La cité mystique de Dieu – Chapitre IV

Les décrets divins y sont distribués par instants, déclarant ce que Dieu détermina en chacun, touchant sa communication au dehors.

35. Il me fut manifesté que cet ordre se devait distribuer par les instants qui suivent : Au premier, Dieu connut ses attributs divins, ses perfections et cette ineffable inclination qu’il avait de se (364) communiquer hors de lui-même; et ce fut la première connaissance des communications au dehors. Sa Majesté contemplant la nature, la vertu et l’efficace que ses perfections infinies avaient pour produire des choses magnifiques, vit dans son équité qu’il était très convenable, et comme de la justice et de la nécessité, qu’une si souveraine bonté se communiquât, afin d’opérer selon son inclination communicative, et afin d’exercer sa libéralité et sa miséricorde, distribuant au dehors d’elle-même avec sa magnificence la plénitude . de ses trésors infinis que la Divinité renferme. Parce qu’étant tout infini, il lui est bien plus naturel de faire des dons et des grâces qu’au feu de monter à sa sphère, qu’à la pierre de descendre à son centre, et qu’au soleil de répandre sa lumière. Et cette profonde mer de perfections, cette abondance de trésors et cette infinité impétueuse de richesses désirent par leur propre inclination les voies de se communiquer aussi bien que par la connaissance qui leur vient de la volonté et de la sagesse du même Dieu, que ce n’est pas diminuer ses dons ni ses grâces que de les communiquer, mais plutôt eu quelque façon les augmenter en ouvrant cette source inépuisable de richesses.

36. Dieu regarda tout cela dans ce premier instant après la communication ad intra, ou su dedans, par les émanations éternelles. Et en les regardant il se trouva comme obligé par lui-même de se communiquer ad extra, c’est-à-dire au dehors de son être, connaissant qu’il était saint, juste, miséricordieux et (365) pieux de le faire, puisque rien ne s’y pouvait opposer. Et nous pouvons nous imaginer, selon notre manière de concevoir, qu’il manquait quasi quelque chose à la tranquillité de Dieu, jusqu’à ce qu’il fût arrivé au centre des créatures, dans lesquelles et avec lesquelles il devait prendre ses délices (1) en leur faisant part de sa divinité et de ses perfections.

37. Deux choses me causent de l’admiration, me suspendent, m’attendrissent et m’anéantissent dans cette connaissance et dans cette lumière que je reçois. la première est cette inclination que j’ai découverte en Dieu, et cette grande volonté qui est en’ lui de communiquer sa divinité et les trésors de sa gloire. La seconde, est l’immensité ineffable et incompréhensible des biens et des dons que je connus qu’il destinait et qu’il voulait distribuer, ne laissant pas avec tout cela d’être autant infini que s’il ne sortait aucune chose de lui. Je connus dans cette inclination et dans ce désir de sa Majesté qu’elle était disposée de sanctifier, de justifier et de remplir de dons et de perfections toutes les créatures en général et en particulier, et de donner à chacune plus que les anges et les séraphins n’ont reçu, quand même toutes les gouttes de la mer et les grains de sable, les étoiles, les plantes, les éléments et tontes les créatures irraisonnables seraient capables de raison et de ses dons, pourvu que de leur côté elles n’y missent aucun obstacle capable de l’empêcher. O épouvantable horreur du péché et de sa malice, qui seul peut arrêter ce torrent impétueux de tant de biens éternels !

38. Il fut conféré et décrété dans le second instant de faire cette communication de la divinité à raison de la grande gloire et de l’exaltation qui en résulterait au dehors à sa Majesté, par la manifestation de ses grandeurs. Et Dieu regarda dans cet instant cette propre exaltation comme la fin de ses communications qui le devait faire connaître, louer et glorifier en manifestant sa libéralité et sa toute-puissance.

39. Dans le troisième instant, on connut et détermina l’ordre et la manière de faire cette communication, en façon que l’exécution d’une si grande résolution fût à la plus grande gloire de Dieu; l’ordre qu’il devait y avoir entre les objets et la manière, et la différence de leur communiquer la divinité et les attributs, afin que ce mouvement du Seigneur eût (à notre façon de concevoir) une fin honnête et des objets proportionnés, et qu’il se trouvât parmi eux la plus belle et la plus admirable de toutes les harmonies et de toutes les subordinations. Il fut déterminé en premier lieu dans cet instant que le Verbe divin prendrait chair humaine et se rendrait visible. La perfection et la disposition de la très sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ y furent décrétées, et la forme en resta dans l’entendement divin. En second lieu, celles des autres qui devaient recevoir l’humanité à son imitation, y eurent place; l’entendement divin y désignant l’harmonie de la nature humaine, ses avantages, la disposition du corps organisé et l’âme qui le (367) devait animer avec ses puissances, pour connaître son Créateur et en jouir, capable de discerner le bien d’avec le mal, et avec une volonté libre pour aimer le même Seigneur.

40. Je découvris qu’il était comme nécessaire, pour des raisons très-relevées que je ne saurais exprimer, que cette union hypostatique de la seconde personne de la très-sainte Trinité avec la nature humaine fût le premier ouvrage, et le premier objet par où l’entendement et la volonté divine sortissent premièrement au dehors. L’une des raisons est, parce qu’après que Dieu se fut connu et aimé dans lui-même, il était le plus convenable et du plus bel ordre de connaître et d’aimer ce qui était le plus immédiat à sa divinité, comme l’est l’union hypostatique. Et l’autre, parce que sa divinité se devait aussi communiquer substantiellement au dehors, s’étant communiquée au dedans; afin que l’intention et la volonté divine commençassent leurs couvres par la fin la plus relevée, et que ses attributs se communiquassent avec une très-belle harmonie ; que ce feu de la divinité opérât premièrement le plus grand de tous ses ouvrages en ce qui lui était le plus immédiat, comme l’était l’union hypostatique; que sa divinité commençât en premier lieu par celui qui devait arriver su plus haut et au plus excellent degré, après le même Dieu, de sa connaissance, de son amour, des opérations et de la gloire de sa même divinité, et que Dieu ne se mit pas (selon notre façon de parler) comme en danger d’être privé de cette fin, car c’était avec lui seul qu’il pouvait trouver (368) quelque proportion et quelque espèce de justice qui méritât un si merveilleux ouvrage. Il était aussi convenable et comme nécessaire que, puisque Dieu voulait créer plusieurs créatures, il les créât avec ordre et subordination, et que celle-ci fût la plus admirable et la plus glorieuse de toutes. Et par cette raison il y en devait avoir une qui en fût le chef et au-dessus de toutes, et quelle fût, autant qu’il serait possible, immédiate et unie à Dieu, afin que par elle et par son moyen tous eussent accès à sa divinité. Et c’est pour ces raisons et plusieurs autres (que je ne puis exprimer) que la grandeur des ouvrages de Dieu a trouvé en la seule personne du Verbe incarné de quoi se satisfaire, parce que par lui il y avait dans la nature un très-bel ordre, qui sans lui ne s’y trouverait pas.

41. Dans le quatrième instant, les dons et les grâces qui se devaient donner à (humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, unie à la divinité, furent décrétées. Ici le Très-Haut ouvrit la main de sa libéralité toute-.puissante et de ses attributs pour enrichir la très-sainte humanité et l’âme de Jésus-Christ par l’abondance de ses dons et de ses grâces dans la plus grande plénitude et au plus haut degré qui fût possible. Dans cet instant se détermina ce que David a dit depuis : L’impétuosité du fleuve de la divinité réjouit la cité de Dieu (1); le torrent de ses dons se dégorgeant dans cette humanité du Verbe, lui communiqua toute la science infuse, toute cette béatitude, cette grâce et cette gloire dont son âme très-sainte était capable, et qui convenait au sujet, qui était vrai Dieu et vrai homme tout ensemble, et chef de toutes les créatures capables de la grâce et de la gloire, qui leur devaient résulter de ce torrent impétueux de la manière qu’il arriva.

42. Le décret et la prédestination de la Mère du Verbe incarné appartient conséquemment et comme en second lieu à ce même instant, parce que je découvris ici que cette pure créature fut ordonnée avant qu’il y eût d’autre décret d’en créer aucune autre. Ainsi elle fut conçue dans l’entendement divin’ la première de toutes, comme il était convenable à la dignité, à l’excellence et aux dons de l’humanité de son très-saint Fils; et incontinent, toute l’impétuosité du fleuve de la Divinité et de ses attributs, immédiatement avec lui, se versa en elle, autant qu’une pure créature était capable de le recevoir, et que sa dignité de Mère le requérait.

43. J’avoue que dans la connaissance que j’eus de des très-hauts mystères et décrets, je fus ravie d’admiration et tout hors de moi-même. Et connaissant cette très-sainte et très-pure créature, formée et désignée dans l’entendement divin dès le commencement et avant tous les siècles, enivrée de joie, je glorifie le Tout-Puissant de l’admirable et mystérieux décret qu’il fit de nous créer une si pure, si grande, si mystique et si divine créature, plus digne d’être admirée et louée de toutes les autres, qu’il n’est possible d’en faire la description. Et je pourrais (370) bien dire dans cette admiration ce que dit saint Denis l’Aréopagite, que si la foi ne m’enseignait et la connaissance de ce que je vois ne me convainquait que c’est Dieu qui la forme dans son idée, et que sa seule toute-puissance pouvait et peut former une telle image de sa divinité; et si tout cela ne m’était représenté dans un même temps, je pourrais douter si cette Vierge Mère aurait été elle – même une divinité.

44. Oh! combien de larmes sortent de mes yeux, et quelle perçante admiration ressent mon âme, de voir que ce divin prodige et cette merveille du Très-Haut ne soit pas connue, ni manifestée à tous les mortels! On en tonnait beaucoup, mais on en ignore bien davantage, parce que ce livre scellé n’a pas été ouvert. La connaissance de ce tabernacle de Dieu me suspend, et je reconnais son auteur plus admirable en sa formation que dans tout le reste des autres créatures inférieures à cette Dame, bien que leur diversité publie hautement la gloire et la puissance de leur Créateur mais cette Reine les renferme toutes, et possède plus de trésors elle seule que toutes les autres ensemble; la variété et l’inestimable valeur de ses richesses exaltent et glorifient plus son auteur qu’elles ne sauraient faire.

45. Dans cet instant il fut promis au Verbe (selon notre manière de parler), comme par un contrat touchant la sainteté, la perfection et les dons de grâce et de gloire, que celle qui était destinée pour être sa Mère devait recevoir, combien serait protégée et défendue cette véritable cité de Dieu, dans laquelle sa Majesté contempla les grâces et les mérites que cette princesse devait acquérir pour soi, et les fruits qu’elle pourrait procurer à son peuple par l’amour et par le retour qu’il en recevrait. Dans ce même instant, et comme en troisième et dernier lieu, Dieu détermina de créer un endroit où le Verbe fait homme et sa Mère pussent habiter et converser. Il créa en premier lieu, à leur considération et pour eux seuls, le ciel,les astres, la terre, les éléments et tout ce qu’ils contiennent. Le second décret et l’intention suivante fut pour les membres dont il devait être le chef et pour les sujets dont il devait âtre le roi; car tout le nécessaire fut disposé par avance avec une providence royale.

46. Je passe au cinquième instant, bien que j’aie trouvé ce que je cherchais. La création de la nature angélique fut déterminée dans ce cinquième: car étant plus excellents et plus proportionnés à la Divinité par leur être spirituel, leur création, l’admirable disposition des neuf choeurs et des trois hiérarchies furent premièrement prévues et décrétées. Ayant été crées en premier lieu pour la gloire de Dieu, pour servir, pour connaître et pour aimer sa Majesté, néanmoins ils furent ordonnés en second lieu pour assister, glorifier, honorer et servir l’humanité divinisée dans le Verbe éternel, et la reconnaître pour leur chef, et sa très-sainte Mère pour leur reine, avec ordre de les suivre en toutes leurs voies (1). Et notre Seigneur Jésus-Christ leur mérita dans cet instant par ses mérites infinis, présents et prévus, toutes les grâces qu’ils recevraient; il fut même établi leur chef, leur modèle et leur roi souverain, dont ils étaient sujets. Et, bien que le nombre des anges fût infini, les mérites de notre Seigneur Jésus-Christ étaient plus que suffisants pour leur mériter la grâce.

47. La prédestination des bons et la réprobation des mauvais anges appartient à cet instant, dans lequel Dieu vit et connut par sa science infinie les oeuvres des uns et des autres, avec l’ordre qu’il fallait pour prédestiner par sa volonté et par sa miséricorde ceux qui lui devaient âtre obéissants, et pour réprouver par sa justice ceux qui devaient se révolter contre sa Majesté par leur orgueil, par leur désobéissance et par leur amour-propre désordonné. Il fut déterminé dans ce même instant de créer le ciel empyrée, où Dieu devait manifester sa gloire et récompenser les bons dans cette même gloire ; la terre et le reste pour l’usage des autres créatures; et dans son centre ou son plus bas lieu, l’enfer pour y punir les mauvais anges.

48. Dans le sixième instant, il fut arrêté de créer un peuple et une multitude d’hommes à Jésus-Christ, qui avaient été désignés auparavant dans l’entendement et dans la volonté divine; leur formation fut décrétée à son image et à sa ressemblance, afin que le Verbe humanisé eût des frères semblables et inférieurs à lui, dont il serait le chef. Dans cet instant l’ordre de la création de tout le genre humain fut déterminé, (373) qui commencerait d’un seul homme et d’une seule femme, qui se multiplierait par leur moyen, jusqu’à la sainte Vierge et à son Fils, selon l’ordre qu’il y fut conçu. On y ordonna, par les mérites de Jésus-Christ notre Sauveur, la grâce, les dons qu’on leur devait faire, et la justice originelle s’ils y voulaient persévérer; et l’on. y prévit la chute d’Adam, et en lui celle de tous ses descendants, excepté la sainte Vierge, qui, ne fut pas comprise dans ce décret; on y ordonna leur remède, et que la très-sainte humanité serait passible; lés prédestinés y furent choisis par une grâce libérale, et les réprouvés rejetés par une justice équitable.

Tout ce qui était nécessaire pour la conservation de la nature humaine et pour obtenir cette fin de la rédemption et de. la prédestination y fut ordonné; leur volonté libre étant laissée à tous les hommes, parce cela était plus conforme à leur nature et à la justice divine. On ne leur fit aucun tort, parce que, s’ils purent pécher avec leur libre arbitre, ils pouvaient ?ne le pas faire avec la grâce et la lumière de la raison; car Dieu ne devait violenter personne, comme aussi il ne prétend pas manquer au besoin, ni refuser le nécessaire à qui que ce soit. Ayant écrit sa loi dans les cœurs de tous les hommes (1), personne ne peut l’excuser de ne pas le reconnaître et de ne pas l’aimer comme le souverain bien et l’auteur de tout ce qui est créé.

49. Je connaissais dans l’intelligence de ces mystères avec une perçante clarté les grands et relevés motifs que les mortels avaient de louer et d’adorer leur Créateur et Rédempteur, par ce qui nous était manifesté dans ces ouvrages de sa gloire et de sa puissance. Je connaissais aussi combien ils sont lents à reconnaître ces obligations et à correspondre à de tels bienfaits; et combien sont justes les raisons qu’a le Très-Haut de se plaindre et de s’indigner de cet oubli. Sa Majesté me commanda et m’exhorta de ne pas tomber dans cette ingratitude, mais au contraire de lui offrir un sacrifice de louange et un cantique nouveau, et de le glorifier pour toutes les créatures.

50. Mon très-haut et incompréhensible Seigneur, qui pourrait avoir l’amour et les perfections de tous les anges et de tous les justes ensemble, pour glorifier et louer dignement vos grandeurs ! Je déclare, mon tout-puissant Seigneur, que cette chétive créature n’a pu mériter un si mémorable bienfait, que d’avoir reçu une si claire connaissance et une si grande lumière de votre ineffable Majesté; dans laquelle vue je vois aussi ma bassesse, que j’ignorais avant cette heure fortunée, ne pénétrant pas l’importance de cette vertu humiliante que l’on découvre et que l’on apprend dans cette science. Je ne voudrais pas me flatter de la posséder, mais je ne voudrais pas non plus nier avoir connu le moyen assuré de la trouver; parce que votre lumière, mon divin Maître, m’a éclairée, et le flambeau de votre grâce m’a découvert les voies qui me font connaître (3759 ce que j’ai été, ce que je suis (1), et me font craindre ce que je puis devenir. Vous avez, Seigneur, éclairé mon entendement et enflammé ma volonté par le très-noble objet de ces puissances, et vous m’avez entièrement soumise à tout ce qui peut vous plaire; j’en fais la déclaration à tous les mortels, afin qu’ils m’abandonnent et que je les abandonne. Je suis donc à mon bien-situé, et (quoique je ne le mérite pas) mon bien-aimé est à moi (2). Fortifiez donc, Seigneur, ma faiblesse, afin que je coure après les charmes de vos odeurs (3), qu’en courant je vous possède, qu’ut vous possédant je ne vous abandonne plus, et que je sois sans crainte de vous laisser et de vous perdre.

51. Je suis fort briève et bégayante dans ce chapitre, car on en pourrait faire plusieurs livres; mais j’abrége, parce que les paroles me manquent et que suis une pauvre ignorante, mon intention ayant été de déclarer seulement comme la très-sainte Vierge et Mère fut désignée et prévue avant tous les siècles dans l’entendement divin (4). Après quoi je me retire dans mon intérieur pour y contempler et admirer en silence ce que je ne puis exprimer de ce mystère ineffable, et pour y louer en esprit l’auteur de ces merveilles, lui disant le cantique des bienheureux : Saint, Saint, Saint est le Dieu des armées (5).