Traité de la Discrétion – Chapitre XVII, XVIII, XIX, XX

XVII.- Dieu se plaint de ses créatures raisonnables et surtout de leur amour-propre.

1.- Dieu, tout embrasé d’amour pour notre salut, excitait de plus en plus l’amour et la douleur dans cette âme, en lui montrant avec quelle passion il avait cherché l’homme, et il lui disait : Ma fille, ne vois-tu pas que l’homme me frappe et m’offense, moi qui l’ai créé avec tant d’amour, moi qui l’ai comblé de dons presque infinis, que je lui ai accordés par grâce et non par mérite. Tu vois combien de péchés différents il commet contre moi et combien il m’offense surtout par ce misérable et abominable amour-propre d’où vient tout le mal.

2.- C’est cet amour qui empoisonne le monde entier; car si mon amour produit toutes les vertus qui s’appliquent au prochain, l’amour-propre renferme en lui tout mal, parce qu’il vient de l’orgueil, comme le mien vient de la charité. Ce mal s’accomplit par le moyen de la créature et détruit la charité du prochain, parce que celui qui ne m’aime pas, n’aime pas le prochain : ces deux amours sont unis ensemble. Je t’ai dit que tout bien et tout mal se faisaient par le prochain.

3.- N’ai-je pas raison de me plaindre de l’homme, qui n’a reçu de moi que des bienfaits, et qui ne me rend que de la haine et des offenses? Cependant, je te l’ai dit et je- te le répète, les larmes de mes serviteurs peuvent apaiser ma colère; oui, vous tous qui me servez, répandez sans cesse en ma présence Vos ferventes prières et vos ardents désirs; pleurez amèrement les offenses qui me sont faites et le (31) malheur des âmes qui se perdent, et vous adoucirez la rigueur de mes divins jugements.

XVIII.- Personne ne peut échapper aux mains de Dieu : tous éprouvent sa miséricorde ou sa justice.

1.- Apprends, ma fille, que personne ne peut échapper à mes mains, parce que je suis celui qui suis. Vous n’avez pas l’être par vous-mêmes, mais vous êtes faits par moi, qui suis le créateur de toutes les choses qui participent à l’être, excepté du péché, qui n’est pas, car il n’a pas été fait par moi, et comme il n’est pas en moi, il n’est pas digne d’être aimé.

2.- La créature se rend coupable parce qu’elle aime le péché, qu’elle ne devrait pas aimer, et parce qu’elle me hait, moi qu’elle devrait tant aimer, puisque je suis le souverain Bien, et que je lui ai donné l’être avec tant d’amour. Mais elle ne peut m’échapper : ou elle est punie par ma justice pour ses fautes, ou elle est sauvée par ma miséricorde. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde ma main, et tu verras la vérité de ce que je te dis.

3.- Cette âme, pour obéir à l’ordre du Père suprême, regarda, et vit dans sa main l’univers tout entier. Et Dieu lui disait : Ma fille, vois et comprends que personne ne peut m’échapper; tous sont les sujets de ma justice ou de ma miséricorde, car tous ont été créés par moi, et je les aime d’un amour ineffable; malgré toutes leurs iniquités, je leur ferai miséricorde, et je t’accorderai ce que tu m’as demandé avec tant de larmes et d’ardeur.

XIX.- L’âme, de plus en plus embrasée d’amour, désire répandre son sang- Elle s’accuse elle-même, et prie particulièrement pour son père spirituel.

1.- Alors cette âme, ivre d’amour et tout hors d’elle-même, dans l’ardeur toujours croissante de ses saints désirs, était à la fois heureuse et pleine de douleur. Elle était heureuse parce qu’elle était unie à Dieu, jouissant des largesses de sa bonté et tout anéantie dans sa (32) miséricorde; elle était pleine de douleur parce qu’elle voyait offenser cette bonté infinie. Elle rendait grâces à la Majesté divine en comprenant que Dieu lui avait manifesté les défauts de ses créatures pour la contraindre à s’adresser à lui avec plus de zèle et de désir.

2.- Elle sentait son amour se renouveler au sein de Dieu, et cette sainte flamme de l’amour devenait si ardente, qu’elle désirait changer en sueurs de sang ces sueurs que causaient à son corps les violences de son âme, parce que l’union de son âme avec Dieu était plus grande que l’union de son âme et de son corps. La force de l’amour la baignait de sueurs, mais elle en avait honte, car c’était son sang qu’elle aurait voulu voir couler. Elle se disait à elle-même : O ma pauvre âme, tu as perdu tous les instants de ta vie; il y a tant de péchés dans le monde et dans l’Église, tant de malheurs généraux et particuliers f Je voudrais te les voir réparer par une sueur de sang.

3.- C’est que cette âme avait bien compris les enseignements de l’éternelle Vérité, le besoin de se connaître, la bonté de Dieu à son égard, et le moyen de réparer le mal dans le monde et d’apaiser la justice irritée du Ciel par d’humbles et continuelles prières. Elle excitait de plus en plus ses désirs et appliquait davantage son intelligence à la contemplation de la charité divine; elle voyait et sentait combien nous sommes tenus d’aimer et de chercher la gloire et la louange du nom de Dieu dans le salut des âmes. Elle comprenait que c’était la vocation des serviteurs de Dieu. C’était surtout celle à laquelle la Vérité éternelle appelait le père de son âme, et elle l’offrait à la bonté divine, demandant avec ferveur pour lui la lumière de la grâce, afin qu’il accomplît véritablement la volonté de Dieu en toutes choses.

XX.- On ne peut plaire à Dieu qu’en supportant les tribulations avec patience.

1.- Alors Dieu répondit à cette demande que lui inspirait l’ardent désir qu’elle avait du salut de son père spirituel. Il lui disait : Ma fille, ma volonté est qu’il cherche à me (33) plaire par sa faim et son zèle pour le salut des âmes; mais ni toi ni lui ne pourrez y parvenir sans souffrir les nombreuses persécutions que je jugerai utile de vous accorder.

2.- Si vous désirez me voir honorer dans l’Église, vous devez vouloir et aimer souffrir avec patience : ce sera la preuve que toi, ton père spirituel, et mes autres serviteurs, vous cherchez véritablement ma gloire. Vous mériterez ainsi ma tendresse paternelle; vous reposerez sur la poitrine de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné comme un pont, pour que tous vous puissiez atteindre votre fin dernière, et recevoir le fruit des peines que vous aurez supportées courageusement par amour pour moi. (34)