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Traité de la prière II – Chapitre CXXIII, CXXIV, CXXV

CXXIII.- Des autres vices des mauvais ministres.

1. Apprends, ma fille bien-aimée, la source véritable de toute cette corruption. C’est la sensualité, qui, avec l’amour-propre, triomphe de l’âme et la rend esclave, tandis que je l’ai affranchie avec le sang de mon Fils, lorsque tout le genre humain fut délivré de la servitude et de la puissance du démon, toute créature raisonnable participe à cette grâce, mais mes ministres sont particulièrement affranchis de la servitude du monde; ils sont choisis pour me servir et pour administrer les sacrements de la sainte Église. Je les ai rendus indépendants, et je ne veux pas qu’aucun prince temporel se fasse leur juge.

2. Sais-tu, ma fille bien-aimée, comment ils reconnaissent les grands bienfaits qu’ils ont reçus de moi? Ils me remercient en m’outrageant sans cesse par tant de vices et de crimes, que tu ne pourrais jamais les redire, et que tu n’aurais pas même la force de les entendre. Je veux t’en dire cependant encore quelque chose, pour que tu puisses gémir sur eux et en avoir compassion.

3. Ils devaient s’asseoir au banquet de la Croix par leurs saints désirs, et s’y nourrir du salut des âmes, pour m’honorer: toute créature raisonnable doit le faire mais ils doivent le faire bien davantage, puisque je les ai choisis pour distribuer le corps et le sang de Jésus crucifié, mon Fils, pour vous donner l’exemple d’une sainte vie et pour se rassasier de vos âmes, en suivant ma vérité avec une infatigable ardeur. Ils vont au contraire dans les tavernes; ils jurent et blasphèment, ils affichent publiquement leurs vices; ils deviennent, dans leur aveuglement, des animaux sans raison, et toutes leurs actions, toutes leurs paroles respirent le mal.

4. Ils ne savent plus ce que c’est que l’Office, et, s’ils le disent quelquefois, c’est avec les lèvres seulement, mais leur cœur est loin de moi. Ils se conduisent comme des libertins. Après avoir joué et perdu leur âme, ils jouent et risquent les biens de l’Église et ce qu’ils ont reçu en vertu du sang de mon Fils. Aussi les pauvres n’ont pas ce qui leur est dû; l’Église est dépouillée et n’a pas ce qui est nécessaire au culte. Comment peuvent-ils avoir soin de mon temple, puisqu’ils sont devenus les temples du démon? Cette pompe qu’ils devaient déployer dans l’Église pour honorer le sang de mon Fils, ils la mettent dans les maisons qu’ils habitent (Et quod etiam deterius est, ipsi faciunt veluti sponsus, qui sponsam propriam ornat: ita faciunt isti daemones incarnati, qui de substantia temporali suarum ecciesiarum ornant abominabiles atque daemoniacas suas concubinas, cum quibus inique, sceleratissime vivunt, et absque verecundia quacumque faciunt eas ad ecclesiam cum allis ambulare, atque divinis officiis interesse, dum ipsi miserabiles in altari consistunt ad consecrandum unigeniti Filii mei corpus et sanguinem. Nec erubescunt quod infelices illae concubinae filios eorunt ad manum adducant ut offerant una cum alio populo.).

5. O démons plus démons que les démons, si au moins vos iniquités étaient ignorées de ceux qui vous sont soumis! En les commettant secrètement, vous m’offenseriez et vous vous perdriez, mais vous ne perdriez pas le prochain par le scandale de votre vie. Vos exemples empêchent les autres de sortir du vice, et les font tomber dans des péchés semblables, et dans de plus grands encore. Est-ce la pureté que j’exige de mes ministres, surtout quand ils vont célébrer à l’Autel? Doivent-ils ainsi, le matin, l’âme et le corps souillés par le péché, se lever pour offrir le Sacrifice?

6. O tabernacle du démon, où sont tes veilles de la nuit, et l’Office que tu devais réciter? où sont tes continuelles et ferventes prières? Pendant cette nuit même, tu devais te préparer aux fonctions que tu avais à remplir au commencement du jour, en t’examinant et en te reconnaissant indigne d’un si grand ministère; tu devais reconnaître que c’était ma bonté, et non pas ton mérite, qui te l’avait fait donner pour l’utilité des autres créatures.

CXXIV.- Combien sont coupables ces ministres prévaricateurs.

1. Songe, ma fille bien-aimée, que j’exige des fidèles et des prêtres, dans ce sacrement, toute la pureté que l’homme peut avoir sur terre. Tous, vous devez faire sans cesse vos efforts pour l’acquérir, et vous devez penser que si les anges eux-mêmes pouvaient se purifier, ils devraient le faire pour remplir un semblable ministère. Mais cela ne peut être; leur nature n’a pas besoin d’être purifiée, car la souillure du péché ne peut les atteindre. Je te dis seulement cela pour te faire comprendre quelle pureté je réclame de vous’ et surtout des prêtres dans ce Sacrement. Hélas! les malheureux font tout le contraire; car ils s’en approchent non seulement tout souillés de ces impuretés auxquelles vous êtes entraînés par votre fragile nature, quoique la raison, si le libre arbitre le veut, puisse dompter sa révolte; mais encore, loin de surmonter ces faiblesses, ils vont au delà, et commettent le péché que j’ai maudit.

2. Les insensés ont obscurci la lumière de leur intelligence, et ils ne voient plus la corruption et la fange où ils sont plongés. Ce péché me cause une si grande horreur, que, pour le punir, ma vengeance a englouti cinq villes. Ma justice ne pouvait les supporter, tant ce péché me fait horreur; et ce n’est pas à moi seulement, car il répugne aux démons même, que ces malheureux ont choisis pour maîtres. Ce n’est pas que le mal leur déplaise, ils ne peuvent aimer aucun bien; mais, parce qu’ils ont reçu une nature angélique, ils ne peuvent, à cause de cela, voir commettre une telle monstruosité; ils lancent, il est vrai, la flèche empoisonnée par le venin de la concupiscence; mais, quand s’accomplit l’acte du péché, ils s’enfuient, comme je te l’ai dit.

3. Rappelle-toi qu’avant la peste, je t’ai montré combien j’avais en horreur ce péché et combien le monde en était infecté. Je t’élevai alors au-dessus de toi-même dans l’ardeur de tes désirs, et je te fis voir l’univers tout entier. Tu vis ce malheureux péché dans presque toutes les conditions, et les démons qui s’enfuyaient pour ne pas le voir, et l’infection qu’il causait; la peine que tu en ressentais dans ton âme était si grande, que tu te croyais sur le point de mourir. Et tu n’apercevais pas pour toi et mes autres serviteurs un endroit où vous puissiez vous réfugier, car cette lèpre était répandue partout; tu ne trouvais aucun asile parmi les petits et les grands, parmi les vieux et parmi les jeunes; les religieux et les laïques; les maîtres et les serviteurs, presque tous avaient l’âme et le corps souillés de ce vice maudit.

4. Je t’ai montré cependant, au milieu de tous ces coupables, un grand nombre de préservés; car, parmi les méchants, j’ai toujours des élus, dont la vertu et les bonnes œuvres retiennent ma justice et m’empêchent de commander aux rochers d’écraser les coupables, à la terre de les engloutir, aux animaux de les dévorer, et aux démons d’emporter leur âme et leur corps. Je cherche même des moyens pour pouvoir leur faire miséricorde, en les faisant changer de vie: j’y emploie mes serviteurs qui sont purs de cette lèpre, et je les fais prier pour eux.

5. Quelquefois je leur dévoile ces honteux péchés, pour qu’ils soient plus ardents à désirer leur salut, pour qu’ils m’invoquent avec une plus grande compassion et une plus vive douleur de ces outrages, et pour que j’exauce leurs prières comme j’ai exaucé les tiennes car, si tu te le rappelles, lorsque je te fis sentir quelque chose de cette infection, tu en souffrais tant, que tu n’en pouvais plus et que tu me disais: « O Père éternel, ayez pitié du moi et de toutes les créatures, ou bien retirez mon âme de mon corps, car il me semble que je ne puis plus y résister. Donnez-moi quelque soulagement et montrez-moi un lieu où, moi et vos autres serviteurs, nous puissions nous reposer, sans que cette lèpre puisse nous suivre et altérer la pureté de nos âmes et de nos corps ».

6. Je te répondis, en jetant sur toi un regard de tendresse: « Ma fille, votre repos est de rendre honneur et gloire à mon nom, et de m’offrir l’encens d’une continuelle prière pour ces malheureux dont les péchés méritent les rigueurs de mes jugements. Votre asile est Jésus crucifié, mon Fils unique; réfugiez-vous, cachez-vous dans la plaie de son côté; l’amour vous y fera goûter, par son humanité, ma nature divine. Dans son cœur entr’ouvert vous trouverez ma charité et celle du prochain; car, pour honorer son Père et accomplir les ordres que je lui avais donnés pour vous sauver, il a couru à la mort ignominieuse de la Croix. En voyant et en goûtant cet amour vous suivrez sa doctrine, et vous vous rassasierez au banquet de la Croix, en supportant avec charité, avec une véritable patience, votre prochain et les peines, les travaux, les fatigues, de quelque côté qu’elles viennent. C’est ainsi que vous vous sauverez et que vous éviterez la lèpre. C’est le moyen que je t’ai donné et que je donne à tous mes serviteurs « .

7. Cela n’empêcha pas ton âme de sentir cette infection, et ton intelligence de voir ces ténèbres; mais ma providence y pourvut, car, en participant au corps et au sang de mon Fils, Dieu et homme parfait, tels que vous les recevez à l’Autel, comme preuve de la vérité, l’infection fut détruite par le parfum que vous donne ce sacrement, et les ténèbres furent dissipées par la lumière que vous y trouvez. Un miracle de ma bonté fit rester l’odeur de ce Sang dans ta bouche, et tu en jouis pendant plusieurs jours.

8. Tu vois, ma fille bien-aimée, combien ce péché m’est odieux en toute créature: mais songe qu’il doit m’irriter bien davantage en ceux que j’appelle à vivre dans la continence, et surtout en ceux que j’ai séparés du monde par la vie religieuse ou par le sacerdoce, pour leur faire porter des fruits dans le corps mystique de l’Église. Vous ne pourrez jamais comprendre combien ce péché me déplaît plus en eux que dans tous ceux qui vivent dans le monde ou qui devraient vivre dans la continence.

9. Je t’ai dit qu’ils étaient des lampes placées sur le candélabre pour répandre ma lumière par leur vertu et par leur vie, et ils ne répandent que les ténèbres. Ils sont si pleins de ténèbres, qu’ils n’entendent pas la Sainte Écriture, où mes élus puisent la lumière avec la lumière surnaturelle que je leur donne. Parce qu’ils sont enflés d’orgueil et souillés d’impureté; ils ne voient et ne comprennent que l’écorce et la lettre, sans y trouver aucune saveur. Le goût de leur amour est vicié par l’amour-propre et corrompu par l’orgueil; ils ne se repaissent que d’impuretés et ne songent qu’à jouir de leurs plaisirs coupables. La cupidité, l’avarice les poussent au mal, qu’ils commettent publiquement sans honte; et ils exercent l’usure, que j’ai défendue et qui rend si misérables ceux qui s’y livrent.

CXXV.- Des maux que ces vices causent dans le monde.

1.- Comment ceux qui ont de pareils vices pourraient-ils reprendre, corriger et punir ceux qui leur sont soumis? Leurs fautes leur ôtent nécessairement le courage et le zèle de la sainte justice; et si quelquefois ils veulent parler, les coupables savent leur dire: Médecin, guéris-toi d’abord (S. Luc, IV, 23), tu me soigneras ensuite, et je prendrai les remèdes que tu me diras. Il est plus vicieux que moi, et il me fait des reproches.

2. Celui-là fait mal qui veut reprendre les autres par sa parole, sans y ajouter une bonne et sainte vie. Qu’il soit bon ou mauvais, le supérieur doit toujours reprendre le vice dans ceux qui lui sont soumis; mais il fait mal de ne pas le combattre, surtout par ses exemples. Celui-là fait plus mal encore qui ne reçoit pas humblement la correction et qui ne change pas de conduite, que l’avertissement vienne d’un b’on ou d’un mauvais supérieur; car il nuit plus à lui-même qu’aux autres, et c’est lui qui sera puni de ses fautes.

3. Tous ces maux arrivent, ma très chère fille, parce que les pasteurs ne corrigent pas les autres par une bonne et sainte vie. Et pourquoi ne le font-ils pas? Parce qu’ils sont aveuglés par l’amour-propre, qui est la source de tous leurs vices. Ils ne songent qu’aux moyens de se procurer de Coupables jouissances. C’est l’unique pensée des pasteurs et du troupeau, des clercs et des religieux.

4. Hélas! ma douce fille, où est l’obéissance des religieux qui devraient vivre comme des anges dans leur Ordre, et qui sont pires que les démons! Ils sont choisis pour annoncer ma doctrine et ma vérité; mais le bruit de leur parole est inutile, ils ne produisent aucun fruit dans le cœur de leurs auditeurs. Leurs prédications sont plutôt faites pour plaire aux hommes et charmer leurs oreilles que pour m’honorer. Ils s’appliquent non pas à bien vivre, mais à bien parler. Ils ne sèment pas le bon grain de ma Vérité, et ne travaillent pas à arracher les vices et à faire renaître les vertus. Comme ils n’ont point arraché les épines de leur jardin, ils ne cherchent pas à enlever celles du jardin des autres.

5. Toute leur jouissance est de parer leur corps, leurs chambres, et d’aller causer dans la ville; ils ressemblent aux poissons, qui meurent dès qu’ils sont hors de l’eau. Ces religieux qui vivent si légèrement se perdent en quittant leur cellule, dont ils devraient faire un ciel; ils courent les rues, cherchant les maisons, de leurs parents et des gens, du monde; ils plaisent aux séculiers relâchés et aux supérieurs coupables, qui leur laissent toute liberté, au lieu, de les tenir sévèrement, Ces mauvais pasteurs ne s’inquiètent pas de voir leurs frères entre les mains du démon; souvent ils les lui livrent eux-mêmes.

6. Tous ces malheurs sont causés par les supérieurs qui ne veillent pas sur ceux qui leur sont confiés. Ils les laissent libres et les envoient eux-mêmes, comme s’ils ne connaissaient pas leurs misères et le dégoût qu’ils ont de leur cellule. C’est ainsi que vient pour, eux la mort. Tu ne pourrais jamais dire leur iniquité et par quels moyens déplorables ils m’offensent. Ils sont devenus les armes du démon, et ils répandent le poison de leur corruption au dedans et au dehors.

7. Ils scandalisent à la fois les séculiers et les religieux. Ils n’ont pas la charité fraternelle: tous veulent dominer, tous cherchent à posséder, contrairement au précepte et au vœu qu’ils ont fait. Ils ont promis d’observer la règle, et ils la violent; non, seulement ils ne l’observent pas, mais ils se jettent comme des loups affamés sur les agneaux qui veulent la suivre. Ils les accablent de mépris et de souillures. Les malheureux s’imaginent, en persécutant et en tournant en dérision les bons religieux, cacher leurs défauts, et ils les font paraître bien davantage. Voilà le maI qui désole les jardins de l’Église les saints Ordres établis et fondés par l’Esprit Saint.

8. Un Ordre en lui-même ne peut être gâté et corrompu par les défauts des inférieurs et des supérieurs; celui qui veut y entrer ne doit pas faire attention à ceux qui sont mauvais, mais il doit s’appuyer sur la règle qui ne peut faiblir, et ne la point abandonner jusqu’à la mort. Les jardins de la vie religieuse sont ainsi désolés par les supérieurs et les inférieurs relâchés qui n’observent pas la règle, ne tenant aucun compte des usages, et ne faisant leurs cérémonies que pour plaire au public et cacher leurs vices.

9. Tu vois qu’ils n’observent pas leur premier vœu, qui est d’obéir à leurs constitutions. Je te parlerai ailleurs de l’obéissance. Ils ont également promis d’observer la pauvreté volontaire et la continence. Comment l’observent-ils? Vois les propriétés et les richesses qu’ils possèdent, contrairement à la charité qui devrait leur faire partager tous ces biens avec leurs frères, comme l’exige leur règle. Ils ne veulent engraisser qu’eux et leurs animaux: une bête nourrit ainsi les autres. Tandis que leurs pauvres frères meurent de froid et de faim, ils sont bien vêtus et, bien nourris: ils ne pensent pas aux autres, et ne veulent pas se trouver avec eux à la pauvre table du réfectoire. Leur bonheur est de se trouver où ils peuvent s’emplir de viande et satisfaire leur gloutonnerie.

10. Peuvent-ils observer, ainsi leur troisième vœu de continence? Un estomac chargé ne rend pas l’esprit chaste: aussi deviennent-ils lascifs, et sentent-ils des mouvements désordonnés qui les font tomber de faute en faute. Leur richesse les entraîne aussi dans de grandes chutes; car, s’ils n’avaient rien à dépenser, ils ne vivraient pas dans le désordre et n’auraient pas des relations coupables. L’amour et l’amitié fondés sur l’intérêt ou le plaisir, et non sur la parfaite charité, ne durent pas quand on n’a rien à donner.

11. Les malheureux, dans quelle misère les précipite le péché! et je les avais élevés à une si grande dignité! Ils fuient l’église comme la peste; et s’ils s’y trouvent, ils prient des lèvres, mais leur cœur est loin de moi. Ils ont pris l’habitude d’aller à l’Autel sans aucune préparation, comme ils iraient à une table ordinaire. Tous ces maux et bien d’autres dont je ne veux plus te parler, pour ne pas souiller tes oreilles, tous ces maux sont causés par les mauvais supérieurs, qui ne corrigent pas et ne punissent pas les fautes de leurs inférieurs. Ils n’ont aucun zèle pour la règle, parce qu’ils ne l’observent pas eux-mêmes.

12. Ils imposent bien les grands fardeaux de l’obéissance à ceux qui veulent l’observer, et ils les punissent même des fautes qu’ils n’ont pas commises. Ils agissent ainsi parce que la perle de la justice ne brille pas en eux. L’injustice les fait au contraire poursuivre de leur haine et de leurs rigueurs ceux qui mériteraient leur affection et leur bienveillance, tandis qu’ils aiment et favorisent ceux qui sont les membres du démon et ils leur confient les charges de l’Ordre. Ils vivent comme des aveugles; et comme des aveugles aussi, ils distribuent les fonctions et gouvernent leurs inférieurs. S’ils ne se corrigent pas, ils tomberont dans la damnation éternelle, et ils auront à rendre compte des âmes de leurs inférieurs devant moi, le souverain Juge; ils ne pourront se justifier, et ils recevront le châtiment qu’ils méritent.

Traité de la prière II – Chapitre CXX, CXXI, CXXII

CXX.- Résumé de ce qui précède.- Respect qu’on doit aux prêtres, qu’ils soient bons ou mauvais.

1. Ma fille bien-aimée, je t’ai montré une étincelle de la gloire ne mes ministres; je dis une étincelle, en comparaison de ce qu’elle est réellement. Je t’ai fait voir la dignité à laquelle je les avais élevés en les choisissant pour être mes ministres: et à cause de cette autorité que je leur ai donnée, je ne veux pas que la main des séculiers les punisse de leurs fautes; car en le faisant, ils m’offensent d’une manière déplorable. Je veux qu’on; les respecte non pour eux, mais pour moi et à cause de l’autorité dont ils sont revêtus. Ce respect ne doit jamais diminuer, même lorsque la vertu diminuerait en eux. Il faut le conserver pour les mauvais et pour les bons, parce que je les ai tous faits les ministres du Soleil, c’est-à-dire du corps et du sang de mon Fils dans les sacrements.

2. Les bons et les mauvais ont la même dignité; tous sont revêtus des mêmes fonctions, mais je t’ai montré que les parfaits avaient les qualités du soleil, puisqu’ils illuminent et réchauffent le prochain par l’ardeur de leur charité. Cette ardeur produit des fruits et fait naître des vertus dans les âmes de ceux qui leur sont confiés. Je t’ai dit aussi qu’ils étaient des anges que je vous avais donnés pour vous garder, car ils vous gardent et répandent dans vos cœurs, de saintes inspirations par leurs prières, leurs enseignements et leurs exemples. Ils vous servent et vous administrent les sacrements comme le fait l’ange qui vous garde et qui met en vous de bonnes et saintes pensées.

3. Tu vois qu’outre la dignité où je les ai placés, je veux qu’ils soient ornés de toutes les vertus, afin que vous les aimiez et que vous ayez pour eux le plus grand respect. Car ce sont mes fils bien-aimés qui ressemblent à un soleil, éclairant par leur vertu le corps mystique de la sainte Église. Tout homme vertueux est digne d’amour: à bien plus forte raison celui auquel j’ai confié un pareil ministère. Vous devez les aimer à cause de la sainteté du Sacrement. Vous devez haïr les fautes de ceux qui vivent mal, mais je ne veux pas que vous vous fassiez leurs juges, parce qu’ils sont mes Christs, et que vous devez aimer et vénérer l’autorité que je leur ai confiée.

4. Si un homme sale et mal vêtu vous portait un grand trésor qui vous donnerait la vie, par amour pour ce trésor et pour le prince qui vous l’enverrait, vous ne détesteriez pas le porteur, quoiqu’il fût sale et mal vêtu. Son extérieur ne vous plairait pas sans doute, mais à cause du maître vous tâcheriez de le laver et de le vêtir. La charité ordonne que vous agissiez ainsi, et je veux que vous traitiez de la même manière mes ministres peu exemplaires, dont les mains sont souillées et les vêtements déchirés par le défaut de charité, mais qui vous portent de grands trésors, c’est-à-dire les sacrements de la sainte Église, par lesquels vous recevez la vie de la grâce.

5. Vous devez les honorer, quels que soient leurs défauts, par amour pour moi qui vous les envoie, et par amour de la vie de la grâce que vous trouvez dans le grand trésor qu’ils vous portent, puisqu’ils vous donnent un Dieu-Homme tout entier, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils unis à ma nature divine. Il faut déplorer et haïr leurs fautes; il faut vous efforcer de les revêtir par le zèle de votre charité et la sainteté de vos prières; il faut les laver de leurs souillures avec vos larmes, et me les présenter avec un grand désir, pour que ma bonté les couvre du vêtement de la charité.

6. Vous savez bien que je veux leur faire grâce, pourvu qu’ils s’y disposent, et que vous me le demandiez. Car ce n’est pas ma volonté qu’ils vous distribuent le Soleil dans les ténèbres, étant eux-mêmes dépouillés du vêtement des vertus et souillés par une vie coupable. Je vous les ai au contraire donnés pour qu’ils soient vos anges de la terre et votre lumière. S’ils ne le sont pas, vous devez prier pour eux et ne pas les juger, mais me les laisser juger moi-même. Je désire pouvoir leur faire miséricorde par vos prières. S’ils ne se convertissent pas, la dignité qu’ils ont reçue sera leur ruine; et s’ils ne changent pas, s’ils ne profitent pas de la grandeur de ma miséricorde, moi, le Juge suprême, je les confondrai à l’heure de la mort, et je les enverrai au feu éternel.

CXXI.- De la vie coupable des ministres infidèles.

1. Écoute maintenant, ma fille bien-aimée. Afin que vous tous mes serviteurs, vous soyez excités à m’offrir pour mes ministres infidèles d’humbles et continuelles prières, je vais te montrer leur vie coupable. De quelque côté que tu regardes, que ce soient les séculiers, les religieux, les clercs, les prélats, les petits, les grands, les jeunes et les vieux, dans toutes les conditions, tu ne verras qu’offenses contre moi. Tous me jettent l’infection du péché mortel; mais cette infection ne saurait m’atteindre, elle ne nuit qu’à eux-mêmes.

2. Je t’ai dit jusqu’à présent la dignité de mes ministres et la vertu de ceux qui sont bons, pour donner un peu de repos à ton âme, et te faire ensuite mieux connaître le malheur de ces infortunés. Tu verras combien ils sont coupables et dignes d’un châtiment terrible. Autant mes bien-aimés ministres, qui font saintement valoir le trésor qua je leur ai confié, méritent d’être magnifiquement récompensés, et d’être comme des pierres précieuses en ma présence, autant ces misérables méritent au contraire les foudres de ma justice.

3. Écoute, ma fille bien-aimée, et apprends, dans la douleur et l’amertume de ton cœur, quel est le principe et le fondement de leur égarement: c’est l’amour-propre, d’où naît l’arbre de l’orgueil qui produit l’aveuglement. Comme ils ne savent pas discerner la vérité, ils s’attachent aux hommes, à la gloire, et recherchent les grandes dignités, le faste et les délicatesses du corps. Ils m’outragent et m’offensent; ils s’attribuent ce qui ne leur appartient pas, et m’attribuent ce qui n’est pas de moi.

4. La gloire et l’honneur doivent m’appartenir, et ils doivent n’avoir pour eux que la haine de leurs sens. Ils doivent se connaître assez pour se réputer indignes du sublime ministère qu’ils ont reçu, et ils font le contraire. Tout pleins d’orgueil, ils ne peuvent se rassasier de la boue des richesses et des délices du monde; ils sont avides, impitoyables, avares à l’égard des pauvres, et à cause de ce misérable orgueil et de cette avarice qu’engendre l’amour-propre sensitif, ils abandonnent le soin des âmes. Ils ne pensent qu’à conserver et soigner les choses temporelles, et ils laissent mes brebis que je leur ai confiées, comme des troupeaux sans pasteur. Ils ne les conduisent pas et ne les nourrissent ni spirituellement ni temporellement.

5. Ils administrent, il est vrai, spirituellement les sacrements de la sainte Église, et ces sacrements ne peuvent, par leur faute, perdre leur efficacité et leur vertu mais ils ne nourrissent pas les âmes de prières ferventes, de l’ardent désir de votre salut et d’une vie sainte et honnête. Ils ne nourrissant pas non plus leur troupeau des choses temporelles; ils n’assistent pas les pauvres des biens de l’Église, dont ils doivent faire trois parts, comme je te l’ai dit: une pour leurs besoins, une autre pour les pauvres, et l’autre pair l’utilité de l’Église.

6. Ils font le contraire; car non seulement ils ne donnent pas ce qu’ils sont obligés de donner aux pauvres, mais encore ils dépouillent le prochain par la simonie et la passion de l’argent; ils vendent la grâce du Saint Esprit. Il s’en trouve souvent de si infidèles, que ce que je leur ai donné gratuitement pour qu’ils vous le donnent de même, ils le refusent à ceux qui en ont besoin, à moins qu’on ne leur remplisse la main et qu’on ne les comble de présents. Ils n’aiment ceux qui leur sont confiés qu’autant qu’ils en retirent quelque utilité, et jamais davantage.

7. Ils dépensent les biens de l’Église en riches ornements, pour aller, vêtus avec délicatesse, non comme des clercs et des religieux, mais comme des grands seigneurs et des hommes de cour. Ils s’appliquent à avoir de beaux chevaux, une quantité de vases d’or et d’argent, et de magnifiques ameublements; ils possèdent toutes ces choses, qu’ils ne devraient pas avoir, avec une grande vanité de cœur. Leurs discours sont aussi déréglés: ils ne rêvent que festins somptueux et font un dieu de leur ventre; ils mangent et boivent sans mesure, et tombent bientôt dans la fange et le désordre.

(Vae, vae ipsorum vite miserabili et infelici! quoniam illud quod unigenitus Filius meus acquisivit, cum gravissima pœna, super ligno sanctissimcae Crucis, ipsi cum meretricibus expendunt. Et ita damnabiliter jugiter animas devorant et occidunt lesu Christi sanguine pretioso redemptas, eas diversimode cum fetenti miseria corrumpendo, et de patrimonio vel haereditate pauperum filios adulterinos alunt et ornant).

8. O temples du démon! je vous avais choisis pour être des anges sur la terre, et vous êtes des démons; vous en faites l’office! Les démons répandent les ténèbres qu’ils ont en eux, et deviennent de cruels bourreaux. Ils s’efforcent, autant qu’ils peuvent, par leurs tentations et leurs attaques, de détruire la grâce dans les âmes, pour les faire tomber dans le péché mortel. Le péché ne peut souiller une âme, si elle n’y consent; mais ils font tous leurs efforts pour l’y décider. Ces malheureux, indignes prêtres, appelés mes ministres, sont des démons incarnés, puisque par leurs fautes ils se sont soumis à la volonté du démon, et qu’ils en remplissent les fonctions. Ils me distribuent, moi, le vrai Soleil, au milieu des ténèbres du péché mortel, et ils répandent les ténèbres de leur vie coupable et déréglée parmi les créatures raisonnables qui leur sont confiées. Ils troublent et scandalisent ceux qui les voient vivre ainsi, et souvent leurs mauvais exemples égarent les autres loin de la grâce et de la voie de la vérité, dans les sentiers du mal et de l’erreur.

9. Celui qui les suit n’a pourtant pas d’excuse; car ces démons visibles, pas plus que les démons invisibles, ne peuvent forcer l’homme à pécher. Personne ne doit imiter leur vie et faire ce qu’ils font; car comme ma Vérité vous l’enseigne dans le saint Évangile, vous devez faire ce qu’ils vous disent (S. Mt., XXIII, 3), c’est-à-dire suivre la doctrine qui vous a été donnée dans le corps mystique de la sainte Église, qui est consignée dans la sainte Écriture et proclamée par les prédicateurs chargés d’annoncer ma parole. Gardez-vous d’imiter leur vie coupable et de les punir comme ils le méritent; car vous m’offenseriez.

10. Ne vous arrêtez pas à leurs vices, et suivez seulement ma doctrine. Laissez-moi le châtiment; car je suis le Dieu bon et éternel, je, récompense tout bien et je punis tout mal. Je ne leur ménagerai pas la vengeance; ma justice ne les épargnera pas parce qu’ils ont eu l’honneur d’être mes ministres. Ils seront, au contraire, s’ils ne se convertissent, plus terriblement punis que les autres, parce qu’ils auront plus reçu de ma bonté; plus ils m’offensent misérablement, plus ils sont dignes de punition. Tu vois bien que ce sont des démons, tandis que mes élus, dont je t’ai parlé sont des anges sur la terre, et remplissent les fonctions des anges.

CXXII.- De ceux qui commettent l’injustice en ne reprenant pas leur prochain.

1. Je t’ai dit qu’en mes ministres bien-aimés brillait la perle précieuse de la justice. Maintenant je te dis que des malheureux portent pour ornement l’injustice. Cette injustice procède et est inséparable de l’amour-propre. C’est par l’amour-propre qu’ils commettent l’injustice envers leurs âmes et envers moi dans les ténèbres de leur aveuglement. Envers moi, car ils ne me rendent pas gloire; et envers eux, car ils n’ont pas une vie honnête et sainte, le désir du salut des âmes, et la faim des vertus; c’est pourquoi ils commettent l’injustice envers leur troupeau et leur prochain, dont ils ne corrigent pas les vices. Ils ne les voient pas même dans leur aveuglement, et la crainte coupable qu’ils ont de déplaire aux autres, fait qu’ils les laissent dormir et languir dans leurs infirmités.

2. Ils ne s’aperçoivent pas qu’en voulant plaire aux créatures, ils leur nuisent et déplaisent au Créateur: quelquefois ils les reprennent pour se couvrir d’une apparence de justice, mais ils ne s’adressent pas aux grands, qui peut-être seront plus coupables que les petits, parce qu’ils craignent par là de nuire à leur position et à leur fortune; mais ils reprendront les petits, qui ne peuvent rien contre eux et leur puissance. Voilà le fruit de leur injustice et de leur déplorable amour-propre.

3. L’amour-propre corrompt le monde et le corps mystique de la sainte Église: il rend sauvage le jardin de l’Époux, et le remplit de fleurs empoisonnées. Ce jardin était bien cultivé par les vrais jardiniers, mes saints ministres; il était orné d’une multitude de fleurs odoriférantes. La vie de ceux qui s’y trouvaient n’était pas encore viciée par leurs pasteurs, qui leur donnaient, au contraire, l’exemple de la vertu et de la sainteté.

4. Il n’en est plus ainsi maintenant, car les mauvais pasteurs rendent mauvais ceux qui leur sont confiés. L’Épouse est entourée des épines et des ronces du péché. Elle ne peut être atteinte elle-même, de la corruption du péché, parce que la vertu des sacrements ne peut recevoir aucune atteinte; mais ceux qui se nourrissent sur le sein de l’Épouse reçoivent le poison dans leur âme, en perdant la dignité à laquelle je les avais élevés. La dignité ne diminue pas en elle-même, mais elle diminue pour eux, parce que leurs fautes font mépriser le précieux sang de mon Fils. Les séculiers ne les respectent pas comme ils devraient toujours le faire, à cause de ce précieux Sang: et ce manque de respect n’a pas son excuse dans les fautes des ministres. Ces malheureux sont des modèles d’iniquité, tandis que je les avais choisis pour être des modèles de vertu.

Traité de la prière II – Chapitre CXVII, CXVIII, CXIX

CXVII.- De ceux qui persécutent de différentes manières la sainte Église et ses ministres.

1. Je t’ai dit que plusieurs me frappaient, et c’est la vérité. Ils me frappent dans leur intention autant qu’ils le peuvent. Aucun coup ne peut certainement m’atteindre et me blesser; il arrive pour moi ce qui arrive sur une pierre très dure, le coup qu’elle reçoit ne peut l’entamer et retourne vers celui qui l’a frappée. Les offenses odieuses qui sont dirigées contre moi ne peuvent me nuire: les flèches empoisonnées du péché retournent contre ceux qui le commettent, et les privent de la grâce et du fruit du sang précieux de mon Fils. Si au dernier moment ils ne recourent pas à la sainte confession et à la contrition du cœur, ils arrivent à l’éternelle damnation; ils sont séparés de moi et liés au démon, car ils se sont unis à lui.

2. Dès que l’âme est privée de la grâce, elle est liée dans le péché par la haine de la vertu et l’amour du vice; ce lien, c’est le libre arbitre qui le met dans les mains du démon pour les enchaîner, car sans cela ils ne pourraient l’être. Ce lien unit ensemble tous les persécuteurs du précieux Sang, et comme ils deviennent ainsi les membres du démon, ils font l’office du démon.

3. Le démon s’applique à pervertir mes créatures, à les retirer de la grâce et à les faire tomber dans le péché mortel, pour qu’elles partagent son châtiment. Ainsi font les malheureux qui sont devenus les membres du démon: ils détournent les enfants de l’épouse du Christ, mon Fils unique; ils leur ôtent les liens de la charité pour les charger de leurs tristes chaînes et les priver comme eux des fruits du Sang précieux; ils portent les chaînes de l’orgueil, de la présomption et de la crainte servile. Pour ne pas perdre leur puissance temporelle, ils perdent la grâce et ils tombent dans la plus grande confusion qui puisse leur arriver, puisqu’ils sont privés de la vertu du sang. Ces liens sont scellés avec le sceau des ténèbres, car ils ne connaissent pas dans quels malheurs et quelles misères ils sont tombés et font tomber les autres. Ne le sachant pas, ils ne peuvent se corriger, et ils se glorifient de la ruine de leur âme et de leur corps.

4. O ma fille bien-aimée! pleure, pleure amèrement sur l’aveuglement de ceux qui ont été comme toi lavés dans le sang, ils ont été nourris de ce sang sur le sein de la sainte Église, et maintenant ils se révoltent sous prétexte de corriger les défauts de mes ministres, que j’ai déclarés inviolables; ils ont quitté le sein de leur mère. Tous mes serviteurs doivent trembler en entendant raconter leur odieuse tyrannie, et ta langue ne pourra jamais redire combien je l’ai en horreur. Et ce qui est plus lamentable, c’est que sous le manteau des défauts de mes ministres, ils veulent cacher et couvrir leurs propres défauts; ils ne pensent pas qu’ils ne peuvent, sous aucun voile, rien cacher à mes regards. On peut bien se cacher aux yeux des créatures, mais non pas aux miens, car les choses les plus cachées me sont présentes; je vous aimais et je vous connaissais avant votre naissance.

5. Ce qui empêche ces infortunés mondains de se convertir, c’est qu’ils ne croient pas avec une foi vive que je les vois. S’ils croyaient véritablement que je vois leurs fautes, que je punis tout mal et que je récompense tout bien, ils ne commettraient pas tant de péchés, mais ils se repentiraient de ceux qu’ils ont faits; ils me demanderaient humblement miséricorde, et je leur ferais miséricorde par le sang de mon Fils; mais ils persévèrent dans le mal et sont rejetés par ma bonté à cause de leurs fautes. Pour comble de malheur, ils perdent la lumière, et dans leur aveuglement ils deviennent les persécuteurs du sang de mon Fils, et cette persécution ne peut être excusée par aucune faute de ceux qui administrent ce sang.

CXVIII. – Résumé de ce qui a été dit sur la sainte Église et ses ministres.

1. Je t’ai dit, ma fille bien-aimée, quelque chose du respect qu’on doit avoir pour mes ministres malgré leurs défauts. Ce respect ne leur est pas dû à cause d’eux, mais à cause de l’autorité que je leur ai donnée. Et parce que leurs défauts ne peuvent affaiblir et diviser la vertu des sacrements, ils ne doivent pas non plus diminuer le respect qu’on leur doit, non pour eux, mais pour le trésor du sang dont ils sont dépositaires.

2. Quant à ceux qui font le contraire, je ne t’ai presque rien dit de l’indignation qu’ils me causent et du tort qu »ils se font en ne respectant pas et en persécutant le sang de mon Fils, en se liguant contre moi avec le démon, dont ils sont les esclaves. Je t’ai fait connaître ces choses pour que tu les pleures. Ce que je t’ai dit de ceux qui persécutent la sainte Église, je pourrais te le dire de tous Ies chrétiens qui, en restant dans le péché mortel, méprisent le sang de mon Fils, et se privent de la vie de la grâce; tous me sont odieux, mais surtout ceux dont je viens de t’entretenir.

CXIX.- De la perfection, des vertus et des œuvres des saints prêtres.

1. Maintenant, pour reposer un peu ton âme et adoucir la douleur que te causent les ténèbres de ces malheureux pécheurs, je veux t’entretenir de la vie sainte de mes ministres. Je t’ai dit qu’ils avaient les qualités du soleil. Le parfum de leurs vertus corrige l’infection du vice, et leur lumière dissipe les ténèbres. Tu pourras, avec cette lumière, mieux connaître les ténèbres et les défauts de mes autres ministres.

2. Ouvre donc l’œil de ton intelligence et regarde en moi, le Soleil de justice. Tu verras mes glorieux ministres qui, en administrant le Soleil, prennent les qualités du Soleil, comme je te l’ai dit de Pierre, le prince des apôtres, qui a reçu les clefs du royaume céleste. Il en est ainsi des autres qui, dans le jardin de la sainte Église, distribuent la Lumière, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils, le Soleil unique et indivisible, avec tous les sacrements de l’Église qui donne la vie en vertu de ce précieux sang.

3. Tous, à des degrés différents et selon leurs fonctions, sont appelés à répandre la grâce du Saint Esprit. Et comment la répandent-ils? Avec la lumière de la grâce qu’ils ont tirée de la vraie Lumière. Cette Lumière est-elle seule? Non, car la lumière de la grâce ne peut être seule et ne peut être divisée; il faut qu’on l’ait tout entière ou qu’on en soit complètement privé.

4. Celui qui est en péché mortel est privé de la lumière de la grâce, et celui qui a la grâce est éclairé dans son intelligence pour me connaître, moi qui lui ai donné la grâce et la vertu qui conserve la grâce Il connaît dans cette lumière, la misère du péché et la raison du péché qui est l’amour-propre sensitif. Il le hait et parce qu’il le hait il reçoit dans son cœur l’ardeur de la charité; car l’amour suit l’intelligence et reçoit la couleur de cette glorieuse Lumière, en suivant la doctrine de ma douce Vérité, et la mémoire se remplit ainsi du souvenir des bienfaits du sang.

5. Tu vois qu’on ne peut recevoir la lumière sans recevoir la chaleur et la couleur, car elles sont unies ensemble et forment une même chose. Comme je te l’ai dit, on ne peut avoir une puissance de l’âme disposée à me recevoir, moi, le vrai Soleil, sans que les trois puissances soient toutes disposées et réunies en mon nom. Dès que l’intelligence s’élève avec la lumière de la foi au-dessus de la vision sensitive et me contemple, l’amour suit en aimant ce que l’intelligence voit et con naît; la mémoire se remplit de ce que le cœur aime, et aussitôt toutes les puissances de l’âme participent à moi, le Soleil, et elles sont éclairées par ma puissance, par la sagesse de mon Fils unique, et par l’ardente bonté du Saint Esprit.

6. Ainsi, tu vois que mes ministres fidèles ont les qualités du soleil, puisque les puissances de leur âme sont pleines de moi, le vrai Soleil. Ils font comme le soleil le soleil réchauffe et illumine, et sa chaleur féconde la terre: il en est de même des ministres que j’ai choisis et envoyés au corps mystique de la sainte Église, pour administrer mon Soleil, c’est-à-dire le corps et le sang de mon Fils unique, avec les sacrements qui ont la vie par ce sang. Ils l’administrent réellement et spirituellement en répandant dans le corps mystique de la sainte Église la lumière de la science surnaturelle par la couleur d’une vie pure et sainte, en suivant la doctrine de ma Vérité et en communiquant le feu de la plus ardente charité.

7. Leur chaleur fait fructifier les âmes stériles en les éclairant par la lumière de la science. Leur vie sainte et exemplaire dissipe les ténèbres du péché mortel et de l’infidélité; ils règlent la vie de ceux qui vivent d’une manière déréglée dans les ténèbres du péché et dans la privation de la grâce. Tu vois qu’ils sont des soleils, car ils en ont pris les qualités; ils se sont revêtus de moi, le vrai Soleil, puisque l’amour les rend une même chose avec moi. Tous, selon le degré où je les ai placés, ont répandu la lumière dans l’Église.

8. Pierre l’a répandue par Sa prédication, sa doctrine, et enfin par son sang; Grégoire, par sa science, son intelligence des Saintes Écritures et les exemples de sa vie; Sylvestre la fit briller contre les infidèles par ses discussions et les preuves qu’il a données de la très sainte foi par ses paroles et ses actions. Si tu regardes Augustin, Thomas d’Aquin, Jérôme et tant d’autres, tu verras de quelle lumière ils ont éclairé la divine Épouse, en dissipant les erreurs avec une humilité sincère et parfaite, comme des flambeaux posés sur le candélabre. Ils étaient affamés de mon honneur et du salut des âmes, et ils s’en rassasiaient avec délices au banquet de la très sainte Croix.

9. Les martyrs ont répandu la lumière avec leur sang. Ce sang exhalait son parfum en ma présence, et cette odeur du sang et de la vertu, unie avec la lumière de la science, donnait des fruits à l’Épouse; ils propageaient la foi; ceux qui étaient dans les ténèbres venaient à la lumière, et la lumière de la foi brillait en eux.

10. Les pasteurs établis par mon Christ sur la terre m’offraient un sacrifice de justice par la sainteté de leur vie. La perle précieuse de la justice enchâssée dans une humilité sincère et une ardente charité, brillait en eux et dans ceux qui leur étaient soumis, avec la lumière de la discrétion. Elle brillait en eux surtout parce qu’ils me rendaient ce qui m’est dû, c’est-à-dire gloire et honneur à mon nom, tandis qu’ils détestaient leurs sens, méprisaient le vice et accomplissaient la vertu par amour pour moi et pour le prochain. Ils foulaient aux pieds l’orgueil par l’humilité; ils allaient à l’Autel avec la pureté des anges, et ils m’offraient le Sacrifice dans la sincérité d’une âme tout embrasée des flammes de la charité.

11. Parce qu’ils accomplissaient la justice en eux, ils l’accomplissaient aussi dans ceux qui leur étaient soumis lis voulaient les voir vivre saintement; ils les reprenaient sans aucune crainte servile, parce qu’ils ne pensaient point à eux-mêmes, mais uniquement à mon honneur et au salut des âmes, comme doivent le faire les bons pasteurs qui suivent le bon pasteur, mon Fils, que je vous ai donné pour vous conduire et mourir pour vous. Ils ont suivi ses traces, ils ont agi avec ardeur et n’ont pas laissé les membres se corrompre en ne les corrigeant pas; mais ils les ont charitablement corrigés avec le baume de la douceur. Ils n’ont pas craint de brûler avec le feu la plaie de leur vice; ils ont employé la réprimande et la pénitence, peu ou beaucoup, selon la gravité du péché. La peur de la mort ne les empêchait jamais d’agir et de dire la vérité.

12. Ceux-là sont les vrais jardiniers qui arrachent avec zèle et sollicitude les épines du péché mortel et plantent les fleurs odoriférantes de la vertu. Ceux qui leur sont soumis vivent dans une sainte crainte et s’élèvent comme des fleurs embaumées dans le jardin de l’Église, parce qu’ils les corrigent sans la crainte servile qu’ils ne connaissent pas. Le venin du péché n’est pas en eux; ils demeurent fermes dans la justice, reprenant humblement et avec courage. Ils brillent comme des pierres précieuses et répandent la lumière et la paix dans les âmes de mes créatures, qu’ils conservent dans la crainte et dans l’union de l’amour; car je veux que tu saches que les ténèbres du monde et les divisions qui séparent les séculiers, les religieux, les clercs et les pasteurs de la sainte Église, n’ont d’autre cause que la perte de la lumière de la justice. Les ténèbres de l’injustice ont prévalu.

13. Personne, obéissant à la loi civile ou divine, ne peut se conserver dans l’état de grâce sans la sainte justice, car celui qui ne corrige pas ou n’est pas corrigé ressemble à un membre malade qu’un mauvais médecin soigne avec de l’onguent sans purifier la plaie. Bientôt tout le corps est empoisonné et se corrompt. Ainsi le prélat ou les supérieurs qui voient quelqu’un infecté par la corruption du péché mortel, et qui appliquent seulement sur le mal l’onguent de la flatterie sans employer la réprimande, ne le guérissent jamais, mais gâtent les autres membres qui sont unis au même corps, c’est-à-dire au même pasteur.

14. S’ils étaient, au contraire, de bons et vrais médecins des âmes, comme les saints pasteurs d’autrefois, ils n’emploieraient pas l’onguent sans appliquer aussi le feu de la réprimande; et si le membre persistait dans le vice, ils le retrancheraient du corps pour qu’il ne gâtât pas les autres avec l’infection du péché mortel. Mais les pasteurs ne le font plus aujourd’hui; ils paraissent même ne pas s’apercevoir du mal: et sais-tu pourquoi? La racine de l’amour-propre vit en eux, et produit la crainte servile. Pour ne pas perdre leur position, leur fortune, leur dignité, ils se taisent; mais ils agissent comme dés aveugles et ne savent pas ce qui conserve; car, s’ils savaient que c’est la sainte justice, ils l’observeraient. Mais, parce qu’ils n’ont pas la lumière, ils ne le savent pas.

15. Ils croient conserver avec l’injustice, en ne reprenant pas les défauts de ceux qui leur sont soumis, mais ils sont trompés par l’amour-propre sensitif et par le désir du pouvoir et de la prélature. Ils ne disent rien aussi, parce qu’ils ont eux-mêmes les mêmes vices et de plus grands encore. Ils se sentent coupables des mêmes fautes et ils perdent le zèle et la fermeté, lis Sont retenus par la crainte servile et font semblant de ne pas voir. S’ils voient des choses évidentes, ils ne les reprennent pas et même ils se laissent endormir par des paroles qui les flattent et par des présents. Ils savent trouver des excuses pour ne pas punir. Ainsi s’accomplit en eux la parole de ma Vérité: « Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles; et si un aveugle en conduit un autre, ils tomberont tous les deux dans l’abîme » (S. Mt. XV, 14).

16. Ce n’est pas ainsi que faisaient leurs prédécesseurs, mes ministres bien-aimés, qui avaient les propriétés et les conditions du Soleil. Ceux qui leur ressemblent sont des soleils; en eux ne se trouvent pas les ténèbres du péché et de l’ignorance, car ils suivent la doctrine de ma Vérité. Ils ne sont pas tièdes, car ils sont embrasés du feu de ma charité. Ils méprisent les grandeurs, les richesses et les délices du monde, et ils ne craignent jamais de corriger le vice. Celui qui ne désire pas la puissance et les honneurs ne craint pas de les perdre et agit avec vigueur. Celui qui n’a aucune faute sur la conscience ne craint rien.

17. Voilà pourquoi cette perle précieuse de la justice n’était point obscurcie dans mes Christs fidèles dont je te parlais. Elle y brillait, au contraire; ils embrassaient la pauvreté volontaire; ils cherchaient l’abaissement avec une humilité profonde et ne s’arrêtaient pas aux mépris, aux affronts, aux reproches des hommes, aux injures, aux opprobres, aux peines et aux tourments. On blasphémait contre eux, et ils bénissaient; ils supportaient tout avec une véritable patience, comme des anges de la terre: et ils étaient plus que des anges, non par leur nature, mais par leur ministère, puisqu’ils avaient reçu la grâce surnaturelle de distribuer le corps et le sang de mon Fils unique.

18. Mes ministres étaient vraiment des anges, car comme l’ange que je vous ai donné pour garde, ils communiquaient les saintes et bonnes inspirations. Mes ministres devraient encore faire de même, puisqu’ils vous ont été donnés par ma bonté pour vous garder. Ils avaient continuellement les yeux fixés sur ceux qui leur étaient confiés pour leur communiquer, comme de vrais anges gardiens, leurs saintes et bonnes inspirations; ils les soutenaient par l’enseignement de leur parole et l’exemple de leur vie, et ils m’offraient pour eux dans une continuelle prière l’ardeur de leurs charitables désirs.

19. Tu vois que mes ministres étaient des anges placés par mon infinie bonté, comme des flambeaux dans le corps mystique de la sainte Église, pour vous garder, afin que dans votre aveuglement vous ayez des guides qui vous dirigent dans la voie de la Vérité, en vous donnant de saintes inspirations et eh vous aidant, comme je l’ai dit, de leurs prières, de leurs exemples et de leurs enseignements. Avec quelle humilité ils gouvernaient et entretenaient ceux qui leur étaient soumis!

20. Avec quelle espérance et quelle foi ils vivaient! Ils lie craignaient pas de voir les biens temporels manquer pour eux et leur troupeau, et ils distribuaient avec largesse aux pauvres les biens de la Sainte Église. Ils observaient parfaitement l’obligation où ils étaient de faire trois parts, pour leurs besoins, pour les pauvres et pour l’Église. Ils n’avaient pas de testament à faire; car il ne restait rien après leur mort, et quelques-uns même laissaient l’Église endettée pour les pauvres. Cela venait de la générosité de l’amour et de l’espérance qu’ils avaient en ma providence. Ils n’avaient pas de crainte servile et ne redoutaient jamais que rien leur manquât pour le spirituel ou le temporel.

21. Ce qui prouve que la créature espère en moi et non pas en elle, c’est de ne pas avoir de crainte servile. Ceux qui espèrent en eux-mêmes craignent toujours et ont peur de leur ombre; ils s’imaginent que le ciel et la terre vont, leur manquer. Avec cette crainte et la fausse assurance qu’ils placent dans leur faible savoir, ils se tourmentent si misérablement pour acquérir et conserver les biens temporels, qu’ils semblent ne pas se soucier des biens spirituels, dont personne ne paraît s’inquiéter.

22. Ils ne pensent pas, les pauvres orgueilleux, que moi seul je pourvois à toutes les choses nécessaires à l’âme et au corps, et que ma providence mesure son assistance selon l’espérance que vous avez cri moi. Ces misérables présomptueux ne songent pas que je suis Celui qui suis, tandis qu’eux ne sont rien par eux-mêmes, et qu’ils ont reçu de ma bonté l’être et toutes les grâces qui, y sont ajoutées. C’est bien en vain que se fatigue, celui qui garde la cité, sue ne la garde moi-même; tous ses efforts sont stériles s’il compte sur ses efforts et son zèle pour la garder; car il n’y a que moi qui la garde. Il est vrai que je veux vous voir faire fructifier pour la vertu, pendant la vie, l’être et les grâces que je vous ai donnés, en vous servant du libre arbitre que vous avez reçu avec la lumière de la raison; car je vous ai créés sans vous, mais je ne puis vous sauver sans vous.

23. Je vous ai aimés avant votre naissance. Mes bien-aimés serviteurs le savaient, et c’est pour cela qu’ils m’aimaient d’un si grand amour. Cet amour faisait qu’ils espéraient fermement en moi et qu’ils ne redoutaient jamais rien. Sylvestre ne tremblait pas devant l’empereur Constantin lorsqu’il disputait avec douze Juifs, en présence de la multitude; mais il croyait fermement que si j’étais pour lui, personne ne pourrait lui nuire. Mes autres serviteurs bannissaient ainsi toute crainte; car ils n’étaient jamais seuls, mais toujours accompagnés. En restant dans la charité, ils étaient en moi et recevaient de moi la lumière de la sagesse de mon Fils; ils recevaient de moi la puissance pour être forts contre les princes et les tyrans du monde; ils recevaient de moi le feu de l’Esprit Saint et participaient à sa clémence, à son amour, Cet amour était toujours accompagné de la lumière de la foi, de l’espérance, de la force, de la vraie patience et de la persévérance jusqu’à l’heure de la mort.

24. Tu vois donc que mes ministres n’étaient pas seuls, mais qu’ils étaient accompagnés; aussi n’avaient-ils aucune crainte. Celui-là craint qui se sent seul, qui espère en lui-même et qui n’a pas la charité. La moindre chose lui fait peur; car il est seul et privé de moi, qui donne l’assurance parfaite à l’âme qui me possède par l’amour. Ces glorieux et chers serviteurs ont bien éprouvé que rien ne pouvait nuire à leur âme; car, au contraire, ils étaient forts contre les hommes et les démons, qui souvent étaient enchaînés par la vertu et la puissance que je leur donnais sur eux; et cela était parce que je répondais à l’amour, à la foi, à l’espérance qu’ils avaient placés en moi.

25. Ta langue ne pourrait raconter leur vertu, et l’œil de ton intelligence est incapable de voir la récompense qu’ils ont reçue dans le ciel et que recevront tous ceux qui suivront leurs traces. Ils sont comme des pierres précieuses en ma présence, parce que leurs travaux m’ont été agréables et qu’ils ont éclairé et embaumé de leurs vertus le corps mystique de la sainte Église. Je les ai comblés d’honneurs dans la vie éternelle, où ils ont reçu la béatitude et la gloire de ma vision, parce qu’ils ont donné l’exemple d’une vie sainte, et distribué la lumière du corps et du sang de mon Fils dans les sacrements.

26. Je les aime d’un amour particulier, parce que je les ai élevés à la dignité de mon sacerdoce, et parce qu’ils n’ont pas enfoui, par leur négligence et leur ignorance, le trésor que je leur ai confié; ils ont reconnu qu’il venait de moi et ils l’ont fait valoir avec zèle et humilité par de solides et véritables vertus. Je les avais revêtus d’une haute dignité pour le salut des hommes, et ces bons pasteurs ont travaillé sans cesse à ramener les brebis dans la bergerie de la sainte Église. Leur ardent amour et leur faim des âmes leur faisaient affronter la mort pour les retirer des mains du démon. Ils étaient faibles, ou paraissaient l’être avec les faibles. Souvent pour empêcher le désespoir du prochain ou pour mieux lui faire comprendre sa misère, ils disaient: Je suis faible comme vous l’êtes.

27. Ils pleuraient avec ceux qui pleurent; ils se réjouissaient avec ceux qui se réjouissent. Ils savaient doucement donner à chacun la nourriture qui lui convenait; ils conservaient les bons, dont les vertus les remplissaient d’allégresse; car ils n’étaient pas dévorés par l’envie, mais leur cœur se dilatait dans l’ardeur de la charité pour le prochain, et surtout pour ceux qui leur étaient confiés.

28. Quant à ceux qui étaient pécheurs, il les retiraient du péché, en se prêtant à leur faiblesse et à leur infirmité par une sainte et vraie compassion; ils les corrigeaient des fautes où ils tombaient, et partageaient charitablement avec eux leur pénitence. L’amour qu’ils portaient à ces pénitents leur rendait la pénitence qu’ils donnaient plus pénible à eux-mêmes qu’à ceux qui la recevaient. Quelquefois même il y en avait qui s’en chargeaient réellement, surtout quand ils voyaient qu’elle répugnait trop à ceux qu’ils dirigeaient, et par ce moyen la rigueur de la pénitence devenait douce.

29. Ces bien-aimés ministres abaissaient humblement leur dignité devant ceux qui leur étaient soumis. Ils étaient les maîtres, et ils se faisaient les serviteurs; ils étaient exempts de toute infirmité, purs de tout mal, et ils se faisaient infirmes; ils étaient forts, et ils se faisaient faibles. Ils se montraient simples avec les simples, petits avec les petits, et savaient ainsi, par humilité et charité, se proportionner à tous, et donner à chacun la nourriture qui lui convenait.

30. Qu’est-ce qui les faisait agir de la sorte? La faim, le désir qu’ils avaient de mon honneur et du salut des âmes. Ils couraient pour se rassasier au banquet de la sainte Croix; ils ne fuyaient, ne refusaient aucune fatigue; mais, pleins de zèle pour les âmes, le bien de la sainte Église et l’expansion de la foi, ils se jetaient au milieu des épines de la tribulation et affrontaient tous les dangers avec une véritable patience, en m’offrant le parfum précieux de leur ardent désir et de leurs humbles et continuelles prières. Leurs larmes et leurs pleurs étaient un baume salutaire pour les plaies que le péché mortel avait faites au prochain, et ceux qui recevaient humblement ce remède précieux y trouvaient une santé parfaite.

Traité de la prière II – Chapitre CXIV, CXV, CXVI

CXIV.- Les sacrements ne doivent pas se vendre ni s’acheter.- Ceux qui reçoivent les sacrements doivent fournir aux prêtres les choses temporelles, dont les prêtres doivent faire trois parts.

1. Je veux que mes ministres soient généreux et non pas avares, c’est-à-dire qu’ils ne vendent pas par cupidité et par avarice la grâce du Saint Esprit, Ils ne doivent pas le faire, et je ne veux pas qu’ils agissent ainsi. Ce qu’ils reçoivent de moi par charité et par bonté, ils doivent le donner de même généreusement par amour pour mon honneur et pour le salut du prochain; ils doivent le communiquer charitablement à toute créature qui le demande humblement. Ils ne doivent le vendre d’aucune manière, puisqu’ils ne l’ont pas acheté, mais qu’ils l’ont reçu gratuitement de moi pour qu’ils en soient les ministres. Ils peuvent recevoir l’aumône, et celui qui participe aux sacrements est obligé de subvenir selon ses, moyens, aux besoins de celui qui les lui donne.

2. Il est juste que vous fournissiez les choses temporelles à ceux qui vous nourrissent de la grâce et des biens spirituels, c’est-à-dire des sacrements que j’ai établis dans la sainte Église pour qu’ils vous procurent le salut. Et je vous dis en vérité qu’ils vous donnent incomparablement plus que vous ne leur donnez; car on ne peut comparer les, choses finies et transitoires dont vous les assistez, à moi, l’Infini, que ma providence et ma charité les chargent de vous communiquer. Non seulement leur ministère, mais encore les moindres, grâces spirituelles qu’une créature quelconque vous obtiendra par ses prières ou par d’autres moyens, ne pourront jamais être reconnues par toutes vos richesses temporelles, car elles n’ont aucune valeur si on les compare à celles que reçoivent vos âmes.

3. Maintenant, je te dirai que mes ministres doivent faire trois parts des biens qu’ils reçoivent de vous. Ils vivront de la première; ils assisteront les pauvres avec la seconde, et consacreront la troisième à l’Église et à ses besoins. S’ils agissent autrement, ils m’offenseront.

CXV.- De la dignité du sacerdoce.- La vertu des sacrements ne diminue pas par les fautes de ceux qui les administrent, ou qui les reçoivent.

1. Ainsi faisaient mes doux et glorieux ministres dont je te disais que je voulais te faire voir les mérites avec la dignité que je leur ai donnée en les faisant mes Christs, car en exerçant saintement cette dignité, ils sont revêtus de ce doux et glorieux Soleil que je leur ai donné à communiquer. Regarde Grégoire, Sylvestre et tous les papes qui, avant et après eux, ont succédé à Pierre, au premier Souverain Pontife qui reçut la clef du royaume des cieux, lorsque ma Vérité incarnée lui dit: « Je te donnerai les clefs du royaume du ciel, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel » (S. Mt., XVI, 19).

2. Considère, ma fille bien-aimée, qu’en te montrant la beauté de leur vertu, je te ferai mieux comprendre la dignité à laquelle j’ai élevé mes ministres. Cette clef est celle du sang de mon Fils unique, qui vous ouvre la vie éternelle, depuis longtemps fermés par le péché d’Adam, C’est pour cela que je vous ai donné ma Vérité, le Verbe mon Fils, qui, en souffrant et en mourant, a détruit votre mort et vous a fait un bain de son sang. Ce sang et cette mort, par la vertu de la nature divine unie à la nature humaine, a ouvert au genre humain la vie éternelle.

3. A qui ai-je laissé les clefs de ce sang? Au glorieux apôtre Pierre et à tous ceux qui sont venus et qui viendront après lui jusqu’au jour du jugement. Tous ont eu et auront la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes ne diminuera cette autorité et n’affaiblira la perfection du sang dans les sacrements; car comme je te l’ai dit, ce Soleil n’est souillé par aucune impureté, et il ne perd pas sa lumière par les ténèbres du péché mortel qui se trouvent dans celui qui le distribue ou qui le reçoit. La faute d’un homme ne peut jamais nuire aux sacrements de l’Église ni diminuer leur vertu, elle diminue seulement la grâce, et la culpabilité augmente dans ceux qui les administrent ou les reçoivent indignement.

4. Ainsi le Pape, mon Christ sur terre, tient les clefs du sang comme je te l’ai montré en figure lorsque je voulus te faire comprendre quel respect les séculiers devaient avoir pour mes ministres, bons ou mauvais, et combien ils m’offensaient en ne les respectant pas. Tu sais que je t’ai montré le corps mystique de la sainte Église sous la figure d’un cellier qui renfermait le sang de mon Fils unique, et c’est par ce sang que tous les sacrements ont leur vertu et contiennent la vie.

5. A la porte de ce cellier est mon Christ sur terre; il est chargé de distribuer le sang et de désigner ceux qui aideront son ministère dans toute l’étendue de la chrétienté. A lui seul appartient l’onction qui donne le pouvoir; nul ne peut le faire que lui; c’est de lui que sort tout le clergé, et il donne à chacun ses fonctions dans la distribution de ce précieux sang.

6. Comme il les a choisis pour ses auxiliaires, il a le droit de les corriger de leurs fautes, et je veux qu’il en soit ainsi. A cause de la dignité et de l’autorité dont ils sont revêtus, je les ai affranchis du pouvoir et de la servitude des princes de la terre. La loi civile n’a pas à les punir de leurs infidélités, ils ne relèvent que de leur supérieur dans la loi divine. Je les ai sacrés, et il est dit dans l’Écriture: « Ne touchez pas à mes Christs » (Ps. CIV,15).
Aussi, le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme, c’est de se faire leur juge et leur bourreau.

CXVI.- Dieu regarde comme dirigées contre lui les persécutions faites contre l’Église et ses ministres.

1. Si tu me demandes pourquoi la faute de ceux qui persécutent l’Église est plus grande que toutes les autres fautes, et pourquoi je ne veux pas que les défauts des ministres affaiblissent le respect qu’on leur doit, je te répondrai que le respect qu’on leur doit ne s’adresse pas à eux mais à moi, à cause de lit vertu du sang que je les ai chargés d’administrer. Sans cela, vous ne leur devriez pas plus de respect qu’aux autres hommes; mais leur ministère vous oblige à un plus grand respect, car il faut que vous vous adressiez à eux, non pas pour eux, mais à cause de la vertu que je leur ai donnée, si vous voulez recevoir les sacrements de la sainte Église; et si pouvant les recevoir vous ne le vouliez pas, vous seriez et vous mourriez en état de damnation.

2. Votre respect s’adresse donc à moi et au glorieux sang de mou Fils, qui est une même chose avec moi par l’union de la nature divine à la nature humaine. Comme ce n’est pas à eux, mais à moi que s’adresse ce respect, c’est à moi aussi que le manque de respect s’adresse. Je te l’ai déjà dit, vous ne leur devez pas le respect pour eux, mais pour l’autorité que je leur ai donnée; et en les offensant, c’est moi et non pas eux qu’on offense je l’ai formellement défendu en disant: Je ne veux pas qu’on touche à mes Christs.

3. Personne ne peut s’excuser en disant: Je ne fais pas injure à l’Église et je ne me révolte pas contre elle, mais contre les défauts des mauvais pasteurs. Celui qui parle ainsi se ment à lui-même et s’aveugle par amour-propre; il voit la vérité, mais il veut paraître ne pas la voir, pour cacher les remords de sa conscience. Il voit bien qu’il persécute le Verbe, mon Fils, et non pas de simples hommes; l’injure s’adresse à moi comme le respect. Je reçois tous les torts, les mépris, les affronts, les reproches, les opprobres dont ils sont l’objet; car je regarde comme fait à moi-même tout ce qu’on leur fait.

4. Je le répète, je ne veux pas qu’on touche à mes Christs; c’est moi seul qui dois les punir. Les méchants montrent le peu de respect qu’ils ont pour le sang de mon Fils, et combien ils font peu de cas du trésor que je leur ai donné pour le salut et la vie de leurs âmes: pouvez-vous recevoir plus qu’un Homme-Dieu pour nourriture? Parce que je ne suis pas honoré par mes ministres, ils m’honorent moins encore en les persécutant à cause de leurs défauts et de leurs péchés. S’ils les respectaient véritablement, à cause de moi, ils ne cesseraient pas de le faire, à cause de leurs défauts, car aucun de leurs défauts ne diminue la vertu du sang de mon Fils et ne doit par conséquent diminuer le respect: quand ce respect diminue, on m’offense.

5. Cette offense est plus grave que toutes les autres, pour beaucoup de raisons, dont voici les trois principales. Premièrement, ce qu’on leur fait est fait à moi-même. Secondement, on viole mon commandement, puisque j’ai défendu de les toucher: on méprise ainsi la vertu du sang reçu dans le saint baptême; car on désobéit en faisant ce qui est défendu et en se révoltant contre ce sang qu’on ne respecte plus et qu’on persécute. Ceux qui agissent ainsi sont des membres corrompus, séparés du corps mystique de la sainte Église; et s’ils persistent dans leur révolte, s’ils demeurent dans leur mépris, ils tombent dans la damnation éternelle. Si dans leurs derniers instants ils s’humilient et reconnaissent leur faute, s’ils veulent se réconcilier avec leurs chefs sans le pouvoir, je leur ferai miséricorde mais ils ne doivent pas attendre ce dernier instant, parce qu’ils ne sont pas sûrs de l’avoir.

6. La troisième raison qui rend leur faute plus grave que les autres, est que leur péché se commet avec malice et préméditation. Ils savent qu’ils ne peuvent agir ainsi en conscience, et ils m’offensent par un coupable orgueil, sans aucune jouissance corporelle. Ils perdent ainsi leur âme et leur corps. L’âme se meurt par la privation de la grâce, et souvent le ver de la conscience la dévore. Leurs biens temporels se consument au service du démon, et leur corps périt ensuite comme celui des animaux.

7. Ce péché est commis directement contre moi, sans utilité et sans jouissance, mais par malice et par orgueil, Cet orgueil a sa racine dans l’amour-propre sensitif et dans cette crainte coupable qu’eut Pilate, lorsque, par peur de perdre son pouvoir, il fit mourir le Christ, mon Fils unique. Ainsi font ceux qui ne respectent pas mes ministres. Beaucoup de péchés sont commis par faiblesse ou par ignorance et faute de lumière, ou par malice lorsqu’on connaît le mal qu’on fait, et que pour un plaisir déréglé ou pour un avantage qu’on croit y trouver, on m’offense.

8. Cette offense est commise contre moi, contre le prochain et contre l’âme. Contre moi, parce qu’on ne rend pas honneur et gloire à mon nom; contre le prochain, parce qu’on n’accomplit pas envers lui la charité. Cet acte ne m’atteint pas, quoiqu’il se fasse contre moi; mais l’homme se blesse, et cette offense me déplaît à cause du mal qu’il lui cause.

9. Cette offense s’adresse à moi directement. Les autres péchés ont quelque prétexte, quelque apparence de raison, quelque intermédiaire; car je t’ai dit que tout péché et toute vertu s’accomplissaient par le moyen du prochain. Le péché se fait par le manque de charité envers moi et envers le prochain, tandis que la vertu vit de la charité. En offensant le prochain, on m’offense en lui. Mais entre toutes mes créatures raisonnables j’ai choisi mes ministres, et je les ai consacrés pour dispenser le corps et le sang de mon Fils unique, c’est-à-dire la nature divine unie à votre humanité. Aussi, dès qu’ils célèbrent, ils représentent la personne du Christ, mon Fils.

10. Tu vois donc que cette offense est faite au Verbe, et dès qu’elle est faite à lui, elle est faite à moi, car nous sommes une même chose: les malheureux persécutent le précieux Sang et se privent du trésor qu’ils pourraient en tirer. C’est pour cela que cette offense faite à moi, et non à mes ministres, m’est plus odieuse que les autres péchés; car l’honneur ou la persécution s’adresse véritablement à moi, c’est-à-dire au glorieux sang de mon Fils, qui est un avec moi. Aussi je te dis que si tous les autres péchés étaient d’un côté et celui-là de l’autre, ce serait ce péché qui pèserait davantage.

11. Je t’ai manifesté ces choses pour que tu aies plus sujet de pleurer l’injure qui m’est faite, et la perte de ces malheureux. Tes larmes amères et celles de mes serviteurs peuvent obtenir que ma miséricordieuse bonté dissipe les ténèbres où sont plongés ces membres corrompus, séparés du corps mystique de le sainte Église. Mais je ne trouve pour ainsi dire personne qui gémisse sur cet outrage qu’on fait au glorieux et précieux sang de mon Fils, tandis que j’en trouve beaucoup qui m’attaquent sans cesse avec les traits de l’amour déréglé, de la crainte servile et de la présomption. Ils sont si aveugles, qu’ils se glorifient de ce qui est mal, et rougissent de ce qui est bien, comme serait de s’humilier devant leur chef. Ce sont ces défauts qui les ont portés à persécuter le sang de mon Fils (Cette dernière phrase n’est pas dans le latin, qui diffère de ponctuation avec l’italien pendant tout ce chapitre.).

Traité de la prière II – Chapitre CXI, CXII, CXIII

CXI. -Les sens du corps sont trompés dans ce sacrement, mais non pas ceux de l’âme, qui le voit, le goûte et le touche.- Belle vision de sainte Catherine.

1. O ma fille bien-aimée! ouvre l’œil de ton intelligence et contemple l’abîme de ma charité. Le cœur de toute créature raisonnable ne devrait-il pas se briser d amour en voyant au milieu des bienfaits que vous recevez de moi le bienfait que vous recevez dans ce divin sacrement? Avec quels sens, ma chère fille, devez-vous voir et toucher cet ineffable mystère? Ce n’est pas seulement avec les sens du corps, car ils sont tous trompés. Tu sais que, l’œil ne voit que la blancheur du pain, la main ne touche et le goût ne goûte que les apparences du pain; les sens grossiers sont trompés, mais les sens de l’âme ne peuvent être trompés, si elle le veut, c’est-à-dire si elle ne veut pas se priver de la lumière de la sainte foi par l’infidélité.

2. Qui peut donc goûter, voir et toucher ce sacrement? Les sens de l’âme. Avec quel œil voit-elle? Avec l’œil de l’intelligence: si cet œil a la prunelle de la sainte foi, cet œil voit dans cette blancheur l’Homme-Dieu tout entier, la nature divine unie à la nature humaine, le corps, l’âme et le sang du Christ, l’âme unie au corps, le corps et l’âme unis en ma nature divine, et ne se séparant pas de moi. Je t’ai montré ces choses, presque au commencement de ta vie, non pas seulement aux regards de ton intelligence, mais aussi aux yeux de ton corps, qui furent aveuglés par l’éclat de la lumière et en laissèrent la contemplation à l’intelligence. Je t’ai fait voir ces choses pour te fortifier contre les attaques du démon sur ce sacrement, et pour te faire croître en amour dans la lumière de la très sainte foi.

3. Tu sais qu’en allant à l’église, dès l’aurore, pour entendre la messe, après avoir été tourmentée par le démon, tu allas te placer en face de l’autel du Crucifix. Le prêtre était à l’autel de Marie, et toi, tu restais à examiner ton indignité; tu craignais de m’avoir offensé par le trouble que le démon t’avait causé, et tu considérais la grandeur de ma charité qui avait bien voulu te faire en tendue la messe, tandis que tu pensais ne pas mériter même d’entrer dans mon saint temple. Lorsque le prêtre fut arrivé à la Consécration, tu levas les yeux sur lui, et pendant qu’il prononçait les paroles de la Consécration, je me manifestai à toi. Tu vis sortir de mon sein, une lumière semblable au rayon du soleil qui sort de son disque sans cependant le quitter, et dans cette lumière venait une colombe unie avec elle, et elle frappait sur l’Hostie et le calice par la vertu des paroles de la Consécration que le prêtre prononçait.

4. Alors l’œil de ton corps ne fut plus capable de supporter cette lumière; il ne te resta pour en jouir que l’œil de ton intelligence, et tu pus voir et goûter l’abîme de la Trinité, l’Homme-Dieu tout entier, caché et voilé sous cette blancheur. Tu vis que la présence lumineuse du Verbe, que ton intelligence voyait dans cette blancheur, ne détruisait pas la blancheur du pain. L’une n’empêchait pas l’autre; la vue de l’Homme-Dieu n’empêchait pas la forme de ce pain, c’est-à-dire qu’elle n’en détruisait pas la blancheur, le goût et le contact. Cela te fut montré par ma bonté.

5. Comment as-tu joui de cette vision? Par l’œil de ton intelligence, avec la prunelle de la sainte foi. L’œil de l’intelligence doit donc être le principal moyen de voir, parce qu’il ne peut être trompé. C’est ainsi que vous devez regarder ce sacrement. Et comment devez-vous le toucher? Avec la main de l’amour. C’est cette main qui touche ce que l’intelligence a vu et connu dans le sacrement; l’âme touche avec la main de l’amour, comme pour s’assurer de ce qu’elle voit par la foi et connaît par l’intelligence. Et comment le goûte-t-elle? Avec le goût du saint désir. Le goût du corps goûte la saveur du pain, et le goût de l’âme, c’est-à-dire son saint désir, goûte l’Homme-Dieu.

6. Ainsi tu vois que les sens du corps sont trompés, mais non ceux de l’âme; l’âme au contraire est éclairée et affermie, parce que l’œil de l’intelligence a vu avec la prunelle de la foi; et parés qu’elle voit et connaît, elle touche avec la main de l’amour, elle goûte avec un ardent désir l’ardeur de mon amour ineffable. C’est cet amour qui l’a rendue digne de recevoir un si grand mystère, et la grâce que lui donne le sacrement. Tu vois que non seulement vous devez recevoir et voir Ce sacrement avec les sens du corps, mais avec les sens spirituels, en disposant toutes les puissances de l’âme à le contempler, à le recevoir, à le goûter avec amour.

CXII.- De l’excellence que l’âme acquiert en recevant ce sacrement en état de grâce.

1. Regarde, ma fille bien-aimée, quelle excellence requiert l’âme qui reçoit comme elle doit le recevoir ce pain de vie, cette nourriture des anges. En recevant ce sacrement, elle est en moi et moi en elle; comme le poisson est dans la mer et la mer dans le poisson, moi je suis dans l’âme et l’âme est en moi, l’Océan de la paix. Et dans cette âme réside la grâce: elle a reçu le Pain de vie en état de grâce, et la grâce demeure, quand l’accident du pain est consommé.

2. Je lui laisse l’empreinte de la grâce, comme fait le sceau qu’on pose sur la cire chaude: lorsqu’on retire le sceau, l’empreinte du sceau reste; de même la vertu de ce sacrement reste dans l’âme; elle conserve la chaleur de ma divine charité, la clémence du Saint Esprit; elle garde la lumière de la sagesse de mon Fils. L’œil de l’intelligence est éclairé de la sagesse du Verbe, pour qu’elle connaisse et contemple la doctrine de ma Vérité; et cette sagesse qui reste avec force, la fait participer à ma force toute puissante qui fortifie l’âme contre sa propre passion sensitive, contre les démons et contre le monde.

3. Ainsi tu le vois, l’empreinte reste quand le sceau est levé, c’est-à-dire quand les accidents de la sainte Hostie sont consommés et que le Soleil retourne à son disque, dont il n’a jamais été cependant séparé, comme je te l’ai dit; car il est toujours uni avec moi. L’excès de mon amour a voulu vous donner cette nourriture en cette vie, où vous êtes exilés et voyageurs, pour que vous ayez un soulagement et que vous ne perdiez pas la mémoire du bénéfice du sang. Ma divine providence a voulu subvenir à vos besoins, en vous nourrissant de ma douce Vérité. Juge maintenant combien vous êtes obligés de me payer d’amour, moi qui vous aime tant, moi l’éternelle, la souveraine Bonté, si digne d’être aimée!

CXIII.- La grandeur du sacrement doit faire comprendre la dignité de ceux qui en sont les ministres.- Dieu leur demande une plus grande pureté qu’aux autres créatures.

1. Je t’ai dit toutes ces choses, ma fille bien-aimée, pour te faire mieux comprendre la dignité de mes ministres et te faire pleurer plus amèrement sur leurs misères. S’ils considéraient eux-mêmes leur dignité, ils ne resteraient pas dans les ténèbres du péché mortel et ne souilleraient pas ainsi leur âme. Non seulement ils ne m’offenseraient pas et ne profaneraient pas leur dignité, mais, en livrant même leur corps aux flammes, il leur semblerait ne pas reconnaître assez le bienfait qu’ils ont reçu; car dans cette vie présente, il leur est impossible d’attendre une plus haute dignité.

2. Je les ai sacrés et je les ai appelés mes Christs, parce que je les ai chargés de me donner à vous. Je les ai placés comme des fleurs odoriférantes dans le corps mystique de la sainte Église. L’ange n’a pas cette dignité, et je l’ai donnée aux hommes que j’ai choisis pour mes ministres, Je les ai établis comme des anges, et ils doivent être des anges terrestres en cette vie. Je demande à toute âme la pureté et la charité; je veux qu’elle m’aime et qu’elle aime le prochain, l’aidant comme elle peut, l’assistant de ses prières, et vivant en union avec lui, comme je te l’ai dit en traitant ce sujet. Mais j’exige bien davantage la pureté dans mes ministres; je leur demande un plus grand amour envers moi et envers le prochain, auquel ils doivent administrer le corps et le sang de mon Fils, avec l’ardeur de la charité et la faim du salut des âmes, pour la gloire et la louange de mon nom.

3. Comme les prêtres veulent la pureté du calice où se fait le sacrifice, moi je veux la pureté et la netteté de leur cœur, de leur âme, de leur esprit. Et, parce que le corps est l’instrument de l’âme, je veux aussi qu’ils le conservent dans une pureté parfaite, et qu’ils ne le souillent pas dans une fange immonde; qu’ils ne soient pas enflés d’orgueil ni d’ambition pour les hautes dignités; qu’ils ne soient pas, cruels envers eux et envers le prochain; car ils ne peuvent être cruels envers eux sans l’être pour le prochain. S’ils sont cruels à eux-mêmes par le péché, ils sont cruels aux âmes de leur prochain, parce qu’ils ne donnent pas l’exemple d’une sainte vie et ne travaillent pas à tirer les âmes des mains du démon et à distribuer le corps et le sang de mon Fils unique, et moi la vraie Lumière, dans les sacrements de l’Église. Si donc ils sont cruels à eux mêmes, ils le sont aux autres.

Traité de la prière II – Chapitre CVIII, CIX, CX

CVIII.- L’âme rend grâces à Dieu et prie pour le monde, et en particulier pour le corps mystique de la sainte Église.

1. Alors cette âme, tout enivrée, paraissait hors d’elle-même; l’action de ses sens était suspendue par l’amour qui l’unissait à son Créateur; son intelligence était ravie dans la contemplation de l’éternelle Vérité; ce qu’elle voyait l’enflammait d’ardeur, et elle disait:

2. O souveraine et éternelle bonté de Dieu! qui suis-je, misérable, pour que vous le Père, vous me manifestiez votre vérité et les pièges secrets du démon, les dangers de l’amour-propre auxquels je suis exposée pendant le pèlerinage de cette vie, pour que je ne sois pas trompée par le démon, et par moi-même? Qui vous fait agir ainsi? L’amour! Vous m’avez aimée avant d’être aimé de moi.

3. O foyer d’amour! grâces, grâces vous soient rendues à vous, ô Père éternel! Je suis imparfaite et remplie de ténèbres, vous êtes la perfection et la lumière. Vous m’avez montré la perfection et la voie lumineuse de la doctrine de votre Fils unique. J’étais morte et vous m’avez ressuscitée; j’étais malade et vous m’avez guérie. Non Seulement vous m’avez donné le remède du sang que vous avez appliqué au genre humain malade, par votre Fils unique, mais vous m’avez donné un remède pour les infirmités secrètes que je ne connaissais pas, en m’apprenant qu’il ne fallait juger aucune créature raisonnable, surtout vos serviteurs: je tombais souvent dans cet aveuglement et cette infirmité, en les jugeant témérairement, comme par zèle pour votre honneur et pour le salut des âmes.

4. Je vous remercie, souveraine et éternelle Bonté, de m’avoir fait connaître mon infirmité en me manifestant votre vérité et les illusions du démon et de l’amour-propre. Je supplie votre grâce et votre miséricorde de me mettre dans, l’impossibilité de m’écarter des enseignements que vous avez daigné donner à moi et à tous ceux qui voudront les suivre. Sans vous, rien ne peut se faire; j’ai donc recours à vous, je me réfugie en vous, ô Père éternel, et je ne vous implore pas pour moi seule, mais pour le monde entier et particulièrement pour le corps mystique de la sainte Église.

5. Que cette doctrine que vomis m’avez enseignée, à moi misérable, brille dans vos ministres Je vous le demande aussi spécialement pour tous ceux que vous m’avez donnés, que j’aime d’un amour particulier et que vous avez faits une même chose avec moi; car ils seront ma joie pour la gloire et l’honneur de votre nom, si je les vois courir dans cette douce et droite voie, parfaitement morts à leur volonté, à leurs opinions, purs de tout jugement, de tout scandale et de tout murmure contre leur prochain Je vous demande, ô mon doux Amour, qu’aucun ne me soit ravi par les mains de l’infernal démon, mais que tous parviennent à vous, ô Père, qui êtes leur fin dernière.

6. Je vous fais aussi une autre prière pour les deux appuis que vous avez donnés a ma faiblesse, pour les deux pères auxquels vous avez confié ici-bas la garde et l’enseignement de ma misère, depuis le commencement de ma conversion jusqu’à cette heure. Unissez-les ensemble; que leurs deux corps n’aient qu’une âme, et qu’ils ne pensent qu’à accomplir en eux et dans le ministère que vous leur avez donné, la gloire et l’honneur de votre nom pour le salut des âmes. Et moi, leur indigne et misérable servante, que j’agisse avec eux par amour pour vous, avec un grand respect et une sainte crainte, et que je fasse tout pour votre honneur, pour leur paix et leur repos et pour l’édification du prochain.

7. Je suis certaine, ô Vérité suprême! que vous ne méprisez pas mon désir et mes prières; car je sais, et Vous avez daigné me faire comprendre, surtout par expérience, que vous exauciez les Saints désirs. Moi, votre indigne servante, je m’efforcerai, avec le secours de votre grâce, d’observer votre doctrine et vos commandements.
8. Maintenant, ô Père, je me rappelle une parole que vous m’avez dite lorsque vous m’avez parlé des ministres de la Sainte Église. Vous m’avez annoncé que vous me montreriez plus en détail les fautes qu’ils commettent. S’il plaît à votre bonté de le faire, je vous écouterai pour augmenter en moi la douleur, la compassion que j’ai pour eux, et l’ardent désir que je ressens pour leur salut, car je me souviens que vous m’avez promis d’accorder aux souffrances, aux douleurs, aux sueurs, aux prières de vos serviteurs, le repos et la réforme de l’Église par de bons et saints pasteurs. Pour que je puisse mieux y travailler, accordez-moi ma demande.

CIX.- Dieu sollicite l’âme à la prière et répond à quelques-unes de ses demandes.

1. Alors Dieu, jetant un regard de miséricorde sur cette âme, ne méprisa pas son désir. Il accueillit sa prière, et pour satisfaire à la demande qu’elle lui avait faite au sujet de sa promesse, il lui disait: O ma très douce et très chère fille, je satisferai ton désir comme tu me le demandes, pourvu que de ton côté tu ne commettes pas d’erreur ou de négligence; car ta faute serait beaucoup plus grave et beaucoup plus digne de reproche maintenant qu’auparavant, puisque tu connais davantage ma vérité. Applique-toi donc à prier pour toutes les créatures raisonnables, pour le corps mystique de la sainte Église et pour ceux que je t’ai donnés et que tu aimes d’un amour particulier.

2. Oui, ne cesse jamais de prier avec ardeur; offre à tous l’exemple de ta vie, l’enseignement de ta parole; combats le vice et prêche la vertu autant que tu le pourras. Pour les appuis que je t’ai donnés, ce que tu m’as dit est vrai. Tâche d’être un moyen de donner à chacun ce dont il a besoin; c’est moi, ton Créateur, qui te ferai faire ce qui leur convient, car sans moi tu ne pourrais rien faire. Je remplirai tous tes désirs; mais ne cesse jamais d’espérer en moi, parce que ma providence ne vous manquera jamais. Que chacun reçoive humblement ce qu’il est capable de recevoir; qu’il remplisse le ministère que je lui ai confié, selon la mesure qu’il a reçue et qu’il recevra de ma bonté.

CX.- De la dignité des prêtres.- De la sainte Eucharistie, et de ceux qui la reçoivent dignement ou indignement.

1. Je vais répondre à ce que tu m’as demandé sur les ministres de la sainte Église, et pour que tu comprennes mieux la vérité, ouvre l’œil de ton intelligence et regarde leur excellence et la dignité à laquelle je les ai élevés. Comme les choses se comprennent mieux par leur contraire je veux te montrer la grandeur de ceux qui font saintement valoir le trésor que je leur ai confié. Tu verras ainsi davantage la misère de ceux qui, à cette époque, sont attachés au sein de l’Église, mon épouse.

2. Alors cette âme obéissante contempla la Vérité, et vit, briller la vertu de ceux qui la goûtent véritablement. Dieu lui disait: Ma fille bien-aimée, je veux d’abord te montrer la dignité que ma bonté leur a donnée, outre l’amour général que j’ai eu pour mes autres créatures en les créant à mon image et ressemblance, et en les faisant renaître à la grâce dans le sang de mon Fils unique.

3. L’union de ma divinité à la nature humaine par mon Fils vous a tellement élevés, qu’en cela vous surpassez l’ange même, puisque la Divinité a pris votre nature et non celle de l’ange, tellement que, comme, je te l’ai dit, Dieu s’est fait homme et l’homme est devenu Dieu par l’union des deux natures. Cette grandeur a été donnée à toutes les créatures, raisonnables; mais parmi les créatures j’ai choisi des ministres pour votre salut, afin que vous receviez de leur main le sang de l’humble Agneau sans tache, mon Fils unique. Je leur ai donné la charge d’administrer le soleil, en leur confiant la lumière de la science et la chaleur de la divine charité, et avec cette lumière et cette chaleur, la couleur, c’est-à-dire le sang et le corps de mon Fils.

4. Ce corps est un soleil; car il n’est qu’une même chose avec le vrai Soleil, et cette union est si grande, que la séparation est impossible; le soleil ne peut séparer sa lumière de sa chaleur, ni sa chaleur de sa lumière, tarit leur union est parfaite. Ce Soleil ne quitte pas son centre, il ne se divise pas pour éclairer tout le monde: quiconque le veut, participe à sa chaleur. Aucune souillure ne peut l’atteindre, et sa lumière lui est unie, ainsi que je te l’ai dit.

5. Le Verbe, mon Fils, avec son Sang précieux, est donc un soleil tout Dieu et tout homme; car il est une même chose avec moi, et moi avec lui. Ma puissance n’est pas Séparée de sa sagesse, et la chaleur, le feu du Saint-Esprit, n’est pas séparée du Père et du Fils, car il est une -même chose avec nous. Le Saint-Esprit procède du Père et du Fils; nous ne sommes qu’un même soleil.

6. Moi, je suis le Soleil, le Dieu éternel, principe du Fils et du Saint-Esprit; au Saint-Esprit est attribuée l’ardeur, au Fils la sagesse, et dans cette sagesse mes ministres reçoivent une lumière de grâce, parce qu’ils administrent cette lumière avec la lumière et la gratitude du bienfait qu’ils ont reçu de moi, le Père, en suivant la doctrine de la Sagesse, mon Fils unique.

7. Cette lumière est celle qui a en elle la couleur de votre humanité, unie l’une avec l’autre. La lumière de ma divinité a été la lumière unie à la couleur de votre humanité, et cette couleur est devenue lumineuse, quand elle devint impassible par la lumière de la nature divine. Par ce moyen, c’est-à-dire par le Verbe incarné, mêlé et uni à ma nature divine et à la chaleur, au feu de l’Esprit-Saint, vous avez reçu la Lumière. A qui l’ai-je donnée cette Lumière à administrer? A mes ministres, dans le corps mystique de la sainte Église, afin que vous ayez la vie, en vous donnant son corps pour aliment et son sang pour breuvage.

8. Je t’ai dit que ce corps est un soleil, et le corps ne peut vous être donné sans le sang, le sang ni le corps sans l’âme du Verbe; et l’âme ni le corps tans ma divinité, parce que l’une ne peut être séparée de l’autre; je t’ai dit ailleurs que la nature divine ne pouvait jamais être séparée de la nature humaine, ni par la mort, ni par aucune cause imaginable. Ainsi, dans cet ineffable sacrement, vous recevez toute l’essence divine sous la blancheur du pain, et comme le soleil ne peut se diviser, la divinité et l’humanité entières ne peuvent se diviser dans la blancheur de cette Hostie. Quand même l’Hostie serait divisée en des millions de parties, dans chacune de ses parties se trouverait le Dieu et l’homme tout entiers, comme je te l’ai dit. En partageant un miroir, on ne partage pas l’image qui se voit dans le miroir; de même en divisant l’Hostie, on ne divise pas la divinité et l’humanité, mais elles se trouvent en chaque partie dans leur totalité et sans être diminuées, comme le feu peut le faire comprendre.

9. Si tu avais une lumière, et si tout le monde venait en profiter, la lumière ne diminuerait pas pour cela, et chacun l’aurait vue complètement. Il est vrai qu’on participe plus ou -moins à cette lumière, selon ce qu’on présente à la flamme; un exemple te le fera comprendre. Si des personnes portaient des flambeaux de poids différents, d’une once, de deux, de trois, de six onces, ou d’une livre, et si elles les allumaient à une lumière, les flambeaux, petits ou grands, recevraient tous la lumière, sa chaleur et son éclat, et pourtant le flambeau d’une once aurait moins que celui d’une livre.

10. Il en est de même de ceux qui reçoivent ce sacrement: chacun porte son flambeau, c’est-à-dire le saint désir avec lequel il reçoit ce sacrement. Le flambeau est éteint, et il s’allume en recevant le sacrement. Je dis qu’il est éteint, parce que par vous-mêmes vous n’êtes rien, il est vrai que je vous ai donné la matière avec laquelle vous pouvez alimenter en vous cette lumière et la recevoir. Cette matière est l’amour; car je vous ai créés par amour, et vous ne pouvez vivre sans amour.

11. Cet être que vous a donné l’amour, a reçu au saint baptême, en vertu du sang de mon Fils, la disposition sans laquelle vous ne pourriez participer à cette lumière. Vous seriez comme un flambeau sans mèche, qui ne peut briller et recevoir la lumière. Il en serait de même pour vous, si votre âme n’avait cette mèche qui reçoit la lumière de la sainte foi, unie à la grâce que vous recevez au baptême, avec cette faculté de votre âme créée pour aimer. L’âme est tellement faite pour aimer, que sans amour elle ne peut vivre; car l’amour est vraiment sa nourriture. Mais où s’allume l’âme ainsi préparée? Au feu de ma divine charité, en m’aimant, en me craignant et en suivant la doctrine de mon Fils.

12. Il est vrai qu’elle s’enflammera plus ou moins, selon la matière qu’elle aura pour alimenter le feu, bien que vous ayez la même matière, puisque tous vous êtes créés à mon image et ressemblance, et qu’étant chrétiens, vous avez la lumière du saint baptême. Mais chacun peut croître en amour et en vertu, selon qu’il le veut, avec le secours de ma grâce. Vous ne changez pas la forme que je vous ai donnée; vous grandissez seulement et vous augmentez vos vertus, en exerçant votre libre arbitre dans l’ardeur de la charité, pendant que vous en avez le temps; car lorsque le temps est passé, vous ne pouvez rien faire.

13. Ainsi, vous pouvez croître en amour, comme je vous l’ai dit, et avec cet amour vous devez venir recevoir l’ineffable Sacrement, cette douce et glorieuse Lumière, que j’ai chargé mes ministres de vous distribuer pour votre nourriture. Vous recevez cette lumière selon la mesure de votre ‘amour et l’ardeur de votre désir; vous la recevez, comme je te l’ai expliqué, par l’exemple de ceux qui ont des flambeaux, et qui reçoivent la lumière selon l’importance de ces flambeaux, quoique la lumière soit complète et indivisible.

14. Cette lumière ne peut être divisée par l’imperfection de celui qui la reçoit ou de celui qui l’administre. Vous participez à la lumière, c’est-à-dire à la grâce que vous recevez dans ce sacrement, autant que vous vous disposez à le recevoir par un saint désir. Et si quelqu’un s’approche de ce sacrement en état de péché mortel, il ne reçoit pas la grâce, quoiqu’il reçoive réellement l’Homme-Dieu tout entier, ainsi que je te l’ai dit.

15. Ma fille bien-aimée, sais-tu à quoi ressemble cette âme qui me reçoit indignement? Elle ressemble à un flambeau qui est tombé dans l’eau et qui ne fait que pétiller quand on l’approche du feu; la flamme s’éteint dès qu’on l’y met, et il ne reste que la fumée. Il en est ainsi de l’âme: elle porte en elle te flambeau qu’elle a reçu dans le saint baptême, mais elle jette en elle l’eau du péché, et cette eau mouille la mèche, destinée à la lumière de la grâce dans le saint baptême. Tant qu’elle ne l’a pas séchée par le feu d’une vraie contrition et par l’humble confession de ses fautes, elle va au banquet de l’Autel recevoir cette lumière corporellement, mais non spirituellement.

16. Ainsi, quand l’âme n’est pas disposée comme elle devrait l’être pour un aussi grand mystère, cette vraie Lumière ne reste pas en elle par la grâce; mais elle disparaît, elle s’éteint, et l’âme reste dans une confusion plus grande les ténèbres du péché augmentent, et elle n’éprouve autre chose de ce sacrement qu’un remords de conscience de plus, non par l’effet de la Lumière qui ne peut jamais être altérée, mais par l’effet de l’eau du péché qui est dans l’âme et qui l’empêche de recevoir la Lumière.

17. Tu vois donc qu’en aucune manière cette Lumière, unie à sa chaleur et à sa couleur, ne peut être altérée, ni par la faiblesse du désir que l’âme apporte à recevoir ce sacrement, ni par la faute de l’âme qui le reçoit, ni par celle de celui qui l’administre. Je te disais que le soleil, en éclairant une chose immonde, n’en est jamais souillé; de même cette douce Lumière, dans ce sacrement, ne peut jamais être souillés, ni divisée, ni diminuée, ni séparée de son centre, quoique le monde entier participe à sa lumière et à sa chaleur.

18. Ainsi, le soleil du Verbe, mon Fils, ne se sépare jamais de moi, le Soleil son Père, lorsque dans le corps mystique de la sainte Église, il est administré à tous ceux qui veulent le recevoir; mais il est toujours en moi; et vous le recevez cependant, Dieu et homme tout entier, comme je te l’ai expliqué par la comparaison de la lumière, où tous les hommes pourraient allumer leurs flambeaux, en la laissant dans sa totalité.

Traité de la prière II – Chapitre CV, CVI, CVII

CV.-  Résumé des choses précédentes.- Explication sur la correction du prochain.

1. Maintenant, ma très chère fille, je satisferai ton désir, et je t’expliquerai ce que tu me demandais sur la manière de reprendre ton prochain sans te laisser tromper par le démon, ou par la faiblesse de ta vue. Tu dois le reprendre d’une manière générale, et non particulière, à moins que je ne te l’aie expressément révélé; mais toujours avec une grande humilité, et en te reprenant toi-même avec les autres.

2. Je t’ai dit, et je te répète qu’en aucune occasion il n’est permis de juger les créatures et les âmes de mes serviteurs suivant les dispositions heureuses ou fâcheuses où on les trouve. Car tu es incapable de les juger, et en le faisant tu te tromperais dans tes jugements. Vous devez compatir au prochain, et me le laisser juger.

3. Je t’ai dit aussi la règle que tu devais donner à ceux qui viendraient te consulter et qui voudraient sortir des ténèbres du péché mortel et suivre les sentiers de la vertu. Il faut leur donner pour principe et fondement l’amour de la vertu, par la connaissance d’eux-mêmes et la connaissance de ma bonté envers eux; il faut leur faire tuer et détruire leur propre volonté, afin qu’elle ne se révolte jamais contre moi. Montre-leur la pénitence comme un moyen, et non comme un but; elle ne doit pas être égale pour tous, mais elle doit se régler sur l’aptitude, les forces et l’état de chacun: les uns peuvent beaucoup, les autres moins, selon leurs dispositions extérieures.

4. Je t’ai dit qu’il ne fallait reprendre le prochain que d’une manière générale, et c’est la vérité. Je ne veux pas cependant que tu penses qu’en voyant un défaut formel dans quelqu’un, tu ne puisses le reprendre entre toi et lui. Tu peux le faire, et même s’il s’obstine et s’il ne se corrige pas, tu peux le dire à deux ou trois personnes et si cela ne sert de rien, tu peux le déclarer au corps mystique de la sainte Église (S. Matthieu, XVIII, 15-17), Mais je t’ai dit d’être prudente et de ne pas te hâter sur des apparences que tu verras dans ton esprit ou extérieurement. A moins de voir clairement la vérité, ou d’en recevoir une révélation positive, tu ne dois reprendre personne, si ce n’est comme je te l’ai dit: c’est le parti le plus sûr pour que le démon ne te trompe pas sous le manteau de la, charité. J’ai fini maintenant, ma bien chère fille, de t’expliquer ce qui est nécessaire pour conserver et accroître la perfection de l’âme.

CVI. -Des signes qui font connaître si les visites et les visions spirituelles viennent de Dieu ou du démon.

1. Je vais te dire maintenant ce que tu, me demandais sur le signe que je donne à l’âme dans ses visions et ses consolations spirituelles pour distinguer les visites qu’elle reçoit, et pour reconnaître si elles viennent de moi ou d’un autre. Je t’ai dit que le signe de ma visite était ta joie que je laissais dans l’âme et la faim de la vertu qu’elle ressent, les sentiments d’une humilité sincère et l’ardeur de la divine charité. Tu m’as demandé si dans cette joie ne pouvait pas se rencontrer quelque illusion, parce que tu voudrais suivre la route la plus sûre et le signe de la vertu qui ne peut t’égarer. Je te dirai le piège que tu dois craindre et comment tu reconnaîtras si cette joie est bonne ou mauvaise. Voici la manière dont l’ennemi peut vous tromper.

2. Apprends que toute créature raisonnable qui aime et désire une chose, éprouve de la joie lorsqu’elle la possède; et plus elle aime cette chose, moins elle la voit avec discernement, moins elle s’applique à la connaître avec prudence. Elle est tout entière à la jouissance de ce qu’elle a désiré, et la joie qu’elle y trouve la rend aveugle à son sujet. Aussi ceux qui aiment et désirent trop les consolations spirituelles, recherchent les visions et s’attachent plus aux douceurs des consolations qu’à moi-même, comme je te l’ai dit de ceux qui sont dans l’état imparfait, parce qu’ils s’arrêtent plus aux faveurs qu’ils reçoivent de moi qu’à l’ineffable charité avec laquelle je leur donne.

3. Ces personnes peuvent être trompées dans leur joie, sans compter les autres dangers qui les menacent. Comment sont-elles trompées? Le voici: Lorsque l’âme s’est passionnée pour la consolation et qu’elle la reçoit de quelque manière, elle ressent une grande joie, parce qu’elle voit ce qu’elle aime et ce qu’elle désire. Souvent ces consolations peuvent venir du démon, et l’âme en ressent cependant de la joie. Mais, je te l’ai dit, quand c’est le démon qui agit, cette visite de l’âme commence dans la joie et finit dans la peine, le trouble de la conscience et l’indifférence de la vertu.

4. Quelquefois l’âme peut avoir cette joie et la conserver jusqu’à la fin de l’oraison, mais si cette joie se trouve sans un ardent désir de la vertu, si elle n’est pas embaumée d’humilité et embrasée du feu de ma divine charité, ces visites, ces consolations, ces visions qu’elle a reçues sont du démon et non de moi, quoiqu’elle éprouve le signe de la joie. Puisque cette joie n’est pas unie à l’amour de la vertu, il est évident qu’elle vient de l’amour que l’âme avait pour sa propre consolation. Elle jouit, elle est heureuse parce qu’elle a ce qu’elle désirait, car c’est le propre de tout amour de ressentir de la joie quand il reçoit ce qu’il aime.

5. Tu ne dois donc pas te fier à ta seule joie, lors même qu’elle durerait pendant toute la consolation, et encore davantage. L’amour aveuglé par cette joie ne peut reconnaître la tromperie du démon, s’il n’agit pas avec prudence, mais en agissant avec prudence, l’âme verra si la joie est accompagnée de l’amour de la vertu, et par ce moyen elle connaîtra si la visite qu’elle reçoit vient de moi ou du démon.

6. Ainsi pour reconnaître quand c’est moi qui te visite, il faut que ta joie soit unie à la vertu; c’est le signe que je t’ai donné et qui te fera discerner l’erreur et la vérité, c’est-à-dire la joie qui viendra réellement de moi et la’ joie qui viendra de l’amour-propre spirituel uniquement attaché à la consolation. Ma visite donne la joie unie à l’amour de la vertu, et celle du démon, donne la joie seulement. Quand on s’aperçoit que la vertu n’augmente pas, on doit en conclure que la joie procède de l’amour de la consolation.

7. Je veux que tu saches que tous ne sont pas trompés par cette joie; il n’y a que les imparfaits qui recherchent la consolation et qui s’attachent plus au bienfait qu’au bienfaiteur. Mais ceux qui sont embrasés pour moi d’un amour pur et désintéressé, ceux qui aiment le bienfait à cause du bienfaiteur et non à cause de leur consolation, ceux-là ne peuvent jamais être trompés par cette joie; car ils ont un signe certain pour reconnaître que le démon veut les tromper en se transformant en ange de lumière et en les remplissant d’allégresse. Ils ne sont point passionnés pour la consolation, et ils reconnaissent avec prudence le piège du démon; leur joie passe vite, et comme ils voient qu’ils sont dans les ténèbres, ils s’humilient dans la vraie connaissance d’eux-mêmes. Ils méprisent toute consolation et embrassent avec ardeur la doctrine de ma Vérité. Le démon, honteux de sa défaite, ne revient jamais ou presque jamais sous cette forme.

8. Ceux qui aiment leur consolation seront souvent ainsi trompés, mais ils reconnaîtront leur illusion par le moyen que je t’indique, c’est-à-dire en s’apercevant que cette joie n’est pas accompagnée de l’amour de la vertu, de l’humilité, de la vraie charité, du désir de mon honneur et du salut des âmes. Mon ineffable bonté donne ainsi aux parfaits et aux imparfaits, dans quelque état qu’ils soient, un moyen de n’être jamais trompé. Si vous voulez conserver la lumière de l’intelligence que je vous donne par la sainte foi, ne la laissez jamais obscurcir par le démon et par l’amour-propre; car si vous ne la perdez pas volontairement, personne ne pourra vous l’enlever.

CVII. – Dieu satisfait aux désirs de ses serviteurs.- Combien lui sont agréables ceux qui frappent avec persévérance à la porte de la Vérité.

1. Maintenant, ma très chère fille, j’ai clairement dévoilé, à l’œil de ton intelligence les pièges que le démon pourrait te tendre, et j’ai satisfait aux demandes que tu m’avais adressées, car je ne méprise jamais les désirs de mes serviteurs; je donne à qui demande, et je vous invite à demander. J’ai en aversion celui qui ne frappe pas véritablement à la porte de mon Fils en suivant sa doctrine. Suivre sa doctrine, c’est frapper en m’appelant par la voix du saint désir, par d’humbles et continuelles prières.

2. Je suis le Père qui vous donne le pain de la grâce à la porte de ma douce Vérité. Quelquefois, pour éprouver vos désirs et votre persévérance, je parais ne pas entendre, mais je vous entends bien et je vous donne ce dont,vous avez besoin; car je vous donne la faim et la voix avec laquelle vous criez vers moi. En voyant votre constance, j’accomplis vos désirs lorsqu’ils sont justes et dirigés vers moi. C’est à demander ainsi que ma Vérité vous invite lorsqu’elle dit: « Appelez et on vous répondra; frappez et on vous ouvrira; demandez et on vous donnera ».

3. Et moi je te le dis aussi: Je ne veux pas que tu te lasses de désirer et de chercher mon secours. Que ta voix ne cesse jamais de crier vers moi pour que je fasse miséricorde au monde. Frappe toujours à la porte de mon Fils; aime à être avec lui sur la croix, à te nourrir de la nourriture des âmes pour la gloire et l’honneur de mon nom, et à gémir dans l’angoisse de ton cœur sur la perte des hommes que tu vois plongés dans une telle misère, que la, langue ne saurait jamais la raconter. C’est par vos cris et vos gémissements que je veux faire miséricorde au monde. Et c’est pour cela que je les demande à mes serviteurs; ils me prouveront ainsi qu’ils m’aiment en vérité, et je te l’ai dit, je ne mépriserai pas leur désir.

Traité de la prière II – Chapitre CII, CIII, CIV

CII.-  Comment on doit reprendre le prochain sans tomber dans de faux jugements.

1. Ma fille bien-aimée, écoute maintenant, afin que tu puisses mieux comprendre ce que tu me demandais. Je t’ai parlé de la lumière générale que vous devez tous avoir, dans quelque état que vous soyez, dès que vous êtes dans la charité commune. Je t’ai dit que ceux qui étaient dans la lumière parfaite l’avaient de deux manières: les uns se séparent du monde et s’appliquent à mortifier leurs corps; les autres mettent tous leurs soins à tuer leur volonté; ce sont les parfaits qui se nourrissent à la table du saint désir.

2. Maintenant je te parlerai plus particulièrement, et en te parlant je parlerai aux autres et je satisferai ton désir. Je veux surtout que, tu fasses trois choses, afin que l’ignorance n’empêche pas la perfection à laquelle je t’appelle. Il ne faut pas que, le démon, sous le manteau de la charité du prochain, nourrisse en toi la racine de la présomption pour te faire tomber dans les faux jugements que je t’ai défendus. Tu croirais juger bien et tu jugerais mal, si tu suivais tes impressions, et le démon te ferait souvent voir beaucoup de vérités pour te conduire au mensonge. Cela t’arriverait si tu te faisais juge des pensées et des intentions des créatures raisonnables; car comme je te l’ai dit, je dois seul les juger.

3. C’est là une des trois choses que je te recommande d’observer. Je veux que tu ne juges personne sans une règle, et je veux que cette règle soit celle-ci: A moins que je ne t’aie manifesté clairement, non seulement une ou deux fois, mais plusieurs fois, le défaut de ton prochain, tu ne dois pas reprendre particulièrement celui en qui tu crois voir ce défaut, mais tu dois reprendre d’une manière générale les vices de celui qui vient te visiter, et lui prêcher la vertu avec, charité et douceur, en n’ajoutant la sévérité à la douceur que si tu en vois le besoin.

4. S’il te semble que je t’ai montré souvent les défauts de quelqu’un, mais si tu ne vois pas que ce soit une révélation formelle, comme je te l’ai dit, tu ne dois pas le reprendre particulièrement; tu dois suivre la voie la plus sûre, afin d’éviter les pièges et la malice du démon qui pourrait te prendre par l’amorce du désir, en te faisant souvent voir dans le prochain ce qui n’y serait pas; tu pourrais ainsi te scandaliser injustement.

5. Que ta bouche garde donc le silence, ou qu’elle parle seulement de la vertu pour combattre le vice; et quand tu croiras reconnaître dans les autres un défaut, reprends-le aussi en toi-même par un acte d’une sincère humilité. Si ce défaut est véritablement dans cette personne, elle se corrigera mieux, en se voyant si doucement reprise, et tes avis lui seront plus profitables, en te disant à toi-même ce que tu voulais dire. Tu seras plus tranquille toi-même et tu auras repoussé le démon, qui ne pourra pas te tromper et empêcher la perfection de ton âme.

6. Je veux que tu saches que tu ne dois pas te fier à ce que tu vois; il vaut mieux détourner la tête et tâcher de ne rien voir; mais il faut seulement persévérer dans la vue et la connaissance de toi-même, et dans celle de ma bonté et de ma générosité envers toi. Ainsi font, ceux qui sont arrivés au dernier état dont je te parle. Ils retournent toujours à la vallée de la connaissance d’eux-mêmes. Cela n’empêche pas leur élévation et leur union avec moi. C’est là une des trois choses que je t’ai dit que je voulais te voir faire pour que tu me serves en vérité.

CIII.- Celui qui voit une âme pleine de ténèbres ne doit pas en conclure qu’elle est en péché mortel.

1. Voici maintenant la seconde explication: si, en priant particulièrement pour deux âmes, tu vois dans l’une la lumière de ma grâce que tu ne vois pas dans l’autre, quoique les deux me soient fidèles, il ne faut pas conclure des ténèbres de l’âme éprouvée que son état vient de quelque faute; car souvent ton jugement pourrait être faux. Quelquefois, en priant pour quelqu’un tu trouveras en lui une lumière et un désir de moi si saint, qu’il te semblera que ton âme s’engraisse de sa vertu, comme le veut l’ardeur de la charité qui fait participer chacun au bien des autres. Une autre fois au contraire, son âme te semblera éloignée de moi et si pleine de ténèbres et de tentations, que ce te sera une fatigue d’offrir pour elle tes prières devant moi. Il pourra se faire que cet état vienne de quelque défaut de celui pour qui tu pries. Mais le plus souvent ce ne sera pas la punition d’une faute, mais l’effet d’une de ces privations que j’envoie souvent pour faire parvenir à la perfection, ainsi que je te l’ai dit en te parlant des états de l’âme.

2. Je me serai retiré par sentiment et non par grâce. L’âme ne sentira plus de douceur et de consolation; elle sera plongée dans la sécheresse, l’aridité, la peine; et cette peine, je la fais sentir à ceux nièmes qui prient pour cette âme. J’agis ainsi par- amour pour cette âme qui est l’objet de la prière, afin que celui qui prie s’unisse à elle pour dissiper le nuage qui l’environne. Ainsi tu vois, ma douce et chère fille, combien serait ignorant et digne de blâme celui qui jugerait sur les apparences et qui croirait que c’est le péché qui cause les ténèbres que je t’ai montrées dans cette âme; car tu as vu qu’elle n’était pas privée de ma grâce, mais seulement de la douceur du sentiment que je lui donnais de ma présence.

3. Oui, vous tous, mes serviteurs, vous devez désirer vous connaître parfaitement vous-mêmes, afin que vous connaissiez plus parfaitement ma bonté envers vous. Laissez-moi les jugements sur les autres, car c’est ma part et non la vôtre. Abandonnez-moi la justice qui m’appartient; ayez seulement compassion de votre prochain, et faim de mon honneur et du salut des âmes. Prêchez la vertu avec l’ardeur du désir et reprenez le vice en vous et dans les autres, comme je l’ai dit plus haut.

4. C’est ainsi que tu viendras à moi en vérité et que tu montreras que tu gardes et que tu observes la doctrine que t’a donnée mon Fils. Ne vois que ma volonté et non celle des hommes; c’est le seul moyen d’acquérir une vertu réelle et de demeurer dans la parfaite et grande lumière, en te nourrissant à la table des saints désirs, de la nourriture des âmes, pour la gloire et l’honneur de mon nom.

CIV.-  On ne doit pas prendre pour fondement de l’âme la pénitence, mais l’amour de la vertu.

1. Ma fille bien-aimée, après ces deux choses, je t’en dirai une troisième à laquelle je veux que tu fasses attention pour en profiter toi-même, si le démon ou la faiblesse de ta vue te portait à vouloir conduire mes serviteurs par la voie où tu as marché toi-même, car ce serait contre la doctrine que tu as reçue de ma Vérité il arrive souvent qu’en voyant marcher les autres par la voie d’une austère pénitence, on veut que tous suivent la même route, et s’ils ne la prennent pas, on en est affligé, scandalisé, et on pense qu’ils font mal.

2. Vois cependant quelle erreur. Souvent celui qu’on juge mal parce qu’il fait moins pénitence, fera mieux et sera plus vertueux, quoiqu’il ne pratique pas les austérités de celui qui murmure. Je te l’ai dit, si ceux qui se nourrissent à la table de la pénitence n’agissent pas avec une humilité véritable, s’ils ne prennent pas la pénitence, non comme but principal, mais comme instrument de vertu, leurs murmures nuiront souvent à leur perfection.

3. Ils doivent savoir que la perfection ne consiste pas à macérer et à tuer son corps, mais à détruire sa propre volonté, et c’est par cette voie de la volonté anéantie et soumise à ma douce Volonté que vous devez désirer ce que je veux que tu désires pour tous. C’est la doctrine éclatante de cette glorieuse Lumière, où court l’âme passionnée et revêtue de ma Vérité.

4. Je ne méprise pas cependant la pénitence; car la pénitence est bonne à dompter le corps, quand il veut combattre contre l’esprit. Mais je ne veux pas, ma chère fille, que tu la prennes pour règle générale, parce que tous les corps ne sont pas égaux et n’ont pas la même complexion; la nature est plus forte dans l’un que dans l’autre, et souvent il arrive, comme je te l’ai dit, que les circonstances forcent à abandonner les austérités qu’on avait commencées. Alors, si tu avais pris ou si tu avais fait prendre la pénitence pour base de conduite, il y aurait découragement, imperfection; l’âme perdrait la consolation et la vertu.

5. Parce que vous êtes privés d’une chose que vous aimiez trop et que vous aviez prise pour votre but, vous vous croyez privés de moi, et en vous croyant séparés de ma bonté, vous tombez dans l’ennui, le dégoût et le trouble. Vous perdez ainsi la pratique de l’oraison et la ferveur que vous aviez quand vous faisiez pénitence. Les circonstances vous ont forcés à l’abandonner, et vous ne trouvez plus dans la prière la douceur que vous goûtiez auparavant. Cela vient de ce que vous avez pris pour fondement l’amour de la pénitence, et non l’ardeur du désir des véritables et solides vertus.

6. Tu vois le mal qui arrive lorsque vous prenez pour base principale la pénitence: vous êtes dans l’erreur et vous tombez dans des murmures contre mes serviteurs. Vous rencontrez l’ennui, l’amertume, et vous voulez nie servir par des œuvres finies, moi qui suis le Bien infini et qui vous demande un désir infini. La chose principale pour vous est de tuer et d’anéantir la volonté-propre. C’est en la soumettant entièrement à ma volonté que vous me présenterez, comme une agréable offrande, l’ardeur de votre désir infini pour mon honneur et le salut des âmes.

7. Vous vous nourrirez ainsi à la table du saint désir, et vous ne serez jamais scandalisés, ni à votre occasion, ni à celle du prochain; mais vous vous réjouirez en, toute chose, et vous profiterez des moyens si variés que je donne à l’âme. Ce n’est pas ce que font les malheureux qui ne suivent pas cette douce doctrine, et la voie droite donnée par ma Vérité. Ils jugent au contraire selon l’aveuglement et l’infirmité de leur vue; ils vont comme des insensés qui ignorent leur route; ils se privent des biens de la terre et du ciel. Dès cette vie, comme je te l’ai dit dans un autre endroit, ils ont un avant-goût de l’enfer.

Traité de la Prière I – Chapitre C, CI

C.- De la troisième et parfaite lumière. – Des œuvres de l’âme parvenue à cette lumière.

1.- Ceux qui arrivent à cette glorieuse lumière sont parfaits dans toutes les conditions où ils se trouvent. Ils reçoivent avec respect tout ce qui leur arrive par ma permission, ainsi que je te l’ai dit en te parlant du troisième état unitif de l’âme. Ils se croient dignes des peines, des scandales du monde, et de la privation de toute sorte de consolation; comme ils se croient dignes des peines, ils se trouvent indignes des récompenses qui suivent les peines.

2.- Ils connaissent et goûtent dans la lumière mon éternelle volonté qui ne veut autre chose que votre bien, car tout ce que je donne et permets est afin que vous soyez sanctifiés en moi. Dès que l’âme l’a reconnu, elle se revêt de ma volonté; elle ne songe à autre chose qu’au moyen de conserver et d’accroître sa perfection pour la gloire et l’honneur de mon nom. Elle fixe par la lumière de la foi l’œil de son intelligence sur Jésus crucifié, mon Fils unique, en, aimant et en suivant sa doctrine qui est la règle et la voie des parfaits et des imparfaits. Elle voit que le tendre Agneau, mon Fils, lui donne la doctrine de la perfection, et cette vue la remplit d’amour.

3.- La perfection est la connaissance de ce doux et tendre Verbe, mon Fils unique, qui s’est nourri à la table du saint désir, en cherchant l’honneur de son Père et votre salut. C’est ce désir qui l’a fait courir avec ardeur à la mort ignominieuse de la Croix, et satisfaire à l’obéissance que moi le Père, je lui avais imposée. Il n’a pas craint la fatigue et les opprobres; il n’a pas reculé devant votre ingratitude et votre aveuglement à ne pas reconnaître les bienfaits dont il vous comblait. Il ne s’est pas laissé arrêter par les persécutions des Juifs, les mépris, les affronts, les murmures du peuple; mais il a triomphé de tout comme un vaillant capitaine, un généreux chevalier que j’avais envoyé sur le champ de bataille pour vous tirer des mains du démon, pour vous affranchir, vous délivrer du plus triste esclavage où vous puissiez tomber, pour enseigner la voie et la doctrine qui peut vous conduire à moi, la Vie éternelle, au moyen de son sang précieux, répandu avec tant d’amour et avec tant de haine de vos fautes.

4.- C’est comme si le doux et tendre Verbe, mon Fils, vous disait: Voici que je vous ai tracé la voie et que je vous ai ouvert la porte avec mon sang; ne soyez donc pas négligents à la suivre, ne vous arrêtez pas dans votre amour-propre, dans l’ignorance de la voie et dans la prétention de vouloir me servir à votre manière et non à la mienne. Je vous ai tracé la voie droite par -le moyen du Verbe incarné qui l’a arrosée de son sang. Levez-vous donc et suivez-le, car personne ne peut venir à moi, le Père, si ce n’est par lui. Il est la voie et la porte par laquelle il faut entrer en moi, l’océan de la paix.

5.- Lorsque l’âme est parvenue à goûter cette lumière et qu’elle en connaît la douceur parce qu’elle l’a goûtée, elle court vers moi dans l’ardeur et la passion de son amour, sans penser à elle, sans chercher les consolations spirituelles et temporelles, comme une personne qui a complètement renoncé à sa propre volonté. Dans cette lumière et cette connaissance, elle ne fuit aucune fatigue, de quelque côté qu’elle vienne: elle se réjouit au contraire de souffrir les opprobres, les attaques du démon, les murmures des hommes; elle se nourrit de mon honneur et du salut des âmes sur la table de la sainte Croix. Elle ne demande aucune récompense ni de moi ni des créatures, car elle s’est dépouillée de l’amour mercenaire qui m’aime par intérêt. Elle s’est revêtue de la lumière parfaite en m’aimant, sans songer à autre chose qu’à la gloire, à la louange de mon nom, et en me servant, sans penser au bonheur qu’elle y trouve et à l’utilité que lui procure le prochain, mais en agissant par pur amour.

6.- Ceux-là se sont perdus eux-mêmes et se sont dépouillés du vieil homme, c’est-à-dire de la sensualité, pour se revêtir de l’homme nouveau, le Christ, le doux Jésus, ma Vérité, qu’ils suivent avec courage. Ceux-là sont assis à la table du saint désir et s’appliquent plus à tuer leur propre volonté qu’à tuer et à mortifier leur corps. Ils mortifient bien aussi leur corps, mais ce n’est pas là leur but principal; c’est seulement un moyen pour les aider à tuer leur propre volonté, comme je te l’ai dit en t’expliquant cette parole: que je voulais peu de mots et beaucoup d’actions.

7.- En effet, tous vos efforts doivent tendre à tuer votre volonté, et ne vouloir autre chose que suivre ma douce Vérité, le Christ crucifié, en cherchant l’honneur et la gloire de mon nom et le salut des âmes ceux qui sont dans cette glorieuse lumière le font, et c’est pour cela qu’ils sont toujours dans la paix et le repos. Rien ne les scandalise, parce qu’ils ont éloigné ce qui cause le scandale, c’est-à-dire la volonté propre. Les persécutions que le monde et le démon peuvent soulever passent à leurs pieds; ils traversent les grandes eaux de la tribulation et de la tentation sans qu’elles puissent leur nuire, parce qu’ils sont revêtus et fortifiés par l’ardeur de leur désir. Ils se réjouissent de tout, et ne jugent pas mes serviteurs ni aucune créature raisonnable.

8.- Ils sont heureux de tout ce qu’ils voient, de tout ce qu’ils rencontrent, et ils disent: Grâces vous soient rendues, ô Père éternel! de ce qu’il y a en votre maison plusieurs demeures (S. Jean, XIV,2). Ils se réjouissent plus de voir mes amis suivre des routes différentes que de les voir suivre tous le même chemin, parce qu’ils admirent plus la grandeur de ma bonté; tout leur est agréable, et leur semble des roses. Non seulement ils sont édifiés du bien, mais ils ne veulent pas juger ce qui est évidemment mal; ils éprouvent seulement alors une sainte et vraie compassion, me priant pour ceux qui m’offensent et disant avec une humilité parfaite: Aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi, si la grâce divine ne me conserve.

9.- O ma fille bien-aimée! passionne-toi pour ce doux, cet excellent état. Contemple ceux qui courent à cette glorieuse lumière; vois comme leurs âmes sont saintes et se nourrissent pour mon honneur de la nourriture des âmes à la table du saint désir. Ils sont revêtus du beau vêtement de l’Agneau, mon Fils unique, c’est-à-dire de sa doctrine, par l’ardeur de sa charité. Ils ne perdent pas le temps à faire de faux jugements sur mes serviteurs et sur les serviteurs du monde; ils ne sont jamais scandalisés d’aucun murmure contre eux ou contre le prochain. Ils sont contents de souffrir pour mon nom, et quand une injure est faite aux autres, ils la supportent en compatissant au prochain, ne murmurant pas contre celui qui la fait ou contre celui qui la reçoit.

10.- Leur amour est réglé en moi, le Père céleste. Ils ne s’égarent jamais, et parce qu’il est réglé, ma chère fille, ils ne se scandalisent pas de ceux qu’ils aiment ni d’aucune créature raisonnable. Leur opinion est morte et non vivante. Ils ne s’arrêtent pas à juger la volonté des autres, mais ils ne voient partout que l’expression de ma miséricordieuse bonté. Ils observent la doctrine qui, tu le sais, te fut donnée au commencement de ta vie par ma Vérité, quand tu lui demandais avec un grand désir comment tu pourrais parvenir à une pureté parfaite. Lorsque tu en cherchais les moyens, tu sais ce qui te fut répondu. Tu t’étais endormie dans ce désir, et la parole retentit non seulement à ton esprit, mais à ton oreille, de telle sorte, s’il t’en souvient, que tu fus rappelée à toi-même.

11.- Ma Vérité te disait clairement: si tu veux arriver à la pureté parfaite; et que ton esprit ne soit troublé par aucun scandale, il faut toujours m’être unie par l’amour, car je suis la souveraine, l’éternelle Pureté. Je suis le feu qui purifie l’âme véritablement. Plus tu t’approcheras de moi, plus tu deviendras pure; et plus tu t’en éloigneras, plus tu seras souillée. Les hommes du monde ne tombent dans de si grandes souillures que parce qu’ils sont séparés de moi; car l’âme qui s’unit à moi participe nécessairement à ma pureté.

12.- Il faut faire une autre chose pour arriver à cette union, à cette pureté: il faut t’abstenir de tout jugement sur ce que tu vois faire ou dire par quelque créature que ce soit, contre toi ou contre les autres; il ne faut jamais considérer la volonté de l’homme, mais voir ma volonté en toute chose. Si tu vois un péché ou un défaut évident, il faut tirer de l’épine la rose, en m’offrant les coupables par une sainte et fraternelle compassion. Au milieu des injures que tu reçois, juge que ma volonté les permet pour éprouver la vertu en toi et en mes serviteurs, pensant que celui qui les dit est un instrument choisi par moi, et que souvent ses intentions sont bonnes; car personne ne peut juger les secrets du cœur de l’homme.

13.- Ce que tu ne vois pas être évidemment un péché mortel, tu dois ne pas le juger dans ton esprit et ne voir que ma volonté. Lorsque tu vois un péché évident, tu ne dois pas le condamner, mais en avoir compassion; de cette manière tu arriveras à la pureté parfaite, parce qu’en faisant ainsi, ton esprit ne sera scandalisé ni en moi ni dans le prochain. Vous tombez dans le mépris du prochain lorsque vous ne voyez que sa mauvaise volonté envers vous, et non pas ma volonté dans ses actes. Ce mépris et ce scandale séparent l’âme de moi, et empêchent sa perfection. Dans quelques-uns même la grâce est détruite plus ou moins, selon la gravité du mépris et de la haine qu’ils ont contre le prochain en le jugeant.

14.- Le contraire arrive à l’âme qui en tout, comme je te l’ai dit, voit ma volonté toujours attentive à votre bien. Tout ce que je donne et permets est pour que vous parveniez à la fin pour laquelle je vous ai créés. Le moyen de rester toujours dans l’amour du prochain est de rester toujours dans le mien, et l’âme en m’aimant m’est toujours unie.

15.- Si tu veux absolument parvenir à cette pureté que tu me demandes, il faut faire surtout trois choses: T’unir à moi par l’amour, en conservant dans ta mémoire le souvenir des bienfaits que tu as reçus de moi; voir avec l’œil de ton intelligence l’ardeur ineffable de ma charité envers vous; voir enfin ma volonté dans la volonté de l’homme, et non pas sa méchanceté, parce que c’est moi qui suis juge, ce n’est pas vous. Tu arriveras ainsi à la perfection. Telle est la doctrine que t’enseignas ma Vérité, s’il t’en souvient bien.

16.- Maintenant, ma très chère fille, je dis que ceux qui suivent cette doctrine ont, dès cette vie, un avant-goût de la vie éternelle. Si tu la conserves dans ton âme, tu ne tomberas jamais dans les pièges du démon; car tu les reconnaîtras aux signes que tu m’as demandés. Mais pour satisfaire plus complètement tes saints désirs, je te montrerai que votre jugement ne doit jamais condamner, mais seulement compatir.

CI.- Ceux qui sont dans la perfection de la troisième Lumière reçoivent dès ce monde un avant-goût de la vie éternelle.

1.- Mes serviteurs reçoivent les arrhes de la vie éternelle . Je dis les arrhes et non pas la plénitude de la récompense, parce qu’ils espèrent la recevoir en moi, la Vie durable, où la vie est sans mort, le rassasiement sans dégoût, la faim sans souffrance; la peine alors sera séparée de la faim, parce qu’ils auront ce qu’ils désirent, et leur rassasiement ne connaîtra pas l’ennui, parce que je suis une nourriture sans aucun défaut. Ici-bas ils reçoivent les arrhes de ce bonheur, parce que l’âme est affamée de mon honneur et du salut des âmes; et comme elle en a faim, elle s’en nourrit, c’est-à-dire que l’âme se nourrit de la charité du prochain, dont elle a faim comme d’une nourriture, et en s’en nourrissant elle ne s’en rassasie jamais, parce qu’elle est insatiable et qu’elle a une faim continuelle.

2.- Les arrhes sont une garantie qu’on donne à l’homme pour qu’il attende le payement. Cette sûreté n’est pas parfaite en elle-même, mais par la foi elle donne la certitude d’arriver au complément, et de recevoir en totalité le payement. De même cette âme passionnée et revêtue de ma Vérité a reçu, dès cette vie, les arrhes de ma charité et de la charité du prochain; elle n’est pas parfaite, mais elle attend la perfection de la vie éternelle.

3.- Ce qu’elle reçoit n’est pas parfait, parce qu’elle n’est, pas arrivée à cette perfection où elle ne souffre ni en elle ni dans les autres: en elle, par l’offense que me cause la loi perverse qui est dans ses membres et qui combat contre l’esprit; dans les autres, par les fautes du prochain. Ce qu’elle reçoit est parfait quant à la grâce, mais elle n’a pas la perfection dont jouissent les saints dans le ciel; car, comme je te l’ai dit, leurs désirs sont sans peine, tandis que les vôtres vous font souffrir.

4.- Mes serviteurs, qui se nourrissent à la table des saints désirs, sont heureux et affligés comme mon Fils unique l’était sur le bois de la sainte Croix; car sa chair était douloureuse et tourmentée, tandis que son âme était bienheureuse par l’union de la nature divine. De même ceux-là sont bienheureux par l’union de leur saint désir en moi, parce qu’ils ont revêtu ma douce volonté. Ils souffrent parce qu’ils compatissent au malheur du prochain, et qu’ils affligent leurs sens en leur retranchant tous les plaisirs et toutes les consolations temporelles.

Traité de la Prière I – Chapitre XCVI, XCVII, XCVIII, XCIX

XCVII.- L’âme remercie Dieu de lui avoir appliqué les larmes, et elle lui fait trois demandes.

1.- Alors cette âme enflammée d’un ardent désir par les explications que Dieu, la Vérité même, lui avait données des différents états de larmes, disait dans la violence de son amour: Grâces, grâces vous soient rendues, ô Père, qui satisfaites les saints désirs, et qui vous passionnez pour nôtre salut; vous qui, au moment où nous étions en guerre avec vous, nous avez montré tant d’amour, par le moyen de votre Fils unique! Au nom de cet amour ineffable, je vous demande, par grâce et miséricorde, de pouvoir arriver sûrement à vous, non dans les ténèbres, mais dans la lumière; ne suivre la doctrine de votre Vérité, que vous m’avez clairement montrée.

2.- Afin de pouvoir distinguer deux pièges que je crains de rencontrer, je voudrais, ô Père éternel, qu’avant de finir ce sujet vous m’expliquiez ces deux points: D’abord, si quelqu’un s’adressait à moi ou à un de vos autres serviteurs, et demandait conseil sur la manière de vous servir, quelle doctrine faudrait-il lui donner? Je sais bien; mon Dieu, que vous m’avez déjà expliqué cette parole que vous m’avez dite:  » Je suis celui qui aime peu de mots et beaucoup d’actions « . Cependant, s’il plaisait fi votre bonté de m’en dire e-acore quelque chose, je serais bien heureuse.

3.- Si en priant pour vos créatures et particulièrement pour vos serviteurs, je voyais, dans l’oraison, une âme bien disposée et paraissant jouir de vous et si j’en voyais une autre qui semblerait obscure, devrais-je, ô Père éternel, juger que l’une est dans la lumière et l’autre dans les ténèbres? Ou si je voyais quelqu’un faire de grandes pénitences et un autre y être étranger, devrais-je juger qu’il y a une plus grande perfection dans celui qui fait de grandes pénitences que dans celui qui n’a en fait pas? Faites, mon Dieu, que je ne m’égare pas dans mon peu de clairvoyance, et expliquez-moi plus particulièrement ce que vous m’avez dit d’une manière générale.

4.- La seconde chose que je vous demande, c’est de me montrer davantage, le signe auquel on reconnaît si c’est vous qui visitez l’âme, ou si ce n’est pas vous. Il me semble que vous me disiez, Ô Vérité éternelle, que l’âme reste alors joyeuse et portée à la vertu. Je voudrais savoir si cette joie peut être une illusion de la passion spirituelle; si cela était, je ne m’arrêterais qu’au signe de la vertu. Ces choses, je vous les demande afin de pouvoir vous servir dans la vérité, afin de servir le prochain et de ne faire aucun faux jugement à l’égard de vos créatures et de vos serviteurs. Car juger ainsi éloigne l’âme de vous, et je ne voudrais pas tomber dans ce malheur.

XCVIII.- La lumière de la raison est nécessaire à celui qui veut servir Dieu. – De la lumière générale.

1.- Alors l’Éternel, se délectant de la soif et de la faim de cette âme, de la pureté de son cœur et du désir avec lequel elle demandait les moyens de le servir, jeta sur elle les regards de sa miséricordieuse bonté, en lui disant: Ma bien-aimée, ma chère et douce fille, mon épouse fidèle, élève-toi au-dessus de toi-même, et ouvre l’œil de ton intelligence pour contempler ma bonté infinie et l’amour ineffable que j’ai pour toi et pour mes autres serviteurs. Ouvre l’oreille de ton cœur et de ton désir; car, si tu ne voyais pas, tu ne pourrais pas entendre et connaître ma Vérité.

2.- L’âme qui ne voit pas avec l’œil de son intelligence l’objet de ma Vérité, ne peut entendre ni connaître ma Vérité, et je veux que, pour la mieux connaître, tu t’élèves au-dessus de tes sens. Tes demandes et tes désirs me sont agréables et je vais y satisfaire. Mon bonheur ne peut venir de vous, car je suis Celui qui suis; je puis vous enrichir, et vous ne pouvez rien pour moi; je me réjouis en moi-même de mes œuvres.

3.- Alors cette âme obéissante s’éleva au-dessus d’elle-même, pour connaître la vérité sur ce qu’elle demandait; et l’Éternel lui dit: Afin que tu puisses mieux comprendre ce que je te dirai, je commencerai par te parler des trois lumières qui sortent de moi, la vraie Lumière.

4.- La première lumière est une lumière générale pour ceux qui sont dans la charité commune. Je t’en ai déjà entretenu de plusieurs manières, mais je te répéterai certaines choses, afin que ton faible entendement comprenne mieux ce que tu désires savoir: Les deux autres lumières sont pour ceux qui se séparent du monde et veulent atteindre la perfection; et sur ce sujet je te dirai ce que tu m’as demandé, et je t’expliquerai particulièrement ce que j’en ai dit d’une manière générale.

5.- Tu sais que, sans la lumière de la raison, personne ne peut aller par la voie de la vérité; et cette lumière de la raison, vous la tirez de moi, la vraie Lumière, au moyen de l’intelligence et avec la lumière de la foi que je vous ai donnée dans le saint baptême, si vous ne vous en privez pas par vos fautes.

6.- Le baptême, par la vertu du sang de mon Fils unique, vous a donné la forme de la foi; et cette foi s’exerce par la vertu, par la lumière de la raison. La raison s’illumine de cette lumière qui vous donne la vie et vous fait marcher dans la voie de la vérité. Avec cette lumière vous parvenez à moi, la vraie Lumière, et sans elle vous n’arriverez qu’aux ténèbres.

7.- Deux lumières qui viennent de cette lumière vous sont nécessaires, et à ces deux lumières j’en joindrai une troisième. La première vous fait clairement comprendre les choses transitoires du monde qui passent comme le vent; mais vous ne pouvez le bien connaître, si vous ne connaissez pas d’abord votre propre fragilité, et combien elle s’incline vers la loi perverse qui est attachée à vos membres pour combattre contre moi, votre Créateur. Cette loi ne peut forcer personne à commettre le moindre péché, si la volonté n’y consent pas, mais elle combat violemment contre l’esprit.

8.- Je n’ai pas donné cette loi pour que la créature raisonnable fût vaincue, mais pour que la vertu augmentât et fus éprouvée dans l’âme, car la vertu ne s’éprouve que par les contraires. La sensualité est contraire à l’esprit, et c’est par la sensualité que l’âme montre l’amour qu’elle a pour moi, son Créateur. Comment le prouve-t-elle? Lorsqu’elle se combat elle-même par le mépris.

9.- J’ai aussi donné cette loi aux hommes, pour les, conserver dans l’humilité véritable. Tu dois voir qu’en créant l’âme à mon image et à ma ressemblance, et en l’élevant à une si haute dignité et beauté, je l’ai associée en même temps aux choses les plus viles en lui donnant cette loi perverse, en la liant à un corps formé de la fange de la terre, afin que, voyant sa beauté, elle ne levât pas orgueilleusement la tête contre moi.

10.- Ainsi donc, l’homme fragile qui a cette lumière, a raison d’humilier son âme, et n’a aucun sujet de s’enorgueillir, mais il doit concevoir une humilité sincère et parfaite. Cette loi ne peut aucunement forcer au péché, mais elle est un moyen de vous donner la connaissance de vous-même et de l’instabilité de la vie présente. C’est ce que doit voir l’œil de l’intelligence avec la lumière de la sainte foi qui est, comme je te l’ai dit, la prunelle de l’œil.

11.- Cette lumière est nécessaire à toute créature raisonnable qui désire, dans quelque état que ce soit, participer à la vie de la grâce et au fruit du sang de l’Agneau sans tache. C’est la lumière générale que chacun doit avoir: et s’il ne l’avait pas, il serait en état de damnation. Et ce qui l’empêche d’être en état de grâce, c’est de n’avoir pas la lumière; celui qui n’a pas la lumière ne connaît pas le mal de la faute et ce qui en est la cause, et par conséquent il ne peut pas fuir et détester cette cause.

12.- Il ne connaît pas non plus le bien et la cause du bien, c’est-à-dire la vertu; il ne peut m’aimer et me désirer, moi qui suis le Bien suprême; il ne peut aimer et désirer la vertu, que je vous ai donnée comme instrument et comme moyen pour obtenir ma grâce et le bien véritable. Tu dois comprendre quel besoin vous avez de cette lumière; car vos fautes ne consistent qu’à aimer ce que je hais et à haïr ce que j’aime. J’aime la vertu et je hais le vice; celui qui aime le vice et hait la vertu, m’outrage et se prive de ma grâce. Il va comme un aveugle, ne connaissant pas la cause du vice, qui est l’amour-propre sensitif. Il ne se hait pas lui-même; il ne connaît pas le vice et le mal qui vient du vice; il ignore aussi la vertu, et il m’ignore, moi qui lui donne la vertu et qui lui accorde la vie et la dignité où il se conserve et acquiert la grâce par le moyen de la vertu. Tu vois que son aveuglement est la cause de son mal, et que cette lumière vous est nécessaire.

XCIX.- De la seconde lumière, plus parfaite que la lumière générale.

1.- Lorsque l’âme est parvenue à la lumière générale dont je viens de te parler, elle ne doit pas s’en contenter; car tant que vous êtes dans le pèlerinage de cette vie, vous pouvez avancer, et celui qui n’avance pas recule. Il faut avancer dans la lumière générale acquise par ma grâce et s’efforcer d’atteindre la seconde lumière en allant de l’imparfait au parfait, parce qu’il faut avec la lumière arriver à la perfection.

2.- Dans cette seconde lumière, il y a deux sortes de parfaits; les parfaits sont ceux qui ont quitté la vie commune du monde, et dans cette perfection il y a deux états: le premier, où sont ceux qui s’appliquent entièrement à châtier leur corps par de rudes et de grandes pénitences, pour que leurs sens ne se révoltent pas contre la raison; ils mettent plus de soin à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté, comme je te l’ai déjà dit.

3.- Ceux-là se nourrissent à la table de la pénitence. Ils sont bons et parfaits si leur pénitence est fondée en moi, avec la lumière de la discrétion, c’est-à-dire avec l’humble connaissance d’eux-mêmes et de moi, surtout s’ils s’appliquent plus à voir ma volonté que celle des hommes. S’il en était autrement, c’est-à-dire s’ils ne se revêtaient pas humblement de ma volonté, ils nuiraient souvent à leur perfection, en jugeant mal ceux qui ne suivent pas la voie où ils marchent. Et sais-tu pourquoi cela leur arriverait? Parce qu’ils mettent plutôt leurs soins et leurs désirs à mortifier leur corps qu’à tuer leur volonté.

4.- Ils veulent choisir eux-mêmes le temps, le lieu des consolations spirituelles, comme aussi les tribulations du monde et les attaques du démon, Ils se laissent égarer par la volonté propre que j’ai appelé la volonté spirituelle, et ils disent: Je voudrais cette consolation et non cette tentation, cette attaque du démon. Je ne le désire pas pour moi, mais pour plaire davantage à Dieu et avoir une grâce plus abondante dans mon âme; car il me semble que je le servirai bien mieux de cette manière que d’une autre.

5.- C’est ainsi que souvent l’âme tombe dans la peine et l’ennui, et qu’elle devient insupportable à elle-même. Elle nuit de la sorte à sa perfection et ne s’aperçoit pas de la corruption de l’orgueil qui l’envahit. Car, si l’âme était véritablement humble et sans présomption, elle verrait, à la lumière de la raison, que moi, la Vérité même, je distribue à chacun l’état, le temps, le lieu, la consolation, la tribulation, selon que le réclament votre salut et la perfection à laquelle j’appelle les âmes; elle verrait que toute chose vient de mon amour et qu’elle doit recevoir tout par conséquent avec soumission et amour, comme le font ceux qui parviennent au troisième état et qui restent dans la lumière parfaite.