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Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 54, 55

Chapitre 54

Avantages – Pensée salutaire – Satisfaire en cette vie plutôt qu’en l’autre

Outre les avantages que nous venons de considérer, la charité envers les défunts est singulièrement salutaire à ceux qui la pratiquent, parce qu’elle leur inspire la ferveur dans le service de Dieu et leur suggère les plus saintes pensées. Songer aux âmes du purgatoire c’est songer aux peines de l’autre vie, c’est se rappeler que tout péché demande son expiation, soit en cette vie soit en l’autre.

Or qui ne comprend qu’il vaut mieux satisfaire ici, puisque les châtiments futurs sont si terribles? Une voix semble sortir du purgatoire et nous dire cette sentence de l’Imitation: Il vaut mieux extirper maintenant nos vices, et expier nos péchés, que de remettre à les expier en l’autre monde (lmit.l,.24). On se rappelle aussi cette autre parole, qui se lit au même chapitre: Là, une heure dans le tourment, sera plus terrible qu’ici-bas cent années de la plus amère et de la plus rigoureuse pénitence. »

Saint Augustin et Saint Louis Bertrand

– Alors, pénétré d’une crainte salutaire, on souffre volontiers les peines de la vie présente, et on dit à Dieu, avec S. Augustin et S. Louis Bertrand: Domine, hic ure, hic seca, hic non parcas, ut in œternum parcas: Seigneur, appliquez ici-bas le fer et le feu, ne m’épargnez point en cette vie, afin que vous m’épargniez en l’autre.

Le chrétien rempli de ces pensées, regarde les tribulations de la vie présente et en particulier les souffrances parfois bien douloureuses de la maladie, comme un purgatoire sur la terre, qui pourra le dispenser du purgatoire après la mort.

Le Frère Lourenço

 Le 6 janvier 1676, mourut à Lisbonne, âgé de soixante- dix-neuf ans, le serviteur de Dieu Gaspar Lourenço, frère coadjuteur de la Compagnie de Jésus, et porter de la maison Professe de cet Institut, il était rempli de charité pour les pauvres et pour les âmes du purgatoire, Il se dépensait sans ménagement au service des malheureux, et leur enseignait, merveilleusement à bénir Dieu de la misère qui devait leur valoir le ciel. Lui-même était si pénétré du bonheur de souffrir pour Notre-Seigneur, qu’il se crucifiait presque sans mesure et ajoutait encore à ses austérités, la veille des jours de Communion. A l’âge de soixante-dix-huit ans, il n’acceptait aucun adoucissement aux jeûnes et aux abstinences de l’Église, et ne laissait passer aucun jour sans se flageller au moins deux fois Jusque dans sa dernière maladie, le Frère infirmier s’aperçut que les approches mêmes de Ia mort ne lui avaient pas fait quitter son cilice: tant il désirait mourir sur la croix.

Les seules douleurs de son agonie, qui fut cruelle, auraient dû lui tenir lieu des plus rudes pénitences, Quand on lui demandait s’il souffrait beaucoup? Je fais mon purgatoire avant de partir pour le ciel, répondait-il d’un air radieux. – Le Frère Lourenço était né le jour de l’Épiphanie; et Notre-Seigneur lui avait révélé que ce beau jour devait être aussi celui de sa mort. Il en désigna même l’heure, dès la nuit précédente; et comme l’infirmier en le visitant vers l’aube du jour, lui disait avec un, sourire de doute: « N’est-ce donc pas aujourd’hui, mon Frère que vous comptez aller jouir de Dieu? – Oui, répondit-il, dès que j’aurai une dernière fois reçu le corps de mon Sauveur. Il reçut en effet la sainte communion; et à peine eut-il commencé son action de grâces, qu’il expira sans, effort, et sans agonie.

Il y a donc tout lieu de croire qu’il parlait avec une connaissance surnaturelle de la vérité, lorsqu’il disait: Je fais mon purgatoire avant de partir de ce monde.

Le Père Michel de la Fontaine

 Un autre serviteur de Dieu reçut de la Sainte Vierge elle-même l’assurance que les souffrances, terrestres lui tiendraient lieu de purgatoire. Je parle du Père Michel de la Fontaine, qui s’endormit du sommeil des justes le 11 février 1606 à Valence en Espagne. II fut un des premiers missionnaires qui travaillèrent au salut des peuples du Pérou. Son plus grand soin en instruisant les nouveaux convertis, était de leur inspirer une horreur souveraine du péché, et de les porter à la dévotion envers la Mère de Dieu en leur parlant des vertus de cette admirable Vierge, et en leur enseignant la manière de réciter le chapelet.

Marie de son côté ne lui refusait pas ses faveurs. Un jour que, épuisé de fatigue, Il gisait étendu sur la poussière, n’ayant pas la force de se relever, il fut visité par Celle que l’Église appelle avec raison la Consolatrice des affligés. Elle ranima son courage en lui disant: Confiance, mon Fils: Vos fatigues vous tiendront lieu de purgatoire; supportez saintement vos peines, et au sortir de cette vie, votre âme sera reçue dans le séjour des Bienheureux. Cette vision fut pour le père de la Fontaine, durant le reste de sa vie, et surtout à l’heure de sa mort, une source abondante de consolation. En reconnaissance de cette faveur, il pratiquait chaque semaine quelque pénitence extraordinaire. Au moment où il expira, un religieux d’une éminente vertu vit son âme monter au ciel, dans la compagnie de la Sainte Vierge, du prince des Apôtres, de S. Jean l’Évangéliste et de saint Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus.

Chapitre 55

Avantages – Enseignements salutaires – La Bienheureuse Marie-des-Anges

Outre les saintes pensées que suggère la dévotion envers les âmes, celles-ci contribuent parfois elles-mêmes directement au bien spirituel de leurs bienfaiteurs. Dans la vie (Par le Chan, Labis Tournai, Casterman.) de la bienheureuse Marie-des-Anges, de l’Ordre du Carmel, il est dit qu’on croirait à peine combien étaient fréquentes les apparitions d’âmes du purgatoire, qui venaient implorer son secours, puis la remercier de leur délivrance. Souvent elles s’entretenaient avec la Bienheureuse, lui donnaient des avis utiles pour elle ou pour ses sœurs, et lui révélaient même des, choses de l’autre monde. Le mercredi dans l’octave de l’Assomption, écrit-elle, comme je faisais l’oraison du soir, une de nos bonnes sœurs m’apparut; elle était vêtue de blanc, environnée de gloire et de splendeur, et si belle, que je ne trouve ici-bas rien à quoi la comparer. Redoutant quelque illusion du démon, je me munis du signe de la croix mais elle me fit un sourire et disparut peu après, Je priai Notre-Seigneur de ne pas permettre que je fusse trompée par le démon. La nuit suivante, la sœur m’apparut encore, m’appela par mon nom et me dit: « Je viens de la part de Dieu pour vous faire savoir que je jouis des biens éternels; dites à notre mère Prieure qu’il n’entre pas dans les desseins de Dieu qu’elle sache ce qui doit lui arriver; dites-lui encore de mettre sa confiance en S. Joseph et dans les âmes du purgatoire. Ayant ainsi parlé elle disparut.

Saint Pierre Claver, le nègre malade et le chapelet

Saint Pierre Claver, l’apôtre des nègres de Carthagène, fut aidé par les âmes du purgatoire dans l’œuvre de son apostolat, Il n’abandonnait pas les âmes de ses chers nègres après la mort: pénitences, prières, messes, indulgences, « il leur appliquait, dit le P. Fleurian, historien de sa vie, tout ce qui dépendait de lui. Aussi arrivait-il souvent que ces âmes affligées, sûres de son crédit auprès de Dieu, venaient lui demander le secours de ses prières. La délicatesse et l’incrédulité de notre siècle ajoute le même auteur, ne m’empêcheront pas d’en rapporter ici quelques traits. Ils paraîtront peut-être dignes de la raillerie des esprits-forts; mais ne suffit-il pas de reconnaître un Dieu maître de ces sortes d’événements, et que d’ailleurs ils soient bien attestés pour qu’ils puissent trouver place dans une histoire écrite pour des lecteurs chrétiens?

Un nègre malade, qu’il avait retiré dans sa chambre et couché dans son lit, ayant entendu la nuit de grandes plaintes, la frayeur le fit courir promptement au Père CIaver, qui pour lors était à genoux en oraison: « 0 mon Père, lui dit-il; quel est donc ce grand bruit qui m’effraye ainsi et qui m’empêche de dormir! Retournez, mon fils, lui répondit le saint homme, et dormez sans crainte. » – Alors; l’ayant aidé à se remettre au lit, et lui ayant posé la couverture sur la tête, II ouvrit la porte de la chambre, dit quelques paroles, et tout à coup les plaintes cessèrent. Plusieurs autres nègres étant occupés à travailler dans une habitation éloignée de la ville, un d’eux alla pour couper du bois sur une montagne voisine. Comme il approchait de la forêt, il entendit que, du haut d’un arbre, on l’appelait par son nom. Il leva les yeux vers l’endroit d’où partait la voix, et ne voyant personne, il voulut s’enfuir pour rejoindre ses compagnons; mais il fut arrêté à un passage étroit par un spectre effrayant, qui commença â décharger sur lui de grands coups, avec un fouet garni de fer tout rouge de feu, en lui disant: Pourquoi n’as-tu pas ton chapelet ? Porte-le désormais et le dis pour les âmes du purgatoire. » – Le fantôme lui ordonna ensuite de demander à la maîtresse de l’habitation quatre écus qu’elle lui devait, et de les porter au P. Claver, pour faire dire des messes à son intention; après quoi il disparut.

Cependant au bruit des coups et aux cris du nègre, ses compagnons étant accourus, ils le trouvèrent plus mort que vif, et encore tout meurtri des coups qu’il avait reçus, sans pouvoir leur dire une parole. On le porta à l’habitation, où la maîtresse avoua qu’elle était effectivement redevable de la somme en question à un nègre qui était mort peu de temps auparavant. Le P. Claver ayant été informé de tout ce détail, fit dire les messes qu’on demandait, et donna un chapelet au nègre, qui ne manqua plus de le porter sur lui et de le réciter dans fa suite.

Avantages – Enseignements salutaires – Sainte Madelaine de Pazzi et la sœur Benoîte

Sainte Madeleine de Pazzi reçut dans l’apparition d’une défunte les plus belles instructions sur les vertus religieuses, Il y avait dans son couvent une sœur, appelée Marie-Benoîte, qui se distinguait par sa piété, son obéissance et toutes les autres vertus qui font l’ornement des âmes saintes. Elle était si humble, dit le P. Cépari, et avait un tel mépris d’elle-même, que, sans la discrétion des Supérieurs, elle eût fait des extravagances, dans le seul but de se faire la réputation d’une tète sans prudence et sans jugement. Elle disait, à ce propos, qu’elle ne pouvait s’empêcher d’être jalouse de saint Alexis, qui avait su trouver le moyen de mener une vie cachée et méprisable aux yeux du monde. Elle était si souple et si prompte à l’obéissance, qu’elle courait comme un enfant au moindre signe de la volonté des supérieures; et que celles-ci avaient besoin, dans les ordres qu’elles lui donnaient, d’user d’une grande circonspection, de peur qu’elle n’allât au-delà de leurs désirs. Enfin elle était parvenue à exercer sur ses passions et sur tous ses appétits un tel empire, qu’il serait difficile d’imaginer une mortification plus parfaite., Cette bonne sœur mourut presque subitement, après quelques heures seulement de maladie. Le lendemain, qui était un samedi, lorsqu’on célébrait la sainte messe pour son âme, les religieuses ayant commencé à chanter le Sanctus, Madeleine fut ravie en extase. Pendant ce ravissement, Dieu lui fit voir cette âme dans la gloire sous une forme corporelle: elle était ornée d’une étoile d’or, qu’elle avait reçue en récompense de son ardente charité. Tous ses doigts étaient chargés d’anneaux précieux, à cause de la fidélité à toutes ses règles et du soin avec lequel elle avait, sanctifié ses actions les plus ordinaires. Elle portait sur la tête, une très riche couronne, parce qu’elle avait beaucoup ainsi l’obéissance et les souffrances pour Jésus-Christ. Enfin: elle surpassait en gloire une grande multitude de vierges et elle contemplait Jésus- Christ avec une singulière familiarité, parce qu’elle avait tant aimé l’humiliation, selon cette parole du Sauveur: Celui qui s’abaisse sera élevé ( Matth.XXIII, 12.). – Telle fut la sublime leçon que reçut la Sainte, en récompense de sa charité pour les défunts.

Le Père Paul Hoffée

La pensée du purgatoire nous presse de travailler avec ardeur et de fuir les moindres fautes pour éviter les terribles expiations de l’autre vie. Le Père Paul Hoffée, qui mourut saintement à Ingolstadt, l’an 1608, se servait de ce stimulant pour lui-même et pour les autres. Il ne perdait jamais de vue le purgatoire et ne cessait de soulager les âmes, qui lui apparaissaient fréquemment pour solliciter ses suffrages. Comme il fut longtemps supérieur de ses frères en religion, il les exhortait souvent à le sanctifier d’abord eux-mêmes pour mieux sanctifier ensuite les autres, et à ne jamais négliger la moindre prescription de leurs règles; puis il ajoutait avec une grande simplicité « Je crains bien, sans cela, que vous ne veniez un jour, comme plusieurs autres, me demander des prières pour vous tirer du purgatoire. »

 Dans ses derniers moments, il ne faisait plus que s’entretenir avec Notre-Seigneur, sa sainte Mère et les Saints. Il fut sensiblement consolé par la visite d’une très sainte âme, qui l’avait précédé de deux ou trois jours à peine dans le ciel, et l’invitait à venir lui-même pour jouir enfin, de la vue et de l’amour éternel de Dieu (Ménologe de la Compagnie de Jésus, Ii décemb.).

Quand nous disons que la pensée du purgatoire nous fait employer les moyens de l’éviter, nous supposons évidemment que nous avons à craindre d’y tomber. Or cette crainte est-elle fondée? – Pour peu qu’on réfléchisse à la sainteté requise pour entrer au ciel, et à la faiblesse humaine, source de tant de souillures, on comprend aisément que cette crainte n’est que trop fondée. D’ailleurs, les faits qu’on a lus plus haut, ne montrent-ils pas que les âmes les plus saintes, très-souvent ont encore une expiation à subir en l’autre vie?

Le vénérable Père de la Colombière

Le Vénéré Père Claude de la Colombière mourut saintement à Paray, le 15 février 1682, comme le lui avait prédit la Bienheureuse Marguerite Marie. Dès qu’il eut expiré une fille dévote vint annoncer sa mort à sœur Marguerite. La sainte religieuse, sans s’émouvoir et sans se répandre en regrets, dit simplement à cette personne: Allez prier Dieu pour lui, et faites-en sorte que partout on prie pour le repos de son âme: » Le Père était mort à cinq heures du matin. Le même jour, sur le soir, elle écrivit à la même personne un billet en ces termes: Cessez de vous affliger, invoquez-le. Ne craignez rien. Il est plus puissant pour vous secourir que jamais. Ces deux avis font présumer qu’elle avait été avertie surnaturellement de la mort de ce saint homme et de son état dans l’autre vie.

La paix et la tranquillité de sœur Marguerite à la mort d’un directeur qui lui avait été si utile, fut une autre Sorte de miracle. La bienheureuse n’aimait rien qu’en Dieu et pour Dieu; Dieu lui tenait lieu de tout, et consumait en elle, par le feu de son amour, toute sorte d’attachement.

La supérieure fut elle-même surprise, de sa tranquillité sur la mort du saint missionnaire, et encore plus de ce qu’elle ne lui demandait point la permission de faire quelque pénitence extraordinaire pour le repos de son âme, comme elle avait coutume de faire à la mort de ceux qu’elle avait connus, et pour qui, elle croyait devoir s’intéresser plus particulièrement. La Mère supérieure en demanda la cause à la servante de Dieu, qui lui répondit tout simplement: « Il n’en a pas besoin. Il est en état de prier Dieu pour nous, étant bien placé dans le ciel par la bonté et miséricorde du Cœur sacré de Notre Seigneur Jésus-Christ. Seulement, ajouta-t-elle, pour satisfaire à quelque négligence qui lui était restée dans l’exercice du divin amour, son âme a été privée de voir Dieu dès la sortie de son corps, jusqu’au moment où il fut déposé dans le tombeau. »

Louis Corbinelli

Nous ajouterons, encore un exemple, celui du célèbre Père Corbinelli. Ce saint personnage ne fut pas exempté du purgatoire. Il est vrai qu’il ne s’y arrêta point, mais il eut besoin d’y passer avant d’être admis devant la face de Dieu. Louis Corbinelli, de la Compagnie de Jésus, mourut en odeur de sainteté dans la maison professe de Rome, l’an1591, presqu’en même temps que S. Louis de Gonzague. La mort tragique de Henri Il, roi de France, l’avait désabusé du siècle, et décidé à se consacrer entièrement à Dieu. L’an 1559 de grandes fêtes se célébraient à Paris pour le mariage de la princesse Élisabeth, fille de Henri II. Entre autres réjouissances, on avait organisé un tournoi, où figurait la fleur de ta noblesse, l’élite de la chevalerie française. Le roi s’y montra au milieu d’une cour splendide. Parmi les spectateurs, accourus de l’étranger, se trouvait le jeune Louis Corbinelli, venu de Florence, sa patrie, pour assister à ces brillantes fêtes. Corbinelli contemplait avec admiration la gloire du monarque Français, aux faites de la grandeur et de la prospérité, lorsqu’il le vit tomber soudain, frappé d’un coup mortel par un jouteur imprudent. La lance mal dirigée de Montgomery avait percé le roi, qui expirait baigner dans son sang. En un clin d’œil toute cette gloire s’évanouissait, et la magnificence royale se couvrait d’un linceul. Cet événement fit sur Corbinelii une impression salutaire: voyant à découvert la vanité des grandeurs humaines, il renonça au monde et embrassa l’état religieux dans la Compagnie de Jésus. Sa vie fut celle d’un saint et sa mort remplit de joie ceux qui en furent témoins. Elle arriva peu de jours avant celle de S. Louis de Gonzague alors malade au collège romain. Le jeune Saint annonça au Cardinal Bellarmin que l’âme du père Corbinelli était entrée dans la gloire; et comme le Cardinal lui demanda si elle n’avait pas passé par Je purgatoire?  Elle y a passé, répondit-il, mais sans s’y arrêter.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 52, 53

Chapitre 52

Avantages – Charité envers les âmes, récompensée par Jésus-Christ

Le Seigneur est plus porté à récompenser qu’à punir; et s’il inflige le châtiment de l’oubli à ceux qui oublient les âmes si chères à son cœur, il se montrera magnifiquement reconnaissant envers ceux qui l’assistent dans la personne de ses épouses souffrantes. Il leur dira au jour des récompenses: « Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé. Vous avez exercé la miséricorde envers vos frères nécessiteux et souffrants; or, en vérité je vous le dis, le bien que vous avez fait au moindre d’entre eux, vous l’avez fait à moi-même (Matth. XXV. 40).

Sainte Catherine de Sienne et Palmérine

Souvent dès cette vie, Jésus récompense par diverses faveurs les âmes compatissantes et charitables. Sainte Catherine de Sienne avait par sa charité converti une pécheresse, appelée Palmérine, qui mourut et alla au purgatoire. La sainte ne se donna point de repos qu’elle ne l’eût délivrée: en récompense le Sauveur permit à cette âme bienheureuse de lui apparaitre, ou plutôt lui- même voulut la montrer à sa servante comme une magnifique conquête de sa charité. Voici, d’après le Bienheureux Raymond, les détails de ce fait.

Au milieu du XIVe siècle, lorsque sainte Catherine de Sienne édifiait sa ville natale par toutes sortes d’œuvres de miséricorde, une femme, nommée Palmérine, après avoir été l’objet de sa plus tendre charité, conçut pour sa bienfaitrice une secrète aversion, qui dégénéra bientôt en une haine implacable. Ne pouvant plus la voir ni l’entendre, l’Ingrate Palmérine se déchainait contre la servante de Dieu et ne cessait de la noircir par les plus atroces calomnies. Catherine fit tout ce qui était en elle pour l’adoucir: ce fut en vain; aussi, voyant que sa bonté, son humilité et ses bienfaits ne faisaient qu’enflammer la fureur de cette malheureuse, elle pria Dieu avec instance d’amollir lui-même son cœur endurci. Dieu l’exauça en frappant Palmérine d’une maladie mortelle; mais ce châtiment ne suffit pas pour la faire rentrer en elle-même: en retour des soins les plus tendres que la sainte lui prodiguait, elle l’accabla d’injures et la chassa de sa présence.

– Cependant sa fin approchait, et un prêtre fut appelé pour lui administrer les sacrements. La malade fut incapable de les recevoir à cause de la haine qu’elle nourrissait et qu’elle refusait de déposer. A cette triste nouvelle, Catherine voyant que la malheureuse avait déjà un pied dans l’enfer, répandit un torrent de larmes et fut inconsolable. Durant trois jours et trois nuits, elle ne cessa de supplier Dieu pour elle, joignant le jeûne à la prière. « Eh quoi! Seigneur, disait-elle, permettriez-vous que cette âme périsse à cause de moi? Je vous en conjure, accordez-moi à tout prix sa conversion et son salut. Punissez sur moi son péché, dont je suis l’occasion: ce n’est pas elle, c’est moi qu’il faut frapper. Seigneur, ne me refusez pas la grâce que je vous demande: je ne vous quitterai point que je ne l’aie obtenue. Au nom de votre bonté, de votre miséricorde, je vous conjure, très miséricordieux Sauveur, de ne pas permettre que l’âme de ma sœur quitte son corps, avant d’être rentrée en grâce avec Vous. »

Sa prière, ajoute l’historien de sa vie, était si puissante i qu’elle empêchait la m3ladè de mourir. L’agonie durait depu.is trois jours et trois nuits, au grand étonnement des assistants. Catherine pendant tout ce temps continuait à intercéder, et finit par remporter la victoire. Dieu ne put lui résister plus longtemps et fit un miracle de miséricorde.

Un rayon céleste pénétra dans le cœur de la moribonde, lui fit voir sa faute et la toucha de repentir. La sainte, à qui Dieu le fit connaitre, accourut aussitôt; et dès que la malade l’aperçut, elle lui donna toutes les marques possibles d’amitié et de respect, s’accusa de sa faute à haute voix, reçut pieusement les sacrements et mourut dans la grâce du Seigneur.,

Malgré: cette conversion sincère, il était bien à craindre qu’une pécheresse, à peine échappée à l’enfer, n’eût à subir un rude purgatoire. La charitable Catherine continua à faire tout ce qui était en elle pour hâter à Palmérine son entrée, dans la gloire.

Tant de charité ne pouvait rester sans récompense.

« Notre-Seigneur, écrit le Bienheureux Raymond, montra cette âme sauvée à son épouse. Elle était si brillante, qu’elle m’a dit elle-même qu’aucune expression n’était capable de rendre sa beauté. Elle n’avait pas encore cependant revêtu la gloire de la vision béatifique, mais elle avait I’ éclat que donnent la création et la grâce du baptême. Notre- Seigneur lui disait: Voici, ma fille, cette âme perdue que tu m’as fait retrouver. Et il ajoutait: Ne te semble-t-elle pas bien belle et bien précieuse? Qui ne voudrait supporter toute espèce de peine pour gagner une créature si parfaite et l’introduire dans la vie éternelle? Si moi, qui suis la beauté suprême, d’où découle toute beauté, j’ai été captivé par la beauté des âmes au point de descendre sur la terre et de répandre mon sang pour les racheter; à bien plus forte raison devez-vous travailler les uns pour les autres, afin que des créatures si admirables ne se perdent pas. Si je t’ai montré cette âme, c’est pour que tu sois de plus en plus ardente à tout ce qui regarde le salut des âmes.

Sainte Madelaine de Pazzi et sa mère

Sainte Madeleine de Pazzi, si pleine de dévotion pour tous les défunts, épuisa toutes les ressources de la charité chrétienne en faveur de sa mère, lorsque celle-ci vint à mourir. Quinze jours après sa mort, Jésus voulant consoler son épouse, lui montra l’âme de la bien-aimée défunte. Madeleine la vit dans le paradis, couverte d’une splendeur éblouissante et environnée de saints, qui paraissaient lui porter beaucoup d’intérêt. Elle l’entendit ensuite lui donner trois conseils, qui ne sortirent plus de sa mémoire. « Ayez soin, ma fille, lui dit-elle, de descendre le plus bas que vous pourrez dans la sainte humilité, d’observer religieusement l’obéissance et d’accomplir avec prudence tout ce qu’elle vous prescrira. » – Cela dit, Madeleine vit sa bienheureuse mère se soustraire à ses regards, et demeura inondée des plus douces consolations (Cépari Vie de S Mad. Pazzi ).

Chapitre 53

Avantages – Charité pour les défunts récompensée – Saint Thomas d’Aquin, sa sœur

Le Docteur Angélique. S. Thomas d’Aquin, pareillement fort dévot envers les âmes, Fut récompensé par plusieurs apparitions, que l’on a connues par l’irrécusable témoignage de cet illustre Docteur lui-même (7 mars. Sa vie par Mafféi, et Ross. Merv.59).

Il offrait particulièrement à Dieu ses prières et sacrifices pour les défunts qu’il avait connus, ou qui étaient de sa parenté. Lorsqu’il était lecteur de théologie à l’Université de Paris, il perdit une sœur, qui mourut au monastère de Sainte- Marie de Capoue, dont elle était abbesse. Dès que le Saint apprit son décès, il recommanda son âme à Dieu avec ferveur. Quelques jours après, elle lui apparut, le conjurant d’avoir pitié d’elle, de continuer et de redoubler ses suffrages, parce qu’elle souffrait cruellement dans les flammes de l’autre vie, Thomas s’empressa d’offrir à Dieu toutes les satisfactions ne son pouvoir, et réclama en outre les charitables suffrages de plusieurs de ses amis, Il obtint ainsi la délivrance de sa sœur qui vint-elle-même lui en donner l’assurance.

Le Frère Romain

Ayant été peu de temps après, envoyé à Rome par ses supérieurs, l’âme de cette sœur lui apparut, mais cette fois dans tout l’éclat du triomphe et de la joie, et elle lui dit, que ses prières pour elle étaient exaucées, qu’elle était délivrée de toute souffrance et qu’elle allait pour toute l’éternité se reposer dans le sein de Dieu. Familiarisé avec les choses surnaturelles, le Saint ne craignit pas d’interroger l’apparition, et de lui demander ce qu’étaient devenus ses deux frères, Arnould et Landolphe, morts aussi depuis quelque temps. « Arnould est au ciel, répondit l’âme, et il jouit d’un haut degré de gloire, pour avoir défendu l’Église et Le Souverain-Pontife contre les impies agressions de l’empereur Fréderic. Quant à Landolphe il est encore dans le purgatoire, où il souffre beaucoup et a grandement besoin de secours. Pour VOUS, mon cher frère ajouta-t-elle une place magnifique vous attend dans le paradis en récompense de tout ce que vous avez fait pour l’Église. Hâtez-vous de mettre la dernière main aux divers travaux que vous avez entrepris, car vous viendrez bientôt nous rejoindre. L’histoire rapporte qu’en effet le saint Docteur ne vécut plus longtemps après. Une autre fois, le même Saint, faisant oraison dans l’église de S. Dominique à Naples, vit venir à lui le Frère Romain, qui lui avait succédé à Paris dans la chaire de Théologie. Le Saint crut d’abord qu’il venait d’arriver de Paris, car il ignorait sa mort; il se leva donc, alla à sa rencontre, et le salua en s’informant de sa santé et des motifs de son voyage. – « Je ne suis plus de ce monde, lui dit le religieux en souriant; et par la miséricorde de Dieu je suis déjà en possession du souverain Bien. Je viens par ses ordres vous encourager dans vos travaux. – Suis-je en état de grâce? demanda aussitôt Thomas. – Oui, mon frère, et vos œuvres sont très agréables à Dieu. Et vous, avez-vous subi le purgatoire – Oui, pendant quinze jours, pour diverses infidélités que je n’avais pas suffisamment expiées auparavant. ».

Alors Thomas, toujours préoccupé des questions théologiques, voulut profiler de l’occasion pour éclaircir le mystère de la vision béatifique; mais il lui fut répondu par ce verset du Psaume 47: Sicut audivimus, bic vidimus in civitate Dei nostri; ce que nous avions appris par la foi, nous l’avons vu de nos yeux dans la cité de notre Dieu.

– En prononçant ces paroles, l’apparition s’évanouit, laissant l’angélique Docteur embrasé du désir des biens éternels.

L’archiprêtre Ponzoni

Plus récemment, au XVIe siècle, une faveur du même genre, peut-être plus éclatante, fut accordée à un zélateur des âmes du purgatoire, ami particulier de S. Charles Borromée. Le vénérable Gratien Ponzoni, archiprêtre d’Arona, s’intéressa toute sa vie au soulagement des âmes.

Pendant la fameuse peste qui fit tant de victimes au diocèse de Milan, Ponzoni; non content de se multiplier pour administrer les sacrements aux pestiférés, n’avait pas craint de se faire fossoyeur et d’ensevelir les cadavres: car la peur avait paralysé tous les courages, et personne n’osait se charger de cette terrible besogne. Il avait surtout assisté à la mort, avec un zèle et une charité toute apostolique, un grand nombre de ces infortunés d’Arona; et les avait convenablement inhumés dans le cimetière situé près de son église de Sainte-Marie.

Don Alphonse Sanchez

Un jour, après l’office de$ vêpres, comme il passait auprès de ce cimetière, accompagné de don Alphonse Sanchez, alors gouverneur d’Arona. Il s’arrêta tout à coup, frappé d’une vision extraordinaire. Craignant d’être le jouet d’une hallucination, il se tourna vers don Sanchez, et lui adressant la parole: Monsieur, lui demanda-t-il, voyez-vous le même spectacle qui se présente à mes regards? – Oui, reprit le gouverneur, qui s’arrêtait dans la même contemplation je vois une procession de morts, qui s’avancent de leurs tombes vers l’église; et j’avoue que, avant que vous m’en eussiez parlé, j’avais peine à en croire mes yeux. Assuré alors de la réalité de I ’apparition, ce sont probablement, ajouta l’archiprêtre, les récentes victimes de la peste qui nous font connaître ainsi qu’elles ont besoin de nos prières. Aussitôt il fit sonner les cloches et convoquer les paroissiens pour le lendemain à un service solennel en faveur des défunts (Vie du V én. Ponzoni. Cf. Ross. Merv. 75).

On voit ici deux personnages que l’élévation de leur esprit met en garde contre tout péril d’illusion, et qui, frappés tous deux en même temps de la même apparition, ne se décident à y ajouter foi qu’après avoir constaté que leurs yeux perçoivent le même phénomène, Il n’y a pas là la moindre place à hallucination, et tout homme sérieux doit admettre la réalité d’un fait surnaturel attesté par de tels témoins. – On ne saurait non plus raisonnablement révoquer en doute des apparitions appuyées sur le témoignage d’un saint Thomas d’Aquin, et citées un peu plus haut. Ajoutons qu’on doit pareillement se garder de rejeter légèrement d’autres faits du même genre, du moment qu’ils sont attestés par des personnes d’une sainteté reconnue et vraiment digues de foi. Il faut de la prudence, sans doute, mais une prudence chrétienne, également éloignée de la crédulité et de cet esprit trop entier que Jésus-Christ, comme nous l’avons fait observer ailleurs; reprend dans un de ses apôtres: Noli esse incredulus, sed fidelis, ne sois pas incrédule, mais croyant.

La Bienheureuse Marguerite et la Mère Greffier

 Monseigneur Languet, évêque de Soissons, fait la même remarque, à propos d’une circonstance qu’il cite dans sa Vie de la Bienheureuse Marguerite Alacoque. « La demoiselle Billet, dit-il, femme du médecin de la Maison; c’est-à-dire, du couvent de Paray, où résidait la Bienheureuse, était venue à mourir. L’âme de la défunte apparut à la servante de Dieu pour lui demander des prières, et elle la chargea en même temps d’avertir son mari de deux choses secrètes, qui concernaient la justice et son salut. Sœur Marguerite rendit compte à la mère Greffier, sa supérieure, de ce qu’elle avait vu. La supérieure se moqua de la vision, et de celle qui la lui rapportait: elle imposa silence, à Marguerite, et lui défendit de ne rien dire ni de rien faire de ce qui lui avait été demandé. L’humble religieuse obéit avec simplicité et, avec la même simplicité, elle rapporta à la mère Greffier une seconde sollicitation que lui fit encore la défunte peu de jours après: ce que cette supérieure méprisa encore. Mais la nuit, suivante elle fut elle-même troublée par un bruit si horrible qui se fit entendre dans sa chambre, qu’elle en pensa mourir d’effroi. Elle appela des sœurs, et ce secours vint à propos, car’ elle était presque pâmée.

Quand elle fut revenue à elle, elle se reprocha son incrédulité, et ne manqua pas d’avertir le médecin de ce qui avait été dit à la sœur Marguerite.

« Le médecin reconnut que l’avis venait de Dieu, et en profita. Pour la mère Greffier, elle apprit par son expérience, que si la défiance est ordinairement le parti le plus sage, il ne faut pas non plus la pousser trop loin, surtout quand la gloire de Dieu et l’avantage du prochain peuvent y être intéressés. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 26, 27

Chapitre 26 – Soulagement des âmes

Indulgences

Passons aux indulgences applicables aux défunts. C’est ici que la divine miséricorde se révèle avec une sorte de prodigalité. On sait que l’Indulgence est la rémission des peines temporelles dues au péché, accordée par le pouvoir des clefs en dehors du sacrement.

En vertu du pouvoir des clefs qu’elle a reçu de Jésus-Christ, la sainte Église peut délivrer les fidèles soumis à sa juridiction, de tout obstacle à leur entrée dans la gloire. Elle exerce ce pouvoir dans le sacrement de Pénitence, où elle les absout de leurs péchés; elle l’exerce aussi hors du sacrement, pour leur ôter la dette des peines temporelles qui leur reste après l’absolution: dans ce second cas c’est l’indulgence.

La rémission des peines par l’indulgence ne s’accorde qu’aux fidèles vivants; mais l’Église peut, en vertu de la communion des saints, autoriser ses enfants encore en vie, à céder la remise qui leur est faite à leurs frères défunts: c’est l’indulgence applicable aux âmes du purgatoire. Appliquer une indulgence aux défunts, c’est l’offrir à Dieu au nom de sa sainte Église, pour qu’il daigne l’attribuer aux âmes souffrantes. Les satisfactions offertes ainsi à la divine justice au nom de Jésus-Christ et de son Église, sont toujours agréées, et Dieu les applique soit à telle âme en particulier qu’on a l’intention d’aider, soit à certaines âmes qu’il veut lui-même favoriser, soit à toutes en général.

Les indulgences sont plénières ou partielles. L’indulgence plénière est la rémission, accordée à celui qui gagne cette indulgence, de toute la peine temporelle dont il est Passible devant Dieu. Supposé que pour acquitter cette dette il faille pratiquer cent ans de pénitence canonique sur la terre, ou souffrir plus longtemps encore les peines du purgatoire; par le fait que l’indulgence plénière est parfaitement gagnée, toutes ces peines sont remises; et l’âme ne présente plus aux yeux de Dieu aucune ombre qui l’empêche de voir sa face divine.

L’indulgence partielle consiste dans la rémission d’un certain nombre de jours ou d’années. Ces jours et ces années ne représentent nullement des jours ou des années de souffrances au purgatoire; il faut les entendre des jours et des années de pénitence publique, canonique, consistant surtout en jeûnes, et telle qu’on l’imposait autrefois aux pécheurs, selon l’ancienne discipline de l’Église. Ainsi une indulgence de quarante jours ou de sept années, c’est la rémission qu’on mériterait devant Dieu par quarante jours ou sept années de pénitence canonique. Quelle est la proportion qui existe entre ces jours de pénitence, et la durée des peines au purgatoire ? C’est un secret qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler.

La Bienheureuse Marie de Quito et les monceaux d’or

Les indulgences dans l’Église sont un vrai trésor spirituel, exposé publiquement devant les fidèles: il est permis à tous d’y puiser pour acquitter leurs dettes et payer celles des autres. C’est sous cette figure que Dieu daigna les montrer un jour à la Bienheureuse Marie de Quito (26 mai). Elle fut ravie en extase et vit, au milieu d’une grande place, une immense table chargée de monceaux d’argent, d’or, de rubis, de perles, de diamants; en même temps elle entendit une voix qui disait: « Ces richesses sont publiques: chacun peut s’approcher et en recueillir « autant qu’il lui convient. » Dieu lui fit connaître que c’était là une image des indulgences (Rossignoli, Merv. 29). Combien donc, dirons-nous avec le pieux auteur des Merveilles, combien ne sommes-nous pas coupables, dans une abondance pareille, de rester pauvres et dénués pour nous-mêmes, et de ne point songer à aider les autres ? Hélas ! les âmes du purgatoire sont dans une nécessité extrême, elles nous supplient avec larmes au milieu de leurs tourments: nous avons dans les indulgences le moyen d’acquitter leurs dettes, et nous n’en faisons rien !

L’accès de ce trésor exige-t-il des efforts pénibles, des jeûnes, des voyages, des privations insupportables à la nature ? Quand même cela serait, disait avec raison l’éloquent Père Segneri, il faudrait nous y résoudre. Eh ! ne voit-on pas les hommes par amour pour l’or, par zèle pour les arts, afin de conserver une partie de leur fortune ou de sauver une toile précieuse, s’exposer aux flammes d’un incendie ? Ne faudrait-t-il pas au moins en faire autant pour sauver des flammes expiatrices les âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ ? Mais la divine bonté ne demande rien de trop pénible: elle n’exige que des œuvres communes et faciles: un chapelet, une prière, une communion, la visite d’un sanctuaire, une aumône, les éléments du catéchisme enseignés à des enfants abandonnés. Et nous négligeons l’acquisition si aisée du plus précieux trésor, et nous n’avons point d’ardeur pour l’appliquer à nos pauvres frères qui gémissent dans les flammes !

Chapitre 27 – Soulagement des âmes – Indulgences

La Mère Françoise de Pampelune

La vénérable Mère Françoise du Saint-Sacrement, religieuse de Pampelune, dont nous avons déjà fait connaître la charité envers les âmes, avait aussi le plus grand zèle à les secourir au moyen des indulgences. Un jour Dieu lui fit voir les âmes de trois Prélats, qui avaient occupé précédemment le siège épiscopal de Pampelune, et qui gémissaient encore dans les souffrances du purgatoire. La servante de Dieu comprit qu’elle devait mettre tout en œuvre pour obtenir leur délivrance. Comme le Saint-Siège avait alors accordé à l’Espagne des Bulles, dites de la Croisade, qui permettaient de gagner une indulgence plénière à certaines conditions, elle crut que le meilleur moyen de venir en aide à ces âmes, serait de leur procurer à chacune l’avantage d’une indulgence plénière.

L’évêque Ribéra

Elle parla donc à son Evêque, Cristophe de Ribéra, lui découvrit le triste état des trois prélats, et lui demanda la faveur de trois indulgences de la croisade. Cristophe de Ribéra, apprenant que trois de ses prédécesseurs étaient encore au purgatoire, s’empressa de procurer à la servante de Dieu les Bulles indulgenciées. Elle remplit aussitôt toutes les conditions requises et appliqua une indulgence plénière à chacun des trois Évêques. La nuit suivante tous les trois apparurent à la Mère Françoise délivrés de toutes leurs peines: ils la remercièrent de sa charité, et la prièrent de remercier aussi l’Évêque Ribéra pour les indulgences qui leur avaient enfin ouvert les portes du ciel (Vie de Françoise du S. Sacrem. Merv. 26).

Sainte Madelaine de Pazzi

Voici ce que rapporte le Père Cépari dans la Vie de sainte Madeleine de Pazzi. Une religieuse professe, qui avait reçu de Madeleine les soins les plus attentifs pendant sa maladie, étant morte, et son corps exposé dans l’église selon l’usage, Madeleine se sentit inspirée d’aller encore une fois la contempler. Elle fut donc se placer à la grille du chapitre d’où elle pouvait l’apercevoir; mais à peine arrivée, elle fut ravie en extase et vit l’âme de cette mère qui prenait son vol vers le ciel. Transportée de joie à ce spectacle, on l’entendit qui disait: « Adieu, ma sœur, adieu, âme bienheureuse ! Comme une très pure colombe, vous volez au céleste séjour, et vous nous laissez dans ce lieu de « misères. Oh ! que vous êtes belle et glorieuse ! Qui pourra expliquer la gloire « dont Dieu a couronné vos vertus ? Que vous avez passé peu de temps dans les « flammes purgatives ! Votre corps n’a pas encore été rendu à la terre, et voilà « que votre âme est déjà reçue dans le sacré palais! Vous connaissez « maintenant la vérité de ces paroles que je vous disais naguère: Que toutes les « peines de la vie présente sont peu de chose en comparaison des biens immenses « que Dieu garde à ses amis. » – Dans cette même vision, le Seigneur lui fit connaître que cette âme n’avait passé que quinze heures en purgatoire, parce qu’elle avait beaucoup souffert pendant la vie, et qu’elle avait été soigneuse de gagner les indulgences, que l’Église accorde à ses enfants en vertu des mérites de Jésus-Christ.

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse, dans un de ses ouvrages, parle d’une religieuse qui faisait le plus grand cas des moindres indulgences accordées par l’Église, et s’appliquait à gagner toutes celles qu’elle pouvait. Sa conduite n’avait d’ailleurs rien que de fort ordinaire et sa vertu était très commune. Elle vint à mourir, et la Sainte la vit, à sa grande surprise, monter au ciel presque aussitôt après sa mort, en sorte qu’elle n’eut pas pour ainsi dire de purgatoire à faire. Comme Thérèse en exprimait son étonnement à Notre-Seigneur, le Sauveur lui fit connaître que c’était le fruit du soin qu’elle avait eu de gagner le plus d’indulgences possible pendant sa vie: « C’est par là, ajouta-t-il, qu’elle a acquitté presque entièrement « ses dettes, quoique nombreuses, avant de mourir, et qu’elle a apporté une si « grande pureté au tribunal de Dieu. »

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 1, 2

Chapitre 1er

Crainte et confiance

Nous venons de considérer les rigueurs de la divine justice dans l’autre vie: elles sont terrifiantes, et il n’est pas possible d’y penser sans effroi. Ce feu allumé par la divine justice, ces peines douloureuses, auprès desquelles les pénitences des Saints et les souffrances des Martyrs sont peu de chose, quelle âme croyante pourrait les envisager sans crainte ?

Cette crainte est salutaire et conforme à l’esprit de Jésus-Christ. Le divin Maître veut que nous craignions, que nous craignions non seulement l’enfer, mais encore le purgatoire, sorte d’enfer mitigé. C’est pour nous inspirer cette sainte frayeur qu’il nous montre la prison du Juge suprême, d’où l’on ne sortira point avant que la dernière obole ne soit payée (1); et l’on peut étendre au feu du purgatoire ce qu’il dit du feu de la géhenne: Ne craignez point ceux qui font mourir le corps et qui ne peuvent rien sur l’âme; mais craignez celui qui peut jeter le corps et l’âme en enfer (2).

Miséricorde de Dieu

Toutefois l’intention du Sauveur n’est pas que nous ayons une crainte excessive et stérile, cette crainte qui tourmente les âmes et les abat, cette crainte sombre et sans confiance; non, il veut que notre crainte soit tempérée par une grande confiance en sa miséricorde; il veut que nous craignions le mal pour le prévenir et l’éviter; il veut que la pensée des flammes vengeresses stimule notre ferveur dans son service, et nous porte à expier nos fautes en ce monde plutôt qu’en l’autre. Il vaut mieux extirper maintenant nos vices, et expier nos péchés, dit l’Auteur de l’Imitation, que de remettre à les expier en l’autre monde (3). – Au reste si, malgré notre zèle à bien vivre et à satisfaire en ce monde, nous avons encore des craintes fondées d’avoir un purgatoire à subir, nous devons envisager cette éventualité avec une grande confiance en Dieu qui ne laisse pas sans consolation les âmes qu’il purifie par les souffrances.

Or pour donner à notre crainte ce caractère pratique et ce contrepoids de confiance, après avoir contemplé le purgatoire dans ses peines et ses rigueurs, il nous le faut considérer sous une autre face et à un autre point de vue, celui de la miséricorde de Dieu, qui n’y éclate pas moins que sa justice.

Si Dieu réserve aux moindres fautes des châtiments terribles dans l’autre vie, il ne les inflige point sans un tempérament de clémence; et rien ne montre mieux que le purgatoire l’admirable harmonie des perfections divines, puisque la plus sévère justice s’y exerce en même temps que la plus ineffable miséricorde. Si le Seigneur châtie les âmes qui lui sont chères, c’est dans son amour, selon cette parole: Je corrige et je châtie ceux que j’aime (4). D’une main il les frappe, de l’autre il les guérit, il leur offre miséricorde et rédemption en abondance: Quoniam apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio (5).

(1) Matth. V, 26. – (2) Matth. X, 28. – (3) Imit. I, 24. – (4) Apol. III, 19. – (5) Ps. 129.

Cette miséricorde infinie de notre Père céleste doit être le fondement inébranlable de notre confiance et, à l’exemple des Saints, nous devons l’avoir toujours devant les yeux. Les Saints ne la perdaient point de vue; c’est pourquoi la crainte du purgatoire ne leur ôtait ni la paix ni la joie du Saint-Esprit.

Sainte Lidvine et le prêtre

Sainte Lidvine, qui connaissait si bien la rigueur effrayante des peines expiatrices, était animée de cet esprit de confiance et tâchait de l’inspirer aux autres. Un jour elle reçut la visite d’un prêtre pieux. Comme il se trouvait assis auprès du lit de la sainte malade avec d’autres personnes vertueuses, la conversation s’engagea sur les peines de l’autre vie. Le prêtre voyant dans les mains d’une femme un vase rempli de graine de sénevé, en prit occasion pour dire qu’il tremblait en pensant au feu du purgatoire; « néanmoins, ajouta-t-il, je voudrais y être pour autant d’années qu’il y a de petits grains dans ce vase; alors du moins j’aurais la certitude de mon salut. – Que dites-vous là, mon Père, reprit la Sainte ? Pourquoi si peu de confiance dans la miséricorde de Dieu ? Ah ! si vous saviez mieux ce que c’est que le purgatoire, quels tourments affreux on y endure ! – Que le purgatoire soit ce qu’il voudra, répondit-il, je persiste dans ce que j’ai dit. »

Ce prêtre mourut quelque temps après; et les mêmes personnes qui avaient été présentes à son entretien avec Lidvine, interrogeant la sainte malade sur l’état de son âme en l’autre monde, elle répondit: « Le défunt est bien, à cause de sa vie vertueuse; mais il serait mieux, s’il se fût confié davantage en la passion de Jésus-Christ, et s’il eût embrassé un sentiment plus doux au sujet du purgatoire. »

En quoi consistait le manque de confiance que la Sainte désapprouvait en ce bon prêtre ? Dans le sentiment où il était, qu’il est presque impossible de se sauver, et qu’on ne saurait guère entrer au ciel qu’après d’innombrables années de tourments. Cette idée est fausse et contraire à la confiance chrétienne. Le Sauveur est venu apporter la paix aux hommes de bonne volonté, et nous imposer comme condition de salut un joug suave et un fardeau qui n’est point pesant. – Ainsi, que votre volonté soit bonne et vous trouverez la paix, vous verrez s’évanouir les difficultés et les terreurs. La bonne volonté: tout est là. Soyez de bonne volonté, soumettez-vous à la volonté de Dieu, mettez sa sainte loi au-dessus de tout; servez le Seigneur de tout votre cœur, et il vous aidera si bien que vous arriverez en paradis avec une étonnante facilité: je n’aurais jamais cru, direz-vous, qu’il fût si facile d’entrer au ciel ! – Toutefois, je le répète, pour opérer en nous cette merveille de miséricorde, Dieu demande de notre part le cœur droit, la bonne volonté.

La bonne volonté consiste proprement à soumettre et à conformer notre volonté à celle de Dieu, qui est la règle de tout bon vouloir; et ce bon vouloir atteint sa plus haute perfection, quand on embrasse la volonté divine comme le bien suprême alors même qu’elle impose les plus grands sacrifices, les plus rigoureuses souffrances. Chose admirable ! l’âme ainsi disposée semble perdre le sentiment des douleurs. C’est que cette âme est animée de l’esprit d’amour, et, comme dit S. Augustin, quand on aime, on ne souffre pas, ou si l’on souffre on aime la souffrance: Aut si laboratur, labor ipse amatur.

Le vénérable Père Claude de la Colombière.

Il avait ce cœur aimant, cette bonne et parfaite volonté, le Vénérable Père Claude de la Colombière, de la Compagnie de Jésus, qui, dans sa Retraite spirituelle, exprimait ainsi ses sentiments: « Il ne faut pas laisser d’expier par la pénitence les dérèglements de sa vie; mais il le faut faire sans inquiétude, parce que le pis qui puisse arriver, quand on a bonne volonté, et qu’on est soumis à l’obéissance, c’est d’être longtemps en purgatoire, et l’on peut dire en un bon sens que ce n’est pas là un fort grand mal.

« Je ne crains point le purgatoire. Quant à l’enfer je n’en veux pas parler; car je ferais tort à la miséricorde de Dieu de craindre l’enfer le moins du monde, quand je l’aurais plus mérité que tous les démons. Mais le purgatoire, je ne le crains point: je voudrais bien ne l’avoir pas mérité, parce que cela ne s’est pu faire sans déplaire à Dieu; mais puisque c’est une chose faite, je suis ravi d’aller satisfaire à sa justice de la manière la plus rigoureuse qu’il soit possible d’imaginer, et même jusqu’au jour du jugement. Je sais que les tourments y sont horribles; mais je sais qu’ils honorent Dieu, et ne peuvent altérer les âmes, qu’on y est assuré de ne s’opposer jamais à la volonté de Dieu, qu’on ne lui saura point mauvais gré de sa rigueur, qu’on aimera jusqu’à sa sévérité, qu’on attendra avec patience qu’elle se soit entièrement satisfaite. Ainsi j’ai donné de tout mon cœur toutes mes satisfactions aux âmes du purgatoire, et cédé même à d’autres tous les suffrages qu’on fera pour moi après ma mort, afin que Dieu soit glorifié dans le paradis par des âmes qui auront mérité d’y être élevées à une plus grande gloire que moi. »

Voilà jusqu’où va la charité, l’amour de Dieu et du prochain, quand il a pris possession d’un cœur: il transforme, il transfigure la souffrance au point qu’elle perd son amertume et se change en douceur. Lorsque vous en serez venu, dit le livre de l’Imitation, à trouver douce la tribulation et à la goûter par amour pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, car vous avez trouvé le para dit sur la terre (Imit. II, 12). Ayons donc beaucoup d’amour de Dieu, beaucoup de charité, et nous craindrons peu le purgatoire: le Saint-Esprit nous rendra témoignage au fond du cœur, qu’étant enfants de Dieu, nous n’avons pas à redouter les châtiments d’un Père.

Chapitre 2

Confiance – Miséricorde de Dieu envers les âmes – Il les console.

Il est vrai que tous ne sont pas à ce haut degré de charité; mais il n’est personne qui ne puisse avoir confiance dans la divine miséricorde. Cette miséricorde est infinie, et elle donne la paix à toutes les âmes qui l’ont bien devant les yeux et se confient en elle. – Or la miséricorde de Dieu s’exerce au sujet du purgatoire de trois manières:

  1. en consolant les âmes;
  2. en mitigeant leurs peines;
  3. en nous donnant à nous-mêmes avant la mort mille moyens d’éviter le purgatoire.

Sainte Catherine de Gênes

D’abord Dieu console les âmes du purgatoire: il les console par lui-même, par la Sainte Vierge et par les saints anges. Il console les âmes en les remplissant au plus haut degré de foi, d’espérance et d’amour divin, vertus qui produisent en elles la conformité à la volonté divine, la résignation, la patience la plus parfaite. « Le Seigneur, écrit sainte Catherine de Gênes, imprime à l’âme du purgatoire un tel mouvement d’amour attractif, qu’il serait suffisant pour l’annihiler si elle n’était immortelle. Illuminée et enflammée par cette pure charité, autant elle aime Dieu, autant elle déteste la moindre souillure qui lui déplaît, le moindre obstacle qui l’empêche de s’unir à lui. Ainsi, si elle pouvait découvrir un autre purgatoire, plus terrible que celui dans lequel elle se trouve, cette âme s’y précipiterait, vivement poussée par l’impétuosité de l’amour qui existe entre Dieu et elle, afin de se délivrer plus vite de tout ce qui la sépare du souverain bien (Traité du purgatoire chap. 9.). »

« Ces âmes, dit encore la même Sainte, sont intimement unies à la volonté de Dieu, et si complètement transformées en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très sainte ordonnance. » – « Les âmes du purgatoire n’ont plus d’élection propre; elles ne peuvent plus vouloir que ce que Dieu veut. Elles reçoivent ainsi avec la soumission la plus parfaite tout ce que Dieu leur donne; et ni plaisir, ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se replier sur elles-mêmes (Ibid. chap. 13 et 14.). ».

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, après la mort d’un de ses frères, étant allée au chœur prier pour lui, vit son âme en proie à des souffrances excessives. Touchée de compassion, elle fondit en pleurs et s’écria d’une voix lamentable: « Frère, misérable et bienheureux tous ensemble ! ô âme affligée et pourtant contente ! ces peines sont intolérables, et cependant elles sont supportées. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leurs croix ici-bas ! Pendant que vous étiez dans ce monde, ô mon frère, vous ne vouliez pas m’écouter, et maintenant vous désirez ardemment que je vous écoute. O Dieu également juste et miséricordieux ! soulagez ce frère qui vous servit dès son enfance. Regardez votre bonté, je vous en conjure, et usez de votre grande miséricorde à son égard. O Dieu très juste ! s’il n’a pas toujours été attentif à vous plaire, du moins il n’a jamais méprisé ceux qui faisaient profession de vous servir fidèlement. »

Le jour où elle eut cette célèbre extase pendant laquelle elle parcourut les diverses prisons du purgatoire, ayant de nouveau aperçu l’âme de son frère: « Pauvre âme, lui dit-elle, que vous êtes souffrante ! et cependant vous vous réjouissez. Vous brûlez, et vous êtes contente; c’est que vous savez bien que ces peines doivent vous conduire à une grande et inénarrable félicité. Que je me trouverais heureuse, si je ne devais jamais souffrir davantage ! Demeurez ici, mon frère, et achevez en paix votre purification. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 40, 41

Chapitre 40 – Matière des expiations

Manque de charité et de respect envers le prochain

La vraie charité est humble et s’incline devant ses frères, les respectant tous comme s’ils lui étaient supérieurs. Ses paroles toujours amicales et pleines d’égards pour tout le monde, n’ont rien d’amer ni de froid, rien qui sente le mépris, parce qu’elles coulent d’un cœur doux et humble, comme celui de Jésus. Elle évite aussi avec soin tout ce qui pourrait troubler l’union; et si quelque différend se produit, elle fait toutes les démarches, tous les sacrifices, pour amener la réconciliation, selon cette parole du divin Maître: Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, et alors vous viendrez présenter votre offrande (Matth. V, 23).

Saint Louis Bertrand et le défunt demandant pardon

Un religieux ayant blessé la charité à l’égard de saint Louis Bertrand, en reçut après sa mort un châtiment terrible. Il fut plongé dans le feu du purgatoire, qu’il dut subir jusqu’à ce que la justice divine fût satisfaite; de plus, il ne put être admis au séjour des élus avant d’avoir accompli un acte extérieur de réparation, qui servit d’exemple aux vivants. Voici comment le fait est rapporté dans la Vie du saint (Acta Sanctor. 10 octob).

Quand saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique, résidait au couvent de Valence, il y avait dans la communauté un jeune religieux, qui attachait trop d’importance à la science humaine. Sans doute, les lettres et l’érudition ont leur prix, mais, comme le Saint-Esprit le déclare, elles le cèdent à la crainte de Dieu et à la science des saints: Non super timentem Dominum (Eccli. XXV, 13). Cette science des saints que l’éternelle sagesse est venue nous enseigner, consiste dans l’humilité et la charité. Or le jeune religieux, dont nous parlons, encore peu avancé dans cette divine science, se permit de reprocher au Père Louis son peu de savoir, et de lui dire: On le voit, mon Père, vous n’êtes pas bien savant ! – Mon frère, répondit le Saint avec une douce fermeté, Lucifer a été fort savant et il n’en est pas moins réprouvé.

Le Frère qui avait commis cette faute ne songea pas à la réparer. Cependant il n’était pas un mauvais religieux; et à quelque temps de là, étant tombé malade, il reçut fort bien tous les sacrements et mourut dans la paix du Seigneur. Un temps assez considérable s’écoula, pendant lequel saint Louis fut nommé Prieur. Alors, étant resté dans le chœur après matines, le défunt lui apparut environné de flammes, et s’inclinant humblement devant lui, il lui dit: « Mon père, pardonnez-moi les paroles blessantes que je vous ai adressées autrefois. Dieu ne permet pas que je voie sa face avant que vous ne m’ayez pardonné cette faute et célébré ensuite pour moi le saint sacrifice de la Messe. » – Le Saint lui pardonna volontiers et offrit le lendemain la Messe pour lui. La nuit suivante, se trouvant encore dans le chœur, il vit de nouveau le défunt lui apparaître, mais glorieux et allant au ciel.

Le Père Nieremberg

Le Père Eusèbe Nieremberg, religieux de la Compagnie de Jésus, auteur du beau livre Différence entre le temps et l’éternité, résidait au collège de Madrid, où il mourut en odeur de sainteté en 1658. Ce serviteur de Dieu, singulièrement dévot aux âmes du purgatoire, priait un jour avec ferveur dans l’église du collège pour un Père récemment décédé. Le défunt qui avait longtemps professé la théologie, ne s’était pas montré moins bon religieux que savant théologien: il avait eu surtout une grande dévotion à la Sainte Vierge; mais un vice s’était mêlé à ses vertus: il manquait de charité dans ses paroles et parlait fréquemment des défauts du prochain.

Or, comme le P. Nieremberg recommandait son âme à Dieu, ce religieux lui apparut et lui révéla son état. Il était livré à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité. Sa langue, en particulier, instrument de ses fautes, était tourmentée par un feu cuisant. La Sainte Vierge, en récompense de la tendre dévotion qu’il avait eue pour elle, lui avait obtenu de venir solliciter des prières; il devait en même temps servir d’exemple à ses frères, pour leur apprendre à veiller avec soin sur toutes leurs paroles. – Le Père Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences pour lui, obtint enfin sa délivrance (Vie du P. Nieremberg).

La Bienheureuse Marguerite-Marie et le religieux Bénédictin.

Le religieux dont il est parlé dans la Vie de la bienheureuse Marguerite, et pour qui cette servante de Dieu souffrit si cruellement pendant trois mois, était aussi puni, entre autres fautes, pour ses péchés contre la charité. Voici comment eut lieu cette révélation.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, lisons-nous dans sa Vie, étant une fois devant le Saint-Sacrement, tout à coup se présenta à elle un homme totalement en feu, et dont les ardeurs la pénétrèrent si fort qu’elle se sentait comme brûler avec lui. L’état pitoyable où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes. C’était un religieux bénédictin de la congrégation de Cluni, à qui elle s’était confessée autrefois et qui avait fait du bien à son âme en lui ordonnant de communier. En récompense de ce service, Dieu lui avait permis de s’adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines.

Le pauvre défunt lui demanda que durant l’espace de trois mois, tout ce qu’elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué: elle le lui promit, après en avoir demandé la permission. – Il lui dit alors, que la première cause de ses grandes souffrances était d’avoir cherché son propre intérêt avant la gloire de Dieu et le bien des âmes, par trop d’attache à sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers ses frères. La troisième, l’affection naturelle pour les créatures, à laquelle il avait eu la faiblesse de céder, et dont il leur avait donné des témoignages dans les entretiens spirituels, ce qui, ajoutait-il déplaisait beaucoup à Dieu.

Il est difficile de dire tout ce que la Bienheureuse eut à souffrir, l’espace des trois mois qui suivirent. Le défunt ne la quittait pas: du côté où il était, elle se sentait tout en feu, avec de si vives douleurs qu’elle en pleurait toujours. Sa Supérieure, touchée de compassion, lui ordonnait des pénitences et des disciplines, parce que les peines et les souffrances qu’on lui accordait, la soulageaient beaucoup. Les tourments, disait-elle, que la sainteté de Dieu imprimait en elle, étaient insupportables. C’était un échantillon de ce qu’endurent les âmes.

Chapitre 41 – Matière des expiations

Abus de la grâce

Il est un autre dérèglement de l’âme que Dieu punit sévèrement en purgatoire, savoir l’abus de la grâce. On entend par là le manque de correspondance aux secours que Dieu nous accorde et aux invitations qu’il nous fait pour la pratique du bien, pour la sanctification de nos âmes. Cette grâce qu’il nous présente est un don précieux, qu’on ne peut laisser tomber par terre, c’est une semence de salut et de mérite qu’il n’est pas permis de rendre stérile. Or on commet cette faute, quand on ne répond pas avec générosité à l’invitation divine. J’ai reçu de Dieu les moyens de faire l’aumône: une voix intérieure m’invite à la faire; je ferme mon cœur, ou je ne donne que d’une main avare: c’est un abus de grâce. – Je puis entendre la messe, assister au sermon, fréquenter les sacrements: une voix intérieure m’y invite; mais je ne veux pas m’en donner la peine: c’est un abus de grâce. – Une personne religieuse doit être obéissante, humble, mortifiée, dévouée à ses devoirs: Dieu le demande et lui en donne la force en vertu de sa vocation; elle ne s’y applique pas, elle ne travaille pas à se vaincre pour coopérer avec le secours que Dieu lui offre: c’est un abus de grâce.

Sainte Madeleine de Pazzi et la religieuse défunte

Or ce péché, disons-nous, est rigoureusement puni au purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi nous apprend, qu’une de ses sœurs en religion eut beaucoup à souffrir après la mort pour n’avoir pas correspondu à la grâce en trois occasions. Il lui était arrivé, un jour de fête, de sentir l’envie de faire un petit travail: il ne s’agissait que d’un ouvrage de femme, mais il n’était pas nécessaire et il convenait de le remettre à un autre moment. L’inspiration de la grâce lui disait de s’en abstenir, par respect pour la sainteté du jour; mais elle préféra satisfaire l’envie naturelle qu’elle avait de faire cet ouvrage, sous prétexte que c’était une chose légère. – Une autre fois, ayant remarqué qu’un point d’observance était oublié, et qu’en le faisant connaître à ses supérieurs il en résulterait un bien pour la communauté, elle omit d’en parler. L’inspiration de la grâce lui disait d’accomplir cet acte de charité, mais le respect humain l’empêcha de le faire. – Une troisième faute fut un attachement déréglé pour les siens qui étaient dans le monde. Comme épouse de Jésus-Christ, elle devait toutes ses affections à ce divin Époux; mais elle partageait son cœur en s’occupant trop des membres de sa famille. Quoiqu’elle sentît que sa conduite à cet égard était défectueuse, elle n’obéit pas à ce mouvement de la grâce et ne travailla pas sérieusement à se corriger.

Cette sœur, d’ailleurs fort édifiante, étant venue à mourir, Madeleine pria pour elle avec sa ferveur ordinaire. Seize jours se passèrent et elle apparut à la Sainte, lui annonçant sa délivrance. Comme Madeleine s’étonnait de ce qu’elle avait été si longtemps dans les tourments, elle lui fit connaître qu’elle avait dû expier son abus de la grâce dans les trois cas dont nous avons parlé; et elle ajouta que ces fautes l’auraient retenue plus longtemps dans les supplices, si Dieu n’avait eu égard à un côté plus satisfaisant de sa conduite: il avait abrégé ses peines à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention, et de sa charité envers ses sœurs (Cépari, Vie de sainte Madeleine de Pazzi).

Ceux qui ont eu plus de grâces en ce monde et plus de moyens d’acquitter leurs dettes spirituelles, seront traités au purgatoire avec moins d’indulgence, que d’autres qui ont eu moins de facilité à satisfaire pendant la vie.

La Bienheureuse Marguerite et les trois âmes en purgatoire.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, ayant appris la mort de trois personnes récemment décédées, deux religieuses et une séculière, se mit aussitôt à prier pour le repos de leurs âmes. C’était le premier jour de l’an. Notre-Seigneur touché de sa charité et usant d’une familiarité ineffable, daigna lui apparaître; et les lui montrant toutes les trois dans ces prisons de feu où elles gémissaient, lui dit: « Ma fille, pour vos étrennes, je vous accorde la délivrance d’une de ces trois âmes, et je vous laisse le choix. Laquelle voulez-vous que je délivre ? – Qui suis-je, Seigneur, répondit-elle, pour désigner celle qui mérite la préférence ? Daignez faire vous-même le choix. » – Alors Notre-Seigneur délivra la séculière, disant, qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, parce qu’elles avaient eu plus de moyens d’expier leurs péchés pendant la vie.v

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 34, 35, 36

Chapitre 34 – Matière des expiations

Négligence dans la sainte Communion – Louis de Blois

A la tiédeur se rattache la négligence à se préparer au banquet Eucharistique. Si l’Église ne cesse d’appeler ses enfants à la Table sainte, si elle désire qu’ils communient fréquemment, elle entend toujours qu’ils le fassent avec la piété et la ferveur que demande un si grand mystère. Toute négligence volontaire dans une action si sainte, est une offense à la sainteté de Jésus-Christ, offense qui devra être réparée par une juste expiation. Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel, parle d’un grand serviteur de Dieu, qui apprit par voie surnaturelle combien sévèrement ces sortes de fautes sont punies dans l’autre vie. Il reçut la visite d’une âme du purgatoire, implorant son secours au nom de l’amitié qui les avait unis autrefois: elle endurait, disait-elle, de cruels tourments pour la négligence avec laquelle elle s’était préparée à recevoir la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage. Elle ne pouvait être délivrée que par une communion fervente, qui compensât sa tiédeur passée. – Son ami s’empressa de la satisfaire, fit une communion avec toute la pureté de conscience, avec toute la foi, avec toute la dévotion possible; et alors il vit la sainte âme lui apparaître brillante d’un incomparable éclat, et montant au ciel (Merv. 44).

Sainte Madeleine de Pazzi et la défunte en adoration

L’an 1589, au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à Florence, mourut une religieuse très-estimée de ses sœurs; mais qui apparut bientôt à sainte Madeleine de Pazzi, pour implorer son secours dans le rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée. La sainte était en prière devant l’autel du Saint-Sacrement, lorsqu’elle aperçut la défunte agenouillée au milieu de l’église, dans l’acte d’une adoration profonde, et dans un état étrange. Elle avait autour d’elle un manteau de flammes qui semblaient la consumer; mais une robe blanche dont son corps était couvert, la protégeait en partie de l’action du feu. Madeleine étonnée, désira savoir ce que signifiait cette apparition, et il lui fut répondu que cette âme souffrait ainsi, pour avoir eu trop peu de dévotion envers l’auguste Sacrement: malgré les prescriptions et les saintes coutumes de son Ordre, elle n’avait communié que rarement et avec négligence; c’est pourquoi la divine justice l’avait condamnée à venir chaque jour adorer la sainte Eucharistie et subir le tourment du feu aux pieds de Jésus-Christ. Toutefois, en récompense de sa pureté virginale, représentée par la robe blanche, le divin Époux avait grandement mitigé ses souffrances.

Telle fut la connaissance que le Seigneur donna à sa servante. Elle en fut profondément touchée et s’efforça d’aider la pauvre âme par tous les suffrages en son pouvoir. Elle raconta souvent cette apparition, et s’en servit pour exhorter ses filles spirituelles au zèle pour la sainte communion (Cepari, Vie de sainte Mad. de Pazzi. Cf. Rossign. Merv. 84.).

Chapitre 35 – Matière des expiations

Manque de respect dans la prière. – La Mère Agnès de Jésus et la sœur Angélique

Nous devons traiter saintement les choses saintes: toute irrévérence dans les exercices religieux déplaît souverainement au Seigneur. Quand la vénérable Agnès de Langeac, dont nous avons parlé plus haut, était Prieure de son couvent, elle recommandait beaucoup à ses religieuses le respect et la ferveur dans tous leurs rapports avec Dieu, leur rappelant cette parole de l’Écriture: Maudit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – Une sœur de la communauté, appelée Angélique, vint à mourir et la pieuse Supérieure priait près de son tombeau, lorsqu’elle vit soudain devant elle la sœur défunte, en habit de religieuse; elle sentit en même temps comme une flamme ardente qu’on lui portait au visage. La sœur Angélique la remercia de ce qu’elle l’avait stimulée à la ferveur, et en particulier de ce que souvent pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole des saints Livres: Maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – « Continuez, ma Mère, ajouta-t-elle, à porter les sœurs à la ferveur: qu’elles le servent avec une diligence suprême et qu’elles l’aiment de tout leur cœur, de toute la puissance de leur âme. Si on pouvait comprendre combien rigoureux sont les tourments du purgatoire, on ne pourrait se laisser aller à la moindre négligence. »

L’avertissement qui précède regarde surtout les prêtres, dont les rapports avec Dieu sont continuels et plus sublimes: qu’ils s’en souviennent toujours et ne l’oublient jamais, soit qu’ils offrent à Dieu l’encens de la prière, soit qu’ils dispensent les trésors divins des sacrements, soit qu’ils célèbrent à l’autel les mystères du corps et du sang de Jésus-Christ. Voici ce que rapporte saint Pierre Damien, dans sa Lettre XIV à Desiderius (Cf. Merv. 37.).

Saint Séverin de Cologne

Saint Séverin, archevêque de Cologne (23 octobre), édifiait son église par l’exemple de toutes les vertus: sa vie tout apostolique, ses grands travaux pour l’accroissement du règne de Dieu dans les âmes, devaient lui mériter les honneurs de la canonisation. Néanmoins, après sa mort, il apparut à un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières. Comme ce digne prêtre ne pouvait comprendre qu’un saint prélat, tel qu’il avait connu Séverin, eût besoin de prières dans l’autre vie: « Il est vrai, répondit le défunt, Dieu m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps à sa vigne; mais je l’ai offensé souvent par la manière trop pressée dont j’ai récité le Saint-Office. Les affaires et les préoccupations de chaque jour m’absorbaient tellement, que lorsque venait l’heure de la prière, je m’acquittais de ce grand devoir sans assez de recueillement, et quelquefois à d’autres heures que celles fixées par l’Église. En ce moment j’expie ces infidélités, et Dieu me permet de venir réclamer vos prières. » – L’histoire ajoute que Séverin fut six mois au purgatoire pour cette seule faute.

La vénérable Françoise de Pampelune et les prêtres

La vénérable sœur Françoise de Pampelune, mentionnée plus haut, vit un jour au purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts étaient rongés d’ulcères hideux. Il était ainsi puni pour avoir fait à l’autel les signes de croix avec trop de légèreté, et sans la gravité nécessaire. – Elle disait que, pour l’ordinaire, les prêtres restent au purgatoire plus longtemps que les laïcs, et que l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Dieu lui fit connaître le sort de plusieurs prêtres défunts: l’un d’eux resta quarante ans dans les souffrances pour avoir laissé mourir, par sa négligence, une personne sans sacrements; un autre y resta quarante-cinq ans pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère; un Évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour avoir un peu ambitionné sa dignité; un autre, qui n’était pas si charitable, y demeura quarante ans pour la même cause (Vie de la vénérée Mère Françoise Cf. Merv. 26).

Dieu veut que nous le servions de tout notre cœur et que nous évitions, autant que le comporte la fragilité humaine, jusqu’aux moindres imperfections; mais le soin de lui plaire et la crainte de lui déplaire doivent être accompagnés d’une humble confiance en sa miséricorde. Jésus-Christ nous a recommandé d’écouter ceux qu’il a établis en sa place pour diriger nos âmes, comme nous l’écouterions lui-même, et d’acquiescer à la parole du supérieur ou du confesseur avec une entière confiance. Un excès de crainte devient alors une offense à sa miséricorde.

Le Père Streit S. J.

Le 12 novembre 1643 mourut au noviciat de Brünn en Bohême, le père Philippe Streit, de la Compagnie de Jésus, religieux d’une grande sainteté. Il faisait tous les jours l’examen de sa conscience avec le plus grand soin, et acquit par ce moyen une grande pureté d’âme. Quelques heures après sa mort, il apparut glorieux à un père de son Ordre, le vénérable Martin Strzeda: « Une seule faute, lui dit-il, l’empêcha de monter droit au ciel et le retint huit heures en purgatoire, ce fut de n’avoir pas cru avec un assez plein abandon, les paroles de son supérieur, qui, à son lit de mort, s’efforçait de calmer ses dernières inquiétudes de conscience, et dont il aurait dû regarder plus parfaitement l’assurance comme la voix même de Dieu. »

Chapitre 36 – Matière des expiations et châtiments

L’immortification des sens. – Le Père François d’Aix

Les chrétiens qui veulent éviter les rigueurs du purgatoire doivent aimer la mortification de leur divin Maître et se garder d’être des membres délicats sous un Chef couronné d’épines. Le 10 février de l’an 1656, dans la province de Lyon de la Compagnie de Jésus, le père François d’Aix passa à une vie meilleure. Il porta à un haut degré de perfection la pratique de toutes les vertus religieuses. Pénétré d’une profonde vénération envers la Très-Sainte Trinité, il avait pour intention particulière dans toutes ses oraisons et ses mortifications d’honorer cet auguste mystère. Son attrait particulier le portait à embrasser de préférence les œuvres pour lesquelles les autres montraient moins d’inclination. Il visitait souvent le Saint-Sacrement, même pendant la nuit, et ne retournait jamais de la porte à sa chambre sans aller faire une prière au pied de l’autel. Ses pénitences, en quelque sorte excessives, lui firent donner le nom d’homme de douleurs. Il répondit à quelqu’un qui l’engageait à les modérer: Le jour que j’aurais passé sans répandre quelques gouttes de mon sang pour l’offrir au Seigneur, serait pour moi plus pénible que la plus rude mortification. Puisque je ne puis espérer de souffrir le martyre pour l’amour de Jésus-Christ, je veux au moins avoir quelque part à ses douleurs.

Un autre religieux, Frère coadjuteur du même Ordre, n’imitait pas l’exemple du père d’Aix. Il n’aimait guère la mortification, cherchait au contraire ses aises, ses commodités et tout ce qui flattait les sens. Ce Frère étant venu à mourir, apparut au père d’Aix, quelques jours après sa mort, le corps couvert d’un affreux cilice et souffrant de grands tourments, en punition des fautes de sensualité qu’il avait commises dans le cours de sa vie. Il réclama le secours de ses prières et disparut aussitôt.

Immortification de la langue

Un autre défaut, dont on doit bien se garder parce qu’on y tombe facilement, c’est l’immortification de la langue. Oh ! qu’il est facile de faillir dans les paroles ! Qu’il est rare de parler longtemps sans proférer quelques mots contraires à la douceur, à l’humilité, à la sincérité, à la charité chrétienne ! Les personnes pieuses même sont souvent sujettes à ces fautes: quand elles ont échappé à toutes les autres ruses du démon, elles se laissent prendre, dit saint Jérôme, dans un dernier piège, la médisance. Écoutons ce que rapporte Vincent de Beauvais (Specul. historiale 1. 26. c. 5. Cf. Merv. 37).

Durand

Lorsque le célèbre Durand, qui, au onzième siècle, illustra l’Ordre de saint Benoît, était encore simple religieux, il se montrait un modèle de régularité et de ferveur; mais il avait un défaut. La vivacité de son esprit le portait à trop parler: il aimait à l’excès le mot pour rire, souvent aux dépens de la charité. Hugues, son abbé, lui fit des représentations à cet égard, lui prédisant même, que, s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à souffrir dans le purgatoire de ces jovialités déplacées.

Durand n’attacha pas assez d’importance à ces avis, et continua à s’abandonner sans beaucoup de retenue au dérèglement de sa langue. Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues se réalisa. Durand apparut à un religieux de ses amis, le suppliant de l’aider de ses prières, parce qu’il était cruellement puni de l’intempérance de son langage. A la suite de cette apparition, la communauté se réunit, on convint de garder, pendant huit jours, un rigoureux silence, et de pratiquer d’autres bonnes œuvres, pour soulager le défunt. Ces charitables prières produisirent leur effet: à quelque temps de là, Durand apparut de nouveau pour annoncer sa délivrance.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 13, 14, 15

Chapitre 13 – Peines du purgatoire

Antoine Pereyra

Aux deux faits qui précèdent ajoutons un troisième, tiré des annales de la Compagnie de Jésus. Nous parlons du prodige arrivé dans la personne d’Antoine Pereyra, frère conducteur de cette Compagnie, qui mourut en odeur de sainteté au collège d’Evora en Portugal, le 1er août 1645. Quarante-six ans auparavant, en 1599, cinq ans après son entrée au noviciat, ce frère fut atteint d’une maladie mortelle dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores; et peu d’instants après qu’il eut reçu les derniers sacrements, sous les yeux de toute la communauté qui assistait à son agonie, il sembla rendre l’âme, et devint bientôt froid comme un cadavre. L’apparence presque imperceptible d’un léger battement de cœur empêcha seule de l’ensevelir sur-le-champ. On le laissa donc trois jours entiers sur son lit de mort, et l’on découvrait déjà dans son corps des signes évidents de décomposition; lorsque tout à coup, le quatrième jour, il ouvrit les yeux, respira et parla.

Il lui fallut alors par obéissance raconter à son supérieur, le P. Louis Pinheyro, tout ce qui s’était passé en lui, depuis les dernières transes de son agonie; et voici l’abrégé de la relation qu’il en écrivit de sa propre main: « D’abord je vis, dit-il, de mon lit de mort, mon Père Saint-Ignace, accompagné de quelques-uns de nos Pères du ciel, qui venait visiter ses enfants malades, cherchant ceux qui lui sembleraient dignes d’être offerts par lui et par ses compagnons à Notre-Seigneur. Quand il fut près de moi, je crus un moment qu’il m’emmènerait, et mon cœur tressaillit de joie; mais bientôt il me signala ce qu’il fallait me corriger avant d’obtenir un si grand bonheur. »

Alors néanmoins, par une disposition mystérieuse de la Providence, l’âme du F. Pereyra se détacha momentanément de son corps; et aussitôt, la vue d’une hideuse troupe de démons, se précipitant vers elle, la remplit d’effroi. Mais en même temps son ange gardien, et Saint-Antoine de Padoue, son compatriote et son patron, descendant du ciel, mirent en fuite ses ennemis, et l’invitèrent à venir, en leur compagnie, entrevoir et goûter un moment, quelque chose des joies et des douleurs de l’éternité. « Ils me conduisirent donc tour à tour, ajoute-t-il, vers un lieu de délices, où ils me montrèrent une couronne de gloire incomparable, mais que je n’avais pas encore méritée; puis, sur les bords du puit de l’abîme, où je vis les âmes maudites tomber dans le feu éternel aussi pressées que les grains de blé, jetés sous une meule tournant sans relâche; le gouffre infernal était comme un de ces fours à chaux, où par moments, la flamme est comme étouffée sous l’amas des matériaux qu’on y précipite, mais pour se relever, en s’en nourrissant, avec une effroyable violence. »

Mené de là au tribunal du souverain Juge, Antoine Pereyra s’entendit condamner au feu du purgatoire; et rien ne saurait ici-bas, assure-t-il, faire comprendre ce qu’on y endure, ni l’état d’angoisse où l’on y est réduit par le désir et le délai de la jouissance de Dieu et de sa bienheureuse présence.

Aussi, lorsque son âme eut été de nouveau réunie à son corps par le commandement de Notre-Seigneur ni les nouvelles tortures de la maladie, qui acheva pendant six mois entiers de faire tomber par lambeaux, avec le secours journalier du fer et du feu, sa chair irrémédiablement attaquée par la corruption de cette première mort; ni les effrayantes pénitences, auxquelles il ne cessa plus de se livrer, autant que l’obéissance le lui permettrait, durant les quarante-six ans de sa nouvelle vie, ne purent apaiser sa soif de douleurs et d’expiations. « Tout cela, disait-il, n’est rien, auprès de ce que la justice et la miséricorde infinies de Dieu m’ont fait, non seulement voir, mais endurer. »

– Enfin comme sceau authentique de tant de merveilles, le F. Pereyra découvrit en détail à son supérieur les secrets desseins de la Providence sur la future restauration du royaume du Portugal, encore éloignée alors de plus d’un demi-siècle. Mais on peut sans crainte ajouter, que la plus irrécusable garantie de tous ces prodiges fut la surprenante sainteté à laquelle Antoine Pereyra ne cessa plus un seul jour de s’élever.

La vénérable Angèle Tholoméi

Citons encore un fait analogue, et qui confirme en tout point ceux qu’on vient de lire. Nous le trouvons dans la vie de la vénérable servante de Dieu, Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine. Elle fut ressuscitée de la mort par son propre frère; et rendit à la rigueur des jugements de Dieu un témoignage entièrement conforme à ceux qui précèdent.

Le Bienheureux Jean-Baptiste Tholoméi, que ses rares vertus et le don des miracles ont fait élever sur les autels, avait une sœur, Angèle Tholoméi, dont l’héroïcité des vertus a été aussi reconnue par l’Église. Elle tomba gravement malade et son saint frère demanda sa guérison par d’instantes prières. Le Seigneur lui répondit, comme autrefois aux sœurs de Lazare, qu’il ne guérirait pas Angèle; mais qu’il ferait plus, qu’il la ressusciterait pour la glorification de Dieu et le bien des âmes.

Elle mourut, en effet, en se recommandant aux prières de son saint frère. Comme on portait son corps au tombeau, le Bienheureux Jean-Baptiste, obéissant sans doute à un mouvement du Saint-Esprit, s’approcha du cercueil, et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sœur d’en sortir. Aussitôt elle se réveilla comme d’un profond sommeil et revint à la vie.

Cette âme si sainte paraissait toute frappée de stupeur et racontait de la sévérité des jugements de Dieu des choses qui font frémir. Elle commença en même temps à mener une vie qui prouvait bien la vérité de ses paroles. Sa pénitence était effrayante: non contente des exercices ordinaires usités par les saints, tels que les jeûnes, les veilles, les cilices, les disciplines sanglantes; elle allait jusqu’à se jeter dans les flammes, et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée. Son corps martyrisé était devenu un objet de pitié et d’horreur. On la blâmait hautement, on l’accusait de dénaturer par des excès la vraie pénitence chrétienne; elle n’en continuait pas moins, et se contentait de répondre: « Si vous connaissiez la rigueur des jugements de Dieu, vous ne parleriez point ainsi. Qu’est-ce que mes faibles pénitences, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie aux infidélités qu’on se permet si aisément en ce monde ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. »

Il ne s’agit pas ici, comme on voit, des peines qu’ont à subir au purgatoire les grands pécheurs, quand ils se convertissent avant la mort; mais des châtiments que Dieu inflige à une religieuse fervente pour les fautes les plus légères.

Chapitre 14 – Peines du purgatoire

Apparition de Foligno

La même rigueur se révèle dans une apparition plus récente, où une religieuse, morte après une vie exemplaire, manifesta ses souffrances de manière à jeter l’effroi dans toutes les âmes. L’événement arriva le 16 novembre 1859 à Foligno, près d’Assise, en Italie. Il produisit un grand retentissement dans la contrée; et, outre la preuve sensible qu’il laissa après lui, une enquête faite en due forme par l’autorité compétence en établit la vérité incontestable.

Il y avait au couvent des tertiaires franciscaines de Foligno une sœur, appelée Thérèse Gesta, qui était depuis de longues années maîtresse des novices, et à la fois chargée du pauvre vestiaire de la communauté. Elle était née à Bastia, en Corse, l’an 1707, et était entrée au monastère en février 1826.

La sœur Thérèse était un modèle de ferveur et de charité; il ne faudrait pas s’étonner, disait le directeur, si Dieu la glorifiait par quelque prodige après sa mort. Elle mourut subitement le 4 novembre 1859 d’un coup d’apoplexie foudroyante.

Douze jours après, le 16 novembre, une sœur, nommée Anna-Félicie, qui la remplaçait dans son office, montait au vestiaire et allait y entrer, lorsqu’elle entendit des gémissements qui semblaient venir de l’intérieur de cette chambre. Un peu effrayée, elle s’empressa d’ouvrir la porte: il n’y avait personne. Mais de nouveaux gémissements se firent entendre, si bien accentués, que, malgré son courage ordinaire, elle se sentit envahie par la peur. Jésus ! Marie ! s’écria-t-elle, qu’est-ce que cela ? – Elle n’avait pas fini, qu’elle entendit une voix plaintive, accompagnée de ce douloureux soupir: Oh ! mon Dieu, que je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! – La sœur stupéfaite reconnut aussitôt la voix de la pauvre sœur Thérèse. Alors, toute la salle se remplit d’une épaisse fumée, et l’ombre de sœur Thérèse apparut, se dirigeant vers la porte, en se glissant le long de la muraille. Arrivée près de la porte, elle s’écria avec force: Voici un témoignage de la miséricorde de Dieu. En disant ces mots, elle frappa le panneau le plus élevé de la porte, et y laissa l’empreinte de sa main droite, brûlée dans le bois comme avec un fer rouge; puis elle disparut.

La sœur Anna-Félicie était restée à moitié morte de frayeur. Toute bouleversée, elle se mit à pousser des cris et à appeler au secours. Une de ses compagnes accourt, puis une autre, puis toute la communauté; on s’empresse autour d’elle, et toutes s’étonnent de sentir une odeur de bois brûlé. La sœur Anna-Félicie leur dit ce qui vient de se passer et leur montre sur la porte la terrible empreinte. Elles reconnaissent aussitôt la main de sœur Thérèse, laquelle était remarquablement petite. Épouvantées, elles s’enfuient, courent au chœur, se mettent en prière, passent la nuit à prier et à faire des pénitences pour la défunte, et le lendemain toutes communient pour elle.

La nouvelle se répand au dehors, et les diverses communautés de la ville joignent leurs prières à celles des Franciscaines. – Le surlendemain, 18 novembre, sœur Anna-Félicie étant entrée dans sa cellule pour se coucher, s’entendit appeler par son nom, et reconnu parfaitement la voix de sœur Thérèse. Au même instant, un globe de lumière tout resplendissant apparaît devant elle, éclairant la cellule comme en plein jour, et elle entend sœur Thérèse qui, d’une voix joyeuse et triomphante, dit ces paroles: Je suis morte un vendredi, le jour de la passion; et voici qu’un vendredi je m’en vais à la gloire ! Soyez fortes pour porter la croix, soyez courageuses pour souffrir, aimez la pauvreté. Puis ajoutant avec amour: Adieu, adieu, adieu ! elle se transfigure en une nuée légère, blanche, éblouissante, s’envole au ciel et disparaît.

Dans l’enquête qui fut ouverte aussitôt, le 23 novembre, en présence d’un grand nombre de témoins, on ouvrit le tombeau de sœur Thérèse, et l’empreinte brûlée de la porte se trouva exactement conforme à la main de la défunte. – La porte avec l’empreinte brûlée, ajoute MGR de Ségur est conservée dans le couvent avec vénération. La mère abbesse, témoin du fait, a daigné me la montrer elle-même.

Voulant m’assurer de la parfaite exactitude de ces détails, rapportés par PGR de Ségur, j’en ai écrit à l’évêché de Foligno. On m’a répondu en m’envoyant une relation circonstanciée parfaitement d’accord avec le récit qui précède, et accompagnée d’un fac-similé de l’empreinte miraculeuse. Cette relation expliquait la cause de la terrible expiation que subit la sœur Thérèse. Après avoir dit: Ah ! combien je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! elle ajouta, que c’était pour avoir, dans l’exercice de son office du vestiaire, manqué à quelques points de la stricte pauvreté prescrite par la règle.

La divine justice punit donc bien sévèrement les moindres fautes. On pourrait ici demander pourquoi l’apparition, en faisant la mystérieuse empreinte sur la porte, l’appela un témoignage de la miséricorde de Dieu ? C’est parce qu’en nous donnant un semblable avertissement, Dieu nous fait une grande miséricorde: il nous presse d’aider les âmes et de pourvoir à nous-mêmes.

Le religieux dominicain de Zamora

Puisque nous avons parlé d’une empreinte brûlée, rapportons un fait analogue, arrivé en Espagne et qui eut dans ce pays une grande célébrité. Voici comment le raconte Ferdinand de Castille, dans son Histoire de saint Dominique. Un religieux dominicain vivait saintement dans son couvent de Zamora, ville du royaume de Léon. Il était lié d’amitié avec un frère franciscain, comme lui homme de grande vertu. Un jour qu’ils s’entretenaient ensemble des choses éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait, si Dieu voulait bien le permettre, apparaîtrait à l’autre pour lui donner des avis salutaires. Le frère mineur mourut le premier; et un jour que son ami, le fils de saint Dominique, préparait le réfectoire, il lui apparut. Après l’avoir salué avec respect et affection, il lui dit qu’il était du nombre des élus; mais qu’avant de pouvoir jouir du bonheur céleste, il lui restait beaucoup à souffrir pour une infinité de petites fautes dont il n’avait pas eu assez de repentir pendant sa vie. Rien sur la terre, ajout a-t-il, ne peut donner une idée des tourments que j’endure, et Dieu me permet de vous en montrer un effet sensible. – En disant ces mots, il étendit la main droite sur la table du réfectoire et la marque en resta empreinte dans le bois carbonisé, comme si l’on y eût appliqué un fer rouge.

Telle fut la leçon de ferveur que le franciscain défunt donna à son ami vivant. Elle profita non seulement à lui, mais à tous ceux qui virent cette marque de feu, si profondément significative. Car cette table devint un objet de piété, qu’on venait contempler de tout part; on la voit encore à Zamora, dit le P. Rossignoli, au moment où j’écris; pour la garantir on l’a recouverte d’une feuille de cuivre. Elle s’est conservée jusqu’à la fin du siècle dernier; depuis, les révolutions l’ont fait disparaître, comme tant d’autres souvenirs religieux.

Chapitre 15 – Peines du purgatoire

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, dans sa célèbre vision où les différentes prisons du purgatoire lui furent montrées, aperçut l’âme de son frère, qui était mort après avoir mené une vie fort chrétienne. Cependant cette âme était retenue dans les souffrances pour certaines fautes qu’elle n’avait pas expiées sur la terre. « Ce sont, dit la sainte, des souffrances intolérables et cependant supportées avec joie. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leur croix ici-bas ! ». Toute saisie du douloureux spectacle qu’elle venait de contempler, elle courut chez sa prieure, et se jetant à genoux. « O ma Mère, s’écria-t-elle, qu’elles sont terribles les peines du purgatoire ! Jamais je ne les aurais crues telles, si le Seigneur ne me les eût montrées…Et néanmoins je ne puis les appeler cruelles, elles sont plutôt avantageuses, ces peines qui conduisent à l’ineffable félicité du paradis. »

Pour impressionner davantage nos sens, il a plu à Dieu de faire sentir à quelques saints personnages une légère atteinte des peines expiatrices: comme une goutte de la coupe amère que les âmes ont à boire, comme une étincelle du feu qui les dévore.

Stanislas Chocosca

L’historien Bzovius, dans son Histoire de Pologne, sous l’année 1590, rapporte un événement miraculeux, arrivé au vénérable Stanislas Chocosca, l’une des lumières de l’Ordre de saint Dominique en Pologue (Cf. Rossign. Merv. 67). Un jour que ce religieux, plein de charité pour les défunts, récitait le saint Rosaire, il vit apparaître près de lui une âme toute dévorée de flammes. Comme elle le suppliait d’avoir pitié d’elle et d’adoucir les intolérables douleurs, que le feu de la divine justice lui faisait endurer, le saint homme lui demanda si ce feu était plus douloureux que celui de la terre ? – « Ah ! s’écria cette âme, tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire, sont comme un souffle rafraîchissant. Ignes alii levis aurœ locum tenent, si cum ardore meo comparentur. » – Stanislas avait peine à le croire. – « Je voudrais, dit-il, en faire l’épreuve. Si Dieu le permet, pour votre soulagement et pour le bien de mon âme, je consens à endurer une partie de vos peines. – Hélas ! vous ne le sauriez. Sachez qu’un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt, supporter un tel tourment. Toutefois Dieu vous permet d’en ressentir une légère atteinte: étendez la main. » – Chocosca étendit la main, et le défunt y laissa tomber une goutte de sa sueur, ou du moins d’un liquide qui en avait l’apparence. A l’instant le religieux, poussant un cri perçant, tomba par terre sans connaissance, tant la douleur était affreuse.

Ses frères accoururent et s’empressèrent de lui donner les soins que réclamait son état. Quand il revint à lui, tout plein encore de terreur, il raconta l’effroyable événement qui lui était arrivé et dont tous voyaient la preuve. « Ah ! mes pères, ajouta-t-il, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne commettrions le moindre péché; et nous ne cesserions de faire pénitence en cette vie, pour ne pas devoir la faire en l’autre. »

Stanislas se mit au lit dès ce moment; il vécut encore une année dans les cruelles souffrances que lui causait l’ardeur de sa plaie, puis, exhortant une dernière fois ses frères à se souvenir des rigueurs de la divine justice dont il avait fait une si terrible expérience, il expira dans la paix du Seigneur. – L’historien ajoute que cet exemple ranima la ferveur dans tous les monastères de cette province.

La Bienheureuse Catherine de Racconiggi

Nous lisons un fait analogue dans la vie de la Bienheureuse Catherine de Racconigi (Diario Domenicano, 4 septemb. Cf. Rossig Merv. 63.). Un jour qu’elle était fort souffrante, au point d’avoir besoin de l’assistance de ses sœurs, elle pensa aux âmes du purgatoire; et, pour tempérer les ardeurs de leurs flammes, elle offrit à Dieu les ardeurs que la fièvre lui faisait éprouver. En ce moment entrant en extase, elle fut conduite en esprit dans le lieu des expiations, où elle vit les flammes et les brasiers où les âmes sont purifiées avec d’immenses douleurs. Pendant qu’elle contemplait pleine de compassion ce lamentable spectacle, elle entendit une voix qui lui dit: Catherine, afin que tu procures plus efficacement la délivrance de ces âmes, tu vas éprouver quelque peu leurs tourments et en faire une expérience sensible. – A l’instant, une étincelle se détache et vient la frapper à la joue gauche. Les sœurs présentes virent très bien cette étincelle, et elles virent aussi avec terreur le visage de la malade s’enfler aussitôt d’une manière prodigieuse. Il demeura plusieurs jours en cet état, et, comme la bienheureuse le racontait à ses sœurs, les souffrances que cette simple étincelle lui avait fait éprouver surpassaient de loin tout ce qu’elle avait souffert dans le cours de plusieurs maladies douloureuses.

Jusque-là Catherine s’était employée avec charité à soulager les âmes du purgatoire; mais à partir de ce moment elle redoubla de ferveur et d’austérités pour accélérer leur délivrance; parce qu’elle savait par expérience le grand besoin qu’elles ont de notre secours.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 4, 5, 6

Chapitre 4

Lieu du purgatoire

Bien que la foi ne nous dise rien de précis sur le lieu du purgatoire, l’opinion la plus commune, celle qui s’accorde le mieux avec le langage de l’Écriture et qui est plus généralement reçue parmi les théologiens, le place dans les entrailles de la Terre, non loin de l’enfer des réprouvés. Les théologiens sont presque unanimes, dit Bellarmin (Catech. Rom. cap. 6.), à enseigner que le purgatoire, du moins le lieu ordinaire des expiations, est situé dans le sein de la terre, que les âmes du purgatoire et les, réprouvés sont dans les mêmes espaces souterrains, dans ces régions profondes que l’Écriture appelle les enfers.

Doctrine des théologiens – Catéchisme du Concile de Trente.

Quand nous disons dans le Symbole des apôtres, que Jésus-Christ après sa mort est descendu aux enfers, « le nom d’enfers, dit le catéchisme du Concile de Trente, signifie ces lieux cachés, où sont détenues les âmes qui n’ont point encore obtenu la béatitude éternelle. Mais ces lieux sont de plusieurs espèces. L’un est une prison noire et obscure, où les âmes des réprouvés sont continuellement tourmentées, avec les esprits immondes, par un feu qui ne s’éteint jamais. Ce lieu, qui est l’enfer proprement dit, s’appelle encore géhenne et abîme.»

Il y a un autre enfer, où est le feu du purgatoire. C’est là que les âmes des justes souffrent pendant un certain temps, pour être entièrement purifiées, avant que l’entrée leur soit ouverte dans la céleste patrie; car rien de souillé ne saurait y entrer jamais. »

Un troisième enfer, était celui où étaient reçues, avant la venue de Jésus-Christ, les âmes des saints, et dans lequel elles jouissaient d’un repos tranquille, exemptes de douleurs, consolées et soutenues par l’espérance de leur rédemption. Ce sont ces âmes saintes qui attendaient Jésus-Christ dans le sein d’Abraham, et qui furent délivrées lorsqu’il descendit aux enfers. Le Sauveur alors répandit subitement au milieu d’elles une brillante lumière, qui les remplit d’une joie infinie, et les fit jouir de la souveraine béatitude, qui est dans la vision de Dieu. Alors se vérifia cette promesse de Jésus au larron: Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis. »

Saint Thomas

« Un sentiment très-probable, dit saint Thomas (Supplém. Part. 3. Quest. Ult.), et qui répond d’ailleurs aux paroles des saints et aux révélations particulières, c’est qu’il y aurait pour l’expiation du purgatoire un double lieu. Le premier serait destiné à la généralité des âmes, et il est situé en bas, près de l’enfer; le second serait pour des cas particuliers, et c’est de là que seraient sorties tant d’apparitions. » – Le saint docteur admet donc, comme beaucoup d’autres avec lui, que parfois la justice divine assigne un lieu spécial à la purification de certaines âmes, et permet même qu’elles apparaissent, soit pour instruire les vivants, soit pour procurer aux défunts les suffrages dont ils ont besoin, soit pour d’autres raisons dignes de la sagesse et de la miséricorde de Dieu.

Tel est l’aperçu général de la doctrine sur le lieu du purgatoire. Comme nous ne faisons pas un traité de controverse, nous n’ajoutons ni preuves ni réfutations: on peut les voir dans les auteurs tels que Suarez et Bellarmin. Nous nous contenterons de faire remarquer que l’opinion des enfers souterrains n’a rien à craindre de la science moderne. Une science purement naturelle est incompétente dans les questions, qui appartiennent comme celle-ci à l’ordre surnaturel. Nous savons d’ailleurs que les esprits peuvent se trouver dans un lieu occupé par des corps comme si ces corps n’existaient pas. Quel que soit donc l’intérieur de la terre, qu’il soit tout en feu, comme les géologues le disent communément, ou qu’il soit en tout autre état, rien n’empêche qu’il ne serve de séjour à des esprits, même à des esprits revêtus d’un corps ressuscité. L’apôtre saint Paul nous apprend que l’air est rempli d’une foule d’esprits de ténèbres: Nous avons à combattre, dit-il, contre les puissances des ténèbres, contre les esprits malins répandus dans l’air (Ephes. VI, 12). D’autre part, nous savons que les bons anges qui nous protègent, ne sont pas moins nombreux en ce monde. Or, si les anges et autres esprits peuvent habiter notre atmosphère sans que le monde physique en éprouve la moindre modification, comment les âmes des morts ne pourraient-elles pas demeurer dans le sein de la terre?

Chapitre 5 – Lieu du purgatoire – Révélations des saints

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse avait une grande charité pour les âmes du purgatoire et les aidait autant qu’il était en elle par ses prières et ses bonnes œuvres. Pour la récompenser Dieu lui montrait fréquemment les âmes qu’elle avait délivrées; elle les voyait au moment de leur sortie de l’expiation et de leur entrée dans le ciel. Or, elles sortaient généralement du sein de la terre.

« On m’annonça, écrit-elle (Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, chap. 38. Fête, 15 octobre p.26 fin p.27), la mort d’un religieux, qui avait été jadis provincial de cette province, et qui l’était alors d’une autre; j’avais eu des rapports avec lui, et il m’avait rendu de bons offices. Cette nouvelle me causa un grand trouble. Quoique ce fût un homme recommandable par bien des vertus, j’appréhendais pour le salut de son âme, parce qu’il avait été durant vingt ans supérieur, et que je crains toujours beaucoup pour ceux qui ont charge d’âmes. Je m’en allai fort triste à un oratoire; là je conjurai Notre Seigneur d’appliquer à ce religieux le peu de bien que j’eusse fait en ma vie, et de suppléer au reste par ses mérites infinis, afin de tirer son âme du purgatoire. »

Pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur dont j’étais capable, je vis, à mon côté droit, cette âme sortir du fond de la terre et monter au ciel dans des transports d’allégresse. Bien que ce Père fût fort âgé, il m’apparut sous les traits d’un homme qui n’avait pas encore trente ans, et avec un visage tout resplendissant de lumière. Cette vision fort courte dans sa durée me laissa inondée de joie, et sans ombre de doute sur la vérité de ce que j’avais vu. Comme j’étais séparée par une grande distance de l’endroit où ce serviteur de Dieu avait fini ses jours, je n’appris qu’après un certain temps les particularités de sa mort édifiante: tous ceux qui en furent témoins ne purent voir sans admiration la connaissance qu’il garda jusqu’au dernier moment, les larmes qu’il versait, et les sentiments d’humilité dans lesquels il rendit son âme à Dieu. »

Une religieuse de ma communauté, grande servante de Dieu, était décédée il n’y avait pas encore deux jours. On célébrait l’office des morts pour elle dans le chœur; une sœur disait une leçon, et j’étais debout pour dire le verset: à la moitié de la leçon, je vis l’âme de cette religieuse sortir, comme celle dont je viens de parler, du fond de la terre, et s’en aller au ciel. Cette vision fut purement intellectuelle, tandis que la précédente s’était présentée à moi sous des images. Mais l’une et l’autre laissent à l’âme une égale certitude.»

Dans ce même monastère venait de mourir, à l’âge de dix-huit ou vingt ans, une autre religieuse, vrai modèle de ferveur, de régularité et de vertu. Sa vie n’avait été qu’un tissu de maladies et de souffrances patiemment supportées. Je ne doutais point qu’après avoir ainsi vécu, elle n’eût plus de mérites qu’il ne lui en fallait pour être exempte du purgatoire. Cependant, tandis que j’étais à l’office, avant qu’on la portât en terre, et environ quatre heures après sa mort, je vis son âme sortir également de terre et monter au ciel. » – Voilà ce qu’écrit sainte Thérèse.

Saint Louis Bertrand

Un fait analogue est rapporté dans la vie de saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique. Cette vie écrite par le P. Antist, religieux du même ordre, qui avait vécu avec le saint, est insérée dans les Acta Sanctorum, sous le 10 octobre. – L’an 1557, lorsque saint Louis Bertrand résidait au couvent de Valence, la peste se déclara dans cette ville. Le terrible fléau multipliant ses coups, menaçait tous les habitants et chacun tremblait pour sa vie. Un religieux de la communauté, le P. Clément Benet, voulant se préparer avec ferveur à la mort, fit au saint une confession générale de toute sa vie; et en le quittant, « mon Père, lui dit-il, s’il plaît maintenant à Dieu de m’appeler, je viendrai vous faire connaître mon état dans l’autre vie.»

– Il mourut en effet peu de temps après, et la nuit suivante il apparut au saint. Il lui dit qu’il était retenu au purgatoire pour quelques fautes légères qui lui restaient à expier, et le supplia de le faire recommander à la communauté. Le saint communiqua aussitôt cette demande au père prieur, qui s’empressa de recommander l’âme du défunt aux prières et aux saints sacrifices de tous les Frères réunis au chapitre.

Six jours après, un homme de la ville, qui ne savait rien de ce qui s’était passé au couvent, étant venu se confesser au père Louis, lui dit « que l’âme du P. Clément lui était apparue. Il avait vu, disait-il, la terre s’entrouvrir et l’âme du Père défunt en sortir toute glorieuse: elle ressemblait, ajoutait-il, à un astre resplendissant et s’élevait dans les airs vers le ciel.»

Sainte Madeleine de Pazzi

Nous lisons dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi (25 mai), écrite par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de Jésus, que cette servante de Dieu fut rendue témoin de la délivrance d’une âme dans les circonstances suivantes. Une de ses sœurs en religion était morte depuis quelque temps, lorsque la sainte, se trouvant en prière devant le très-saint Sacrement, vit sortir de terre l’âme de cette sœur, captive encore dans les prisons du purgatoire. Elle était enveloppée d’un manteau de flammes, au-dessous duquel une robe d’une éblouissante blancheur la protégeait contre les trop vives ardeurs du feu; et elle demeura une heure entière au pied de l’autel, adorant, dans un anéantissement indicible, le Dieu caché sous les espèces eucharistiques. Cette heure d’adoration que Madeleine lui voyait faire, était la dernière de sa pénitence; cette heure expirée, elle se leva et prit son vol vers le ciel.

Chapitre 6 – Lieu du purgatoire

Sainte Françoise de Rome

Il a plu à Dieu de faire voir en esprit les tristes demeures du purgatoire à quelques âmes privilégiées, qui devaient ensuite révéler ces douloureux mystères pour l’édification de tous les fidèles. De ce nombre fut l’illustre sainte Françoise (1), fondatrice des Oblates, qui mourut en 1440 à Rome, où ses vertus et ses miracles jetèrent le plus vif éclat. Dieu la favorisa de grandes lumières sur l’état des âmes dans l’autre vie. Elle vit l’enfer et ses horribles supplices; elle vit aussi l’intérieur du purgatoire, et l’ordre mystérieux, je dirais presque la hiérarchie des expiations, qui règne dans cette partie de l’Église de Jésus-Christ. Pour obéir à ses supérieurs, qui crurent devoir lui imposer cette obligation, elle fit connaître tout ce que Dieu lui avait manifesté; et ses visions, écrites sous sa dictée par le vénérable chanoine Matteotti, directeur de son âme, ont toute l’authenticité qu’on peut demander en ces matières.

Or la servante de Dieu déclara qu’après avoir subi avec un inexprimable effroi la vision de l’enfer, elle sortit de cet abîme et fut conduite par son guide céleste, l’archange Raphaël, dans les régions du purgatoire. Là ne régnait plus ni l’horreur du désordre, ni le désespoir, ni les ténèbres éternelles; la divine espérance y répandait sa lumière, et on lui dit que ce lieu de purification s’appelait aussi séjour de l’espérance. Elle y vit des âmes qui souffraient cruellement, mais des anges les visitaient et les assistaient dans leurs souffrances.

Le purgatoire, dit-elle, est divisé en trois parties distinctes, qui sont comme les trois grandes provinces de ce royaume de la douleur. Elles sont situées l’une au-dessus de l’autre, et occupées par des âmes de diverses catégories. Ces âmes sont ensevelies d’autant plus profondément qu’elles sont plus souillées et plus éloignées de la délivrance.

La région inférieure est remplie d’un feu très ardent, mais qui n’est pas ténébreux comme celui de l’enfer: c’est une vaste mer embrasée, jetant d’immenses flammes. D’innombrables âmes y sont plongées: ce sont celles qui se sont rendues coupables de péchés mortels, qu’elles ont dûment confessés, mais non suffisamment expiés durant la vie. La servante de Dieu appris alors que, pour tout péché mortel pardonné il reste à subir une peine de sept années de purgatoire. – Ce terme ne peut se prendre évidemment comme une mesure fixe, puisque les péchés mortels diffèrent d’énormité; mais comme une taxe moyenne. Quoique les âmes soient enveloppées dans les mêmes flammes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes; elles diffèrent selon le nombre et la qualité de leurs anciens péchés.

Dans ce purgatoire inférieur la sainte distingua des laïques et des personnes consacrées à Dieu. Les laïques étaient celles qui, après une vie de péché, avaient eu le bonheur de se convertir sincèrement; les personnes consacrées à Dieu étaient celles qui n’avaient pas vécu selon la sainteté de leur état: elles se trouvaient dans la partie la plus profonde. En ce moment même, elle y vit descendre l’âme d’un prêtre qu’elle connaissait, mais dont elle s’abstient de révéler le nom. Elle remarqua qu’il avait la tête enveloppée d’un voile qui couvrait une souillure, la souillure de la sensualité. Bien qu’il eût mené une vie édifiante, ce prêtre n’avait pas toujours gardé une stricte tempérance et avait trop cherché les satisfactions de la table.

La sainte fut conduite alors dans le purgatoire inter- médiaire, destiné aux âmes qui ont mérité des peines moins rigoureuses. Il y avait là trois espaces distincts: l’un ressemblait à une vaste glacière, où régnait un froid inexprimable; la seconde, au contraire, était comme une chaudière immense remplie d’huile et de poix bouillantes; la troisième, comme un étang de métal liquide, qui ressemblait à de l’or ou de l’argent en fusion. Le purgatoire supérieur, que la sainte ne décrit pas, est le séjour des âmes qui, ayant été purifiées par les peines du sens, ne souffrent plus guère que la peine du dam, et approchent de l’heureux moment de leur délivrance.

Telle est en substance la vision de sainte Françoise relative au purgatoire.

Sainte Madeleine de Pazzi

Voici maintenant celle de sainte Madeleine de Pazzi, carmélite de Florence, telle qu’elle est rapportée dans sa vie par le P. Cépari. C’est un tableau détaillé du purgatoire, tandis que la vision précédente n’en a tracé que les grandes lignes.

Quelque temps avant sa sainte mort, qui arriva en 1607, la servante de Dieu Madeleine de Pazzi, se trouvant sur le soir avec plusieurs religieuses dans le jardin du couvent, fut ravie en extase et vit le purgatoire s’ouvrir devant elle. En même temps, comme elle le fit connaître plus tard, une voix l’invita à visiter toutes les prisons de la divine justice, afin de voir de près combien sont dignes de pitié les pauvres âmes qui les habitent.

En ce moment on l’entendit dire: Oui, j’en ferai le tour. Elle acceptait de faire ce douloureux voyage.

En effet, elle commença à circuler autour du jardin qui est fort grand, pendant deux heures entières, en s’arrêtant de temps en temps. Toutes les fois qu’elle interrompait sa marche, elle considérait attentivement les peines qu’on lui montrait. On la voyait alors se tordre les mains par commisération: son visage devenait pâle, son corps se courbait sous le poids de la douleur en présence du spectacle qu’elle avait sous les yeux.

Elle commença par s’écrier d’une voix lamentable: « Miséricorde, mon Dieu, miséricorde! Descendez, ô Sang précieux, et délivrez ces âmes de leur prison. Pauvres âmes, vous souffrez si cruellement, et cependant vous êtes contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison de ceux-ci, étaient des jardins délicieux. Cependant il en est de plus profonds encore. Que je m’estimerais heureuse si l’on ne m’y faisait pas descendre!»

Cependant elle y descendit, car on la vit continuer sa route. Mais quand elle eut fait quelques pas, elle s’arrêta épouvantée, et, poussant un grand soupir, elle s’écria: Eh quoi! des religieux aussi dans ces tristes lieux ! Bon Dieu, comme ils sont tourmentés ! Ah, Seigneur ! Elle n’expliquait pas leurs souffrances; mais l’horreur qu’elle éprouvait en les contemplant, la faisait soupirer presque à chaque pas.

Elle passa de là dans des lieux moins lugubres: c’était les cachots des âmes simples et des enfants, dont l’ignorance et le peu de raison atténuent beaucoup les fautes. Aussi leurs tourments lui parurent beaucoup plus tolérables que ceux des autres. Il n’y avait là que de la glace et du feu. Elle remarqua que ces âmes avaient auprès d’elles leurs anges gardiens, qui les fortifiaient beaucoup par leur présence; mais elle voyait aussi des démons, dont l’aspect horrible aggravait leurs souffrances. Ayant fait quelques pas elle vit des âmes beaucoup plus malheureuses, et on l’entendit s’écrier: « Oh ! que ce lieu est horrible ! il est plein de démons hideux et d’incroyables tourments ! Quels sont donc, mon Dieu, les tristes victimes si cruellement torturées ? Hélas ! on les perce avec des glaives aigus, et on les coupe en pièces. » – Il lui fut répondu que c’étaient les âmes dont la conduite avait été entachée d’hypocrisie. En avançant un peu, elle vit une grande multitude d’âmes qui étaient foulées et comme écrasées sous un pressoir; et elle comprit que c’étaient des âmes qui pendant la vie, avaient été sujettes à l’impatience et à la désobéissance. En les contemplant, son regard, ses soupires, toute en attitude exprimait la compassion et l’effroi.

Un moment après, elle parut plus consternée et poussa un cri d’épouvante: c’était le cachot du mensonge qui venait de s’ouvrir à ses regards. Après l’avoir considéré avec attention, elle dit d’une voix fort haute: « Les menteurs sont placés dans un lieu voisin de l’enfer, et leurs peines sont bien grandes. On leur verse dans la bouche du plomb fondu; je les vois brûler et trembler de froid en même temps. »

Elle arriva ensuite à la prison des âmes qui avaient péché par faiblesse, et on l’entendit s’écrier: « Hélas ! je vous croyais avec celles qui ont péché par ignorance: mais je me trompais, vous brûlez dans un feu plus ardent. »

Plus loin, elle aperçut les âmes qui furent trop attachées aux biens de ce monde et péchèrent par avarice. « Quel aveuglement, dit-elle, de tant chercher une fortune périssable ! Ceux qui autrefois étaient insatiables de richesses, sont rassasiés ici de tourments: ils se liquéfient comme le métal dans la fournaise. »

De là passant au lieu où sont renfermées les âmes qui se souillèrent jadis du vice de l’impureté, elle les vit dans un cachot si sale et si infect qu’il lui faisait soulever le cœur. Elle détourna promptement les yeux de cette vue dégoûtante.

Ayant aperçu les ambitieux et les superbes, elle dit: « Voilà ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi les hommes: maintenant ils sont condamnés à vivre dans cette effrayante obscurité. »

On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers Dieu. Elles étaient en proie à des tourments indicibles et comme noyées dans un lac de plomb fondu, pour avoir desséché par leur ingratitude la source de la piété.

Enfin, on lui montra, dans un dernier cachot, les âmes qui n’eurent aucun vice bien saillant, mais qui, ne veillant pas assez sur elles-mêmes, avaient commis toutes sortes de fautes légères; elle remarqua que ces âmes avaient part aux châtiments de tous les vices, dans un degré mitigé, parce que les fautes commises, comme en passant, rendent moins coupables que les habitudes.

Après cette dernière station, la sainte sortit du jardin, en priant Dieu de ne plus la rendre témoin d’un si déchirant spectacle: elle ne sentait plus la force de le supporter. Cependant son extase durait encore, et, conversant avec son Jésus, elle lui dit: « Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein en me découvrant ces prisons terribles que je connaissais si peu et que je comprenais encore moins?

Ah ! je le vois à cette heure: vous avez voulu me faire connaître votre infinie sainteté et me faire haïr davantage les moindres péchés, si abominables à vos yeux. »