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La Cène Pascale – Réflexions sur la dernière Cène

La Cène Pascale – 1ère partie.

Vision du vendredi 9 mars 1945

C’est le commencement de la souffrance du Jeudi Saint.

Les apôtres – ils sont dix – s’occupent activement de préparer le Cénacle.

Judas, grimpé sur la table, regarde s’il y a de l’huile dans tous les lampions du grand lampadaire qui ressemble à une corolle de fuchsia double, car la tige de suspension est entourée de cinq ampoules qui ressemblent à des pétales, puis un second tour, plus bas, qui est une vraie couronne de petites flammes; puis il y a enfin trois petits lampions suspendus à des chaînettes qui semblent les pistils de la fleur lumineuse. Puis il saute par terre et aide André à disposer avec art la vaisselle sur la table sur laquelle on a étendu une nappe très fine. J’entends André qui dit : « Quel lin splendide ! »

Et l’Iscariote : « Un des meilleurs de Lazare. Marthe a voulu absolument l’apporter. »

« Et ces calices ? et ces amphores, alors ? » observe Thomas qui a mis le vin dans les amphores précieuses et les regarde avec admiration en se regardant dans leurs fines panses et il en caresse les poignées ciselées d’un œil de connaisseur.

« Qui sait quelle valeur, hein ? » demande Judas Iscariote.

« C’est travaillé au marteau. Mon père en serait fou. L’argent et l’or en feuilles se plient facilement à la chaleur. Mais traité ainsi… Un moment peut tout abîmer. Il suffit d’un coup mal donné. Il faut en même temps de la force et de la légèreté. Tu vois les poignées ? Elles sont tirées de la masse et ne sont pas soudées. Choses de riches… Pense que toute la limaille et le dégrossissement se perdent. Je ne sais pas si tu me comprends. »

« Hé ! si je comprends ! C’est comme fait un sculpteur. »

« Tout à fait cela. »

Tous admirent, puis retournent à leur travail. Tel dispose les sièges et tel autre prépare les crédences.

Pierre et Simon entrent ensemble.

« Oh ! vous êtes venus finalement ! Où êtes-vous allés de nouveau ? Après être arrivés avec le Maître et nous, vous vous êtes enfuis de nouveau » dit l’Iscariote.

« Encore une tâche avant l’heure » répond brièvement Simon.

« Tu es mélancolique ? »

« Je crois qu’avec ce qu’on a entendu en ces jours et de ces lèvres que jamais on ne trouve mensongères, il y en a bien une raison. »

« Et avec cette puanteur de… Bon ! tais-toi, Pierre » murmure Pierre entre ses dents.

« Toi aussi !… Tu me sembles fou depuis quelques jours. Tu as la figure d’un lapin sauvage qui sent derrière lui le chacal » répond Judas l’Iscariote.

« Et toi, tu as le museau de la fouine. Toi aussi, tu n’es pas très beau depuis quelques jours. Tu regardes d’une façon… Tu as même l’œil de travers… Qui attends-tu ou qu’espères-tu voir ? Tu sembles plein d’assurance, tu veux le faire paraître, mais tu as l’air de quelqu’un qui a peur » réplique Pierre.

« Oh ! Quant à la peur !… Tu n’es certainement pas un héros, toi non plus ! »

« Personne de nous ne l’est, Judas. Tu portes le nom du Macchabée, mais tu ne l’es pas. Moi, je dis avec mon nom : « Dieu fait grâce » , mais je te jure que j’ai en moi le tremblement de qui sait porter malheur et d’être surtout dans la disgrâce de Dieu. Simon de Jonas, rebaptisé « la pierre », est mou maintenant comme de la cire près du feu. Il ne se cramponne plus par sa volonté. Lui, que je n’ai jamais vu trembler dans les plus violentes tempêtes ! Matthieu, Barthélemy et Philippe semblent des somnambules. Mon frère et André ne font que soupirer. Les deux cousins, qui ont la douleur de la parenté avec celle de l’amour pour le Maître, regarde-les. Ils semblent déjà des vieillards. Thomas a perdu son entrain, et Simon semble redevenu le lépreux épuisé d’il y a maintenant trois ans tant il est creusé par la douleur, je dirais corrodé, livide, avili » lui répond Jean.

« Oui. Il nous a tous suggestionnés par sa mélancolie » observe l’Iscariote.

« Mon cousin Jésus, mon Maître et Seigneur et le vôtre, est et n’est pas mélancolique. Si tu veux dire par ce nom qu’il est triste à cause de la douleur excessive que tout Israël est en train de Lui donner, et que nous voyons, et l’autre douleur cachée que Lui seul voit, je te dis : « Tu as raison ». Mais si tu uses de ce terme pour dire qu’il est fou, je te l’interdis » dit Jacques d’Alphée.

« Et n’est-ce pas de la folie qu’une idée fixe de mélancolie ? J’ai fait aussi des études profanes, et je sais. Il a trop donné de Lui-même. Maintenant il a l’esprit épuisé. »

« Ce qui signifie de la démence. N’est-ce pas ? » demande l’autre cousin Jude, apparemment calme.

« Tout à fait cela ! Il avait bien vu ton père, juste de sainte mémoire, à qui tu ressembles pour la justice et la sagesse ! Jésus, triste destin d’une illustre maison trop vieille et frappée de sénilité psychique, a toujours eu une tendance à cette maladie, d’abord douce, puis toujours de plus en plus agressive. Tu as vu comme il a attaqué pharisiens et scribes, sadducéens et hérodiens. Il s’est rendu la vie impossible comme un chemin couvert d’éclats de quartz. Et c’est Lui qui les a semés. Nous… nous l’aimions tant que l’amour nous l’a caché. Mais ceux qui l’ont aimé sans l’idolâtrer : ton père, ton frère Joseph, et Simon au début, ont vu juste… nous devions ouvrir les yeux en les écoutant. Au contraire, nous avons été tous séduits par sa douce fascination de malade. Et maintenant… Hélas ! »

Jude Thaddée qui, aussi grand que l’Iscariote, est justement en face de lui et paraît l’écouter paisiblement, a un déclic violent et d’un puissant revers de main il couche Judas sur un des sièges et avec une colère contenue, sans éclat de voix, se penchant, siffle sur son visage de lâche, et Judas ne réagit pas, craignant peut-être que le Thaddée soit au courant de son crime : « Voilà pour la démence, reptile ! Et c’est seulement parce que Lui est à côté et que c’est le soir de Pâque que je ne t’étrangle pas. Mais réfléchis, réfléchis bien ! S’il Lui arrive du mal et qu’il n’est plus là pour arrêter ma force, personne ne te sauve. C’est comme si déjà tu avais la corde au cou et ce seront ces mains honnêtes et fortes d’artisan galiléen et de descendant du frondeur de Goliath qui feront ton affaire. Lève-toi, mollasson libertin ! Et surveille ta conduite. »

Judas se lève, livide, sans la moindre réaction. Et, ce qui me surprend, personne ne réagit au nouveau geste du Thaddée. Au contraire !… Il est clair que tous approuvent.

L’ambiance est à peine redevenue tranquille que Jésus entre. Il se présente au seuil de la petite porte par laquelle sa grande taille passe difficilement, met le pied sur le petit palier et, avec son sourire doux et triste, dit en ouvrant les bras : « La paix soit avec vous. » Sa voix est lasse comme celle de quelqu’un qui souffre physiquement et moralement.

Il descend, caresse la tête blonde de Jean qui est accouru près de Lui. Comme s’il ignorait tout, il sourit à son cousin Jude et il dit à l’autre cousin : « Ta mère te prie d’être doux avec Joseph. Tout à l’heure il a demandé aux femmes de mes nouvelles et des tiennes. Je regrette de ne l’avoir pas salué. »

« Tu le feras demain. »

« Demain ?… Mais j’aurai toujours le temps de le voir… Oh ! Pierre ! Nous allons rester finalement un peu ensemble ! Depuis hier, tu semblés pour Moi un feu follet. Je te vois, puis je ne te vois plus. Aujourd’hui je puis presque dire que je t’ai perdu. Toi aussi, Simon. »

« Nos cheveux plutôt blancs que noirs peuvent t’assurer que nous ne nous sommes pas absentés par désir de la chair » dit Simon avec sérieux.

« Bien que… à tout âge on peut avoir cette faim… Les vieux ! Pires que les jeunes… » dit l’Iscariote offensif.

Simon le regarde et il va répliquer. Mais Jésus le regarde aussi et dit : « Tu as mal aux dents ? Tu as la joue droite enflée et rouge. »

« Oui, j’ai mal. Mais ce n’est pas la peine de s’en occuper. »

Les autres ne disent rien, et l’affaire se termine ainsi.

« Avez-vous fait tout ce qu’il fallait faire ? Toi, Matthieu ? Et toi, André ? Et toi, Judas, as-tu pensé à l’offrande au Temple ? »

Les deux premiers, aussi bien que l’Iscariote, disent : « Tout est fait de ce que tu avais dit de faire pour aujourd’hui. Sois tranquille. »

« Moi, j’ai apporté les primeurs de Lazare à Jeanne de Chouza, pour les enfants. Ils m’ont dit : « Elles étaient meilleurs ces pommes ! » Elles avaient la saveur de la faim, celles-là ! Et c’était tes pommes » dit Jean souriant et rêvant.

Jésus aussi sourit à un souvenir…

« J’ai vu Nicodème et Joseph » dit Thomas.

« Tu les as vus ? Tu as parlé avec eux ? » demande l’Iscariote avec un intérêt exagéré.

« Oui. Qu’y a-t-il d’étrange ? Joseph est un bon client de mon père. »

« Tu ne l’avais pas dit avant… C’est pour cela que j’ai été étonné !… » Judas essaie de dépailler l’impression, qu’il avait donnée d’abord, de son inquiétude pour la rencontre de Joseph et de Nicodème avec Thomas.

« Il me semble étrange qu’ils ne soient pas venus ici pour te vénérer. Ni eux, ni Chouza, ni Manaën… Aucun des… »

Mais l’Iscariote, avec un faux rire, interrompt Barthélemy et il dit : « Le crocodile se terre quand il le faut. »

« Que veux-tu dire ? Qu’insinues-tu ? » demande Simon, agressif comme il n’a jamais été.

« Paix, paix ! Mais qu’avez-vous ? C’est la soirée pascale ! Jamais nous n’avons eu un si digne apparat pour consommer l’agneau. Consommons donc la cène dans un esprit de paix. Je vois que je vous ai beaucoup troublés par mes instructions de ces derniers soirs. Mais, vous voyez ? J’ai fini ! Maintenant je ne vous troublerai plus. Tout n’est pas dit de ce qui se rapporte à Moi. Seulement l’essentiel. Le reste… vous le comprendrez par la suite. Il vous sera dit… Oui. Il viendra Celui qui vous le dira ! Jean, va avec Judas et un autre, prendre les coupes pour la purification. Et puis assoyons-nous à table. » Jésus est d’une douceur déchirante.

Jean avec André, Jude Thaddée avec Jacques, apportent la vaste coupe, y versent l’eau et offrent l’essuie-mains à Jésus et à leurs compagnons qui font la même chose avec eux. La coupe (qui est un bassin de métal) est mise dans un coin.

« Et maintenant à vos places. Moi ici, et ici (à droite) Jean et de l’autre côté mon fidèle Jacques. Les deux premiers disciples. Après Jean ma Pierre forte et après Jacques celui qui est comme l’air. On ne le remarque pas, mais il est toujours présent et réconforte : André. Près de lui, mon cousin Jacques. Tu ne te plains pas, doux frère, si je donne la première place aux premiers ? Tu es le neveu du Juste dont l’esprit palpite et plane sur Moi en cette soirée plus que jamais. Aie la paix, père de ma faiblesse enfantine, chêne à l’ombre duquel se restaurèrent la Mère et le Fils ! Aie la paix !… Après Pierre: Simon… Simon, viens ici un moment. Je veux fixer ton visage loyal. Après, je ne te verrai plus que mal car les autres me couvriront ta figure honnête. Merci, Simon. De tout » et il l’embrasse.

Simon, quand il le laisse, va à sa place portant ses mains à son visage en marquant son affliction.

« En face de Simon, mon Bartholmaï, deux honnêtetés et deux sagesses qui se reflètent. Ils sont bien ensemble. Et tout près, toi, Jude mon frère. Ainsi je te vois… et il me semble être à Nazareth… quand quelque fête nous réunissait tous à une table… Et aussi à Cana… Tu te souviens ? Nous étions ensemble. Une fête… une fête de noces… le premier miracle… l’eau changée en vin… Aujourd’hui aussi une fête… et aujourd’hui aussi il y aura un miracle… le vin changera de nature… et il sera… »

Jésus se plonge dans ses pensées, la tête inclinée, et comme isolé dans son monde secret. Les autres le regardent et ne parlent pas.

Il relève la tête et fixe Judas Iscariote auquel il dit : « Tu seras en face de Moi. »

« Tu m’aimes à ce point ? Plus que Simon, que tu veux toujours m’avoir en face de Toi ? »

« Tellement. Tu l’as dit. »

« Pourquoi, Maître ? »

« Parce que tu es celui qui a fait plus que tous pour cette heure. »

Judas jette un regard changé sur le Maître et sur ses compagnons. Sur le premier avec un air de compassion, sur les autres avec un air de triomphe.

« Et à côté de toi, d’une part Matthieu, de l’autre Thomas. »

« Alors Matthieu à ma gauche et Thomas à ma droite. »

« Comme tu veux, comme tu veux » dit Matthieu. « Il me suffît d’avoir bien en face de moi mon Sauveur. »

« Le dernier, Philippe. Voilà, vous voyez ? Qui n’est pas à côté de Moi du côté d’honneur, a l’honneur d’être en face de Moi. »

Jésus, debout à sa place, verse dans le grand calice placé devant Lui (tous ont de hauts calices, mais Lui en a un beaucoup plus grand en plus de celui des autres. Ce doit être le calice rituel). Il verse le vin. Il l’élève, l’offre, le repose.

Puis tous ensemble demandent sur le ton du psaume : « Pourquoi cette cérémonie ? » Question de pure forme, on la comprend rituelle.

Jésus, en chef de famille, y répond : « Ce jour rappelle notre libération de l’Égypte. Que soit béni Jéovah qui a créé le fruit de la vigne ». Il boit une gorgée de ce vin qu’il a offert et passe le calice aux autres. Puis il offre le pain, en fait des morceaux, le distribue, ensuite les légumes trempés dans la sauce rougeâtre qui est dans quatre saucières.

Une fois terminée cette partie du repas, ils chantent des psaumes tous en chœur.

On apporte de la crédence sur la table et on place en face de Jésus le grand plateau de l’agneau rôti.

Pierre qui a le rôle de… première partie du chœur, si vous voulez, demande: « Pourquoi cet agneau ainsi présenté ? »

« En souvenir de quand Israël fut sauvé par l’agneau immolé. Le premier-né ne mourut pas là où le sang brillait sur les montants de la porte et sur l’architrave. Et ensuite, alors que l’Égypte pleurait ses fils premiers-nés qui étaient morts, depuis le palais royal jusqu’aux taudis, les hébreux, commandés par Moïse, se mirent en marche vers la terre de la libération et de la promesse. Les côtés déjà ceints, les sandales aux pieds, le bourdon en main, le peuple d’Abraham s’empressa de se mettre en marche en chantant les hymnes de la joie »

Tous se lèvent debout et entonnent : « Quand Israël sortit d’Égypte et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, la Judée devint son sanctuaire » et cætera.

Maintenant Jésus découpe l’agneau, verse un nouveau calice, le passe après en avoir bu. Puis ils chantent encore: « Enfants, louez le Seigneur. Que soit béni le Nom de l’Éternel maintenant et toujours dans les siècles. De l’orient à l’occident Il doit être loué » et cætera.

Jésus donne les parts en faisant attention que chacun soit bien servi, exactement comme un père de famille parmi ses fils qui lui sont tous chers. Il est solennel, un peu triste, alors qu’il dit : « J’ai ardemment désiré de manger avec vous cette Pâque. Cela a été mon désir des désirs depuis qu’éternellement j’ai été le « Sauveur ». Je savais que cette heure précéderait cette autre, et la joie de me donner mettait à l’avance ce soulagement à mon martyre…

J’ai ardemment désiré de manger avec vous cette Pâque car jamais plus je ne goûterai du fruit de la vigne jusqu’à ce que soit venu le Royaume de Dieu. Alors je m’assiérai de nouveau avec les élus au Banquet de l’Agneau, pour les noces des Vivants avec le Vivant. Mais y viendront seulement ceux qui auront été humbles et purs de cœur comme je le suis. »

« Maître, tout à l’heure tu as dit que qui n’a pas l’honneur de la place, a celui d’être en face de Toi. Comment alors pouvons-nous savoir qui est le premier d’entre nous ? » demande Barthélemy.

« Tous et personne. Une fois… nous revenions fatigués… avec la nausée de la rancœur des pharisiens. Mais vous n’étiez pas las pour discuter entre vous qui était le plus grand… Un enfant accourut près de Moi… un de mes petits amis… Et son innocence adoucit mon dégoût de tant de choses. Ce n’était pas pour dernière votre humanité opiniâtre. Où es-tu maintenant, petit Benjamin à la réponse sage, venue à toi du Ciel car, ange comme tu l’étais, l’Esprit te parlait ? Je vous ai dit alors : « Si quelqu’un veut être le premier qu’il soit le dernier et le serviteur de tous ». Et je vous ai donné en exemple l’enfant sage. Maintenant je vous dis : « Les rois des nations les dominent. Et les peuples opprimés, tout en les haïssant, les acclament et on les appelle les rois ‘Bienfaiteurs’, ‘Pères de la Patrie’, mais la haine couve sous le respect menteur ». Mais parmi vous qu’il n’en soit pas ainsi. Que le plus grand soit comme le plus petit, le chef comme celui qui sert. Qui, en fait, est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? C’est celui qui est à table. Et pourtant, Moi je vous sers, et d’ici peu, je vous servirai davantage. Vous êtes ceux qui ont été avec Moi dans les épreuves, et Moi je dispose pour vous d’une place dans mon Royaume, de même que j’y serai Roi selon la volonté du Père, afin que vous mangiez et buviez à ma table éternelle et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Vous êtes restés avec Moi dans les épreuves… Il n’y a que cela qui vous donne de la grandeur aux yeux du Père. »

« Et ceux qui viendront ? Ils n’auront pas de place dans le Royaume ? Nous seuls ? »

« Oh ! que de princes dans ma Maison ! Tous ceux qui auront été fidèles au Christ dans les épreuves de la vie seront des princes dans mon Royaume, car ceux qui auront persévéré jusqu’à la fin dans le martyre de l’existence seront pareils à vous qui êtes restés avec Moi dans mes épreuves. Je m’identifie avec ceux qui croient en Moi.

La Douleur que j’embrasse pour vous et pour tous les hommes, je la donne comme enseigne à ceux qui sont particulièrement élus. Celui qui me sera fidèle dans la Douleur sera un de mes bienheureux, pareil à vous, ô mes aimés. »

« Nous avons persévéré jusqu’à la fin. »

« Tu le crois, Pierre ? Et Moi, je te dis que l’heure de l’épreuve n’est pas encore venue. Simon, Simon de Jonas, voilà que Satan a demandé de vous vanner comme le grain. J’ai prié pour toi, pour que ta foi ne vacille pas. Toi, quand tu te seras repenti, confirme tes frères. »

« Je sais que je suis un pécheur. Mais je serai fidèle à Toi jusqu’à la mort. Je n’ai pas ce péché. Je ne l’aurai jamais. »

« Ne sois pas orgueilleux, mon Pierre. Cette heure changera une infinité de choses qui avant étaient ainsi et qui maintenant seront différentes. Combien !… Elles apportent et imposent des nécessités nouvelles. Vous le savez. Je vous l’ai toujours dit, même quand nous allions par des chemins écartés, parcourus par des bandits : « Ne craignez pas, il ne vous arrivera aucun mal parce que les anges du Seigneur sont avec nous. Ne vous préoccupez de rien ». Vous rappelez-vous quand je vous disais : « N’ayez pas d’inquiétudes pour ce que vous devez manger et pour le vêtement. Le Père sait de quoi nous avons besoin » ? Je vous disais aussi : « L’homme est beaucoup plus qu’un passereau et que la fleur qui aujourd’hui est de l’herbe et demain est du foin. Et pourtant le Père a soin aussi de la fleur et du petit oiseau. Pouvez-vous alors douter qu’il n’ait pas soin de vous ? » Je vous disais encore : « Donnez à qui vous demande, à celui qui vous offense présentez l’autre joue ». Je vous disais : « N’ayez pas de bourse ni de bâton ». Parce que je vous ai enseigné l’amour et la confiance. Mais maintenant… Maintenant ce n’est plus ce temps. Maintenant je vous dis : « Vous est-il rien manqué jusqu’à maintenant ? Avez-vous jamais été offensés ? »

« Rien, Maître, Et Toi seul as été offensé. »

« Vous voyez donc que ma parole était vraie. Mais maintenant les anges ont tous été rappelés par leur Seigneur. C’est l’heure des démons… Avec leurs ailes d’or, eux, les anges du Seigneur, se couvrent les yeux, s’enveloppent et souffrent de ce que leurs ailes ne soient pas couleur du chagrin, car c’est une heure de deuil, de deuil cruel, sacrilège… Il n’y a pas d’anges sur la Terre ce soir. Ils sont près du trône de Dieu pour couvrir de leur chant les blasphèmes du monde déicide et les pleurs de l’Innocent. Et nous sommes seuls… Vous et Moi : seuls. Et les démons sont les maîtres de l’heure. Aussi maintenant nous allons prendre les apparences et les mesures des pauvres hommes qui se défient et n’aiment pas.

Maintenant que celui qui a une bourse prenne aussi une besace, que celui qui n’a pas d’épée vende son manteau et en achète une, car cela aussi est dit de Moi dans l’Écriture et doit s’accomplir : « Il a été compté parmi les malfaiteurs ». En vérité tout ce qui me concerne a son but. »

Simon, qui s’est levé pour aller au coffre où il a déposé son riche manteau — c’est en effet que ce soir tous ont pris leurs meilleurs habits, et ont par conséquent leurs poignards, damasquinés mais très courts, plutôt couteaux que poignards, à leurs riches ceintures — prend deux épées, deux épées véritables, longues, légèrement courbes, et les porte à Jésus : « Pierre et moi, nous sommes armés ce soir. Nous avons celles-ci, mais les autres n’ont que le court poignard »

Jésus prend les épées, les observe, en dégaine une et essaie le tranchant sur l’ongle. C’est une vue étrange et cela fait une impression encore plus étrange de voir cette arme féroce dans les mains de Jésus.

« Qui vous les a données ? » demande l’Iscariote alors que Jésus observe en silence. Et Judas paraît sur les épines…

« Qui ? Je te rappelle que mon père était noble et puissant. »

« Mais Pierre… »

« Eh bien ? Depuis quand dois-je rendre compte des cadeaux que je veux faire à mes amis ? »

Jésus lève la tête après avoir rengainé l’arme et la rend au Zélote.

« C’est bien, elles suffisent. Tu as bien fait de les prendre. Mais maintenant, avant que l’on boive le troisième calice, attendez un moment. Je vous ai dit que le plus grand est pareil au plus petit et que Moi je suis le serviteur à cette table, et que je vous servirai davantage. Jusqu’à présent je vous ai donné de la nourriture, service pour le corps. Maintenant je veux vous donner une nourriture pour l’esprit. Ce n’est pas un plat du rituel ancien. Il appartient au nouveau rite. J’ai voulu me baptiser avant d’être le « Maître ». Pour répandre la Parole, ce baptême suffisait. Maintenant le Sang sera répandu. Il faut un nouveau baptême même pour vous qui pourtant avez été purifiés, par le Baptiste en son temps, et même aujourd’hui au Temple. Mais cela ne suffit pas encore. Venez que je vous purifie. Suspendez le repas. Il y a quelque chose de plus élevé et de plus nécessaire que la nourriture donnée au ventre pour le remplir, même si c’est une nourriture sainte comme celle du rite pascal. Et c’est un esprit pur, disposé à recevoir le don du Ciel qui déjà descend pour se faire un trône en vous et vous donner la Vie. Donner la Vie à qui est pur. »

Jésus se lève, fait lever Jean pour sortir plus facilement de sa place, va à un coffre et quitte son vêtement rouge pour le plier et le déposer sur le manteau déjà plié, se ceint la taille d’un grand essuie-mains, puis va à un autre bassin encore vide et propre. Il y verse de l’eau, le porte au milieu de la pièce près de la table, et le met sur un tabouret. Les apôtres le regardent étonnés.

« Vous ne me demandez pas ce que je fais ? »

« Nous ne savons pas. Je te dis que nous sommes déjà purifiés » répond Pierre.

« Et je te répète que cela n’a pas importance. Ma purification servira à celui qui est déjà pur à être plus pur. »

Il s’agenouille, délace les sandales de l’Iscariote et lui lave les pieds l’un après l’autre. Il est facile de le faire car les lits-sièges sont tournés de façon que les pieds sont vers l’extérieur. Judas est stupéfait et ne dit rien. Seulement quand Jésus, avant de chausser le pied gauche et de se lever, fait le geste de lui baiser le pied droit déjà chaussé, Judas retire vivement son pied et frappe avec la semelle la bouche divine. Il le fait sans le vouloir. Ce n’est pas un coup fort, mais il me donne tant de douleur. Jésus sourit et à l’apôtre qui Lui demande : « T’ai-je fait mal ? Je ne voulais pas… Pardon », il dit : « Non, ami. Tu l’as fait sans malice et cela ne me fait pas mal. » Judas le regarde. Un regard troublé, fuyant…

Jésus passe à Thomas, puis à Philippe… il suit le côté étroit de la table et arrive à son cousin Jacques. Il le lave, et en se levant le baise au front. Il passe à André qui rougit de honte et fait des efforts pour ne pas pleurer, il le lave, le caresse comme un enfant. Puis c’est Jacques de Zébédée qui ne cesse de murmurer : « Oh ! Maître ! Maître ! Maître ! Tu t’anéantis, mon sublime Maître ! » Jean a déjà délacé ses sandales et alors que Jésus se penche pour lui essuyer les pieds, il s’incline pour baiser ses cheveux. Mais Pierre !… Il n’est pas facile de le persuader de se prêter à ce rite !

« Toi, me laver les pieds ? N’y pense pas ! Tant que je suis en vie, je ne le permettrai pas. Je suis un ver, tu es Dieu. Chacun à sa place. »

« Ce que je fais, tu ne peux le comprendre maintenant, mais par la suite, tu le comprendras. Laisse-moi faire. »

« Tout ce que tu veux, Maître. Veux-tu me couper le cou ? Fais-le. Mais me laver les pieds, tu ne le feras pas. »

« Oh ! mon Simon ! Tu ne sais pas que si je ne te lave pas tu n’auras pas part à mon Royaume ? Simon, Simon ! Tu as besoin de cette eau pour ton âme et pour le tant de chemin que tu dois faire. Tu ne veux pas venir avec Moi ? Si je ne te lave pas, tu ne viens pas dans mon Royaume. »

« Oh ! mon Seigneur béni Mais alors lave-moi tout entier ! Pieds, mains et tête ! »

« Celui qui, comme vous, a pris un bain n’a besoin que de se laver les pieds, puisqu’il est entièrement pur. Les pieds… L’homme avec ses pieds va dans les ordures. Et ce serait encore peu car, je vous l’ai dit, ce n’est pas ce qui entre et sort avec la nourriture qui souille, et ce n’est pas ce qui va sur les pieds, en route, qui contamine l’homme. Mais c’est ce qui couve et mûrit dans son cœur et sort de là pour contaminer ses actions et ses membres. Et les pieds de l’homme à l’âme impure vont aux orgies, à la luxure, aux commerces illicites, aux crimes… Ce sont donc parmi les membres du corps, ceux qui ont une grande partie à purifier… avec les yeux, avec la bouche… Oh ! homme ! homme ! Créature parfaite un jour, le premier ! Et ensuite tellement corrompu par le Séducteur ! Et il n’y avait pas de malice en toi, ô homme, et pas de péché !… Et maintenant ? Tu es tout entier malice et péché, et il n’y a pas de parties de toi qui ne pèche pas ! »

Jésus lave les pieds à Pierre, les baise, et Pierre pleure et il prend dans ses grosses mains les mains de Jésus, les passe sur ses yeux et les baise ensuite.

Simon aussi a quitté ses sandales et se laisse laver. Mais ensuite, quand Jésus va passer à Barthélemy, Simon s’agenouille et Lui baise les pieds en disant : « Purifie-moi de la lèpre du péché comme tu m’as purifié de la lèpre du corps, pour que je ne sois pas confondu à l’heure du jugement, mon Sauveur ! »

« Ne crains pas, Simon. Tu viendras dans la Cité céleste blanc comme la neige. »

« Et moi, Seigneur ? À ton vieux Bartholmaï que dis-tu ? Tu m’as vu sous l’ombre du figuier et tu as lu dans mon cœur . Et maintenant que vois-tu, et où me vois-tu ? Rassure un pauvre vieux qui craint de ne pas avoir la force et le temps pour arriver à ce que tu veux qu’il soit. » Barthélemy est très ému.

« Toi aussi, ne crains pas. J’ai dit alors : « Voici un vrai Israélite en qui il n’y a pas de fraude ». Maintenant je dis: « Voilà un vrai chrétien, digne du Christ ». Où je te vois ? Sur un trône éternel, vêtu de pourpre. Je serai toujours avec toi. »

C’est le tour de Jude Thaddée. Celui-ci, quand il voit Jésus à ses pieds, ne sait pas se contenir, il penche la tète sur son bras appuyé à la table et il pleure.

« Ne pleure pas, doux frère. Tu es maintenant comme quelqu’un qui doit supporter qu’on lui enlève un nerf et il te paraît ne pas pouvoir le supporter. Mais ce sera une brève douleur. Puis… oh ! tu seras heureux parce que tu m’aimes. Tu t’appelles Jude, et tu es comme notre grand Jude: comme un géant. Tu es celui qui protège. Tes actions sont du lion et du lionceau qui rugit. Tu découvriras les impies qui reculeront devant toi, et les gens iniques seront terrifiés. Moi, je sais. Sois courageux. Une éternelle union resserrera et rendra parfaite notre parenté dans le Ciel. » Il le baise lui aussi sur le front comme l’autre cousin.

« Je suis pécheur, Maître. Pas à moi… »

« Tu étais pécheur, Matthieu. Maintenant tu es l’Apôtre. Tu es une de mes « voix ». Je te bénis. Ces pieds, que de chemin ils ont fait pour avancer toujours, vers Dieu… L’âme les excitait et ils ont quitté tout chemin qui n’était pas mon chemin. Avance. Sais-tu où finit le sentier ? Sur le sein du Père qui est le mien et le tien »

Jésus a fini. Il enlève la serviette, se lave les mains dans de l’eau propre, reprend son vêtement, retourne à sa place et dit alors qu’il s’assied à sa place : « Maintenant vous êtes purs, mais pas tous. Seulement ceux qui ont eu la volonté de l’être. »

Il fixe Judas de Kériot qui fait semblant de ne pas entendre, occupé à expliquer à son compagnon Matthieu comment son père se décida à l’envoyer à Jérusalem, conversation inutile dont le seul but est de donner une contenance à Judas qui, malgré son audace, doit se sentir mal à l’aise.

Jésus pour la troisième fois verse du vin dans le calice commun. Il boit, fait boire. Puis il entonne et les autres font un chœur : « J’aime parce que le Seigneur écoute la voix de ma prière, parce qu’il tend son oreille vers moi. Je l’invoquerai toute ma vie. J’étais entouré des douleurs de mort » et cætera. Un moment d’arrêt, puis il recommence à chanter : « J’ai eu foi, c’est pour cela que j’ai parlé. Mais j’ai été fortement humilié. Et je disais dans mon trouble : « Tout homme est menteur ». Il regarde fixement Judas. La voix de mon Jésus, fatiguée ce soir, reprend sa force quand il s’écrie : « Elle est précieuse devant Dieu la mort des saints » et « Tu as brisé mes chaînes. Je te sacrifierai une hostie de louange en invoquant le nom du Seigneur » et cætera. Un autre bref arrêt dans le chant et puis il reprend : « Louez tous le Seigneur, ô nations; louez-le tous les peuples. Car elle s’est affermie sur nous sa miséricorde et la vérité du Seigneur dure éternellement ». Un autre arrêt bref et puis un long hymne: « Célébrez le Seigneur car Il est bon, car sa miséricorde dure éternellement … « 

Judas de Kériot chante tellement faux que par deux fois Thomas lui redonne le ton de sa puissante voix de baryton et le regarde fixement. Les autres aussi le regardent car généralement il est bien dans le ton de sa voix, j’ai compris, qu’il en est orgueilleux comme du reste. Mais ce soir ! Certaines phrases le troublent au point qu’il chante faux et de même des regards de Jésus qui soulignent certaines phrases. L’une d’elles : « Il vaut mieux avoir confiance en Dieu que d’avoir confiance en l’homme. » Une autre : « Bousculé, j’ai vacillé et j’allais tomber, mais le Seigneur m’a soutenu. » Une autre c’est : « Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai les œuvres du Seigneur. » Et enfin ces deux, que je dis maintenant, étranglent la voix dans la gorge du Traître : « La pierre rejetée par les constructeurs est devenue la pierre d’angle » et « Béni celui qui vient au nom du Seigneur ! « 

Le psaume fini, pendant que Jésus découpe des tranches de l’agneau et les présente, Matthieu demande à Judas de Kériot : « Mais tu te sens mal ? »

« Non. Laisse-moi tranquille. Ne t’occupe pas de moi. »

Matthieu hausse les épaules.

Jean, qui a entendu, dit : « Le Maître aussi n’est pas bien. Qu’as-tu mon Jésus ? Ta voix est faible comme celle d’un malade ou de quelqu’un qui a beaucoup pleuré » et il l’embrasse en restant la tête sur la poitrine de Jésus.

« Il a seulement beaucoup parlé, comme moi j’ai beaucoup marché et pris froid » dit Judas nerveux.

Et Jésus, sans lui répondre, dit à Jean : « Tu me connais désormais… et tu sais ce qui me fatigue… »

L’agneau est presque consommé. Jésus, qui a très peu mangé en buvant seulement une gorgée de vin à chaque calice et en buvant par contre beaucoup d’eau comme s’il était fiévreux, recommence à parler : « Je veux que vous compreniez mon geste de tout à l’heure. Je vous ai dit que le premier est comme le dernier, et que je vous donnerai une nourriture qui n’est pas corporelle. C’est une nourriture d’humilité que je vous ai donnée, pour votre esprit. Vous m’appelez Maître et Seigneur. Vous dites bien car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez le faire l’un pour l’autre. Je vous ai donné l’exemple afin que vous fassiez comme j’ai fait.

En vérité je vous dis : le serviteur n’est pas plus que le Maître, et l’apôtre n’est pas plus que Celui qui l’a fait tel. Cherchez à comprendre ces choses. Si ensuite, en les comprenant, vous les mettez en pratique vous serez bienheureux. Mais vous ne serez pas tous bienheureux. Je vous connais. Je sais qui j’ai choisi. Je ne parle pas de tous de la même manière, mais je dis ce qui est vrai. D’autre part doit s’accomplir ce qui est écrit à mon sujet: « Celui qui a mangé le pain avec Moi, a levé son talon sur Moi ». Je vous dis tout avant que cela n’arrive, pour que vous n’ayez pas de doutes sur Moi. Quand tout sera accompli, vous croirez encore davantage que Je suis Moi. Celui qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé: le Père Saint qui est dans les Cieux, et celui qui accueillera ceux que je lui enverrai il m’accueillera Moi-même. Car je suis avec le Père et vous êtes avec Moi… Mais maintenant accomplissons le rite. »

Il verse de nouveau du vin dans le calice commun et avant d’en boire et d’en faire boire il se lève, et tous se lèvent avec Lui et il chante de nouveau un des psaumes d’auparavant : « J’ai eu foi, et c’est pour cela que j’ai parlé… » et puis un autre qui n’en finit pas. Beau… mais sans fin ! Je crois le retrouver, pour le commencement et la longueur, dans le psaume 118 . Ils le chantent ainsi. Un morceau tous ensemble, puis à tour de rôle chacun dit un verset et les autres un morceau ensemble, et ainsi jusqu’à la fin. Je crois qu’à la fin ils ont soif !

Jésus s’assied, il ne s’allonge pas. Il reste assis, comme nous, et il parle : « Maintenant que l’ancien rite est accompli, je célèbre le nouveau rite. Je vous ai promis un miracle d’amour. C’est l’heure de le faire. C’est pour cela que j’ai désiré cette Pâque. Dorénavant voilà l’Hostie qui sera consommée dans un perpétuel rite d’amour. Je vous ai aimés pour toute la vie de la Terre, mes chers amis. Je vous ai aimés pour toute l’éternité, mes fils. Et je veux vous aimer jusqu’à la fin. Il n’y a pas de chose plus grande que celle-là. Rappelez-vous-en. Je m’en vais, mais nous resterons unis pour toujours grâce au miracle que maintenant j’accomplis. »

Jésus prend un pain encore entier, le met sur le calice rempli. Il bénit et offre l’un et l’autre, puis il partage le pain, en fait treize morceaux et en donne un à chacun des apôtres en disant: « Prenez et mangez. Ceci est mon Corps. Faites ceci en mémoire de Moi qui m’en vais. »

Il donne le calice et dit : « Prenez et buvez. Ceci est mon Sang. Ceci est le calice du nouveau pacte dans le Sang et par mon Sang qui sera répandu pour vous pour la rémission de vos péchés et pour vous donner la Vie. Faites ceci en mémoire de Moi. »

Source

La Cène Pascale – 2ème partie

Vision du vendredi 9 mars 1945

Jésus est extrêmement triste. Tout sourire, toute trace de lumière, de couleur l’ont quitté. Il a déjà un visage d’agonie. Les apôtres le regardent anxieusement.

 Puis il se lève en disant :

«Ne bougez pas, je reviens tout de suite.»

Il prend le treizième morceau de pain et la coupe, et sort du Cénacle.

«Il va trouver sa Mère» murmure Jean.

Et Jude soupire :

«Pauvre femme !»

Pierre demande tout bas :

«Tu crois qu’elle sait ?

– Elle sait tout. Elle a toujours tout su.»

Ils chuchotent tous comme devant un mort.

«Croyez‑vous donc que, vraiment… demande Thomas, qui ne veut pas encore y croire.

– Tu en doutes ? C’est son heure, répond Jacques, fils de Zébédée.

– Que Dieu nous donne la force de rester fidèles, soupire Simon le Zélote.

– Oh ! moi…» commence Pierre.

Mais Jean, qui est aux aguets, murmure :

«Chut ! Le voici.»

Jésus rentre. Il a dans les mains la coupe vide. C’est à peine s’il reste, au fond, une trace de vin et, sous la lumière du lampadaire, elle ressemble vraiment à du sang.

Judas, qui a la coupe devant lui, la regarde, comme fasciné, puis il détourne les yeux. Jésus l’observe, et il a un frisson que ressent Jean, appuyé comme il l’est sur sa poitrine.

«Dis‑moi, mais tu trembles ! s’écrie‑t‑il.

– Non. Je ne tremble pas de fièvre…

Je vous ai tout dit et je vous ai tout donné. Je ne pouvais vous donner davantage. C’est moi‑même que je vous ai donné.»

Il a son doux geste des mains qui, jointes au‑début, se séparent et s’écartent tandis qu’il baisse la tête comme pour dire : “Excusez‑moi si je ne puis davantage. C’est ainsi.”

«Je vous ai tout dit, et je vous ai tout donné. Je le répète, le nouveau rite est accompli. Faites ceci en mémoire de moi. Je vous ai lavé les pieds pour vous apprendre à être humbles et purs comme votre Maître. Car je vous dis qu’en vérité les disciples doivent être comme leur Maître. Souvenez‑vous‑en bien. Même quand vous serez haut placés, souvenez‑vous‑en. Le disciple n’est pas plus grand que son Maître. De même que je vous ai lavé les pieds, faites‑le entre vous. En d’autres termes, aimez‑vous comme des frères, en vous aidant et en vous vénérant mutuellement, et en étant un exemple les uns pour les autres.

Et soyez purs, pour être dignes de manger le Pain vivant descendu du Ciel et pour avoir en vous et par lui la force d’être mes disciples, dans un monde ennemi qui vous haïra à cause de mon nom. Mais l’un de vous n’est pas pur. L’un de vous me trahira. Mon esprit en est fortement troublé… La main de celui qui me trahit est avec moi sur cette table, et ni mon amour, ni mon corps, ni mon sang, ni ma parole ne le font se raviser et se repentir. Je lui aurais pardonné, en allant à la rencontre de la mort pour lui aussi.»

Terrifiés, les disciples se regardent. Ils se scrutent, se suspectant l’un l’autre. Pierre fixe Judas, tous ses doutes sont réveillés.

Jude se lève brusquement pour dévisager Judas au‑dessus de Matthieu.

Mais Judas montre une telle assurance ! À son tour, il observe attentivement Matthieu comme s’il le suspectait, puis il regarde Jésus et sourit en demandant :

«Serait‑ce moi ?»

Il paraît être le plus sûr de son honnêteté. Il me semble qu’il dit cela pour ne pas laisser tomber la conversation.

Jésus réitère son geste en disant :

«Tu le dis, Judas, fils de Simon. Ce n’est pas moi, c’est toi qui le dis. Je ne t’ai pas nommé. Pourquoi t’accuses‑tu ? Interroge ton conseiller intérieur, ta conscience d’homme, la conscience que Dieu le Père t’a donnée pour te conduire en homme, et vois si elle t’accuse. Tu le sauras avant tous les autres. Mais si elle te rassure, pourquoi parler, et pourquoi y penser ? En parler ou y penser est anathème, même pour plaisanter.»

Jésus s’exprime tranquillement. Il semble soutenir la thèse proposée comme peut le faire un savant à ses élèves. L’émoi est grand, mais le calme de Jésus l’apaise.

7 – Cependant, Pierre, qui soupçonne le plus Judas — peut‑être Jude aussi, mais il paraît moins suspicieux, désarmé comme il l’est par la désinvolture de Judas —, tire Jean par la manche. Quand Jean, qui s’est tout serré contre Jésus en entendant parler de trahison, se retourne, il lui murmure :

«Demande‑lui qui c’est.»

Jean reprend sa position et lève seulement la tête comme pour embrasser Jésus, et en même temps il lui murmure à l’oreille :

«Maître, qui est‑ce ?»

Et Jésus, très doucement, en lui rendant le baiser dans les cheveux :

«Celui à qui je vais donner un morceau de pain trempé.»

Il prend alors un pain encore entier, pas le reste de celui qui a servi pour l’Eucharistie, en détache une grosse bouchée, la trempe dans la sauce de l’agneau dans le plateau, étend le bras par-dessus la table, et dit :

«Prends, Judas. Tu aimes cela.

– Merci, Maître. Oui, j’aime cela.»

Ne sachant pas ce qu’est cette bouchée, il mange à pleines dents le pain accusateur, tandis que Jean, horrifié, va jusqu’à fermer les yeux pour ne pas voir l’horrible rire de Judas.

«Bon ! Va, maintenant que je t’ai fait plaisir» dit Jésus à Judas.

« Tout est accompli, ici (il souligne fortement ce mot). Ce qu’il te reste à faire ailleurs, fais‑le vite, Judas, fils de Simon.

– Je t’obéis aussitôt, Maître. Je te rejoindrai plus tard, à Gethsémani. C’est bien là que tu vas, comme toujours, n’est-ce pas ?

– J’y vais… comme toujours… oui.

– Qu’est‑ce qu’il doit faire ?» demande Pierre. «Il part seul ?

– Je ne suis pas un enfant, plaisante Judas tout en mettant son manteau.

– Laisse‑le aller. Lui et moi savons ce qu’il doit faire, répond Jésus.

– Bien, Maître.»

Pierre se tait. Peut‑être pense‑t‑il avoir péché en soupçonnant son compagnon. La main sur le front, il réfléchit.

Jésus serre Jean sur son cœur et se tourne pour lui murmurer dans les cheveux :

«Ne dis rien à Pierre pour le moment. Ce serait un scandale inutile.

– Adieu, Maître. Adieu, mes amis.»

Judas salue.

«Adieu» dit Jésus.

Et Pierre :

«Je te salue, mon garçon.»

Jean, la tête posée presque sur le cœur de Jésus, murmure :

«Satan !»

Jésus seul l’entend, et il soupire.

À ce moment, tout s’arrête, mais Jésus explique :

«Je suspends cette vision par pitié pour toi. Je te montrerai la fin de la Cène à un autre moment.»

(La vision de la Cène reprend)

Il y a quelques minutes de silence absolu. Jésus, la tête penchée, caresse machinalement les cheveux blonds de Jean.

Puis il se secoue, lève la tête, tourne les yeux, a un sourire qui réconforte les disciples. Il déclare :

«Levons‑nous de table et asseyons‑nous tous les uns près des autres, comme des fils autour de leur père.»

Ils prennent les lits‑sièges qui étaient derrière la table (ceux de Jésus, Jean, Jacques, Pierre, Simon, André et de Jacques, le cousin de Jésus) et ils les portent de l’autre côté.

Jésus prend place sur le sien, toujours entre Jacques et Jean.

Mais quand il voit qu’André s’apprête à s’asseoir à la place laissée par Judas, il s’écrie :

«Non, pas là !»

C’est un cri impulsif que son extrême prudence ne parvient pas à retenir. Puis il se reprend :

«Nous n’avons pas besoin de tant de place. En restant assis, on peut tenir sur ces seuls sièges. Ils suffisent. Je vous veux très proches de moi.»

Par rapport à la table, ils sont maintenant placés comme suit :

Autrement dit, ils sont assis en U. Jésus est au centre et a devant lui la table — débarrassée de nourriture désormais —, et la place de Judas.

Jacques, fils de Zébédée, appelle Pierre :

«Mets‑toi ici. Moi, je m’assieds sur ce petit tabouret, aux pieds de Jésus.

– Que Dieu te bénisse, Jacques ! J’en avais tellement envie !» dit Pierre,

Et il se presse contre son Maître, qui est ainsi serré de près par Jean et Pierre, avec Jacques à ses pieds.

Jésus sourit :

«Je vois que mes paroles de tout à l’heure commencent à opérer : les bons frères s’aiment. Moi aussi, je te dis, Jacques : “Que Dieu te bénisse.” Même ce geste, l’Éternel ne l’oubliera pas, et tu le trouveras là‑haut.

Moi, je puis tout ce que je demande. Vous l’avez vu. Il m’a suffi d’un désir pour que le Père accorde au Fils de se donner en nourriture à l’homme. Avec ce qui vient d’arriver, le Fils de l’homme a été glorifié, car pouvoir opérer un tel miracle — qui n’est possible qu’aux amis de Dieu — est un témoignage. Plus grand est le miracle, plus sûre et plus profonde est cette amitié divine. C’est un miracle qui, par sa forme, sa durée et sa nature, par son étendue et les limites qu’il atteint, est le plus fort qui puisse exister. Je vous le dis : il est si puissant, surnaturel, inconcevable pour l’homme orgueilleux, que bien peu le comprendront comme il doit être compris, et que beaucoup le négligeront. Que dirai‑je alors ? Qu’ils doivent être condamnés ? Non. Bien plutôt : pitié pour eux !

Mais plus grand est le miracle, plus grande est la gloire qui en revient à son auteur. C’est Dieu lui‑même qui dit : “Mon bien‑aimé l’a voulu, il l’a obtenu, et c’est moi qui le lui ai accordé, parce qu’il possède une grande grâce à mes yeux.” Il dit encore ici : “Il a une grâce infinie, comme est infini le miracle qu’il a accompli.”

La gloire que Dieu rend à l’auteur du miracle est égale à la gloire que son auteur rend au Père. Car toute gloire spirituelle, venant de Dieu, remonte à sa source. Et la gloire de Dieu, bien qu’elle soit infinie, s’accroît toujours plus et brille par la gloire de ses saints.

C’est pourquoi je vous dis : de même que le Fils de l’homme a été glorifié par Dieu, Dieu a été glorifié par le Fils de l’homme. J’ai glorifié Dieu en moi‑même. À son tour, Dieu glorifiera son Fils en lui… et dans bien peu de temps !

Exulte, toi qui reviens à ton Siège, ô essence spirituelle de la seconde Personne ! Exulte, ô chair qui vas remonter après un si long exil dans la fange ! Et ce n’est pas le paradis d’Adam, mais le Paradis sublime du Père qui va t’être donné pour demeure. S’il a été dit que, sous l’effet de la stupéfaction devant un commandement de Dieu transmis par la bouche d’un homme, le soleil s’est arrêté, que n’arrivera‑t‑il pas aux astres quand ils verront le prodige de la chair de l’Homme monter prendre place à la droite du Père dans sa perfection de matière glorifiée ?

Mes petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je reste avec vous. Vous me chercherez comme des orphelins leur père mort. En larmes, vous marcherez en parlant de lui ; vous frapperez en vain à son tombeau muet, vous frapperez aux portes azur du Ciel, de toute votre âme lancée dans une suppliante recherche d’amour. Et vous direz : “Où est notre Jésus ? Nous voulons le retrouver. Sans lui, il n’est plus de lumière dans le monde, ni de joie, ni d’amour. Rendez‑le‑nous, ou bien laissez‑nous entrer. Nous voulons être là où il se trouve.” Mais, pour le moment, vous ne pouvez venir où je vais. Ce que j’ai dit aux juifs : “Vous me chercherez, mais là où je vais, vous ne pouvez venir”, à vous aussi je le dis maintenant.

Pensez à ma Mère… Elle non plus ne pourra venir là où je vais. Pourtant, j’ai quitté le Père pour venir à elle et devenir Jésus dans son sein sans tache. Pourtant, c’est de l’Inviolée que je suis venu dans l’extase lumineuse de ma nativité ; et c’est de son amour, devenu lait, que je me suis nourri ; je suis fait de pureté et d’amour, car Marie m’a nourri de sa virginité, fécondée par l’Amour parfait qui vit au Ciel. Pourtant, c’est grâce à elle que j’ai grandi, en lui coûtant fatigues et larmes…

Quoi qu’il en soit, je lui demande un héroïsme tel que jamais il n’en fut, et auprès duquel celui de Judith et de Yaël apparaît comme le courage de bonnes femmes se disputant avec leur rivale près de la fontaine de leur village. Pourtant, nul ne saurait l’égaler quand il s’agit de m’aimer. Et, malgré cela, je la quitte et je pars là où elle ne viendra que beaucoup plus tard.

Je n’adresse pas à ma Mère le commandement que je vous laisse : “Sanctifiez‑vous année après année, mois après mois, jour après jour, heure après heure, pour pouvoir venir à moi quand votre heure viendra” : d’ores et déjà, elle est toute grâce et toute sainteté. Elle est la créature qui a tout eu et qui a tout donné. Il n’y a rien à ajouter ni à enlever. Elle est le très saint témoignage de ce que peut Dieu.

Mais, pour être certain que vous avez en vous la capacité de me rejoindre, et d’oublier la douleur du deuil de la séparation de votre Jésus, je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez‑vous les uns les autres. C’est ainsi que l’on saura que vous êtes mes disciples. Quand un père a de nombreux enfants, à quoi reconnaît‑on qu’ils le sont ? C’est moins l’aspect physique qui le montre — car il y a des hommes qui ressemblent à un autre homme avec lequel ils n’ont aucun lien commun de sang ou de nation —, que leur amour commun pour leur famille, pour leur père, et entre eux. Après la mort du père, une bonne famille ne se désagrège pas : c’est le même sang — provenant de la semence du père — qui coule dans les veines de tous, et cela tisse des liens que la mort elle‑même ne dénoue pas, parce que l’amour est plus fort que la mort. Or, si vous vous aimez même après mon départ, tous reconnaîtront que vous êtes mes fils et par conséquent mes disciples, et que vous êtes frères, ayant eu un seul père.

Seigneur Jésus, où vas‑tu ? demande Pierre.

– Là où je vais, tu ne peux me suivre pour le moment. Plus tard, tu me suivras.

– Pourquoi pas dès maintenant ? Je t’ai toujours suivi depuis que tu m’as dit : “Suis‑moi.” J’ai tout abandonné sans regret…

Or, si tu t’en allais sans ton pauvre Simon, en me laissant sans toi, mon Tout, alors que pour toi j’ai quitté le peu de bien que je possédais, ce ne serait ni juste ni beau de ta part. Tu vas à la mort ? C’est bien. Je viens moi aussi. Partons ensemble dans l’autre monde. Mais auparavant, je t’aurai défendu. Je suis prêt à donner ma vie pour toi.

– Tu donnerais ta vie pour moi ? Maintenant ? Non, pas maintenant. En vérité, je te l’affirme : le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. Nous en sommes encore à la première veille. Puis viendra la seconde… et puis la troisième. Avant que résonne le chant du coq, tu auras par trois fois renié ton Seigneur.

– Impossible, Maître ! Je crois à tout ce que tu dis, mais pas à cela. Je suis sûr de moi.

– Tu en es sûr pour l’instant, parce que tu m’as encore. Tu as Dieu avec toi. D’ici peu, le Dieu incarné sera pris, et vous ne l’aurez plus. Et Satan, après vous avoir déjà appesantis — ton assurance elle‑même est une ruse de Satan, un poids pour t’appesantir —, vous effraiera. Il vous insinuera : “Dieu n’existe pas. Moi, j’existe.” Et malgré l’aveuglement de votre esprit causé par l’épouvante, vous raisonnerez encore, et vous comprendrez que, lorsque Satan est le maître du moment, le Bien est mort et le Mal est à l’œuvre, l’esprit est abattu et l’humain triomphe. Alors vous resterez comme des guerriers sans chef, poursuivis par l’ennemi ; dans votre frayeur de vaincus, vous courberez l’échine devant le vainqueur et, pour n’être pas tués, vous renierez le héros tombé.

Mais, je vous en prie, que votre cœur ne se trouble pas. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, en dépit des apparences. Que tous croient en ma miséricorde et en celle du Père, celui qui reste comme celui qui prend la fuite, celui qui se tait comme celui qui dira : “Je ne le connais pas.” Croyez également en mon pardon. Et sachez que, quels que soient vos actes futurs, dans le bien et dans ma doctrine, dans mon Eglise par conséquent, ils vous vaudront une même place au Ciel.

Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. S’il n’en était pas ainsi, je vous l’aurais dit. Je pars en avant pour vous préparer une place. Les bons pères n’agissent‑ils pas ainsi quand ils doivent emmener leur petite famille ailleurs ? Ils partent à l’avance préparer la maison, le mobilier, les provisions, puis ils viennent chercher leurs enfants les plus chers. C’est par amour qu’ils font cela, pour que rien ne manque aux petits et qu’ils ne souffrent pas dans le nouveau village. J’agis de même, et pour le même motif.

Maintenant, je m’en vais. Et quand j’aurai préparé une place pour chacun dans la Jérusalem céleste, je reviendrai vous prendre pour que vous soyez avec moi là où je suis, là où il n’y aura ni mort, ni deuil, ni larmes, ni cris, ni faim, ni douleur, ni ténèbres, ni feu, mais seulement lumière, paix, béatitude et chant.

Oh ! chant des Cieux très hauts quand les douze élus siègeront sur les trônes aux côtés des douze patriarches des douze tribus d’Israël… Dressés sur la mer des béatitudes, ils chanteront, dans l’ardeur du feu de l’amour spirituel, le cantique éternel qui aura pour arpège l’éternel alléluia de l’armée angélique…

Je veux que, là où je serai, vous soyez vous aussi. Et vous savez où je vais, vous en connaissez le chemin.

– Seigneur, nous ne savons rien ! Tu ne nous dis pas où tu vas. Comment donc pouvons‑nous connaître le chemin à prendre pour venir vers toi et pour abréger l’attente ? demande Thomas.

– Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Vous me l’avez entendu dire et expliquer plusieurs fois et, en vérité, certains qui ignoraient jusqu’à l’existence d’un Dieu, ont progressé sur ce chemin — sur mon chemin — et ont déjà de l’avance sur vous. Oh ! où es‑tu, brebis perdue de Dieu que j’ai ramenée au bercail ? Où es‑tu, toi dont l’âme est ressuscitée ?

– De qui parles‑tu ? De Marie, sœur de Lazare ? Elle est à côté, avec ta Mère. Tu veux la voir ? Ou bien Jeanne ? Elle est sûrement dans son palais, mais si tu veux, nous allons l’appeler…

– Non. Non, je ne parle pas d’elles… Je pense à celle qui ne sera dévoilée qu’au Ciel… et à Photinaï… Elles m’ont trouvé et n’ont plus quitté mon chemin. À l’une, j’ai indiqué le Père comme vrai Dieu et l’Esprit comme lévite dans cette adoration individuelle. À l’autre, qui ignorait même qu’elle avait une âme, j’ai dit : “Mon nom est Sauveur. Je sauve celui qui a la volonté d’être sauvé. Je suis celui qui vais à la recherche des égarés pour leur donner la vie, la vérité et la pureté. Qui me cherche me trouve.” Et toutes deux ont trouvé Dieu… Je vous bénis, Éves faibles devenues plus fortes que Judith… Je viens, je viens là où vous êtes … Vous me consolez… Soyez bénies !

Seigneur, montre‑nous le Père, et nous serons semblables à elles, demande Philippe.

– Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? Qui me voit, voit le Père. Comment peux‑tu dire : “Montre‑nous le Père” ? Tu n’arrives pas à croire que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi‑même ; mais c’est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit toutes mes œuvres. Vous ne croyez pas que je suis dans le Père et lui en moi ? Que dois‑je dire pour vous faire croire ? Si vous ne croyez pas à mes paroles, croyez au moins à cause des œuvres.

Oui, vraiment, je vous l’affirme : celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père. Tout ce que vous demanderez en invoquant mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous me demandez quelque chose en invoquant mon nom, je le ferai. Mon nom est connu, pour ce qu’il est réellement, de moi seul, du Père qui m’a engendré et de l’Esprit qui procède de notre amour. Et par ce nom tout est possible. Qui pense à mon nom avec amour m’aime, et obtient.

Mais il ne suffit pas de m’aimer. Il faut observer mes commandements pour avoir le véritable amour. Ce sont les œuvres qui témoignent des sentiments et, au nom de cet amour, je prierai le Père, et lui vous donnera un autre Consolateur pour rester à jamais avec vous. C’est l’Esprit de vérité que Satan et le monde ne peuvent atteindre, que le monde ne peut recevoir et ne peut frapper, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas. Il s’en moquera.

Mais lui est si élevé que le mépris ne pourra l’atteindre. Infiniment compatissant, il demeurera toujours avec celui qui l’aime, même s’il est pauvre et faible. Vous le connaîtrez, car il demeure déjà avec vous et sera bientôt en vous.

Je ne vous laisserai pas orphelins. Je vous l’ai déjà dit : “Je reviendrai à vous.” Mais je viendrai avant l’heure de venir vous prendre pour aller dans mon Royaume. Je viendrai à vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me voyez et vous me verrez, parce que je vis et que vous vivez, parce que je vivrai et que, vous aussi, vous vivrez. Ce jour‑là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous.

Car celui qui fait bon accueil à mes commandements et les observe, celui‑là m’aime ; or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et il possédera Dieu, car Dieu est charité et celui qui aime a Dieu en lui. Et moi aussi je l’aimerai, car en lui je verrai Dieu, et je me manifesterai à lui en lui faisant connaître les secrets de mon amour, de ma sagesse, de ma Divinité incarnée. Tels seront mes retours parmi les fils des hommes, car je les aime, bien qu’ils soient faibles, sinon même ennemis. Mais ceux‑ci seront seulement faibles. Je les fortifierai et je leur dirai : “Lève‑toi !”, “Viens dehors !”, “Suis‑moi”, “Écoute”, “Écris”… et vous êtes de ceux‑ci.

– Pourquoi, Seigneur, te manifestes‑tu à nous et pas au monde ? demande Jude.

– Parce que vous m’aimez et observez mes paroles. Celui qui agira ainsi sera aimé de mon Père, nous viendrons à lui et nous établirons notre demeure chez lui, en lui. En revanche, celui qui ne m’aime pas n’observe pas mes paroles et agit selon la chair et le monde. Maintenant, sachez que ce que je vous ai dit n’est pas parole de Jésus de Nazareth, mais parole du Père, car je suis le Verbe du Père qui m’a envoyé. Je vous ai dit cela en parlant ainsi, avec vous, parce que je veux vous préparer moi‑même à la possession complète de la vérité et de la sagesse. Mais vous ne pouvez encore comprendre et vous souvenir. Quand le Consolateur viendra sur vous, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, alors vous pourrez comprendre. Il vous enseignera tout et vous rappellera ce que je vous ai dit.

Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. Je vous la donne, non comme la donne le monde, ni même comme je vous l’ai donnée jusqu’à présent : la salutation bénie du Béni à ceux qui sont bénis. Plus profonde est la paix que je vous donne maintenant. Au moment de ces adieux, je me communique moi‑même à vous, avec mon Esprit de paix, comme je vous ai communiqué mon corps et mon sang, pour qu’il reste en vous une force dans la bataille imminente.

Satan et le monde vont déchaîner la guerre contre votre Jésus. C’est leur heure. Ayez en vous la paix, mon Esprit qui est un esprit de paix, car je suis le Roi de la paix. Gardez‑la pour ne pas vous sentir trop abandonnés. Souffrir avec la paix de Dieu en soi permet d’éviter tout blasphème et tout désespoir.

Ne pleurez pas. Vous m’avez entendu dire : “Je vais au Père, puis je reviendrai.” Si vous m’aimiez au‑delà de la chair, vous vous réjouiriez, car je vais au Père après un si long exil… Je vais vers celui qui est plus grand que moi et qui m’aime.

Je vous le dis maintenant, avant l’événement, comme je vous ai annoncé toutes les souffrances du Rédempteur avant d’aller vers elles afin que, lorsque tout sera accompli, vous croyiez toujours plus en moi. Ne vous troublez pas ainsi ! Ne vous effrayez pas. Votre cœur a besoin d’équilibre…

 Je n’ai plus beaucoup à m’entretenir avec vous… et j’ai encore tant à dire ! Arrivé au terme de mon évangélisation, il me semble n’avoir encore rien dit, et il reste tant à faire ! Votre état augmente cette sensation. Que dirai‑je, alors ? Que j’ai manqué à mon devoir ? Ou que vous êtes si durs de cœur que cela n’a servi à rien ? Vais‑je douter ? Non. Je me fie à Dieu et je vous confie à lui, vous, mes bien‑aimés. C’est lui qui accomplira l’œuvre de son Verbe. Je ne suis pas un père qui meurt et n’a d’autre lumière que l’humaine. Moi, j’espère en Dieu. Je m’avance donc vers mon sort sereinement, malgré mon envie pressante de vous donner les conseils dont je me rends compte que vous avez besoin… mais je vois fuir le temps. Je sais que sur les semences tombées en vous, une rosée va descendre qui les fera toutes germer ; puis viendra le soleil du Paraclet, et elles deviendront un arbre puissant. Le prince de ce monde vient, et je n’ai rien à faire avec lui. D’ailleurs, si ce n’avait été dans un but de rédemption, il n’aurait rien pu sur moi. Mais cela arrive afin que le monde sache que j’aime le Père, que je l’aime jusqu’à l’obéissance qui me soumet à la mort, et que j’agis comme il me l’a ordonné.

C’est l’heure de partir. Levez‑vous, et écoutez mes ultimes paroles.

Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; tout sarment qui donne du fruit, il l’émonde, pour qu’il en donne davantage. Vous êtes déjà purifiés, grâce à ma parole. Demeurez en moi, et moi en vous pour le rester. De même que le sarment coupé de la vigne ne peut donner du fruit, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. Je suis la vigne, et vous les sarments. Celui qui reste uni à moi porte beaucoup de fruit. Mais si l’un se détache, il devient un rameau sec que l’on jette au feu et que l’on brûle : car si vous ne m’êtes pas uni, vous ne pouvez rien faire. Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et vous l’obtiendrez. Ce qui glorifie mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit, et qu’ainsi vous deveniez mes disciples.

Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour, qui sauve. Si vous m’aimez, vous serez obéissants, et l’obéissance fait croître l’amour réciproque. Ne dites pas que je me répète. Je connais votre faiblesse, et je veux que vous soyez sauvés. Je vous ai dit cela afin que la joie que j’ai voulu vous donner soit en vous et soit parfaite. Aimez‑vous, aimez‑vous ! C’est mon commandement nouveau. Aimez‑vous les uns les autres plus que chacun de vous ne s’aime lui‑même. Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis et moi, je donne ma vie pour vous. Faites ce que je vous enseigne et commande.

Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître, alors que vous, vous savez ce que je fais. Vous savez tout de moi. Je vous ai manifesté non seulement moi‑même, mais aussi le Père et le Paraclet, et tout ce que j’ai entendu de Dieu.

Ce n’est pas vous qui vous êtes choisis. C’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai élus afin que vous alliez parmi les peuples, que vous portiez du fruit en vous et dans le cœur des personnes qui seront évangélisées, et que votre fruit demeure. Et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.

Ne dites pas : “Si tu nous as choisis, pourquoi avoir aussi choisi un traître ? Si tu connais tout, pourquoi avoir fait cela ? ”Ne vous demandez pas non plus qui est cet homme. Ce n’est pas un homme, c’est Satan. Je l’ai dit à mon ami fidèle, et je l’ai laissé dire par mon enfant bien‑aimé. C’est Satan. Si Satan, l’éternel singe de Dieu, ne s’était pas incarné en une chair mortelle, ce possédé n’aurait pu se soustraire à mon pouvoir de Jésus. J’ai dit : “possédé”, mais non, il est bien davantage. Il est anéanti en Satan.

– Pourquoi, toi qui as chassé les démons, ne l’as‑tu pas délivré ? demande Jacques, fils d’Alphée.

– Demandes‑tu cela par amour pour toi, par peur de l’être ? Ne crains rien.

– Moi alors ?

– Moi ?

– Moi ?

– Taisez‑vous. Je ne révèlerai pas ce nom. Je fais preuve de miséricorde. Faites‑en autant.

– Mais pourquoi ne l’as‑tu pas vaincu ? Tu ne le pouvais pas ?

– Si, je le pouvais. Mais pour empêcher Satan de s’incarner pour me tuer, j’aurais dû exterminer l’espèce humaine avant la Rédemption. Qu’aurais‑je racheté, dans ce cas ?

– Dis‑le‑moi, Seigneur, dis‑le‑moi !»

Pierre s’est laissé glisser à genoux, et il secoue frénétiquement Jésus, comme s’il était en proie au délire.

«Est‑ce moi ? Est‑ce moi ? Je m’examine… Il ne me semble pas. Mais… tu as dit que je te renierai… Et j’en tremble… Quelle horreur si c’était moi !…

– Non, Simon, fils de Jonas, pas toi.

– Pourquoi m’as‑tu enlevé mon nom de “Pierre” ? Je suis donc redevenu Simon ? Tu vois ? Tu le dis toi‑même ! C’est moi ! Mais comment ai‑je pu ? Dites‑le… dites‑le, vous… Quand ai‑je pu devenir traître ?… Simon ?… Jean ?… Mais parlez !

– Pierre, Pierre, Pierre ! Je t’appelle Simon parce que je pense à notre première rencontre, lorsque tu étais Simon. Et je pense combien tu as toujours été loyal dès le premier moment. Ce n’est pas toi. C’est moi qui te l’affirme, or je suis la Vérité.

– Qui, alors ?

– Mais c’est Judas ! Tu ne l’as pas encore compris ? crie Jude, qui n’arrive plus à se contenir.

– Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tôt ? Pourquoi ? crie aussi Pierre.

– Silence ! C’est Satan. Il n’a pas d’autre nom. Où vas‑tu, Pierre ?

– Le chercher.

– Dépose immédiatement ce manteau et cette arme. Ou bien devrais‑je te chasser et te maudire ?

– Non, non ! Oh ! mon Seigneur ! Mais moi… mais moi… Je suis peut‑être malade de délire, moi ? Oh !»

Pierre se jette à terre aux pieds de Jésus et pleure.

Ce que je vous commande, c’est de vous aimer et de pardonner. Avez‑vous compris ? Si le monde connaît la haine, n’ayez en vous que de l’amour. Pour tous. Combien de traîtres trouverez‑vous sur votre route ! Mais vous ne devez pas haïr et rendre le mal pour le mal. Autrement, le Père ne vous pardonnera pas. J’ai été haï et trahi avant vous. Et pourtant, vous le voyez, je ne hais personne.

Le monde ne peut aimer ce qui n’est pas comme lui. Il ne vous aimera donc pas. Si vous lui apparteniez, il vous aimerait ; mais vous n’êtes pas du monde, car je vous ai pris du milieu du monde, et c’est pour cela que vous êtes détestés.

Je vous ai dit : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi. S’ils m’ont écouté, ils vous écouteront vous aussi. Mais ils feront tout à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas, ne veulent pas connaître Celui qui m’a envoyé. Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils ne seraient pas coupables, mais maintenant leur péché est sans excuse. Ils ont vu mes œuvres, entendu mes paroles, et pourtant ils m’ont haï, et avec moi le Père, parce que le Père et moi, nous sommes une seule Unité avec l’Amour. Mais il était écrit : “Tu m’as haï sans raison.” Cependant, quand viendra le Consolateur, l’Esprit de vérité qui procède du Père, ce sera lui qui rendra témoignage en ma faveur, et vous aussi, vous me rendrez témoignage parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.

Je vous dis tout cela pour que, l’heure venue, vous ne succombiez pas et ne vous scandalisiez pas. Le temps va venir où on vous chassera des synagogues et où quiconque vous mettra à mort s’imaginera rendre un culte à Dieu. Ceux‑là n’ont connu ni le Père ni moi. C’est là leur excuse. Je ne vous ai pas autant explicité ces vérités auparavant, parce que vous étiez comme des enfants nouveau-nés.

Mais maintenant, votre mère vous quitte. Je m’en vais. Vous devez vous accoutumer à une autre nourriture. Je veux que vous la connaissiez.

Personne ne me demande plus : “Où vas‑tu ?” La tristesse vous rend muets. Pourtant, c’est votre intérêt que je m’en aille, sinon le Consolateur ne viendra pas. C’est moi qui vous l’enverrai. À sa venue, par la sagesse et la parole, les œuvres et l’héroïsme qu’il déversera en vous, il convaincra le monde de son péché déicide et de la justice de ma sainteté. Et le monde sera nettement divisé en réprouvés, ennemis de Dieu, et en croyants. Ces derniers seront plus ou moins saints, selon leur volonté. Mais le prince du monde et ses serviteurs seront déjà condamnés. Je ne puis vous en dire davantage, car vous ne pouvez encore comprendre. Mais lui, le divin Paraclet, vous apprendra la vérité tout entière. Il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira tout ce qu’il aura entendu de l’Esprit de Dieu, et il vous annoncera l’avenir. Il reprendra ce qui vient de moi, c’est‑à‑dire ce qui encore appartient au Père, pour vous le faire connaître.

Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus. Puis encore un peu, et vous me reverrez.

Vous murmurez entre vous et dans votre cœur. Écoutez une parabole, la dernière de votre Maître.

Quand une femme a conçu et arrive à l’heure de l’enfantement, elle est dans une grande affliction, car elle souffre et gémit. Mais une fois que son bébé est né et qu’elle le serre sur son cœur, toute peine cesse, et sa douleur se change en joie parce qu’un homme est venu au monde.

Vous de même, vous pleurerez et le monde se gaussera de vous. Mais ensuite votre tristesse se changera en joie, une joie que le monde ne connaîtra jamais. Vous êtes maintenant dans la tristesse, mais quand vous me reverrez, votre cœur se réjouira et personne ne pourra vous ravir votre joie. Elle sera si grande qu’elle estompera tout besoin de demander, que ce soit pour l’esprit, pour le cœur ou pour la chair. Vous vous repaîtrez seulement de ma vue, oubliant toute autre chose. Dès lors, quoi que vous demandiez au Père en mon nom, il vous l’accordera, afin que votre joie soit parfaite. Demandez, et vous recevrez.

L’heure vient où je pourrai vous entretenir ouvertement du Père. Ce sera parce que vous aurez été fidèles dans l’épreuve et que tout sera surmonté. Votre amour sera parfait, car il vous aura donné la force dans l’épreuve. Et ce qui vous manquera, je vous l’ajouterai en puisant dans mon immense trésor. Je dirai au Père : “Tu le vois : ils m’ont aimé et ils ont cru que je suis venu de toi.” Je suis descendu dans le monde ; maintenant, je le quitte, je vais vers le Père, et je prierai pour vous.

Ah ! maintenant, tu t’expliques. Maintenant, nous savons ce que tu veux dire et que tu connais tout, et que tu n’as pas besoin qu’on t’interroge pour répondre. Vraiment, tu viens de Dieu !

– Vous croyez à présent ? À la dernière heure ? Cela fait trois ans que je vous parle ! Mais déjà opèrent en vous le Pain, qui est Dieu, et le Vin, qui est Sang, qui n’est pas venu de l’homme et vous donne le premier frisson de la déification. Vous deviendrez des dieux si vous persévérez dans mon amour et dans ma possession. Non pas comme Satan l’a dit à Adam et Ève, mais comme je vous le dis, moi. C’est le véritable fruit de l’arbre du bien et de la vie. Le mal est vaincu par qui s’en nourrit, et la mort est morte. Qui en mange vivra éternellement et deviendra “dieu” dans le Royaume de Dieu.

Vous serez des dieux si vous demeurez en moi. Et pourtant … vous avez beau avoir en vous ce Pain et ce Sang, l’heure vient où vous serez dispersés : vous vous en irez chacun de votre côté et vous me laisserez seul… Mais je ne suis pas seul, puisque le Père est avec moi. Père, Père ! Ne m’abandonne pas ! Je vous ai tout dit… pour vous donner la paix, ma paix. Vous serez encore opprimés. Mais ayez foi, j’ai vaincu le monde.»

Jésus se lève, ouvre les bras en croix et dit avec un visage lumineux la sublime prière au Père. Jean la rapporte intégralement.

Les apôtres pleurent plus ou moins ouvertement et bruyamment. Pour finir, ils chantent un hymne.

Jésus les bénit, puis il ordonne :

«Mettons nos manteaux et partons. André, demande au maître de maison de tout laisser en l’état, c’est ma volonté. Demain… cela vous fera plaisir de revoir ce lieu.»

Jésus le regarde. Il paraît bénir les murs, le mobilier, tout. Puis il prend son manteau et s’éloigne, suivi des disciples. Près de lui se trouve Jean, auquel il s’appuie.

«Tu ne salues pas ta Mère ? lui demande le fils de Zébédée.

– Non, tout est déjà fait. Au contraire, ne faites pas de bruit.»

Simon, qui a allumé une torche à la lampe, éclaire le vaste corridor qui mène à la porte. Pierre ouvre avec précaution le portail, et ils sortent tous sur le chemin, puis, faisant jouer une clé, ils ferment du dehors et se mettent en route.

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Réflexions sur la dernière Cène.

Vision du jeudi 17 février 1944

Jésus dit :

«De l’épisode de la Cène, en plus de la considération de la charité d’un Dieu qui se fait nourriture pour les hommes, quatre enseignements principaux ressortent.

Premièrement : la nécessité pour tous les enfants de Dieu d’obéir à la Loi.

La Loi prescrivait que l’on devait, pour la Pâque, consommer l’agneau selon le rituel indiqué par le Très‑Haut à Moïse. En vrai Fils du vrai Dieu, je ne me suis pas considéré, en raison de ma qualité divine, comme exempt de la Loi. J’étais sur la terre, homme parmi les hommes et Maître des hommes.

Je devais donc accomplir mon devoir d’homme envers Dieu comme les autres et mieux qu’eux. Les faveurs divines ne dispensent pas de l’obéissance et de l’effort vers une sainteté toujours plus grande. Si vous comparez la sainteté la plus élevée à la perfection divine, vous la trouvez toujours pleine de défauts, donc vous êtes tenus de tout faire pour les éliminer et atteindre un degré de perfection autant que possible semblable à celui de Dieu.

 Deuxièmement : la puissance de la prière de Marie.

J’étais Dieu fait chair, une chair qui, pour être sans tache, possédait la force spirituelle de maîtriser la chair. Néanmoins je ne refuse pas, j’appelle au contraire l’aide de la Pleine de Grâce qui, même à cette heure d’expiation aurait trouvé, c’est vrai, le Ciel fermé au-dessus de sa tête, mais pas au point de ne pas réussir à en détacher un ange — elle‑même, la Reine des anges — pour réconforter son Fils. Non pas pour elle, pauvre Maman ! Elle aussi a goûté l’amertume de l’abandon du Père. Mais par sa douleur offerte pour la Rédemption, elle m’a obtenu de pouvoir surmonter l’angoisse du Jardin des Oliviers et de porter à terme la Passion, dans toute sa multiforme âpreté, dont chacune visait à laver une forme et un moyen de péché.

Troisièmement : seuls peuvent être maîtres d’eux‑mêmes et supporter les offenses — cette charité sublime par-dessus tout — ceux qui mettent au centre de leur vie la loi de charité, que j’ai proclamée, et non seulement proclamée, mais pratiquée réellement. Vous ne pouvez imaginer ce qu’a pu être pour moi la présence à ma table de celui qui me trahissait… devoir me donner à lui, m’humilier devant lui, partager avec lui la coupe rituelle, poser mes lèvres là où lui les avait posées et demander à ma Mère d’en faire autant… Vos médecins ont discuté et discutent encore sur la rapidité de ma fin. Ils en voient l’origine dans une lésion cardiaque due aux coups de la flagellation. Oui, à cause de ces coups aussi mon cœur était devenu malade. Mais il l’était déjà depuis la Cène, il était brisé, brisé sous l’effort de devoir subir à côté de moi le traître. C’est à partir de cet instant que j’ai commencé à mourir physiquement. Le reste n’a été qu’une aggravation de l’agonie qui existait déjà.

Tout ce que j’ai pu faire, je l’ai fait, car je n’étais qu’un avec la Charité. Même à l’heure où le Dieu‑Charité s’éloignait de moi, j’ai su être charité car, pendant trente‑trois ans, j’avais vécu de charité. On ne peut parvenir à une perfection telle que celle qui demande de pardonner et de supporter celui qui nous offense si on n’a pas l’habitude de la charité. Moi, je l’avais, de sorte que j’ai pu pardonner et supporter ce chef-d’œuvre d’offenseur que fut Judas.

Quatrièmement : le sacrement de l’Eucharistie opère d’autant mieux qu’on est digne de le recevoir : si on s’en est rendu digne par une constante volonté qui brise la chair et rend l’esprit souverain, en vainquant les concupiscences, en pliant l’être aux vertus, en le tendant comme un arc vers la perfection des vertus et surtout de la charité.

Quand quelqu’un aime, il désire le bonheur de l’être aimé. Jean, qui m’aimait comme personne et qui était pur, obtint de ce sacrement le maximum de transformation. Il commença à partir de ce moment à être l’aigle auquel il est familier et facile de s’élever jusqu’aux hauteurs du Ciel de Dieu et de fixer le Soleil éternel. Mais malheur à celui qui reçoit ce sacrement sans en être tout à fait digne, mais qui au contraire a fait croître sa constante indignité humaine par des péchés mortels. Il devient alors un germe, non pas de préservation et de vie, mais de corruption et de mort.

Mort spirituelle et putréfaction de la chair, qui en “crève”, comme dit Pierre de celle de Judas. Elle ne répand pas le sang, ce liquide toujours vital et à la belle couleur pourpre, mais son intérieur noircit sous l’effet de toutes les passions, telle la pourriture qui se déverse de la chair décomposée comme de la charogne d’un animal immonde, et objet de dégoût pour les passants.

La mort de celui qui profane ce sacrement est toujours la mort d’un désespéré et ne connaît donc pas le tranquille décès propre à la personne en grâce, ni l’héroïque trépas de la victime qui souffre horriblement, mais garde le regard tourné vers le Ciel et l’âme assurée de la paix. La mort du désespéré est marquée de contorsions et de terreurs atroces, c’est une convulsion horrible de l’âme déjà saisie par la main de Satan, qui l’étrangle pour l’arracher à la chair et la suffoque par son souffle nauséabond.

Voilà la différence entre la personne qui passe dans l’autre vie après s’être nourrie de charité, de foi, d’espérance comme de toute autre vertu et doctrine céleste, ainsi que du Pain angélique qui l’accompagne avec ses fruits dans son dernier voyage — c’est encore mieux avec la présence réelle —, et la personne qui décède après une vie de brute avec une mort de brute que la grâce et l’Eucharistie ne réconfortent pas.

La première, c’est la fin sereine du saint à qui la mort ouvre le Royaume éternel. La seconde, c’est la chute effrayante du damné qui se voit précipité dans la mort éternelle, et connaît en un instant ce qu’il a voulu perdre sans plus aucune possibilité d’y remédier. Pour l’un, c’est l’enrichissement, pour l’autre le dépouillement. Pour l’un la béatitude, pour l’autre la terreur.

Voilà ce que vous vous obtenez selon votre foi et votre amour, ou votre incroyance et le mépris de mon don. C’est l’enseignement de cette contemplation.»

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La Transfiguration et l’épileptique guéri

Vision du lundi 3 décembre 1945

Qui parmi les hommes n’a jamais vu, au moins une fois, une aube sereine de mars ? S’il s’en trouve quelqu’un, c’est un grand infortuné car il ignore une des grâces les plus belles de la nature, quand elle se réveille au printemps, redevenue vierge, petite fille, comme elle devait l’être au premier jour.

C’est une grâce pure dans tout ce qu’elle présente, depuis les herbes nouvelles où brille la rosée, jusqu’aux fleurettes qui s’ouvrent comme des enfants qui naissent, jusqu’au premier sourire de la lumière du jour, jusqu’aux oiseaux qui s’éveillent dans un frôlement d’ailes et qui disent leur premier « cip ? » interrogateur qui prélude à tous leurs discours mélodieux de la journée, jusqu’à l’odeur même de l’air qui a perdu pendant la nuit, par l’action de la rosée et l’absence de l’homme, toute souillure de poussière, de fumée et d’exhalaisons de corps humains. C’est dans cette grâce que cheminent Jésus, les apôtres et les disciples. Avec eux se trouve aussi Simon d’Alphée. Ils vont vers le sud-est, franchissant les collines qui forment une couronne autour de Nazareth, ils passent un torrent et traversent une plaine étroite entre les collines de Nazareth et des montagnes vers l’est.

Ces montagnes sont précédées du cône à moitié coupé du Thabor qui me rappelle étrangement en son sommet la coiffure de nos carabiniers vue de profil.

Ils le rejoignent. Jésus s’arrête et dit : « Que Pierre, Jean et Jacques de Zébédée viennent avec Moi sur la montagne. Vous autres disséminez-vous à la base en vous séparant sur les routes qui la côtoient et prêchez le Seigneur. Vers le soir, je veux être de nouveau à Nazareth. Ne vous éloignez donc pas. La paix soit avec vous. » Et s’adressant aux trois qu’il a appelés, il dit : « Allons. » Et il commence la montée sans plus se retourner en arrière et d’un pas si rapide que Pierre a du mal à le suivre.

À un arrêt Pierre, rouge et en sueur, Lui demande hors d’haleine : « Mais où allons-nous ? Il n’y a pas de maisons sur la montagne. Au sommet, il y a cette vieille forteresse. Veux-tu aller prêcher là ! »

« J’aurais pris l’autre versant, mais tu vois que je lui tourne le dos. Nous n’irons pas à la forteresse et ceux qui y sont ne nous verront même pas. Je vais m’unir à mon Père et je vous ai voulu avec Moi, parce que je vous aime. Allons, vite ! ».

« Oh mon Seigneur Ne pourrions-nous marcher un peu plus doucement et parler de ce que nous avons entendu et vu hier et qui nous a tenus éveillés toute la nuit pour en parler ? »

« Aux rendez-vous de Dieu il faut toujours se rendre rapidement. Allons, Simon Pierre ! Là-haut, je vous ferai reposer. » Et il reprend la montée…

(Jésus dit : « Joignez ici la Transfiguration que tu as eue le 5 Août 1944, mais sans la dictée qui lui est jointe. Après avoir fini de copier la Transfiguration de l’an dernier, P.M. copiera ce que je te montre maintenant. »)

Vision du samedi 5 août 1944

Je suis avec mon Jésus sur une haute montagne. Avec Jésus, il y a Pierre, Jacques et Jean. Ils montent encore plus haut et le regard se porte vers des horizons ouverts dont une belle et tranquille journée permet de voir nettement les détails jusque dans les lointains.

La montagne ne fait pas partie d’un ensemble montagneux comme celui de la Judée, elle s’élève isolée et, par rapport à l’endroit où nous nous trouvons, elle a l’orient en face, le nord à gauche, le sud à droite et en arrière à l’ouest la cime qui dépasse encore de quelques centaines de pas.

Elle est très élevée et l’œil peut découvrir un large horizon. Le lac de Génésareth semble un morceau de ciel descendu pour s’encadrer dans la verdure, une turquoise ovale enserrée dans des émeraudes de différentes teintes, un miroir qui tremble et se ride sous un vent léger et sur lequel glissent, avec l’agilité des mouettes, les barques aux voiles tendues, légèrement penchées vers l’onde azurine, vraiment avec la grâce du vol d’un alcyon qui survole l’eau à la recherche d’une proie. Puis, voilà que de l’immense turquoise sort une veine, d’un bleu plus pâle là où la grève est plus large, et plus sombre là où les rives se rapprochent et où l’eau est plus profonde et plus sombre à cause de l’ombre qu’y projettent les arbres qui croissent vigoureux près du fleuve qui les nourrit de sa fraîcheur. Le Jourdain semble un coup de pinceau presque rectiligne dans la verdure de la plaine.

Des petits villages sont disséminés à travers la plaine des deux côtés du fleuve. Quelques-uns sont tout juste une poignée de maisons, d’autres sont plus vastes, avec déjà des airs de villes. Les grand-routes sont des lignes jaunâtres dans la verdure. Mais ici, du côté de la montagne, la plaine est beaucoup mieux cultivée et plus fertile, très belle. On y voit les diverses cultures avec leurs différentes couleurs riant au beau soleil qui descend du ciel serein.

Ce doit être le printemps, peut-être mars, si je tiens compte de la latitude de la Palestine, car je vois les blés déjà grands, mais encore verts, qui ondulent comme une mer glauque, et je vois les panaches des plus précoces parmi les arbres à fruits qui étendent des nuées blanches et rosées sur cette petite mer végétale, puis les prés tout en fleurs avec le foin qui a déjà poussé, dans lesquelles brebis qui paissent semblent des tas de neige amoncelée un peu partout sur la verdure.

Tout à côté de la montagne, sur des collines qui en forment la base, des collines basses et de peu d’étendue, se trouvent deux petites villes, l’une vers le sud et l’autre vers le nord. La plaine très fertile s’étend particulièrement et avec plus d’ampleur vers le sud.

Jésus, après un court arrêt à l’ombre d’un bouquet d’arbres, qu’il a certainement accordé par pitié pour Pierre qui dans les montées fatigue visiblement, reprend l’ascension. Il va presque sur la cime, là où se trouve un plateau herbeux que limite un demi-cercle d’arbres du côté de la côte.

« Reposez-vous, amis, je vais là-bas pour prier » et il montre de la main un énorme rocher, un rocher qui affleure de la montagne et qui se trouve par conséquent non vers la côte mais vers l’intérieur, vers le sommet.

Jésus s’agenouille sur l’herbe et appuie sa tête et ses mains au rocher, dans la pose qu’il aura aussi dans sa prière au Gethsémani. Le soleil ne le frappe pas, car la cime Lui donne de l’ombre. Mais le reste de l’emplacement couvert d’herbe est tout égayé par le soleil jusqu’à la limite de l’ombre du bouquet d’arbres sous lequel se sont assis les apôtres.

Pierre enlève ses sandales, en secoue la poussière et les petits cailloux et il reste ainsi, déchaussé, ses pieds fatigués dans l’herbe fraîche, presque allongé, la tête sur une touffe d’herbe qui dépasse et lui sert d’oreiller. Jacques l’imite, mais pour être plus à l’aise, il cherche un tronc d’arbre pour s’y appuyer le dos couvert de son manteau. Jean reste assis et observe le Maître. Mais le calme de l’endroit, le petit vent frais, le silence et la fatigue viennent aussi à bout de lui, et sa tête tombe sur la poitrine et les paupières sur ses yeux. Aucun des trois ne dort profondément, mais ils sont sous le coup de cette somnolence estivale qui les étourdit.

Ils sont éveillés par une clarté si vive qu’elle fait évanouir celle du soleil et qui se propage et pénètre jusque sous la verdure des buissons et des arbres sous lesquels ils se sont installés.

Ils ouvrent leurs yeux étonnés et ils voient Jésus transfiguré. Il est maintenant tel que je le vois dans les visions du Paradis, naturellement sans les Plaies et sans la bannière de la Croix, mais la majesté du visage et du corps est pareille, pareille en est la clarté et pareil le vêtement qui est passé d’un rouge foncé à un tissu immatériel de diamant et de perles qui est son vêtement au Ciel. Son visage est un soleil qui émet une lumière sidérale, mais très intense, et ses yeux de saphir y rayonnent. Il semble encore plus grand, comme si sa gloire avait augmenté sa taille.

Je ne saurais dire si la clarté, qui rend phosphorescent même le plateau, provient toute entière de Lui ou bien si à sa clarté propre se mélange toute celle qu’a concentrée sur son Seigneur toute la lumière qui existe dans l’Univers et dans les Cieux. Je sais que c’est quelque chose d’indescriptible.

Jésus est maintenant debout, je dirais même qu’il est au-dessus de la terre car entre Lui et la verdure du pré il y a une sorte de vapeur lumineuse, un espace fait uniquement de lumière et sur lequel il semble qu’il se dresse. Mais elle est si vive que je pourrais me tromper et l’impossibilité de voir le vert de l’herbe sous les pieds de Jésus pourrait venir de cette lumière intense qui vibre et produit des ondes, comme on le voit parfois dans les incendies. Des ondes, ici, d’une couleur blanche incandescente. Jésus reste le visage levé vers le ciel et il sourit à une vision qui le transporte.

Les apôtres en ont presque peur, et ils l’appellent, car il ne leur semble plus que ce soit leur Maître tant il est transfiguré. « Maître ! Maître ! » appellent-ils doucement mais d’une voix angoissée.

Lui n’entend pas.

« Il est en extase, dit Pierre tout tremblant. Que peut-il bien voir ? »

Les trois se sont levés. Ils voudraient s’approcher de Jésus, mais ils ne l’osent pas.

La lumière augmente encore avec deux flammes qui descendent du ciel et se placent aux côtés de Jésus. Quand elles sont arrêtées sur le plateau, leur voile s’ouvre et il en sort deux personnages majestueux et lumineux. L’un est plus âgé, au regard perçant et sévère et avec une longue barbe séparée en deux. De son front partent des cornes de lumière qui m’indiquent que c’est Moïse. L’autre est plus jeune, amaigri, barbu et poilu, à peu près comme le Baptiste auquel je dirais qu’il ressemble pour la taille, la maigreur, la conformation et la sévérité. Alors que la lumière de Moïse est d’une blancheur éclatante comme celle de Jésus, surtout pour les rayons du front, celle qui émane d’Élie ressemble à la flamme vive du soleil.

Les deux Prophètes prennent une attitude respectueuse devant leur Dieu Incarné et bien que Jésus leur parle familièrement ils n’abandonnent pas leur attitude respectueuse. Je ne comprends pas un mot de ce qu’ils disent.

Les trois apôtres tombent à genoux, tremblants, le visage dans les mains. Ils voudraient regarder, mais ils ont peur. Finalement Pierre parle : « Maître, Maître! Écoute-moi ». Jésus tourne les yeux en souriant vers son Pierre qui s’enhardit et dit : « C’est beau d’être ici avec Toi, Moïse et Élie… Si tu veux, nous faisons trois tentes pour Toi, pour Moïse et pour Élie, et nous nous tiendrons ici pour vous servir… »

Jésus le regarde encore et il sourit plus vivement. Il regarde aussi Jacques et Jean, d’un regard qui les embrasse avec amour. Moïse aussi et Élie regardent fixement les trois. Leurs yeux étincellent. Ce doit être comme des rayons qui pénètrent les cœurs.

Les apôtres n’osent pas dire autre chose. Effrayés, ils se taisent. Ils semblent un peu ivres et comme stupéfaits. Mais quand un voile qui n’est pas un nuage ni du brouillard, qui n’est pas un rayon, enveloppe et sépare les Trois glorieux derrière un écran encore plus brillant que celui qui les entourait déjà et les cache à la vue des trois, une Voix puissante et harmonieuse vibre et remplit d’elle-même tout l’espace, les trois tombent le visage contre l’herbe.

« Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, en qui Je me suis complu. Écoutez-le. »

Pierre, en se jetant à plat ventre, s’écrie : « Miséricorde pour moi, pécheur ! C’est la Gloire de Dieu qui descend ! » Jacques ne souffle mot. Jean murmure avec un soupir, comme s’il allait s’évanouir : « Le Seigneur parle ! »

Personne n’ose relever la tête, même quand le silence est redevenu absolu. Ils ne voient donc pas non plus le retour de la lumière à son état naturel de lumière solaire pour montrer Jésus resté seul et redevenu le Jésus habituel dans son vêtement rouge. Il marche vers eux en souriant, il les secoue, les touche et les appelle par leurs noms.

« Levez-vous ! C’est Moi. Ne craignez pas » dit-il, car les trois n’osent pas lever le visage et invoquent la miséricorde de Dieu sur leurs péchés, craignant que ce soit l’Ange de Dieu qui veut les montrer au Très-Haut.

« Levez-vous, donc. Je vous le commande » répète Jésus avec autorité. Eux lèvent le visage et ils voient Jésus qui sourit.

« Oh ! Maître, mon Dieu ! » s’écrie Pierre. « Comment ferons-nous pour vivre auprès de Toi, maintenant que nous avons vu ta Gloire ? Comment ferons-nous pour vivre parmi les hommes et nous, hommes pécheurs, maintenant que nous avons entendu la Voix de Dieu ? »

« Vous devrez vivre auprès de Moi et voir ma gloire jusqu’à la fin. Soyez-en dignes car le temps est proche. Obéissez au Père qui est le mien et le vôtre. Retournons maintenant parmi les hommes, parce que je suis venu pour rester parmi eux et les amener à Dieu. Allons. Soyez saints en souvenir de cette heure, soyez forts et fidèles. Vous aurez part à ma gloire la plus complète. Mais ne parlez pas maintenant de ce que vous avez vu, à personne, pas même à vos compagnons. Quand le Fils de l’homme sera ressuscité d’entre les morts, et retourné dans la gloire de son Père, alors vous parlerez. Parce qu’alors il faudra croire pour avoir part à mon Royaume. »

« Mais Élie ne doit-il pas venir afin de préparer à ton Royaume ? Les rabbis le disent. »

« Élie est déjà venu et il a préparé les voies au Seigneur. Tout arrive comme il a été révélé. Mais ceux qui enseignent la Révélation ne la connaissent pas, ne la comprennent pas. Ils ne voient pas et ils ne reconnaissent pas les signes des temps et les envoyés de Dieu. Élie est revenu une première fois. Il reviendra une seconde fois quand les derniers temps seront proches pour préparer les derniers à Dieu. Mais maintenant il est venu pour préparer les premiers au Christ, et les hommes n’ont pas voulu le reconnaître, ils l’ont tourmenté et mis à mort. Ils feront la même chose au Fils de l’homme car les hommes ne veulent pas reconnaître ce qui est leur bien. »

Les trois penchent la tête, pensifs et tristes, et ils descendent par le chemin par où ils sont montés avec Jésus.

Reprise de la vision du lundi 3 décembre 1945

Et c’est encore Pierre qui dit, dans une halte à mi-chemin : « Ah ! Seigneur ! Je dis moi aussi comme ta Mère hier : « Pourquoi nous as-tu fait cela ? » et je dis aussi: « Pourquoi nous as-tu dit cela ? » Tes dernières paroles ont effacé de nos cœurs la joie de la vue glorieuse ! C’est une grande journée de peur que celle-ci ! Ce qui nous a d’abord effrayé, c’est la grande lumière qui nous a éveillés, plus forte que si la montagne avait brûlé, ou que si la lune était descendue pour rayonner sur le plateau, sous nos yeux, puis ton aspect et ta façon de te détacher du sol, comme si tu allais t’envoler. J’ai eu peur que Toi, dégoûté des iniquités d’Israël, tu ne retournes aux Cieux, peut-être sur l’ordre du Très-Haut. Puis j’ai eu peur de voir apparaître Moïse que les gens de son temps ne pouvaient regarder sans voile tant resplendissait sur son visage le reflet de Dieu, et c’était un homme, et maintenant c’est un esprit bienheureux et enflammé de Dieu, et Élie… Miséricorde divine ! J’ai cru être arrivé à mon dernier moment, et tous les péchés de ma vie, depuis le temps où tout petit je volais des fruits dans le garde-manger du voisin, jusqu’au dernier quand je t’ai mal conseillé ces derniers jours, tous me sont venus à l’esprit.

Avec quel tremblement je m’en suis repenti ! Puis il m’a semblé que ces deux justes m’aimaient… et j’ai osé parler. Mais même leur amour me faisait peur car je ne mérite pas l’amour de pareils esprits. Et après… et après !… La peur des peurs ! La voix de Dieu !… Jéhovah qui a parlé ! A nous ! Il nous a dit : « Écoutez-le » Toi. Et Il t’a proclamé : « Son Fils Bien-Aimé en qui Il se complaît ». Quelle peur ! Jéhovah !… à nous !… Certainement il n’y a que ta force qui nous a gardés en vie !… Quand tu nous as touchés et tes doigts brûlaient comme des pointes de feu, j’ai eu la dernière épouvante. J’ai cru que c’était l’heure du jugement et que l’Ange me touchait pour me prendre l’âme et la porter au Très-Haut… Mais comment ta Mère a-t-elle fait pour voir… pour entendre… pour vivre, en somme, cette heure dont tu as parlé hier, sans mourir, elle qui était seule, jeune, sans Toi ? »

« Marie, la Sans Tache, ne pouvait avoir peur de Dieu. Ève n’en eut pas peur tant qu’elle fut innocente. Et il y avait Moi. Moi, le Père et l’Esprit, Nous, qui sommes au Ciel, sur la terre et en tout lieu, et qui avions notre Tabernacle dans le cœur de Marie » dit doucement Jésus.

« Quelle chose ! Quelle chose !… Mais après tu as parlé de mort… Et toute joie est finie… Mais pourquoi justement à nous trois tout cela ? Ce n’était pas bien de la donner à tous cette vision de ta gloire ? »

« C’est justement parce que vous vous évanouissez en entendant parler de la mort, et mort par supplice, du Fils de l’homme, que l’Homme-Dieu a voulu vous fortifier pour cette heure et pour toujours, par la connaissance anticipée de ce que je serai après la Mort. Rappelez-vous tout cela pour le dire en son temps… Avez-vous compris ? »

« Oh! oui, Seigneur. Il n’est pas possible d’oublier, et ce serait inutile de le raconter. Ils diraient que nous sommes « ivres ».

Ils reprennent leur marche vers la vallée mais, arrivés à un certain endroit, Jésus tourne par un sentier rapide en direction d’Endor, c’est-à-dire du côté opposé à celui où il a quitté les disciples.

« Nous ne les trouverons pas » dit Jacques. « Le soleil commence à descendre. Ils seront en train de se rassembler en t’attendant à l’endroit où tu les as quittés. »

« Viens et n’aie pas de sottes pensées. »

En effet, au moment où le maquis fait place à une prairie qui descend en pente douce pour arriver à la grand-route, ils voient la masse des disciples accrue de voyageurs curieux, de scribes venus de je ne sais où, qui s’agitent au pied de la montagne.

« Hélas ! Des scribes !… Et ils discutent déjà ! » dit Pierre en les montrant du doigt. Et il descend les derniers mètres à contrecœur.

Mais ceux qui sont en bas les ont vus et se les montrent, et puis se mettent à courir vers Jésus en criant : « Comment donc, Maître, de ce côté ? Nous allions venir à l’endroit convenu, mais les scribes nous ont retenus par des discussions, et un père angoissé par des supplications. »

« De quoi discutiez-vous ? »

« Pour un possédé. Les scribes se sont moqués de nous parce que nous n’avons pas pu le délivrer. Judas de Kériot a essayé encore, c’était pour lui un point d’honneur, mais inutilement. Alors nous leur avons dit : « Mettez-vous y vous ». Ils ont répondu: « Nous ne sommes pas des exorcistes ». Par hasard il est passé des gens qui venaient de Caslot-Thabor, parmi lesquels se trouvaient deux exorcistes. Mais aucun résultat. Voici le père qui vient te prier. Écoute-le. »

En effet un homme s’avance en suppliant et il s’agenouille devant Jésus qui est resté sur le pré en pente, de sorte qu’il est au- dessus du chemin au moins de trois mètres et qu ‘iI est bien visible pour tous, par conséquent.

« Maître » Lui dit l’homme « je suis allé avec mon fils à Capharnaüm pour te chercher. Je t’amenais mon malheureux fils pour que tu le délivres, Toi qui chasses les démons et guéris toutes sortes de maladies. Il est pris souvent par un esprit muet. Quand il le prend, il ne peut que pousser des cris rauques comme une bête qui s’étrangle. L’esprit le jette à terre, et lui se roule en grinçant des dents, en écumant comme un cheval qui ronge le mors, et il se blesse ou risque de mourir noyé ou brûlé, ou bien écrasé, car l’esprit plus d’une fois l’a jeté dans l’eau, dans le feu ou en bas des escaliers. Tes disciples ont essayé, mais n’ont pas pu. Oh ! Seigneur plein de bonté ! Pitié pour moi et pour mon enfant ! »

Jésus flamboie de puissance pendant qu’il crie : « O génération perverse, ô foule satanique, légion rebelle, peuple d’Enfer incrédule et cruel, jusqu’à quand devrai-je rester à ton contact ? Jusqu’à quand devrai-je te supporter ? » Il est imposant si bien qu’il se fait un silence absolu et que cessent les railleries des scribes.

Jésus dit au père : « Lève-toi et amène-moi ton fils. »

L’homme s’en va et revient avec d’autres hommes, au milieu desquels se trouve un garçon d’environ douze-quatorze ans. Un bel enfant, mais au regard un peu hébété comme s’il était abasourdi. Sur le front rougit une longue blessure et plus bas se trouve la trace blanche d’une cicatrice ancienne. Dès qu’il voit Jésus qui le fixe de ses yeux magnétiques, il pousse un cri rauque et il est pris par des contorsions convulsives de tout le corps, alors qu’il tombe à terre en écumant et en roulant les yeux, de sorte que l’on voit seulement le blanc des yeux, alors qu’il se roule par terre dans la convulsion caractéristique de l’épilepsie.

Jésus s’avance de quelques pas pour être près de lui, et il dit : « Depuis quand cela arrive-t-il ? Parle fort pour que tout le monde entende. »

L’homme, en criant, pendant que le cercle de la foule se resserre et que les scribes se placent plus haut que Jésus pour dominer la scène, dit : « Depuis son enfance, je te l’ai dit : souvent il tombe dans le feu, dans l’eau, en bas des escaliers et des arbres, parce que l’esprit l’assaille à l’improviste et le flanque ainsi pour en venir à bout. Il est tout couvert de cicatrices et de brûlures. C’est beaucoup s’il n’est pas resté aveugle par les flammes du foyer. Aucun médecin, aucun exorciste n’a pu le guérir, ni non plus tes disciples. Mais Toi, si comme je le crois fermement, tu peux quelque chose, aie pitié de nous et secours-nous. »

« Si tu peux le croire, tout m’est possible, car tout est accordé à celui qui croit. »

« Oh! Seigneur, si je crois! Mais si encore ma foi n’est pas suffisante, augmente ma foi, Toi, pour qu’elle soit complète et obtienne le miracle » dit l’homme en pleurant, agenouillé près de son fils plus que jamais en convulsions.

Jésus se redresse, recule deux pas, et pendant que la foule resserre plus que jamais le cercle, il crie à haute voix : « Esprit maudit qui rends l’enfant sourd et muet et le tourmentes, je te le commande : sors de lui, et n’y rentre jamais plus ! »

L’enfant, tout en restant couché sur le sol, fait des sauts effrayants, s’arc-boutant et poussant des cris inhumains, puis, après un dernier sursaut par lequel il se retourne à plat ventre en se frappant le front et la bouche contre une pierre qui dépasse de l’herbe et qui se rougit de sang, il reste immobile.

« Il est mort ! » crient plusieurs.

« Pauvre enfant ! »

« Pauvre père ! » disent, en les plaignant, les meilleurs.

Et les scribes railleurs : « Il t’a bien servi le Nazaréen ! », ou bien : « Maître, comment se fait-il ? Cette fois Belzébuth te fait faire piètre figure… » et ils rient haineusement. Jésus ne répond à personne, pas même au père qui a retourné son fils et lui essuie le sang de son front et de ses lèvres blessés, en gémissant et en appelant Jésus. Mais le Maître se penche et il prend l’enfant par la main. Et celui-ci ouvre les yeux en poussant un soupir, comme s’il s’éveillait d’un rêve, il s’assied et sourit. Jésus l’attire à Lui, le fait mettre debout, et le remet au père, pendant que la foule crie enthousiasmée et que les scribes s’enfuient, poursuivis par les railleries de la foule…

« Et maintenant allons » dit Jésus à ses disciples. Et après avoir congédié la foule, il contourne la montagne en se dirigeant vers la route déjà faite le matin.

Reprise de la vision du samedi 5 août 1944

Jésus dit : « Je t’ai préparé à méditer ma Gloire. Demain (fête de la Transfiguration) l’Église la célèbre. Mais je veux que mon petit Jean la voie dans sa vérité pour la mieux comprendre. Je ne te choisis pas seulement pour connaître les tristesses de ton Maître et ses douleurs. Celui qui sait rester avec Moi dans la douleur doit prendre part avec Moi à ma joie.

Je veux que toi, devant ton Jésus qui se montre à toi, tu aies les mêmes sentiments d’humilité et de repentir que mes apôtres.

Jamais d’orgueil. Tu serais punie en me perdant.

Un continuel souvenir de ce que je suis Moi, et de ce que tu es, toi. Une continuelle pensée de tes manquements et de ma perfection pour avoir un cœur lavé parla contrition. Mais, en même temps, aussi une si grande confiance en Moi. J’ai dit : « Ne craignez pas. Levez-vous. Allons. Allons parmi les hommes car je suis venu pour rester avec eux. Soyez saints, forts et fidèles en souvenir de cette heure ». Je le dis aussi à toi et à tous mes préférés parmi les hommes, à ceux qui me possèdent d’une manière spéciale.

Ne craignez rien de Moi. Je me montre pour vous élever non pour vous réduire en cendres. Levez-vous : que la joie du don vous donne la vigueur et ne vous engourdisse pas dans la jouissance du quiétisme en vous croyant déjà sauvés parce que je vous ai montré le Ciel. Allons ensemble parmi les hommes. Je vous ai invités à des œuvres surhumaines par des visions surhumaines et des instructions, pour que vous puissiez m’aider davantage. Je vous associe à mon œuvre. Mais moi, je n’ai pas connu et je ne connais pas de repos. Car le Mal ne se repose jamais et le Bien doit être toujours actif pour annuler le plus possible le travail de l’Ennemi. Nous nous reposerons quand le Temps sera accompli. Maintenant il faut marcher inlassablement, travailler continuellement, se consumer sans se lasser pour la moisson de Dieu. Que mon contact continuel vous sanctifie, que mes instructions continuelles vous fortifient, que mon amour de prédilection vous rende fidèles contre toute embûche. Ne soyez pas comme les anciens rabbins qui enseignaient la Révélation et puis n’y croyaient pas, au point de ne pas reconnaître les signes des temps et les envoyés de Dieu. Reconnaissez les précurseurs du Christ dans son second avènement puisque les forces de l’Antéchrist sont en marche et, en faisant exception à la mesure que je me suis imposée, car je sais que vous buvez certaines vérités non par esprit surnaturel mais par soif de curiosités humaines, je vous dis en vérité que ce qu’un grand nombre croiront une victoire sur l’Antéchrist, une paix désormais prochaine, ce ne sera qu’une halte pour donner le temps à l’Ennemi du Christ de se retremper, de guérir ses blessures, de réunir son armée pour une lutte plus cruelle.

Reconnaissez, vous qui êtes les « voix » de votre Jésus, du Roi des rois, du Fidèle et du Véridique qui juge et combat avec justice et sera le Vainqueur de la Bête et de ses serviteurs et prophètes, reconnaissez votre Bien et suivez-le toujours.

Que nulle apparence trompeuse ne vous séduise et que nulle persécution ne vous abatte, Que votre « voix » dise mes paroles, Que votre vie soit pour cette œuvre. Et si vous avez sur la terre le même sort que le Christ, que son Précurseur et qu’Élie, sort sanglant ou sort tourmenté par des tortures morales, souriez à votre sort à venir et assuré qui vous sera commun avec celui du Christ, de son Précurseur et de son prophète.

Égal dans le travail, dans la douleur, dans la gloire. Ici-bas Moi, Maître et Exemple. Là-haut, Moi Récompense et Roi. Me posséder sera votre béatitude. Ce sera oublier la douleur. Ce sera ce que toute révélation est encore insuffisante à vous faire comprendre car la joie de la vie future est trop au-dessus des possibilités imaginatives de la créature encore unie à la chair. »

Source

Le possédé de Capharnaüm guéri dans la synagogue

Vision du jeudi 2 novembre 1944

Je vois la synagogue de Capharnaüm. Elle est déjà remplie d’une foule qui attend. Des gens, sur le seuil, surveillent la place encore ensoleillée, bien que l’on aille vers le soir. Finalement, un cri « Voici le Rabbi qui vient. »

Tous se retournent vers la sortie. Le moins grands s’élèvent sur la pointe des pieds ou cherchent à se pousser en avant. Quelques disputes, quelques bousculades malgré les reproches des employés de la synagogue et des notables de la cité.

« La paix soit avec tous ceux qui cherchent la Vérité ! » Jésus est sur le seuil et salue en bénissant, les bras tendus en avant. La lumière très vive qui vient de la place ensoleillée met en valeur sa grande stature, nimbée de lumière. Il a quitté son habit blanc et il a pris ses vêtements ordinaires, bleu foncé. Il s’avance travers la foule qui lui fait un passage puis se resserre autour de Lui, comme l’eau autour d’un navire.

« Je suis malade, guéris-moi ! » gémit un jeune homme qui me semble phtisique d’après son aspect, et qui tient Jésus par son vêtement.

Jésus lui met la main sur la tête et lui dit : « Aie confiance, Dieu t’écoutera, lâche-moi maintenant pour que je parle au peuple après je viendrai vers toi. »

Le jeune homme le lâche et reste tranquille.

« Qu’est-ce qu’il t’a dit ? » demande une femme qui porte un bambin sur ses bras.

« Il m’a dit qu’après avoir parlé au peuple il viendra vers moi. »

« Il te guérit, alors ? »

« Je ne sais pas. Il m’a dit : « Confiance ». Moi, j’espère. »

« Qu’est-ce qu’il t’a dit ? »

« Qu’est-ce qu’il t’a dit ? »

La foule veut savoir. La réponse de Jésus circule parmi le peuple.

« Alors, je vais prendre mon petit. »

« Et moi, j’amène ici mon vieux père. »

« Oh! si Aggée voulait venir ! Je vais essayer … mais il ne viendra pas. »

Jésus a rejoint sa place. Il salue le chef de la synagogue qui le salue avec ses acolytes. C’est un homme de petite taille, gras et vieillot. Pour lui parler, Jésus s’incline. On dirait un palmier qui se penche vers un arbuste plus large que haut.

« Que veux-tu que je te donne ? » demande le chef de la synagogue.

« Ce que tu veux ou bien au hasard, l’Esprit te guidera. »

« Mais… seras-tu préparé ? »

« Je le suis. Prends au hasard. Je répète : l’Esprit du Seigneur guidera le choix pour le bien de ce peuple. »

Le chef de la synagogue étend la main sur le tas de rouleaux. Il en prend un, l’ouvre et s’arrête à un point donné. « Voilà » dit-il.

Jésus prend le rouleau et lit à J’endroit indiqué : « Josué : « Lève- toi et sanctifie le peuple et dis-leur: Sanctifiez-vous pour demain car voilà ce que dit le Dieu d’Israël : L’anathème est au milieu de vous, ô Israël. Tu ne pourras pas tenir tête à tes ennemis jusqu’à ce que soit enlevé du milieu de toi, celui qui s’est contaminé avec tel délit. » Il s’arrête, enroule le rouleau et le rend.

La foule est très attentive. Seul quelqu’un chuchote « Nous allons en entendre de belles contre les ennemis ! »

« C’est le Roi d’Israël, le Promis, qui rassemble son peuple ! » Jésus tend les bras dans son habituelle attitude oratoire. Le silence se fait, complètement.

« Celui qui est venu vous sanctifier s’est levé. Il est sorti du secret de la maison où il s’est préparé à cette mission. Il s’est purifié pour vous donner l’exemple de la purification. Il a pris position face aux puissants du Temple et au peuple de Dieu. Et maintenant, Il est parmi vous. C’est Moi ! Non pas comme le pensent et l’espèrent certains parmi vous qui ont l’esprit enténébré et le cœur troublé. Plus grand et plus noble est le Royaume dont je suis le futur Roi et auquel je vous appelle.

Je vous appelle, ô vous d’Israël, avant tout autre peuple, parce que vous êtes ceux qui dans les pères de vos pères eurent la promesse de cette heure et l’alliance avec le Seigneur Très-Haut. Mais ce ne sera pas avec des foules armées, pas par la féroce effusion de sang que se formera ce Royaume. Ce ne sont pas les violents, ni les dominateurs, pas les orgueilleux, les irascibles, les envieux, les luxurieux, les gens cupides qui y entreront, mais les bons, les doux, les chastes, les miséricordieux, les humbles, ceux qui aiment le prochain et Dieu, les patients.

Israël ! Ce n’est pas contre les ennemis du dehors que tu es appelé à combattre, mais contre les ennemis du dedans, contre ceux qui se trouvent en ton cœur, dans le cœur des dizaines et des dizaines de mille parmi tes fils. Enlevez l’anathème du péché dans tous vos cœurs si vous voulez que demain le Seigneur vous rassemble et vous dise : « Mon peuple, à toi le Royaume qui ne sera plus vaincu, ni envahi, ni attaqué par les ennemis ».

Demain. Quel jour, ce demain ? Dans un an ou un mois? Oh ! ne cherchez pas avec la soif malsaine de connaître l’avenir par des moyens qui ont le goût de coupables sorcelleries. Laissez aux païens l’esprit Python. Laissez au Dieu éternel le secret de Son temps. Vous, dès demain, le demain qui surgira après cette heure du soir, celui-là qui viendra de nuit, qui surgira avec le chant du coq, venez vous purifier dans la vraie pénitence.

Repentez-vous de vos péchés pour être pardonnés et prêts pour le Royaume. Enlevez-vous l’anathème du péché. Chacun a le sien Chacun a celui qui est contraire aux dix commandements du salut éternel. Examinez-vous, chacun avec sincérité et vous trouverez le point sur lequel vous vous êtes trompés. Ayez-en humblement un repentir sincère. Veuillez vous repentir. Non en paroles. On ne se moque pas de Dieu et on ne Le trompe pas. Mais repentez-vous avec la volonté arrêtée de changer de vie, de revenir à la Loi du Seigneur. Le Royaume des Cieux vous attend. Demain.

Demain ? demandez-vous ? Oh ! c’est toujours un prompt lendemain, l’heure de Dieu, même quand il vient au terme d’une longue vie comme celle des Patriarches. L’éternité n’a pas, pour mesurer le temps, le lent écoulement du sablier. Ces mesures du temps que vous appelez jours, mois, années, siècles sont les palpitations de l’Esprit Éternel qui vous garde en vie. Mais vous êtes éternels en votre esprit et vous devez, en esprit, garder la même méthode de mesure du temps que votre Créateur. Dire donc : « Demain, ce sera le jour de ma mort ! » Bien plus, pas de mort pour celui qui est fidèle, mais repos dans l’attente, dans l’attente du Messie qui ouvre les portes des Cieux.

Et, en vérité, je vous dis que parmi ceux qui sont ici présents, vingt-sept seulement devront attendre à leur mort. Les autres seront jugés dès avant la mort et la mort sera le passage à Dieu ou à Mammon, sans délai parce que le Messie est venu, Il est parmi vous et vous appelle pour vous donner la bonne nouvelle, pour vous instruire de la Vérité, pour vous assurer le salut et le Ciel. Faites pénitence ! Le « demain » du Royaume des Cieux est imminent, qu’il vous trouve purs pour devenir les possesseurs du Jour Éternel. La paix soit avec vous. »

Un se lève pour le contredire, c’est un Israélite barbu aux somptueux vêtements. Il dit : « Maître, ce que tu dis me paraît en opposition avec ce qui est dit au Livre second des Macchabées, gloire d’Israël. Là, il est dit : « En fait, c’est un signe de grande bienveillance de ne pas permettre aux pécheurs de ne pas revenir pendant longtemps à leurs caprices, mais de les châtier aussitôt. Le Seigneur ne fait pas comme avec les autres nations qu’il attend patiemment pour les punir lorsque est venu le jour du Jugement, quand la. mesure de leurs fautes sera comble » . Toi, au contraire, tu parles comme si le Très-Haut pouvait être très lent à nous punir, à nous attendre, comme les autres peuples, au temps du Jugement, quand sera comble la mesure des péchés, Vraiment, les faits t’apportent un démenti. Israël est puni, comme dit l’histoire des Macchabées. Mais, si c’était comme tu dis, n’y aurait-il pas un désaccord entre ta doctrine et celle qui est renfermée dans la phrase que je t’ai rapportée ? ».

« Qui es-tu, je ne le sais, mais qui que tu sois, je te réponds. Il n’y a pas de désaccord dans la doctrine, mais dans la manière d’interpréter les paroles. Tu les interprètes à la manière humaine; moi à la manière de l’Esprit. Toi, représentant de la majorité des hommes, tu vois tout dans une référence au présent et à ce qui est caduc. Moi, représentant de Dieu, j’explique tout et en fais l’application à l’éternel et au surnaturel. Jéhovah vous a frappés, oui, dans le présent, dans votre orgueil et votre prétention d’être un « peuple » selon les idées de la terre. Mais, à quel point Il vous a aimés et a usé de patience avec vous plus qu’avec aucun autre, en vous accordant à vous le Sauveur, son Messie, pour que vous l’écoutiez et vous vous sauviez avant l’heure de la colère divine ! Il ne veut plus que vous soyez pécheurs. Mais si Il vous a frappés en ce monde caduc, voyant que la blessure ne guérit pas, mais au contraire émousse toujours plus votre esprit, voici qu’Il vous envoie non pas la punition mais le salut. Il vous envoie Qui vous guérit et vous sauve, Moi, qui vous parle. »

« Ne trouves-tu pas que tu es audacieux en te posant comme représentant de Dieu ? Aucun des prophètes n’a eu cette audace, et Toi… qui es-tu, Toi qui parles et sur l’ordre de qui parles-tu ? »

« Les prophètes ne pouvaient dire d’eux-mêmes ce que Je dis de Moi. Qui suis-je ? L’Attendu, le Promis, le Rédempteur. Déjà vous avez entendu celui qui m’a précédé dire : « Préparez les voies du Seigneur… Voici que vient le Seigneur Dieu… Comme un berger il paîtra son troupeau, tout en étant l’Agneau de la vraie Pâque ! »

Il y a parmi vous des gens qui ont entendu ces paroles de la bouche du Précurseur et qui ont vu s’éclairer le ciel par l’effet d’une lumière qui descendait en forme de colombe, qui ont entendu Une voix qui parlait en disant qui j’étais. Par ordre de qui Je parle ? Par ordre de Celui qui est et qui m’envoie. »

« Tu peux le dire, mais tu peux aussi être un menteur ou dans l’illusion. Tes paroles sont saintes, mais Satan aussi a des paroles trompeuses teintes de sainteté, pour entraîner dans l’erreur. Nous nous ne te connaissons pas. »

« Je suis Jésus de Joseph, de la race de David, né à Bethléem Ephrata, selon la promesse, appelé Nazaréen parce que j’ai la maison à Nazareth. Cela, du point de vue du monde. Selon Dieu je suis son Messie. Mes disciples le savent. »

« Oh ! eux, ils peuvent dire ce qu’ils veulent et ce que tu leur fais dire. »

« Un autre parlera, qui ne m’aime pas et dira qui je suis. Attends que j’appelle un de ceux qui sont présents. »

Jésus regarde la foule, étonnée de la discussion, choquée et divisée en deux courants contraires. Il regarde, en cherchant quelqu’un avec ses yeux de saphir, puis crie à haute voix : « Aggée, avance, Je te le commande. »

Grand bruit dans la foule qui s’ouvre pour laisser passer un homme agité par un tremblement et soutenu par une femme.

« Connais-tu cet homme ? »

« Oui, c’est Aggée de Malachie, d’ici, de Capharnaüm. Il est possédé d’un esprit malin qui le fait entrer dans des accès de folie furieuse et soudaine. »

« Tout le monde le connaît ? » La foule crie : « Oui, oui. »

« Quelqu’un peut-il dire qu’il m’a parlé fût-ce quelques minutes ! »

La foule crie : « Non, non, il est comme hébété et ne sort jamais de sa maison et personne ne t’y a jamais vu. »

« Femme, amène-le-Moi. »

La femme le pousse et le traîne pendant que le pauvret tremble plus fort. Le chef de la synagogue avertit Jésus : « Attention ! Le démon va le tourmenter … et alors il s’excite, griffe et mord ». La foule s’écarte en se pressant contre les murs. Les deux sont désormais en face l’un de l’autre.

Un instant de résistance. Il semble que l’homme habitué au mutisme hésite à parler et gémit. Puis la voix s’articule : « Qu’y-a- t-il entre nous et Toi Jésus de Nazareth ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter ? Nous exterminer, Toi, le Maître du Ciel et de la terre ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. Personne, dans la chair, ne fut plus grand que Toi parce que dans ta chair d’homme, est renfermé l’Esprit du Vainqueur Éternel. Déjà tu m’as vaincu dans… »

« Tais-toi, sors de lui, Je te le commande. »

L’homme est pris d’une agitation étrange. Il s’agite par à-coups comme s’il y avait quelqu’un qui le maltraite en le poussant et le secouant. Il hurle d’une voix inhumaine et puis est plaqué au sol d’où il se relève ensuite, étonné et guéri.

« Tu as entendu ? Que réponds-tu, maintenant ? » Jésus demande à son opposant.

L’homme barbu et bien habillé hausse les épaules et, vaincu, s’en va sans répondre. La foule le raille et applaudit Jésus.

« Silence, c’est un lieu sacré, dit Jésus, et il ordonne : Amenez- Moi le jeune homme à qui j’ai promis l’aide de Dieu. »

Le malade se présente. Jésus le caresse : « Tu as eu foi ! Sois guéri. Va en paix et sois juste. »

Le jeune homme pousse un cri, qui sait ce qu’il éprouve ? Il se jette aux pieds de Jésus et les baise en remerciant : « Merci pour moi et pour ma mère ! »

D’autres malades viennent : un jeune enfant aux jambes paralysées. Jésus le prend dans ses bras, le caresse, le pose à terre… et le laisse. Le bambin ne tombe pas mais court vers sa mère qui le reçoit sur son cœur en pleurant, et bénit « le Saint d’Israël ». Arrive un petit vieux aveugle, conduit par sa fille. Lui aussi se voit guéri avec une caresse sur les orbites malades.

De la part de la foule, c’est un délire de bénédictions.

Jésus se fraye un chemin en souriant. Malgré sa grande taille il n’arriverait pas à fendre la foule si Pierre, Jacques, André et Jean ne travaillaient du coude généreusement et ne s’ouvraient un accès depuis leur coin jusqu’à Jésus et ne le protégeaient Jusqu’à la sortie sur la place où le soleil a disparu.

La vision se termine ainsi.

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Jésus aux noces de Cana

Dimanche 16 janvier 1944, soir

Les noces de Cana : Je vois une maison, une vraie maison orientale : un cube blanc plus large que haut, avec de rares ouvertures, surmontée d’une terrasse qui sert de toit et est entourée d’un muret de un mètre environ et ombragée par une tonnelle de vigne qui grimpe jusque là et étend ses rameaux au delà du milieu de cette terrasse ensoleillée.

Un escalier extérieur monte le long de la façade au niveau d’une porte qui s’ouvre à mi-hauteur de la façade. Au dessous, il y a au niveau du sol des portes basses et rares, pas plus de deux de chaque côté, qui donnent accès dans des pièces basses et sombres. La maison s’élève au milieu d’une espèce de cour plutôt une pelouse, au centre de laquelle se trouve un puits. Il y a des figuiers et des pommiers. La maison donne sur la route sans être à bord de route. Elle est un peu en retrait et un sentier traverse la pelouse jusqu’à la route qui semble être une maîtresse route.

On dirait que la maison est à la périphérie de Cana : maison de paysans propriétaires qui vivent au milieu de leur petit domaine. La campagne s’étend au delà de la maison avec ses lointains de tranquille verdure. Il fait un beau soleil et l’azur du ciel est très pur. Au début, je ne vois rien d’autre. La maison est solitaire.

Puis je vois deux femmes avec de longs vêtements et un manteau qui sert aussi de voile. Elles avancent sur la route et puis sur le sentier. L’une plus âgée, sur les cinquante ans, en habits foncés de couleur fauve marron, comme de laine naturelle. L’autre est en vêtements plus clairs, avec un habit d’un jaune pâle et un manteau azur. Elle semble avoir à peu près trente cinq ans. Elle est très belle, svelte et elle a une contenance pleine de dignité bien que toute gentillesse et humilité. Quand elle est plus proche, je remarque la couleur pâle du visage, les yeux azurés et les cheveux blonds qui apparaissent sur le front, sous le voile. Je reconnais Marie la Très Sainte. Qui est l’autre, brune et plus âgée, je ne sais. Elles parlent entre elle et la Madone sourit. Quand elles sont tout à côté de la maison, quelqu’un sûrement chargé de guetter les arrivées, avertit et à leur rencontre arrivent des hommes et des femmes, tous en habits de fête. Tout le monde leur fait fête et surtout à Marie la Très Sainte.

L’heure semble matinale, je dirais vers les neuf heures peut-être plus tôt, car la campagne a encore cet aspect de fraîcheur des premières heures du jour avec la rosée qui rend l’herbe plus verte et la pelouse qui n’est pas empoussiérée. La saison me paraît printanière car l’herbe des prés n’est pas brûlée par le soleil d’été et dans les champs, les blés sont en herbe, sans épis, tout verts. Les feuilles du figuier et du pommier sont vertes et encore tendres mais je ne vois pas de fleurs sur le pommier et je ne vois pas de fruits, ni sur le pommier ni sur le figuier ni sur la vigne. C’est que le pommier a déjà fleuri depuis peu, mais les petits fruits ne se voient pas encore. Marie, très fêtée et accompagnée par un homme âgé qui doit être le propriétaire, monte l’escalier extérieur et entre dans une grande salle qui paraît occuper tout ou en grande partie, l’étage.

Je crois comprendre que les pièces du rez-de-chaussée sont les vraies pièces d’habitation, les dépenses, les débarras et les celliers et que l’étage est réservé à des usages spéciaux : fêtes exceptionnelles ou à des travaux qui demandent beaucoup de place ou à l’emmagasinage des produits agricoles. Pour les fêtes on la débarrasse et on l’orne, comme aujourd’hui de branches vertes, de nattes, de tables garnies.

Au centre, il y en a une très riche, avec dessus déjà; des amphores et des plats garnis de fruits. Le long du mur, à ma droite une autre table garnie mais moins richement. A ma gauche une sorte de longue crédence avec dessus des plats de fromages et d’autres aliments qui me semblent des galettes couvertes de miel et de friandises. Par terre, toujours à ma gauche d’autres amphores et six grands vases en forme de brocs de cuivre, plus ou moins. Pour moi ce serait des jarres.

Marie écoute avec bienveillance ce que tous lui disent puis gentiment quitte son manteau et aide à terminer les préparatifs pour la table. Je la vois aller et venir rangeant les lits de table, redressant les guirlandes de fleurs, donnant meilleur aspect aux coupes de fruits; veillant à ce que les lampes soient garnies d’huile. Elle sourit et parle très peu et à voix très basse. Par contre, Elle écoute beaucoup et avec combien de patience.

Un grand bruit d’instruments de musique (peu harmonieux, en vérité) se fait entendre sur la route. Tout le monde, à l’exception de Marie, court dehors. Je vois entrer l’épouse toute parée et heureuse, entourée des parents et des amis, à côté de l’époux qui est accouru à sa rencontre le premier.

Ici il se produit un changement dans la vision :

Je vois, au lieu de la maison, un pays. Je ne sais si c’est Cana ou une autre bourgade voisine. Je vois Jésus avec Jean et un autre qui pourrait être Jude Thaddée, mais pour ce second, je pourrais me tromper. Pour Jean, je ne me trompe pas. Jésus est vêtu de blanc et a un manteau azur foncé. En entendant le bruit de la musique, le compagnon de Jésus demande un renseignement à un homme du peuple et en fait part à Jésus.  » Allons faire plaisir à ma Mère » dit Jésus en souriant et il se met en route à travers les champs avec ses deux compagnons dans la direction de la maison. J’ai oublié de dire mon impression que Marie est ou parente ou très amie des parents de l’époux car je les vois en grandes confidences.

Quand Jésus arrive, le veilleur habituel prévient les autres. Le maître de maison, en même temps que son fils, l’époux, et que Marie, descend à la rencontre de Jésus et le salue respectueusement. Il salue aussi les deux autres et l’époux fait la même chose. Mais, ce qui me plaît, c’est le salut plein d’un amoureux respect de Marie à son Fils et réciproquement. Pas d’épanchements, mais un tel regard accompagne les paroles de la salutation : « La paix avec Toi », et un tel sourire qui vaut cent baisers et cent embrassements. Le baiser tremble sur les lèvres de Marie, mais Elle ne le donne pas. Elle pose seulement sa petite main blanche sur l’épaule de Jésus et effleure une boucle de sa longue chevelure. Une caresse d’une pudique énamourée.

Jésus monte à côté de sa Mère, suivi des deux disciples et du propriétaire et il entre dans la salle de réception où les femmes s’occupent à ajouter des sièges et des couverts pour les trois hôtes qu’on n’attendait pas, me semble-t-il. Je dirais que la venue de Jésus était incertaine et celle de ses deux compagnons absolument imprévue.

J’entends distinctement la voix pleine, virile; très douce du Maître dire en entrant dans la salle:  » La paix soit dans cette maison, et la bénédiction de Dieu sur vous tous. » Salut cumulatif à toutes les personnes présentes et plein de majesté. Jésus domine tout le monde par sa stature et son aspect. C’est l’hôte et inattendu, mais il semble le roi de la fête, plus que l’époux, plus que le maître de maison. Tout en restant humble et condescendant, c’est Lui qui en impose.

Jésus prend place à la table centrale, avec l’époux, l’épouse, les parents des époux et les amis plus influents. Aux deux disciples, par respect pour le Maître, on donne des sièges à la même table.

Jésus tourne le dos au mur où sont les jarres. Il ne les voit donc pas, ni non plus l’affairement du majordome autour des plats de rôti qu’on amène par une trappe auprès des crédences.

J’observe une chose. Sauf les mères des époux et Marie, aucune femme ne siège à cette table, Toutes les femmes se trouvent, et elles font un grand bruit, à la table le long du mur. On les sert après les époux et les hôtes de marque. Jésus est près du maître de maison et a en vis-à-vis Marie qui est à côté de l’épouse. Le repas commence, et je vous assure que l’appétit ne manque pas et encore moins la soif. Deux mangent et boivent peu, ce sont Jésus et sa Mère, qui aussi parle très peu. Jésus parle un peu plus. Mais tout en parlant peu, il n’est, dans sa conversation, ni renfrogné ni dédaigneux. C’est un homme courtois, mais pas bavard. Quand on l’interroge, il répond, s’intéresse à ce qu’on Lui dit et donne son avis, mais ensuite se recueille en Lui-même comme quelqu’un habitué à la méditation. Il sourit mais ne rit jamais. S’il entend quelque plaisanterie trop aventurée, il fait celui qui n’entend pas. Marie se nourrit de la contemplation de son Jésus et aussi Jean qui est au bout de la table et reste suspendu aux lèvres de son Maître.

Marie s’aperçoit que les serviteurs parlottent avec le majordome et que celui-ci est gêné et Elle comprend qu’il y a quelque chose de désagréable. « Fils, dit-elle doucement en attirant l’attention de Jésus avec cette parole, Fils, ils n’ont plus de vin. »

« Femme, qu’y a-t-il, désormais entre Moi et Toi ? » Jésus en disant cette phrase sourit encore plus doucement et Marie sourit, comme deux qui savent une vérité qui est leur joyeux secret que tous les autres ignorent.

Marie ordonne aux serviteurs: « Faites ce que Lui vous dira.  » Marie a lu dans les yeux souriants de son Fils l’assentiment, voilé d’un grand enseignement pour tous les « appelés « .

Et Jésus ordonne aux serviteurs : « Emplissez d’eau les cruches. « 

Je vois les serviteurs emplir les jarres de l’eau apportée du puits. (J’entends le grincement de la poulie qui monte et descend le seau qui déborde). Je vois le majordome qui se verse un peu de ce liquide avec un regard de stupeur, qui ressaie avec une mimique d’un plus grand étonnement et le goûte. Il parle au maître de maison et à l’époux son voisin.

Marie regarde encore son Fils et sourit; puis recevant un sourire de Lui, incline la tête en rougissant légèrement. Elle est heureuse.

Dans la salle passe un murmure. Les têtes se tournent vers Jésus et Marie. On se lève pour mieux voir. On va vers les jarres. Un silence, puis un chœur de louanges à Jésus.

Mais Lui se lève et dit une seule parole : « Remerciez Marie  » et puis il quitte le repas. Sur le seuil il répète : « La paix à cette maison et la bénédiction de Dieu sur vous » et il ajoute : « Mère, je te salue. »

La vision s’arrête.

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Derniers enseignements à Gethsémani et adieu – Ascension de Jésus vers son Père

Vision du jeudi 24 avril 1947.

– À l’orient, l’aurore commence à peine à rougir. Jésus se promène avec sa Mère dans les vallons de Gethsémani. Ils n’échangent pas le moindre mot, seulement des regards d’indicible amour. Peut‑être les paroles ont‑elles déjà toutes été dites. Peut‑être n’ont‑elles jamais été dites. Ce sont leurs deux âmes qui se sont parlé : celle du Christ, celle de la Mère du Christ. Maintenant, c’est une contemplation d’amour, une réciproque contemplation. La nature humide de rosée, la pure lumière du matin en ont connaissance, de même que ces gracieuses créatures de Dieu que sont les herbes, les fleurs, les oiseaux, les papillons. Les hommes sont absents.

– Personnellement, je me sens mal à l’aise d’être présente à ce moment d’adieu. “Seigneur, je n’en suis pas digne !”, voilà mon cri tandis que mes larmes coulent en contemplant la dernière heure de l’union terrestre entre la Mère et le Fils et en pensant que nous voilà parvenus au terme de l’amoureuse fatigue, celle de Jésus, celle de Marie et du pauvre, petit, indigne enfant que Jésus a voulu comme témoin de tout le temps messianique, et qui a pour nom Maria, mais que Jésus aime appeler “le petit Jean” et aussi “la violette de la croix”.

Oui. Petit Jean. Petit parce que je ne suis rien. Jean parce que je suis vraiment celle à qui Dieu a accordé de grandes grâces, mais aussi parce que, dans une mesure infinitésimale — mais c’est tout ce que je possède, et en donnant tout ce que je possède, je sais que je donne dans une mesure parfaite qui satisfait Jésus, car c’est le “tout” de mon rien — donc parce que, dans une mesure infinitésimale, j’ai imité le bien‑aimé, le grand Jean : j’ai donné tout mon amour à Jésus et à Marie, en partageant avec eux larmes et sourires, et en les suivant, angoissée de les voir affligés et de ne pouvoir les défendre de la haine du monde au prix de ma propre vie : et maintenant, je suis frémissante du frémissement de leur cœur pour ce qui prend fin pour toujours.

Violette, oui. Une violette qui a cherché à se tenir cachée dans l’herbe pour que Jésus ne l’évite pas, lui qui aimait toute la création en tant qu’œuvre de son Père, mais me presse sous son pied divin. Si je pouvais mourir en exhalant mon délicat parfum dans l’effort de lui adoucir le contact avec la terre, si dure et raboteuse ! Violette de la croix, oui. Et son sang a rempli mon calice jusqu’à le faire pencher vers le sol…

Oh ! mon Bien‑aimé qui, plus tôt, m’as comblée de ton sang en me faisant contempler tes pieds blessés, cloués au bois… “au pied de la croix, il y avait quelques violettes en fleur, et ton sang coulait goutte à goutte sur ces violettes en fleur…”

Souvenir lointain, mais à la fois si proche et si présent ! Préparation de ce que je suis devenue : ton porte‑parole, qui est maintenant tout trempé de ton sang, de ta sueur et de tes larmes, des larmes de Marie ta Mère, mais qui connaît aussi tes paroles, tes sourires, tout, tout de toi, et qui exhale le parfum, non plus des violettes, mais celui de toi seul, mon unique Amour, ce parfum divin qui a bercé hier soir ma douleur et qui vient sur moi, doux comme un baiser, consolant comme le Ciel lui‑même, et me fait tout oublier pour vivre de toi seul…

– J’ai en moi ta promesse. Je sais que je ne te perdrai pas. Tu me l’as promis et ta promesse est sincère : elle vient de Dieu. Je te posséderai encore, toujours. C’est seulement si je péchais par orgueil, mensonge ou désobéissance, que je te perdrais. C’est toi qui l’as dit, mais tu sais qu’avec ta grâce pour soutenir ma volonté, je ne veux pas pécher, et j’espère ne pas le faire parce que tu me soutiendras.

Je ne suis pas un chêne, je le sais. Je suis une violette, une fleur frêle qui peut ployer sous le pied d’un oiseau ou même sous le poids d’un scarabée. Mais tu es ma force, Seigneur, et mon amour pour toi est mon aile.

Je ne te perdrai pas. Tu me l’as promis. Tu viendras, tout entier pour moi, pour faire la joie de ta violette mourante. Mais je ne suis pas égoïste. Seigneur. Tu le sais. Tu sais que je voudrais ne plus te voir et que d’autres te voient en grand nombre, afin qu’ils croient en toi. À moi, tu as déjà beaucoup donné malgré mon indignité. Vraiment, tu m’as aimée comme toi seul sais aimer tes enfants chéris.

– Je repense à la douceur de te voir “vivre”, homme parmi les hommes. Et je sais que je ne te verrai plus ainsi. Tout a été vu et dit. Je sais aussi que tu n’effaceras pas de ma pensée tes actions d’homme parmi les hommes, et que je n’aurai pas besoin de livres pour me souvenir de toi, tel que tu étais réellement. Il suffira que je regarde à l’intérieur de moi, où toute ta vie est inscrite en caractères indélébiles. Mais c’était doux, doux…
Maintenant tu t’élèves… La terre te perd. Maria de la Croix te perd, Maître Sauveur. Tu resteras pour elle un Dieu très doux. Ce n’est plus du sang, mais un miel céleste que tu verseras dans le calice violacé de ta violette… Je pleure… J’ai été ta disciple, en même temps que les autres, sur les chemins de montagne, dans les sentiers des forêts, ou sur les voies arides, poussiéreuses de la plaine, sur le lac comme près du beau fleuve de ta patrie. Désormais tu t’en vas, et je ne verrai plus qu’en souvenir Bethléem et Nazareth sur leurs vertes collines d’oliviers, Jéricho brûlée par le soleil au bruissement de ses palmiers, et Béthanie l’amie, ou encore Engaddi, cette perle perdue dans les déserts, pas plus que la belle Samarie, les plaines fertiles de Saron et d’Esdrelon, le haut‑plateau bizarre d’au‑delà du Jourdain, le cauchemar de la Mer Morte, les villes ensoleillées des bords de la Méditerranée, et surtout Jérusalem, la ville de ta souffrance, ses montées et ses descentes, les arcades, les places, les faubourgs, les puits et les citernes, les collines, et jusqu’à la triste vallée des lépreux où ta miséricorde s’est largement répandue… Et la maison du Cénacle… la fontaine qui pleure tout près… le petit pont sur le Cédron, l’endroit où tu as sué du sang… la cour du Prétoire…

Ah, non ! tout ce qui concerne ta souffrance se trouve ici et y restera toujours… Je devrai chercher tous les autres souvenirs pour les retrouver, mais ta prière à Gethsémani, ta flagellation, ta montée au Golgotha, ton agonie et ta mort, la douleur de ta Mère, non, je n’aurai pas à les chercher : elles me sont toujours présentes.

Peut‑être les oublierai‑je au Paradis, mais il me paraît impossible de pouvoir les oublier, même là‑bas… Je me rappelle jusqu’au moindre détail de ces heures atroces, jusqu’à la forme de la pierre sur laquelle tu es tombé, et même le bouton de rose rouge qui battait comme une goutte de sang sur le granit, contre la fermeture de ton tombeau…

Mon Amour tout divin, ta Passion vit dans ma mémoire… et m’en brise le cœur…

– L’aurore s’est complètement levée. Le soleil est déjà haut sur l’horizon, et l’on entend la voix des apôtres. C’est un signal pour Jésus et Marie. Ils s’arrêtent, se regardent, l’un en face de l’autre, puis Jésus ouvre les bras et accueille sa Mère sur sa poitrine… Oh ! c’était bien un homme, un fils de femme ! Pour le croire, il suffit de regarder cet adieu ! L’amour déborde en une pluie de baisers sur la Mère tant aimée. L’amour couvre de baisers le Fils tant aimé.

C’est à croire qu’ils ne pourront se séparer. Quand ils semblent le faire, une autre étreinte les unit encore et, parmi les baisers des paroles de réciproque bénédiction… Oh ! c’est vraiment le Fils de l’homme qui quitte celle qui l’a engendré ! C’est vraiment la Mère qui congédie son Fils pour le rendre au Père, c’est le gage de l’Amour à la Toute‑Pure…

Dieu qui embrasse la Mère de Dieu !…

Finalement, la Femme, en tant que créature, s’agenouille aux pieds de son Dieu qui est pourtant son Fils, et le Fils, qui est Dieu, impose les mains sur la tête de sa Mère vierge, de l’éternelle Aimée, et il la bénit au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Puis il s’incline et la relève en déposant un dernier baiser sur son front blanc comme un pétale de lys sous l’or de ses cheveux si jeunes encore…

Ils repartent vers la maison et personne, en voyant la paix avec laquelle ils avancent l’un à côté de l’autre, ne penserait au flot d’amour qui les a dominés un peu plus tôt. Mais comme cet adieu est loin de la tristesse des autres adieux, désormais dépassés, et du déchirement de l’adieu de la Mère à son Fils mort qu’elle devait laisser seul au tombeau !

Cette fois, même si les yeux brillent des larmes naturelles d’une personne sur le point de se séparer de l’être aimé, les lèvres sourient à la joie de savoir que cet Aimé va dans la demeure qui convient à sa gloire…

– «Seigneur ! Tous ceux que tu avais dit à ta Mère vouloir bénir aujourd’hui sont là dehors, entre le mont et Béthanie, signale Pierre.

– C’est bien. Nous irons les trouver. Mais venez d’abord. Je veux partager encore une fois le pain avec vous.»

Ils entrent dans la pièce où, dix jours plus tôt, se trouvaient les femmes pour la cène du quatorzième jour du second mois. Marie accompagne Jésus jusque-là, puis elle se retire. Il reste Jésus et les Onze.

Sur la table sont disposés de la viande rôtie, des fromages et des olives noires, une petite amphore de vin et une d’eau, plus grande, ainsi que de larges pains. C’est une table simple, sans l’apparat de quelque cérémonie de luxe, mais uniquement parce qu’il faut bien que l’on mange.

Jésus offre et fait les parts. Il se tient au milieu, entre Pierre et Jacques, fils d’Alphée. C’est lui qui les a appelés à ces places. Jean, Jude et Jacques se trouvent en face de lui, Thomas, Philippe, Matthieu sont d’un côté, André, Barthélemy, le Zélote de l’autre.

Ainsi tous peuvent voir leur Jésus… Le repas est bref, silencieux. Les apôtres, arrivés au dernier jour de proximité avec Jésus, et malgré les apparitions successives, collectives ou individuelles, à partir de la Résurrection, toutes pleines d’amour, n’ont jamais perdu cette retenue et cette vénération qui ont caractérisé leurs rencontres avec Jésus ressuscité.

– Une fois le repas fini, Jésus ouvre les mains au‑dessus de la table en faisant son geste habituel devant un fait inéluctable, et il dit :

«Voici venue l’heure où je dois vous quitter pour retourner vers mon Père. Écoutez les dernières paroles de votre Maître.

Ne vous éloignez pas de Jérusalem ces jours‑ci. Lazare, à qui j’ai parlé, a veillé une fois encore à réaliser les désirs de son Maître : il vous cède la maison de la dernière Cène pour que vous ayez une demeure où réunir l’assemblée et vous recueillir en prière. Restez à l’intérieur pendant ces jours, et priez avec assiduité pour vous préparer à la venue de l’Esprit Saint qui vous perfectionnera pour votre mission. Rappelez‑vous que moi, qui pourtant suis Dieu, je m’étais préparé par une sévère pénitence à mon ministère d’évangélisateur. Ce sera toujours plus facile et plus court pour vous.

Je n’exige rien d’autre de vous. Il me suffit que vous priiez assidûment, en union avec les soixante-douze disciples et sous la conduite de ma Mère, que je vous recommande avec l’empressement d’un fils. Elle sera pour vous une mère et une maîtresse d’amour et de sagesse parfaite.

J’aurais pu vous envoyer ailleurs pour vous préparer à recevoir l’Esprit Saint, mais je tiens à ce que vous restiez ici, car c’est Jérusalem négatrice qui doit s’étonner de voir se continuer les prodiges divins, accomplis pour répondre à ses réfutations.

Plus tard, l’Esprit Saint vous fera comprendre la nécessité que l’Église surgisse précisément dans cette ville qui, d’un point de vue humain, est la plus indigne de la posséder. Mais Jérusalem, c’est toujours Jérusalem, même si le péché y est à son comble et si c’est ici qu’a eu lieu le déicide. Cela ne lui servira à rien. Elle est condamnée. Mais si elle est condamnée, tous ses habitants ne le sont pas. Restez ici pour les rares justes qui s’y trouvent. Restez‑y parce que c’est la cité royale et la cité du Temple. Comme les prophètes l’ont prédit ici, où le Roi Messie a été oint et acclamé et où il s’est levé, c’est à Jérusalem que doit commencer son règne sur le monde, et c’est ici encore, où la synagogue a reçu de Dieu le libelle de répudiation à cause de ses crimes trop horribles, que doit surgir le Temple nouveau vers lequel accourront toutes les nations.

Relisez les prophètes : ils ont tout prédit. Ma Mère d’abord, puis l’Esprit Paraclet, vous feront comprendre les paroles des Prophètes pour cette époque.

– Restez ici jusqu’au moment où Jérusalem vous répudiera comme elle m’a répudié, et haïra mon Église comme elle m’a haï, en fomentant de noirs desseins pour l’exterminer. Alors portez ailleurs le siège de cette Église que j’aime, car elle ne doit pas périr.

Je vous le répète : l’enfer même ne prévaudra pas sur elle. Mais si Dieu vous assure de sa protection, ne tentez pas le Ciel en exigeant tout du Ciel.

Allez en Ephraïm comme votre Maître y est allé, parce que ce n’était pas l’heure pour lui d’être pris par ses ennemis. Sous ce nom d’Ephraïm, j’entends une terre d’idoles et de païens. Mais ce ne sera pas Ephraïm de Palestine que vous devez choisir comme siège de mon Église. Rappelez‑vous combien de fois je vous ai parlé de cela, à vous tous ou à l’un de vous en particulier, et je vous ai prédit qu’il vous faudrait fouler les routes de la terre pour arriver à son cœur et fixer là mon Église.

C’est du cœur de l’homme que le sang se diffuse dans tous les membres. C’est du cœur du monde que le christianisme doit se propager sur toute la terre.

Pour l’heure, mon Église est semblable à une créature déjà conçue, mais qui se forme encore dans la matrice. Jérusalem est cette matrice. Son cœur encore menu répand ses petites ondes de sang aux membres peu nombreux de l’Église naissante. Mais une fois arrivée l’heure marquée par Dieu, la matrice marâtre expulsera la créature qui s’est formée en son sein. Celle‑ci partira vers une terre nouvelle, où elle grandira pour devenir un grand Corps qui s’étendra sur toute la terre, et les battements du cœur de l’Église devenu fort se propageront dans tout son grand Corps. Le cœur de l’Église, affranchie de tout lien avec le Temple, éternelle et victorieuse sur les ruines du Temple détruit, battra au cœur du monde pour dire aux juifs comme aux païens que Dieu seul triomphe et veut ce qu’il veut, et que ni la haine des hommes ni les troupes d’idoles n’arrêtent sa volonté.

Mais cela viendra par la suite, et en ce temps‑là vous saurez quoi faire. L’Esprit de Dieu vous conduira. Ne craignez pas.

Pour le moment, réunissez à Jérusalem la première assemblée de fidèles. Puis d’autres assemblées se formeront à mesure que leur nombre grandira. En vérité, je vous dis que les habitants de mon Royaume se multiplieront comme des semences jetées dans une excellente terre. Mon peuple se propagera par toute la terre.

Le Seigneur dit au Seigneur : “Parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance.” Bénédiction est mon nom, mon signe et ma loi, là où ils sont reconnus souverains.

– L’Esprit Saint, le Sanctificateur, va venir et vous en serez remplis. Faites en sorte d’être purs comme tout ce qui doit approcher le Seigneur. J’étais Seigneur, moi aussi, comme lui. Mais sur ma Divinité, j’avais endossé un vêtement pour pouvoir être parmi vous, et non seulement pour vous instruire et vous racheter par les organes et le sang de ce vêtement, mais aussi pour porter le Saint des Saints parmi les hommes, sans qu’il soit inconvenant que tout homme, même impur, puisse poser les yeux sur celui que craignent de contempler les séraphins.

Mais l’Esprit Saint viendra sans être voilé par la chair, il se posera sur vous, il descendra en vous avec ses sept dons et il vous conseillera.

Maintenant, le conseil de Dieu est une grâce si sublime qu’il convient de vous préparer par une volonté héroïque à une perfection qui vous rende semblables à votre Père et à votre Jésus, et à votre Jésus dans ses rapports avec le Père et l’Esprit Saint. Ayez donc une charité parfaite et une pureté parfaite, pour pouvoir comprendre l’Amour et le recevoir sur le trône de votre cœur.

0 – Perdez‑vous dans le gouffre de la contemplation. Efforcez‑vous d’oublier que vous êtes des hommes, essayez de vous changer en séraphins. Lancez‑vous dans la fournaise, dans les flammes de la contemplation. La contemplation de Dieu ressemble à une étincelle qui jaillit du choc du silex contre le briquet et produit feu et lumière. Le feu est purification, il consume la matière opaque et toujours souillée et la transforme en une flamme lumineuse et pure.

Vous n’aurez pas le Royaume de Dieu en vous si vous n’avez pas l’amour. En effet, le Royaume de Dieu, c’est l’Amour ; il apparaît avec l’amour, et par l’amour il s’établit en vos cœurs au milieu de l’éclat d’une lumière immense qui pénètre et féconde, enlève l’ignorance, donne la sagesse, dévore l’homme et crée le dieu, le fils de Dieu, mon frère, le roi du trône que Dieu a préparé pour ceux qui se donnent à lui pour avoir Dieu, Dieu seul. Soyez donc purs et saints grâce à l’oraison ardente qui sanctifie l’homme, parce qu’elle le plonge dans le feu de Dieu qu’est la charité.

Vous devez être saints. Non pas dans le sens relatif que ce mot avait jusqu’alors, mais dans le sens absolu que je lui ai donné en vous proposant la sainteté du Seigneur comme exemple et comme limite, c’est‑à‑dire la sainteté parfaite. Chez nous, on qualifie de saints le Temple et l’endroit de l’autel, et de Saint des Saints le lieu voilé où se trouvent l’arche et le propitiatoire. Mais je vous dis en vérité que ceux qui possèdent la grâce et vivent saintement par amour pour le Seigneur sont plus saints que le Saint des Saints, parce que Dieu ne se pose pas seulement sur eux, comme sur le propitiatoire qui est dans le Temple pour transmettre ses ordres, mais il habite en eux pour leur donner son amour.

– Vous rappelez‑vous mes paroles de la dernière Cène ? Je vous avais alors promis l’Esprit Saint. Il est sur le point de venir vous baptiser, non plus avec l’eau comme Jean l’a fait avec vous pour vous préparer à moi, mais avec le feu pour vous préparer à servir le Seigneur comme il le veut. Dans quelques jours, il sera ici. Après sa venue, vos capacités vont croître sans mesure et vous serez capables de comprendre les paroles de votre Roi et de faire les œuvres qu’il vous a demandé d’accomplir pour étendre son Royaume sur la terre.

– Après la venue de l’Esprit Saint, vas‑tu donc reconstruire le Royaume d’Israël ? demandent‑ils en l’interrompant.

– Il n’y aura plus de Royaume d’Israël, mais mon Royaume. Et il s’accomplira quand mon Père l’a décidé. Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père s’est réservés en son pouvoir. Mais vous, en attendant, vous recevrez la force de l’Esprit Saint qui viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux confins de la terre, en fondant des assemblées là où des hommes sont réunis en mon nom ; en baptisant les gens au nom très saint du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, comme je vous l’ai dit, pour qu’ils aient la grâce et vivent dans le Seigneur ; en prêchant l’Évangile à toutes les créatures, en enseignant ce que je vous ai enseigné, en faisant ce que je vous ai commandé. Et moi, je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

– Et je veux encore ceci : ce sera Jacques, mon frère, qui présidera l’assemblée de Jérusalem.

Pierre, comme chef de toute l’Église, devra souvent entreprendre des voyages apostoliques, parce que tous les néophytes désireront connaître le Pontife, chef suprême de l’Église. Mais l’ascendant de mon frère sur les fidèles de cette première Église sera grand. Les hommes sont toujours des hommes, et ils voient en hommes. Il leur semblera que Jacques prend ma suite, uniquement parce qu’il est mon frère. En vérité, je vous dis qu’il est plus grand et semblable au Christ par sa sagesse que par sa parenté. Mais c’est ainsi. Les hommes, qui ne me cherchaient pas pendant que j’étais parmi eux, me chercheront maintenant en mon parent. D’ailleurs, Simon‑Pierre, tu es destiné à d’autres honneurs….

– Que je ne mérite pas, Seigneur. Je te l’ai dit quand tu m’es apparu et je te le répète en présence de tous. Tu es non seulement sage, mais aussi bon, divinement bon, et c’est avec justice que tu as jugé que moi, qui t’ai renié dans cette ville, je n’étais pas fait pour en être le chef spirituel. Tu veux m’épargner des mépris bien fondés…»

Mais, de sa place, Jacques s’incline pour rendre hommage à Pierre :

«Nous avons tous été pareils, Simon, sauf deux. Moi aussi, j’ai fui. Ce n’est pas à cause de cela, mais à cause des raisons qu’il a données, que le Seigneur m’a destiné à cette place ; mais tu es mon chef, Simon, fils de Jonas. Je te reconnais comme tel, et en présence du Seigneur et de tous les compagnons, je te promets obéissance. Je ferai de mon mieux pour t’aider dans ton ministère, mais, je t’en prie, donne‑moi tes ordres, car tu es le Chef et moi ton subordonné. Quand le Seigneur m’a rappelé une lointaine conversation, j’ai incliné la tête pour signifier : “Qu’il soit fait selon ta volonté.” C’est ce que je te dirai à partir du moment où, le Seigneur nous ayant quittés, tu seras son représentant sur la terre. Et nous nous aimerons en nous aidant dans le ministère sacerdotal.

– Oui, aimez‑vous et aidez‑vous mutuellement, parce que c’est mon commandement nouveau et le signe que vous appartenez vraiment au Christ.

– Que rien ne vous trouble. Dieu est avec vous. Vous pouvez faire ce que je veux de vous. Je ne vous imposerais rien que vous ne puissiez accomplir, car je ne veux pas votre perte, mais votre gloire.

Je vais préparer votre place à côté de mon trône. Soyez unis à moi et au Père dans l’amour. Pardonnez au monde qui vous hait. Appelez fils et frères ceux qui viennent à vous, ou sont déjà avec vous par amour pour moi.

Soyez dans la paix, avec la certitude que je suis toujours prêt à vous aider à porter votre croix. Je serai avec vous dans les fatigues de votre ministère et à l’heure des persécutions ; vous ne périrez pas, vous ne succomberez pas, même si ceux qui voient avec les yeux du monde en auront l’impression. Vous serez accablés, affligés, lassés, torturés, mais ma joie sera en vous, car je vous aiderai en tout. En vérité, je vous dis que, lorsque vous aurez pour Ami l’Amour, vous comprendrez que tout ce que l’on subit et vit par amour pour moi devient léger, même la lourde torture du monde.

Car pour celui qui revêt d’amour chaque acte volontaire ou imposé, le joug de la vie et du monde se change en un joug proposé par Dieu, par moi. Et, je vous le répète, la charge que je vous impose est toujours proportionnée à vos forces, et mon joug est léger, car je vous aide à le porter.

– Vous le savez, le monde ne sait pas aimer. Mais vous, dorénavant, aimez le monde d’un amour surnaturel pour le lui apprendre. Et s’ils vous disent en vous voyant persécutés : “Est‑ce ainsi que Dieu vous aime ? En vous faisant souffrir, en étant la cause de votre douleur ? Ce n’est pas la peine d’appartenir à Dieu !”, répondez : “La douleur ne vient pas de Dieu, mais Dieu la permet. Nous en savons la raison et nous nous glorifions d’avoir la part qu’a eue le Sauveur Jésus, Fils de Dieu.” Répondez : “Nous nous glorifions d’être crucifiés et de continuer la Passion de notre Jésus.” Répondez par ces paroles tirées du livre de la Sagesse : “C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde” et “Dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à la souffrance des vivants. Tout ce qu’il a créé est vie et salut.” Répondez : “À présent nous semblons persécutés et vaincus, mais au jour de Dieu, les sorts sont inversés : nous les justes, qui étions persécutés sur la terre, nous serons glorieux devant ceux qui nous ont tourmentés et méprisés.”

Mais ajoutez à cela : “Venez à nous ! Venez à la vie et à la paix. Notre Seigneur ne veut pas votre perte, mais votre salut. Il a donné son Fils bien‑aimé afin que vous soyez tous sauvés.”

– Réjouissez‑vous donc de participer à mes souffrances pour pouvoir être ensuite avec moi dans la gloire. “Je serai […] ta très grande récompense”, a promis le Seigneur à Abraham, et en lui à tous ses fidèles serviteurs. Vous savez comment conquérir le Royaume des Cieux : par la force, et en passant par de nombreuses tribulations. Mais celui qui persévère, comme moi j’ai persévéré, sera là où je suis.

Je vous ai dit quels sont le chemin et la porte qui conduisent au Royaume des Cieux. Je suis le premier à avoir emprunté ce chemin et je suis retourné au Père par cette porte. S’il y avait une autre voie, je vous l’aurais indiquée, car j’ai pitié de votre faiblesse d’hommes.

Mais il n’y en a pas d’autre… En vous l’indiquant comme unique chemin et unique porte, je vous répète quel est le remède qui donne la force nécessaire pour y passer : c’est l’amour, toujours l’amour. Tout devient possible quand nous avons l’amour en nous. Et tout l’amour vous sera donné par l’Amour qui vous aime, si vous demandez en mon nom assez d’amour pour devenir des athlètes de sainteté.

– Maintenant, donnons‑nous le baiser d’adieu, mes amis bien‑aimés.»

Il se lève pour les embrasser. Tous l’imitent. Mais alors que Jésus a un sourire paisible, d’une beauté vraiment divine, eux pleurent. Ils sont tous troublés. Jean, secoué par des sanglots qui lui rompent la poitrine tant ils sont déchirants, s’abandonne sur la poitrine de Jésus. Voyant le désir de tous, il demande en leur nom :

«Donne‑nous au moins ton Pain pour qu’il nous fortifie à cette heure !

– Qu’il en soit ainsi !» lui répond Jésus.

Prenant un pain, il le partage en morceaux après l’avoir offert et bénit, en disant les paroles rituelles. Il fait la même chose avec le vin, en répétant ensuite : “Faites ceci en mémoire de moi”, mais il ajoute : “qui vous ai laissé ce gage de mon amour pour être encore et toujours avec vous, jusqu’à ce que vous soyez avec moi au Ciel.”

Il les bénit et dit :

«Maintenant, partons.»

– Ils sortent de la pièce, de la maison… Jonas, Marie son épouse, et Marc, leur fils, sont là dehors, et ils s’agenouillent pour adorer Jésus.

«Que la paix reste avec vous, et que le Seigneur vous récompense pour tout ce que vous m’avez donné» dit Jésus en guise de bénédiction.

Marc se lève pour l’avertir :

«Seigneur, les oliviers, le long du chemin de Béthanie, sont remplis de disciples qui t’attendent.

– Va leur demander de se diriger vers le champ des Galiléens.»

Marc s’éloigne de toute la vitesse de ses jeunes jambes.

«C’est donc que tous sont venus» se disent les apôtres.

– Plus loin, assise entre Marziam et Marie de Cléophas, se trouve la Mère du Seigneur. Elle se lève en le voyant venir, pour l’adorer de tous les battements de son cœur de Mère et de fidèle.

.«Viens, Mère, et toi aussi, Marie…» les invite Jésus en les voyant arrêtées, clouées sur place par sa majesté qui resplendit comme au matin de la Résurrection.

Comme il ne veut pas qu’elles en soient accablées, il demande affablement à Marie, femme d’Alphée :

«Tu es seule ?

– Les autres… les autres ont pris de l’avance… Elles sont avec les bergers, avec Lazare et toute sa famille… Mais elles nous ont laissées ici, nous, parce que… Oh ! Jésus ! Jésus ! Jésus !… Comment tiendrai‑je sans te voir, Jésus béni, mon Dieu, moi qui t’ai aimé avant même ta naissance, moi qui ai tant pleuré à cause de toi quand je ne savais pas où tu étais après le massacre… moi qui ai trouvé mon soleil dans ton sourire quand tu es revenu, et ai reçu tout bien de toi ?… Que de bienfaits tu m’as accordés ! Maintenant, je deviens vraiment pauvre, veuve, seule… Tant que tu étais là, j’avais tout… Je croyais avoir tout connu de la souffrance, ce soir‑là… Mais la douleur elle‑même, toute la douleur de ce jour, m’avait hébétée et… oui, elle était moins forte que maintenant… Du reste, tu devais ressusciter. Il me semblait ne pas le croire, mais je m’aperçois aujourd’hui que je le croyais, car je n’éprouvais pas ce que j’éprouve actuellement…»

Elle pleure et suffoque sous les sanglots.

«Ma bonne Marie, tu t’affliges vraiment comme un enfant qui croit que sa mère ne l’aime pas et l’a abandonné parce qu’elle est allée en ville lui acheter des cadeaux qui feront sa joie, un enfant qui ignore qu’elle sera bientôt de retour pour le couvrir de caresses et de présents. N’est‑ce pas ce que je fais avec toi ? Est‑ce que je ne vais pas te préparer ta joie ? Est‑ce que je ne pars pas pour revenir te dire : “Viens, ma bien‑aimée parente et disciple, toi la mère de mes disciples bien‑aimés” ? Est‑ce que je ne te laisse pas mon amour ? Je te fais le don de mon amour, Marie ! Tu sais bien que je t’aime ! Ne pleure pas ainsi, mais réjouis‑toi, car tu ne me verras plus méprisé, épuisé, poursuivi, et riche seulement de l’amour d’un petit nombre. Et avec mon amour, je te laisse ma Mère. Jean sera son fils, mais toi, sois pour elle une bonne sœur comme toujours. Tu vois ? Elle ne pleure pas, ma Mère.

.Elle sait que, si la nostalgie de moi sera la lime qui lui rongera le cœur, l’attente sera brève par rapport à la grande joie d’une éternité d’union, et elle sait aussi que notre séparation ne sera pas absolue au point de lui faire s’écrier : “Je n’ai plus de Fils.” C’était le cri de douleur du jour de la douleur. Maintenant, dans son cœur, chante l’espérance : “Je sais que mon Fils monte vers le Père, mais il ne me privera pas de son amour spirituel.” C’est ce que tu crois toi, et tous…

– Voici les uns et les autres. Voici mes bergers.»

Apparaissent le visage de Lazare et de ses sœurs au milieu de tous les serviteurs de Béthanie, le visage de Jeanne semblable à une rose sous un voile de pluie, ceux d’Élise et de Nikê, déjà marqués par l’âge — c’est maintenant la peine qui creuse leurs rides, car c’est toujours une peine pour la créature, même si l’âme jubile à la vue du triomphe du Seigneur — et celui d’Anastasica, et encore les visages de lys des premières vierges, l’ascétique visage d’Isaac et celui, inspiré, de Matthias, le visage viril de Manahen et ceux, austères, de Joseph et de Nicodème… Visages, visages, visages…

Jésus appelle auprès de lui les bergers, Lazare, Joseph, Nicodème, Manahen, Maximin, tous ceux qui font partie des soixante-douze disciples. Mais il garde surtout près de lui les bergers pour leur signifier :

«Venez ici, vous qui vous êtes approchés du Seigneur descendu du Ciel, qui vous êtes penchés sur son anéantissement, venez tout près du Seigneur qui retourne au Ciel, avec vos âmes heureuses de sa glorification. Vous avez mérité cette place car vous avez su croire malgré les circonstances défavorables et vous avez su souffrir pour votre foi. Je vous remercie tous de votre amour fidèle.

Je vous remercie tous. Toi, Lazare, mon ami. Toi, Joseph, et toi, Nicodème, qui avez tant fait preuve de pitié pour le Christ quand cela pouvait être un grand danger. Toi, Manahen, qui as su mépriser les faveurs sordides d’un être immonde pour marcher sur mon chemin. Toi, Étienne, fleur couronnée de justice qui as quitté l’imparfait pour le parfait et qui seras couronné d’un diadème que tu ne connais pas encore, mais que les anges t’annonceront. Toi, Jean, qui es pour un bref moment mon frère au sein très pur et qui es venu à la Lumière plus qu’à la vue. Toi, Nicolaï le prosélyte, qui as su me consoler de la douleur des fils de cette nation. Et vous, mes disciples bonnes et plus courageuses, dans votre douceur, que Judith.

– Quant à toi, Marziam, mon enfant, tu porteras désormais le nom de Martial, en souvenir du petit Romain tué sur le chemin et déposé à la grille de Lazare avec un écriteau de défi : “Demande maintenant au Galiléen de te ressusciter, s’il est le Christ et s’il est vraiment ressuscité.” Ce petit garçon était le dernier des innocents de Palestine qui ont perdu la vie pour me servir – bien qu’inconsciemment -, les prémices des innocents de toute nation qui, venus au Christ, seront pour cela haïs et tués prématurément, comme des boutons de fleurs arrachés à leur tige avant d’éclore. Et ce nom, Martial, t’indique ton destin futur : sois apôtre en des terres barbares et conquiers‑les à ton Seigneur comme mon amour a conquis le jeune Romain pour le Ciel.

– Je vous bénis tous au moment de cet adieu, et je demande au Père de vous accorder la récompense de ceux qui ont consolé le douloureux chemin du Fils de l’homme.

Bénie soit la partie choisie de l’humanité qui existe chez les juifs comme chez les païens, et qui s’est montrée dans l’amour qu’elle a eu pour moi.

Bénie soit la terre avec ses plantes et ses fleurs, ses fruits qui tant de fois m’ont fait plaisir et m’ont restauré. Bénie soit‑elle avec ses eaux et ses tiédeurs, ses oiseaux et ses animaux qui bien des fois ont surpassé les êtres humains pour réconforter le Fils de l’homme. Béni sois‑tu, soleil et toi, mer, et vous, montagnes, collines et plaines. Bénies soyez‑vous, étoiles qui avez été pour moi des compagnes dans la prière nocturne et dans la douleur. Et toi aussi, lune qui m’as éclairé pour me diriger dans mon pèlerinage d’évangélisateur.

Soyez bénies, toutes les créatures, qui êtes l’œuvre de mon Père, mes compagnes en cette heure mortelle, les amies de celui qui avait quitté le Ciel pour enlever à l’humanité affligée les tribulations dues à la Faute qui coupe de Dieu.

Et bénis soyez‑vous, instruments innocents de ma torture : épines, métaux, bois, cordages tordus, parce que vous m’avez aidé à accomplir la volonté de mon Père !»

Quelle voix de tonnerre a Jésus ! Elle se répand dans l’air chaud et paisible comme le son d’un bronze qu’on a frappé, elle se propage en ondes sur la mer des visages qui le regardent de tous côtés.

– Ils sont des centaines à entourer Jésus qui monte, avec les plus aimés, vers le sommet de l’Oliveraie. Arrivé près du champ des Galiléens — où il n’y a plus de tentes à cette époque entre les deux fêtes —, Jésus ordonne aux disciples :

«Faites arrêter les gens là où ils se trouvent, puis suivez‑moi.»

Il gravit encore le sommet le plus haut de la montagne, celle qui est déjà plus proche de Béthanie — qu’elle domine — que de Jérusalem. Sa Mère, les apôtres, Lazare, les bergers et Martial se pressent autour de lui. Plus loin, les autres disciples forment un demi‑cercle pour tenir en arrière la foule des fidèles.

– Jésus est debout sur une large pierre qui dépasse un peu, toute blanche au milieu de l’herbe verte d’une clairière. Il est inondé de soleil, ce qui rend son vêtement blanc comme neige et fait briller comme de l’or ses cheveux. Ses yeux brillent d’une lumière divine.

Il ouvre les bras en un geste d’étreinte. Il paraît vouloir serrer sur son sein toutes les multitudes de la terre que son esprit voit représentées dans cette foule.

Son inoubliable, son inimitable voix donne son dernier ordre :

«Allez en mon nom évangéliser jusqu’aux extrémités de la Terre. Que Dieu soit avec vous, que son amour vous réconforte, que sa lumière vous guide, que sa paix demeure en vous jusqu’à la vie éternelle.»

Il se transfigure en beauté. Qu’il est beau ! Beau comme sur le Thabor, davantage encore. Tous tombent à genoux pour l’adorer. Tandis que déjà il se soulève de la pierre sur laquelle il est posé, il cherche encore une fois le visage de sa Mère, et son sourire atteint une puissance que personne ne pourra jamais rendre… C’est son dernier adieu à sa Mère.

Il s’élève, s’élève… Le soleil, encore plus libre de l’embrasser, maintenant que nul feuillage, même léger, ne vient intercepter ses rayons, frappe de son éclat le Dieu‑Homme qui monte avec son corps très saint au Ciel, et dévoile ses plaies glorieuses qui resplendissent comme de vifs rubis.

Le reste est un sourire de lumière nacrée. C’est vraiment la Lumière qui se manifeste pour ce qu’elle est, en ce dernier instant comme dans la nuit de la Nativité. La Création étincelle de la lumière du Christ qui s’élève. Lumière qui dépasse celle du soleil… Lumière surnaturelle et bienheureuse… Lumière qui descend du Ciel à la rencontre de la Lumière qui monte…

Et Jésus Christ, le Verbe de Dieu, disparaît de la vue des hommes dans un océan de splendeurs…

Sur terre, deux bruits seulement rompent le silence profond de la foule en extase : le cri de Marie quand il disparaît : “Jésus !” et la plainte d’Isaac.

Un étonnement religieux a rendu les autres muets, et ils restent là, jusqu’à ce que deux lumières angéliques d’une extraordinaire pureté apparaissent sous une forme humaine, pour dire les paroles rapportées dans le premier chapitre des Actes des Apôtres.

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L’Assomption de Marie

Vision du samedi 8 décembre 1951 (Fête de l’Immaculée conception)

Combien de jours sont-ils passés ? Il est difficile de l’établir sûrement. Si on en juge par les fleurs qui font une couronne autour du corps inanimé, on devrait dire qu’il est passé quelques heures. Mais si on en juge d’après le feuillage d’olivier sur lequel sont posées les fleurs fraîches, et dont les feuilles sont déjà fanées, et d’après les autres fleurs flétries, mises comme autant de reliques sur le couvercle du coffre, on doit conclure qu’il est passé déjà des journées.

Mais le corps de Marie est tel qu’il était quand elle venait d’expirer. Il n’y a aucun signe de mort sur son visage, sur ses petites mains. Il n’y a dans la pièce aucune odeur désagréable. Au contraire il y flotte un parfum indéfinissable qui rappelle l’encens, les lys, les roses, le muguet, les plantes de montagne, mélangés.

Jean, qui sait depuis combien de jours il veille, s’est endormi, vaincu par la lassitude. Il est toujours assis sur le tabouret, le dos appuyé au mur, près de la porte ouverte qui donne sur la terrasse. La lumière de la lanterne, posée sur le sol, l’éclaire par en dessous et permet de voir son visage, fatigué, très pâle, sauf autour des yeux rougis par les pleurs.

L’aube doit maintenant être commencée car sa faible clarté permet de voir la terrasse et les oliviers qui entourent la maison. Cette clarté se fait toujours plus forte et, pénétrant par la porte, elle rend plus distincts les objets mêmes de la chambre, ceux qui, étant éloignés de la lampe, pouvaient à peine être entrevus.

Tout d’un coup une grande lumière remplit la pièce, une lumière argentée, nuancée d’azur, presque phosphorique, et qui croît de plus en plus, qui fait disparaître celle de l’aube et de la lampe. C’est une lumière pareille à celle qui inonda la Grotte de Bethléem au moment de la Nativité divine. Puis, dans cette lumière paradisiaque, deviennent visibles des créatures angéliques, lumière encore plus splendide dans la lumière déjà si puissante apparue d’abord. Comme il était déjà arrivé quand les anges apparurent aux bergers, une danse d’étincelles de toutes couleurs se dégage de leurs ailes doucement mises en mouvement d’où il vient une sorte de murmure harmonieux, arpégé, très doux.

Les créatures angéliques forment une couronne autour du petit lit, se penchent sur lui, soulèvent le corps immobile et, en agitant plus fortement leurs ailes, ce qui augmente le son qui existait d’abord, par un vide qui s’est par prodige ouvert dans le toit, comme par prodige s’était ouvert le Tombeau de Jésus, elles s’en vont, emportant avec eux le corps de leur Reine, son corps très Saint, c’est vrai, mais pas encore glorifié et encore soumis aux lois de la matière, soumission à laquelle n’était plus soumis le Christ parce qu’il était déjà glorifié quand il ressuscita.

Le son produit par les ailes angéliques est maintenant puissant comme celui d’un orgue.

Jean, qui tout en restant endormi s’était déjà remué deux ou trois fois sur son tabouret, comme s’il était troublé par la grande lumière et par le son des voix angéliques, est complètement réveillé par ce son puissant et par un fort courant d’air qui, descendant par le toit découvert et sortant par la porte ouverte, forme une sorte de tourbillon qui agite les couvertures du lit désormais vide et les vêtements de Jean, et qui éteint la lampe et ferme violemment la porte ouverte.

L’apôtre regarde autour de lui, encore à moitié endormi, pour se rendre compte de ce qui arrive. Il s’aperçoit que le lit est vide et que le toit est découvert. Il se rend compte qu’il est arrivé un prodige. Il court dehors sur la terrasse et, comme par un instinct spirituel, ou un appel céleste, il lève la tête, en protégeant ses yeux avec sa main pour regarder, sans avoir la vue gênée par le soleil qui se lève.

Et il voit. Il voit le corps de Marie, encore privé de vie et qui est en tout pareil à celui d’une personne qui dort, qui monte de plus en plus haut, soutenu par une troupe angélique. Comme pour un dernier adieu, un pan du manteau et du voile s’agitent, peut-être par l’action du vent produit par l’assomption rapide et le mouvement des ailes angéliques. Des fleurs, celles que Jean avait disposées et renouvelées autour du corps de Marie, et certainement restées dans les plis des vêtements, pleuvent sur la terrasse et sur le domaine du Gethsémani, pendant que l’hosanna puissant de la troupe angélique se fait toujours plus lointain et donc plus léger.

Jean continue à fixer ce corps qui monte vers le Ciel et, certainement par un prodige qui lui est accordé par Dieu, pour le consoler et le récompenser de son amour pour sa Mère adoptive, il voit distinctement que Marie, enveloppée maintenant par les rayons du soleil qui s’est levé, sort de l’extase qui a séparé son âme de son corps, redevient vivante, se dresse debout, car maintenant elle aussi jouit des dons propres aux corps déjà glorifiés.

Jean regarde, regarde. Le miracle que Dieu lui accorde lui donne de pouvoir, contre toutes les lois naturelles, voir Marie qui maintenant qu’elle monte rapidement vers le Ciel est entourée, sans qu’on l’aide à monter, par les anges qui chantent des hosannas. Jean est ravi par cette vision de beauté qu’aucune plume d’homme, qu’aucune parole humaine, qu’aucune œuvre d’artiste ne pourra jamais décrire ou reproduire, car c’est d’une beauté indescriptible.

Jean, en restant toujours appuyé au muret de la terrasse, continue de fixer cette splendide et resplendissante forme de Dieu – car réellement on peut parler ainsi de Marie, formée d’une manière unique par Dieu, qui l’a voulue immaculée, pour qu’elle fût une forme pour le Verbe Incarné — qui monte toujours plus haut. Et c’est un dernier et suprême prodige que Dieu-Amour accorde à celui qui est son parfait aimant : celui de voir la rencontre de la Mère très Sainte avec son Fils très Saint qui, Lui aussi splendide et resplendissant, beau d’une beauté indescriptible, descend rapidement du Ciel, rejoint sa Mère et la serre sur son cœur et ensemble, plus brillants que deux astres, s’en vont là d’où Lui est venu. La vision de Jean est finie.

Il baisse la tête. Sur son visage fatigué on peut voir à la fois la douleur de la perte de Marie et la joie de son glorieux sort. Mais désormais la joie dépasse la douleur.

Il dit : « Merci, mon Dieu ! Merci ! J’avais pressenti que cela serait arrivé. Et je voulais veiller pour ne perdre aucun détail de son Assomption. Mais cela faisait trois jours que je ne dormais pas ! Le sommeil, la lassitude, joints à la peine, m’ont abattu et vaincu justement quand l’Assomption était imminente… Mais peut-être c’est Toi qui l’as voulu, ô mon Dieu, pour ne pas troubler ce moment et pour que je n’en souffre pas trop… Oui. Certainement c’est Toi qui l’as voulu, comme maintenant tu voulais que je voie ce que sans un miracle je n’aurais pu voir. Tu m’as accordé de la voir encore, bien que déjà si loin, déjà glorifiée et glorieuse, comme si elle avait été tout prés. Et de revoir Jésus ! Oh ! vision bienheureuse, inespérée, inespérable ! Oh ! don des dons de Jésus-Dieu à son Jean ! Grâce suprême ! Revoir mon Maître et Seigneur ! Le voir Lui près de sa Mère ! Lui semblable au soleil et elle à la lune, tous les deux d’une splendeur inouïe, à la fois parce que glorieux et pour leur bonheur d’être réunis pour toujours ! Que sera le Paradis maintenant que vous y resplendissez, Vous, astres majeurs de la Jérusalem céleste ? Quelle est la joie des chœurs angéliques et des saints ? Elle est telle la joie que m’a donnée la vision de la Mère avec le Fils, une chose qui fait disparaître toute sa peine, toute leur peine, même, que la mienne aussi disparaît, et en moi la paix la remplace.

Des trois miracles que j’avais demandés à Dieu, deux se sont accomplis. J’ai vu la vie revenir en Marie, et je sens que la paix est revenue en moi. Toute mon angoisse cesse car je vous ai vus réunis dans la gloire. Merci pour cela, ô Dieu.

Et merci pour m’avoir donné manière, même pour une créature très sainte, mais toujours humaine, de voir quel est le sort des saints, quelle sera après le jugement dernier, et la résurrection de la chair et leur réunion, leur fusion avec l’esprit, monté au Ciel à l’heure de la mort. Je n’avais pas besoin de voir pour croire, car j’ai toujours cru fermement à toutes les paroles du Maître. Mais beaucoup douteront qu’après des siècles et des millénaires, la chair, devenue poussière, puisse redevenir un corps vivant. À ceux-là je pourrai dire, en le jurant sur les choses les plus élevées, que non seulement le Christ est redevenu vivant par sa propre puissance divine, mais que sa Mère aussi, trois jours après sa mort, si on peut appeler mort une telle mort, a repris vie et avec sa chair réunie à son corps elle a pris son éternelle demeure au Ciel à côté de son Fils. Je pourrai dire : “Croyez, vous tous chrétiens, à la résurrection de la chair à la fin des siècles, et à la vie éternelle des âmes et des corps, vie bienheureuse pour les saints, horrible pour les coupables impénitents. Croyez et vivez en saints, comme ont vécu en saints Jésus et Marie, pour avoir le même sort. J’ai vu leurs corps monter au Ciel. Je puis vous en rendre témoignage. Vivez en justes pour pouvoir un jour être dans le nouveau monde éternel, en âme et en corps, près de Jésus-Soleil et près de Marie, Étoile de toutes les étoiles”. Merci encore, ô Dieu !

Et maintenant recueillons ce qui reste d’elle. Les fleurs tombées de ses vêtements, les feuillages des oliviers restés sur le lit, et conservons-les. Tout servira… Oui, tout servira pour aider et consoler mes frères que j’ai en vain attendus. Tôt ou tard, je les retrouverai… »

Il ramasse aussi les pétales des fleurs qui se sont effeuillées en tombant, et rentre dans la pièce en les gardant dans un pli de son vêtement.

Il remarque alors avec plus d’attention l’ouverture du toit et s’écrie : « Un autre prodige ! Et une autre admirable proportion dans les prodiges de la vie de Jésus et de Marie ! Lui, Dieu, est ressuscité par Lui-même, et par sa seule volonté il a renversé la pierre du Tombeau, et par sa seule puissance il est monté au Ciel. Par Lui-même. Marie, toute Sainte, mais fille d’homme, c’est par l’aide des anges que lui fut ouvert le passage pour son Assomption au Ciel, et c’est toujours avec l’aide des anges qu’elle est montée là-haut. Pour le Christ, l’esprit revint animer son Corps pendant qu’il était sur la Terre, car il devait en être ainsi pour faire taire ses ennemis et pour confirmer dans la foi tous ses fidèles. Pour Marie, son esprit est revenu quand son corps très saint était déjà sur le seuil du Paradis, parce que pour elle il ne fallait pas autre chose. Puissance parfaite de l’Infinie Sagesse de Dieu !… »

Jean ramasse maintenant dans un linge les fleurs et les feuillages restés sur le lit, y met ceux qu’il a ramassés dehors, et il les dépose tous sur le couvercle du coffre. Puis il l’ouvre et y place le coussinet de Marie, la couverture du lit. Il descend dans la cuisine, rassemble les autres objets dont elle se servait : le fuseau et la quenouille, sa vaisselle, et les met avec les autres choses. Il ferme le coffre et s’assoit sur le tabouret en s’écriant :

« Maintenant tout est accompli aussi pour moi ! Maintenant je puis m’en aller, librement, là où l’Esprit de Dieu me conduira. Aller ! Semer la divine Parole que le Maître m’a donnée pour que je la donne aux hommes. Enseigner l’Amour. L’enseigner pour qu’ils croient dans l’Amour et sa puissance. Leur faire connaître ce qu’a fait le Dieu-Amour pour les hommes. Son Sacrifice et son Sacrement et Rite perpétuels, par lesquels, jusqu’à la fin des siècles, nous pourrons être unis à Jésus-Christ par l’Eucharistie et renouveler le Rite et le Sacrifice comme Lui a commandé de le faire. Tous dons de l’Amour parfait ! Faire aimer l’Amour pour qu’ils croient en Lui, comme nous y avons cru et y croyons. Semer l’Amour pour que soit abondante la moisson et la pêche pour le Seigneur. L’amour obtient tout. Marie me l’a dit dans ses dernières paroles, à moi, qu’elle a justement défini, dans le Collège Apostolique, celui qui aime, l’aimant par excellence, l’opposé de l’Iscariote qui été la haine, comme Pierre l’impétuosité, et André la douceur, les fils d’Alphée la sainteté et la sagesse unies à la noblesse des manières, et ainsi de suite. Moi, l’aimant, maintenant que je n’ai plus le Maître et sa Mère à aimer sur la Terre, j’irai répandre l’amour parmi les nations. L’amour sera mon arme et ma doctrine. Et avec lui je vaincrai le démon, le paganisme et je conquerrai beaucoup d’âmes. Je continuerai ainsi Jésus et Marie, qui ont été l’amour parfait sur la Terre. »

Source

La Pentecôte – La descente de l’Esprit-Saint

Vision du dimanche 27 avril 1947

Il n’y a pas de voix ni de bruits dans la maison du Cénacle. Il n’y a pas de disciples présents, du moins je n’entends rien qui me permette de dire que dans les autres pièces de la maison sont rassemblées des personnes. Il y a seulement la présence et les voix des douze et de Marie très Sainte, rassemblés dans la salle de la Cène.

La pièce semble plus vaste car le mobilier, disposé différemment, laisse libre tout le milieu de la pièce et aussi deux des murs. Contre le troisième on a poussé la table qui a servi pour la Cène, et entre eux et les murs, et aussi aux deux côtés les plus étroits de la table, on a mis les lits-sièges qui ont servi à la Cène et le tabouret qui a servi à Jésus pour le lavement des pieds. Pourtant ces lits ne sont pas disposés perpendiculairement à la table comme pour la Cène, mais parallèlement, de façon que les apôtres puissent rester assis sans les occuper tous, en laissant pourtant un siège, le seul mis verticalement par rapport à la table, tout entier pour la Vierge bénie qui est au milieu de la table, à la place qu’à la Cène occupait Jésus.

Il n’y a pas de nappe ni de vaisselle sur la table, les crédences sont dégarnies et aussi les murs de leurs ornements. Seul le lampadaire brûle au centre, mais avec la seule flamme centrale allumée; l’autre cercle de petites lampes qui sert de corolle au bizarre lampadaire est éteint.

Les fenêtres sont fermées et barrées par une lourde barre de fer qui les traverse. Mais un rayon de soleil s’infiltre hardiment par un petit trou et descend comme une aiguille longue et fine jusqu’au pavé où il dessine une tache lumineuse.

La Vierge, assise seule sur son siège, a à ses côtés, sur des sièges : Pierre et Jean, Pierre à droite, Jean à gauche. Mathias, le nouvel apôtre, est entre Jacques d’Alphée et le Thaddée. La Vierge a devant elle un coffre large et bas de bois foncé et qui est fermé.

Marie est vêtue de bleu foncé. Elle a sur ses cheveux son voile blanc et par-dessus un pan de son manteau. Les autres ont tous la tête découverte.

Marie lit lentement à haute voix, mais à cause du peu de lumière qui arrive jusque là, je crois plutôt qu’au lieu de lire elle répète de mémoire les paroles écrites sur le rouleau qu’elle tient déplié. Les autres la suivent en silence, en méditant. De temps à autre ils répondent si le cas se présente.

Marie a le visage transfiguré par un sourire extatique. Qui sait ce qu’elle voit, de si capable d’allumer ses yeux comme deux claires étoiles, et de rougir ses joues d’ivoire comme si une flamme rose se réfléchissait sur elle ? C’est vraiment la Rose mystique…

Les apôtres se penchent en avant, en se tenant un peu de biais pour voir son visage pendant qu’elle sourit si doucement et qu’elle lit. Sa voix semble un cantique angélique. Pierre en est tellement ému que deux grosses larmes tombent de ses yeux et, par un sentier de rides gravées aux côtés de son nez, elles descendent se perdre dans le buisson de sa barbe grisonnante. Mais Jean reflète son sourire virginal et s’enflamme d’amour comme elle, pendant qu’il suit du regard ce que lit la Vierge sur le rouleau, et quand il lui présente un nouveau rouleau il la regarde et lui sourit.

La lecture est finie. La voix de Marie s’arrête et on n’entend plus le bruissement des parchemins déroulés et enroulés. Marie se recueille en une oraison secrète, en joignant les mains sur sa poitrine et en appuyant sa tête contre le coffre. Les apôtres l’imitent…

Un grondement très puissant et harmonieux, qui rappelle le vent et la harpe, et aussi le chant d’un homme et le son d’un orgue parfait, résonne à l’improviste dans le silence du matin. Il se rapproche, toujours plus harmonieux et plus puissant, et emplit la Terre de ses vibrations, il les propage et il les imprime à la maison, aux murs, au mobilier. La flamme du lampadaire, jusqu’alors immobile dans la paix de la pièce close, palpite comme investie par un vent, et les chaînettes de la lampe tintent en vibrant sous l’onde de son surnaturel qui les investit.

Les apôtres lèvent la tête effrayés. Ce bruit puissant et très beau, qui possède toutes les notes les plus belles que Dieu ait données au Ciel et à la Terre, se fait de plus en plus proche, alors certains se lèvent, prêts à s’enfuir, d’autres se pelotonnent sur le sol en se couvrant la tête avec leurs mains et leurs manteaux, ou en se frappant la poitrine pour demander pardon au Seigneur. D’autres encore se serrent contre Marie, trop effrayés pour conserver envers la Toute Pure cette retenue qu’ils ont toujours eue. Seul Jean ne s’effraie pas car il voit la paix lumineuse de joie qui s’accentue sur le visage de Marie qui lève la tête en souriant à une chose connue d’elle seule, et qui ensuite glisse à genoux en ouvrant les bras, et les deux ailes bleues de son manteau ainsi ouvert s’étendent sur Pierre et Jean qui l’ont imitée en s’agenouillant. Mais tout ce que j’ai gardé en détail pour le décrire s’est passé en moins d’une minute.

Et puis voilà la Lumière, le Feu, l’Esprit-Saint, qui entre avec un dernier bruit mélodieux sous la forme d’un globe très brillant et ardent dans la pièce close, sans remuer les portes et les fenêtres, et qui plane un instant au-dessus de la tête de Marie à environ trois palmes de sa tête qui est maintenant découverte, car Marie, voyant le Feu Paraclet, a levé les bras comme pour l’invoquer et a rejeté la tète en arrière avec un cri de joie, avec un sourire d’amour sans bornes. Et après cet instant où tout le Feu de l’Esprit-Saint, tout l’Amour est rassemblé au-dessus de son Épouse, le Globe très Saint se partage en treize flammes mélodieuses et très brillantes, d’une lumière qu’aucune comparaison terrestre ne peut décrire et descend pour baiser le front de chaque apôtre.

Mais la flamme qui descend sur Marie n’est pas une flamme dressée sur son front qu’elle baise, mais une couronne qui entoure et ceint, comme un diadème, sa tête virginale, en couronnant comme Reine la Fille, la Mère, l’Épouse de Dieu, la Vierge incorruptible, la toute Belle, l’éternelle Aimée et l’éternelle Enfant, que rien ne peut avilir, et en rien, Celle que la douleur avait vieillie, mais qui est ressuscitée dans la joie de la résurrection, partageant avec son Fils un accroissement de beauté et de fraîcheur de la chair, du regard, de la vitalité, ayant déjà une anticipation de la beauté de son Corps glorieux monté au Ciel pour être la fleur du Paradis.

L’Esprit-Saint fait briller ses flammes autour de la tête de l’Aimée. Quelles paroles peut-Il lui dire ? Mystère ! Son visage béni est transfiguré par une joie surnaturelle, et rit du sourire des Séraphins pendant que des larmes bienheureuses semblent des diamants qui descendent le long des joues de la Bénie, frappées comme elles le sont par la Lumière de l’Esprit-Saint.

Le Feu reste ainsi quelque temps… Et puis il se dissipe… De sa descente il reste comme souvenir un parfum qu’aucune fleur terrestre ne peut dégager… Le Parfum du Paradis…

Les apôtres reviennent à eux…

Marie reste extasiée. Elle croise seulement les bras sur sa poitrine, ferme les yeux, baisse la tête… Elle continue son colloque avec Dieu… insensible à tout…

Personne n’ose la troubler.

Jean dit en la désignant : « C’est l’autel. Et c’est sur sa gloire que s’est posée la Gloire du Seigneur… »

« Oui. Ne troublons pas sa joie. Mais allons prêcher le Seigneur et que soient connues ses œuvres et ses paroles parmi les peuples » dit Pierre avec une surnaturelle impulsivité.

« Allons ! Allons ! L’Esprit de Dieu brûle en moi » dit Jacques d’Alphée.

« Et il nous pousse à agir. Tous. Allons évangéliser les gens. »

Ils sortent comme s’ils étaient poussés ou attirés par un vent ou par une force irrésistible.

Jésus dit :

« Et ici prend fin l’Œuvre que mon amour pour vous a dictée, et que vous avez reçue à cause de l’amour qu’une créature a eu pour Moi et pour vous.

Elle se termine aujourd’hui : Commémoration de Sainte Zita de Lucques, humble servante qui servit son Seigneur dans la charité dans cette Église de Lucques dans laquelle j’ai amené, de lieux lointains, mon petit Jean pour qu’il me serve dans la charité et avec le même amour de Sainte Zita pour tous les malheureux.

Zita donnait son pain aux pauvres. en se souvenant que je suis en chacun d’eux et bienheureux seront à mes côtés ceux qui auront donné du pain et à boire à ceux qui ont soif et faim.

Marie-Jean a donné mes paroles à ceux qui languissent dans l’ignorance ou dans la tiédeur ou le doute en matière de Foi, en se rappelant ce qui est dit par la Sagesse que ceux qui se donnent du mal pour faire connaître Dieu brilleront comme des étoiles dans l’éternité, en glorifiant leur Amour en le faisant connaître et aimer, et à beaucoup de gens.

Et elle se termine aussi aujourd’hui, jour auquel l’Église élève sur les autels le pur lys des champs, Marie Thérèse Goretti, dont la tige fut brisée alors que la corolle était encore en bouton. Et brisée par qui, sinon par Satan, envieux de cette candeur qui resplendissait plus que son ancien aspect angélique ? Brisée parce que sacrée pour son divin Amant. Marie, vierge et martyre de ce siècle d’infamies où on méprise même l’honneur de la Femme, en crachant la bave des reptiles pour nier le pouvoir de Dieu de donner une demeure inviolée à son Verbe qui s’est incarné par l’œuvre de l’Esprit-Saint pour sauver ceux qui croient en Lui.

Marie-Jean aussi est victime de la Haine qui ne veut pas que l’on célèbre mes merveilles avec l’Œuvre, arme puissante pour lui arracher tant de proies. Mais Marie-Jean sait aussi, comme le savait Marie Thérèse, que le martyre, quelque nom et quelque aspect qu’il ait, est une clef pour ouvrir sans retard le Royaume des Cieux à ceux qui le souffrent pour continuer ma Passion.

L’Œuvre est finie.

Et avec sa fin, avec la descente de l’Esprit-Saint, se conclut le cycle messianique que ma Sagesse a éclairé depuis son aube : la Conception Immaculée de Marie, jusqu’à son couchant : la descente de l’Esprit-Saint. Tout le cycle messianique est œuvre de l’Esprit d’Amour pour qui sait, bien voir. Il est donc juste de le commencer avec le mystère de l’Immaculée Conception de l’Épouse de l’Amour et de le conclure avec le sceau du Feu Paraclet sur l’Église du Christ.

Les œuvres manifestes de Dieu, de l’Amour de Dieu, prennent fin avec la Pentecôte. Depuis lors continue l’intime, le mystérieux travail de Dieu dans ses fidèles, unis au Nom de Jésus dans l’Église Une, Sainte, Catholique, Apostolique, Romaine, et l’Église, c’est-à-dire ce rassemblement des fidèles : pasteurs, brebis et agneaux, peut avancer sans errer, grâce à l’opération spirituelle, continuelle de l’Amour, Théologien des théologiens, Celui qui forme les vrais théologiens, que sont ceux qui sont perdus en Dieu et ont Dieu en eux : la vie de Dieu en eux grâce à la direction de l’Esprit de Dieu qui les conduit, que sont ceux qui sont vraiment « fils de Dieu » selon la pensée de Paul.

Et au terme de l’Œuvre je dois mettre encore une fois la plainte que j’ai mise à la fin de chaque année évangélique, et dans la douleur de voir mépriser mon don, je vous dis : « Vous n’aurez pas autre chose puisque vous n’avez pas su accueillir ce que je vous ai donné ». Et je vous dis aussi ce que je vous ai fait dire pour vous rappeler sur le droit chemin l’été passé (21-5-46) : « Vous ne me verrez pas jusqu’à ce que vienne le jour dans lequel vous direz : « Béni Celui qui vient au nom du Seigneur ».

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La Résurrection – Jésus apparaît à sa Mère

Vision du dimanche 1er avril 1945 (jour de Pâques)

Je revois la joyeuse et puissante Résurrection du Christ.

Dans le jardin, tout n’est que silence et scintillement de la rosée. Au-dessus, le ciel devient d’un saphir de plus en plus clair, après avoir quitté sa couleur bleu-noir criblée d’étoiles qui, pendant toute la nuit, ont veillé sur le monde. L’aube repousse de l’orient vers l’occident les régions encore obscures, comme le fait l’eau, lors des marées hautes, qui avance toujours plus pour recouvrir la plage, et remplace le gris-noir du sable humide par le bleu des eaux marines.

L’une ou l’autre étoile ne veut pas encore mourir et luit de plus en plus faiblement sous l’onde de lumière vert clair de l’aube, d’un blanc laiteux nuancé de gris, comme les feuillages des oliviers engourdis qui couronnent un coteau peu distant. Finalement, elle fait naufrage, submergée par l’onde de l’aube comme une terre que recouvre l’eau. Et puis en voilà une de moins… encore une … et une autre, et une autre. Le ciel perd ses troupeaux d’étoiles et ce n’est qu’à l’extrême occident que trois étoiles, puis deux, puis une, restent à regarder ce prodige quotidien qu’est l’aurore qui se lève.

Quand, du côté de l’orient, un filet de rose trace une ligne sur la soie turquoise du ciel, un soupir de vent passe dans les feuillages et sur les herbes et avertit : « Réveillez-vous, le jour est revenu. » Mais il ne réveille que les herbes et les feuillages qui frissonnent sous leurs diamants de rosée et ont un bruissement ténu, mêlé à l’arpège des gouttes qui tombent.

Les oiseaux ne se réveillent pas encore dans les branches touffues d’un cyprès de grande taille qui semble dominer comme un seigneur dans son royaume, ni dans l’entrelacs confus d’une haie de lauriers qui abrite de la tramontane.

C’est dans des poses variées que les gardes, transis de froid, gagnés par l’ennui et ensommeillés, veillent sur le tombeau ; la porte de pierre a été renforcée, sur ses bords, par une épaisse couche de chaux, comme si c’était un contrefort, sur le blanc opaque de laquelle se détachent les larges rosaces de cire rouge portant le sceau du Temple, imprimé avec d’autres, directement dans la chaux fraîche.

Les gardes doivent avoir allumé du feu pendant la nuit, car on voit encore de la cendre et des tisons mal éteints sur le sol. Ils ont aussi joué et mangé, car je vois, répandus sur le sol, des restes de nourriture et des osselets bien polis qui ont servi certainement pour quelque jeu, comme notre jeu de domino ou nos billes ; ils ont pour cela utilisé un échiquier rudimentaire tracé sur le sentier. Puis ils ont tout laissé en plan par lassitude et essayé de trouver des positions plus ou moins commodes pour dormir ou veiller.

À l’orient, une étendue rose s’agrandit de plus en plus dans le ciel serein, où, par ailleurs, il n’y a pas encore de rayon de soleil. C’est alors que surgit de profondeurs inconnues, un météore resplendissant qui descend, tel une boule de feu à l’éclat insoutenable, suivi d’un sillage rutilant qui peut-être n’est que le souvenir de son rayonnement sur notre rétine. Il descend à grande vitesse vers a terre, en répandant une lumière si intense, si fantasmagorique, à la beauté si effrayante, que la lumière rosée de l’aurore en est éclipsée et disparaît.

Surpris, les gardes lèvent la tête, parce que cette lumière s’accompagne d’un grondement puissant, harmonieux, solennel, qui remplit toute la Création. Il provient de profondeurs paradisiaques. C’est l’alléluia, la gloire angélique qui suit l’Esprit du Christ revenant dans sa chair glorieuse.

Le météore s’abat contre l’inutile fermeture du tombeau, l’arrache, la jette par terre, foudroie de terreur et de bruit les gardes placés comme geôliers du Maître de l’univers en provoquant, avec son retour sur la terre, un nouveau tremblement de terre comme cet Esprit du Seigneur en avait produit en fuyant la terre. Il entre, éclaire le tombeau de sa lumière indescriptible, et pendant qu’il reste suspendu dans l’air immobile, l’Esprit se réinfuse dans le corps du Christ sans mouvement sous les bandes funèbres.

Tout cela se passe, non en une minute, mais en une fraction de minute, tant l’apparition, la descente, la pénétration et la disparition de la Lumière de Dieu a été rapide…

Le  » Je le veux  » du divin Esprit à sa chair froide n’a pas de son. L’ordre est donné par l’Essence à la matière immobile. Aucune parole n’est audible par l’oreille humaine.

La chair reçoit le commandement et lui obéit en poussant un profond soupir…

Rien d’autre pendant quelques minutes.

Sous le suaire et le linceul, la chair glorieuse se recompose en une beauté éternelle, se réveille du sommeil de la mort, revient du « rien » où elle était, vit après avoir été morte. Certainement. le cœur se réveille et se remet à battre, il pousse dans les veines le sang glacé qui reste et en crée d’un seul coup la quantité nécessaire dans les artères vides, dans les poumons immobiles, dans le cerveau obscurci, et il y ramène la chaleur, la santé, la force, la pensée.

Un moment passe, et voilà que se produit un mouvement soudain sous le lourd linceul. C’est si soudain, depuis l’instant où Jésus bouge sûrement ses mains croisées, jusqu’au moment où il se tient debout, majestueux, splendide dans son vêtement de matière immatérielle, surnaturellement beau et imposant, avec une gravité qui le change et l’élève tout en le laissant lui-même, que l’œil n’a qu’à peine le temps d’en suivre le développement.

Et maintenant, il l’admire : Jésus est fort différent de ce que la pensée peut rappeler, il est en pleine forme, sans blessures ni sang, mais seulement éblouissant de la lumière qui jaillit à flots des cinq plaies et sort par tous les pores de son épiderme.

Il fait son premier pas : dans son mouvement, les rayons qui jaillissent des mains et des pieds l’auréolent de lames de lumière. depuis la tête nimbée d’un diadème composé des innombrables blessures de la couronne d’épines qui ne donnent plus de sang mais seulement de la splendeur, jusqu’au bord du vêtement quand, en ouvrant les bras qu’il a croisés sur sa poitrine, il découvre la zone de luminosité très vive qui filtre de son habit en lui donnant l’éclat d’un soleil à la hauteur du cœur. Alors, c’est réellement la « Lumière » qui a pris corps.

Il ne s’agit pas de la faible lumière de la terre, ni du pauvre éclat des astres ou du soleil. C’est la Lumière de Dieu : toute la splendeur paradisiaque se rassemble en un seul Être et lui donne un bleu azur inconcevable dans les yeux, des feux d’or en guise de cheveux, des blancs purs et angéliques pour vêtement et coloris et, ce qui est indescriptible par des mots humains, la suréminente ardeur de la très sainte Trinité, dont la puissance anéantit tout feux du Paradis en l’absorbant en elle-même, pour l’engendrer à nouveau à chaque instant du Temps éternel : c’est le cœur du Ciel qui attire et diffuse son sang, les innombrables gouttes de son sang incorporel : les bienheureux, les anges, tout ce qui constitue le Paradis : l’amour de Dieu, l’amour pour Dieu, voilà la Lumière qu’est le Christ ressuscité et qui lui donne forme.

Lorsqu’il se dirige vers la sortie, et dès que l’œil peut voir autre chose que son éclat, voici que m’apparaissent deux clartés très belles, mais semblables à des étoiles par rapport au soleil, chacune d’un côté du seuil, prosternées en adoration pour leur Dieu qui passe, enveloppé de sa lumière, avec un sourire qui béatifie. Il quitte la grotte funèbre et revient fouler la terre que la joie réveille et qui resplendit sous sa rosée, parmi les couleurs des herbes et des rosiers, sous les innombrables corolles des pommiers qui s’ouvrent par prodige aux premiers rayons du soleil qui les frappent, et au Soleil éternel qui avance sous eux.

Les gardes sont évanouis… Les forces corrompues de l’homme ne voient pas Dieu alors que les forces pures de l’univers les fleurs. les herbes, les oiseaux admirent et vénèrent le Puissant qui passe, nimbé de sa propre Lumière et de celle du soleil.

Devant son sourire, et sous son regard qui se pose sur les fleurs, sur les ramilles, puis s’élève vers le ciel serein, tout devient plus beau. Les millions de pétales qui forment une mousse fleurie au-dessus de la tête du Vainqueur prennent une teinte plus soyeuse, plus nuancée. Les diamants de rosée se font plus vifs. Et plus bleu est le ciel que réfléchissent ses yeux resplendissants, et plus joyeux le soleil qui peint de gaieté un petit nuage porté par un vent léger qui vient baiser son Roi avec des parfums enlevés aux jardins et des caresses de pétales soyeux.

Jésus lève la main et bénit et puis, pendant que les oiseaux chantent plus fort et que le vent apporte ses parfums, il disparaît de ma vue, en me laissant dans une joie qui efface jusqu’au moindre souvenir de tristesse, de souffrance et d’hésitation sur le lendemain.

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Jésus apparaît à sa Mère

Marie maintenant est prosternée le visage contre terre. On dirait une pauvre chose abattue. On dirait cette fleur morte de soif dont elle a parlé.

La fenêtre close s’ouvre avec un impétueux battement de ses lourds volets et, avec le premier rayon de soleil, Jésus entre.

Marie, qui s’est secouée au bruit et qui lève la tête pour voir quel vent a ouvert les volets, voit son Fils rayonnant : beau, infiniment plus beau qu’il ne l’était avant d’avoir souffert, souriant, vivant, plus lumineux que le soleil, vêtu d’un blanc qui paraît de la lumière tissée, et qui s’avance vers elle.

Elle se redresse sur ses genoux et, joignant en croix les mains sur sa poitrine, elle dit dans un sanglot qui est rire et pleur : « Seigneur, mon Dieu. » Et elle reste ainsi ravie dans sa contemplation, le visage tout baigné de larmes, mais devenu serein, pacifié par le sourire et l’extase.

Mais Lui ne veut pas la voir, sa Maman, à genoux comme une servante. Et il l’appelle en lui tendant les mains, des blessures desquelles sortent des rayons qui rendent encore plus lumineuse sa Chair glorieuse : « Maman ! »

Mais ce n’est pas la parole affligée des colloques et des adieux d’avant la Passion, ni la lamentation déchirée de la rencontre sur le Calvaire et de l’agonie. C’est un cri de triomphe, de joie, de libération, de fête, d’amour, de gratitude.

Et il se penche sur sa Mère qui n’ose pas le toucher et lui met les mains sous ses coudes pliés, la lève, la serre sur son Cœur et l’embrasse.

Oh ! alors Marie comprend que ce n’est pas une vision, que c’est son Fils réellement ressuscité, que c’est son Jésus, le Fils qui l’aime encore en Fils. Et avec un cri elle se jette à son cou, l’embrasse et le baise, en riant dans ses pleurs. Elle baise son front où il n’y a plus de blessures, sa tête qui n’est plus dépeignée ni couverte de sang, ses yeux éblouissants, ses joues guéries, sa bouche qui n’est plus enflée. Et puis elle Lui prend les mains et en baise le dessus et la paume, sur les blessures rayonnantes, et tout à coup se baisse à ses pieds, les découvre de dessous son vêtement de splendeur et les baise. Puis elle se lève, le regarde, n’ose pas.

Mais Lui sourit et comprend. Il entrouvre son vêtement sur la poitrine et il dit : « Et celle-là, Maman, tu ne la baise pas, celle qui t’a fait si mal et que toi seule es digne de baiser ? Embrasse-moi sur le Cœur, Maman. Ton baiser m’enlèvera le dernier souvenir de tout ce qui est douleur et me donnera cette joie qui manque encore à ma Joie de Ressuscité. » Il prend dans ses mains le visage de sa Mère et en pose les lèvres sur la lèvre de la blessure du Côté, d’où sortent des flots de lumière très vive.

Le visage de Marie est auréolé par cette lumière, plongé comme il l’est dans ses rayons. Elle le baise, le baise pendant que Jésus la caresse. Elle ne se lasse pas de le baiser. On dirait un assoiffé qui ait attaché sa bouche à la source et en boit la vie qui lui échappait.

Maintenant Jésus parle.

« Tout est fini, Maman. Maintenant tu ne dois plus pleurer pour ton Fils. L’épreuve est accomplie. La Rédemption est arrivée. Maman, merci de m’avoir conçu, élevé, aidé dans la vie et dans la mort.

J’ai senti venir à Moi tes prières. Elles ont été ma force dans la douleur, mes compagnes dans mon voyage sur la Terre et au delà de la Terre. Elles sont venues avec Moi sur la Croix et dans les Limbes. Elles étaient l’encens qui précédait le Pontife qui allait appeler ses serviteurs pour les amener dans le temple qui ne meurt pas : dans mon Ciel. Elles sont venues avec Moi dans le Paradis, précédant comme une voix angélique le cortège des rachetés guidés par le Rédempteur pour que les anges fussent prêts pour saluer le Vainqueur qui revenait dans son Royaume. Elles ont été entendues et vues par le Père et par l’Esprit qui en ont souri comme de la fleur la plus belle et du chant le plus doux nés dans le Paradis. Elles ont été connues par les Patriarches et les nouveaux Saints, par les nouveaux, les premiers habitants de ma Jérusalem, et Moi je t’apporte leurs remerciements, Maman, en même temps que le baiser des parents et que leur bénédiction et celle de Joseph, ton époux d’âme.

Le Ciel tout entier chante son hosanna à toi, ma Mère, Maman Sainte ! Un hosanna qui ne meurt pas, qui n’est pas menteur comme celui qui m’a été donné il y a quelques jours.

Maintenant je vais trouver le Père avec mon vêtement humain. Le Paradis doit voir le Vainqueur dans son vêtement d’Homme avec lequel il a vaincu le Péché de l’Homme. Mais ensuite je viendrai encore. Je dois confirmer dans la Foi ceux qui ne croient pas encore et ont besoin de croire pour amener les autres à la foi, je dois fortifier ceux qui sont chétifs et qui auront besoin de tant de force pour résister au monde.

Puis je monterai au Ciel, mais je ne te laisserai pas seule, Maman. Tu vois ce voile ? Dans mon anéantissement, j’ai dégagé encore une puissance de miracle pour Toi, pour te donner ce réconfort. Mais j’accomplis pour toi un autre miracle. Tu me posséderas dans le Sacrement, réel comme je l’étais quand tu me portais. Tu ne seras jamais seule. En ces jours tu l’as été.

Mais pour ma Rédemption il fallait aussi cette douleur que tu as éprouvée. Beaucoup sera continuellement ajouté à la Rédemption car il sera continuellement créé beaucoup de Péché. J’appellerai tous mes serviteurs à cette coparticipation rédemptrice. Tu es celle qui à elle seule fera plus que tous les autres saints ensemble. C’est pour cela aussi qu’il fallait ce long abandon. Maintenant il est fini.

Je ne suis plus séparé du Père. Tu ne seras plus séparée du Fils. Et ayant le Fils, tu as notre Trinité. Ciel vivant, tu porteras sur la Terre la Trinité parmi les hommes et tu sanctifieras l’Église, toi, Reine du Sacerdoce et Mère des Chrétiens. Puis je viendrai te prendre. Et ce ne sera plus Moi en toi, mais toi en Moi, dans mon Royaume, pour rendre plus beau le Paradis.

Maintenant je m’en vais, Maman. Je vais rendre heureuse l’autre Marie. Puis je monte vers le Père. C’est de là que je viendrai à ceux qui ne croient pas.

Maman, ton baiser pour bénédiction, et ma Paix à toi pour compagne. Adieu. »

Et Jésus disparaît dans le soleil qui descend à flots du ciel serein du matin.

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Les prophéties ont-elles annoncées la venu du Christ

Né d’une Vierge

Isaïe 7:14 (VIIe siècle av. J.-C)
C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (C’est-à-dire: Dieu-avec-nous).

Né à Bethléem

Michée 5:1 (740 av. J.-C)
Or, c’est de toi Bethléem-Effata, si peu importante parmi les groupes de Juda, c’est toi que je veux que sorte celui qui est destiné à dominer sur Israël et dont l’origine remonte aux temps lointains, aux jours antiques.

Massacre des enfants à sa naissance

Jérémie 31 : 15 (655 av. J.-C)
15 Ainsi parle le Seigneur : « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d’amers sanglots. C’est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus ! »

Descendant de la tribu de Juda

Le Messie est descendant de la tribu de Juda (Genese 49:10 (655 av. J.-C)) et  descendant de David (Psaumes 132 : 11 (460 av. J.-C)). Nous n’avons aucun doute sur la descendance davidique de Joseph, l’époux de la vierge Marie. Les archives généalogiques du Temple ont prouvé qu’il était de la tribu de Juda, descendant de David. Nous savons aussi que Joseph était un bon juif, son mariage, performé par un rabbin, a été béni sous la loi sacrée de Moïse. Maintenant il est vrai que Joseph, n’étant pas le père naturel de jésus, nous ne pouvons considérer Jésus comme étant descendant direct de Joseph. Les femmes n’étant pas enregistrées dans les archives généalogiques du Temple, il était impossible de prouver la descendance de Marie en consultant celles-ci.  Mais…

Genèse 2 : 24 (655 av. J.-C)
24 C’est pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère ; s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Marie, devenue la même chair que Joseph, était considérée de la même tribu que celui-ci. Mais Dieu, connaissant l’incrédulité de certain, nous confirme la descendance directe de Marie en pointant de son doigt sacré deux versets de la Torah.

Nombres 36:8-9 (VIIIe-VIe siècle av. J.-C)
8 Toute fille appelée à hériter, parmi les tribus des enfants d’Israël, devra épouser quelqu’un qui appartienne à la tribu de son père ; afin que les enfants d’Israël possèdent chacun l’héritage de leurs pères, 9 et qu’il n’y ait pas d’évolution d’héritage d’une tribu différente, les tribus des enfants d’Israël devant chacune, conserver leur héritage. »

Entré dans le second temple

Aggée 2 : 9 (655 av. J.-C)
9  Plus grande sera la splendeur de ce second temple que celle du premier, dit l’Eternel-Sabaot, et en ce lieu je ferai régner la paix, dit l’Eternel-Cebaot ».

Entrée à Jérusalem sur un âne

Zacharie 9 : 9 (655 av. J.-C)
9 Réjouis-toi fort, fille de Sion, jubile, fille de Jérusalem. Voici que ton roi vient à toi juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur le petit de l’ânesse.

Vendu pour 30 pièces d’argent

Zacharie 11 : 13 (655 av. J.-C)
13 Et l’Eternel me dit : « Jette-le au Trésor, ce prix magnifique auquel j’ai été estimé par eux, et je pris les trente pièces d’argent et les jetai au Trésor, dans la maison de l’Eternel.

Doux, Pacifique, Innocent mis à mort comme un criminel pour nos péchés, pour notre salut, mis en tombeau de riche.

Isaïe 53 (VIIe siècle av. J.-C)
1 Qui a ajouté foi à l’annonce qui nous a été faite ? Et à qui s’est révélé le bras Dieu ?

2 Il poussait devant lui, pareil à un faible rejeton à une racine plantée dans un sol brûlé. Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, ni grâce pour nous le rendre aimable.

3 Méprisé, repoussé des hommes, homme de douleurs expert en maladies, il était comme un objet dont on détourne le visage, une chose vile dont nous ne tenions nul compte.

4 Et pourtant ce sont nos maladies dont il était chargé, nos souffrances qu’il portait, alors que nous, nous le prenions pour un malheureux atteint, frappé par Dieu, humilié.

5 Et c’est pour nos péchés qu’il a été meurtri, par nos iniquités qu’il a été écrasé : le châtiment, gage de notre salut, pesait sur lui, et c’est sa blessure qui nous a valu la guérison.

6 Nous étions tous comme des brebis errantes, chacun se dirigeant de son côté, et Dieu a fait retomber sur lui notre crime à tous.

7 Maltraité, injurié, il n’ouvrait pas la bouche ; pareil à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis silencieuse devant ceux qui la tondent, il n’ouvrait pas la bouche.

8 Faute de protection et de justice, il a été enlevé. Qui pourrait décrire sa destinée ? Car il s’est vu retrancher du pays des vivants, les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples.

9 On a mis sa sépulture avec celle des impies, son tombeau avec celui des riches, quoiqu’il n’eût fait aucun mal et qu’il n’y eût jamais de fraude dans sa bouche ;

10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire il vit une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Eternel prospérât dans sa main.

11 Délivré de l’affliction de son âme, il jouira à satiété du bonheur : par sa sagesse le juste, mon serviteur, fera aimer la justice à grand nombre et prendra la charge de leurs iniquités.

12 C’est pourquoi je lui donnerai son lot parmi les grands ; avec les puissants il partagera le butin, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et s’est laissé confondre avec les malfaiteurs, lui, qui n’a fait que porter le péché d’un grand nombre et qui a intercédé en faveur des coupables.

Percé (Crucifié)

Zacharie 12 : 10 (655 av. J.-C)
10 Mais sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem je répandrai un esprit de bienveillance et de pitié, et ils porteront les regards vers moi à cause de celui qui aura été percé de leurs coups, ils le regretteront comme on regrette un [fils] unique, et le pleureront amèrement comme on pleure un premier-né.

Obscurcissement du jour à sa mort

Amos 8 : 9 (745 av. J.-C)
9 En ce jour-là, dit le Seigneur Dieu, je donnerai ordre au soleil de se coucher en plein midi, et je ferai la nuit sur la terre en plein jour.

Ressuscité

Isaïe 53 : 10 (VIIe siècle av. J.-C)
10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire il vît une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Eternel prospérât dans sa main.

Ressuscité le 3ème jour

Osée 6 : 2 (VIIIe siècle av. J.-C)
2 [Déjà] au bout de deux jours il nous aura rendu la vie ; le troisième jour il nous aura relevé, pour que nous subsistions devant lui.

 

Source

La Crucifixion, la mort et la déposition de croix.

Vision du mardi 27 mars 1945 (mardi saint).

Quatre hommes musclés, qui par leur aspect me paraissent juifs et juifs dignes de la croix plus que les condamnés, certainement de la même catégorie que les flagellateurs, sautent d’un sentier sur le lieu du supplice. Ils sont vêtus de tuniques courtes et sans manches et ils ont dans les mains des clous, des marteaux et les cordes qu’ils montrent aux condamnés en se moquant d’eux. La foule est agitée par un délire cruel.

Le centurion offre à Jésus l’amphore pour qu’il boive la mixture anesthésique du vin myrrhé. Mais Jésus la refuse. Les deux larrons, au contraire, en boivent une quantité. Puis l’amphore à la bouche largement évasée est placée près d’une grosse pierre, presque en haut de la cime.

On donne aux condamnés l’ordre de se dévêtir. Les deux larrons le font sans aucune pudeur. Ils s’amusent même à faire des actes obscènes vers la foule et en particulier vers le groupe sacerdotal tout blanc dans ses vêtements de lin et qui est revenu tout doucement sur la petite place plus basse, en profitant de sa qualité pour s’insinuer à cet endroit. Aux prêtres se sont unis deux ou trois pharisiens et d’autres puissants personnages que la haine rend amis. Et je vois des personnes connues comme le pharisien Giocana et Ismaël, le scribe Sadoc, Éli de Capharnaüm …

Les bourreaux offrent aux condamnés trois loques pour qu’ils se les attachent à l’aine, et les larrons les prennent avec les plus horribles blasphèmes. Jésus, qui se déshabille lentement à cause de la douleur des blessures, la refuse. Il pense peut-être garder les courtes culottes qu’il a gardées même dans la flagellation. Mais quand on Lui dit de les enlever, il tend la main pour mendier le chiffon aux bourreaux pour cacher sa nudité. C’est vraiment l’Anéanti jusqu’à devoir demander un chiffon aux criminels.

Mais Marie a vu et elle a enlevé le long et fin linge blanc qui lui voile la tête sous le manteau foncé et dans lequel elle a déjà versé tant de pleurs. Elle l’enlève sans faire tomber le manteau, le donne à Jean pour qu’il le présente à Longin pour son Fils. Le centurion prend le voile sans difficulté. Quand Jésus va se déshabiller complètement, en se tournant non vers la foule mais vers le côté où il n’y a personne, montrant ainsi son dos sillonné de bleus et des ampoules saignant par les blessures ouvertes ou les croûtes sombres, Longin Lui présente le voile maternel. Jésus le reconnaît. Il s’en enveloppe en lui faisant faire plusieurs fois le tour du bassin en le fixant bien pour qu’il ne tombe pas… Et sur le lin baigné seulement jusqu’alors de pleurs, tombent les premières gouttes de sang, car de nombreuses blessures à peine couvertes de sang coagulé, quand il se baisse pour enlever ses sandales et déposer ses vêtements, se sont rouvertes, et le sang recommence à couler.

Maintenant Jésus se tourne vers la foule, et on voit ainsi que la poitrine aussi, les bras, les jambes ont été toutes frappées par les fouets. À la hauteur du foie il y a un énorme bleu et sous l’arc costal gauche il y a sept traces en relief, terminées par sept petites déchirures sanglantes à l’intérieur d’un cercle violacé… un coup féroce de fouet dans cette région si sensible du diaphragme. Les genoux, contusionnés par les chutes répétées qui ont commencé tout de suite après sa capture et se sont terminées sur le Calvaire, sont noirs d’hématomes et ouverts sur la rotule, spécialement le genou droit, en une vaste déchirure sanglante.

La foule le méprise en formant une sorte de chœur : « Oh ! Beau ! Le plus beau des enfants des hommes ! Les filles de Jérusalem t’adorent… » Et elle entonne sur le ton d’un psaume : « Mon aimé est candide et rubicond, distingué entre mille et mille. Sa tête est d’or pur, ses cheveux des grappes de palmier, soyeux comme la plume du corbeau. Ses yeux sont comme deux colombes qui se baignent dans des ruisseaux non pas d’eau mais de lait, dans le lait de son orbite. Ses joues sont des parterres d’aromates, ses lèvres pourpres sont des lys qui ruissellent une myrrhe précieuse. Ses mains sont faites comme un travail d’orfèvre, terminées en jacinthe rosé. Son tronc est de l’ivoire veiné de saphir. Ses jambes sont des colonnes parfaites, de marbre blanc sur des bases d’or. Sa majesté est comme celle du Liban, il est plus majestueux que le cèdre élevé. Sa langue est imprégnée de douceur et lui n’est que délices » et ils rient et crient aussi : « Le lépreux ! Le lépreux ! Tu as donc forniqué avec une idole si Dieu t’a ainsi frappé ? Tu as murmuré contre les saints d’Israël comme Marie de Moïse, si tu as été ainsi puni ? Oh ! Oh ! le Parfait ! Tu es le Fils de Dieu ? Mais non ! Tu es l’avorton de Satan ! Lui, au moins, Mammon est puissant et fort. Toi… tu es une loque impuissante et dégoûtante. »

Les larrons sont attachés sur les croix et amenés à leurs places, l’un à droite, l’autre à gauche par rapport à celle destinée à Jésus. Ils poussent des cris, des imprécations, des malédictions et surtout lorsque les croix sont portées près du trou et les secouent, alors que leurs poignets sont sciés par les cordes, leurs blasphèmes contre Dieu, contre la Loi, les romains et les juifs sont infernaux.

C’est le tour de Jésus. Doux il s’allonge sur le bois. Les deux larrons étaient tellement rebelles, que n’arrivant pas à le faire, les quatre bourreaux avaient dû demander l’intervention des soldats pour les tenir, pour qu’à coups de pieds ils ne repoussent pas les argousins qui les attachaient par les poignets. Mais pour Jésus, il n’est pas besoin d’aide. Il se couche et met la tête où on Lui dit de la mettre. Il ouvre les bras comme on Lui dit de le faire, allonge les jambes comme on le Lui ordonne. Il s’occupe seulement de bien ajuster son voile.

Maintenant son long corps, mince et blanc, se détache sur le bois sombre et le sol jaunâtre. Deux bourreaux s’assoient sur la poitrine pour la tenir immobile. Et je pense à l’oppression et à la souffrance qu’il doit avoir ressenties sous ce poids. Un troisième Lui prend le bras droit en le tenant d’une main à la première partie de l’avant-bras et de l’autre au bout des doigts. Le quatrième, qui a déjà dans les mains le long clou dont la tige quadrangulaire est en pointe, se termine en une plaque arrondie et plate, large comme un sou d’autrefois, regarde si le trou déjà fait dans le bois correspond à la jointure radio-ulnaire du poignet. Il va bien. Le bourreau applique la pointe du clou au poignet, lève le marteau et donne le premier coup.

Jésus, qui avait les yeux fermés, pousse un cri et a une contraction à la suite de la douleur aiguë et ouvre les yeux qui nagent dans les larmes. Ce doit être une douleur atroce qu’il éprouve… Le clou pénètre en rompant les muscles, les veines, les nerfs, en brisant les os…

Marie répond au cri de son Fils torturé par un gémissement qui a quelque chose de la plainte d’un agneau qu’on égorge, et elle se courbe, comme brisée, en tenant sa tête dans ses mains. Jésus pour ne pas la torturer ne crie plus. Mais les coups sont là, méthodiques, âpres, du fer contre le fer… et on pense que dessous c’est un membre vivant qui les reçoit.

La main droite est clouée. On passe à la gauche. Le trou ne correspond pas au carpe. Alors ils prennent une corde, lient le poignet gauche et tirent jusqu’à déboîter la jointure et arracher les tendons et les muscles sans compter qu’ils déchirent la peau déjà sciée par les cordes de la capture. L’autre main aussi doit souffrir car elle est étirée par contrecoup et autour de son clou le trou s’élargit. Maintenant on arrive à peine au commencement du métacarpe, près du poignet. Ils se résignent et ils clouent où ils peuvent, c’est-à-dire entre le pouce et les autres doigts, exactement au centre du métacarpe. Là le clou entre plus facilement, mais avec une plus grande souffrance car il doit couper des nerfs importants, si bien que les doigts restent inertes alors que ceux de la main droite ont des contractions et des tremblements qui indiquent leur vitalité. Mais Jésus ne crie plus, il pousse seulement une plainte rauque derrière ses lèvres fortement fermées, et des larmes de douleur tombent par terre après être tombées sur le bois.

Maintenant c’est le tour des pieds. À deux mètres et plus de l’extrémité de la croix il y a un petit coin, à peine suffisant pour un pied. On y porte les pieds pour voir si la mesure est bonne, et comme il est un peu bas, et que les pieds arrivent difficilement, on étire par les chevilles le pauvre Martyr. Le bois rêche de la croix frotte ainsi sur les blessures, déplace la couronne qui ainsi arrache de nouveaux cheveux et menace de tomber. Un bourreau, d’un coup de poing, la remet en place…

Maintenant ceux qui étaient assis sur la poitrine de Jésus se lèvent pour se placer sur les genoux, car Jésus a un mouvement involontaire pour retirer ses jambes en voyant briller au soleil le clou très long qui, en longueur et en largeur est le double de ceux qui ont servi pour les mains. Et ils pèsent sur les genoux écorchés, et pressent les pauvres jambes couvertes de contusions pendant que les deux autres accomplissent le travail, beaucoup plus difficile de clouer un pied sur l’autre, en cherchant à combiner ensemble les deux jointures des tarses.

Bien qu’ils s’appliquent à tenir les pieds immobiles à la cheville et aux dix doigts, contre le coin, le pied qui est dessous se déplace à cause de la vibration du clou, et ils doivent le déclouer presque parce qu’après être entré dans les parties molles, le clou, déjà épointé pour avoir traversé le pied droit, doit être amené un peu plus vers le milieu. Et ils frappent, frappent, frappent… On n’entend que le bruit atroce du marteau sur la tête du clou, car sur tout le Calvaire ce ne sont que yeux et oreilles tendues, pour recueillir tout geste et tout bruit et en jouir…

Par-dessus le son âpre du fer, on entend la plainte sourde d’une colombe : le rauque gémissement de Marie qui se courbe de plus en plus à chaque coup, comme si le marteau la blessait elle, la Mère Martyre. Et on comprend qu’elle semble près d’être brisée par cette torture. La crucifixion est redoutable, égale à la flagellation pour la douleur, plus atroce à voir car on voit le clou disparaître dans les chairs vivantes, mais en compensation, elle est plus brève. Alors que la flagellation épuise par sa durée.

Pour moi, l’Agonie du Jardin, la Flagellation et la Crucifixion sont les moments les plus atroces. Elles me dévoilent toute la torture du Christ. La mort me soulage car je me dis : « C’est fini ! » Mais elles ne sont pas la fin. Elles sont le commencement pour de nouvelles souffrances.

Maintenant la croix est traînée près du trou et elle rebondit sur le sol inégal, en secouant le pauvre Crucifié. On dresse la croix qui échappe par deux fois à ceux qui la lèvent et retombe une fois soudainement, et une autre fois sur le bras droit de la croix, en donnant un affreux tourment à Jésus, car la secousse qu’il subit déplace les membres blessés. Mais quand ensuite on laisse tomber la croix dans son trou, avant d’être immobilisée avec des pierres et de la terre, elle ondule en tous les sens en imprimant de continuels déplacements au pauvre Corps suspendu à trois clous, la souffrance doit être atroce.

Tout le poids du corps se déplace en avant et vers le bas, et les trous s’élargissent, en particulier celui de la main gauche, et s’élargit le trou des pieds alors que le sang coule plus fort. Le sang des pieds coule le long des doigts par terre et le long du bois de la croix, mais celui des mains suit les avant-bras, car ils sont plus hauts aux poignets qu’aux aisselles, par suite de la position, et il coule aussi le long des côtes en descendant de l’aisselle vers la taille. La couronne, quand la croix ondule avant d’être fixée, se déplace car la tête se rabat vers l’arrière, en enfonçant dans la nuque le gros nœud d’épines qui termine la couronne piquante, et puis revient se placer sur le front et griffe, griffe sans pitié.

Finalement la croix est bien en place et il n’y a que le tourment d’y être suspendu. On dresse aussi les larrons qui, une fois mis verticalement, crient comme si on les écorchait vifs à cause de la torture des cordes qui scient les poignets et rendent les mains noires, en gonflant les veines comme des cordes. Jésus se tait. La foule ne se tait plus, au contraire, mais reprend son vacarme infernal.

Maintenant la cime du Golgotha a son trophée et sa garde d’honneur. À la limite la plus élevée la croix de Jésus, aux côtés les deux autres. Une demi-centurie de soldats l’arme au pied tout autour du sommet, à l’intérieur de ce cercle d’hommes armés, les dix cavaliers maintenant démontés qui jouent aux dés les vêtements des condamnés. Debout, entre la croix de Jésus et celle de droite, Longin. Il semble monter la garde d’honneur au Roi Martyr. L’autre demie centurie, au repos, est aux ordres de l’aide de camp de Longin sur le sentier de gauche et sur la place plus basse, en attendant d’être employée s’il en était besoin. De la part des soldats, c’est une indifférence à peu près totale. Seul quelqu’un lève parfois son visage vers les crucifiés, Longin, au contraire, observe tout avec curiosité et intérêt, il confronte, et juge mentalement. Il confronte les crucifiés, et le Christ spécialement, avec les spectateurs. Son œil pénétrant ne perd aucun détail et, pour mieux voir, de la main il protège ses yeux car le soleil doit le gêner.

C’est en fait un soleil étrange, d’un jaune rouge d’incendie. Et puis il semble que l’incendie s’éteigne tout à coup à cause d’un nuage noir comme de la poix qui surgit de derrière les chaînes juives et qui parcourt rapidement le ciel et va disparaître derrière d’autres montagnes. Et quand le soleil revient il est si vif que l’œil ne le supporte que difficilement.

En regardant il voit Marie juste au-dessous du talus, qui tient levé vers son Fils son visage déchiré. Il appelle un des soldats qui jouent aux dés et lui dit : « Si la Mère veut monter avec le fils qui l’accompagne, qu’elle vienne. Accompagne-la et aide-la. »

Et Marie avec Jean, que l’on croit son fils, monte par un petit escalier creusé dans le tufeau, je crois, et franchit le cordon de soldats pour aller au pied de la croix, mais un peu à l’écart pour être vue et pour voir son Jésus. La foule lui déverse aussitôt les insultes les plus outrageantes, en la joignant dans les blasphèmes à son Fils. Mais elle, de ses lèvres tremblantes et blanches, cherche seulement à le réconforter, avec un sourire déchiré sur lequel viennent s’essuyer les larmes qu’aucune force de volonté ne réussit à retenir dans les yeux.

Les gens, en commençant par les prêtres, scribes, pharisiens, sadducéens, hérodiens et autres de même acabit, se procurent le divertissement de faire une sorte de carrousel en montant par le chemin à pic, en passant le long de la hauteur terminale et en redescendant par l’autre chemin, ou vice versa. Et en passant au pied de la cime, sur la seconde petite place, ils ne manquent pas d’offrir leurs paroles blasphématrices en hommage au Mourant. Toute la turpitude, la cruauté, toute la haine et la folie dont les hommes sont capables avec la langue sortent à flots de ces bouches infernales. Les plus acharnés sont les membres du Temple avec les pharisiens pour les aider.

« Eh bien ? Toi, Sauveur du genre humain, pourquoi ne te sauves-tu pas ? Il t’a abandonné ton roi Belzébuth ? Il t’a renié ? » crient trois prêtres.

Et une bande de juifs : « Toi qui pas plus tard qu’il y a cinq jours, avec l’aide du démon, faisais dire au Père… ah ! ah ! ah ! qu’il t’aurait glorifié, comment donc ne Lui rappelles-tu pas de tenir sa promesse ? »

Et trois pharisiens : « Blasphémateur ! Il a sauvé les autres, disait-il, avec l’aide de Dieu ! Et il ne réussit pas à se sauver Lui-même ! Tu veux qu’on te croie ? Alors fais le miracle. Tu ne peux, hein ? Maintenant tu as les mains clouées, et tu es nu. »

Et des sadducéens et des hérodiens aux soldats : « Gare à l’envoûtement, vous qui avez pris ses vêtements ! Il a en Lui le signe infernal ! »

Une foule en chœur: « Descends de la croix et nous croirons en Toi. Toi qui détruis le Temple… Fou !… Regarde-la, le glorieux et saint Temple d’Israël. Il est intouchable, ô profanateur ! Et Toi, tu meurs. »

D’autres prêtres : « Blasphémateur ! Toi, Fils de Dieu ? Et descends de là, alors. Foudroies-nous si tu es Dieu. Nous ne te craignons pas et nous crachons vers Toi. »

D’autres qui passent et hochent la tête : « Il ne sait que pleurer. Sauve-toi, s’il est vrai que tu es l’Élu ! »

Les soldats: « Et sauve-toi, donc ! Réduis en cendres cette subure de la subure ! Oui ! Subure de l’empire, voilà ce que vous êtes, canailles de juifs. Fais-le ! Rome te mettra au Capitole et t’adorera comme une divinité ! »

Les prêtres avec leurs compères : « Ils étaient plus doux les bras des femmes que ceux de la croix, n’est-ce pas ? Mais regarde : ils sont déjà prêts à te recevoir tes… (et ils disent un terme infâme). Tu as Jérusalem toute entière pour te servir de paranymphe » et ils sifflent comme des charretiers.

D’autres lancent des pierres : « Change-les en pains, Toi qui multiplies les pains. »

D’autres en singeant les hosannas du dimanche des palmes, lancent des branches, et crient : « Maudit celui qui vient au nom du Démon ! Maudit son royaume ! Gloire à Sion qui le sépare du milieu des vivants ! »

Un pharisien se place en face de la croix, il montre le poing en Lui faisant les cornes et il dît : « Je te confie au Dieu de Sinaï » disais-tu ? Maintenant le Dieu du Sinaï te prépare au feu éternel. Pourquoi n’appelles-tu pas Jonas pour qu’il te rende un bon service? »

Un autre : « N’abîme pas la croix avec les coups de ta tête. Elle doit servir pour tes fidèles. Une légion entière en mourra sur ton bois. Je te le jure sur Jéhovah. Et pour commencer j’y mettrai Lazare. Nous verrons si tu l’enlèves à la mort, maintenant. »

« Oui ! Oui ! Allons chez Lazare. Clouons-le de l’autre côté de la croix » et comme des perroquets, ils imitent la parole lente de Jésus en disant : « Lazare, mon ami, viens dehors ! Déliez-le et laissez-le aller. »

« Non ! Il disait à Marthe et à Marie, ses femmes: « Je suis la Résurrection et la Vie ». Ah ! Ah ! Ah ! La Résurrection ne sait pas repousser la mort, et la Vie meurt ! »

« Voici Marie avec Marthe. Demandons-leur où est Lazare et allons le chercher. » Et ils s’avancent vers les femmes pour leur demander avec arrogance : « Où est Lazare ? Au palais ? »

Et Marie-Madeleine, alors que les autres femmes terrorisées fuient derrière les bergers, s’avance, retrouvant dans sa douleur sa vieille hardiesse du temps du péché, et elle dit : « Allez. Vous trouverez déjà au palais les soldats de Rome et cinq cents hommes armés de mes terres et ils vous castreront comme de vieux boucs destinés aux repas des esclaves aux meules. »

« Effrontée ! C’est ainsi que tu parles aux prêtres ? »

« Sacrilèges ! Infâmes ! Maudits ! Tournez-vous ! Derrière vous, vous avez, je le vois, les langues des flammes infernales. »

Les lâches se tournent, vraiment terrorisés, tant est assurée l’affirmation de Marie, mais s’ils n’ont pas les flammes derrière eux, ils ont aux reins les lances romaines bien pointues. En effet Longin a donné un ordre et la demi-centurie, qui était au repos, est entrée en faction et elle pique aux fesses les premiers qu’elle trouve. Ceux-ci s’enfuient en criant et la demi-centurie reste pour fermer l’entrée des deux chemins et pour faire un barrage à la petite place. Les juifs crient des imprécations, mais Rome est la plus forte.

La Magdeleine rabaisse son voile — elle l’avait levé pour parler à ceux qui les insultaient — et revient à sa place. Les autres se joignent à elle.

Mais le larron de gauche continue ses insultes du haut de sa croix. Il semble qu’il ait voulu rassembler tous les blasphèmes d’autrui et il les débite tous, en disant pour finir : « Sauve-toi et sauve-nous, si tu veux que l’on te croie. Le Christ, Toi ? Tu es un fou ! Le monde appartient aux fourbes et Dieu n’existe pas. Moi j’existe. Cela est vrai, et pour moi tout est permis. Dieu ? Fariboles ! Mises pour nous tenir tranquilles. Vive notre moi ! Lui seul est roi et dieu ! »

L’autre larron, celui de droite, a Marie presque à ses pieds et il la regarde presque plus qu’il ne regarde le Christ. Depuis un moment il pleure en murmurant : « La mère », il dit : « Tais-toi. Tu ne crains pas Dieu, même maintenant que tu souffres cette peine ? Pourquoi insultes-tu celui qui est bon ? Et son supplice est encore plus grand que le nôtre. Et il n’a rien fait de mal. »

Mais l’autre continue ses imprécations.

Jésus se tait. Haletant à cause de l’effort que Lui impose sa position, à cause de la fièvre et de son état cardiaque et respiratoire, conséquence de la flagellation subie sous une forme aussi violente, et aussi de l’angoisse profonde qui Lui avait fait suer sang, il cherche à se procurer un soulagement, en allégeant le poids qui pèse sur ses pieds, en se suspendant à ses mains par la force des bras. Peut-être le fait-il pour vaincre un peu la crampe qui déjà tourmente ses pieds et que trahit un frémissement musculaire. Mais le même frémissement affecte les fibres des bras qui sont forcés dans cette position et doivent être gelés à leurs extrémités parce que placés plus haut et délaissés par le sang qui arrive difficilement aux poignets et puis coule par les trous des clous en laissant les doigts sans circulation. Surtout ceux de gauche sont déjà cadavériques et restent sans mouvement, repliés vers la paume. Même les doigts des pieds expriment leur tourment. En particulier les gros orteils, peut-être parce que leur nerf est moins blessé, se lèvent, s’abaissent, s’écartent.

Le tronc ensuite révèle toute sa peine avec son mouvement rapide mais sans profondeur qui le fatigue sans le soulager. Les côtes, très larges et élevées d’elles-mêmes, car la structure de ce Corps est parfaite, sont maintenant dilatées plus qu’il ne faut à cause de la position prise par le corps et de l’œdème pulmonaire qui s’est sûrement formé à l’intérieur. Et pourtant elles ne servent pas à alléger l’effort respiratoire d’autant plus que tout l’abdomen aide par son mouvement le diaphragme qui se paralyse de plus en plus.

La congestion et l’asphyxie grandissent de minute en minute, comme l’indique la couleur cyanotique qui souligne les lèvres d’un rosé allumé par la fièvre, et les étirements d’un rouge violet qui badigeonne le cou le long des veines jugulaires gonflées, et s’élargissent jusqu’aux joues, vers les oreilles et les tempes, alors que le nez est effilé et exsangue et que les yeux s’enfoncent en un cercle, qui est livide là où il est privé du sang que la couronne a fait couler.

Sous l’arc costal gauche on voit le coup propagé à partir de la pointe du cœur, irrégulier, mais violent, et de temps en temps, par l’effet d’une convulsion interne, le diaphragme a un frémissement profond qui se manifeste par une détente totale de la peau dans la mesure où elle peut s’étendre sur ce pauvre Corps blessé et mourant.

Le visage a déjà l’aspect que nous voyons dans les photographies du Linceul, avec le nez dévié et gonflé d’un côté, et même le fait de tenir l’œil droit presque fermé, à cause de l’enflure qui existe de ce côté, augmente la ressemblance. La bouche, au contraire, est ouverte, avec sa blessure sur la lèvre supérieure désormais réduite à une croûte.

La soif, donnée par la perte de sang, par la fièvre et par le soleil, doit être intense, au point que Lui, par un mouvement machinal, boit les gouttes de sa sueur et de ses larmes, et aussi les gouttes de sang qui descendent du front jusqu’à ses moustaches, et il s’en humecte la langue… La couronne d’épines l’empêche de s’appuyer au tronc de la croix pour aider la suspension par les bras et soulager les pieds. Les reins et toute l’épine dorsale se courbent vers l’extérieur en restant détachés du tronc de la croix à partir du bassin vers le haut, à cause de la force d’inertie qui fait pencher en avant un corps suspendu comme était le sien.

Les juifs, repoussés au-delà de la petite place, ne cessent pas leurs insultes et le larron impénitent leur fait écho. L’autre, qui maintenant regarde la Mère avec une pitié toujours plus grande, et pleure, lui riposte âprement quand il se rend compte qu’elle aussi est comprise dans l’insulte.

« Tais-toi ! Rappelle-toi que tu es né d’une femme. Et réfléchis que les nôtres ont pleuré à cause de leurs fils, et ce furent des larmes de honte… parce que nous sommes des criminels. Nos mères sont mortes… Je voudrais pouvoir lui demander pardon… Mais le pourrai-je ? C’était une sainte… Je l’ai tuée par la douleur que je lui ai donnée… Je suis un pécheur… Qui me pardonne ? Mère, au nom de ton Fils mourant, prie pour moi. »

La Mère lève un moment son visage torturé et elle le regarde, ce malheureux qui à travers le souvenir de sa mère et la contemplation de la Mère va vers le repentir, et elle paraît le caresser de son regard de colombe.

Dismas pleure plus fort, ce qui déchaîne encore plus les moqueries de la foule et de son compagnon. La première crie : « Bravo ! Prends-la pour mère. Ainsi elle a deux fils criminels ! » Et l’autre renchérit : « Elle t’aime car tu es une copie mineure de son bien-aimé. »

Jésus parle pour la première fois : « Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Cette prière vainc toute crainte chez Dismas. Il ose regarder le Christ et dit : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume. Pour moi, il est juste que je souffre ici. Mais donne-moi miséricorde et paix au-delà de la vie. Une fois je t’ai entendu parler et, dans ma folie, j’ai repoussé ta parole. Maintenant je m’en repens. De mes péchés, je me repens devant Toi, Fils du Très-Haut. Je crois que tu viens de Dieu. Je crois en ton pouvoir. Je crois en ta miséricorde. Christ, pardonne-moi au nom de ta Mère et de ton Père très Saint. »

Jésus se tourne et le regarde avec une profonde pitié et il a un sourire encore très beau sur sa pauvre bouche torturée. Il dit : « Moi, je te le dis : aujourd’hui tu seras avec Moi au Paradis. »

Le larron repenti se calme et, ne sachant plus les prières apprises pendant son enfance, il répète comme une oraison jaculatoire : « Jésus Nazaréen, roi des juifs, aie pitié de Moi. Jésus Nazaréen, roi des juifs, j’espère en Toi. Jésus Nazaréen, roi des juifs, je crois à ta Divinité. »

L’autre persiste dans ses blasphèmes.

Le ciel devient toujours plus sombre. Maintenant c’est difficilement que les nuages s’ouvrent pour laisser passer le soleil. Mais ils s’amoncellent en couches de plus en plus sombres, blanches, verdâtres, se surmontent, se démêlent selon les caprices d’un vent froid qui parcourt le ciel à intervalles et puis descend sur la terre et puis se tait de nouveau, et l’air est presque plus sinistre quand il se tait, étouffant et mort, que quand il siffle, coupant et rapide.

La lumière, d’abord vive outre mesure, est en train de devenir verdâtre. Les visages prennent des aspects bizarres. Les soldats, sous leurs casques et dans leurs cuirasses d’abord brillantes et devenues maintenant comme enveloppées dans une lumière verdâtre et sous un ciel de cendre, présentent des profils durs comme s’ils étaient sculptés. Les juifs, en majorité bruns de peau et de cheveux et de barbe, paraissent des noyés tant leurs visages deviennent terreux. Les femmes semblent des statues de neige bleutée à cause de leur pâleur exsangue que la lumière accentue.

Jésus semble devenir sinistrement livide, comme s’il commençait à se décomposer, comme s’il était déjà mort. La tète commence à retomber sur la poitrine. Ses forces manquent rapidement. Il tremble malgré la fièvre qui le brûle. Et dans sa faiblesse, il murmure le nom que d’abord il a seulement dit du fond du cœur : « Maman ! » « Maman ! ». Il le murmure doucement comme dans un soupir, comme s’il éprouvait déjà un léger délire qui l’empêche de retenir autant que sa volonté le voudrait. Et Marie chaque fois ne peut s’empêcher de Lui tendre les bras comme pour le secourir.

Les gens cruels rient de ce spasme du Mourant et de celle qui le partage. Ils montent de nouveau par derrière les bergers, qui cependant sont sur la petite place basse, les prêtres et les scribes. Comme les soldats voudraient les repousser, ils réagissent en disant : « N’y sont-ils pas ces galiléens ? Nous devons y être nous aussi qui devons vérifier que justice soit faite complètement, et nous ne pouvons pas voir de loin dans cette lumière étrange. »

En fait beaucoup commencent à s’impressionner de la lumière qui est en train d’envelopper le monde et certains ont peur. Les soldats aussi regardent le ciel et une sorte de cône qui semble de l’ardoise tant il est sombre, qui s’élève comme un pin de derrière un sommet. Il semble que ce soit une trombe marine. Il s’élève, s’élève et il semble qu’il produise des nuages de plus en plus noirs, comme si c’était un volcan vomissant de la fumée et de la lave.

C’est dans cette lumière crépusculaire et effrayante que Jésus donne Jean à Marie et Marie à Jean. Il penche la tête car la Mère, pour mieux voir, s’est mise plus près sous la croix, et il lui dit: « Femme, voilà ton fils. Fils, voilà ta Mère. »

Marie a le visage encore plus bouleversé après cette parole qui est le testament de son Jésus, qui n’a rien à donner à sa Mère sinon un homme, Lui, qui par amour de l’Homme, la prive de l’Homme-Dieu qui est né d’elle. Mais elle, la pauvre Mère, s’efforce de ne pleurer que silencieusement car elle ne peut pas, elle ne peut pas ne pas pleurer… Ses larmes coulent malgré les efforts qu’elle fait pour les retenir, bien que sa bouche ait son sourire déchirant qu’elle fixe sur ses lèvres pour Lui, pour le réconforter Lui…

Les souffrances ne cessent de grandir et la lumière ne cesse de décroître.

C’est dans cette lumière de fond marin que sortent de derrière les juifs Nicodème et Joseph, et ils disent : « Écartez-vous ! »

« Impossible ! Que voulez-vous? » disent les soldats.

« Passer. Nous sommes des amis du Christ. »

Les chefs des prêtres se tournent: « Qui ose se déclarer comme ami du rebelle ? » disent les prêtres indignés.

Et Joseph, résolument : « Moi, noble membre du Grand Conseil : Joseph d’Arimathie, l’Ancien, et j’ai avec moi Nicodème, chef des juifs. »

« Qui pactise avec le rebelle est un rebelle. »

« Et qui pactise avec les assassins est un assassin, Éléazar d’Anna. J’ai vécu en juste. Et maintenant je suis âgé et près de mourir. Je ne veux pas devenir injuste alors que déjà le Ciel descend sur moi et avec Lui le Juge éternel. »

« Et toi, Nicodème ! Je m’étonne ! »

« Moi aussi, et d’une seule chose : qu’Israël soit tellement corrompu qu’il ne sait plus reconnaître Dieu. »

« Tu me dégoûtes. »

« Écarte-toi alors, et laisse-moi passer. Je ne demande que cela. »

« Pour te contaminer davantage ? »

« Si je ne me suis pas contaminé en restant près de vous, rien ne me contamine plus. Soldat, pour toi la bourse et le billet de laissez-passer. » Et il passe au décurion le plus proche une bourse et une tablette de cire.

Le décurion en prend connaissance et il dit aux soldats : « Laissez passer les deux. »

Joseph et Nicodème s’approchent des bergers. Je ne sais même pas si Jésus les voit, dans ce brouillard de plus en plus épais et avec son œil qui déjà se voile dans l’agonie. Mais ils le voient et ils pleurent sans respect humain, bien que sur eux s’acharnent les imprécations des prêtres.

Les souffrances sont toujours plus fortes. Le corps éprouve les premières cambrures de la tétanie et chaque clameur de la foule les exaspère. La mort des fibres et des nerfs s’étend des extrémités torturées au tronc, rendant de plus en plus difficile le mouvement de la respiration, plus faible la contraction diaphragmatique et plus désordonné le mouvement cardiaque. Le visage du Christ passe alternativement d’une rougeur intense à la pâleur verdâtre de celui qui meurt par hémorragie. La bouche se meut avec une fatigue plus grande car les nerfs surfatigués du cou et de la tête elle-même, qui des dizaines de fois ont servi de levier à tout le corps, en s’arc-boutant sur la barre transversale de la croix, propagent la crampe jusqu’aux mâchoires.

La gorge, enflée par les carotides engorgées, doit faire mal et doit étendre son œdème à la langue qui paraît grossie et dont les mouvements sont très lents. La colonne vertébrale, même dans les moments où les contractions tétanisantes ne la courbent pas en un arc complet de la nuque aux anches, appuyées comme points extrêmes au tronc de la croix, se courbe de plus en plus en avant, car les membres ne cessent de s’alourdir du poids de la chair morte.

Les gens voient ces choses peu et mal car la lumière est désormais couleur de cendre sombre et seuls peuvent bien voir ceux qui sont au pied de la croix.

Jésus à un certain moment s’affaisse tout entier vers l’avant et le bas, comme s’il était déjà mort, il n’halète plus, la tête pend inerte en avant. Le corps, depuis les anches vers le haut, est complètement détaché en faisant un angle avec les bras de la croix.

Marie pousse un cri : « Il est mort ! » Un cri tragique qui se propage dans l’air obscurci. Et Jésus semble réellement mort.

Un autre cri de femme lui répond, et dans le groupe des femmes je vois un mouvement. Puis une dizaine de personnes s’éloignent en soutenant quelque chose, mais je ne puis voir qui s’éloigne ainsi. Elle est trop faible la lumière brumeuse. On dirait que l’on est plongé dans une nuée épaisse de cendres volcaniques.

« Ce n’est pas possible » crient des prêtres et des juifs. « C’est une feinte pour nous éloigner. Soldat, pique-le de ta lance. C’est un bon remède pour Lui rendre la voix. » Et comme les soldats ne le font pas, une volée de pierres et de mottes de terre volent vers la croix, frappant le Martyr et retombant sur les cuirasses romaines.

Le remède, comme disent ironiquement les juifs, opère le prodige. Certainement une pierre a frappé adroitement peut-être la blessure d’une main ou la tête elle-même, car ils visaient vers le haut. Jésus pousse un gémissement pitoyable et revient à Lui. Le thorax recommence à respirer avec beaucoup de peine et la tête à se tourner de droite à gauche en cherchant un endroit pour se poser afin de moins souffrir, sans trouver autre chose qu’une peine plus grande.

Avec une grande peine, en s’appuyant une fois encore sur ses pieds torturés, trouvant de la force dans sa volonté, uniquement en elle, Jésus se raidit sur la croix, se dresse comme s’il était un homme sain dans toute sa force, il lève son visage en regardant avec des yeux bien ouverts le monde qui s’étend à ses pieds, la ville lointaine qu’on entrevoit à peine comme une vague blancheur dans la brume, et le ciel noir où tout azur et toute trace de lumière ont disparu.

Et vers ce ciel fermé, compact, bas, semblable à une énorme plaque d’ardoise sombre, il pousse un grand cri, triomphant par la force de sa volonté, par le besoin de son âme, de l’obstacle des mâchoires raidies, de sa langue enflée, de sa gorge gonflée : « Eloi, Eloi, lamma scébacténi ! » (je l’entends parler ainsi).

Il doit se sentir mourir, et dans un abandon absolu du Ciel, pour reconnaître par un tel cri l’abandon paternel.

Les gens rient et se moquent. Ils l’insultent : « Dieu n’a que faire de Toi ! Les démons sont maudits de Dieu ! »

D’autres crient : « Voyons si Élie qu’il appelle vient le sauver. »

Et d’autres : « Donnez-lui un peu de vinaigre, pour qu’il se gargarise la gorge. C’est bon pour la voix ! Élie ou Dieu, car on ne sait pas ce que veut le fou, sont loin… Il faut de la voix pour se faire entendre ! » Et ils rient comme des hyènes ou comme des démons.

Mais aucun soldat ne donne du vinaigre et personne ne vient du Ciel pour le réconforter. C’est l’agonie solitaire, totale, cruelle, même surnaturellement cruelle, de la Grande Victime.

Elles reviennent les avalanches de douleur désolée qui déjà l’avaient accablé au Gethsémani. Elle revient la marée des péchés du monde entier pour frapper le naufragé innocent, pour l’engloutir dans leur amertume. Elle revient surtout la sensation, plus crucifiante que la croix elle-même, plus désespérante que toute torture, que Dieu l’a abandonné et que sa prière ne monte pas vers Lui…

Et c’est le tourment final. Celui qui accélère la mort car il exprime les dernières gouttes de sang des pores, parce qu’il écrase les dernières fibres du cœur, car il termine ce que la première connaissance de cet abandon a commencé : la mort. Car c’est de cela comme première cause qu’est mort mon Jésus, ô Dieu qui l’as frappé à cause de nous !

Après ton abandon, par l’effet de ton abandon, que devient une créature ? Ou un fou, ou un mort. Jésus ne pouvait pas devenir fou car son intelligence était divine et, spirituelle comme l’est l’intelligence, elle triomphait du traumatisme total de Celui que Dieu frappait. Il devint donc un mort : le Mort, le très Saint Mort, le Mort absolument Innocent. Mort, Lui qui était la Vie, tué par ton abandon et par nos péchés.

L’obscurité devient encore plus épaisse. Jérusalem disparaît complètement. Les pentes du Calvaire lui-même semblent s’annuler. Seule la cime est visible, comme si les ténèbres la surélevaient pour recueillir l’unique et dernière lumière qui restait, en la plaçant comme pour une offrande avec son trophée divin, sur une nappe d’onyx liquide, pour qu’elle soit vue par l’amour et par la haine.

Et de cette lumière qui n’est pas de la lumière vient la voix plaintive de Jésus : « J’ai soif ! »

Il y a en effet un vent qui altère même ceux qui sont en bonne santé, un vent continu, maintenant, violent, chargé de poussière, froid, effrayant. Je pense à la douleur qu’il aura donnée par son souffle violent aux poumons, au cœur, au gosier de Jésus, à ses membres glacés, engourdis, blessés. Mais vraiment tout s’est mis à torturer le Martyr.

« Un soldat va à un vase où les aides du bourreau ont mis du vinaigre avec du fiel parce que, par son amertume, il augmente la salivation chez les suppliciés. Il prend l’éponge plongée dans le liquide, l’enfile au bout d’un roseau fin et pourtant rigide qui est déjà préparé tout près, et il présente l’éponge au Mourant. Jésus se tend avidement vers l’éponge qui approche. On dirait un enfant affamé qui cherche le sein maternel.

Marie qui voit et certainement a cette pensée, gémit, en s’appuyant sur Jean : « Oh ! et je ne puis même pas Lui donner une goutte de mes pleurs… Oh ! mon sein pourquoi ne donnes-tu plus le lait ? Oh ! Dieu pourquoi, pourquoi nous abandonnes-tu ainsi ? Un miracle pour mon Fils ! Qui me soulève pour que je le désaltère de mon sang, puisque je n’ai pas de lait ?… »

Jésus, qui a sucé avidement l’âpre et amère boisson, détourne la tète dégoûté. Cette boisson doit en plus brûler les lèvres blessées et gercées. Il se retire, s’affaisse, s’abandonne.

Tout le poids du corps retombe sur les pieds et en avant. Ce sont les extrémités blessées qui souffrent la peine atroce de s’ouvrir sous le poids d’un corps qui s’abandonne. Plus un mouvement pour soulager cette douleur. Depuis le bassin jusqu’en haut, tout est détaché du bois et reste ainsi.

La tête pend en avant si pesamment que le cou paraît creusé en trois endroits : à la gorge, complètement enfoncée, et de part et d’autre du sterno-cléido-mastoïdien. La respiration est de plus en plus haletante et entrecoupée. C’est déjà plus un râle syncopé qu’une respiration. De temps à autre un accès de toux pénible apporte aux lèvres une écume légèrement rosée. Les intervalles entre deux expirations deviennent toujours plus longs. L’abdomen est déjà immobile. Seul le thorax se soulève encore, mais avec beaucoup de difficulté et de peine… La paralysie pulmonaire s’accentue toujours plus.

Et toujours plus faible, se transformant en une plainte enfantine, l’appel : « Maman ! » Et la malheureuse murmure : « Oui, mon Trésor, je suis ici. » Et quand la vue qui se voile Lui fait dire : « Maman, où es-tu ? Je ne te vois plus. Toi aussi tu m’abandonnes ? » ce n’est même plus une parole, mais un murmure à peine audible pour qui recueille avec le cœur plutôt qu’avec l’ouïe tous les soupirs du Mourant. Elle dit : « Non, non, Fils ! Moi je ne t’abandonne pas ! Écoute-moi, mon aimé… Maman est ici, elle est ici… et son seul tourment est de ne pas pouvoir venir où tu es… »

C’est un déchirement… Et Jean pleure sans retenue. Jésus doit entendre ses sanglots, mais il ne dit rien. Je pense que la mort imminente le fait parler comme s’il délirait et ne sait même pas ce qu’il dit et, malheureusement, ne comprend pas même le réconfort maternel et l’amour du Préféré.

Longin — qui sans le remarquer a quitté son attitude de repos avec les mains croisées sur la poitrine et les jambes croisées, à cause de la longueur de l’attente repose tantôt un pied tantôt l’autre, et maintenant au contraire se raidit dans le garde-à-vous, la main gauche sur son épée, la main droite pendant le long de son côté comme s’il était sur les marches du trône impérial — ne veut pas s’émouvoir. Mais son visage s’altère dans l’effort qu’il fait pour vaincre l’émotion et ses yeux brillent d’une larme que seule retient sa discipline de fer.

Les autres soldats, qui jouaient aux dés, ont cessé, et se sont levés pour remettre les casques qui avaient servi pour agiter les dés, et se tiennent en groupe près du petit escalier creusé dans le tuffeau, silencieux, attentifs. Les autres sont de service et ne peuvent changer de position. On dirait des statues. Mais l’un des plus proches et qui entend les paroles de Marie, bougonne quelque chose entre ses lèvres et hoche la tête.

Un silence. Puis nette dans l’obscurité totale la parole : « Tout est accompli ! » et ensuite c’est le halètement de plus en plus rauque avec, entre les râles, des intervalles de silence de plus en plus longs.

Le temps court sur ce rythme angoissé. La vie revient quand l’air est rompu par le halètement âpre du Mourant… La vie cesse quand ce son pénible ne s’entend plus.

On souffre de l’entendre… on souffre de ne pas l’entendre… On dit : « C’est assez de souffrance ! » et on dit : « Oh Dieu ! que ce ne soit pas son dernier soupir. »

Toutes les Marie pleurent, la tête contre le talus. Et on entend bien leurs sanglots car maintenant toute la foule se tait de nouveau pour recueillir les râles du Mourant.

Encore un silence. Puis, prononcée avec une infinie douceur, dans une ardente prière, la supplication: « Père, entre tes mains je remets mon esprit ! »

Encore un silence. Le râle aussi devient léger. Ce n’est plus qu’un souffle qui sort des lèvres et de la gorge.

Puis, voilà, le dernier spasme de Jésus. Une convulsion atroce, qui paraît vouloir arracher du bois le corps qui y est fixé par trois clous, monte par trois fois des pieds à la tête, court à travers tous les pauvres nerfs torturés; soulève trois fois l’abdomen d’une manière anormale, puis le laisse après l’avoir dilaté comme par un bouleversement des viscères, et il retombe et se creuse comme s’il était vidé; elle se lève, gonfle, resserre si fortement le thorax que la peau se creuse entre les côtes qui se tendent en apparaissant sous l’épidémie et rouvrant les blessures de la flagellation; elle porte violemment en arrière une, deux, trois fois la tête qui frappe durement contre le bois; elle contracte en un seul spasme tous les muscles du visage, en accentuant la déviation de la bouche à droite, elle fait ouvrir et dilater les paupières sous lesquelles on voit rouler le globe oculaire et apparaître la sclérotique. Le corps se tend tout entier; dans la dernière des trois contractions c’est un arc tendu, vibrant, terrible à voir, et puis un cri puissant, impensable en ce corps épuisé, se dégage, déchire l’air, le « grand cri » dont parlent les Évangiles et qui est la première partie du mot « Maman »… Et plus rien…

La tête retombe sur la poitrine, le corps en avant, le frémissement cesse et cesse aussi la respiration.

Il a expiré.

La Terre répond au cri de Celui qu’on a tué par un grondement effrayant. Il semble que de mille trombes des géants font sortir un son unique et, sur cet accord terrifiant, voici les notes isolées, déchirantes des éclairs qui sillonnent le ciel en tous sens, tombant sur la ville, sur le Temple, sur la foule… Je crois qu’il y aura eu des gens foudroyés car la foule est frappée directement. Les éclairs sont l’unique lumière et irrégulière qui permette de voir.

Et puis tout à coup, pendant que durent encore les décharges de la foudre, la terre s’ébranle en un tourbillon de vent cyclonique. Le tremblement de terre et la trombe d’air se fondent pour donner un châtiment apocalyptique aux blasphémateurs. Le sommet du Golgotha ondule et danse comme un plat dans la main d’un fou, dans les secousses sussultoires et ondulatoires qui secouent tellement les trois croix qu’il semble qu’elles doivent les renverser.

Longin, Jean, les soldats s’accrochent où ils peuvent, comme ils peuvent, pour ne pas tomber. Mais Jean pendant qu’avec un bras il se tient à la croix, avec l’autre soutient Marie qui, à cause de sa douleur et des secousses, s’abandonne sur son cœur. Les autres soldats, et surtout ceux du côté en pente, ont dû se réfugier au milieu pour ne pas être jetés en bas de la pente. Les larrons crient de terreur, la foule crie encore plus fort et voudrait s’enfuir, mais elle ne le peut. Les gens tombent les uns sur les autres, s’écrasent, se précipitent dans les fentes du sol, se blessent, roulent le long de la pente, deviennent fous.

Par trois fois se répète le tremblement de terre et la trombe d’air et puis c’est l’immobilité absolue d’un monde mort. Seuls des éclairs, mais sans tonnerre, sillonnent encore le ciel et éclairent la scène des juifs qui fuient dans tous les sens, les mains dans les cheveux, ou tendues en avant, ou levées vers le ciel, méprisé jusque là et dont maintenant ils ont peur. L’obscurité est tempérée par une lueur lumineuse qui, aidée par l’émission silencieuse et magnétique des éclairs, permet de voir que beaucoup restent sur le sol : morts ou évanouis, je ne sais. Une maison brûle à l’intérieur des murs et les flammes s’élèvent droites dans l’air immobile, mettant une nuance de rouge vif sur le vert cendre de l’atmosphère.

Marie lève sa tête de dessus la poitrine de Jean et regarde son Jésus. Elle l’appelle car elle le voit mal dans la faible lumière et avec ses pauvres yeux pleins de larmes. Trois fois elle l’appelle : « Jésus ! Jésus ! Jésus ! » C’est la première fois qu’elle l’appelle par son nom depuis qu’il est sur le Calvaire. Enfin, dans un éclair qui fait une sorte de couronne sur la cime du Golgotha, elle le voit, immobile, tout penché en avant, avec la tête tellement inclinée en avant, et à droite, au point de toucher l’épaule avec la joue et les côtes avec le menton, et elle comprend. Elle tend ses mains qui tremblent dans l’air obscurci et crie : « Mon Fils ! Mon Fils ! Mon Fils ! » Puis elle écoute… Elle a la bouche ouverte, elle semble vouloir écouter même avec elle, comme elle a les yeux dilatés pour voir, pour voir… Elle ne peut croire que son Jésus n’est plus…

Jean lui aussi a regardé et écouté et il a compris que tout est fini. De ses bras il saisit Marie et cherche à l’éloigner en disant: « Il ne souffre plus. »

Mais avant que l’apôtre termine la phrase, Marie, qui a compris, se dégage, tourne sur elle-même, se penche vers le sol, porte les mains à ses yeux et crie : « Je n’ai plus de Fils ! »

Et puis elle vacille et tomberait si Jean ne la recueillait toute sur son cœur, puis il s’assoit par terre pour mieux la soutenir sur sa poitrine, jusqu’à ce que les Marie remplacent l’apôtre auprès de la Mère. Elles, en effet, ne sont plus retenues par le cercle supérieur des soldats, car, maintenant que les juifs se sont enfuis, ils se sont rassemblés sur la petite place qui est au-dessous pour commenter l’événement.

La Magdeleine s’assoit où était Jean, et allonge presque Marie sur ses genoux, la soutenant entre ses bras et sa poitrine, baisant son visage exsangue, renversé sur son épaule compatissante. Marthe et Suzanne, avec une éponge et un linge trempés dans le vinaigre, lavent ses tempes et ses narines, pendant que sa belle-sœur lui baise les mains en l’appelant d’une voix déchirante, et dès que Marie rouvre les yeux, et tourne vers elle un regard que la douleur rend pour ainsi dire hébété, elle lui dit : « Fille, fille chérie, écoute… dis-moi que tu me vois… Je suis ta Marie… Ne me regarde pas ainsi !… » Et après que le premier sanglot a ouvert la gorge de Marie et que les premières larmes tombent, elle, la bonne Marie d’Alphée, dit : « Oui, oui, pleure… Ici avec moi, comme près d’une maman, ma pauvre, sainte fille », et quand elle l’entend dire : « Oh ! Marie ! Marie ! tu as vu ? », elle dit en gémissant : « Oui ! oui… mais… mais… fille… oh ! fille !… » Elle ne trouve pas autre chose et elle pleure la vieille Marie, des pleurs désolés auxquels font écho toutes les autres, c’est-à-dire Marthe et Marie, la mère de Jean et Suzanne.

Les autres pieuses femmes ne sont plus là. Je pense qu’elles sont parties et avec elles les bergers, quand on a entendu ce cri de femme…

Les soldats parlent entre eux. :

« Tu as vu les juifs ? Maintenant, ils avaient peur. »

« Et ils se frappaient la poitrine. »

« Les plus terrifiés c’étaient les prêtres ! »

« Quelle peur ! J’ai senti d’autres tremblements de terre. Mais jamais comme celui-là. Regarde : la terre est restée pleine de crevasses. »

« Et il s’est effondré tout un passage de la longue route. »

« Et dessous, il y a des corps. »

« Laisse-les ! Autant de serpents de moins. »

« Oh ! un autre incendie ! Dans la campagne… »

« Mais est-il vraiment mort ? »

« Et tu ne vois pas ? Tu en doutes ? »

Apparaissent de derrière la roche Joseph et Nicodème. Certainement ils s’étaient réfugiés derrière l’abri de la montagne pour se sauver de la foudre. Ils vont trouver Longin. « Nous voulons le Cadavre. »

« Seul le Proconsul l’accorde. Allez, et vite, car j’ai entendu dire que les juifs veulent aller au Prétoire et obtenir le brisement des jambes. Je ne voudrais pas qu’ils Lui fassent affront. »

« Comment le sais-tu ? »

« Rapport de l’enseigne. Allez. Je vous attends. »

Les deux se précipitent par la descente rapide et disparaissent.

C’est alors que Longin s’approche de Jean et lui dit un mot que je ne comprends pas, puis il se fait donner une lance par un soldat. Il regarde les femmes qui s’occupent toutes de Marie qui reprend lentement des forces. Elles tournent toutes le dos à la croix.

Longin se met en face du Crucifié, étudie bien le coup, et puis le donne. La large lance pénètre profondément de bas en haut, de droite à gauche.

Jean qui se débat entre le désir de voir et l’horreur de la vision, tourne la tête un instant.

« C’est fait, ami, dit Longin et il ajoute : C’est mieux ainsi. Comme à un cavalier, et sans briser les os… c’était vraiment un Juste ! »

De la blessure suinte beaucoup d’eau et à peine un filet de sang qui déjà forme des grumeaux. Suinte, ai-je dit. Il ne sort qu’en filtrant par la coupure nette qui reste inerte. S’il avait encore respiré, elle se serait ouverte et fermée par le mouvement du thorax et de l’abdomen…

…Pendant que sur le Calvaire tout garde ce tragique aspect, je rejoins Joseph et Nicodème qui descendent par un raccourci pour faire plus vite.

Ils sont presque en bas quand ils rencontrent Gamaliel. Un Gamaliel dépeigné, sans couvre-chef, sans manteau, avec son splendide vêtement souillé de terre et déchiré par les ronces. Un Gamaliel qui monte en courant et haletant, les mains dans ses cheveux clairsemés et plutôt gris d’homme âgé. Ils se parlent sans s’arrêter.

« Gamaliel ! Toi ? »

« Toi, Joseph ? Tu le quittes ? »

« Moi, non. Mais pourquoi es-tu ici ? Et ainsi ?… »

« Chose terrible ! J’étais dans le Temple ! Le signe ! Le Temple tout ouvert ! Le rideau pourpre et jacinthe pend déchiré ! Le Saint des Saints est découvert ! Anathème sur nous ! » Il a parlé en continuant de courir vers le sommet, rendu fou par la preuve.

Les deux le regardent s’éloigner… ils se regardent… disent ensemble :  » ‘Ces pierres frémiront à mes dernières paroles !’ Il le lui avait promis !… »

Ils hâtent leur marche vers la ville.

À travers la campagne, entre le mont et les murs, et au-delà, errent, dans l’air encore obscur, des gens à l’air hébété… Des cris, des pleurs, des lamentations… Il y en a qui disent : « Son Sang a fait pleuvoir du feu ! » D’autres : « Parmi les éclairs Jéhovah est apparu pour maudire le Temple ! » D’autres gémissent : « Les tombeaux ! Les tombeaux ! »

Joseph saisit quelqu’un qui se cogne la tête contre les murs et il l’appelle par son nom, en le traînant avec lui au moment où il entre dans la ville : « Simon, mais qu’est-ce que tu dis ? »

« Laisse-moi ! Un mort toi aussi ! Tous les morts ! Tous dehors ! Et ils me maudissent. »

« Il est devenu fou » dit Nicodème.

Ils le laissent et vont vivement vers le Prétoire.

La ville est en proie à la terreur. Des gens errent en se battant la poitrine; des gens font un bond en arrière ou se retournent épouvantés en entendant derrière eux une voix ou un pas.

Dans un des si nombreux archivoltes obscurs, l’apparition de Nicodème, vêtu de laine blanche — car pour aller plus vite, il a enlevé sur le Golgotha son manteau foncé — fait pousser un cri de terreur à un pharisien qui s’enfuit. Puis il s’aperçoit que c’est Nicodème et il s’attache à son cou, étrangement expansif, en criant : « Ne me maudis pas ! Ma mère m’est apparue et m’a dit : « Sois maudit pour toujours ! » et puis il s’affaisse sur le sol en disant : « J’ai peur ! J’ai peur ! »

« Mais ils sont tous fous ! » disent les deux.

Ils arrivent au Prétoire. C’est seulement là, pendant qu’ils attendent d’être reçus par le Proconsul, que Joseph et Nicodème réussissent à savoir la raison de telles terreurs. Beaucoup de tombeaux s’étaient ouverts par suite de la secousse tellurique et il y avait des gens qui juraient en avoir vu sortir les squelettes qui, pendant un instant, reprenaient une apparence humaine et s’en allaient en accusant ceux qui étaient coupables du déicide et en les maudissant.

Je les quitte dans l’atrium du Prétoire où les deux amis de Jésus entrent sans faire tant d’histoires de dégoût stupide et de peur de contamination, et je reviens au Calvaire, rejoignant Gamaliel qui, désormais épuisé, monte les derniers mètres. Il avance en se battant la poitrine et, en arrivant sur la première des deux petites places, il se jette parterre, longue forme blanche sur le sol jaunâtre, et il gémit : « Le signe ! Le signe ! Dis-moi que tu me pardonnes ! Un gémissement, même un seul gémissement, pour me dire que tu m’entends et me pardonnes. »

Je comprends qu’il le croit encore vivant. Il ne se détrompe que quand un soldat le heurtant de sa lance lui dit : « Lève-toi et tais-toi. Inutile ! Il fallait y penser avant. Il est mort. Et moi, païen, je te le dis : Celui que vous avez crucifié était réellement le Fils de Dieu ! »

« Mort ? Tu es mort ? Oh!… » Gamaliel lève son visage terrorisé, cherche à voir jusque là haut sur la cime, dans la lumière crépusculaire. Il voit peu, mais assez pour comprendre que Jésus est mort. Et il voit le groupe pieux qui réconforte Marie et Jean, debout à gauche de la croix, tout en pleurs, et Longin debout à droite, dans une posture solennelle et respectueuse.

Il se met à genoux, tend les bras et pleure : « C’était Toi ! C’était Toi ! Nous ne pouvons plus être pardonnés. Nous avons demandé ton Sang sur nous. Et il crie vers le Ciel, et le Ciel nous maudit… Oh ! Mais tu étais la Miséricorde !… Je te dis, moi, qui suis le rabbi anéanti de Juda : « Ton Sang sur nous, par pitié ». Asperge-nous avec lui ! Car lui seul peut nous obtenir le pardon… » il pleure. Et puis, plus doucement, il reconnaît sa secrète torture : « J’ai le signe demandé… Mais des siècles et des siècles de cécité spirituelle restent sur ma vue intérieure, et contre ma volonté de maintenant se dresse la voix de mon orgueilleuse pensée d’hier… Pitié pour moi ! Lumière du monde, dans les ténèbres qui ne t’ont pas compris, fais descendre un de tes rayons ! Je suis le vieux juif fidèle à ce qu’il croyait justice et qui était erreur. Maintenant je suis une lande brûlée, sans plus aucun des vieux arbres de la Foi antique, sans aucune semence ni tige de la Foi nouvelle. Je suis un désert aride. Opère le miracle de faire se dresser une fleur qui ait ton nom dans ce pauvre cœur de vieil Israélite entêté. Toi, Libérateur, pénètre dans ma pauvre pensée, prisonnière des formules. Isaïe le dit : »… il a payé pour les pécheurs et il a pris sur Lui les péchés des multitudes ». Oh ! le mien aussi, Jésus de Nazareth… »

Il se lève. Il regarde la croix qui se fait toujours plus nette dans la lumière qui revient, et puis il s’en va courbé, vieilli, anéanti.

Sur le Calvaire le silence revient, à peine interrompu par les pleurs de Marie.

Les deux larrons, épuisés par la peur, ne parlent plus.

Nicodème et Joseph reviennent rapidement, en disant qu’ils ont la permission de Pilate. Mais Longin, qui ne s’y fie pas trop, envoie au Proconsul un soldat à cheval pour savoir comment il doit faire aussi avec les deux larrons. Le soldat va et revient au galop avec l’ordre de remettre Jésus et de briser les jambes des autres, par volonté des juifs.

Longin appelle les quatre bourreaux, qui se sont lâchement accroupis sous le rocher et sont encore terrorisés par l’événement, et ordonne que les deux larrons soient achevés à coups de massue. La chose arrive sans protestations pour Dismas, auquel le coup de massue déferrée au cœur après avoir frappé les genoux, brise à moitié sur ses lèvres le nom de Jésus, dans un râle. Pour l’autre larron, c’est avec des malédictions horribles. Leur râle est lugubre.

Les quatre bourreaux voudraient aussi s’occuper de Jésus pour le détacher de la croix, mais Joseph et Nicodème ne le permettent pas.

Joseph aussi enlève son manteau et dit à Jean de l’imiter et de tenir les échelles pendant qu’eux montent avec des leviers et des tenailles.

Marie s’est levée tremblante, soutenue par les femmes, et s’approche de la croix.

Pendant ce temps, les soldats s’en vont, leur besogne terminée. Longin, avant de descendre au-delà de la place inférieure, se tourne du haut de son cheval pour regarder Marie et le Crucifié. Puis le bruit des sabots résonne sur les pierres et celui des armes contre les cuirasses, et il s’éloigne de plus en plus.

La paume gauche est déclouée. Le bras retombe le long du Corps qui maintenant pend à demi détaché. Ils disent à Jean de monter lui aussi, en laissant les échelles aux femmes.

Jean, monté sur l’échelle où était d’abord Nicodème, passe le bras de Jésus autour de son cou et le tient ainsi, tout abandonné sur son épaule, en l’enlaçant par son bras à la taille et il le tient par la pointe des doigts pour ne pas heurter l’horrible déchirure de la main gauche, qui est presque ouverte. Quand les pieds sont décloués, Jean a beaucoup de mal à tenir et soutenir le Corps de son Maître entre la croix et son propre corps.

Marie se place déjà au pied de la croix, assise en lui tournant le dos, prête à recevoir son Jésus sur ses genoux.

Mais le plus difficile c’est de déclouer le bras droit. Malgré tous les efforts de Jean, le Corps pend complètement en avant et la tête du clou est profondément enfoncée dans la chair, et comme ils ne voudraient pas le blesser davantage, les deux hommes compatissants peinent beaucoup. Finalement ils saisissent le clou avec les tenailles et le sortent tout doucement.

Jean tient toujours Jésus par les aisselles, avec la tête renversée sur son épaule, pendant que Nicodème et Joseph le saisissent l’un aux cuisses, l’autre aux genoux, et le descendent avec précaution en le tenant ainsi par les échelles.

Arrivés à terre, ils voudraient retendre sur le drap qu’ils ont placé sur leurs manteaux, mais Marie le veut. Elle a ouvert son manteau en le laissant pendre d’un côté et écarte les genoux pour faire un berceau à son Jésus.

Pendant que les disciples tournent pour lui donner son Fils, la tête couronnée retombe en arrière et les bras pendent vers la terre et frotteraient le sol avec les mains blessées si la pitié des pieuses femmes ne les tenaient pas pour l’empêcher.

Maintenant il est sur les genoux de sa Mère… Il semble un grand enfant fatigué qui dort pelotonné sur les genoux maternels. Marie le tient avec le bras droit qu’elle a passé derrière les épaules de son Fils et le gauche qu’elle a passé au-dessus de l’abdomen pour le soutenir aux anches. La tête est sur l’épaule maternelle. Elle l’appelle… l’appelle de sa voix déchirante. Puis elle le détache de son épaule et le caresse avec sa main gauche, prend et étend les mains et avant de les croiser elle les baise, et pleure sur les blessures. Puis elle caresse les joues, spécialement là où il y a des bleus et de l’enflure, elle baise les yeux enfoncés, la bouche restée légèrement tordue vers la droite et entrouverte. Elle voudrait remettre en ordre ses cheveux, comme elle l’a fait pour la barbe souillée de sang mais, en le faisant, elle rencontre les épines. Elle se pique pour enlever cette couronne et veut que ce soit elle qui le fasse, avec la seule main qu’elle a de libre et elle repousse tout le monde en disant : « Non ! Non ! Moi ! Moi ! » et il semble qu’elle ait entre ses doigts la tendre tête d’un nouveau-né tant elle le fait avec délicatesse. Et quand elle a pu enlever cette couronne torturante, elle se penche pour soigner par ses baisers toutes les éraflures des épines. De sa main tremblante elle sépare les cheveux en désordre, les remet en ordre, elle pleure et elle parle tout doucement.

Avec ses doigts elle essuie les larmes qui tombent sur les pauvres chairs glacées et couvertes de sang, et elle pense les nettoyer avec ses larmes et avec son voile qui est encore autour des reins de Jésus. Elle en tire à elle une extrémité et se met à nettoyer et à essuyer les membres saints. Elle ne cesse de Lui caresser le visage, et puis les mains, et puis les genoux couverts de contusions, et puis elle remonte pour essuyer le Corps sur lequel tombent ses nombreuses larmes.

C’est en le faisant que sa main rencontre l’ouverture du côté. La petite main, couverte d’un linge fin, entre presque toute entière dans le large trou de la blessure. Marie se penche pour voir dans la demi-clarté qui s’est formée, et elle voit. Elle voit le côté ouvert et le cœur de son Fils. Elle crie, alors. Il semble qu’une épée lui ouvre le cœur, à elle aussi. Elle crie, et puis se renverse sur son Fils et paraît morte, elle aussi.

On la secourt, on la réconforte, on veut lui enlever le divin Mort. Elle cri : « Où, où te mettrai-je ? Dans quel lieu qui soit sûr et digne de Toi ? » Joseph, tout penché en une inclination respectueuse, la main ouverte appuyée sur sa poitrine, dit : « Réconforte-toi, Ô Femme ! Mon tombeau est neuf et digne d’un grand. Je le Lui donne. Et Nicodème, mon ami, a déjà porté au tombeau les aromates que lui veut offrir personnellement. Mais, je t’en prie, puisque le soir approche, laisse-nous faire… C’est la Parascève. Sois bonne, ô Femme sainte ! »

Jean aussi et les femmes la prient dans le même sens et Marie laisse enlever de ses genoux son Fils, et elle se lève, angoissée, pendant qu’on l’enveloppe dans le drap, et elle les prie : « Oh ! faites doucement ! »

Nicodème et Jean par les épaules, Joseph par les pieds, soulèvent la Dépouille non seulement enveloppée dans le drap mais étendue aussi sur les manteaux qui font office de brancard, et ils descendent par le chemin.

Marie, soutenue par sa belle-sœur et la Magdeleine, suivie par Marthe, Marie de Zébédée et Suzanne, qui ont ramassé les clous, les tenailles, la couronne, l’éponge et le roseau, descend vers le tombeau.

Sur le Calvaire restent les trois croix. Celle du milieu est nue et les deux autres ont leur trophée vivant qui meurt.

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