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Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 9, 10

Chapitre 9 – Secours accordés aux âmes

Les suffrages – Œuvres méritoires, impétratoires, satisfactoires. – Miséricorde de Dieu

Si le Seigneur console les âmes avec tant de bonté, sa miséricorde se révèle avec bien plus d’éclat dans le pouvoir qu’il accorde à son Église d’abréger leurs peines. Voulant exécuter avec clémence les arrêts sévères de sa justice, il accorde des réductions et des mitigations de peine; mais il le fait d’une manière indirecte et par l’intervention des vivants. C’est à nous qu’il accorde tout pouvoir de secourir nos frères affligés par voie de suffrage, c’est-à-dire, par voie d’impétration et de satisfaction.

Le mot suffrage dans la langue ecclésiastique est synonyme de prière; cependant quand le Concile de Trente définit que les âmes du purgatoire sont aidées par les suffrages des fidèles, le sens du mot suffrage est plus étendu: il comprend en général tout ce que nous pouvons offrir à Dieu en faveur des trépassés. Or nous pouvons offrir ainsi, non seulement des prières, mais toutes nos bonnes œuvres, en tant qu’elles sont impétratoires et satisfactoires.

Pour comprendre ces termes, rappelons-nous que chacune de nos bonnes œuvres, accomplie en état de grâce, possède d’ordinaire une triple valeur aux yeux de Dieu.

1° Cette œuvre est méritoire, c’est-à-dire qu’elle ajoute à nos mérites, qu’elle nous donne droit à un nouveau degré de gloire dans ciel.

2° Elle est impétratoire (impétrer, obtenir), c’est-à-dire qu’à la manière d’une prière, elle a la vertu d’obtenir de Dieu quelque grâce.

3° Elle est satisfactoire, c’est-à-dire qu’à la manière d’une valeur pécuniaire, elle est propre à satisfaire la justice divine, à payer nos dettes de peines temporelles devant Dieu.

Le mérite est inaliénable, et demeure le bien propre de la personne qui fait l’action. – Au contraire, la valeur impétratoire et satisfactoire peut profiter à d’autres, en vertu de la communion des saints.

Ces notions supposées, posons cette question pratique: Quels sont les suffrages, par lesquels selon la doctrine de l’Église, nous pouvons aider les âmes du purgatoire ?

A cette question on répond: ce sont les prières, les aumônes, les jeûnes et pénitences quelconques, les indulgences et surtout le saint Sacrifice de la messe.

Toutes ces œuvres, accomplies en état de grâce, Jésus-Christ nous permet de les offrir à la divine Majesté pour le soulagement de nos frères du purgatoire; et Dieu les applique à ces âmes selon les règles de sa justice et de sa miséricorde.

Par cette admirable disposition, tout en sauvegardant les droits de sa justice, notre Père céleste multiplie les effets de sa miséricorde, qui s’exerce ainsi tout à la fois envers l’Église souffrante et envers l’Église militante. Le secours miséricordieux qu’il nous permet de porter à nos frères souffrants nous profite excellemment à nous-mêmes: c’est une œuvre, non seulement avantageuse pour les défunts, mais encore sainte et salutaire pour les vivants: Sancta et salubris est cogitatio pro de functis exorare.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les Révélations de sainte Gertrude (Legatus div. pietatis, 1. 5. c. 5), qu’une humble religieuse de sa communauté, ayant couronné une vie exemplaire par une mort très-pieuse, Dieu daigna montrer à la Sainte l’état de cette défunte. Gertrude vit son âme, ornée d’une beauté ineffable, et chère à Jésus qui la regardait avec amour. Néanmoins, à cause de quelques légères négligences non expiées, elle ne pouvait encore entrer dans la gloire, et était obligée de descendre dans le sombre séjour des souffrances. A peine avait-elle disparu dans ces profondeurs, que la Sainte la vit reparaître et s’élever vers le ciel, portée par les suffrages de l’Église: Ecclesiœ precibus sursum Ferri.

Judas Machabée

Déjà dans l’ancienne Loi, on faisait des prières et on offrait des sacrifices pour les morts. L’Écriture rapporte en le louant l’acte pieux de Judas Machabée, après la victoire qu’il remporta sur Gorgias, général du roi Antiochus. Cette victoire coûta la vie à un certain nombre de soldats israélites. Ces soldats avaient commis une faute, en prenant parmi les dépouilles de l’ennemi des objets consacrés aux idoles, ce qui était défendu par la loi. C’est alors que Judas, chef de l’armée d’Israël, ordonna des prières et des sacrifices pour la rémission de leur péché et le soulagement de leurs âmes. Voici le passage où l’Écriture rapporte ces faits, II Machab. XIII, 39.

Après le sabbat, Judas vint avec les siens enlever les corps de ceux qui avaient été tués, pour les ensevelir, à l’aide de leurs parents, dans le tombeau de leurs pères.

Or ils trouvèrent sous les tuniques de ceux qui étaient morts au combat des objets consacrés aux idoles, pris à Jammia, et que la loi interdit aux Juifs. Tout le monde reconnut clairement que c’était la cause de leur mort.

C’est pourquoi tous bénirent le juste jugement du Seigneur, qui avait découvert ce qu’on avait voulu cacher.

Et, se mettant en prière, ils conjurèrent le Seigneur d’oublier le péché qui avait été commis. Mais le vaillant Judas exhortait le peuple à se conserver sans péché, à la vue de ce qui était arrivé à cause des péchés de ceux qui avaient été tués.

Et, après avoir fait une collecte, il envoya douze mille drachmes d’argent à Jérusalem, afin qu’on offrît un sacrifice pour les péchés de ceux qui étaient morts. Il avait de bons et religieux sentiments touchant la résurrection. (Car s’il n’eût pas espéré que ceux qui avaient été tués ressusciteraient un jour, il eût regardé comme une chose vaine et superflue de prier pour les morts);

Car il croyait qu’une grande miséricorde est réservée à ceux qui meurent dans la piété.

C’est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés.

Chapitre 10 Secours accordés aux âmes

La sainte Messe

Dans la nouvelle Loi nous avons le divin sacrifice de la Messe, dont les divers sacrifices de la Loi Mosaïque n’étaient que de faibles figures. Le Fils de Dieu l’institua, non seulement comme un digne hommage rendu par la créature à la divine Majesté; mais encore comme une propitiation pour les vivants et les morts: c’est-à-dire, comme un moyen efficace d’apaiser la justice de Dieu irritée par nos péchés.

La sainte Messe fut célébrée pour les défunts dès l’origine de l’Église. « Nous célébrons l’anniversaire du triomphe des Martyrs, écrivait Tertullien au IIIe siècle (De corona, c. 5.), et suivant la tradition de nos Pères, nous offrons le Sacrifice pour les défunts au jour anniversaire de leur mort.

Saint Augustin

« Il n’y a pas à en douter, écrit S. Augustin (Serm. 34, de verbis apost.), les prières de l’Église, le Sacrifice salutaire, les aumônes distribuées pour les défunts, soulagent les âmes, et font que Dieu en use envers elles avec plus de clémence que ne méritent leurs péchés. C’est la pratique universelle de l’Église, pratique qu’elle observe comme l’ayant reçue de ses Pères, c’est-à-dire des saints Apôtres. »

Sainte Monique.

Sainte Monique, la digne mère de S. Augustin, ne demandait en mourant qu’une chose à son fils, c’est qu’il se souvint d’elle à l’autel du Seigneur; et le saint Docteur en rapportant cette touchante circonstance au livre de ses Confessions (Liv. 9. c. 12.), conjure tous ses lecteurs de se joindre à lui pour la recommander à Dieu au saint Sacrifice.

Voulant retourner en Afrique, sainte Monique vint avec Augustin à Ostie pour s’y embarquer; mais elle tomba malade et sentit bientôt que sa mort était proche. « C’est ici, dit-elle à son fils, que vous donnerez la sépulture à votre mère. La seule chose que je vous demande, c’est que vous vous souveniez de moi à l’autel du Seigneur, ut ad altare Domini memineritis mei. »

Que l’on me pardonne, ajoute S. Augustin, les larmes que j’ai alors versées: car il ne fallait pas pleurer cette mort qui n’était que l’entrée dans la véritable vie. Toutefois, considérant des yeux de la foi la misère de notre nature déchue, je pouvais répandre devant vous, Seigneur, des larmes autres que celles de la chair, les larmes qui coulent à la pensée du péril où se trouve toute âme qui a péché en Adam.

« Certes ma mère a vécu de manière à glorifier votre nom par la vivacité de sa foi et la pureté de ses mœurs; cependant, oserais-je affirmer qu’aucune parole contraire à la sainteté de votre loi n’est sortie de ses lèvres ? Hélas ! que devient la vie la plus sainte, si vous l’examinez dans la rigueur de votre justice ? »

C’est pourquoi, ô le Dieu de mon cœur, ma gloire et ma vie ! je laisse de côté les bonnes œuvres que ma mère a faites, pour vous demander seulement le pardon de ses péchés. Exaucez-moi par les blessures sanglantes de Celui qui mourut pour nous sur la croix, et qui maintenant, assis à votre droite, est notre intercesseur.

« Je sais que ma mère a toujours fait miséricorde, qu’elle a pardonné de bon cœur les offenses, remis les dettes qu’on avait contractées envers elle; remettez-lui donc ses dettes à elle-même, si durant les longues années de sa vie elle en a contracté envers vous. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui, et n’entrez pas en jugement avec elle, car vos paroles sont véritables: vous avez promis miséricorde aux miséricordieux. »

Cette miséricorde, je crois que vous la lui avez déjà faite, ô mon Dieu; mais acceptez l’hommage de ma prière. Souvenez-vous qu’au moment de son passage à l’autre vie, votre servante ne songea pour son corps ni à de pompeuses funérailles, ni à des parfums précieux; elle ne demanda pas un sépulcre magnifique, ni qu’on la transportât dans celui qu’elle avait fait construire à Tagaste, sa patrie; mais seulement que nous fissions mémoire d’elle à votre autel, dont elle appréciait les mystères. Vous le savez, Seigneur, tous les jours de sa vie elle avait participé à ces divins mystères, qui renferment la Victime sainte dont le sang a effacé la cédule de notre condamnation.

« Qu’elle repose donc en paix avec mon père son mari, avec l’époux auquel elle fut fidèle dans les jours de son union, et dans les tristesses de son veuvage; avec celui dont elle s’était faite l’humble servante pour le gagner à vous, Seigneur, par sa douceur et sa patience. Et vous, ô mon Dieu, inspirez à vos serviteurs qui sont mes frères, inspirez à tous ceux qui liront ces lignes, de se souvenir à votre autel de Monique, votre servante, et de Patrice, qui fut son époux. Que tous ceux qui vivent encore dans la lumière trompeuse de ce monde, se souviennent donc pieusement de mes parents, afin que la dernière prière de ma mère mourante soit exaucée, au-delà même de ses vœux. »

Ce beau passage de S. Augustin nous montre le sentiment de ce grand Docteur au sujet des suffrages pour les défunts; et il fait voir clairement que le premier et le plus puissant de tous les suffrages est le saint Sacrifice de la messe.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 16, 17, 18

Chapitre 16 – Peines du purgatoire

Ce qui montre encore la rigueur du purgatoire, c’est que le temps le plus court y paraît très long. Tout le monde sait que les jours de joie passent vite et paraissent courts, tandis que nous trouvons très long le temps de la souffrance. Oh ! combien lentement s’écoulent les heures de la nuit pour les pauvres malades qui les passent dans l’insomnie et les douleurs ! Oh ! combien longue paraîtrait une minute, s’il fallait, pendant cette minute, tenir la main plongée dans le feu ! L’on peut dire que, plus les peines qu’on souffre sont intenses, plus la plus courte durée en paraît longue. Cette règle nous fournit un nouveau moyen d’apprécier les peines du purgatoire.

Saint Antonin, le religieux malade

On trouve dans les Annales des Frères-Mineurs, sous l’année 1285, un fait que rapporte aussi saint Antonin dans sa Somme, partie IV, § 4. Un religieux souffrant depuis longtemps d’une douloureuse maladie, se laissa vaincre par le découragement et supplia Dieu de le laisser mourir afin d’être délivré de ses maux. Il ne songeait pas que le prolongement de sa maladie était une miséricorde de Dieu, qui voulait par-là lui épargner des souffrances plus rigoureuses.

En réponse à sa prière, Dieu chargea son ange gardien de lui offrir le choix, ou de mourir immédiatement et de subir trois jours de purgatoire, ou d’endurer sa maladie pendant une année encore, et d’aller ensuite directement au ciel. Le malade ayant à choisir entre trois jours de Purgatoire et une année de souffrances, ne balança pas et prit les trois jours de purgatoire. Il mourut donc sur l’heure et alla au séjour de l’expiation.

Au bout d’une heure son ange vint le visiter dans ses souffrances. En le voyant, le pauvre patient se plaignit de ce qu’il l’avait laissé si longtemps dans ces supplices. Cependant, ajouta-t-il, vous m’aviez promis que je n’y serais que trois jours. – Combien de temps, demanda l’ange, pensez-vous avoir déjà souffert ? – Au moins plusieurs années, répondit-il, et je ne devais souffrir que trois jours. – Sachez, reprit l’ange, qu’il y a une heure seulement que vous êtes ici. La rigueur de la peine vous trompe sur le temps: elle fait qu’un instant vous paraît un jour, et une heure des années. – Hélas ! dit-il alors en gémissant, j’ai été bien aveugle, bien inconsidéré dans le choix que j’ai fait. Priez Dieu, mon bon ange, qu’il me pardonne et me permette de retourner sur la terre: je suis prêt à souffrir les plus cruelles infirmités, non seulement pendant deux ans, mais aussi longtemps qu’il lui plaira. Plutôt dix ans de maladies affreuses, qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables angoisses.

Le P. Rossignoli, durée d’un quart d’heure au purgatoire

Le trait suivant est tiré d’un pieux auteur cité par le Père Rossignoli (Merv. 17.). Deux religieux d’éminente vertu s’excitaient mutuellement à mener la vie la plus sainte. L’un d’eux tomba malade et connut par vision qu’il mourrait bientôt, qu’il serait sauvé, et qu’il serait seulement au purgatoire jusqu’à la première messe qu’on célébrerait pour lui. – Plein de joie à cette nouvelle, il s’empressa d’en faire part à son ami, et le conjura de ne pas tarder après sa mort à célébrer la messe qui devait lui ouvrir le ciel.

Il mourut le lendemain matin, et son saint compagnon, sans perdre de temps, alla offrir pour lui le saint sacrifice. Après la messe, comme il faisait son action de grâces et continuait à prier pour le défunt, celui-ci lui apparut rayonnant de gloire; mais d’un ton de plainte amicale, il lui demanda pourquoi il avait tant différé de célébrer cette seule messe dont il avait eu besoin ? – « Mon bienheureux frère, répondit le religieux, j’ai tant différé, dites-vous ? Je ne vous comprends pas. – Eh ! ne m’avez-vous pas laissé souffrir plus d’une année, avant de dire la messe pour moi ? – En vérité, mon frère, j’ai commencé le saint sacrifice aussitôt après votre décès: il n’y a pas eu un quart d’heure d’intervalle. » – Le bienheureux le regardant alors avec émotion, s’écria: « Qu’elles sont donc terribles ces peines expiatrices, puisqu’elles m’ont fait prendre quelques minutes pour une année ! Servez Dieu, mon frère, avec une exacte fidélité afin d’éviter de tels châtiments. Adieu, je vole au ciel, où vous viendrez bientôt me joindre. »

Le Frère Angélique

Cette rigueur de la divine justice à l’égard des âmes les plus ferventes, s’explique par l’infinie sainteté de Dieu qui découvre des taches dans ce qui nous paraît le plus pur. Les annales de l’Ordre de Saint-François (Chronique des Frères Min. p. 2. 1. 4. c. 8. Cf. Rossign. Merv. 36.) parlent d’un religieux que son éminente piété avait fait surnommer l’Angélique. Il mourut saintement dans un couvent de Frères-Mineurs à Paris; et un de ses confrères, docteur en théologie, persuadé qu’après une vie si parfaite il était allé droit au ciel et qu’il n’avait nul besoin de prières, omit de célébrer pour lui les trois messes d’obligation selon l’institut pour chaque défunt. – Au bout de quelques jours, comme il se promenait en méditant dans un endroit solitaire, le défunt se présenta à lui tout environné de flammes et lui dit d’une voix lamentable: « Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi. – Eh quoi ! frère Angélique, vous avez besoin de mon secours ? – Je suis retenu dans les feux du purgatoire, et j’attends le fruit du saint Sacrifice que vous deviez offrir trois fois pour moi. – Frère bien-aimé, j’ai cru que vous étiez déjà en possession de la gloire. Après une vie fervente et exemplaire comme la vôtre, je n’ai pu m’imaginer qu’il vous restât quelque peine à subir. – Hélas ! hélas ! reprit le défunt, personne ne croirait avec quelle sévérité Dieu juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre dans nos meilleures actions des côtés défectueux, des imperfections qui lui déplaisent. Il nous fait rendre compte jusqu’à la dernière obole usque ad novissimum quadrantem. »

Chapitre 17 – Peines du purgatoire

La Bienheureuse Quinziani

Dans la vie de la Bienheureuse Étiennette Quinziani (Auctore Franc. Seghizzo. Cf. Merv. 42. Marchese 2 janv.), religieuse dominicaine, il est parlé d’une sœur, appelée Paule, qui mourut au couvent de Mantoue, après une longue vie, sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l’église et placé à découvert dans le chœur, au milieu des religieuses. Pendant l’office, la Bienheureuse Quinziani s’était agenouillée auprès de la bière, recommandant à Dieu la défunte qui lui avait été fort chère; lorsque celle-ci tout à coup, laissant tomber le crucifix qu’on lui avait mis entre les mains, étend le bras gauche, et saisissant la main droite de la bienheureuse, la serre étroitement, comme ferait une malade qui dans les ardeurs de la fièvre demande secours à une amie. Elle la tint serrée pendant un temps considérable, puis retira son bras qui retomba inanimé dans le cercueil. Les religieuses, étonnées de ce prodige, en demandèrent l’explication à la bienheureuse. Elle répondit que lorsque la défunte lui serrait la main, une voix non articulée lui avait parlé au fond du cœur, disant: « Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j’endure. Oh ! si vous saviez la sévérité du Juge qui veut notre amour, quelle expiation il exige des moindres fautes avant de nous admettre à la récompense ! Si vous saviez combien il faut être pur pour voir la face de Dieu ! Priez, priez et faites pénitence pour moi, qui ne peux plus m’aider. »

La Bienheureuse, touchée de la prière de son amie, se livra à toutes sortes de pénitences et d’œuvres satisfactoires, jusqu’à ce qu’une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.

La conclusion naturelle qui ressort de ces terribles manifestations de la divine justice, c’est qu’il faut se hâter de satisfaire en cette vie. Certes, un coupable condamné à être brûlé vif, ne refuserait pas une peine plus légère si on lui en laissait le choix. Supposez qu’on lui dise: Vous pouvez vous libérer de ce terrible supplice, à condition que durant trois jours vous jeûniez au pain et à l’eau; s’y refuserait-il ? Celui qui préférerait le tourment du feu à cette légère pénitence, ne serait-il pas regardé comme ayant perdu la raison ? Or, préférer le feu du purgatoire à la pénitence chrétienne en cette vie, est une extravagance incomparablement plus grande.

L’empereur Maurice

L’empereur Maurice le comprit et fut plus sage. L’histoire rapporte (Bérault, Histoire ecclés. année 602) que ce prince, malgré ses bonnes qualités qui l’avaient rendu cher à saint Grégoire-le-Grand, commit sur la fin de son règne une faute considérable, et l’expia par un repentir exemplaire.

Ayant perdu une bataille contre le Kan ou roi des Avares, il refusa de payer la rançon des prisonniers, quoiqu’on ne demandât par tête que la sixième partie d’un sou d’or, ce qui faisait moins de vingt sous de notre monnaie. Ce refus sordide mit le vainqueur barbare dans une telle colère, qu’il fit massacrer sur-le-champ les soldats Romains, au nombre de douze mille. Alors l’empereur reconnut sa faute et la sentit si vivement, qu’il envoya de l’argent et des cierges aux principales églises et aux principaux monastères, afin qu’on y priât le Seigneur de le punir en cette vie plutôt qu’en l’autre.

Ces prières furent exaucées. L’an 602, ayant voulu obliger ses troupes à passer l’hiver au-delà du Danube, elles se mutinèrent avec fureur, chassèrent leur général Pierre, frère de Maurice, et proclamèrent empereur un simple centurion, nommé Phocas. La ville impériale suivit l’exemple de l’armée. Maurice fut obligé de s’enfuir de nuit, après avoir quitté toutes les marques de sa puissance, qui ne faisaient plus que son effroi. Il n’en fut pas moins reconnu.

On l’arrêta avec sa femme, cinq de ses fils et ses trois filles, c’est-à-dire tous ses enfants, excepté l’aîné de ses fils, nommé Théodose, qu’il avait fait déjà couronner empereur, et qui échappa pour lors au tyran. Maurice et ses cinq fils furent impitoyablement égorgés, près de Chalcédoine. Le carnage commença par les jeunes princes, qu’on fit mourir sous les yeux de cet infortuné père, sans qu’il lui échappât un seul mot de plainte. Songeant aux peines de l’autre vie, il s’estimait heureux de pouvoir souffrir dans la vie présente; et durant tout le massacre, on n’entendit sortir de sa bouche que ces paroles du psaume: Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable. Ps. 118.

Chapitre 18 – Peines du purgatoire

Comme nous l’avons dit plus haut, la peine du sens a divers degrés d’intensité: elle est moins terrible pour les âmes qui n’ont pas de péchés graves à expier, ou qui ayant fini déjà cette expiation plus rigoureuse, approchent de leur délivrance. Beaucoup de ces âmes ne souffrent plus alors que la seule peine du dam, même elles commencent déjà à briller des premiers rayons de la gloire et à goûter comme les prémices de la béatitude.

Sainte-Perpétue

Lorsque Sainte-Perpétue (7 mars. – (2) 15 novembre. Revelationes Gertrudianœ ac Mechtildianœ. Henri Oudin, Pictav. 1875.) vit au purgatoire son jeune frère Dinocrate, cet enfant ne semblait pas soumis à de cruelles tortures. L’illustre martyre écrivit elle-même le récit de cette vision, dans sa prison de Carthage, où elle avait été enfermée pour la foi de Jésus-Christ, lors de la persécution de Septime-Sévère, l’an 205. Le purgatoire lui apparut sous la figure d’un désert aride, où elle vit son frère Dinocrate qui était mort à l’âge de sept ans. L’enfant avait un ulcère au visage, et tourmenté par la soif, il cherchait vainement à boire des eaux d’une fontaine, qui était devant lui, mais dont les bords étaient trop élevés pour qu’il y pût atteindre.

La sainte martyre comprit que l’âme de son frère était au lieu des expiations et réclamait le secours de ses prières. Elle pria donc pour lui; et trois jours après, dans une nouvelle vision, elle vit le même Dinocrate au milieu d’un jardin délicieux: son visage était beau comme celui d’un ange, il était revêtu d’une très belle robe, les bords de la fontaine étaient abaissés devant lui, il puisait dans ses eaux vives avec une coupe d’or, et se désaltérait à longs traits. – La sainte connut alors que l’âme de son jeune frère jouissait enfin des joies du paradis.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les révélations de sainte Gertrude (2), qu’une jeune religieuse de son monastère, qu’elle aimait singulièrement à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus beaux sentiments de piété. Pendant qu’elle recommandait ardemment cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase, et eût une vision. La défunte lui fut montrée devant le trône de Dieu, environnée d’une brillante auréole et couverte de riches vêtements. Cependant elle paraissait triste et préoccupée: ses yeux étaient baissés, comme si elle eût eu honte de paraître devant la face de Dieu; on eût dit qu’elle voulait se cacher et s’enfuir. – Gertrude, toute surprise, demanda au divin Époux des vierges, la cause de cette tristesse et de cet embarras dans une âme si sainte: Très-doux Jésus, s’écria-t-elle, pourquoi dans votre bonté infinie n’invitez-vous pas votre épouse à s’approcher de vous et à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi la laissez-vous à l’écart triste et craintive ? » – Alors Notre-Seigneur, avec un sourire d’amour, fit signe à cette sainte âme de s’approcher ; mais elle, de plus en plus troublée, après avoir hésité un peu, toute tremblante, s’inclina profondément et s’éloigna.

A cette vue sainte Gertrude, s’adressant directement à l’âme: « Eh ! quoi, ma fille, lui dit-elle, vous vous éloignez quand le Seigneur vous appelle ? Vous qui avez soupiré toute votre vie après Jésus, maintenant qu’il vous tend les bras, vous reculez devant lui ! » – « Ah ! ma mère, répondit cette âme, je ne suis pas digne encore de paraître devant l’Agneau immaculé; il me reste des souillures que j’ai contractées sur la terre. Pour s’approcher du soleil de justice, il faut être plus pur que le rayon de la lumière: je n’ai pas encore cette pureté parfaite qu’il veut contempler dans ses saints. Sachez que, si la porte du ciel m’était ouverte, je n’oserais en franchir le seuil, avant d’être entièrement purifiée des plus petites taches; il me semble que le chœur des vierges qui suivent les pas de l’Agneau, me repousserait avec horreur. – Et pourtant, reprit la sainte Abbesse, je vous vois environnée de lumière et de gloire ! – Ce que vous voyez, répondit l’âme, n’est que la frange du vêtement de la gloire: pour revêtir cette robe ineffable du ciel, il faut ne plus avoir une ombre de souillure. »

Cette vision nous montre une âme bien près de la gloire; mais elle indique en même temps que cette âme est éclairée tout autrement que nous sur l’infinie sainteté de Dieu. La connaissance claire de cette sainteté lui fait rechercher, comme un bien, les expiations dont elle a besoin pour être digne des regards du Dieu trois fois saint.

Sainte Catherine de Gênes

C’est, du reste, ce qu’enseigne expressément Sainte-Catherine de Gênes. On sait que cette sainte a reçu de Dieu des lumières toutes particulières sur l’état des âmes dans le purgatoire: elle a écrit un opuscule, intitulé Traité du purgatoire, qui jouit d’une autorité semblable aux œuvres de sainte Thérèse. Or, au chapitre VIII, elle s’exprime ainsi: « Le Seigneur est tout miséricorde: il se tient, vis-à-vis de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois aussi que cette divine essence est d’une telle pureté, que l’âme ne saurait soutenir son regard, à moins d’être absolument immaculée. Si elle trouvait en soi le moindre atome d’imperfection, plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté infinie, elle se précipiterait au fond de l’enfer. – Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s’y élance; et elle estime que c’est par l’effet d’une grande miséricorde, qu’un lieu lui est donné pour se délivrer de l’empêchement au bonheur suprême qu’elle voit en elle. »

Le Frère Jean de Via

L’Histoire de l’origine de l’Ordre séraphique (Partie 4. n. 7. Cf. Merv. 83.) fait mention d’un saint religieux, appelé le Frère Jean de Via, qui mourut pieusement dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, le Frère Ascension, était en prière dans sa cellule et recommandait à Dieu l’âme du défunt, lorsque tout à coup il aperçut devant lui un religieux de son ordre, mais qui paraissait transfiguré: il était tout radieux et remplissait la cellule d’une douce clarté. Le frère tout hors de lui, ne le reconnut pas, mais s’enhardit assez pour lui demander qui il était et quel était le sujet de sa visite. – « Je suis, répondit l’apparition, l’esprit du Frère Jean de Via: je vous rends grâces pour les prières que vous faites monter au ciel en ma faveur, et je viens vous demander encore un acte de charité. Sachez que, grâce à la divine miséricorde, je suis dans le lieu du salut, parmi les prédestinés à la gloire: la lumière qui m’environne en est une preuve. Cependant je ne suis pas digne encore de voir la face du Seigneur, à cause d’un manquement qu’il me faut expier. Durant ma vie mortelle, j’ai omis par ma faute, et cela plusieurs fois, de réciter l’office pour les défunts, lorsqu’il était prescrit par la règle. Je vous conjure, mon frère, par l’amour que vous avez pour Jésus-Christ, de faire en sorte que ma dette soit acquittée en cette matière, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. »

Le Frère Ascension courut au Père Gardien, raconta ce qui lui était arrivé, et on s’empressa d’acquitter les offices demandés. Alors l’âme du bienheureux Frère Jean de Via se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore: elle était en possession de la félicité complète.