Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 32, 33

Chapitre 32

Soulagement des âmes

Nous avons vu les ressources et les nombreux moyens que la divine miséricorde a mis entre nos mains pour soulager les âmes du purgatoire; mais quelles sont les âmes qui sont en ce lieu d’expiation et auxquelles nous devons porter secours ? Pour quelles âmes devons-nous prier et offrir à Dieu nos suffrages ?

Lesquelles doivent être l’objet de notre charité ? Tous les fidèles défunts

A cette question il faut répondre, que nous devons prier pour les âmes de tous les fidèles défunts, omnium fidelium defunctorum, selon l’expression de l’Église. Bien que la piété filiale nous impose des devoirs particuliers envers nos parents et nos proches, la charité chrétienne nous commande de prier pour tous les fidèles défunts en général, parce que tous sont nos frères en Jésus-Christ, tous sont notre prochain, que nous devons aimer comme nous-mêmes.

Par ce mot, fidèles défunts, l’Église entend toutes les âmes qui sont actuellement en purgatoire: c’est-à-dire, celles qui ne sont ni en enfer, ni dignes encore d’être admises à la gloire du paradis. Mais quelles sont ces âmes ? Pouvons-nous les connaître ? – Dieu s’est réservé cette connaissance; et à moins qu’il ne lui plaise de nous le révéler, nous ignorons complètement quel est le sort des âmes dans l’autre vie. Or rarement il fait connaître qu’une âme se trouve au purgatoire ou dans la gloire du ciel; plus rarement encore révèle-t-il une réprobation.

Dans cette incertitude nous devons prier en général, comme le fait l’Église, pour tous les défunts, sans préjudice des âmes que nous voulons secourir plus particulièrement.

Saint André Avellino

Nous pourrions évidemment restreindre notre intention à ceux des défunts qui sont encore dans le besoin, si Dieu nous accordait comme à S. André Avellino le privilège de connaître l’état des âmes dans l’autre vie. Lorsque ce saint religieux de l’Ordre des Théatins suivant sa pieuse coutume, priait avec une angélique ferveur pour les défunts, il lui arrivait parfois d’éprouver en lui-même une sorte de résistance, un sentiment d’invincible répulsion; d’autres fois, c’était au contraire une grande consolation, un attrait particulier. Il comprit bientôt ce que signifiaient ces impressions si différentes: la première marquait que sa prière était inutile, que l’âme qu’il voulait aider était indigne de miséricorde et condamnée au feu éternel; l’autre indiquait que sa prière était efficace pour le soulagement de l’âme au purgatoire. De même, quand il voulait offrir le saint Sacrifice pour quelque défunt, s’il sentait au sortir de la sacristie comme une main irrésistible qui le retenait, il comprenait que cette âme était en enfer; mais quand il était inondé de joie, de lumière, et de dévotion, il était sûr de contribuer à la délivrance d’une âme.

Ce charitable Saint priait donc avec la plus vive ardeur pour les défunts qu’il savait être dans les souffrances, et il ne cessait ses suffrages que lorsque les âmes, en venant le remercier, lui donnaient l’assurance de leur délivrance (Vie du Saint).

Les pécheurs mourant sans sacrements

Pour nous qui n’avons point ces lumières surnaturelles nous devons prier pour tous les défunts, même pour les plus grands pécheurs et pour les chrétiens les plus vertueux. Saint Augustin connaissait la grande vertu de sa mère sainte Monique; néanmoins, non content d’offrir à Dieu ses suffrages pour elle, il demanda à tous ses lecteurs de ne jamais cesser de la recommander à Dieu.

Quant aux grands pécheurs qui meurent sans s’être extérieurement réconciliés avec Dieu, nous ne pouvons les exclure de nos suffrages, parce que nous n’avons pas la certitude de leur impénitence intérieure. La foi nous enseigne que tout homme mourant en état de péché mortel, encourt la damnation; mais quels sont ceux qui de fait meurent en ce triste état ? Dieu seul, qui s’est réservé le jugement suprême des vivants et des morts, en a la certitude. Quant à nous, nous ne pouvons que déduire des circonstances extérieures une conclusion conjecturale, qui peut tromper, et dont nous devons nous abstenir.

Il faut bien avouer pourtant qu’il y a tout à craindre pour ceux qui meurent sans s’être préparés à la mort; et tout espoir semble s’évanouir pour ceux qui refusent les sacrements. Ces derniers quittent la vie avec les signes extérieurs de la réprobation. Toutefois il faut laisser le jugement à Dieu, selon ces paroles: Dei judicium est, c’est à Dieu qu’appartient le jugement (Deut. I, 17). – Il y a plus à espérer pour ceux qui ne sont pas positivement hostiles à la religion, qui sont bienfaisants envers les pauvres, qui conservent quelque pratique de piété chrétienne, ou qui du moins approuvent et favorisent la piété; il y a plus, dis-je, à espérer pour ceux-là, lorsqu’il arrive qu’après avoir ainsi vécu, ils meurent subitement, sans avoir le temps de recevoir les sacrements de l’Église.

Saint François de Sales

Saint François de Sales ne voulait pas qu’on désespérât de la conversion des pécheurs jusqu’au dernier soupir; et même après la mort, il défendait de juger mal de ceux qui avaient mené une mauvaise vie. A l’exception des pécheurs dont la damnation est manifeste par l’Écriture, il ne faut, disait-il, damner personne, mais respecter le secret de Dieu. – Sa raison principale était que, comme la première grâce ne tombe pas sous le mérite, la dernière, qui est la persévérance finale ou la bonne mort, ne se donne pas non plus au mérite. C’est pourquoi il voulait qu’on espérât bien de la personne défunte, quelque fâcheuse mort qu’on lui eût vu faire; parce que nous ne pouvons avoir que des conjectures fondées sur l’extérieur, où les plus habiles peuvent se tromper (Esprit de S. Fr. de Sales, part. 3).

Chapitre 33

Soulagement des âmes – Pour lesquelles devons-nous prier ? les grands pécheurs. Le Père de Ravignan et le général Exelmans.

Le Père de Ravignan, illustre et saint prédicateur de la Compagnie de Jésus, aimait aussi à espérer beaucoup pour les pécheurs surpris par la mort, lorsque d’ailleurs ils n’avaient pas eu au cœur la haine des choses de Dieu. Volontiers il parlait des mystères du moment suprême, et son sentiment paraît avoir été qu’un grand nombre de ces pécheurs se convertissent à leurs derniers instants, et sont réconciliés avec Dieu, sans qu’on puisse le voir à l’extérieur. Il y a dans certaines morts des mystères de miséricorde et des coups de grâce, où l’œil de l’homme ne voit que des coups de justice. A la lueur d’un dernier éclair, Dieu quelquefois se révèle à des âmes dont le plus grand malheur avait été de l’ignorer; et le dernier soupir, compris de Celui qui sonde les cœurs, peut être un gémissement qui appelle le pardon, c’est-à-dire un acte de contrition parfaite. – le général Exelmans, parent du bon Père, fut précipité subitement dans la tombe par un accident de cheval, et malheureusement il ne pratiquait pas la religion. Il avait promis pourtant de se confesser un jour mais il n’en eut pas le temps. Le P. de Ravignan, qui depuis longtemps priait et faisait prier pour lui, demeura dans la consternation quand il apprit cette mort. Or, le jour même, une personne habituée aux communications célestes, crut entendre une voix intérieure qui lui disait: « Qui donc connaît l’étendue de ma miséricorde « ? Sait-on la profondeur de la mer et ce qu’il y a d’eau dans l’océan ? Beaucoup « sera pardonné à certaines âmes qui ont beaucoup ignoré. »

L’historien à qui nous empruntons ce récit, le Père de Ponlevoy, ajoute plus loin: « Chrétiens, placés sous la loi de l’espérance, non moins que de la foi et de l’amour, nous devons nous élever sans cesse du fond de nos peines jusqu’à la pensée de la bonté infinie du Sauveur. Aucune borne, aucune impossibilité, n’est placée ici-bas entre la grâce et l’âme, tant qu’il reste un souffle de vie. Il faut donc toujours espérer, et adresser au Seigneur d’humbles et persévérantes instances. On ne saurait dire jusqu’à quel point elles peuvent être exaucées. De grands saints et de grands docteurs ont été bien loin en parlant de cette efficacité puissante des prières pour des âmes chéries, quelle qu’ait été leur fin. Nous connaîtrons un jour ces ineffables merveilles de la miséricorde divine. Il ne faut jamais cesser de l’implorer avec une profonde confiance. »

Voici un trait qu’on a pu lire dans le Petit Messager du Cœur de Marie, novembre 1880. Un religieux, prêchant une retraite aux Dames de Nancy, avait rappelé dans une conférence qu’il ne faut jamais désespérer du salut d’une âme, et que parfois les actes les moins importants aux yeux des hommes sont récompensés par le Seigneur à l’heure de la mort. – Au moment de quitter l’église, une Dame en deuil s’approcha de lui et lui dit: Mon Père, vous venez de nous recommander la confiance et l’espoir: ce qui m’est arrivé justifie pleinement vos paroles. J’avais un époux, toujours bon, affectueux, irréprochable, mais qui était resté en dehors de toute pratique religieuse. Mes prières, mes paroles bien souvent hasardées, étaient restées sans résultat.

Durant le mois de mai qui précéda sa mort, j’avais élevé, comme j’en avais l’habitude, dans mon appartement, un petit autel à la sainte Vierge, et je l’ornais de fleurs, renouvelées de temps en temps. Mon mari passait le dimanche à la campagne, et chaque fois à son retour, il m’offrait un bouquet qu’il avait lui-même cueilli, j’employais ces fleurs à l’ornementation de mon oratoire. S’en apercevait-il ? Agissait-il uniquement pour m’être agréable ? Ou un sentiment de piété envers la sainte Vierge l’animait-il ? Je l’ignore; mais il ne manqua pas un dimanche de m’apporter des fleurs.

La veuve en deuil et le vénérable Curé d’Ars

Dans les premiers jours du mois suivant, il fut subitement frappé par la mort, sans avoir le temps de recevoir les secours de la religion. J’en fus inconsolable, surtout parce que je voyais s’évanouir toutes mes espérances pour son retour à Dieu. Par suite de ma douleur, ma santé se trouva bientôt profondément altérée, et ma famille me força de partir pour le midi. Comme je passais par Lyon, je voulus voir le curé d’Ars. Je lui écrivis pour demander une audience et recommander à ses prières mon mari, mort subitement. Je ne lui donnai pas d’autres détails.

Arrivée à Ars, à peine étais-je entrée dans l’appartement du vénérable curé, qu’il m’adressa ces étonnantes paroles: « Madame vous êtes désolée; mais « avez-vous donc oublié les bouquets de fleurs de chaque dimanche du mois de « mai ? » – Impossible de dire quel fut mon étonnement en entendant M. Vianney rappeler une circonstance dont je n’avais parlé à personne, et qu’il ne pouvait connaître que par révélation. Il ajouta: « Dieu a eu pitié de celui qui avait honoré « sa sainte Mère: A l’instant de la mort, votre époux a pu se repentir; son âme « est dans le purgatoire: nos prières et nos bonnes œuvres l’en feront sortir. »

La sœur Catherine de Saint-Augustin et la pécheresse morte dans une grotte

On lit dans la vie d’une sainte religieuse, la sœur Catherine de Saint-Augustin (S. Alphonse, Paraphr. du Salve Regina), que dans le lieu qu’elle habitait se trouvait une femme, appelée Marie, qui s’était livrée au désordre pendant sa jeunesse, et qui, devenue âgée, s’obstinait tellement dans le mal, que les habitants du pays, ne pouvant souffrir cette peste au milieu d’eux, la chassèrent honteusement. Elle ne trouva pas d’autre asile qu’une grotte dans les forêts, où elle mourut au bout de quelques mois, sans assistance et sans sacrements. Son corps fut enterré dans un champ comme un objet immonde.

 La sœur Catherine, qui avait coutume de recommander à Dieu les âmes de tous ceux dont elle apprenait la mort, ne songea pourtant point à prier pour celle-ci, jugeant avec tout le monde qu’elle était sûrement damnée. Quatre mois après, la servante de Dieu entendit une voix, qui disait: « Sœur Catherine, quel malheur « est le mien ! Vous recommandez à Dieu les âmes de tous, il n’y a que la mienne « dont vous n’avez point de pitié ! – Qui donc êtes-vous ? répondit la sœur. – Je « suis cette pauvre Marie, morte dans la grotte. – Comment ! Marie, vous êtes « sauvée ? – Oui, je le suis, par la miséricorde divine. Sur le point de mourir, « épouvantée au souvenir de mes crimes et à la vue de mon abandon, je criai vers « la sainte Vierge. Elle fut assez bonne pour m’entendre, et m’obtint une « contrition parfaite, accompagnée du désir de me confesser si je le pouvais. Je « rentrai ainsi dans la grâce de Dieu, et j’échappai à l’enfer; mais il m’a fallu « descendre dans le purgatoire, où je souffre cruellement. Mon temps serait « abrégé et j’en sortirais bientôt, si l’on offrait pour moi quelques messes. Oh ! «Faites-les célébrer, ma bonne sœur, et je vous promets de prier toujours Jésus et « Marie pour vous.»

La sœur Catherine se hâta de faire dire ces messes, et, après quelques jours l’âme se fit voir à elle, brillante comme un astre, montant au ciel et la remerciant de sa charité.