Traité de l’obéissance – Chapitre CLXIII, CLXIV, CLXV

CLXIII – De l’excellence de l’obéissance et des biens qu’elle procure.

1. Je t’ai fait connaître le bon et salutaire moyen que le religieux prend chaque jour pour augmenter en Lui la vertu de l’obéissance par la lumière de la foi. Il désire le mépris, les affronts et les fardeaux que lui imposent ses supérieurs. Afin que l’obéissance et la patience sa sœur ne s’affaiblissent pas et ne lui manquent jamais, quand il a besoin de les exercer, il fait entendre continuellement les cris de ce désir, et il utilise toujours le temps parce qu’il est affamé. L’obéissance est une épouse pleine de zèle, qui ne veut jamais rester oisive.

2. Aimable Obéissance, chère Obéissance, douce Obéissance, Obéissance resplendissante qui dissipes les ténèbres de l’amour-propre; Obéissance qui vivifies l’âme en lui donnant la vie de la grâce, lorsqu’elle te prend pour épouse et te délivre dd la volonté propre qui cause la guerre et la mort, tu es prodigue de toi-même, puisque tu te soumets à toute créature raisonnable. Tu es bonne et compatissante; tu portes avec douceur les plus grands fardeaux, parce que tu as pour compagnes la force et la patience véritable. Tu recevras la couronne de la persévérance. Tu ne te laisses pas abattre par les importunités des supérieurs et par les épreuves qu’ils t’imposent sans discrétion. Tu supportes tout avec la lumière de la foi. Tu es tellement liée avec l’humilité, qu’aucune créature ne peut l’arracher de l’âme qui te possède.

3. Que te dire, ma chère et bien-aimée fille, de l’excellence de cette vertu? Oui, l’obéissance est un bien sans mélange, la barque qui la possède n’a pas à redouter les vents contraires; l’âme qu’elle dirige est portée par sa règle et les supérieurs, sans avoir à s’occuper d’elle-même, celui qui obéit parfaitement n’a pas de compte à me rendre: il n’en en doit qu’à celui auquel il est soumis.

4. Passionne-toi, ma fille bien-aimée, pour cette glorieuse vertu. Veux-tu connaître les bienfaits que tu as reçus de moi, ton Père? Sois obéissante. L’obéissance te montrera si tu es reconnaissante, parce qu’elle procède de la charité. L’obéissance prouvera si tu n’es pas ignorante, parce qu’elle vient de la connaissance de ma Vérité. C’est un trésor qu’a fait connaître mon Verbe, en vous enseignant la voie de l’obéissance et de la règle, en se faisant obéissant lui-même jusqu’à la mort ignominieuse de la Croix; et c’est son obéissance qui a ouvert le ciel et servi de fondement à l’obéissance générale et particulière, ainsi que je te l’ai dit au commencement.

5. L’obéissance est une lumière pour l’âme; elle montre qu’elle m’est fidèle et qu’elle est fidèle à l’Ordre et à ses supérieurs. Dans cette lumière que lui donne la foi, elle s’oublie et ne se cherche pas pour elle-même; car, dans l’obéissance acquise par la lumière de la foi, elle a prouvé que sa volonté est morte à ce sens particulier qui s’occupe des affaires d’autrui plutôt que des siennes. Ainsi fait le désobéissant qui examine la volonté des supérieurs, et qui la juge avec ses bas sentiments et ses vues obscures, ne se mettant pas en peine de sa volonté corrompue qui lui donne la mort.

6. Celui qui obéit véritablement à la lumière de la foi juge toujours bien- la volonté de ses supérieurs; il n’écoute pas la sienne et incline seulement la tête, en nourrissant son âme des parfums d’une véritable et sainte obéissance. Cette vertu grandit à mesure que s’y répand la sainte-lumière de la foi; car c’est à cette lumière de la foi que l’âme se connaît et me connaît, qu’elle m’aime et qu’elle s’humilie; et plus elle aime et s’humilie, plus elle est obéissante. L’obéissance, et sa sœur la patience, montrent que l’âme est véritablement revêtue du vêtement nuptial de la charité, avec lequel on entre dans la vie éternelle.

7. Ainsi l’obéissance ouvre le ciel et reste dehors: la charité qui lui a donné la clef entre avec les fruits de l’obéissance; car, comme je te l’ai dit, les vertus restent en dehors, la charité seule entre au ciel. Mais l’obéissance a l’honneur d’ouvrir le ciel, que la désobéissance du premier homme a fermé. C’est l’obéissance de l’humble et fidèle Agneau sans tache, mon Fils unique, qui a ouvert la vie éternelle depuis si longtemps fermée.

CLXIV – Distinction de deux obéissances: celle des religieux et celle qu’on rend à une personne en dehors de la vie religieuse.

1. Ainsi que je te l’ai dit, ma chère fille, mon Fils vous a laissé la douce obéissance, comme une clef pour ouvrir le ciel et parvenir à votre fin; il vous l’a laissée par précepte et par conseil: par précepte pour tous, et par conseil, si vous vouliez tendre à la perfection et passer par la porte étroite de la vie religieuse. Il y en a qui ne sont pas attachés à un Ordre, et qui sont cependant dans la barque de la perfection. Ce sont ceux qui observent les conseils sans être religieux, et qui rejettent réellement et spirituellement les richesses et les pompes du monde. Ils gardent la chasteté, soit dans l’état de virginité, soit dans le parfum de la continence, s’ils n’ont pas la virginité; ils observent l’obéissance en se soumettant, comme je te l’ai dit ailleurs, à une personne à laquelle ils s’efforcent d’obéir parfaitement jusqu’à la mort.

2. Si tu me demandes qui a plus de mérite, de ceux qui obéissent ainsi, ou de ceux qui sont dans un Ordre, je te répondrai que le mérite de l’obéissance ne se mesure pas aux actes, au lieu ou à la personne, qui peut être bonne ou mauvaise, séculière ou religieuse. Le mérite de l’obéissance est dans l’amour de celui qui obéit, et cet amour est la mesure de sa récompense. L’imperfection d’un supérieur ne nuit aucunement à celui lui obéit; elle lui est même utile quelquefois, car les persécutions et les rigueurs indiscrètes d’ordres trop sévères font acquérir la vertu de l’obéissance, et la patience sa sœur. Un lien imparfait ne nuit pas non plus: je dis imparfait, parce que la vie religieuse est l’état le plus parfait, le plus assuré. J’appelle imparfait l’état de ceux qui observent les conseils de l’obéissance en dehors d’un Ordre; mais je ne dis pas pour cela que leur obéissance est imparfaite et moins méritoire, car l’obéissance, comme les autres vertus, a pour mesure l’amour.

3. Il est vrai qu’en beaucoup de choses il est préférable d’obéir dans un Ordre, à cause du vœu qu’on fait entre les mains d’un supérieur, et des épreuves plus grandes qu’on y rencontre. Toutes les actions du corps sont liées à ce joug, et on ne peut s’y soustraire, quand on le voudrait, sans commettre un péché mortel, parce que la règle est approuvée par l’Église, et qu’on a fait un vœu. Il n’en est pas de même pour les autres: ils sont liés volontairement par l’amour de l’obéissance, et non par un vœu solennel. Ils peuvent sans péché mortel renoncer à cette obéissance à une créature, s’ils ont pour le faire des raisons légitimes, et s’ils n’agissent pas par faiblesse. Si c’est par faiblesse, ils commettent une faute très grave mais cependant il ne sont pas engagés sous peine de péché mortel.

4. Sais-tu la différence qu’il y a entre les uns et ]es autres? la différence qu’il y a entre celui qui prend le bien d’autrui, et celui qui retire à quelqu’un ce qu’il lui avait donné par amour, avec l’intention de ne pas le reprendre: l’un n’a pas fait d’acte authentique, tandis que l’autre s’est engagé publiquement par sa profession. Il a renoncé à lui-même entre les mains du supérieur, et il a promis d’observer l’obéissance, la chasteté, la pauvreté volontaire. Le supérieur, de son côté, a promis, s’il était fidèle jusqu’à sa mort, de lui donner la vie éternelle.

5. Ainsi, pour ce qui est des obligations, du lieu et de la manière, l’obéissance dans un Ordre est plus parfaite que l’obéissance dans le monde. L’obéissance dans un Ordre est aussi plus sûre; quand on tombe, on a plus de secours pour se relever. L’obéissance dans le monde est moins certaine; elle expose davantage, quand on tombe, à tourner la tête en arrière, parce qu’on ne se sent pas lié par un vœu consommé. On est comme le religieux avant sa profession: tant qu’il ne l’a pas faite, il peut partir; ce qui ne lui est plus permis lorsqu’elle est prononcée.

6. Quant au mérite, je te le répète, sa mesure est l’amour de celui qui obéit. Dans quelque état qu’on soit, on peut avoir un mérite parfait, parce que le mérite est uniquement dans l’amour. Les vocations sont différentes; j’appelle à ces deux états selon la capacité de chacun; mais la récompense est mesurée sur l’amour: si le séculier aime plus que le religieux, il reçoit davantage; il en est de même du religieux et de tous les autres.

CLXV – Dieu ne récompense pas selon la difficulté et la durée de l’obéissance, mais selon le zèle et la grandeur de la charité. – Miracles que Dieu fait par l’obéissance.

1. Je vous ai tous envoyés dans la vigne de l’obéissance pour y travailler de différentes manières, et à chacun je donnerai le prix de son amour, et non de son ouvrage et de son temps; car sans cela celui qui vient de bonne heure recevrait plus que celui qui vient plus tard. Ma Vérité vous a donné dans l’Évangile l’exemple de ceux qui étaient oisifs, et que le maître envoya travailler à sa vigne, li donna autant à ceux qui étaient venus au point du jour qu’à ceux qui étaient venus à la première heure; et ceux qui vinrent à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la dernière reçurent autant que les premiers.

2. Ma vérité vous a enseigné par là que vous serez récompensés, non pas selon le temps et selon l’ouvrage, mais selon le degré d’amour. Beaucoup sont appelés, dès l’enfance, pour travailler à cette vigne; d’autres y viennent plus tard, et n’arrivent même que dans la vieillesse. Ceux-là souvent, parce qu’ils voient le peu de temps qui reste, agissent avec tant d’amour, qu’ils atteignent ceux qui sont venus dès l’enfance, mais qui ont marché lentement. C’est donc par l’amour de l’obéissance que l’âme acquiert des mérites; elle remplit son vase en moi, qui suis l’Océan pacifique.

3. Beaucoup ont une obéissance si prompte et si incarnée dans leur âme, que non seulement ils ne cherchent point à comprendre les motifs de leur supérieur, mais qu’ils attendent à peine que les ordres soient sortis de sa bouche, parce que la lumière de la foi leur fait deviner ses intentions. L’obéissant parfait obéit plus à l’intention qu’à la parole, pensant que la volonté du supérieur est ma volonté, que je le charge de lui transmettre. Et c’est pour cela que je te dis qu’il obéissait plus à l’intention qu’à la parole. Il obéit à la parole du supérieur, parce qu’il obéit avec amour à sa volonté, que la lumière de la foi lui fait croire unie à la mienne.

4. On lit dans la vie des Pères l’exemple d’un religieux qui obéissait ainsi par amour. Son Abbé lui ayant donné un ordre pendant qu’il écrivait un o, qui est une bien petite chose, il ne se donna pas le temps de finir, et courut sur-le-champ où l’appelait l’obéissance. Je voulus lui montrer combien cette promptitude m’était agréable, et ma bonté termina en or la lettre inachevée.

5. Cette glorieuse vertu m’est si agréable, que pour aucune vertu je n’ai fait autant de miracles que pour elle. C’est qu’elle procède de la lumière de la foi, et qu’il faut que les hommes sachent combien je l’aime. La terre obéit à cette vertu, et les animaux la servent. L’eau porte l’obéissant. Si tu regardes la nature, tu verras qu’elle est soumise à celui qui obéit.

6. N’as-tu pas lu l’histoire de ce disciple auquel son Abbé remit un bâton de bois mort? Il lui ordonna de le planter et de l’arroser tous les jours; le disciple, éclairé par la lumière de la foi, se garda bien de dire que c’était là chose inutile. Il obéit sans s’inquiéter du résultat, et, par la vertu de l’obéissance et de la foi, le bois mort reverdit et porta des fruits. Pour montrer que cette âme avait triomphé de la sécheresse de la désobéissance, et que ses rameaux renouvelés avaient donné un bon fruit, ce fruit fut appelé par les saints Pères le fruit de l’obéissance.

7. Si tu regardes les animaux, tu verras qu’ils obéissent aussi à l’obéissance. Un religieux remarquable par son obéissance et sa pureté fut chargé d’aller prendre un grand serpent; il le conduisit à son Abbé, qui, en médecin prudent, pour le préserver de la vaine gloire et l’exercer à la patience, le chassa de sa présence, et lui dit avec reproche: « Il faut être vraiment bête pour conduire ainsi cette bête enchaînée ».

8. Le feu présente les mêmes miracles. N’as-tu pas lu dans la sainte Écriture que beaucoup, pour ne pas transgresser mes ordres, se sont laissé jeter dans les flammes, et que les flammes ne leur ont fait aucun mal? Tels furent les trois enfants dans la fournaise, et tant d’autres que je pourrais te citer. L’eau s’affermit sous les pieds de saint Maur, lorsqu’il alla chercher par obéissance un religieux qui se noyait. Il ne pensait pas à lui, mais il pensait, avec la lumière de la foi, à remplir l’ordre qu’il avait reçu: il alla sur l’eau comme s’il eût marché sur la terre, et il sauva le disciple.

9. Partout, si tu ouvres l’œil de ton intelligence, tu verras que je t’enseigne l’excellence de l’obéissance. On doit tout abandonner pour l’obéissance, tellement que si tu étais élevée à une si haute et si parfaite union en moi, que ton corps fût séparé de la terre, tu devrais, si l’obéissance te rappelait, faire tous tes efforts pour lui obéir. Je te parle en général et non pour certains cas particuliers, qui font exception. Tu ne dois jamais quitter l’oraison que par nécessité, par charité ou par obéissance. Je te dis cela pour que tu comprennes combien je veux que l’obéissance soit prompte dans mes serviteurs et combien elle m’est agréable.

10. Tout ce que fait l’obéissant est méritoire: s’il mange, il mange par obéissance; s’il dort, il dort par obéissance; s’il va, s’il vient, s’il jeûne, s’il veille, il fait tout par obéissance. S’il sert le prochain, c’est par obéissance. S’il est au chœur, au réfectoire, dans sa cellule, qui le guide ou le retient? c’est l’obéissance, qui, par la sainte lumière de la foi, le jette, mort à sa volonté et plein de mépris pour lui-même, entre les bras de ceux qui lui commandent. Placé dans cette barque de l’obéissance, il se-laisse conduire par son supérieur et traverse heureusement la mer orageuse de cette vie dans la paix de l’âme et la tranquillité du cœur: l’obéissance et la foi en dissipent toutes les ténèbres. Il est fort parce qu’il n’a plus aucune faiblesse ni aucune crainte, car il a détruit la volonté propre, d’où viennent les faiblesses et les craintes déréglées.

11. Et de quoi se nourrit et s’abreuve celui qui épouse l’obéissance? il se nourrit de la connaissance de lui-même et de moi. Il voit son imperfection et son néant; il voit que je suis Celui qui suis, et il goûte en moi ma Vérité, que lui a révélée le Verbe incarné. Et de quoi s’abreuve-t-il? du Sang; de ce Sang par lequel mon Fils lui montre ma Vérité, et l’amour ineffable que j’ai pour lui. Il lui fait comprendre par ce Sang la perfection de cette obéissance que moi, son Père, je lui ai imposée à cause de vous. Il y puise avidement, et lorsqu’il est ivre de ce Sang et de cette obéissance du Verbe, il perd toute pensée, tout sentiment de lui-même; il me possède par la grâce et me goûte par l’amour, à la lumière de-la foi dans la sainte obéissance.

12. Toute sa vie rayonne la paix, et à la mort il reçoit ce que lui a promis son supérieur au moment de sa profession, la vie éternelle, la vision de la paix, le repos d’une tranquillité souveraine et parfaite, un bien ineffable dont personne ne peut apprécier et comprendre la valeur. Ce bien est infini et ne peut être compris par une créature finie, comme un vase plongé dans la mer ne peut en comprendre l’immensité, mais seulement la quantité qu’il renferme: la mer seule se comprend.

13. Je suis la Mer pacifique, et je puis seul me comprendre, m’estimer et jouir de cette estime, de cette intelligence en moi-même. Cette jouissance intérieure, je la communique et je la donne à chacun selon sa mesure; et cette mesure, je la remplis complètement d’une félicité parfaite. L’âme connaît et comprend ma bonté autant qu’elle a mérité de la connaître. Aussi l’obéissant, éclairé par la foi et la vérité, embrasé des flammes de la charité, inondé des parfums de l’humilité, enivré du sang précieux de l’Agneau, accompagné de la patience, du mépris de lui-même, de la force et de la persévérance, enfin du fruit de toutes les vertus, l’obéissant reçoit de moi, son créateur, la récompense qui lui est destinée.