dans l’intention, fût le dernier dans l’exécution.

144. Le temps s’approchant auquel le Verbe devait descendre du sein du l’ère éternel pour se revêtir de notre mortalité, Dieu élut et prévint un peuple choisi et très-noble, le plus admirable de tous ceux qui l’avaient précédé et qui devaient le suivre; et dans ce peuple une lignée illustre et sainte, dont le Verbe devait descendre selon la chair humaine. Je ne m’arrête pas à raconter cette généalogie de notre Seigneur Jésus-Christ, parce que cela n’est pas nécessaire et que les saints Évangélistes en font une assez ample mention . Je dis seulement, avec toutes les louanges que je puis rendre au Très-Haut, qu’il m’a découvert en plusieurs: occasions et en divers temps le grand amour qu’il porta à son peuple, les faveurs qu’il lui fit et les mystères qu il renfermait, comme ils ont ensuite été manifestés en sa sainte Église, sans que celui qui s’était constitué défenseur et protecteur d’Israël, ait jamais discontinué ses soins.

145. Il suscita des prophètes et de très-saints patriarches qui nous devaient montrer et annoncer de loin ce que nous possédons présentement, afin que nous l’honorions, connaissant la grande estime qu’ils firent de la loi de grâce, et avec combien d’élans et d’ardeur ils la souhaitèrent et la demandèrent. Dieu manifesta à ce peuple son esprit immuable par plusieurs révélations, et ils nous le manifestèrent par les Écritures, qui renferment des mystères immenses que nous devions développer et contraire par la foi, le Verbe incarné les ayant tous accomplis et autorisés, nous laissant par là une doctrine fidèle et assurée, et l’aliment spirituel des Écritures saintes pour sou Église. Et bien que les prophètes et les justes de ce peuple n’aient pu jouir de la vue corporelle de Jésus-Christ, néanmoins le Seigneur leur fut très-libéral en se manifestant à eux par les prophéties et en excitant leurs affections, afin qu’ils sollicitassent sa venue et et qu’ils demandassent la rédemption de tout le genre humain. L’assemblage uniforme de toutes ces prophéties, de tous les mystères et de tous les soupirs des anciens Pères, étaient pour le Très-Haut une musique très-harmonieuse qui raisonnait au plus profond de son sein; de manière (qu’à notre façon de parler) il suspendait le temps, et ne laissait pas de le hâter pour descendre sur la terre et pour venir converser avec les hommes.

146. Sans me trop arrêter sur ce que le Seigneur m’en a fait connaître, et pour arriver aux préparations que je cherche et que ce Seigneur fit pour envoyer le Verbe humanisé et sa très-sainte Mère au monde, je les dirai succinctement, selon l’ordre des Écritures saintes. La Genèse contient ce qui regarde le commencement et la création du monde pour le genre humain; le partage des terres et des peuples, le châtiment et la restauration du genre humain, la confusion des langues, l’origine du peuple élu, sa descente en Égypte; et plusieurs autres grands mystères que Dieu déclara à Moïse, afin de, nous faire connaître par son moyen l’amour et la justice qu’il avait montrés dès le commencement aux hommes, pour les attirer à sa connaissance et à son service, et pour marquer ce qu’il avait déterminé de faire à l’avenir.

147. L’Exode contient les aventures du peuple élu, les plaies et les châtiments que Dieu envoya pour le racheter avec mystère, la sortie d’Égypte et le passage de la mer, la loi écrite donnée avec tant d’appareils et de merveilles; et plusieurs autres, mystères qu’il opéra pour son peuple, affligeant quelquefois ses ennemis et d’autres fois ce même peuple, châtiant les uns comme un juge sévère, corrigeant l’autre comme un très-bon père, lui enseignant à connaître ses bienfaits dans les afflictions. Il fit de grands prodiges par la verge de Moïise, qui figurait la croix, ou le Verbe incarné devait être l’agneau sacrifié pour le remède des uns et pour la ruine des autres , comme la verge l’était et le fut en la mer Rouge, défendant le peuple en élevant autour de lui des remparts d’eau, et y faisant périr les Égyptiens. Et ainsi il formait un tissu avec tous ces mystères de la vie des saints, mêlée de joies et de pleurs, de tristesse et de consolation; copiant avec une sagesse infinie et une providence admirable toutes ces mystérieuses vicissitudes, sur la vie et sur la mort prévue de notre Seigneur Jésus-Christ.

148. Dans le Lévitique on décrit et on ordonne plusieurs sacrifices et cérémonies légales pour apaiser Dieu, parce qu’ils signifiaient l’Agneau qui se devait sacrifier pour tous, et ensuite nous immoler avec lui à sa Majesté divine, lorsqu’il exécuterait dans le temps la vérité de ces sacrifices et de ces figures. Il déclare aussi les vêtements du souverain prêtre Aaron, figure de Jésus-Christ, quoiqu’il ne doive pas être d’un ordre si inférieur, mais selon l’ordre de Melchisédech .

149. Les Nombres contiennent les demeures du désert, figurant la conduite que le Père voulait garder avec la’ sainte Église, avec son Fils unique fait homme et avec la sacrée Vierge; et aussi avec les autres juges; car, selon les divers sens, ils sont tous renfermés dans ces événements de la colonne de feu, de la manne, de la pierre dont l’eau sortit, et de plusieurs autres grands mystères qu’ils contiennent en d’autres choses. Ils renferment aussi les mystères qui sont attachés aux divers nombres, contenant en tout de très-profonds secrets.

150. Le Deutéronome est comme une seconde loi, qui n’est pas différente, mais réitérée d’une autre manière, et une figure plus singulière de la loi évangélique; parce que l’incarnation du Verbe devant être différée (par les secrets jugements de Dieu et pour les raisons de convenance connues à sa divine sagesse), ce même Dieu renouvelait et préparait des lois qui eussent quelque, conformité avec celles qu’il devait ensuite établir par son Fils unique.

151. Josué introduit le peuple de Dieu en la terre de promission, et la lui distribue, ayant passé le Jourdain, faisant des actions héroïques et figurant assez clairement notre Rédempteur, tant en son nom qu’en ses œuvres; en quoi il représenta la destruction des royaumes que le démon possédait, et la séparation qui se fera des bons d’aveu les méchants au dernier jour.

152. Après Josué (le peuple avant déjà pris possession de la terre promise et désirée, qui représentait premièrement et singulièrement l’Église que Jésus-Christ s’était acquise par le prix de son sang), suit le livre des juges, que Dieu ordonnait pour la conduite de son peuple, particulièrement dans les guerres qu’il souffrait des Philistins et des autres ennemis ses voisins, pour ses péchés et ses idolâtries continuelles; mais il le protégeait et le délivrait quand il se convertissait à lui par la pénitence et par le changement de vie. On raconte dans ce livre ce que firent ces deux femmes fortes et vaillantes, Débora et Jabel, l’une jugeant le peuple et le délivrant d’une grande oppression; l’autre contribuant à la victoire qu’il remporta sur ses ennemis: toutes ces histoires étant des figures manifestes et des témoignages évidents de ce qui se passe dans l’Église.

153. En suite du livre des Juges, nous lisons ceux des Rois, que les Israélites demandèrent pour se conformer au gouvernement des autres peuples. Ces livres contiennent de grands mystères de la venue du Messiel a mort du grand prêtre Héli et celle du roi Saül signifient l’abrogation de la loi ancienne. Sadoc et David figurent le nouveau règne et la prêtrise de Jésus-Christ et l’Église, avec le petit nombre qu’il devait y avoir en comparaison du reste du monde. Les autres rois d’Israël et de Juda et leurs captivités dénotent d’autres grands mystères de cette sainte Église.

154. Dans ces temps vint le très-patient Job, dont les paroles sont si mystérieuses, qu’il n’y en a aucune sans quelque profond mystère de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, de la résurrection des morts et du jugement dernier, en la même chair que chaque homme aura eue dans le monde; de la violence, des ruses et des attaques du démon. Et surtout Dieu le proposa à tous les mortels comme un miroir de patience, afin que nous apprissions tous par ses exemples comment nous devons souffrir les afflictions après la mort de Jésus-Christ, que nous avons présente, puisque, avant quelle arrivât et le prévoyant de si loin, ce saint l’imita avec tant de patience.

155. Mais en la grande multitude des prophètes que Dieu envoya à son peuple pendant le règne de ses rois, car il en avait alors un plus grand besoin, il se trouve tant de mystères, que le Très-Haut n’en laissa aucun de ceux qui regardent la venue du Messie et sa loi,, qu’il ne lui révélât et déclarât, ayant tenu la même conduite avec les anciens pères et patriarches, quoique d’une manière plus éloignée. Et tout cela n’aboutissait qu’à multiplier les représentations et les images du Verbe incarné, lui préparer un peuple et figurer la loi qu’il devait établir.

156. Il mit en dépôt entre les mains des trois grands patriarches Abraham, Isaac et Jacob, de grands et de très précieux gages, pour pouvoir, s’appeler le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, voulant s’honorer de ce nom pour les honorer eux-mêmes, manifestant leur dignité, leurs excellentes vertus et les divins secrets qu’il leur avait confiés, afin qu’ils donnassent à Dieu un nom si honorable. Il éprouva le patriarche Abraham en lui commandant de sacrifier Isaac , pour faire cette représentation si claire de ce que le Père éternel devait faire avec son Fils unique. Mais quand ce père obéissant voulut exécuter le sacrifice, le même Seigneur qui l’avait ordonné l’en empêcha, afin que l’exécution d’une action si héroïque fût réservée au seul Père éternel, sacrifiant en effet son Fils unique, et qu’il fût dit qu’Abraham ne l’avait fait qu’en la seule menace; en quoi il parait que le zèle de l’amour divin fut fort comme la mort . Mais il n’était pas convenable qu’une figure si expresse restât imparfaite; c’est pourquoi elle fut achevée par le sacrifice qu’Abraham fit du bélier, qui figurait aussi l’Agneau qui devait ôter les péchés du monde .

157. Il montra à Jacob cette mystérieuse échelle chargée de divers secrets et de sens mystiques . Le plus grand fut qu’elle représentait le Verbe humanisé, qui est la voie et l’échelle par où nous montons au Père, duquel il descendit pour nous visiter; et par son moyen les anges qui nous éclairent et qui veillent à notre garde, montent et descendent, nous portant en leurs mains ; afin que nous ne soyons pas maltraités des pierres des erreurs, des hérésies et des vices dont le chemin de la vie mortelle est rempli; ne laissant pas de monter malgré ces obstacles en sûreté, par cette échelle avec la foi et l’espérance, depuis cette sainte Église, qui est la maison de Dieu et la porte du ciel et de la sainteté, jusqu’au lieu de notre bonheur.

158. Il montra à Moïse, pour le constituer dieu de Pharaon et chef de son peuple, ce buisson mystique qui était ardent sans se consumer , pour marquer en prophétie la personne divine cachée sous notre humanité, sans que l’humain dérogent au divin, et sans que le divin consumât ce qui était humain. Et outre ce mystère la virginité perpétuelle de la Mère du Verbe y était aussi figurée, non-seulement quant au corps, mais aussi quant à l’âme; car pour être fille d’Adam, revêtue et dérivée de cette nature embrasée du premier péché, elle n’en serait point souillée ni offensée.

159. Il fit aussi David selon le modèle de son cœur , afin qu’il pût dignement chanter les miséricordes du Très-Haut , comme il le fit, comprenant dans ses psaumes tous les mystères, non-seulement de la loi de grâce, mais aussi de la loi écrite et de la loi naturelle. Les témoignages, les jugements et les œuvres du Seigneur n’étant pas seulement en sa bouche, mais en ayant aussi le cœur pénétré pour les méditer jour et nuit . Et par le pardon qu’il fit des injures, il fut une vive image ou figure de Celui qui devait pardonner les nôtres; c’est pourquoi il reçut les plus claires et les plus assurées promesses de la venue du Rédempteur du monde.

160. Salomon, roi pacifique, et en cela figure du véritable Roi des rois, fit éclater sa sagesse en manifestant par diverses écritures les mystères de Jésus-Christ, singulièrement dans la métaphore des Cantiques, où il renfermait les mystères du Verbe incarné, de sa très-sainte Mère, de l’Église et des fidèles. Il enseigna aussi en différentes manières la morale pour régler les mœurs, et plusieurs autres écrivains ont reçu dé cette fontaine les eaux de vérité et de vie.

161. Mais qui pourra dignement exagérer le bienfait du Seigneur, d’avoir tiré de son peuple la glorieuse troupe de ses saints prophètes, auxquels la Sagesse éternelle a abondamment élargi la grâce de prophétie, éclairant son Église par tant de flambeaux, qui commencèrent de nous montrer de fort loin le Soleil de justice et les rayons qui devaient rejaillir de ses œuvres en la loi de grâce? Les deux grands prophètes Isaïe et Jérémie furent choisis pour nous annoncer, avec autant de douceur que de force, les mystères de l’incarnation du Verbe, de sa naissance, de sa vie et de sa mort. Isaïe nous promit qu’une vierge concevrait et enfanterait, et nous donnerait un fils qui s’appellerait Emmanuel , et qu’un petit enfant naîtrait pour nous, qui porterait son empire sur ses épaules , annonçant avec tant de clarté tout ce qui reste de la vie de Jésus-Christ, que sa prophétie parut un évangile. Jérémie déclara la nouvelle merveille que Dieu devait opérer dans une fille, qu’elle aurait en son sein un fils, qui seul pouvait être le Christ, Dieu et homme parfait . Il annonça qu’il serait vendu, il décrivit sa passion, ses opprobres et sa mort. La réflexion que je fais sur ces prophètes me remplit d’admiration. Isaïe demande que le Seigneur envoie de la pierre du désert au mont de la fille de Sion , l’Agneau qui doit dominer le monde, parce que cet Agneau, qui est le Verbe incarné, était, quant à la divinité, au désert du ciel, qui est ainsi appelé à cause qu’il n’y avait point encore d’hommes. Et il s’appelle pierre à cause de la situation, de la fermeté et du repos éternel dont il jouit. Le mont où il demande qu’il vienne est, au sens mystique, la sainte Église, et premièrement la très-sainte Vierge, fille de la vision de paix, qui est Sion. Et le prophète l’interpose pour médiatrice pour obliger le Père éternel d’envoyer l’Agneau son Fils unique, parce qu’il n’y avait personne dans tout le reste du genre humain qui pût l’obliger si fort f avancer l’incarnation, que le mérite d’une si excellente mère, qui devait avoir la gloire de revêtir cet Agneau de la peau et de la toison de sa très-sainte humanité: et c’est ce que contient cette très-douce prière et cette prophétie d’Isaïe.

162. Ézéchiel vit aussi cette mère vierge en la figure ou métaphore de cette porte fermée, qui ne devait être ouverte que pour le seul Dieu d’Israël, et par laquelle aucun, autre homme n’entrerait. Habacuc contempla notre Seigneur Jésus-Christ en la croix, et prophétisa par de profonds discours les mystères de la rédemption et les effets admirables de la passion et de la mort de notre Rédempteurs Joël St la description de la terre des douze tribus, figure des douze apôtres qui devaient être chefs de tous les enfants de’ l’Église. Il annonça aussi la venue du Saint-Esprit sur les serviteurs et les servantes du Très-Haut, marquant le tempe de la venue et de la vie de Jésus-Christ. Tous les autres prophètes l’annoncèrent par différents endroits, parce que le Très-Haut voulut que tout ce qui concernait la rédemption du genre humain fût dit, prophétisé et figuré si longtemps auparavant et si copieusement, que toutes ces œuvres admirables pussent rendre témoignage de l’amour et, du soin que Dieu eut pour les hommes, et combien il prétendait d’enrichir son Église, ôter à notre tiédeur et à notre lâcheté toute d’excuses, puisque pour les seules ombrés et figures, ces anciens pères et prophètes furent enflammés de l’amour divin, et rendirent au seigneur des cantiques de louange et de gloire; et nous, qui nous trouvons dans la vérité et dans le beau jour de la grâce, sommes ensevelis dans un oubli criminel de tant de bienfaits, et abandonnons la lumière pour chercher les ténèbres.

La cité mystique de Dieu – Chapitre II

Où il est déclaré de quelle façon le Seigneur manifeste ces mystères et la vie de la Reine du ciel à mon âme, dans l’état où sa divine bonté m’a mise.

12. Afin que l’on soit averti et éclairci dans le reste de cet ouvrage de la façon dont le Seigneur manifeste ces merveilles, il m’a semblé à propos de mettre ce chapitre au commencement, dans lequel je l’expliquerai le mieux qu’il me sera possible, et selon qu’il me sera accordé.

13. J’ai reçu, depuis que j’ai l’usage de la raison, un bienfait du Seigneur que j’estime un des plus grands que sa main libérale m’ait faits: c’est de m’avoir donné une très-grande crainte de le perdre; ce qui m’a toujours poussée et excitée à désirer et à faire ce qui était le plus parfait et le plus assuré, et à demander la continuation de cette grâce au Très-Haut, qui m’a crucifiée en quelque façon, perçant ma chair d’une vive crainte de ses jugements ; je tremble toujours de perdre l’amitié du Tout-Puissant, et même je doute si je la possède. Les larmes que cette perplexité me causait étaient ma continuelle nourriture ; cette crainte m’a fait faire de grandes instances à Dieu, et m’oblige de demander l’intercession de la très-pure Vierge dans ces misérables temps où nous sommes (auxquels les serviteurs de Dieu doivent être cachés, et ne paraître presque point), le suppliant de tout mon cœur qu’il me conduise par une voie assurée et cachée aux yeux des hommes.

14. Le Seigneur me répondit à ces demandes réitérées: «Ne crains point et ne t’afflige pas, ô âme, je te mettrai dans un état et dans un chemin de lumière et de sûreté si caché et si relevé, que nul autre que moi ne le pourra connaisse. Dès aujourd’hui je t’ôterai tout ce qui éclate à l’extérieur, et qui peut être exposé au péril; ainsi ton trésor sera caché: garde-le, et conserve-le bien, par la vie la plus parfaite. Je te mettrai dans un sentier secret, clair, véritable et pur; marche par cette route.» Dès lors j’aperçus un changement et un état fort spiritualisé dans mon intérieur. Mon entendement fut doué d’une nouvelle lumière, et on lui communiqua une science avec laquelle il connut toutes choses en Dieu, ce qu’elles sont en elles-mêmes, et leurs opérations; il lui fut manifesté que c’est la volonté du Très-Haut que je les connaisse et que je les pénètre. Cette intelligence et cette lumière qui m’éclaire est sainte et douce, pure et subtile, aiguë et active, assurée et sereine . Elle fait aimer le bien et haïr le mal. C’est une vapeur de la vertu de Dieu , et une simple émanation de ses infinies clartés, que l’on présente à mon entendement comme un miroir, dans lequel j’aperçois par ma vue intérieure, et par le plus suprême de mon âme, plusieurs choses; l’objet paraissant infini par la lumière qui en rejaillit, quoique les vues soit limitées et l’entendement faible. L’on voit le Seigneur comme s’il était assis sur un trône de grande majesté, d’où l’on découvrirait distinctement ses attributs, autant que les forces de l’esprit humain le peuvent permettre; y ayant entre deux comme un voile d’un cristal très-pur qui le couvre, à travers lequel l’on connaît et l’on discerne avec une vive clarté et une grande distinction lés merveilles et les attributs ou perfections de Dieu. Quoique ce voile dont je viens de parler empêche de le voir totalement, immédiatement et intuitivement, néanmoins la connaissance de ce qu’il cache ne cause aucune peine, mais elle est plutôt un sujet d’admiration à l’entendement, parce que l’on comprend que l’objet est infini et que celui qui le contemple est borné; car elle lui donne des espérances que ce voile sera tiré, et qu’on lui en ôtera l’obstacle, quand l’âme sera dépouillée de cette chair mortelle , si elle tâche de s’en rendre digne.

15. Dans cette connaissance, il y a divers degrés et plusieurs manières de voir; et cela dépend de la divine volonté, Dieu étant un miroir volontaire. Quelquefois il se manifeste plus clairement, d’autres fois moins. Quelquefois on y montre quelques mystères, et on en cache d’autres, et toujours ils sont grands. Cette différence suit bien souvent la disposition de l’âme; parce que si elle n’est pas tranquille et en paix, ou qu’elle ait commis quelque faute, ou quelque imperfection, pour petite qu’elle soit, elle ne peut voir cette lumière de la façon que je dis, par laquelle l’on connaît le Seigneur avec tant de clarté et de certitude, qu’elle ne laisse aucun doute de ce qu’on y découvre: au contraire elle persuade et assure que c’est Dieu qui est présent, et elle fait mieux entendre tout ce que sa Majesté dit. Et cette connaissance produit une force solide, efficace et pleine de douceur, pour aimer et servir le Très-Haut, et pour lui obéir. L’on connaît de grands mystères dans cette clarté; l’on y voit combien la vertu est estimable, et combien il est avantageux de la pratiquer et de la posséder; l’on y découvre sa perfection et sa sûreté; et l’on y ressent une force et une vertu qui contraint de pratiquer le bien, de s’opposer su mal, de le combattre et de vaincre bien souvent les passions. L’âme ne saurait être vaincue pendant qu’elle jouit de cette vue et qu’elle conserve cette lumière , qui lui communique le courage et la ferveur, l’assurance et la joie, et qui, par ses soins et par ses impulsions, appelle, relève et donne cette agilité et cette vivacité qui font que la partie supérieure de l’âme attire après soi l’inférieure. Et le corps même s’en ressent, étant presque tout spiritualisé pendant ce temps- là, auquel toutes ses pesantes inclinations sont suspendues.

16. Lorsque l’âme tonnait et ressent ces doux effets, elle dit avec une amoureuse affection au Très-Haut: Tirez-moi après vous: Trahe me post te , et nous courrons ensemble; parce qu’étant unie avec son bien-aimé, elle ne sent point les opérations terrestres; et se laissant attirer par la douceur des parfums de Celui qui la charme, elle se trouve plus on elle aime que là où elle vit. Elle laisse la partie animale déserte, et ne la rejoint que pour la réformer et la perfectionner, et pour y sacrifier les appétits criminels des passions. Que s’ils se veulent quelquefois révolter, elle les rejette avec impétuosité, parce que je ne vis plus, dit-elle, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi .

17. L’on aperçoit dans cet état, d’une certaine manière, le secours de Jésus-Christ, qui est Dieu et la vie de l’âme, et qui agit dans toutes les saintes opérations et les saints mouvements; et l’on y découvre par la ferveur, par le désir, par la lumière et par l’efficace qui nous secondent en tout ce que nous faisons, une force intérieure que Dieu seul peut causer. L’on y ressent aussi l’amour que la continuation et la vertu de cette lumière produisent, et on y entend intérieurement une parole animée et continuelle , qui nous occupe à tout ce qui est divin, et nous sépare de tout ce qui est humain; et par là l’on découvre que la vertu et la lumière du Soleil de justice, qui éclaire toujours dans les ténèbres, vivent en nous . Ce qui s’appelle proprement être au vestibule de la maison du Seigneur , puisque l’âme est en vue de ce divin Soleil et participe aux rayons qui en sortent .

18. Je ne dis pas que ce soit toute la lumière, mais seulement une partie; et cette partie est une connaissance qui surpasse les forces et le pouvoir de la créature. Le Très-Haut fortifie l’entendement pour le disposer à cette vue, lui donnant une qualité et une lumière surnaturelles, afin qu’il soit proportionné à cette connaissance, qui nous affermit dans cet état par la certitude avec laquelle nous croyons et nous connaissons les autres choses divines: Mais ici la foi nous accompagne aussi, et le Tout-Puissant fait voir à l’âme dans cet état, par sa lumière éternelle, combien elle doit estimer cette science et cette clarté qu’il lui communique; et avec elle tous les biens me sont venus ensemble, et par ses libérales mains j’ai reçu un honneur d’un très-grand prix. Cette lumière me précède en tout ce que je fais; je l’ai apprise sans fiction, et je désire de la communiquer sans envie, et de ne pas céler l’honneur que j’en reçois . Elle est une participation de Dieu et elle produit une grande douceur et une joie singulière . Elle enseigne beaucoup dans un, instant, et elle s’assujettit le cœur , nous retire et nous éloigne avec de puissants efforts de tous les objets qui pourraient nous séduire et qui dans cette lumière nous paraissent d’une amertume horrible: de sorte que l’âme, renonçant aux choses passagères, se va réfugier dans le sanctuaire de l’éternelle Vérité, et entre dans le cellier du Très- Haut , où par ses ordres je suis ornée de la charité, qui m’incite à être patiente et douce, sans envie et sans orgueil ni ambition ; de n’être point colère, de ne juger mal de personne et de souffrir tout ; ne cessant de m’instruire et de m’exhorter par de fortes impulsions dans le plus secret de mon âme, afin que je pratique toujours ce qui est le plus saint et le plus pur, m’enseignant même les moyens de le faire: et si je manque encore à la moindre petite chose, elle me reprend sans en laisser échapper aucune.

19. C’est une lumière qui dans un même temps éclaire et anime, enseigne et reprend, mortifie et vivifie, appelle et retient, instruit et violente; nous fait distinguer le bien et le mal, l’élevé et le profond, la longueur et la largeur , le monde, son état, sa disposition et ses tromperies, ses vaines promesses et l’infidélité de ses habitants et de ses amateurs; et surtout elle m’enseigne à le fouler, à le mépriser et A ne m’attacher qu’au Seigneur, le regardant comme le souverain maître et le gouverneur de toutes choses. Je vois et je connais en sa Majesté la disposition et les vertus des éléments; le commencement, le milieu et la fin des temps, ses vicissitudes et ses variétés, le cours des années, l’harmonie des créatures et leurs qualités ; tout ce qui est le plus caché dans les hommes, leurs opérations et leurs pensées, et combien elles sont éloignées de celles du Seigneur; les périls dans lesquels ils vivent et les sinistres voies qu’ils suivent; les états, les gouvernements, leur inconstance et leur peu de fermeté; en quoi consiste leur commencement, leur fin, et ce qu’ils ont de véritable ou de trompeur. L’on connaît et l’on découvre fort distinctement toutes ces choses en Dieu par le moyen de cette lumière, y connaissant même les personnes et leur naturel. Il y a pourtant un état inférieur à celui dont je viens de parler, qui est ordinaire à l’âme, dans lequel elle, a véritablement l’usage de l’essentiel et de l’habitude de cette lumière, mais non pas de toute sa clarté. Ce qui lui limite cette si haute connaissance des personnes et des états, des secrets et des pensées que l’on reçoit dans le premier; parce que je n’ai pas plus de connaissance dans celui-là qu’il ne m’en faut pour me délivrer des dangers, pour éviter le péché et pour avoir une tendre et véritable compassion de mon prochain; sans que je me puisse donner la liberté de me déclarer à personne, ni de découvrir ce que je connais; car si l’auteur de ces merveilles ne me donne la permission et ne me commande parfois de donner des avis à quelqu’un, il semble que je devienne muette: et quand je lui rends ce bon office, ce doit être sans trop me déclarer, mais en lui touchant le cœur par des raisons évidentes et claires, communes et charitables, et en priant pour ses nécessités, n’ayant cette pénétration que pour cela.

20. Bien que j’aie pénétré toutes ces choses avec une grande clarté, néanmoins le Seigneur ne m’a jamais découvert qu’une âme se dût perdre: et ç’a été un effet de sa Providence, parce que la damnation d’une personne ne se manifeste pas sans un grand sujet; outre que je mourrais sans doute de douleur, si je le connaissais, et ce serait un effet que cette lumière produirait, car c’est une chose fort déplorable de voir qu’une âme doive être privée de Dieu pour toujours. Je l’ai prié de ne pas me découvrir cette malheureuse perte de personne; et si je pouvais délivrer quelqu’un du péché pari ma propre vie, je le ferais avec plaisir et je ne refuserais pas que le Seigneur me le découvrit; mais pour celui auquel il n’y a point de remède, je le prie de me le cacher.

21. On ne me donne pas cette lumière pour m’obliger à déclarer mon secret en particulier, mais afin que j’en use avec prudence et avec sagesse. Elle me pénètre comme une substance qui vivifie (quoiqu’elle ne soit qu’un accident), et qui émane de Dieu comme une habitude, par laquelle je dois régler mes sens et la partie inférieure de mon âme. Car dans la supérieure je jouis toujours d’une vision et d’un état de pais qui me font connaître intellectuellement tous les mystères et les secrets de la Reine du ciel que l’on m’y découvre, aussi bien que plusieurs autres de notre sainte foi, qui me sont presque continuellement présents: et je ne perds jamais cette lumière de vue. Que si quelquefois je m’abaisse comme une misérable créature avec quelque attache aux choses humaines, à l’instant le Seigneur m’appelle avec une douce rigueur, m’oblige de retourner à lui et d’être attentive à ses paroles, à la connaissance de ses mystères et de ses grâces, aux vertus et aux opérations tant extérieures qu’intérieures de la très-sainte Vierge, comme je vais le déclarer.

22. Dans ces états spirituels et dans la clarté de nette même lumière je connaissais et je voyais la même Reine, Mère et Vierge, quand elle me parlait; et les anges, leur nature et leur excellence. Quelquefois aussi je les connais et je les vois en Dieu, et d’autres fois en eux-mêmes; mais avec cette différence, que pour les connaître en eux-mêmes il me faut, descendre quelques degrés plus bas. Et lorsque cela arrive je m’en aperçois par le changement des objets et par les divers mouvements de mon entendement. Je vois et j’entends ces princes célestes; je leur parle dans ces degrés inférieurs; ils y conversent avec moi, et m’éclaircissent de plusieurs de ces mystères que le Seigneur m’a montrés. La Reine du ciel m’y déclare et m’y manifeste ceux de sa très-sainte vie, et toutes les merveilles qui s’y sont passées; et je les distingue tous avec ordre par les divins effets que je ressens dans mon âme.

23. Je les vois en Dieu comme dans un miroir volontaire, sa Majesté m’y montrant les saints qu’elle veut et de la manière qu’il lui plaît, avec une grande clarté et avec des effets plus relevés; on y connaît avec une admirable lumière le même Seigneur, les saints, leurs vertus héroïques, leurs prodiges, et comme ils les ont opérés avec la grâce, rien ne leur ayant été impossible par son secours et par sa, vertu : la créature se trouvant dans cette connaissance plus abondante, plus remplie de vertu et de consolation, et comme dans le repos de son centre; parce que la lumière qu’on y ressent est d’autant plus forte, ses effets plus relevés, sa substance et sa certitude plus grandes, que ce repos est plus intellectuel, moins corporel et moins imaginaire. On y remarque encore ici une différence car l’on y connaît que cette vue ou cette connaissance du même Seigneur, de ses attributs et de ses perfections, est plus élevée; et que ce qui en résulte est d’une douceur inconcevable; et même que la connaissance des créatures en Dieu est inférieure à celle-là. Il me semble que cette subordination naît en partie de l’âme même: car comme sa vue est si bornée, elle ne,peut pas s’appliquer si fort à Dieu, ni le connaître si parfaitement avec les créatures que lorsqu’elle connaît sa seule Majesté sans elles: il semble même que dans cette seule vue on reçoit une plus grande plénitude de consolation, que quand on voit les créatures en Dieu. Cette connaissance de la divinité est si délicate, qu’elle diminue à mesure que nous y mêlons quelque autre chose, su moins pendant que nous sommes dans cette vie mortelle.

24. Je vois dans l’autre état plus inférieur à celui que j’ai dit, la très-sainte Vierge en elle-même et les anges; j’y aperçois et j’y connais de quelle manière l’on m’y enseigne, l’on m’y parle et l’on m’y éclaire; laquelle est à peu près celle dont les anges se communiquent et se parlent entre eus, et dont ces esprits supérieurs éclairent et informent leurs inférieurs. Le Seigneur comme cause première distribue cette lumière; mais celle dont la très-sainte Vierge participe et dont elle jouit avec une si grande plénitude, elle la communique à la partie supérieure de l’âme, et je connais par cette communication cette Reine, ses prérogatives et ses mystères, de la manière dont l’ange inférieur tonnait ce que le supérieur lui communique. Je la connais aussi par la doctrine que cette même Reine enseigne, par l’efficacité de cette doctrine et par plusieurs autres effets, que la vérité, la pureté et l’élévation de cette vision font ressentir et font éprouver; dans laquelle on ne reconnaît rien d’impur, rien d’obscur, rien de faux et rien de douteux; au contraire tout y est saint, pur et véritable. Il m’en arrive de même dans mon état présent, avec les princes célestes; et le Seigneur m’a fait connaître plusieurs fois que je reçois ces communications et ces lumières, comme ils les pratiquent parmi eus. Il m’arrive souvent que cette illumination passe dans moi par tous ces sacrés canaux; que le Seigneur me donne l’intelligence et la lumière ou son objet; que la très-sainte Vierge m’en donne l’éclaircissement, et que les anges me fournissent les termes pour m’exprimer. D’autres fois (et pour l’ordinaire) le Seigneur fait tout, et il m’enseigne ce que je dois écrire. La Reine du ciel m’instruit quelquefois de tout par elle-même; d’autres fois les anges me rendent cet office; et l’on a coutume aussi de ne m’en donner que l’intelligence; prenant les termes dont je me sers pour me faire entendre, de ce qui m’a été déjà inspiré. Il est vrai que je pourrais errer en ceci, si Dieu le permettait, parce que je suis une pauvre ignorante et que je me sers de ce que j’ai ouï: et quand il me vient quelque difficulté en déclarant ces connaissances, j’ai recours à mon directeur et à mon père spirituel dans les matières les plus délicates et les plus difficiles.

25. Dans ces sortes de temps et ces divers états, j’ai rarement des visions corporelles, mais j’y reçois quelques visions imaginaires: et celles-ci sont fort inférieures aux autres dont je viens de parler, qui sont bien plus élevées, plus spirituelles et plus intellectuelles. Et ce que je puis assurer est que dans toutes les connaissances et les intelligences qui me viennent de la part du Seigneur, de la très-sainte Vierge ou des anges, soit qu’elles soient grandes ou petites, inférieures ou supérieures, je reçois une lumière très-abondante et une doctrine fort profitable, dans laquelle je reconnais et je vois la vérité et tout ce qui est le plus parfait et le plus saint; j’y ressens même une force et une lumière divines qui m’obligent de travailler à la plus grande pureté de mon Âme, de désirer la grâce du Seigneur, de mourir pour elle et de pratiquer toujours ce qui lui est le plus agréable: connaissant par ces divers degrés et par ces sortes d’intelligences, avec un grand profit, une douce consolation et une parfaite joie de mon âme, tous les mystères de la,vie de la Reine du ciel. De quoi je glorifie de tout mon cœur le Tout-Puissant, je l’exalte, je l’adore et je le reconnais pour saint, pour le Dieu fort et admirable, et digne de louange, de gloire et de révérence pendant tous les siècles des siècles. Amen.

La cité mystique de Dieu – Introduction a la vie de la Reine du Ciel

Des raisons qu’on a eues de l’écrire, et de plusieurs autres avis sur ce sujet.

1. Si dans ces derniers siècles quelqu’un entend dire qu’une simple fille, qui n’est par son sexe qu’ignorance et que faiblesse, et par ses péchés que la plus indigne de toutes les créatures, se soit hasardée et déterminée d’écrire des choses divines et surnaturelles, je ne serai pas surprise qu’il me traite de téméraire, de présomptueuse et de légère: singulièrement dans un temps auquel notre mère la sainte Église est remplie de docteurs, d’hommes très-savants, et éclairés de la doctrine des sainte Pères, qui ont développé tout ce qu’il y a de plus caché et de plus obscur dans les mystères de la religion. Il y a pourtant des personnes prudentes, savantes et pieuses, qui, ne pénétrant pas les voies spirituelles et surnaturelles, par lesquelles Dieu conduit extraordinairement les âmes, fatiguent leurs consciences, et les mettent dans le trouble et dans la perplexité, suivant en cela le sentiment du commun du monde, qui croit que ces voies, qu’il ne comprend pas, sont dans le christianisme des voies incertaines et dangereuses; mais si ces personnes considèrent sans préoccupation les motifs surnaturels qui m’ont nécessitée d’écrire sur des matières si sublimes et infiniment au-dessus de ma faiblesse et de ma capacité, elles trouveront la justification de ma témérité dans mon obéissance aveugle aux ordres si souvent réitérés du Ciel, et dans les douces violences qu’il m’a faites pour vaincre mes répugnances intérieures. Mais ce qui peut beaucoup mieux servir de garant à tout ce que je viens de dire, pour excuser mon entreprise, c’est la matière dont je traite dans cette divine histoire, qui étant au-dessus de l’esprit humain, doit faire conclure qu’une cause supérieure en est le principe, et qu’il n’y a que l’Esprit divin qui en ait dicté les conceptions et les vérités sublimes qu’elle renferme.

2. Les véritables enfants de la sainte Église doivent avouer que tous les mortels sont incapables, ignorants et muets, non-seulement par leurs forces naturelles, mais même ces forces étant jointes à celles de la grâce commune et ordinaire, pour une entreprise aussi difficile que l’est celle d’expliquer, ou d’écrire les mystères cachés et les magnifiques faveurs que le puissant bras du Très-Haut opéra en la sainte Vierge, dont, la voulant faire Sa mère, il fit une mer impénétrable de sa grâce et de ses dons, ayant déposé en elle les plus grands trésors de sa divinité: et quel sujet y aura-t-il d’être surpris que notre ignorance et notre faiblesse s’en reconnaissent incapables, puisque les esprits angéliques sont dans le même sentiment, et avouent qu’ils ne font que bégayer lorsqu’il s’agit de parler des choses qui sont si fort au-dessus de leurs pensées et de leurs connaissances? C’est pourquoi la vie de ce phénix des œuvres de Dieu est un livre si sacré et si bien fermé, qu’il ne se trouvera aucune créature dans le ciel, ni sur la terre, qui le puisse dignement ouvrir: le Tout-puissant seul, qui l’a formée la plus excellente de toutes les créatures, ayant ce pouvoir; et après lui, notre auguste Reine, qui ayant été digne de recevoir tant de dons ineffables, fut aussi sans doute digne de les connaître. Et il dépend de son Fils unique de les manifester de la manière et au temps qu’il lui plaira, et de choisir les instruments qu’il aura proportionnés pour les déclarer, et qui seront les plus propres pour sa plus grande gloire.

3. Si le choix était à ma liberté, j’en donnerais la commission aux hommes les plus saints et les plus savante de l’Église catholique, qui nous ont enseigné le chemin de la vérité et de la lumière. Mais les jugements et les pensées du Très-Haut sont autant élevés au-dessus des nôtres, que le ciel est distant de la terre, personne ne les pouvant pénétrer, ni le conseiller dans ses. œuvres; c’est lui qui a entre ses mains le poids du sanctuaire et qui pèse les vents; il comprend tous les cieux; et par l’équité de ses très-saints conseils dispose toutes choses avec poids et mesure. Il distribue par sa très-juste bonté la lumière de sa sagesse; personne ne la peut aller tirer du ciel; ses voies noué sont impénétrables; cette sagesse ne se trouve qu’en lui-même; et il la communique aux nations par les âmes saintes, comme une vapeur émanée de son immense charité, comme un très-pur rayon de sa lumière éternelle, et comme un miroir sans tache et une image de sa bonté divine, afin de se faire par son moyen et des amis et des prophètes. Le Seigneur sait pourquoi il m’a élue et appelée, étant la plus abjecte de toutes les créatures; pourquoi il m’a élevée, m’a conduite et disposée; pourquoi il m’a obligée et contrainte d’écrire la vie de sa digne Mère, notre Reine et notre Maîtresse.

4. Je ne crois pas qu’une personne prudente puisse s’imaginer que, sans ce mouvement et cette force de la puissante main du Très-Haut, aucun esprit humain ait pu avoir cette pensée, ni que j’aie pu faire cette résolution; je reconnais et déclare mon impuissance et ma faiblesse pour une telle entreprise: mais comme il ne m’a pas été possible de la former de moi-même, je n’ai pas dû y résister avec opiniâtreté. Et afin qu’on en puisse juger solidement, je raconterai avec une sincère vérité quelque chose de ce qui m’est arrivé sur ce sujet.

5. La huitième année de la fondation de ce couvent, et dans la vingt-cinquième de mon âge, l’obéissance me fit prendre la charge de supérieure, que j’y exerce indignement: ce qui me causa beaucoup de troubles et d’afflictions, une grande tristesse et une extrême lâcheté; parce que ni mon âge, ni mes souhaits ne me portaient point à commander, mais bien plutôt à obéir: mes craintes même s’augmentaient, tant parce que je sus que pour me donner cette charge on avait eu recours à des dispenses, que pour plusieurs autres justes raisons; de manière que le Très-Haut a crucifié mon cœur durant toute ma vie par une continuelle frayeur, que je ne puis exprimer, et qui est causée par l’incertitude où je me trouvais, ne sachant si j’étais dans le bon chemin, si je perdrais son amitié, ou si je jouissais de sa grâce.

6. Dans cette tribulation, j’adressai ma prière et la voix de mon cœur au Seigneur, afin qu’il me secourut, et qu’il me délivrât de ce danger et de cette charge, si c’était sa volonté. Et, quoiqu’il soit vrai que sa divine Majesté m’est prévenue quelque temps auparavant en me commandant de la recevoir, bien que je m’en excusasse avec beaucoup d’humilité, elle-me consolait pourtant toujours, en me manifestant que c’était son bon plaisir; nonobstant tout cela, je ne discontinuai point mes demandes: au contraire je les redoublai, parce que je connaissais, et je voyais dans le Seigneur une chose très-digne d’admiration: et c’était que, nonobstant que sa divine Majesté me découvrit que telle était sa très-sainte volonté, que je ne pouvais point empêcher, j’apercevais pourtant qu’elle me laissait libre, afin que je pusse m’en dispenser, ou y résister, étant libre de faire ce que je voudrais; mais comme créature faible, je reconnaissais combien mon incapacité était grande en toutes les manières: car les œuvres du Seigneur envers nous sont toujours accompagnées d’une égale prudence. C’est pourquoi, connaissant la liberté dans laquelle j’étais, je fis plusieurs instances pour m’excuser d’un péril si évident, qui est si peu connu de la nature corrompue, de ses inclinations déréglées et de son aveugle concupiscence. Mais le Seigneur continuait toujours à me faire connaître que c’était sa volonté, et me consolait par lui-même et par les saints anges, qui m’exhortaient incessamment de lui obéir.

7. Dans cette affliction, j’eus recours à ma divine Reine, comme à un singulier refuge de toutes mes peines, et lui ayant déclaré mes voies et mes désirs, elle daigna me répondre par ces très-douces paroles; «Ma fille, console-toi, et prends garde que le souci ne te fasse perdre la tranquillité de ton cœur. Efforce-toi de le prévenir et de t’y disposer; et sache que je serai ta mère et ta supérieure de même que de tes inférieures; tu m’obéiras, et je suppléerai à tes manquements; tu ne seras que ma coadjutrice, et c’est par toi que j’accomplirai la volonté de mon Fils et de mon Dieu.» Ce sont les paroles que notre auguste Princesse me dit, auxquelles je trouvai autant de consolation que de profit pour mon âme; c’est pourquoi je pris courage, et je modérai ma tristesse; dès ce jour, la Mère de miséricorde augmenta les faveurs qu’elle faisait à sa très-humble servante; parce que dans la suite ses communications me furent plus intimes et plus assidues, me recevant, m’écoutant et m’enseignant avec une bonté ineffable; elle me consolait et me conseillait dans mes afflictions, remplissant mon âme d’une lumière céleste, et d’une doctrine divine: elle me commanda de renouveler les vœux de ma profession entre ses mains; après quoi, cette très-aimable Mère se familiarisa davantage avec sa servante, et ôta le voile aux mystères très-relevés et très-magnifiques, qui sont renfermés dans sa vie, et qui sont cachés aux mortels. Et quoique cette insigne faveur et cette lumière surnaturelle fussent continuelles (singulièrement aux jours de ses fêtes, et dans d’autres différentes occasions, auxquelles je connus plusieurs mystères), ce n’était pourtant pas avec cette plénitude et avec cette clarté dont je jouissais lorsqu’elle me les a enseignés dans la suite; y ajoutant plusieurs fois le commandement de les écrire de la manière que je les concevrais, et qu’elle me les dicterait et me les enseignerait. Ce fut principalement dans le jour d’une dos fêtes de cette très-sainte Vierge, que le Très-Haut me dit qu’il tenait cachés plusieurs mystères qu’il avait opérés à l’égard de cette divine Reine, et plusieurs faveurs qu’il lui avait faites en qualité de salière, quand elle était encore voyageuse parmi les mortels; et qu’il voulait me les découvrir, afin que je les écrivisse comme elle me les enseignerait. Je résistai pourtant pendant dix ans à cette volonté de Dieu, jusqu’à ce que je commençai la première fois d’écrire cette divine histoire.

8. Ayant auparavant communiqué les peines que j’avais sur ce sujet aux princes célestes que le Tout-Puissant avait destinés pour me conduire dans cet important ouvrage, et leur Ayant déclaré les troubles de mon esprit et les afflictions de mon cœur,et combien je me reconnaissais faible et incapable d’une telle entreprise, ils me répondirent plusieurs fois que c’était la volonté du Très-Haut que j’écrivisse la vie de sa très-pure Mère. Mais ce fut principalement un jour dans lequel je m’obstinais de leur représenter avec ardeur mes difficultés, mes impossibilités et mes craintes, qu’ils me répondirent; «C’est avec sujet, ô âme! que tu perds courage, et que tu te troubles; que tu doutes, et que tu prends de si grandes précautions dans une affaire d’une telle importance; puisque nous-mêmes, nous nous reconnaissons incapables d’expliquer des choses aussi relevées et aussi sublimes que celles que le puissant bras du Seigneur a opérées en faveur de la Mère de piété, notre auguste Reine. Mais prends garde, notre très-chère sœur, que tout l’univers manquera, etque tout ce qui a l’être s’anéantira, avant que la parole du Très-Haut manque; il l’a engagée fort souvent en faveur de ses créatures, et elle se trouve dans les saintes Écritures, qu’il a laissées à son Église, dans lesquelles il est dit que l’obéissant chantera victoire de ses ennemis, et qu’il ne sera point repris d’avoir obéi. Lorsqu’il créa le premier homme, et qu’il lui défendit de manger du fruit de l’arbre de science, alors il établit cette vertu d’obéissance; et jurant, il jura pour assurer davantage l’homme (car c’est la coutume du Seigneur, comme il le fit à Abraham, lorsqu’il lui promit que le Messie descendrait de sa lignée, et qu’il le lui donnerait avec assurance de jurement). Il en usa de même lorsqu’il créa le premier homme, en l’assurant que l’obéissant n’errerait point. Il réitéra aussi ce jurement lorsqu’il commanda que son très-saint Fils mourût; et il assura tous les hommes que qui obéirait à ce second Adam, en l’imitant dans son obéissance, par laquelle il restaura ce que le premier avait perdu par sa rébellion, vivrait éternellement, et que l’ennemi n’aurait nulle part en ses pauvres. Sache, Marie, que toute obéissance vient de Dieu comme de sa principale, et première cause; nous nous soumettons nous-mêmes au pouvoir de sa divine droite, et nous obéissons à sa très juste volonté, à laquelle nous ne pouvons résister, la connaissant, puisque nous voyons face à face l’Être immuable du Très-Haut, dans lequel nous découvrons que cette volonté est sainte, pure, véritable et juste. Or cette certitude que nous en avons par la vue béatifique, vous l’avez aussi, ô mortels! mais a respectivement, et selon la capacité de voyageurs, a comme il est déclaré par ces paroles de l’Écriture, où le Seigneur dit, parlant des prélats et des supérieurs: Qui vous écoute, m’écoute; et qui vous obéit, m’obéit.. Et comme c’est en vertu de ces divines paroles qu’on a obéit à un homme pour l’amour de Dieu, qui est le véritable supérieur, il est aussi de sa divine Providence de rendre les voies des obéissants assurées et irrépréhensibles, lorsque ce que l’on commande n’est point une matière de péché: c’est pourquoi le Seigneur l’assure avec serment, et il cessera d’être (ce qui est impossible) plutôt que sa parole ne manque. Or, comme les enfants sont dans la dé pendante de leurs pères, et que tous les hommes sont renfermés dans la volonté d’Adam, et que naturellement ils multiplient cette dépendance dans leur postérité; de même tous les prélats procèdent et dépendent de Dieu, comme du souverain Seigneur, au nom duquel nous obéissons à nos supérieurs, vous a à vos prélats, et nous aux anges, qui sont d’une hiérarchie supérieure, et les uns et les autres à Dieu. Or souviens-toi, âme très-chère, que tous t’ont ordonné et commandé ce que tu crains pourtant de faire; que si voulant obéir, Dieu ne le jugeait point convenable, il ferait à l’égard de ta plume ce qu’il a pratiqué envers l’obéissant Abraham lorsqu’il sacrifiait son fils Isaac, commandant à un d’entre nous d’arrêter le bras et le couteau; dans le cas présent, il ne nous commande point d’arrêter ta plume: au con traire, il nous ordonne de la conduire, de t’assister, de te fortifier et d’éclairer ton entendement, selon sa divine volonté.»

9. Les saints anges destinés à me conduire dans cet ouvrage, me tinrent ces discours dans cette occasion. Le prince saint Michel me déclara aussi en plusieurs autres que c’était la volonté et le commandement du Très-Haut. Et j’ai découvert par les illustrations, par les faveurs et par les instructions continuelles de ce grand prince, des mystères magnifiques du Seigneur et de la Reine du ciel; parce que ce saint archange fut un de ceux qui l’assista, qui la servit, et qui, entre tous les ordres et toutes les hiérarchies, fut principalement destiné à sa garde, comme je le dirai en son lieu; et étant conjointement le patron et le protecteur universel de la sainte Église, il fut singulièrement en toutes choses le témoin et le ministre très-fidèle des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption, ce que j’ai appris plusieurs fois de lui-même; et par, sa protection j’ai reçu de très-grands bienfaits; et des secours très-considérables dans mes afflictions et dans mes combats, m’ayant promis de m’assister et de m’enseigner dans cet ouvrage.

10. Outre tous ces commandements et plusieurs autres, dont je parlerai dans la suite, je déclare ici que le Seigneur m’a commandé lui-même ce que ses anges et mes directeurs m’avaient auparavant fait connaître que c’était sa sainte volonté, comme l’on pourra juger par ce que j’en vais dire.

Un jour de la présentation de la très-sainte Vierge, la divine Majesté me tint ce discours: «Ma chère épouse, il y a plusieurs mystères de ma Mère et des Saints, qui sont manifestés dans mon Église militante; mais il y en a beaucoup de cachés, et surtout ceux qui se sont passés dans leur intérieur. Je veux découvrir ces mystères, mais particulièrement ceux qui regardent ma très-pure Mère, et je veux que tu les écrives, selon que tu en seras instruite. Je te les déclarerai, je te les montrerai: les ayant réservés jusqu’ici par les secrets jugements de ma sagesse, parce que le temps n’était pas convenable à ma providence. Il est maintenant venu, et c’est ma volonté que tu les écrives. O âme! obéis-moi.».

11. Toutes les choses que je viens de dire, et beaucoup d’autres que je pourrais déclarer, ne furent pas assez puissantes pour me déterminer à un ouvrage si difficile, et si fort au-dessus de mon sexe et de mon ignorance, si mes supérieurs, qui ont dirigé mon àneet qui m’ont enseigné lechemin de la vérité, ne m’en avaient fait un commandement exprès: parce que mes craintes et mes doutes sont d’une telle qualité, qu’ils ne me laisseraient point en repos dans une matière de cette nature; puisque tout ce que je puis faire, c’est de me calmer par l’obéissance dans d’autres faveurs surnaturelles, et qui sont moins importantes. Ayant toujours penché de ce côté-là, comme une pauvre ignorante que je suis, parce que l’on doit soumettre toutes choses, pour relevées et certaines qu’elles paraissent, à l’approbation des docteurs et des ministres de la sainte Église. C’est ce que j’ai triché de faire dans la direction de mon âme, et singulièrement dans ce dessein d’écrire la vie de la Reine du ciel. Et afin que mes supérieurs n’agissent point par mes relations, il m’en a coulé de très-grandes peines, leur cachant autant qu’il m’était possible bien des choses, et demandant au Seigneur avec beaucoup de larmes qu’il les éclairât, qu’il les fit aller au but de sa très-sainte volonté (souhaitant plusieurs fois qu’il leur fit oublier ce dessein), et qu’ils m’empêchassent d’errer, si j’étais trompée.

12. J’avoue aussi que le démon, se prévalant de la faiblesse de mon naturel et de mes craintes, a fait de grands efforts pour m’empêcher d’entreprendre cet ouvrage, cherchant des moyens pour m’intimider et pour m’affliger. A quoi il aurait sans doute réussi, en me le faisant entièrement abandonner, si la prudente conduite et la persévérance invincible de mes supérieurs n’eussent vaincu ma lâcheté; c’est pourquoi ce malin prince des ténèbres fut cause que le Seigneur, la très-sainte Vierge et les anges me donnèrent de nouvelles lumières, firent paraître de nouveaux signes, et éclater de nouvelles merveilles. Nonobstant tout cela, je différai, ou, pour mieux dire, je résistai plusieurs années à leur obéir (comme je le dirai dans la suite), sans avoir osé former le dessein de toucher à un sujet qui est si fort au-dessus de mes forces. Et je ne crois pas que ce fût par une providence particulière de sa divine Majesté: parce que pendant ce temps-là il m ‘est arrivé tant d’événements, et, je puis dire, tant de mystères, tant d’afflictions si extraordinaires et si différentes, que je n’aurais pu, dans cet état, jouir du repos et de la sérénité d’esprit qu’il faut avoir pour recevoir cette lumière et cette science: puisque sans ce calme la partie supérieure de l’âme ne peut être disposée dans quelque état qu’elle se trouve (même le plus relevé et le plus avantageux) à recevoir une influence si sublime, si sainte et si délicate. Outre cette raison de mon indétermination, j’en ai eu une autre, qui était mon instruction particulière, que je devais acquérir par un si long délai, et qui devait me rassurer en même temps par de nouvelles lumières, que l’on acquiert avec le temps et avec la prudence qu’une longue expérience donne. Mais enfin je découvris par ma persévérance quelle était la volonté de Dieu, qui me fut manifestée par les commandements réitérés du Seigneur, de ses saints anges et de mes supérieurs, qui me pressaient incessamment de ne plus résister aux lumières du Ciel, m’ordonnant de mettre fin à mes plaintes, de me rassurer, de revenir de toutes mes frayeurs, de mes lâchetés et de mes doutes, et de confier uniquement à la volonté du Seigneur ce que je n’osais entreprendre en vue de ma faiblesse.

13. Tous ces motifs m’obligèrent de me soumettre à cette grande vertu d’obéissance, et je me déterminai au nom du Très-Haut et de mon auguste Reine et Maîtresse de vaincre ma volonté. J’appelle cette vertu grande, non-seulement parce qu’elle offre à Dieu ce qui est le plus noble dans la créature, en lui offrant l’entendement, le propre sentiment et la volonté en holocauste et en sacrifice, mais aussi parce qu’il n’en est point d’autre qui conduise avec plus de sûreté au véritable but; puisqu’en obéissant, la créature n’opère pas par elle-même, mais elle opère comme l’instrument de celui qui la conduit et la commande. Cette vertu rendit Abraham victorieux de la force de l’amour et de la nature envers Isaac. Que si elle fut assez puissante pour cela, si elle fut aussi assez puissante pour arrêter le cours du soleil et le mouvement des cieux, elle peut bien remuer un peu de cendre et de poussière! Si Oza se fût gouverné par l’obéissance, sans doute il n’aurait pas été puni comme téméraire, lorsqu’il le fut assez pour toucher l’arche. Je vois bien que j’étends la main pour toucher, quoique très-indigne, non point une arche inanimée, et qui n’était qu’une figure dans l’ancienne loi; mais l’Arche vivante du nouveau Testament, où la manne de la Divinité, la source de toutes les grâces, et sa très-sainte loi furent renfermées. Ainsi, si je me tais, je crains avec sujet de désobéir à tant de commandements: c’est pourquoi je pourrais dire avec Isaïe: Malheur à moi, parce que je me suis tue! Il vaut donc bien mieux, ma divine Reine, et mon auguste Maîtresse, que votre très-douce miséricorde, et les puissantes faveurs de votre main libérale reluisent dans ma bassesse il vaut bien mieux que vous me donniez cette charitable main pour obéir à vos commandements, plutôt que de tomber dans votre indignation par ma désobéissance. Vous ferez, ô très-pure Mère de piété, une chose, digne de votre clémence d’élever une misérable de la poussière, et de faire d’un sujet le plus faible et le plus incapable un instrument pour opérer des œuvres si difficiles et si sublimes, par lequel vous exalterez votre grâce, et celles que votre très saint fils vous a communiquées; et ainsi vous ôterez l’occasion à la présomption trompeuse qu’on pourrait avoir de s’imaginer que cet ouvrage se soit fait par l’industrie humaine, ou par la  » prudence terrestre, ou par la force et l’autorité de la dispute; puisqu’on aura plutôt lieu de croire que c’est par la vertu de la divine grâce que vous excitez de nouveau le cœur des fidèles, et les attirez après vous, qui ôtes une fontaine de piété et de miséricorde. Parlez donc, ma divine Maîtresse, car votre servante écoute avec une volonté ardente de vous obéir comme elle doit et comme il est juste. Mais comment pourrai-je proportionnel et égaler mes désirs à mea obligations? Le juste retour est impossible; mais s’il était possible, je le souhaiterais. O grande et puissante Reine! accomplissez vos promesses et vos paroles, en me manifestant vos grâces et vos attributs, afin que la connaissance de votre majesté et de vos grandeurs s’étende davantage parmi les nations; qu’elle passe de génération en génération, et que vous en soyez plus glorifiée. Parlez, ma souveraine Maîtresse, votre servante écoute; parlez, et exaltez le Très-Haut par les puissances et par les merveilleuses œuvres que sa droite a opérées dans votre humilité très-profonde; qu’elles passent de ses divines mains, faites au tour et pleines de jacinthes, dans les vôtres, et des vôtres à vos dévots serviteurs, afin que les anges le bénissent; que les justes le louent, que les pécheurs le recherchent, et que tous aient en ces mêmes œuvres un modèle d’une suprême sainteté, et d’une pureté sans tache, et afin que j’aie par la grâce de votre très saint Fils cette règle infaillible et ce miroir sans tache par le moyen desquels je puisse régler et composer ma vie, puisque ce doit être la première chose que je me dois proposer en écrivant la vôtre, comme vous me l’avez dit plusieurs fois, en me faisant la grâce de m’offrir un modèle vivant et un miroir animé, sur lequel je pusse embellir et orner mon âme pour être votre fille et l’épouse de votre très-saint Fils.

14. Voilà toute ma prétention. C’est pourquoi je n’écrirai point comme maîtresse, mais comme disciple; ce ne sera pas pour enseigner, mais pour apprendre; puisque les femmes sont obligées par leur condition de se taire dans la sainte Église, et d’y ouïr ses ministres. Je manifesterai néanmoins comme un instrument de la Reine du ciel ce qu’elle aura la bonté de m’enseigner, et ce qu’elle daignera me commander; parce que toutes les âmes sont capables de recevoir l’Esprit que son très-saint Fils promit d’envoyer sur toutes sortes de personnes et de sexe sans aucune exception; elles sont aussi capables de le manifester comme elles le reçoivent en leur manière convenable, lorsqu’une puissance supérieure l’ordonne par une prévoyance chrétienne, comme je crois que mes supérieurs l’ont déterminé. J’avoue que je puis errer, et que c’est le propre d’une fille ignorante; mais je ne crois pas que cela se puisse faire en obéissant, et si cela arrivait, ce ne serait point par ma volonté; ainsi je m’en remets, et je me soumets à ceux qui me gouvernent, et à la correction de la sainte Église catholique, prétendant d’avoir recours à ses ministres dans toutes mes difficultés. Je veux que mon supérieur, mon directeur et mon confesseur soient témoins, et censeurs de cette doctrine que je reçois, et qu’ils soient juges vigilante et sévères de la manière que je l’écris, ou en ce que je manquerai à y correspondre en réglant toutes mes obligations sur la mesure d’un si grand bienfait.

15. J’ai écrit une seconde fois par la volonté du Seigneur et par l’ordre de l’obéissance, cette divine histoire parce que, la première fois, la lumière par laquelle je connaissais ses mystères était si abondante, et mon incapacité si grande, que la langue ne put exprimer toutes, choses, que les termes ni la légèreté de la plume ne furent pas suffisants pour les déclarer. J’en laissai donc quelques-unes, et je me trouve aujourd’hui, avec le secours du temps et des nouvelles connaissances que j’ai reçues, plus disposée à les écrire; et ce sera même toujours en omettent beaucoup de ce que l’on me découvre, et de ce que j’ai connu; car il est absolument impossible de tout dire dans une si grande abondance.

Outre cette raison, le Seigneur m’en a fait connaître une autre: c’est que la première fois que j’écrivis, les soins du matériel et de l’ordre de cet ouvrage m’occupaient extrêmement, et alors les tentations et les craintes furent si grandes, les tempêtes qui me combattaient et m’agitaient si excessives, que, craignant de passer pour téméraire d’avoir mis la main à un ouvrage si difficile et si important, je me résolus de briller tout ce que j’en avais écrit; et je crois que ce ne fut point sans une permission singulière du Seigneur, parce que, dans les troubles où j’étais, mon âme n’était pas disposée à recevoir toutes les préparations convenables dont le Très-Haut la voulait prévenir pour que j’écrivisse, en gravant en elle sa doctrine; et pour m’obliger ensuite de l’écrire en la manière qu’il m’ordonne a présent, ce qui se peut inférer de l’événement qui suit.

16. Un jour de la Purification de Notre-Dame, après avoir reçu le très-saint Sacrement, je voulus célébrer cette sainte fête, parée que c’était le jour auquel je fis ma profession, en y rendant de très-humbles actions de grâces an Très-Haut pour avoir daigné me recevoir pour son épouse, tout indigne que je fusse de cet honneur. Et pendant que je pratiquais ces affections, je sentis dans mon intérieur un changement efficace causé par une très-abondante lumière, qui m’attirait et me mouvait fortement et doucement à la connaissance de l’Être de Dieu, de sa bonté, de ses perfections, de ses attributs, et à celle de ma propre misère, Dans le temps que ces objets s’introduisaient dans mon entendement, ils produisaient en moi divers effets: le premier était d’élever toute mon attention et ma volonté; et le second était de m’anéantir et de m’abîmer dans mes propres abjections; de sorte que mon être se détruisait, et alors je sentais une douleur très-sensible, et une très-grande contrition de mes péchés énormes, avec un ferme propos de m’en corriger; de renoncer à toutes les vanités du monde, et de m’élever par l’amour du Seigneur sur tout ce qui est terrestre. Je restais pâmée dans ces afflictions, les plus grandes peines m’étaient des consolations,et je trouvais la vie dans la mort. Le Seigneur ayant pitié de mes douleurs par sa seule miséricorde, me dit: Ne te décourage point, ma fille et mon épouse; parce que pour te pardonner tes péchés, pour te laver et te nettoyer de tes souillures, je t’appliquerai mes mérites infinis, et le sang que j’ai versé pour toi: tâche de pratiquer la perfection que tu désires en imitant la vie de ma très-sainte Mère: écris-là une seconde fois, afin que tu ajoutes ce qui y manque, et que tu imprimes dans ton cœur sa doctrine. Cesse donc d’irriter ma justice et d’être ingrate à ma miséricorde en brillant ce que tu en écriras, de crainte, que mon indignation ne t’ôte la lumière, qui a été donnée sans la mériter pour connaître et pour manifester ces mystères.»

17. Ensuite je vis la Mère de Dieu et de piété, qui me dit; «Ma fille, tu n’as point encore tiré le fruit nécessaire à ton âme de l’arbre de vie de mon histoire, que tu as écrite, et tu n’es pas arrivée à la moelle de sa substance; tu n’as pas assez cueilli de cette manne cachée: et tu n’as pas eu la dernière disposition à la, perfection qu’il te fallait, afin que le Tout-Puissant gravât et écrivit dans ton âme mes perfections et mes vertus. Je te veux donner moi-même les qualités et les ornements convenables pour te disposer à ce que la divine Bonté veut opérer en toi par mon intercession; je lui ai demandé là permission d’embellir et de parer ton âme de mes propres mains, et de la très-abondante grâce qu’il m’a communiquée, afin que tu écrives une seconde fois ma vie sans t’amuser au matériel, mais seulement su formel et au substantiel que tu y trouveras, te comportant passivement, sans mettre le moindre obstacle qui te puisse empêcher de recevoir le courant de la divine grâce que le Tout-Puissant m’adressa, et de donner passage à cette portion que la divine volonté te destine. Garde-toi bien de la limiter et de la rétrécir par ta lâcheté et par l’irrégularité de ta conduite.» Aussitôt je connus que la Mère de miséricorde me revêtait d’une robe plus blanche que la neige et plus brillante que le soleil. Elle me ceignit ensuite d’une ceinture très-précieuse, et me dit: «C’est une participation de ma pureté que je te donne.» Elle demanda au Seigneur une science infuse pour m’en orner, afin qu’elle me servit de très-beaux cheveux; elle lui demanda aussi plusieurs autres dons et pierreries; et quoique je visse qu’elles fussent d’un très-grand prix, je connaissais pourtant que j’en ignorais la valeur. Après avoir reçu cet ornement, la divine Reine me dit: «Tâche de m’imiter avec fidélité et avec diligence, et de devenir ma très-parfaite fille engendrée de mon esprit, et nourrie dans mon sein. Je te donne ma bénédiction, afin qu’en mon nom, par ma direction et par mon assistance, tu écrives une seconde fois ma vie.»

18. Pour garder donc quelque ordre dans cet ouvrage, et pour une plus grande clarté, je le divise en trois parties. La première traitera de tout ce qui appartient aux quinze premières années de la Reine du ciel, commençant dès sa très-pure conception jusqu’à ce que le Verbe éternel prit chair humaine dans son sein virginal; et de ce que le Très-Haut opéra durant ces années envers la très-sainte Vierge. La seconde partie contient le mystère de l’Incarnation, toute la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, sa Passion, sa Mort, et son Ascension, qui fut le temps pendant lequel notre divine Reine demeura avec lui; faisant aussi mention de ce qu’elle y fit elle-même. Et la troisième renfermera le reste de la vie de cette Mère de la grâce, je veux dire depuis qu’elle se trouva privée de la douce présence de son File notre rédempteur Jésus-Christ, jusqu’au temps de son heureuse mort, de son Assomption, et de son Couronnement dans la gloire, comme Reine du ciel, pour y vivre éternellement, comme Fille du Père, Mère du Fils, Épouse du Saint-Esprit. Je divise ces trois parties en huit livres afin d’en faciliter l’usage, et d’en pouvoir faire le continuel objet de mon entendement, le continuel aiguillon de ma volonté, et le sujet ordinaire de ma méditation.

19. Tour déclarer avec ordre en quel temps j’écrivis cette divine histoire, il est bon que je fasse savoir que mon père frère François Coronel, et ma mère sœur Catherine de Arana fondèrent ce couvent des religieuses déchaussées de la Très-Immaculée Conception dans leur propre maison par la disposition et la volonté de Dieu, que ma mère connut par une révélation particulière. La fondation se fit le jour de l’octave de l’Épiphanie, le treizième de janvier de l’année 1619. Nous primes l’habit, ma mère, moi et ma sœur, le même jour: mon père alla aussi dans un autre couvent de l’ordre de notre séraphique Père saint François, oui doux de mes frères étaient déjà religieux; il y prit l’habit; il y fit profession, il y donna de grande exemples de vertus, et il y mourut saintement. Ma mère et moi reçûmes le voile le jour de la Purification de la grande Reine du ciel, le second de février de l’année 1620. La profession de ma saur fut différée, parce qu’elle n’avait point encore l’âge. Le Tout-Puissant favorisa, par sa seule bonté, notre famille, en nous faisant la grâce de nous consacrer tous à l’état religieux: Dans la huitième année de la fondation, en la vingt-cinquième année de mon âge, et du Seigneur: l’obéissance me fit prendre la charge de supérieure, que j’exerce indigné ment: aujourd’hui. Je passai dix ans de, ma supériorité, durant lesquels je reçus, plusieurs commandements du Très-Haut, et de la grande Reine du ciel afin que j’écrivisse sa très-sainte vie; et je résistai à cause de mes craintes, pendant tout ce temps-là à ces ordres divins, jusqu’en l’année 1737, auquel temps je commençai de l’écrire pour la première fois. Et l’ayant achevée, je brûlai tous mes écrits, tant ceux qui regardaient cette sacrée histoire que plusieurs autres sur des matières fort graves et fort mystérieuses, par les craintes et les tribulations que j’ai déjà dites, et par le conseil d’un confesseur qui me dirigeait en l’absence de celui qui m’était ordinaire, parce qu’il me dit que: les femmes ne devaient point écrire dans la sainte Église. Je ne manquai point de lui, obéir avec exactitude, dont mes supérieurs et mon premier confesseur, qui savaient toute ma vie, me reprirent très-aigrement. Et ils me commandèrent de nouveau par la sainte obéissance de l’écrire une seconde fois. Le Très-Haut et la Reine du ciel réitérèrent aussi leurs commandements, pour me faire obéir: La lumière que je reçus de l’être divin, les faveurs que la droite du Très-Haut me communiqua cette seconde fois, furent si grandes et si abondantes, les recevant afin que ma pauvre âme se renouvelât et se vivifiât: parles instructions de ma divine Maîtresse, les doctrines, furent si profondes, et les mystères si relevés, qu’il en faut faire nécessairement un livre à part, qui correspondra à la même histoire; et son titre sera: Les lois de l’Épouse, les hautes perfections de son chaste amour, et le fruit tiré de l’arbre de la vie de la très-sainte Vierge Marie, notre divine Maîtresse. Je commence d’écrire cette histoire par la grâce de Dieu ce huitième jour de décembre de l’année 1655, jour de la très-pure et très-immaculée Conception.