Chapitre 54
Avantages – Pensée salutaire – Satisfaire en cette vie plutôt qu’en l’autre
Outre les avantages que nous venons de considérer, la charité envers les défunts est singulièrement salutaire à ceux qui la pratiquent, parce qu’elle leur inspire la ferveur dans le service de Dieu et leur suggère les plus saintes pensées. Songer aux âmes du purgatoire c’est songer aux peines de l’autre vie, c’est se rappeler que tout péché demande son expiation, soit en cette vie soit en l’autre.
Or qui ne comprend qu’il vaut mieux satisfaire ici, puisque les châtiments futurs sont si terribles? Une voix semble sortir du purgatoire et nous dire cette sentence de l’Imitation: Il vaut mieux extirper maintenant nos vices, et expier nos péchés, que de remettre à les expier en l’autre monde (lmit.l,.24). On se rappelle aussi cette autre parole, qui se lit au même chapitre: Là, une heure dans le tourment, sera plus terrible qu’ici-bas cent années de la plus amère et de la plus rigoureuse pénitence. »
Saint Augustin et Saint Louis Bertrand
– Alors, pénétré d’une crainte salutaire, on souffre volontiers les peines de la vie présente, et on dit à Dieu, avec S. Augustin et S. Louis Bertrand: Domine, hic ure, hic seca, hic non parcas, ut in œternum parcas: Seigneur, appliquez ici-bas le fer et le feu, ne m’épargnez point en cette vie, afin que vous m’épargniez en l’autre.
Le chrétien rempli de ces pensées, regarde les tribulations de la vie présente et en particulier les souffrances parfois bien douloureuses de la maladie, comme un purgatoire sur la terre, qui pourra le dispenser du purgatoire après la mort.
Le Frère Lourenço
Le 6 janvier 1676, mourut à Lisbonne, âgé de soixante- dix-neuf ans, le serviteur de Dieu Gaspar Lourenço, frère coadjuteur de la Compagnie de Jésus, et porter de la maison Professe de cet Institut, il était rempli de charité pour les pauvres et pour les âmes du purgatoire, Il se dépensait sans ménagement au service des malheureux, et leur enseignait, merveilleusement à bénir Dieu de la misère qui devait leur valoir le ciel. Lui-même était si pénétré du bonheur de souffrir pour Notre-Seigneur, qu’il se crucifiait presque sans mesure et ajoutait encore à ses austérités, la veille des jours de Communion. A l’âge de soixante-dix-huit ans, il n’acceptait aucun adoucissement aux jeûnes et aux abstinences de l’Église, et ne laissait passer aucun jour sans se flageller au moins deux fois Jusque dans sa dernière maladie, le Frère infirmier s’aperçut que les approches mêmes de Ia mort ne lui avaient pas fait quitter son cilice: tant il désirait mourir sur la croix.
Les seules douleurs de son agonie, qui fut cruelle, auraient dû lui tenir lieu des plus rudes pénitences, Quand on lui demandait s’il souffrait beaucoup? Je fais mon purgatoire avant de partir pour le ciel, répondait-il d’un air radieux. – Le Frère Lourenço était né le jour de l’Épiphanie; et Notre-Seigneur lui avait révélé que ce beau jour devait être aussi celui de sa mort. Il en désigna même l’heure, dès la nuit précédente; et comme l’infirmier en le visitant vers l’aube du jour, lui disait avec un, sourire de doute: « N’est-ce donc pas aujourd’hui, mon Frère que vous comptez aller jouir de Dieu? – Oui, répondit-il, dès que j’aurai une dernière fois reçu le corps de mon Sauveur. Il reçut en effet la sainte communion; et à peine eut-il commencé son action de grâces, qu’il expira sans, effort, et sans agonie.
Il y a donc tout lieu de croire qu’il parlait avec une connaissance surnaturelle de la vérité, lorsqu’il disait: Je fais mon purgatoire avant de partir de ce monde.
Le Père Michel de la Fontaine
Un autre serviteur de Dieu reçut de la Sainte Vierge elle-même l’assurance que les souffrances, terrestres lui tiendraient lieu de purgatoire. Je parle du Père Michel de la Fontaine, qui s’endormit du sommeil des justes le 11 février 1606 à Valence en Espagne. II fut un des premiers missionnaires qui travaillèrent au salut des peuples du Pérou. Son plus grand soin en instruisant les nouveaux convertis, était de leur inspirer une horreur souveraine du péché, et de les porter à la dévotion envers la Mère de Dieu en leur parlant des vertus de cette admirable Vierge, et en leur enseignant la manière de réciter le chapelet.
Marie de son côté ne lui refusait pas ses faveurs. Un jour que, épuisé de fatigue, Il gisait étendu sur la poussière, n’ayant pas la force de se relever, il fut visité par Celle que l’Église appelle avec raison la Consolatrice des affligés. Elle ranima son courage en lui disant: Confiance, mon Fils: Vos fatigues vous tiendront lieu de purgatoire; supportez saintement vos peines, et au sortir de cette vie, votre âme sera reçue dans le séjour des Bienheureux. Cette vision fut pour le père de la Fontaine, durant le reste de sa vie, et surtout à l’heure de sa mort, une source abondante de consolation. En reconnaissance de cette faveur, il pratiquait chaque semaine quelque pénitence extraordinaire. Au moment où il expira, un religieux d’une éminente vertu vit son âme monter au ciel, dans la compagnie de la Sainte Vierge, du prince des Apôtres, de S. Jean l’Évangéliste et de saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus.
Chapitre 55
Avantages – Enseignements salutaires – La Bienheureuse Marie-des-Anges
Outre les saintes pensées que suggère la dévotion envers les âmes, celles-ci contribuent parfois elles-mêmes directement au bien spirituel de leurs bienfaiteurs. Dans la vie (Par le Chan, Labis Tournai, Casterman.) de la bienheureuse Marie-des-Anges, de l’Ordre du Carmel, il est dit qu’on croirait à peine combien étaient fréquentes les apparitions d’âmes du purgatoire, qui venaient implorer son secours, puis la remercier de leur délivrance. Souvent elles s’entretenaient avec la Bienheureuse, lui donnaient des avis utiles pour elle ou pour ses sœurs, et lui révélaient même des, choses de l’autre monde. Le mercredi dans l’octave de l’Assomption, écrit-elle, comme je faisais l’oraison du soir, une de nos bonnes sœurs m’apparut; elle était vêtue de blanc, environnée de gloire et de splendeur, et si belle, que je ne trouve ici-bas rien à quoi la comparer. Redoutant quelque illusion du démon, je me munis du signe de la croix mais elle me fit un sourire et disparut peu après, Je priai Notre-Seigneur de ne pas permettre que je fusse trompée par le démon. La nuit suivante, la sœur m’apparut encore, m’appela par mon nom et me dit: « Je viens de la part de Dieu pour vous faire savoir que je jouis des biens éternels; dites à notre mère Prieure qu’il n’entre pas dans les desseins de Dieu qu’elle sache ce qui doit lui arriver; dites-lui encore de mettre sa confiance en S. Joseph et dans les âmes du purgatoire. Ayant ainsi parlé elle disparut.
Saint Pierre Claver, le nègre malade et le chapelet
Saint Pierre Claver, l’apôtre des nègres de Carthagène, fut aidé par les âmes du purgatoire dans l’œuvre de son apostolat, Il n’abandonnait pas les âmes de ses chers nègres après la mort: pénitences, prières, messes, indulgences, « il leur appliquait, dit le P. Fleurian, historien de sa vie, tout ce qui dépendait de lui. Aussi arrivait-il souvent que ces âmes affligées, sûres de son crédit auprès de Dieu, venaient lui demander le secours de ses prières. La délicatesse et l’incrédulité de notre siècle ajoute le même auteur, ne m’empêcheront pas d’en rapporter ici quelques traits. Ils paraîtront peut-être dignes de la raillerie des esprits-forts; mais ne suffit-il pas de reconnaître un Dieu maître de ces sortes d’événements, et que d’ailleurs ils soient bien attestés pour qu’ils puissent trouver place dans une histoire écrite pour des lecteurs chrétiens?
Un nègre malade, qu’il avait retiré dans sa chambre et couché dans son lit, ayant entendu la nuit de grandes plaintes, la frayeur le fit courir promptement au Père CIaver, qui pour lors était à genoux en oraison: « 0 mon Père, lui dit-il; quel est donc ce grand bruit qui m’effraye ainsi et qui m’empêche de dormir! Retournez, mon fils, lui répondit le saint homme, et dormez sans crainte. » – Alors; l’ayant aidé à se remettre au lit, et lui ayant posé la couverture sur la tête, II ouvrit la porte de la chambre, dit quelques paroles, et tout à coup les plaintes cessèrent. Plusieurs autres nègres étant occupés à travailler dans une habitation éloignée de la ville, un d’eux alla pour couper du bois sur une montagne voisine. Comme il approchait de la forêt, il entendit que, du haut d’un arbre, on l’appelait par son nom. Il leva les yeux vers l’endroit d’où partait la voix, et ne voyant personne, il voulut s’enfuir pour rejoindre ses compagnons; mais il fut arrêté à un passage étroit par un spectre effrayant, qui commença â décharger sur lui de grands coups, avec un fouet garni de fer tout rouge de feu, en lui disant: Pourquoi n’as-tu pas ton chapelet ? Porte-le désormais et le dis pour les âmes du purgatoire. » – Le fantôme lui ordonna ensuite de demander à la maîtresse de l’habitation quatre écus qu’elle lui devait, et de les porter au P. Claver, pour faire dire des messes à son intention; après quoi il disparut.
Cependant au bruit des coups et aux cris du nègre, ses compagnons étant accourus, ils le trouvèrent plus mort que vif, et encore tout meurtri des coups qu’il avait reçus, sans pouvoir leur dire une parole. On le porta à l’habitation, où la maîtresse avoua qu’elle était effectivement redevable de la somme en question à un nègre qui était mort peu de temps auparavant. Le P. Claver ayant été informé de tout ce détail, fit dire les messes qu’on demandait, et donna un chapelet au nègre, qui ne manqua plus de le porter sur lui et de le réciter dans fa suite.
Avantages – Enseignements salutaires – Sainte Madelaine de Pazzi et la sœur Benoîte
Sainte Madeleine de Pazzi reçut dans l’apparition d’une défunte les plus belles instructions sur les vertus religieuses, Il y avait dans son couvent une sœur, appelée Marie-Benoîte, qui se distinguait par sa piété, son obéissance et toutes les autres vertus qui font l’ornement des âmes saintes. Elle était si humble, dit le P. Cépari, et avait un tel mépris d’elle-même, que, sans la discrétion des Supérieurs, elle eût fait des extravagances, dans le seul but de se faire la réputation d’une tète sans prudence et sans jugement. Elle disait, à ce propos, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’être jalouse de saint Alexis, qui avait su trouver le moyen de mener une vie cachée et méprisable aux yeux du monde. Elle était si souple et si prompte à l’obéissance, qu’elle courait comme un enfant au moindre signe de la volonté des supérieures; et que celles-ci avaient besoin, dans les ordres qu’elles lui donnaient, d’user d’une grande circonspection, de peur qu’elle n’allât au-delà de leurs désirs. Enfin elle était parvenue à exercer sur ses passions et sur tous ses appétits un tel empire, qu’il serait difficile d’imaginer une mortification plus parfaite., Cette bonne sœur mourut presque subitement, après quelques heures seulement de maladie. Le lendemain, qui était un samedi, lorsqu’on célébrait la sainte messe pour son âme, les religieuses ayant commencé à chanter le Sanctus, Madeleine fut ravie en extase. Pendant ce ravissement, Dieu lui fit voir cette âme dans la gloire sous une forme corporelle: elle était ornée d’une étoile d’or, qu’elle avait reçue en récompense de son ardente charité. Tous ses doigts étaient chargés d’anneaux précieux, à cause de la fidélité à toutes ses règles et du soin avec lequel elle avait, sanctifié ses actions les plus ordinaires. Elle portait sur la tête, une très riche couronne, parce qu’elle avait beaucoup ainsi l’obéissance et les souffrances pour Jésus-Christ. Enfin: elle surpassait en gloire une grande multitude de vierges et elle contemplait Jésus- Christ avec une singulière familiarité, parce qu’elle avait tant aimé l’humiliation, selon cette parole du Sauveur: Celui qui s’abaisse sera élevé ( Matth.XXIII, 12.). – Telle fut la sublime leçon que reçut la Sainte, en récompense de sa charité pour les défunts.
Le Père Paul Hoffée
La pensée du purgatoire nous presse de travailler avec ardeur et de fuir les moindres fautes pour éviter les terribles expiations de l’autre vie. Le Père Paul Hoffée, qui mourut saintement à Ingolstadt, l’an 1608, se servait de ce stimulant pour lui-même et pour les autres. Il ne perdait jamais de vue le purgatoire et ne cessait de soulager les âmes, qui lui apparaissaient fréquemment pour solliciter ses suffrages. Comme il fut longtemps supérieur de ses frères en religion, il les exhortait souvent à le sanctifier d’abord eux-mêmes pour mieux sanctifier ensuite les autres, et à ne jamais négliger la moindre prescription de leurs règles; puis il ajoutait avec une grande simplicité « Je crains bien, sans cela, que vous ne veniez un jour, comme plusieurs autres, me demander des prières pour vous tirer du purgatoire. »
Dans ses derniers moments, il ne faisait plus que s’entretenir avec Notre-Seigneur, sa sainte Mère et les Saints. Il fut sensiblement consolé par la visite d’une très sainte âme, qui l’avait précédé de deux ou trois jours à peine dans le ciel, et l’invitait à venir lui-même pour jouir enfin, de la vue et de l’amour éternel de Dieu (Ménologe de la Compagnie de Jésus, Ii décemb.).
Quand nous disons que la pensée du purgatoire nous fait employer les moyens de l’éviter, nous supposons évidemment que nous avons à craindre d’y tomber. Or cette crainte est-elle fondée? – Pour peu qu’on réfléchisse à la sainteté requise pour entrer au ciel, et à la faiblesse humaine, source de tant de souillures, on comprend aisément que cette crainte n’est que trop fondée. D’ailleurs, les faits qu’on a lus plus haut, ne montrent-ils pas que les âmes les plus saintes, très-souvent ont encore une expiation à subir en l’autre vie?
Le vénérable Père de la Colombière
Le Vénéré Père Claude de la Colombière mourut saintement à Paray, le 15 février 1682, comme le lui avait prédit la Bienheureuse Marguerite Marie. Dès qu’il eut expiré une fille dévote vint annoncer sa mort à sœur Marguerite. La sainte religieuse, sans s’émouvoir et sans se répandre en regrets, dit simplement à cette personne: Allez prier Dieu pour lui, et faites-en sorte que partout on prie pour le repos de son âme: » Le Père était mort à cinq heures du matin. Le même jour, sur le soir, elle écrivit à la même personne un billet en ces termes: Cessez de vous affliger, invoquez-le. Ne craignez rien. Il est plus puissant pour vous secourir que jamais. Ces deux avis font présumer qu’elle avait été avertie surnaturellement de la mort de ce saint homme et de son état dans l’autre vie.
La paix et la tranquillité de sœur Marguerite à la mort d’un directeur qui lui avait été si utile, fut une autre Sorte de miracle. La bienheureuse n’aimait rien qu’en Dieu et pour Dieu; Dieu lui tenait lieu de tout, et consumait en elle, par le feu de son amour, toute sorte d’attachement.
La supérieure fut elle-même surprise, de sa tranquillité sur la mort du saint missionnaire, et encore plus de ce qu’elle ne lui demandait point la permission de faire quelque pénitence extraordinaire pour le repos de son âme, comme elle avait coutume de faire à la mort de ceux qu’elle avait connus, et pour qui, elle croyait devoir s’intéresser plus particulièrement. La Mère supérieure en demanda la cause à la servante de Dieu, qui lui répondit tout simplement: « Il n’en a pas besoin. Il est en état de prier Dieu pour nous, étant bien placé dans le ciel par la bonté et miséricorde du Cœur sacré de Notre Seigneur Jésus-Christ. Seulement, ajouta-t-elle, pour satisfaire à quelque négligence qui lui était restée dans l’exercice du divin amour, son âme a été privée de voir Dieu dès la sortie de son corps, jusqu’au moment où il fut déposé dans le tombeau. »
Louis Corbinelli
Nous ajouterons, encore un exemple, celui du célèbre Père Corbinelli. Ce saint personnage ne fut pas exempté du purgatoire. Il est vrai qu’il ne s’y arrêta point, mais il eut besoin d’y passer avant d’être admis devant la face de Dieu. Louis Corbinelli, de la Compagnie de Jésus, mourut en odeur de sainteté dans la maison professe de Rome, l’an1591, presqu’en même temps que S. Louis de Gonzague. La mort tragique de Henri Il, roi de France, l’avait désabusé du siècle, et décidé à se consacrer entièrement à Dieu. L’an 1559 de grandes fêtes se célébraient à Paris pour le mariage de la princesse Élisabeth, fille de Henri II. Entre autres réjouissances, on avait organisé un tournoi, où figurait la fleur de ta noblesse, l’élite de la chevalerie française. Le roi s’y montra au milieu d’une cour splendide. Parmi les spectateurs, accourus de l’étranger, se trouvait le jeune Louis Corbinelli, venu de Florence, sa patrie, pour assister à ces brillantes fêtes. Corbinelli contemplait avec admiration la gloire du monarque Français, aux faites de la grandeur et de la prospérité, lorsqu’il le vit tomber soudain, frappé d’un coup mortel par un jouteur imprudent. La lance mal dirigée de Montgomery avait percé le roi, qui expirait baigner dans son sang. En un clin d’œil toute cette gloire s’évanouissait, et la magnificence royale se couvrait d’un linceul. Cet événement fit sur Corbinelii une impression salutaire: voyant à découvert la vanité des grandeurs humaines, il renonça au monde et embrassa l’état religieux dans la Compagnie de Jésus. Sa vie fut celle d’un saint et sa mort remplit de joie ceux qui en furent témoins. Elle arriva peu de jours avant celle de S. Louis de Gonzague alors malade au collège romain. Le jeune Saint annonça au Cardinal Bellarmin que l’âme du père Corbinelli était entrée dans la gloire; et comme le Cardinal lui demanda si elle n’avait pas passé par Je purgatoire? Elle y a passé, répondit-il, mais sans s’y arrêter.