Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 48, 49

Chapitre 48

Avantages. – Faveurs temporelles. – La femme napolitaine et le billet mystérieux.

Pour montrer que les âmes du purgatoire témoignent leur reconnaissance même par des bienfaits temporels, le P. Rossignoli rapporte un fait arrivé à Naples, qui a quelque analogie avec celui qu’on vient de lire.

S’il n’est pas donné à tous d’offrir à Dieu la riche aumône de Judas Machabée, qui envoya à Jérusalem douze mille drachmes d’argent pour les sacrifices et les prières en faveur des morts; il en est bien peu qui ne puissent faire au moins le don de la pauvre veuve de l’Évangile, louée par le Sauveur lui-même. Elle ne donnait que deux oboles, mais, disait Jésus, ces deux oboles valaient plus que tout l’or des riches, parce que dans son indigence, elle avait donné ce qui lui était nécessaire pour vivre (1). Ce touchant exemple fut suivi par une humble femme napolitaine, qui avait le plus grand mal à subvenir aux besoins de sa famille. – Les ressources de la maison se bornaient au salaire journalier du mari, qui apportait tous les soirs le fruit de ses sueurs.

Hélas! un jour vint où ce pauvre père fut jeté en prison pour dettes, en sorte que toute la subsistance de la famille resta à la charge de la malheureuse mère, qui n’avait plus guère que sa confiance en Dieu. Elle conjurait avec foi la divine Providence de lui venir en aide, et surtout de délivrer son mari, qui gémissait sous les verrous sans autre crime que son indigence.

Elle alla trouver un seigneur riche et bienfaisant, lui exposa sa triste situation et le supplia avec larmes de la secourir! Dieu permit qu’elle n’en reçût qu’une légère aumône, un carlin, pièce du pays qui vaut un peu moins de cinquante centimes. Désolée, elle entre dans une église pour supplier le Dieu des indigents de la protéger dans sa détresse, puisqu’elle n’a plus d’appui sur la terre. Elle était plongée dans sa prière et dans ses larmes, lorsque, par une inspiration -5ans doute de son bon ange, il lui vient à la pensée d’intéresser à sa situation les âmes du purgatoire, dont elle a entendu raconter les douleurs et la reconnaissance envers ceux qui les assistent. Pleine de confiance, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande qu’on lui fasse la charité d’une messe des morts. Un bon prêtre qui était là s’empresse de la satisfaire, et monte à l’autel, pendant que prosternée sur le pavé, la pauvre femme assiste au sacrifice et offre ses prières pour les défunts.

Elle s’en retournait toute consolée, comme si elle eût eu l’assurance que Dieu avait exaucé sa prière. En parcourant les rues populeuses de Naples, elle se voit abordée par un vénérable vieillard, qui lui demande d’où elle vient et où elle va. L’infortunée lui explique sa détresse et l’usage qu’elle a fait de la modique aumône qu’on lui a donnée. Le vieillard se montre fort touché de sa misère, lui adresse des paroles d’encouragement, et lui remet un billet fermé avec ordre de le porter de sa part à un gentilhomme qu’il lui désigne; après quoi il s’éloigne.

La femme n’a rien de plus empressé que de porter le billet au gentilhomme désigné. Celui-ci, ouvrant le papier fut tout saisi et sur le point de s’évanouir: il a reconnu l’écriture de son père, mort depuis quelque temps. – Et d’où vous vient cette lettre? s’écrie-t-il hors de lui.

– Monsieur, répond la bonne femme, c’est un charitable vieillard qui m’a abordée dans la rue. Je lui ai » exposé ma détresse et il m’a dit de venir vous trouver de sa part pour vous remettre ce billet; après quoi il s’est éloigné. Quant aux traits de son visage, ils ressemblaient beaucoup à ceux du tableau que vous avez là au-dessus de la porte. »

De plus en plus frappé de ces circonstances, le gentilhomme reprend le billet et lit tout haut: « Mon fils, votre père vient de quitter le purgatoire, grâce à une messe que la porteuse de cet écrit a fait célébrer ce matin. »

Elle est dans une grande nécessité, et je vous la recommande. »’ – Il lit et relit ces lignes tracées par une main si chère, par un père qui est désormais du nombre des élus. Des larmes de bonheur inondent son visage; et se tournant vers la femme: « Pauvre mère; lui dit-il, vous, avez avec une faible aumône assuré la félicité éternelle de celui qui m’a donné la vie. Je veux à mon tour assurer votre félicité temporelle. Je me charge de tous vos besoins de vous et de votre famille. »

Quelle joie pour ce gentilhomme, quelle joie pour cette femme! Il serait difficile de dire de quel côté fut le plus grand bonheur. Ce qui est plus important et plus facile, c’est de voir l’enseignement qui se dégage de cette histoire: elle nous apprend que la moindre charité envers les membres de l’Église souffrante est précieuse devant Dieu, et nous attire des miracles de miséricorde.

Chapitre 49

Avantages – Faveurs; temporelles et spirituelles – Christophe Sandoval à Louvain – L’avocat renonçant au monde

Citons encore un fait, d’autant plus digne de figurer ici qu’un grand Pape, Clément VIII, y vit le doigt de Dieu et recommanda de le publier pour l’édification de l’Église. ‘

Plusieurs auteurs, dit le P. Rossignoli (Ver. 43.), ont rapporté le merveilleux secours que reçut des âmes du purgatoire Christophe Sandoval, archevêque de Séville. N’étant encore qu’un enfant, il avait l’habitude de distribuer en aumône pour les âmes une partie de l’argent qu’on lui donnait pour ses menus plaisirs. Sa piété ne fit que croître avec les années: il donnait en vue des âmes tout ce dont il pouvait disposer, jusqu’à se river de mille choses qui lui eussent été utiles ou nécessaires. Lorsqu’il suivait les cours de l’Université de Louvain, il arriva que les lettres qu’il attendait d’Espagne, restèrent en retard, et par suite il se trouva dépourvu d’argent, au point de ne plus avoir de quoi se nourrir. En ce moment un pauvre lui demanda l’aumône au nom des âmes du purgatoire: et, ce qui ne lui était jamais arrivé, il eut la douleur de la devoir refuser.

Désolé de cet incident, il entra dans une église: Si je ne puis pas donner d’aumône, se disait-il, pour mes pauvres âmes, je veux du moins les aider en priant pour elles. »

A peine avait-il fini sa prière, qu’au sortir de l’église il fut abordé par un beau jeune homme, en habit de voyageur, qui le salua avec une bienveillance respectueuse.

Christophe éprouva un sentiment de religieuse frayeur, comme s’il eût été en présence d’un esprit sous forme humaine. Mais il fut bientôt rassuré par son aimable interlocuteur, qui lui parla avec.la plus grande politesse du marquis de Dania, son père, de ses parents, de Ses amis, absolument comme un espagnol, qui arrivait à l’heure même de la Péninsule. II finit par le prier de venir avec lui à l’hôtel, où ils pourraient dîner ensemble et s’entretenir plus à l’aise.

Sandoval, qui n’avait pas mangé de la journée, accepta volontiers cette offre gracieuse. Ils se mirent donc à table et continuèrent à s’entretenir très amicalement ensemble.

Après le repas, l’étranger remit à Sandoval une certaine somme, qu’il lui pria d’accepter pour en faire tel usage qu’il lui plairait, ajoutant qu’il se la ferait rendre, quand il voudrait par le marquis son père, en Espagne. Puis, prétextant quelque affaire, il se retira et Christophe ne le revit jamais. Malgré toutes ses informations au sujet de cet inconnu, il ne parvint à aucun éclaircissement: per- sonne, ni à Louvain ni en Espagne, ne l’avait vu, personne ne connaissait un jeune homme semblable. Quant à l’argent, c’était exactement la somme dont le pieux Christophe avait besoin pour attendre ses lettres en retard; et jamais cet argent ne fut réclamé auprès de sa famille.

II demeura donc persuadé que le ciel avait fait un miracle en sa faveur, et avait envoyé à son secours quelqu’une des âmes qu’il avait lui-même secourues par ses prières et ses aumônes. Il fut confirmé dans ce sentiment par le Pape Clément VIII, auquel il raconta l’histoire, quand il se rendit à Rome pour recevoir ses bulles d’Évêque.

Ce Pontife frappé des circonstances particulières de cet événement, l’engagea à le faire connaître pour l’édification des fidèles; il y voyait une faveur du ciel, qui montre combien la charité envers les défunts est précieuse aux yeux de Dieu.

Telle est la reconnaissance des âmes saintes sorties de ce monde, qu’elles la témoignent même pour des services qu’on leur a rendus pendant qu’ils étaient encore en vie. Il est rapporté dans les Annales des Frères Prêcheurs (Malvenda, an. 1241), que parmi ceux qui vinrent demander l’habit de S. Dominique en 1241, se trouvait un avocat, qui avait quitté sa profession, par suite de circonstances extraordinaires. Il avait été lié d’amitié avec un jeune homme fort pieux, qu’il assista charitablement dans la maladie dont il mourut. Après la mort de son ami, il n’oublia pas de faire pour son âme quelques prières, bien qu’il n’eût pas grande piété. Ce fut assez pour que le défunt lui procurât le plus grand des bienfaits, celui de la conversion et de la vocation religieuse.

Environ trente jours après sa mort, il apparut à l’avocat et le supplia de le secourir parce qu’il était en purgatoire. Vos peines sont-elles rigoureuses? 1 lui demanda son ami. – Hélas! répondit-il, si toute la terre avec ses forêts et ses montagnes était en feu, ce ne serait pas un brasier comme celui où je me trouve plongé. » –

L’avocat fut saisi d’effroi, sa foi se ranima, et songeant à sa propre âme: En quel état, demanda-t-il, me trouvé- je moi-même aux yeux de Dieu? – En mauvais état, répondit le défunt, et dans une profession dangereuse.

 – Qu’ai-je à faire? Quel conseil me donnez-vous? – Quittez le monde pervers où vous êtes engagé, et ne vous occupez que du salut de votre âme. » – L’avocat suivit ce conseil, donna tous ses biens aux pauvres et prit l’habit de S. Dominique.

Voici comment un saint religieux de la Compagnie de Jésus, sut reconnaître après sa mort, les services du médecin Verdiano qui l’avait traité dans sa dernière maladie. Le frère coadjuteur François La qui était mort au collège de Naples en 1098. C’était un homme de Dieu, plein de charité, de patience et d’une tendre dévotion envers la Sainte Vierge. Quelque temps après sa mort, le docteur Verdiano, entra d’assez bon matin dans l’église du collège pour entendre la messe avant de commencer ses visites. C’était le jour où’ l’on célébrait les obsèques du roi Philippe il, décédé quatre mois auparavant. Au moment où, sortant de l’église, il prenait de l’eau bénite, un religieux se présente à lui et demande pourquoi on avait dressé le catafalque et quel service on allait célébrer? – C’est celui du roi Philippe il, répondit-il.

Le frère Lacci et le médecin Verdiano

En même temps Verdiano, étonné qu’un religieux fit cette question à un étranger, et ne distinguant point dans cet endroit peu éclairé les traits de son interlocuteur, demanda qui il était? – « Je suis, répondit-il, le frère François Lacci, à qui vous avez donné vos soins durant ma maladie. » – Le docteur le regarde attentivement et reconnait parfaitement les traits de Lacci. Stupéfait et saisi: « Mais, lui dit-il, vous êtes mort de cette maladie!

Vous souffrez donc au purgatoire et vous venez demander des suffrages. – Béni soit le Seigneur, je n’ai plus ni douleur ni tristesse; je n’ai plus besoin de suffrages:

Je suis dans les joies du paradis. -Et le roi Philippe Il, est-il aussi déjà au ciel? – Oui il y est; mais placé au-dessous de moi, autant, qu’il était élevé au-dessus de moi sur la terre. Pour vous, docteur, ajouta Lacci, où comptez-vous aller faire votre première visite aujourd’hui? Verdiano lui ayant répondu qu’il allait de ce pas chez le patricien di Maio, fort malade alors, Lacci l’avertit de prendre garde à un grave danger qui le menaçait à la porte de cette maison. En effet, le médecin trouva en cet endroit une grande pierre placée de façon, qu’en la heurtant il eût pu faire une chute mortelle (Schinosi, Istoria della C. D. J. Napoli.).

– Cette circonstance matérielle semble avoir été ménagée par la Providence, pour prouver à Verdiano qu’il n’avait pas été le jouet d’une illusion.