Les prophéties ont-elles annoncées la venu du Christ

Né d’une Vierge

Isaïe 7:14 (VIIe siècle av. J.-C)
C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (C’est-à-dire: Dieu-avec-nous).

Né à Bethléem

Michée 5:1 (740 av. J.-C)
Or, c’est de toi Bethléem-Effata, si peu importante parmi les groupes de Juda, c’est toi que je veux que sorte celui qui est destiné à dominer sur Israël et dont l’origine remonte aux temps lointains, aux jours antiques.

Massacre des enfants à sa naissance

Jérémie 31 : 15 (655 av. J.-C)
15 Ainsi parle le Seigneur : « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d’amers sanglots. C’est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus ! »

Descendant de la tribu de Juda

Le Messie est descendant de la tribu de Juda (Genese 49:10 (655 av. J.-C)) et  descendant de David (Psaumes 132 : 11 (460 av. J.-C)). Nous n’avons aucun doute sur la descendance davidique de Joseph, l’époux de la vierge Marie. Les archives généalogiques du Temple ont prouvé qu’il était de la tribu de Juda, descendant de David. Nous savons aussi que Joseph était un bon juif, son mariage, performé par un rabbin, a été béni sous la loi sacrée de Moïse. Maintenant il est vrai que Joseph, n’étant pas le père naturel de jésus, nous ne pouvons considérer Jésus comme étant descendant direct de Joseph. Les femmes n’étant pas enregistrées dans les archives généalogiques du Temple, il était impossible de prouver la descendance de Marie en consultant celles-ci.  Mais…

Genèse 2 : 24 (655 av. J.-C)
24 C’est pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère ; s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

Marie, devenue la même chair que Joseph, était considérée de la même tribu que celui-ci. Mais Dieu, connaissant l’incrédulité de certain, nous confirme la descendance directe de Marie en pointant de son doigt sacré deux versets de la Torah.

Nombres 36:8-9 (VIIIe-VIe siècle av. J.-C)
8 Toute fille appelée à hériter, parmi les tribus des enfants d’Israël, devra épouser quelqu’un qui appartienne à la tribu de son père ; afin que les enfants d’Israël possèdent chacun l’héritage de leurs pères, 9 et qu’il n’y ait pas d’évolution d’héritage d’une tribu différente, les tribus des enfants d’Israël devant chacune, conserver leur héritage. »

Entré dans le second temple

Aggée 2 : 9 (655 av. J.-C)
9  Plus grande sera la splendeur de ce second temple que celle du premier, dit l’Eternel-Sabaot, et en ce lieu je ferai régner la paix, dit l’Eternel-Cebaot ».

Entrée à Jérusalem sur un âne

Zacharie 9 : 9 (655 av. J.-C)
9 Réjouis-toi fort, fille de Sion, jubile, fille de Jérusalem. Voici que ton roi vient à toi juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur le petit de l’ânesse.

Vendu pour 30 pièces d’argent

Zacharie 11 : 13 (655 av. J.-C)
13 Et l’Eternel me dit : « Jette-le au Trésor, ce prix magnifique auquel j’ai été estimé par eux, et je pris les trente pièces d’argent et les jetai au Trésor, dans la maison de l’Eternel.

Doux, Pacifique, Innocent mis à mort comme un criminel pour nos péchés, pour notre salut, mis en tombeau de riche.

Isaïe 53 (VIIe siècle av. J.-C)
1 Qui a ajouté foi à l’annonce qui nous a été faite ? Et à qui s’est révélé le bras Dieu ?

2 Il poussait devant lui, pareil à un faible rejeton à une racine plantée dans un sol brûlé. Il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, ni grâce pour nous le rendre aimable.

3 Méprisé, repoussé des hommes, homme de douleurs expert en maladies, il était comme un objet dont on détourne le visage, une chose vile dont nous ne tenions nul compte.

4 Et pourtant ce sont nos maladies dont il était chargé, nos souffrances qu’il portait, alors que nous, nous le prenions pour un malheureux atteint, frappé par Dieu, humilié.

5 Et c’est pour nos péchés qu’il a été meurtri, par nos iniquités qu’il a été écrasé : le châtiment, gage de notre salut, pesait sur lui, et c’est sa blessure qui nous a valu la guérison.

6 Nous étions tous comme des brebis errantes, chacun se dirigeant de son côté, et Dieu a fait retomber sur lui notre crime à tous.

7 Maltraité, injurié, il n’ouvrait pas la bouche ; pareil à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis silencieuse devant ceux qui la tondent, il n’ouvrait pas la bouche.

8 Faute de protection et de justice, il a été enlevé. Qui pourrait décrire sa destinée ? Car il s’est vu retrancher du pays des vivants, les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples.

9 On a mis sa sépulture avec celle des impies, son tombeau avec celui des riches, quoiqu’il n’eût fait aucun mal et qu’il n’y eût jamais de fraude dans sa bouche ;

10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire il vit une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Eternel prospérât dans sa main.

11 Délivré de l’affliction de son âme, il jouira à satiété du bonheur : par sa sagesse le juste, mon serviteur, fera aimer la justice à grand nombre et prendra la charge de leurs iniquités.

12 C’est pourquoi je lui donnerai son lot parmi les grands ; avec les puissants il partagera le butin, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et s’est laissé confondre avec les malfaiteurs, lui, qui n’a fait que porter le péché d’un grand nombre et qui a intercédé en faveur des coupables.

Percé (Crucifié)

Zacharie 12 : 10 (655 av. J.-C)
10 Mais sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem je répandrai un esprit de bienveillance et de pitié, et ils porteront les regards vers moi à cause de celui qui aura été percé de leurs coups, ils le regretteront comme on regrette un [fils] unique, et le pleureront amèrement comme on pleure un premier-né.

Obscurcissement du jour à sa mort

Amos 8 : 9 (745 av. J.-C)
9 En ce jour-là, dit le Seigneur Dieu, je donnerai ordre au soleil de se coucher en plein midi, et je ferai la nuit sur la terre en plein jour.

Ressuscité

Isaïe 53 : 10 (VIIe siècle av. J.-C)
10 Mais Dieu a résolu de le briser, de l’accabler de maladies, voulant que, s’il s’offrait lui-même comme sacrifice expiatoire il vît une postérité destinée à vivre de longs jours, et que l’œuvre de l’Eternel prospérât dans sa main.

Ressuscité le 3ème jour

Osée 6 : 2 (VIIIe siècle av. J.-C)
2 [Déjà] au bout de deux jours il nous aura rendu la vie ; le troisième jour il nous aura relevé, pour que nous subsistions devant lui.

 

Source

La Crucifixion, la mort et la déposition de croix.

Vision du mardi 27 mars 1945 (mardi saint).

Quatre hommes musclés, qui par leur aspect me paraissent juifs et juifs dignes de la croix plus que les condamnés, certainement de la même catégorie que les flagellateurs, sautent d’un sentier sur le lieu du supplice. Ils sont vêtus de tuniques courtes et sans manches et ils ont dans les mains des clous, des marteaux et les cordes qu’ils montrent aux condamnés en se moquant d’eux. La foule est agitée par un délire cruel.

Le centurion offre à Jésus l’amphore pour qu’il boive la mixture anesthésique du vin myrrhé. Mais Jésus la refuse. Les deux larrons, au contraire, en boivent une quantité. Puis l’amphore à la bouche largement évasée est placée près d’une grosse pierre, presque en haut de la cime.

On donne aux condamnés l’ordre de se dévêtir. Les deux larrons le font sans aucune pudeur. Ils s’amusent même à faire des actes obscènes vers la foule et en particulier vers le groupe sacerdotal tout blanc dans ses vêtements de lin et qui est revenu tout doucement sur la petite place plus basse, en profitant de sa qualité pour s’insinuer à cet endroit. Aux prêtres se sont unis deux ou trois pharisiens et d’autres puissants personnages que la haine rend amis. Et je vois des personnes connues comme le pharisien Giocana et Ismaël, le scribe Sadoc, Éli de Capharnaüm …

Les bourreaux offrent aux condamnés trois loques pour qu’ils se les attachent à l’aine, et les larrons les prennent avec les plus horribles blasphèmes. Jésus, qui se déshabille lentement à cause de la douleur des blessures, la refuse. Il pense peut-être garder les courtes culottes qu’il a gardées même dans la flagellation. Mais quand on Lui dit de les enlever, il tend la main pour mendier le chiffon aux bourreaux pour cacher sa nudité. C’est vraiment l’Anéanti jusqu’à devoir demander un chiffon aux criminels.

Mais Marie a vu et elle a enlevé le long et fin linge blanc qui lui voile la tête sous le manteau foncé et dans lequel elle a déjà versé tant de pleurs. Elle l’enlève sans faire tomber le manteau, le donne à Jean pour qu’il le présente à Longin pour son Fils. Le centurion prend le voile sans difficulté. Quand Jésus va se déshabiller complètement, en se tournant non vers la foule mais vers le côté où il n’y a personne, montrant ainsi son dos sillonné de bleus et des ampoules saignant par les blessures ouvertes ou les croûtes sombres, Longin Lui présente le voile maternel. Jésus le reconnaît. Il s’en enveloppe en lui faisant faire plusieurs fois le tour du bassin en le fixant bien pour qu’il ne tombe pas… Et sur le lin baigné seulement jusqu’alors de pleurs, tombent les premières gouttes de sang, car de nombreuses blessures à peine couvertes de sang coagulé, quand il se baisse pour enlever ses sandales et déposer ses vêtements, se sont rouvertes, et le sang recommence à couler.

Maintenant Jésus se tourne vers la foule, et on voit ainsi que la poitrine aussi, les bras, les jambes ont été toutes frappées par les fouets. À la hauteur du foie il y a un énorme bleu et sous l’arc costal gauche il y a sept traces en relief, terminées par sept petites déchirures sanglantes à l’intérieur d’un cercle violacé… un coup féroce de fouet dans cette région si sensible du diaphragme. Les genoux, contusionnés par les chutes répétées qui ont commencé tout de suite après sa capture et se sont terminées sur le Calvaire, sont noirs d’hématomes et ouverts sur la rotule, spécialement le genou droit, en une vaste déchirure sanglante.

La foule le méprise en formant une sorte de chœur : « Oh ! Beau ! Le plus beau des enfants des hommes ! Les filles de Jérusalem t’adorent… » Et elle entonne sur le ton d’un psaume : « Mon aimé est candide et rubicond, distingué entre mille et mille. Sa tête est d’or pur, ses cheveux des grappes de palmier, soyeux comme la plume du corbeau. Ses yeux sont comme deux colombes qui se baignent dans des ruisseaux non pas d’eau mais de lait, dans le lait de son orbite. Ses joues sont des parterres d’aromates, ses lèvres pourpres sont des lys qui ruissellent une myrrhe précieuse. Ses mains sont faites comme un travail d’orfèvre, terminées en jacinthe rosé. Son tronc est de l’ivoire veiné de saphir. Ses jambes sont des colonnes parfaites, de marbre blanc sur des bases d’or. Sa majesté est comme celle du Liban, il est plus majestueux que le cèdre élevé. Sa langue est imprégnée de douceur et lui n’est que délices » et ils rient et crient aussi : « Le lépreux ! Le lépreux ! Tu as donc forniqué avec une idole si Dieu t’a ainsi frappé ? Tu as murmuré contre les saints d’Israël comme Marie de Moïse, si tu as été ainsi puni ? Oh ! Oh ! le Parfait ! Tu es le Fils de Dieu ? Mais non ! Tu es l’avorton de Satan ! Lui, au moins, Mammon est puissant et fort. Toi… tu es une loque impuissante et dégoûtante. »

Les larrons sont attachés sur les croix et amenés à leurs places, l’un à droite, l’autre à gauche par rapport à celle destinée à Jésus. Ils poussent des cris, des imprécations, des malédictions et surtout lorsque les croix sont portées près du trou et les secouent, alors que leurs poignets sont sciés par les cordes, leurs blasphèmes contre Dieu, contre la Loi, les romains et les juifs sont infernaux.

C’est le tour de Jésus. Doux il s’allonge sur le bois. Les deux larrons étaient tellement rebelles, que n’arrivant pas à le faire, les quatre bourreaux avaient dû demander l’intervention des soldats pour les tenir, pour qu’à coups de pieds ils ne repoussent pas les argousins qui les attachaient par les poignets. Mais pour Jésus, il n’est pas besoin d’aide. Il se couche et met la tête où on Lui dit de la mettre. Il ouvre les bras comme on Lui dit de le faire, allonge les jambes comme on le Lui ordonne. Il s’occupe seulement de bien ajuster son voile.

Maintenant son long corps, mince et blanc, se détache sur le bois sombre et le sol jaunâtre. Deux bourreaux s’assoient sur la poitrine pour la tenir immobile. Et je pense à l’oppression et à la souffrance qu’il doit avoir ressenties sous ce poids. Un troisième Lui prend le bras droit en le tenant d’une main à la première partie de l’avant-bras et de l’autre au bout des doigts. Le quatrième, qui a déjà dans les mains le long clou dont la tige quadrangulaire est en pointe, se termine en une plaque arrondie et plate, large comme un sou d’autrefois, regarde si le trou déjà fait dans le bois correspond à la jointure radio-ulnaire du poignet. Il va bien. Le bourreau applique la pointe du clou au poignet, lève le marteau et donne le premier coup.

Jésus, qui avait les yeux fermés, pousse un cri et a une contraction à la suite de la douleur aiguë et ouvre les yeux qui nagent dans les larmes. Ce doit être une douleur atroce qu’il éprouve… Le clou pénètre en rompant les muscles, les veines, les nerfs, en brisant les os…

Marie répond au cri de son Fils torturé par un gémissement qui a quelque chose de la plainte d’un agneau qu’on égorge, et elle se courbe, comme brisée, en tenant sa tête dans ses mains. Jésus pour ne pas la torturer ne crie plus. Mais les coups sont là, méthodiques, âpres, du fer contre le fer… et on pense que dessous c’est un membre vivant qui les reçoit.

La main droite est clouée. On passe à la gauche. Le trou ne correspond pas au carpe. Alors ils prennent une corde, lient le poignet gauche et tirent jusqu’à déboîter la jointure et arracher les tendons et les muscles sans compter qu’ils déchirent la peau déjà sciée par les cordes de la capture. L’autre main aussi doit souffrir car elle est étirée par contrecoup et autour de son clou le trou s’élargit. Maintenant on arrive à peine au commencement du métacarpe, près du poignet. Ils se résignent et ils clouent où ils peuvent, c’est-à-dire entre le pouce et les autres doigts, exactement au centre du métacarpe. Là le clou entre plus facilement, mais avec une plus grande souffrance car il doit couper des nerfs importants, si bien que les doigts restent inertes alors que ceux de la main droite ont des contractions et des tremblements qui indiquent leur vitalité. Mais Jésus ne crie plus, il pousse seulement une plainte rauque derrière ses lèvres fortement fermées, et des larmes de douleur tombent par terre après être tombées sur le bois.

Maintenant c’est le tour des pieds. À deux mètres et plus de l’extrémité de la croix il y a un petit coin, à peine suffisant pour un pied. On y porte les pieds pour voir si la mesure est bonne, et comme il est un peu bas, et que les pieds arrivent difficilement, on étire par les chevilles le pauvre Martyr. Le bois rêche de la croix frotte ainsi sur les blessures, déplace la couronne qui ainsi arrache de nouveaux cheveux et menace de tomber. Un bourreau, d’un coup de poing, la remet en place…

Maintenant ceux qui étaient assis sur la poitrine de Jésus se lèvent pour se placer sur les genoux, car Jésus a un mouvement involontaire pour retirer ses jambes en voyant briller au soleil le clou très long qui, en longueur et en largeur est le double de ceux qui ont servi pour les mains. Et ils pèsent sur les genoux écorchés, et pressent les pauvres jambes couvertes de contusions pendant que les deux autres accomplissent le travail, beaucoup plus difficile de clouer un pied sur l’autre, en cherchant à combiner ensemble les deux jointures des tarses.

Bien qu’ils s’appliquent à tenir les pieds immobiles à la cheville et aux dix doigts, contre le coin, le pied qui est dessous se déplace à cause de la vibration du clou, et ils doivent le déclouer presque parce qu’après être entré dans les parties molles, le clou, déjà épointé pour avoir traversé le pied droit, doit être amené un peu plus vers le milieu. Et ils frappent, frappent, frappent… On n’entend que le bruit atroce du marteau sur la tête du clou, car sur tout le Calvaire ce ne sont que yeux et oreilles tendues, pour recueillir tout geste et tout bruit et en jouir…

Par-dessus le son âpre du fer, on entend la plainte sourde d’une colombe : le rauque gémissement de Marie qui se courbe de plus en plus à chaque coup, comme si le marteau la blessait elle, la Mère Martyre. Et on comprend qu’elle semble près d’être brisée par cette torture. La crucifixion est redoutable, égale à la flagellation pour la douleur, plus atroce à voir car on voit le clou disparaître dans les chairs vivantes, mais en compensation, elle est plus brève. Alors que la flagellation épuise par sa durée.

Pour moi, l’Agonie du Jardin, la Flagellation et la Crucifixion sont les moments les plus atroces. Elles me dévoilent toute la torture du Christ. La mort me soulage car je me dis : « C’est fini ! » Mais elles ne sont pas la fin. Elles sont le commencement pour de nouvelles souffrances.

Maintenant la croix est traînée près du trou et elle rebondit sur le sol inégal, en secouant le pauvre Crucifié. On dresse la croix qui échappe par deux fois à ceux qui la lèvent et retombe une fois soudainement, et une autre fois sur le bras droit de la croix, en donnant un affreux tourment à Jésus, car la secousse qu’il subit déplace les membres blessés. Mais quand ensuite on laisse tomber la croix dans son trou, avant d’être immobilisée avec des pierres et de la terre, elle ondule en tous les sens en imprimant de continuels déplacements au pauvre Corps suspendu à trois clous, la souffrance doit être atroce.

Tout le poids du corps se déplace en avant et vers le bas, et les trous s’élargissent, en particulier celui de la main gauche, et s’élargit le trou des pieds alors que le sang coule plus fort. Le sang des pieds coule le long des doigts par terre et le long du bois de la croix, mais celui des mains suit les avant-bras, car ils sont plus hauts aux poignets qu’aux aisselles, par suite de la position, et il coule aussi le long des côtes en descendant de l’aisselle vers la taille. La couronne, quand la croix ondule avant d’être fixée, se déplace car la tête se rabat vers l’arrière, en enfonçant dans la nuque le gros nœud d’épines qui termine la couronne piquante, et puis revient se placer sur le front et griffe, griffe sans pitié.

Finalement la croix est bien en place et il n’y a que le tourment d’y être suspendu. On dresse aussi les larrons qui, une fois mis verticalement, crient comme si on les écorchait vifs à cause de la torture des cordes qui scient les poignets et rendent les mains noires, en gonflant les veines comme des cordes. Jésus se tait. La foule ne se tait plus, au contraire, mais reprend son vacarme infernal.

Maintenant la cime du Golgotha a son trophée et sa garde d’honneur. À la limite la plus élevée la croix de Jésus, aux côtés les deux autres. Une demi-centurie de soldats l’arme au pied tout autour du sommet, à l’intérieur de ce cercle d’hommes armés, les dix cavaliers maintenant démontés qui jouent aux dés les vêtements des condamnés. Debout, entre la croix de Jésus et celle de droite, Longin. Il semble monter la garde d’honneur au Roi Martyr. L’autre demie centurie, au repos, est aux ordres de l’aide de camp de Longin sur le sentier de gauche et sur la place plus basse, en attendant d’être employée s’il en était besoin. De la part des soldats, c’est une indifférence à peu près totale. Seul quelqu’un lève parfois son visage vers les crucifiés, Longin, au contraire, observe tout avec curiosité et intérêt, il confronte, et juge mentalement. Il confronte les crucifiés, et le Christ spécialement, avec les spectateurs. Son œil pénétrant ne perd aucun détail et, pour mieux voir, de la main il protège ses yeux car le soleil doit le gêner.

C’est en fait un soleil étrange, d’un jaune rouge d’incendie. Et puis il semble que l’incendie s’éteigne tout à coup à cause d’un nuage noir comme de la poix qui surgit de derrière les chaînes juives et qui parcourt rapidement le ciel et va disparaître derrière d’autres montagnes. Et quand le soleil revient il est si vif que l’œil ne le supporte que difficilement.

En regardant il voit Marie juste au-dessous du talus, qui tient levé vers son Fils son visage déchiré. Il appelle un des soldats qui jouent aux dés et lui dit : « Si la Mère veut monter avec le fils qui l’accompagne, qu’elle vienne. Accompagne-la et aide-la. »

Et Marie avec Jean, que l’on croit son fils, monte par un petit escalier creusé dans le tufeau, je crois, et franchit le cordon de soldats pour aller au pied de la croix, mais un peu à l’écart pour être vue et pour voir son Jésus. La foule lui déverse aussitôt les insultes les plus outrageantes, en la joignant dans les blasphèmes à son Fils. Mais elle, de ses lèvres tremblantes et blanches, cherche seulement à le réconforter, avec un sourire déchiré sur lequel viennent s’essuyer les larmes qu’aucune force de volonté ne réussit à retenir dans les yeux.

Les gens, en commençant par les prêtres, scribes, pharisiens, sadducéens, hérodiens et autres de même acabit, se procurent le divertissement de faire une sorte de carrousel en montant par le chemin à pic, en passant le long de la hauteur terminale et en redescendant par l’autre chemin, ou vice versa. Et en passant au pied de la cime, sur la seconde petite place, ils ne manquent pas d’offrir leurs paroles blasphématrices en hommage au Mourant. Toute la turpitude, la cruauté, toute la haine et la folie dont les hommes sont capables avec la langue sortent à flots de ces bouches infernales. Les plus acharnés sont les membres du Temple avec les pharisiens pour les aider.

« Eh bien ? Toi, Sauveur du genre humain, pourquoi ne te sauves-tu pas ? Il t’a abandonné ton roi Belzébuth ? Il t’a renié ? » crient trois prêtres.

Et une bande de juifs : « Toi qui pas plus tard qu’il y a cinq jours, avec l’aide du démon, faisais dire au Père… ah ! ah ! ah ! qu’il t’aurait glorifié, comment donc ne Lui rappelles-tu pas de tenir sa promesse ? »

Et trois pharisiens : « Blasphémateur ! Il a sauvé les autres, disait-il, avec l’aide de Dieu ! Et il ne réussit pas à se sauver Lui-même ! Tu veux qu’on te croie ? Alors fais le miracle. Tu ne peux, hein ? Maintenant tu as les mains clouées, et tu es nu. »

Et des sadducéens et des hérodiens aux soldats : « Gare à l’envoûtement, vous qui avez pris ses vêtements ! Il a en Lui le signe infernal ! »

Une foule en chœur: « Descends de la croix et nous croirons en Toi. Toi qui détruis le Temple… Fou !… Regarde-la, le glorieux et saint Temple d’Israël. Il est intouchable, ô profanateur ! Et Toi, tu meurs. »

D’autres prêtres : « Blasphémateur ! Toi, Fils de Dieu ? Et descends de là, alors. Foudroies-nous si tu es Dieu. Nous ne te craignons pas et nous crachons vers Toi. »

D’autres qui passent et hochent la tête : « Il ne sait que pleurer. Sauve-toi, s’il est vrai que tu es l’Élu ! »

Les soldats: « Et sauve-toi, donc ! Réduis en cendres cette subure de la subure ! Oui ! Subure de l’empire, voilà ce que vous êtes, canailles de juifs. Fais-le ! Rome te mettra au Capitole et t’adorera comme une divinité ! »

Les prêtres avec leurs compères : « Ils étaient plus doux les bras des femmes que ceux de la croix, n’est-ce pas ? Mais regarde : ils sont déjà prêts à te recevoir tes… (et ils disent un terme infâme). Tu as Jérusalem toute entière pour te servir de paranymphe » et ils sifflent comme des charretiers.

D’autres lancent des pierres : « Change-les en pains, Toi qui multiplies les pains. »

D’autres en singeant les hosannas du dimanche des palmes, lancent des branches, et crient : « Maudit celui qui vient au nom du Démon ! Maudit son royaume ! Gloire à Sion qui le sépare du milieu des vivants ! »

Un pharisien se place en face de la croix, il montre le poing en Lui faisant les cornes et il dît : « Je te confie au Dieu de Sinaï » disais-tu ? Maintenant le Dieu du Sinaï te prépare au feu éternel. Pourquoi n’appelles-tu pas Jonas pour qu’il te rende un bon service? »

Un autre : « N’abîme pas la croix avec les coups de ta tête. Elle doit servir pour tes fidèles. Une légion entière en mourra sur ton bois. Je te le jure sur Jéhovah. Et pour commencer j’y mettrai Lazare. Nous verrons si tu l’enlèves à la mort, maintenant. »

« Oui ! Oui ! Allons chez Lazare. Clouons-le de l’autre côté de la croix » et comme des perroquets, ils imitent la parole lente de Jésus en disant : « Lazare, mon ami, viens dehors ! Déliez-le et laissez-le aller. »

« Non ! Il disait à Marthe et à Marie, ses femmes: « Je suis la Résurrection et la Vie ». Ah ! Ah ! Ah ! La Résurrection ne sait pas repousser la mort, et la Vie meurt ! »

« Voici Marie avec Marthe. Demandons-leur où est Lazare et allons le chercher. » Et ils s’avancent vers les femmes pour leur demander avec arrogance : « Où est Lazare ? Au palais ? »

Et Marie-Madeleine, alors que les autres femmes terrorisées fuient derrière les bergers, s’avance, retrouvant dans sa douleur sa vieille hardiesse du temps du péché, et elle dit : « Allez. Vous trouverez déjà au palais les soldats de Rome et cinq cents hommes armés de mes terres et ils vous castreront comme de vieux boucs destinés aux repas des esclaves aux meules. »

« Effrontée ! C’est ainsi que tu parles aux prêtres ? »

« Sacrilèges ! Infâmes ! Maudits ! Tournez-vous ! Derrière vous, vous avez, je le vois, les langues des flammes infernales. »

Les lâches se tournent, vraiment terrorisés, tant est assurée l’affirmation de Marie, mais s’ils n’ont pas les flammes derrière eux, ils ont aux reins les lances romaines bien pointues. En effet Longin a donné un ordre et la demi-centurie, qui était au repos, est entrée en faction et elle pique aux fesses les premiers qu’elle trouve. Ceux-ci s’enfuient en criant et la demi-centurie reste pour fermer l’entrée des deux chemins et pour faire un barrage à la petite place. Les juifs crient des imprécations, mais Rome est la plus forte.

La Magdeleine rabaisse son voile — elle l’avait levé pour parler à ceux qui les insultaient — et revient à sa place. Les autres se joignent à elle.

Mais le larron de gauche continue ses insultes du haut de sa croix. Il semble qu’il ait voulu rassembler tous les blasphèmes d’autrui et il les débite tous, en disant pour finir : « Sauve-toi et sauve-nous, si tu veux que l’on te croie. Le Christ, Toi ? Tu es un fou ! Le monde appartient aux fourbes et Dieu n’existe pas. Moi j’existe. Cela est vrai, et pour moi tout est permis. Dieu ? Fariboles ! Mises pour nous tenir tranquilles. Vive notre moi ! Lui seul est roi et dieu ! »

L’autre larron, celui de droite, a Marie presque à ses pieds et il la regarde presque plus qu’il ne regarde le Christ. Depuis un moment il pleure en murmurant : « La mère », il dit : « Tais-toi. Tu ne crains pas Dieu, même maintenant que tu souffres cette peine ? Pourquoi insultes-tu celui qui est bon ? Et son supplice est encore plus grand que le nôtre. Et il n’a rien fait de mal. »

Mais l’autre continue ses imprécations.

Jésus se tait. Haletant à cause de l’effort que Lui impose sa position, à cause de la fièvre et de son état cardiaque et respiratoire, conséquence de la flagellation subie sous une forme aussi violente, et aussi de l’angoisse profonde qui Lui avait fait suer sang, il cherche à se procurer un soulagement, en allégeant le poids qui pèse sur ses pieds, en se suspendant à ses mains par la force des bras. Peut-être le fait-il pour vaincre un peu la crampe qui déjà tourmente ses pieds et que trahit un frémissement musculaire. Mais le même frémissement affecte les fibres des bras qui sont forcés dans cette position et doivent être gelés à leurs extrémités parce que placés plus haut et délaissés par le sang qui arrive difficilement aux poignets et puis coule par les trous des clous en laissant les doigts sans circulation. Surtout ceux de gauche sont déjà cadavériques et restent sans mouvement, repliés vers la paume. Même les doigts des pieds expriment leur tourment. En particulier les gros orteils, peut-être parce que leur nerf est moins blessé, se lèvent, s’abaissent, s’écartent.

Le tronc ensuite révèle toute sa peine avec son mouvement rapide mais sans profondeur qui le fatigue sans le soulager. Les côtes, très larges et élevées d’elles-mêmes, car la structure de ce Corps est parfaite, sont maintenant dilatées plus qu’il ne faut à cause de la position prise par le corps et de l’œdème pulmonaire qui s’est sûrement formé à l’intérieur. Et pourtant elles ne servent pas à alléger l’effort respiratoire d’autant plus que tout l’abdomen aide par son mouvement le diaphragme qui se paralyse de plus en plus.

La congestion et l’asphyxie grandissent de minute en minute, comme l’indique la couleur cyanotique qui souligne les lèvres d’un rosé allumé par la fièvre, et les étirements d’un rouge violet qui badigeonne le cou le long des veines jugulaires gonflées, et s’élargissent jusqu’aux joues, vers les oreilles et les tempes, alors que le nez est effilé et exsangue et que les yeux s’enfoncent en un cercle, qui est livide là où il est privé du sang que la couronne a fait couler.

Sous l’arc costal gauche on voit le coup propagé à partir de la pointe du cœur, irrégulier, mais violent, et de temps en temps, par l’effet d’une convulsion interne, le diaphragme a un frémissement profond qui se manifeste par une détente totale de la peau dans la mesure où elle peut s’étendre sur ce pauvre Corps blessé et mourant.

Le visage a déjà l’aspect que nous voyons dans les photographies du Linceul, avec le nez dévié et gonflé d’un côté, et même le fait de tenir l’œil droit presque fermé, à cause de l’enflure qui existe de ce côté, augmente la ressemblance. La bouche, au contraire, est ouverte, avec sa blessure sur la lèvre supérieure désormais réduite à une croûte.

La soif, donnée par la perte de sang, par la fièvre et par le soleil, doit être intense, au point que Lui, par un mouvement machinal, boit les gouttes de sa sueur et de ses larmes, et aussi les gouttes de sang qui descendent du front jusqu’à ses moustaches, et il s’en humecte la langue… La couronne d’épines l’empêche de s’appuyer au tronc de la croix pour aider la suspension par les bras et soulager les pieds. Les reins et toute l’épine dorsale se courbent vers l’extérieur en restant détachés du tronc de la croix à partir du bassin vers le haut, à cause de la force d’inertie qui fait pencher en avant un corps suspendu comme était le sien.

Les juifs, repoussés au-delà de la petite place, ne cessent pas leurs insultes et le larron impénitent leur fait écho. L’autre, qui maintenant regarde la Mère avec une pitié toujours plus grande, et pleure, lui riposte âprement quand il se rend compte qu’elle aussi est comprise dans l’insulte.

« Tais-toi ! Rappelle-toi que tu es né d’une femme. Et réfléchis que les nôtres ont pleuré à cause de leurs fils, et ce furent des larmes de honte… parce que nous sommes des criminels. Nos mères sont mortes… Je voudrais pouvoir lui demander pardon… Mais le pourrai-je ? C’était une sainte… Je l’ai tuée par la douleur que je lui ai donnée… Je suis un pécheur… Qui me pardonne ? Mère, au nom de ton Fils mourant, prie pour moi. »

La Mère lève un moment son visage torturé et elle le regarde, ce malheureux qui à travers le souvenir de sa mère et la contemplation de la Mère va vers le repentir, et elle paraît le caresser de son regard de colombe.

Dismas pleure plus fort, ce qui déchaîne encore plus les moqueries de la foule et de son compagnon. La première crie : « Bravo ! Prends-la pour mère. Ainsi elle a deux fils criminels ! » Et l’autre renchérit : « Elle t’aime car tu es une copie mineure de son bien-aimé. »

Jésus parle pour la première fois : « Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Cette prière vainc toute crainte chez Dismas. Il ose regarder le Christ et dit : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume. Pour moi, il est juste que je souffre ici. Mais donne-moi miséricorde et paix au-delà de la vie. Une fois je t’ai entendu parler et, dans ma folie, j’ai repoussé ta parole. Maintenant je m’en repens. De mes péchés, je me repens devant Toi, Fils du Très-Haut. Je crois que tu viens de Dieu. Je crois en ton pouvoir. Je crois en ta miséricorde. Christ, pardonne-moi au nom de ta Mère et de ton Père très Saint. »

Jésus se tourne et le regarde avec une profonde pitié et il a un sourire encore très beau sur sa pauvre bouche torturée. Il dit : « Moi, je te le dis : aujourd’hui tu seras avec Moi au Paradis. »

Le larron repenti se calme et, ne sachant plus les prières apprises pendant son enfance, il répète comme une oraison jaculatoire : « Jésus Nazaréen, roi des juifs, aie pitié de Moi. Jésus Nazaréen, roi des juifs, j’espère en Toi. Jésus Nazaréen, roi des juifs, je crois à ta Divinité. »

L’autre persiste dans ses blasphèmes.

Le ciel devient toujours plus sombre. Maintenant c’est difficilement que les nuages s’ouvrent pour laisser passer le soleil. Mais ils s’amoncellent en couches de plus en plus sombres, blanches, verdâtres, se surmontent, se démêlent selon les caprices d’un vent froid qui parcourt le ciel à intervalles et puis descend sur la terre et puis se tait de nouveau, et l’air est presque plus sinistre quand il se tait, étouffant et mort, que quand il siffle, coupant et rapide.

La lumière, d’abord vive outre mesure, est en train de devenir verdâtre. Les visages prennent des aspects bizarres. Les soldats, sous leurs casques et dans leurs cuirasses d’abord brillantes et devenues maintenant comme enveloppées dans une lumière verdâtre et sous un ciel de cendre, présentent des profils durs comme s’ils étaient sculptés. Les juifs, en majorité bruns de peau et de cheveux et de barbe, paraissent des noyés tant leurs visages deviennent terreux. Les femmes semblent des statues de neige bleutée à cause de leur pâleur exsangue que la lumière accentue.

Jésus semble devenir sinistrement livide, comme s’il commençait à se décomposer, comme s’il était déjà mort. La tète commence à retomber sur la poitrine. Ses forces manquent rapidement. Il tremble malgré la fièvre qui le brûle. Et dans sa faiblesse, il murmure le nom que d’abord il a seulement dit du fond du cœur : « Maman ! » « Maman ! ». Il le murmure doucement comme dans un soupir, comme s’il éprouvait déjà un léger délire qui l’empêche de retenir autant que sa volonté le voudrait. Et Marie chaque fois ne peut s’empêcher de Lui tendre les bras comme pour le secourir.

Les gens cruels rient de ce spasme du Mourant et de celle qui le partage. Ils montent de nouveau par derrière les bergers, qui cependant sont sur la petite place basse, les prêtres et les scribes. Comme les soldats voudraient les repousser, ils réagissent en disant : « N’y sont-ils pas ces galiléens ? Nous devons y être nous aussi qui devons vérifier que justice soit faite complètement, et nous ne pouvons pas voir de loin dans cette lumière étrange. »

En fait beaucoup commencent à s’impressionner de la lumière qui est en train d’envelopper le monde et certains ont peur. Les soldats aussi regardent le ciel et une sorte de cône qui semble de l’ardoise tant il est sombre, qui s’élève comme un pin de derrière un sommet. Il semble que ce soit une trombe marine. Il s’élève, s’élève et il semble qu’il produise des nuages de plus en plus noirs, comme si c’était un volcan vomissant de la fumée et de la lave.

C’est dans cette lumière crépusculaire et effrayante que Jésus donne Jean à Marie et Marie à Jean. Il penche la tête car la Mère, pour mieux voir, s’est mise plus près sous la croix, et il lui dit: « Femme, voilà ton fils. Fils, voilà ta Mère. »

Marie a le visage encore plus bouleversé après cette parole qui est le testament de son Jésus, qui n’a rien à donner à sa Mère sinon un homme, Lui, qui par amour de l’Homme, la prive de l’Homme-Dieu qui est né d’elle. Mais elle, la pauvre Mère, s’efforce de ne pleurer que silencieusement car elle ne peut pas, elle ne peut pas ne pas pleurer… Ses larmes coulent malgré les efforts qu’elle fait pour les retenir, bien que sa bouche ait son sourire déchirant qu’elle fixe sur ses lèvres pour Lui, pour le réconforter Lui…

Les souffrances ne cessent de grandir et la lumière ne cesse de décroître.

C’est dans cette lumière de fond marin que sortent de derrière les juifs Nicodème et Joseph, et ils disent : « Écartez-vous ! »

« Impossible ! Que voulez-vous? » disent les soldats.

« Passer. Nous sommes des amis du Christ. »

Les chefs des prêtres se tournent: « Qui ose se déclarer comme ami du rebelle ? » disent les prêtres indignés.

Et Joseph, résolument : « Moi, noble membre du Grand Conseil : Joseph d’Arimathie, l’Ancien, et j’ai avec moi Nicodème, chef des juifs. »

« Qui pactise avec le rebelle est un rebelle. »

« Et qui pactise avec les assassins est un assassin, Éléazar d’Anna. J’ai vécu en juste. Et maintenant je suis âgé et près de mourir. Je ne veux pas devenir injuste alors que déjà le Ciel descend sur moi et avec Lui le Juge éternel. »

« Et toi, Nicodème ! Je m’étonne ! »

« Moi aussi, et d’une seule chose : qu’Israël soit tellement corrompu qu’il ne sait plus reconnaître Dieu. »

« Tu me dégoûtes. »

« Écarte-toi alors, et laisse-moi passer. Je ne demande que cela. »

« Pour te contaminer davantage ? »

« Si je ne me suis pas contaminé en restant près de vous, rien ne me contamine plus. Soldat, pour toi la bourse et le billet de laissez-passer. » Et il passe au décurion le plus proche une bourse et une tablette de cire.

Le décurion en prend connaissance et il dit aux soldats : « Laissez passer les deux. »

Joseph et Nicodème s’approchent des bergers. Je ne sais même pas si Jésus les voit, dans ce brouillard de plus en plus épais et avec son œil qui déjà se voile dans l’agonie. Mais ils le voient et ils pleurent sans respect humain, bien que sur eux s’acharnent les imprécations des prêtres.

Les souffrances sont toujours plus fortes. Le corps éprouve les premières cambrures de la tétanie et chaque clameur de la foule les exaspère. La mort des fibres et des nerfs s’étend des extrémités torturées au tronc, rendant de plus en plus difficile le mouvement de la respiration, plus faible la contraction diaphragmatique et plus désordonné le mouvement cardiaque. Le visage du Christ passe alternativement d’une rougeur intense à la pâleur verdâtre de celui qui meurt par hémorragie. La bouche se meut avec une fatigue plus grande car les nerfs surfatigués du cou et de la tête elle-même, qui des dizaines de fois ont servi de levier à tout le corps, en s’arc-boutant sur la barre transversale de la croix, propagent la crampe jusqu’aux mâchoires.

La gorge, enflée par les carotides engorgées, doit faire mal et doit étendre son œdème à la langue qui paraît grossie et dont les mouvements sont très lents. La colonne vertébrale, même dans les moments où les contractions tétanisantes ne la courbent pas en un arc complet de la nuque aux anches, appuyées comme points extrêmes au tronc de la croix, se courbe de plus en plus en avant, car les membres ne cessent de s’alourdir du poids de la chair morte.

Les gens voient ces choses peu et mal car la lumière est désormais couleur de cendre sombre et seuls peuvent bien voir ceux qui sont au pied de la croix.

Jésus à un certain moment s’affaisse tout entier vers l’avant et le bas, comme s’il était déjà mort, il n’halète plus, la tête pend inerte en avant. Le corps, depuis les anches vers le haut, est complètement détaché en faisant un angle avec les bras de la croix.

Marie pousse un cri : « Il est mort ! » Un cri tragique qui se propage dans l’air obscurci. Et Jésus semble réellement mort.

Un autre cri de femme lui répond, et dans le groupe des femmes je vois un mouvement. Puis une dizaine de personnes s’éloignent en soutenant quelque chose, mais je ne puis voir qui s’éloigne ainsi. Elle est trop faible la lumière brumeuse. On dirait que l’on est plongé dans une nuée épaisse de cendres volcaniques.

« Ce n’est pas possible » crient des prêtres et des juifs. « C’est une feinte pour nous éloigner. Soldat, pique-le de ta lance. C’est un bon remède pour Lui rendre la voix. » Et comme les soldats ne le font pas, une volée de pierres et de mottes de terre volent vers la croix, frappant le Martyr et retombant sur les cuirasses romaines.

Le remède, comme disent ironiquement les juifs, opère le prodige. Certainement une pierre a frappé adroitement peut-être la blessure d’une main ou la tête elle-même, car ils visaient vers le haut. Jésus pousse un gémissement pitoyable et revient à Lui. Le thorax recommence à respirer avec beaucoup de peine et la tête à se tourner de droite à gauche en cherchant un endroit pour se poser afin de moins souffrir, sans trouver autre chose qu’une peine plus grande.

Avec une grande peine, en s’appuyant une fois encore sur ses pieds torturés, trouvant de la force dans sa volonté, uniquement en elle, Jésus se raidit sur la croix, se dresse comme s’il était un homme sain dans toute sa force, il lève son visage en regardant avec des yeux bien ouverts le monde qui s’étend à ses pieds, la ville lointaine qu’on entrevoit à peine comme une vague blancheur dans la brume, et le ciel noir où tout azur et toute trace de lumière ont disparu.

Et vers ce ciel fermé, compact, bas, semblable à une énorme plaque d’ardoise sombre, il pousse un grand cri, triomphant par la force de sa volonté, par le besoin de son âme, de l’obstacle des mâchoires raidies, de sa langue enflée, de sa gorge gonflée : « Eloi, Eloi, lamma scébacténi ! » (je l’entends parler ainsi).

Il doit se sentir mourir, et dans un abandon absolu du Ciel, pour reconnaître par un tel cri l’abandon paternel.

Les gens rient et se moquent. Ils l’insultent : « Dieu n’a que faire de Toi ! Les démons sont maudits de Dieu ! »

D’autres crient : « Voyons si Élie qu’il appelle vient le sauver. »

Et d’autres : « Donnez-lui un peu de vinaigre, pour qu’il se gargarise la gorge. C’est bon pour la voix ! Élie ou Dieu, car on ne sait pas ce que veut le fou, sont loin… Il faut de la voix pour se faire entendre ! » Et ils rient comme des hyènes ou comme des démons.

Mais aucun soldat ne donne du vinaigre et personne ne vient du Ciel pour le réconforter. C’est l’agonie solitaire, totale, cruelle, même surnaturellement cruelle, de la Grande Victime.

Elles reviennent les avalanches de douleur désolée qui déjà l’avaient accablé au Gethsémani. Elle revient la marée des péchés du monde entier pour frapper le naufragé innocent, pour l’engloutir dans leur amertume. Elle revient surtout la sensation, plus crucifiante que la croix elle-même, plus désespérante que toute torture, que Dieu l’a abandonné et que sa prière ne monte pas vers Lui…

Et c’est le tourment final. Celui qui accélère la mort car il exprime les dernières gouttes de sang des pores, parce qu’il écrase les dernières fibres du cœur, car il termine ce que la première connaissance de cet abandon a commencé : la mort. Car c’est de cela comme première cause qu’est mort mon Jésus, ô Dieu qui l’as frappé à cause de nous !

Après ton abandon, par l’effet de ton abandon, que devient une créature ? Ou un fou, ou un mort. Jésus ne pouvait pas devenir fou car son intelligence était divine et, spirituelle comme l’est l’intelligence, elle triomphait du traumatisme total de Celui que Dieu frappait. Il devint donc un mort : le Mort, le très Saint Mort, le Mort absolument Innocent. Mort, Lui qui était la Vie, tué par ton abandon et par nos péchés.

L’obscurité devient encore plus épaisse. Jérusalem disparaît complètement. Les pentes du Calvaire lui-même semblent s’annuler. Seule la cime est visible, comme si les ténèbres la surélevaient pour recueillir l’unique et dernière lumière qui restait, en la plaçant comme pour une offrande avec son trophée divin, sur une nappe d’onyx liquide, pour qu’elle soit vue par l’amour et par la haine.

Et de cette lumière qui n’est pas de la lumière vient la voix plaintive de Jésus : « J’ai soif ! »

Il y a en effet un vent qui altère même ceux qui sont en bonne santé, un vent continu, maintenant, violent, chargé de poussière, froid, effrayant. Je pense à la douleur qu’il aura donnée par son souffle violent aux poumons, au cœur, au gosier de Jésus, à ses membres glacés, engourdis, blessés. Mais vraiment tout s’est mis à torturer le Martyr.

« Un soldat va à un vase où les aides du bourreau ont mis du vinaigre avec du fiel parce que, par son amertume, il augmente la salivation chez les suppliciés. Il prend l’éponge plongée dans le liquide, l’enfile au bout d’un roseau fin et pourtant rigide qui est déjà préparé tout près, et il présente l’éponge au Mourant. Jésus se tend avidement vers l’éponge qui approche. On dirait un enfant affamé qui cherche le sein maternel.

Marie qui voit et certainement a cette pensée, gémit, en s’appuyant sur Jean : « Oh ! et je ne puis même pas Lui donner une goutte de mes pleurs… Oh ! mon sein pourquoi ne donnes-tu plus le lait ? Oh ! Dieu pourquoi, pourquoi nous abandonnes-tu ainsi ? Un miracle pour mon Fils ! Qui me soulève pour que je le désaltère de mon sang, puisque je n’ai pas de lait ?… »

Jésus, qui a sucé avidement l’âpre et amère boisson, détourne la tète dégoûté. Cette boisson doit en plus brûler les lèvres blessées et gercées. Il se retire, s’affaisse, s’abandonne.

Tout le poids du corps retombe sur les pieds et en avant. Ce sont les extrémités blessées qui souffrent la peine atroce de s’ouvrir sous le poids d’un corps qui s’abandonne. Plus un mouvement pour soulager cette douleur. Depuis le bassin jusqu’en haut, tout est détaché du bois et reste ainsi.

La tête pend en avant si pesamment que le cou paraît creusé en trois endroits : à la gorge, complètement enfoncée, et de part et d’autre du sterno-cléido-mastoïdien. La respiration est de plus en plus haletante et entrecoupée. C’est déjà plus un râle syncopé qu’une respiration. De temps à autre un accès de toux pénible apporte aux lèvres une écume légèrement rosée. Les intervalles entre deux expirations deviennent toujours plus longs. L’abdomen est déjà immobile. Seul le thorax se soulève encore, mais avec beaucoup de difficulté et de peine… La paralysie pulmonaire s’accentue toujours plus.

Et toujours plus faible, se transformant en une plainte enfantine, l’appel : « Maman ! » Et la malheureuse murmure : « Oui, mon Trésor, je suis ici. » Et quand la vue qui se voile Lui fait dire : « Maman, où es-tu ? Je ne te vois plus. Toi aussi tu m’abandonnes ? » ce n’est même plus une parole, mais un murmure à peine audible pour qui recueille avec le cœur plutôt qu’avec l’ouïe tous les soupirs du Mourant. Elle dit : « Non, non, Fils ! Moi je ne t’abandonne pas ! Écoute-moi, mon aimé… Maman est ici, elle est ici… et son seul tourment est de ne pas pouvoir venir où tu es… »

C’est un déchirement… Et Jean pleure sans retenue. Jésus doit entendre ses sanglots, mais il ne dit rien. Je pense que la mort imminente le fait parler comme s’il délirait et ne sait même pas ce qu’il dit et, malheureusement, ne comprend pas même le réconfort maternel et l’amour du Préféré.

Longin — qui sans le remarquer a quitté son attitude de repos avec les mains croisées sur la poitrine et les jambes croisées, à cause de la longueur de l’attente repose tantôt un pied tantôt l’autre, et maintenant au contraire se raidit dans le garde-à-vous, la main gauche sur son épée, la main droite pendant le long de son côté comme s’il était sur les marches du trône impérial — ne veut pas s’émouvoir. Mais son visage s’altère dans l’effort qu’il fait pour vaincre l’émotion et ses yeux brillent d’une larme que seule retient sa discipline de fer.

Les autres soldats, qui jouaient aux dés, ont cessé, et se sont levés pour remettre les casques qui avaient servi pour agiter les dés, et se tiennent en groupe près du petit escalier creusé dans le tuffeau, silencieux, attentifs. Les autres sont de service et ne peuvent changer de position. On dirait des statues. Mais l’un des plus proches et qui entend les paroles de Marie, bougonne quelque chose entre ses lèvres et hoche la tête.

Un silence. Puis nette dans l’obscurité totale la parole : « Tout est accompli ! » et ensuite c’est le halètement de plus en plus rauque avec, entre les râles, des intervalles de silence de plus en plus longs.

Le temps court sur ce rythme angoissé. La vie revient quand l’air est rompu par le halètement âpre du Mourant… La vie cesse quand ce son pénible ne s’entend plus.

On souffre de l’entendre… on souffre de ne pas l’entendre… On dit : « C’est assez de souffrance ! » et on dit : « Oh Dieu ! que ce ne soit pas son dernier soupir. »

Toutes les Marie pleurent, la tête contre le talus. Et on entend bien leurs sanglots car maintenant toute la foule se tait de nouveau pour recueillir les râles du Mourant.

Encore un silence. Puis, prononcée avec une infinie douceur, dans une ardente prière, la supplication: « Père, entre tes mains je remets mon esprit ! »

Encore un silence. Le râle aussi devient léger. Ce n’est plus qu’un souffle qui sort des lèvres et de la gorge.

Puis, voilà, le dernier spasme de Jésus. Une convulsion atroce, qui paraît vouloir arracher du bois le corps qui y est fixé par trois clous, monte par trois fois des pieds à la tête, court à travers tous les pauvres nerfs torturés; soulève trois fois l’abdomen d’une manière anormale, puis le laisse après l’avoir dilaté comme par un bouleversement des viscères, et il retombe et se creuse comme s’il était vidé; elle se lève, gonfle, resserre si fortement le thorax que la peau se creuse entre les côtes qui se tendent en apparaissant sous l’épidémie et rouvrant les blessures de la flagellation; elle porte violemment en arrière une, deux, trois fois la tête qui frappe durement contre le bois; elle contracte en un seul spasme tous les muscles du visage, en accentuant la déviation de la bouche à droite, elle fait ouvrir et dilater les paupières sous lesquelles on voit rouler le globe oculaire et apparaître la sclérotique. Le corps se tend tout entier; dans la dernière des trois contractions c’est un arc tendu, vibrant, terrible à voir, et puis un cri puissant, impensable en ce corps épuisé, se dégage, déchire l’air, le « grand cri » dont parlent les Évangiles et qui est la première partie du mot « Maman »… Et plus rien…

La tête retombe sur la poitrine, le corps en avant, le frémissement cesse et cesse aussi la respiration.

Il a expiré.

La Terre répond au cri de Celui qu’on a tué par un grondement effrayant. Il semble que de mille trombes des géants font sortir un son unique et, sur cet accord terrifiant, voici les notes isolées, déchirantes des éclairs qui sillonnent le ciel en tous sens, tombant sur la ville, sur le Temple, sur la foule… Je crois qu’il y aura eu des gens foudroyés car la foule est frappée directement. Les éclairs sont l’unique lumière et irrégulière qui permette de voir.

Et puis tout à coup, pendant que durent encore les décharges de la foudre, la terre s’ébranle en un tourbillon de vent cyclonique. Le tremblement de terre et la trombe d’air se fondent pour donner un châtiment apocalyptique aux blasphémateurs. Le sommet du Golgotha ondule et danse comme un plat dans la main d’un fou, dans les secousses sussultoires et ondulatoires qui secouent tellement les trois croix qu’il semble qu’elles doivent les renverser.

Longin, Jean, les soldats s’accrochent où ils peuvent, comme ils peuvent, pour ne pas tomber. Mais Jean pendant qu’avec un bras il se tient à la croix, avec l’autre soutient Marie qui, à cause de sa douleur et des secousses, s’abandonne sur son cœur. Les autres soldats, et surtout ceux du côté en pente, ont dû se réfugier au milieu pour ne pas être jetés en bas de la pente. Les larrons crient de terreur, la foule crie encore plus fort et voudrait s’enfuir, mais elle ne le peut. Les gens tombent les uns sur les autres, s’écrasent, se précipitent dans les fentes du sol, se blessent, roulent le long de la pente, deviennent fous.

Par trois fois se répète le tremblement de terre et la trombe d’air et puis c’est l’immobilité absolue d’un monde mort. Seuls des éclairs, mais sans tonnerre, sillonnent encore le ciel et éclairent la scène des juifs qui fuient dans tous les sens, les mains dans les cheveux, ou tendues en avant, ou levées vers le ciel, méprisé jusque là et dont maintenant ils ont peur. L’obscurité est tempérée par une lueur lumineuse qui, aidée par l’émission silencieuse et magnétique des éclairs, permet de voir que beaucoup restent sur le sol : morts ou évanouis, je ne sais. Une maison brûle à l’intérieur des murs et les flammes s’élèvent droites dans l’air immobile, mettant une nuance de rouge vif sur le vert cendre de l’atmosphère.

Marie lève sa tête de dessus la poitrine de Jean et regarde son Jésus. Elle l’appelle car elle le voit mal dans la faible lumière et avec ses pauvres yeux pleins de larmes. Trois fois elle l’appelle : « Jésus ! Jésus ! Jésus ! » C’est la première fois qu’elle l’appelle par son nom depuis qu’il est sur le Calvaire. Enfin, dans un éclair qui fait une sorte de couronne sur la cime du Golgotha, elle le voit, immobile, tout penché en avant, avec la tête tellement inclinée en avant, et à droite, au point de toucher l’épaule avec la joue et les côtes avec le menton, et elle comprend. Elle tend ses mains qui tremblent dans l’air obscurci et crie : « Mon Fils ! Mon Fils ! Mon Fils ! » Puis elle écoute… Elle a la bouche ouverte, elle semble vouloir écouter même avec elle, comme elle a les yeux dilatés pour voir, pour voir… Elle ne peut croire que son Jésus n’est plus…

Jean lui aussi a regardé et écouté et il a compris que tout est fini. De ses bras il saisit Marie et cherche à l’éloigner en disant: « Il ne souffre plus. »

Mais avant que l’apôtre termine la phrase, Marie, qui a compris, se dégage, tourne sur elle-même, se penche vers le sol, porte les mains à ses yeux et crie : « Je n’ai plus de Fils ! »

Et puis elle vacille et tomberait si Jean ne la recueillait toute sur son cœur, puis il s’assoit par terre pour mieux la soutenir sur sa poitrine, jusqu’à ce que les Marie remplacent l’apôtre auprès de la Mère. Elles, en effet, ne sont plus retenues par le cercle supérieur des soldats, car, maintenant que les juifs se sont enfuis, ils se sont rassemblés sur la petite place qui est au-dessous pour commenter l’événement.

La Magdeleine s’assoit où était Jean, et allonge presque Marie sur ses genoux, la soutenant entre ses bras et sa poitrine, baisant son visage exsangue, renversé sur son épaule compatissante. Marthe et Suzanne, avec une éponge et un linge trempés dans le vinaigre, lavent ses tempes et ses narines, pendant que sa belle-sœur lui baise les mains en l’appelant d’une voix déchirante, et dès que Marie rouvre les yeux, et tourne vers elle un regard que la douleur rend pour ainsi dire hébété, elle lui dit : « Fille, fille chérie, écoute… dis-moi que tu me vois… Je suis ta Marie… Ne me regarde pas ainsi !… » Et après que le premier sanglot a ouvert la gorge de Marie et que les premières larmes tombent, elle, la bonne Marie d’Alphée, dit : « Oui, oui, pleure… Ici avec moi, comme près d’une maman, ma pauvre, sainte fille », et quand elle l’entend dire : « Oh ! Marie ! Marie ! tu as vu ? », elle dit en gémissant : « Oui ! oui… mais… mais… fille… oh ! fille !… » Elle ne trouve pas autre chose et elle pleure la vieille Marie, des pleurs désolés auxquels font écho toutes les autres, c’est-à-dire Marthe et Marie, la mère de Jean et Suzanne.

Les autres pieuses femmes ne sont plus là. Je pense qu’elles sont parties et avec elles les bergers, quand on a entendu ce cri de femme…

Les soldats parlent entre eux. :

« Tu as vu les juifs ? Maintenant, ils avaient peur. »

« Et ils se frappaient la poitrine. »

« Les plus terrifiés c’étaient les prêtres ! »

« Quelle peur ! J’ai senti d’autres tremblements de terre. Mais jamais comme celui-là. Regarde : la terre est restée pleine de crevasses. »

« Et il s’est effondré tout un passage de la longue route. »

« Et dessous, il y a des corps. »

« Laisse-les ! Autant de serpents de moins. »

« Oh ! un autre incendie ! Dans la campagne… »

« Mais est-il vraiment mort ? »

« Et tu ne vois pas ? Tu en doutes ? »

Apparaissent de derrière la roche Joseph et Nicodème. Certainement ils s’étaient réfugiés derrière l’abri de la montagne pour se sauver de la foudre. Ils vont trouver Longin. « Nous voulons le Cadavre. »

« Seul le Proconsul l’accorde. Allez, et vite, car j’ai entendu dire que les juifs veulent aller au Prétoire et obtenir le brisement des jambes. Je ne voudrais pas qu’ils Lui fassent affront. »

« Comment le sais-tu ? »

« Rapport de l’enseigne. Allez. Je vous attends. »

Les deux se précipitent par la descente rapide et disparaissent.

C’est alors que Longin s’approche de Jean et lui dit un mot que je ne comprends pas, puis il se fait donner une lance par un soldat. Il regarde les femmes qui s’occupent toutes de Marie qui reprend lentement des forces. Elles tournent toutes le dos à la croix.

Longin se met en face du Crucifié, étudie bien le coup, et puis le donne. La large lance pénètre profondément de bas en haut, de droite à gauche.

Jean qui se débat entre le désir de voir et l’horreur de la vision, tourne la tête un instant.

« C’est fait, ami, dit Longin et il ajoute : C’est mieux ainsi. Comme à un cavalier, et sans briser les os… c’était vraiment un Juste ! »

De la blessure suinte beaucoup d’eau et à peine un filet de sang qui déjà forme des grumeaux. Suinte, ai-je dit. Il ne sort qu’en filtrant par la coupure nette qui reste inerte. S’il avait encore respiré, elle se serait ouverte et fermée par le mouvement du thorax et de l’abdomen…

…Pendant que sur le Calvaire tout garde ce tragique aspect, je rejoins Joseph et Nicodème qui descendent par un raccourci pour faire plus vite.

Ils sont presque en bas quand ils rencontrent Gamaliel. Un Gamaliel dépeigné, sans couvre-chef, sans manteau, avec son splendide vêtement souillé de terre et déchiré par les ronces. Un Gamaliel qui monte en courant et haletant, les mains dans ses cheveux clairsemés et plutôt gris d’homme âgé. Ils se parlent sans s’arrêter.

« Gamaliel ! Toi ? »

« Toi, Joseph ? Tu le quittes ? »

« Moi, non. Mais pourquoi es-tu ici ? Et ainsi ?… »

« Chose terrible ! J’étais dans le Temple ! Le signe ! Le Temple tout ouvert ! Le rideau pourpre et jacinthe pend déchiré ! Le Saint des Saints est découvert ! Anathème sur nous ! » Il a parlé en continuant de courir vers le sommet, rendu fou par la preuve.

Les deux le regardent s’éloigner… ils se regardent… disent ensemble :  » ‘Ces pierres frémiront à mes dernières paroles !’ Il le lui avait promis !… »

Ils hâtent leur marche vers la ville.

À travers la campagne, entre le mont et les murs, et au-delà, errent, dans l’air encore obscur, des gens à l’air hébété… Des cris, des pleurs, des lamentations… Il y en a qui disent : « Son Sang a fait pleuvoir du feu ! » D’autres : « Parmi les éclairs Jéhovah est apparu pour maudire le Temple ! » D’autres gémissent : « Les tombeaux ! Les tombeaux ! »

Joseph saisit quelqu’un qui se cogne la tête contre les murs et il l’appelle par son nom, en le traînant avec lui au moment où il entre dans la ville : « Simon, mais qu’est-ce que tu dis ? »

« Laisse-moi ! Un mort toi aussi ! Tous les morts ! Tous dehors ! Et ils me maudissent. »

« Il est devenu fou » dit Nicodème.

Ils le laissent et vont vivement vers le Prétoire.

La ville est en proie à la terreur. Des gens errent en se battant la poitrine; des gens font un bond en arrière ou se retournent épouvantés en entendant derrière eux une voix ou un pas.

Dans un des si nombreux archivoltes obscurs, l’apparition de Nicodème, vêtu de laine blanche — car pour aller plus vite, il a enlevé sur le Golgotha son manteau foncé — fait pousser un cri de terreur à un pharisien qui s’enfuit. Puis il s’aperçoit que c’est Nicodème et il s’attache à son cou, étrangement expansif, en criant : « Ne me maudis pas ! Ma mère m’est apparue et m’a dit : « Sois maudit pour toujours ! » et puis il s’affaisse sur le sol en disant : « J’ai peur ! J’ai peur ! »

« Mais ils sont tous fous ! » disent les deux.

Ils arrivent au Prétoire. C’est seulement là, pendant qu’ils attendent d’être reçus par le Proconsul, que Joseph et Nicodème réussissent à savoir la raison de telles terreurs. Beaucoup de tombeaux s’étaient ouverts par suite de la secousse tellurique et il y avait des gens qui juraient en avoir vu sortir les squelettes qui, pendant un instant, reprenaient une apparence humaine et s’en allaient en accusant ceux qui étaient coupables du déicide et en les maudissant.

Je les quitte dans l’atrium du Prétoire où les deux amis de Jésus entrent sans faire tant d’histoires de dégoût stupide et de peur de contamination, et je reviens au Calvaire, rejoignant Gamaliel qui, désormais épuisé, monte les derniers mètres. Il avance en se battant la poitrine et, en arrivant sur la première des deux petites places, il se jette parterre, longue forme blanche sur le sol jaunâtre, et il gémit : « Le signe ! Le signe ! Dis-moi que tu me pardonnes ! Un gémissement, même un seul gémissement, pour me dire que tu m’entends et me pardonnes. »

Je comprends qu’il le croit encore vivant. Il ne se détrompe que quand un soldat le heurtant de sa lance lui dit : « Lève-toi et tais-toi. Inutile ! Il fallait y penser avant. Il est mort. Et moi, païen, je te le dis : Celui que vous avez crucifié était réellement le Fils de Dieu ! »

« Mort ? Tu es mort ? Oh!… » Gamaliel lève son visage terrorisé, cherche à voir jusque là haut sur la cime, dans la lumière crépusculaire. Il voit peu, mais assez pour comprendre que Jésus est mort. Et il voit le groupe pieux qui réconforte Marie et Jean, debout à gauche de la croix, tout en pleurs, et Longin debout à droite, dans une posture solennelle et respectueuse.

Il se met à genoux, tend les bras et pleure : « C’était Toi ! C’était Toi ! Nous ne pouvons plus être pardonnés. Nous avons demandé ton Sang sur nous. Et il crie vers le Ciel, et le Ciel nous maudit… Oh ! Mais tu étais la Miséricorde !… Je te dis, moi, qui suis le rabbi anéanti de Juda : « Ton Sang sur nous, par pitié ». Asperge-nous avec lui ! Car lui seul peut nous obtenir le pardon… » il pleure. Et puis, plus doucement, il reconnaît sa secrète torture : « J’ai le signe demandé… Mais des siècles et des siècles de cécité spirituelle restent sur ma vue intérieure, et contre ma volonté de maintenant se dresse la voix de mon orgueilleuse pensée d’hier… Pitié pour moi ! Lumière du monde, dans les ténèbres qui ne t’ont pas compris, fais descendre un de tes rayons ! Je suis le vieux juif fidèle à ce qu’il croyait justice et qui était erreur. Maintenant je suis une lande brûlée, sans plus aucun des vieux arbres de la Foi antique, sans aucune semence ni tige de la Foi nouvelle. Je suis un désert aride. Opère le miracle de faire se dresser une fleur qui ait ton nom dans ce pauvre cœur de vieil Israélite entêté. Toi, Libérateur, pénètre dans ma pauvre pensée, prisonnière des formules. Isaïe le dit : »… il a payé pour les pécheurs et il a pris sur Lui les péchés des multitudes ». Oh ! le mien aussi, Jésus de Nazareth… »

Il se lève. Il regarde la croix qui se fait toujours plus nette dans la lumière qui revient, et puis il s’en va courbé, vieilli, anéanti.

Sur le Calvaire le silence revient, à peine interrompu par les pleurs de Marie.

Les deux larrons, épuisés par la peur, ne parlent plus.

Nicodème et Joseph reviennent rapidement, en disant qu’ils ont la permission de Pilate. Mais Longin, qui ne s’y fie pas trop, envoie au Proconsul un soldat à cheval pour savoir comment il doit faire aussi avec les deux larrons. Le soldat va et revient au galop avec l’ordre de remettre Jésus et de briser les jambes des autres, par volonté des juifs.

Longin appelle les quatre bourreaux, qui se sont lâchement accroupis sous le rocher et sont encore terrorisés par l’événement, et ordonne que les deux larrons soient achevés à coups de massue. La chose arrive sans protestations pour Dismas, auquel le coup de massue déferrée au cœur après avoir frappé les genoux, brise à moitié sur ses lèvres le nom de Jésus, dans un râle. Pour l’autre larron, c’est avec des malédictions horribles. Leur râle est lugubre.

Les quatre bourreaux voudraient aussi s’occuper de Jésus pour le détacher de la croix, mais Joseph et Nicodème ne le permettent pas.

Joseph aussi enlève son manteau et dit à Jean de l’imiter et de tenir les échelles pendant qu’eux montent avec des leviers et des tenailles.

Marie s’est levée tremblante, soutenue par les femmes, et s’approche de la croix.

Pendant ce temps, les soldats s’en vont, leur besogne terminée. Longin, avant de descendre au-delà de la place inférieure, se tourne du haut de son cheval pour regarder Marie et le Crucifié. Puis le bruit des sabots résonne sur les pierres et celui des armes contre les cuirasses, et il s’éloigne de plus en plus.

La paume gauche est déclouée. Le bras retombe le long du Corps qui maintenant pend à demi détaché. Ils disent à Jean de monter lui aussi, en laissant les échelles aux femmes.

Jean, monté sur l’échelle où était d’abord Nicodème, passe le bras de Jésus autour de son cou et le tient ainsi, tout abandonné sur son épaule, en l’enlaçant par son bras à la taille et il le tient par la pointe des doigts pour ne pas heurter l’horrible déchirure de la main gauche, qui est presque ouverte. Quand les pieds sont décloués, Jean a beaucoup de mal à tenir et soutenir le Corps de son Maître entre la croix et son propre corps.

Marie se place déjà au pied de la croix, assise en lui tournant le dos, prête à recevoir son Jésus sur ses genoux.

Mais le plus difficile c’est de déclouer le bras droit. Malgré tous les efforts de Jean, le Corps pend complètement en avant et la tête du clou est profondément enfoncée dans la chair, et comme ils ne voudraient pas le blesser davantage, les deux hommes compatissants peinent beaucoup. Finalement ils saisissent le clou avec les tenailles et le sortent tout doucement.

Jean tient toujours Jésus par les aisselles, avec la tête renversée sur son épaule, pendant que Nicodème et Joseph le saisissent l’un aux cuisses, l’autre aux genoux, et le descendent avec précaution en le tenant ainsi par les échelles.

Arrivés à terre, ils voudraient retendre sur le drap qu’ils ont placé sur leurs manteaux, mais Marie le veut. Elle a ouvert son manteau en le laissant pendre d’un côté et écarte les genoux pour faire un berceau à son Jésus.

Pendant que les disciples tournent pour lui donner son Fils, la tête couronnée retombe en arrière et les bras pendent vers la terre et frotteraient le sol avec les mains blessées si la pitié des pieuses femmes ne les tenaient pas pour l’empêcher.

Maintenant il est sur les genoux de sa Mère… Il semble un grand enfant fatigué qui dort pelotonné sur les genoux maternels. Marie le tient avec le bras droit qu’elle a passé derrière les épaules de son Fils et le gauche qu’elle a passé au-dessus de l’abdomen pour le soutenir aux anches. La tête est sur l’épaule maternelle. Elle l’appelle… l’appelle de sa voix déchirante. Puis elle le détache de son épaule et le caresse avec sa main gauche, prend et étend les mains et avant de les croiser elle les baise, et pleure sur les blessures. Puis elle caresse les joues, spécialement là où il y a des bleus et de l’enflure, elle baise les yeux enfoncés, la bouche restée légèrement tordue vers la droite et entrouverte. Elle voudrait remettre en ordre ses cheveux, comme elle l’a fait pour la barbe souillée de sang mais, en le faisant, elle rencontre les épines. Elle se pique pour enlever cette couronne et veut que ce soit elle qui le fasse, avec la seule main qu’elle a de libre et elle repousse tout le monde en disant : « Non ! Non ! Moi ! Moi ! » et il semble qu’elle ait entre ses doigts la tendre tête d’un nouveau-né tant elle le fait avec délicatesse. Et quand elle a pu enlever cette couronne torturante, elle se penche pour soigner par ses baisers toutes les éraflures des épines. De sa main tremblante elle sépare les cheveux en désordre, les remet en ordre, elle pleure et elle parle tout doucement.

Avec ses doigts elle essuie les larmes qui tombent sur les pauvres chairs glacées et couvertes de sang, et elle pense les nettoyer avec ses larmes et avec son voile qui est encore autour des reins de Jésus. Elle en tire à elle une extrémité et se met à nettoyer et à essuyer les membres saints. Elle ne cesse de Lui caresser le visage, et puis les mains, et puis les genoux couverts de contusions, et puis elle remonte pour essuyer le Corps sur lequel tombent ses nombreuses larmes.

C’est en le faisant que sa main rencontre l’ouverture du côté. La petite main, couverte d’un linge fin, entre presque toute entière dans le large trou de la blessure. Marie se penche pour voir dans la demi-clarté qui s’est formée, et elle voit. Elle voit le côté ouvert et le cœur de son Fils. Elle crie, alors. Il semble qu’une épée lui ouvre le cœur, à elle aussi. Elle crie, et puis se renverse sur son Fils et paraît morte, elle aussi.

On la secourt, on la réconforte, on veut lui enlever le divin Mort. Elle cri : « Où, où te mettrai-je ? Dans quel lieu qui soit sûr et digne de Toi ? » Joseph, tout penché en une inclination respectueuse, la main ouverte appuyée sur sa poitrine, dit : « Réconforte-toi, Ô Femme ! Mon tombeau est neuf et digne d’un grand. Je le Lui donne. Et Nicodème, mon ami, a déjà porté au tombeau les aromates que lui veut offrir personnellement. Mais, je t’en prie, puisque le soir approche, laisse-nous faire… C’est la Parascève. Sois bonne, ô Femme sainte ! »

Jean aussi et les femmes la prient dans le même sens et Marie laisse enlever de ses genoux son Fils, et elle se lève, angoissée, pendant qu’on l’enveloppe dans le drap, et elle les prie : « Oh ! faites doucement ! »

Nicodème et Jean par les épaules, Joseph par les pieds, soulèvent la Dépouille non seulement enveloppée dans le drap mais étendue aussi sur les manteaux qui font office de brancard, et ils descendent par le chemin.

Marie, soutenue par sa belle-sœur et la Magdeleine, suivie par Marthe, Marie de Zébédée et Suzanne, qui ont ramassé les clous, les tenailles, la couronne, l’éponge et le roseau, descend vers le tombeau.

Sur le Calvaire restent les trois croix. Celle du milieu est nue et les deux autres ont leur trophée vivant qui meurt.

Source

du Prétoire au Calvaire

Après sa condamnation, Jésus reste ainsi, gardé par les soldats attendant la croix, pas plus d’une demie heure, peut-être encore moins aussi. Puis Longin, chargé de présider l’exécution, donne ses ordres.

Mais avant que Jésus soit conduit dehors, sur le chemin, pour recevoir la croix et se mettre en marche, Longin l’a regardé deux ou trois fois avec une curiosité déjà nuancée de compassion et, avec le coup d’œil de quelqu’un habitué à certaines choses, il s’approche de Jésus avec un soldat et Lui offre pour le désaltérer une coupe de vin, je crois, car il coule d’une vraie gourde militaire un liquide d’un blond rosé clair. « Cela te fera du bien. Tu dois avoir soif et dehors, il y a du soleil, et la route est longue. »

Mais Jésus répond : « Que Dieu te récompense de ta pitié, mais ne te prive pas. »

« Mais moi, je suis sain et fort. …Toi… Je ne me prive pas… Et puis volontiers je le ferais dans ce cas pour te réconforter… Une gorgée… pour me montrer que tu ne hais pas les païens. »

Jésus ne refuse plus et boit une gorgée de la boisson. Il a les mains déjà déliées, comme il n’a plus le roseau ni la chlamyde et il peut le faire Lui-même. Ensuite il refuse, bien que la boisson fraîche et bonne devrait soulager la fièvre qui déjà se manifeste dans les traces rouges qui s’allument sur ses joues pâles et sur ses lèvres sèches et gercées.

« Prends, prends. C’est de l’eau et du miel. Cela soutient, désaltère… Tu me fais pitié… oui… pitié… Ce n’était pas Toi qu’il fallait tuer d’entre les hébreux… Hélas !… Moi, je ne te hais pas… et je chercherai à ne te faire souffrir que le nécessaire. »

Mais Jésus ne recommence pas à boire… Il a vraiment soif… La soif terrible de ceux qui ont perdu du sang et des fiévreux… Il sait que ce n’est pas une boisson narcotinisée et il boirait volontiers. Mais il ne veut pas moins souffrir. Mais je comprends, comme je comprends ce que je dis grâce à une lumière intérieure que, plus que l’eau au miel, le réconforte la pitié du romain.

« Que Dieu te rende en bénédictions ce soulagement » dit-il ensuite. Et il a encore un sourire… un sourire déchirant avec sa bouche enflée, blessée, qu’il remue difficilement aussi parce que entre le nez et la pommette droite est fortement enflée la forte contusion du coup de bâton qu’il a reçu dans la cour intérieure après la flagellation.

Arrivent les deux larrons encadrés chacun par une décurie de soldats. C’est l’heure de partir. Longin donne les derniers ordres.

Une centurie est disposée sur deux rangs distants de trois mètres l’un de l’autre, et elle sort ainsi sur la place où une autre centurie a formé un carré pour repousser la foule afin qu’elle ne gêne pas le cortège. Sur la petite place, se trouvent déjà des hommes à cheval : une décurie de cavalerie avec un jeune gradé qui les commande et avec les enseignes. Un soldat à pied tient par la bride le cheval moreau du centurion. Longin monte en selle et va à sa place à deux mètres en avant des onze cavaliers.

On apporte les croix : celles des deux larrons sont plus courtes. Celle de Jésus est beaucoup plus longue. Je dis que la pièce verticale n’a pas moins de quatre mètres. Je la vois apportée déjà formée.

J’ai lu à ce sujet, quand je lisais… c’est-à-dire il y a des années, que la croix fut formée en haut du Golgotha et que le long du chemin les condamnés portaient seulement les deux poteaux sur leurs épaules. C’est possible, mais moi, je vois une vraie croix bien formée, solide, avec les bras parfaitement encastrés dans la pièce principale et bien renforcée par des clous et des boulons. En fait, si on réfléchit qu’elle était destinée à soutenir le poids appréciable qu’est le corps d’un adulte et à le soutenir même dans les convulsions finales, appréciables aussi, on comprend qu’elle ne pouvait être montée sur le sommet étroit et incommode du Calvaire.

Avant de donner la croix à Jésus, on Lui passe au cou l’écriteau avec la mention « Jésus le Nazaréen Roi des Juifs ». La corde qui le soutient s’emmêle dans la couronne qui se déplace et griffe là où il n’y a pas déjà de griffures et pénètre en de nouveaux points en donnant une douleur nouvelle et en faisant de nouveau couler du sang. Les gens rient d’une joie sadique, insultent, blasphèment.

Maintenant ils sont prêts, et Longin donne l’ordre de marche : « D’abord le Nazaréen, derrière les deux larrons; une décurie autour de chacun, les sept autres décuries sur les ailes et comme renfort, et le responsable sera le soldat qui fait frapper à mort les condamnés ».

Jésus descend les trois marches qui amènent du vestibule sur la place. Et il apparaît tout de suite avec évidence que Jésus est dans des conditions de grande faiblesse. Il vacille en descendant les trois marches, gêné par la croix qui repose sur son épaule toute écorchée, par l’écriteau qui se déplace devant Lui et dont la corde scie le cou, par les balancements qu’imprimé au corps la longue pièce de la croix qui saute sur les marches et sur les aspérités du sol.

Les juifs rient de le voir comme un homme ivre qui tâtonne et ils crient aux soldats: « Poussez-le. Faites-le tomber. Dans la poussière le blasphémateur ! »

Mais les soldats font seulement ce qu’ils doivent faire, c’est-à-dire ordonnent au Condamné de se mettre au milieu du chemin et de marcher. Longin éperonne son cheval et le cortège se met lentement en mouvement.

Longin voudrait aussi faire vite en prenant le chemin le plus court pour aller au Golgotha car il n’est pas sûr de la résistance du Condamné. Mais la pègre déchaînée — et l’appeler ainsi, c’est encore un honneur — ne veut pas de cela. Ceux qui ont été les plus rusés sont déjà en avant, au carrefour où la route bifurque pour aller d’un côté vers les murs, de l’autre vers la ville. Ils s’agitent, crient quand ils voient Longin prendre la direction des murs. « Tu ne dois pas ! Tu ne dois pas ! C’est illégal ! La Loi dit que les condamnés doivent être vus par la ville où ils ont péché ! » Les juifs, qui sont à la queue du cortège, comprennent que par devant on essaie de les frustrer d’un droit et ils unissent leurs cris à ceux de leurs collègues.

Par amour de la paix, Longin prend la route qui va vers la ville et en parcourt un tronçon. Mais il fait signe aussi à un décurion de venir près de lui (je dis décurion parce que c’est un gradé mais c’est peut-être quelqu’un que nous appellerions son officier d’ordonnance) et il lui dit doucement quelque chose. Celui-ci revient en arrière au trot, et à mesure qu’il rejoint le chef de chaque décurie il transmet l’ordre. Ensuite il revient vers Longin pour dire que c’est fait. Enfin il rejoint sa place primitive dans le rang derrière Longin.

Jésus avance haletant. Chaque trou de la route est un piège pour son pied qui vacille et une torture pour ses épaules écorchées, pour sa tête couronnée d’épines sur laquelle descend à pic un soleil exagérément chaud qui de temps à autre se cache derrière un rideau de nuages de plomb, mais qui, même caché, ne cesse pas de brûler. Jésus est congestionné par la fatigue, par la fièvre et par la chaleur. Je pense que même la lumière et les cris doivent le tourmenter. Et s’il ne peut se boucher les oreilles pour ne pas entendre ces cris déchaînés, il ferme à demi les yeux pour ne pas voir la route éblouissante de soleil… Mais il doit aussi les rouvrir parce qu’il bute contre les pierres et contre les trous et chaque fois qu’il bute, c’est une douleur car il remue brusquement la croix qui heurte la couronne, qui se déplace sur l’épaule écorchée, élargit la plaie et augmente la douleur.

Les juifs ne peuvent plus le frapper directement; mais il arrive encore quelques pierres et quelques coups de bâton, les premières spécialement dans les petites places remplies par la foule, les seconds au contraire dans les tournants, dans les petites rues où l’on monte et descend des marches tantôt une, tantôt trois, tantôt davantage, à cause des dénivellations continuelles de la ville. Là, nécessairement, le cortège ralentit et il y a toujours quelque volontaire qui défie les lances romaines pour donner un nouveau coup au chef d’œuvre de torture qu’est désormais Jésus.

Les soldats le défendent comme ils peuvent. Mais même en le défendant ils le frappent parce que les longs manches des lances, brandies en aussi peu d’espace, le heurtent et le font buter. Mais arrivés à un certain point les soldats font une manœuvre impeccable et, malgré les cris et les menaces, le cortège dévie brusquement par un chemin qui va directement vers les murs, en descendant, un chemin qui abrège beaucoup la route vers le lieu du supplice.

Jésus halète toujours plus. La sueur coule sur son visage en même temps que le sang qui coule des blessures de la couronne d’épines. La poussière se colle sur ce visage trempé et le maculent de taches étranges, car il y a aussi du vent maintenant. Des coups de vent syncopés à longs intervalles où retombe la poussière que la foule a soulevée en tourbillons, qui amènent des détritus dans les yeux et dans la gorge.

À la Porte Judiciaire sont déjà entassés quantité de gens, ceux qui, prévoyants, se sont choisis de bonne heure une bonne place pour voir. Mais un peu avant d’y arriver, Jésus a déjà failli tomber. Seule la prompte intervention d’un soldat, sur lequel Lui va presque tomber, empêche Jésus d’aller par terre. La populace rit et crie : « Laissez-le ! Il disait à tous : « Levez-vous ». Qu’il se lève Lui, maintenant… »

Au-delà de la porte, il y a un torrent et un petit pont. Nouvelle fatigue pour Jésus d’aller sur ces planches disjointes sur lesquelles rebondit plus fortement le long bois de la croix. Et nouvelle mine de projectiles pour les juifs. Les pierres du torrent volent et frappent le pauvre Martyr…

Alors commence la montée du Calvaire. Un chemin nu, sans un brin d’ombre, avec des pierres disjointes, qui attaque directement la montée.

Ici aussi, à l’époque où je lisais, j’ai lu que le Calvaire n’avait que quelques mètres de hauteur. Possible. Ce n’est certainement pas une montagne. Mais c’est une colline, et certainement pas plus basse qu’est par rapport à Lungami le mont aux Croix, là où se trouve la basilique de Saint Miniato à Florence. On dira : « Oh ! c’est peu de chose ! » Oui, pour quelqu’un qui est sain et fort c’est peu de chose. Mais il suffit d’avoir le cœur faible pour sentir si c’est peu ou beaucoup !… Je sais qu’après avoir eu le cœur malade, même alors qu’il s’agissait d’une manière bénigne, je ne pouvais gravir cette pente sans souffrir beaucoup et je devais m’arrêter à chaque instant, et je n’avais pas de fardeau sur les épaules. Et je crois que Jésus avait le cœur très malade surtout après la flagellation et la sueur de sang… et je ne contemple rien autre que ces deux chose ?

Jésus éprouve donc une douleur aiguë dans la montée et avec le poids de la croix qui, longue comme elle est, doit être très lourde.

Il trouve une pierre qui dépasse et, épuisé comme il l’est, il lève trop peu le pied, il bute et tombe sur le genou droit réussissant pourtant à se relever à l’aide de la main gauche. La foule pousse des cris de joie… Il se relève, il avance de plus en plus courbé et haletant, congestionné, fiévreux…

L’écriteau, qui cahote devant Lui, Lui gêne la vue et son long vêtement, maintenant qu’il avance courbé, traîne par terre par devant et gêne sa marche. Il bute de nouveau et tombe sur les deux genoux, en se blessant de nouveau là où il est déjà blessé, et la croix qui échappe de ses mains et tombe, après Lui avoir frappé fortement le dos, l’oblige à se pencher pour la relever et à peiner pour la mettre de nouveau sur ses épaules. Pendant qu’il le fait on voit nettement sur son épaule droite la plaie faite par le frottement de la croix, qui a ouvert les plaies nombreuses de la flagellation et en a fait une seule qui transsude de l’eau et du sang, de sorte que la tunique est toute tachée à cet endroit. Les gens applaudissent même, heureux de ces chutes si mauvaises.

Longin incite à se hâter, et les soldats, à coups de plat de dague, invitent le pauvre Jésus à avancer. On reprend la marche avec une lenteur de plus en plus grande malgré tous les efforts.

Jésus semble tout à fait ivre tant sa marche est chancelante et il heurte tantôt l’un tantôt l’autre des deux rangs de soldats, occupant toute la route. Les gens le remarquent et crient : « Sa doctrine Lui est montée à la tête. Vois, vois comme il titube ! » Et d’autres, qui ne sont pas du peuple, mais des prêtres et des scribes, ricanent : « Non ! Ce sont les festins dans la maison de Lazare qui encore Lui montent à la tête. Ils étaient bons ? Maintenant mange notre nourriture… » et d’autres phrases semblables.

Longin, qui se tourne de temps en temps, a pitié et commande une halte de quelques minutes. Et il est tellement insulté par la populace que le centurion ordonne aux troupes de charger. Et la foule lâche, devant les lances qui brillent et menacent, s’éloigne en criant et en descendant ça et là sur la montagne.

C’est ici que je revois sortir de derrière des décombres, peut-être de quelque muret éboulé, le petit groupe des bergers. Désolés, bouleversés, poussiéreux, déchirés, ils appellent à eux le Maître par la force de leurs regards. Et Lui tourne la tête, les voit… Il les fixe comme si c’était des visages d’anges, paraît se désaltérer et se fortifier de leurs pleurs, et il sourit… On redonne l’ordre d’avancer et Jésus passe juste devant eux et entend leurs pleurs angoissés. Il tourne avec difficulté la tête de sous le joug de la croix et leur sourit de nouveau…

Ses réconforts… Dix visages… une halte sous le soleil brûlant…

Et puis, tout de suite, la douleur de la troisième chute complète. Et cette fois, ce n’est pas qu’il bute. Mais il tombe par un soudain fléchissement de ses forces, par une syncope. Il s’allonge en se frappant le visage sur les pierres disjointes, restant dans la poussière, sous la croix retombée sur Lui. Les soldats essaient de le relever. Mais comme il paraît mort, ils vont le rapporter au centurion. Pendant qu’ils vont et viennent Jésus revient à Lui, et lentement, avec l’aide de deux soldats dont l’un relève la croix et l’autre aide le Condamné à se mettre debout, il reprend sa place. Mais il est vraiment épuisé.

« Arrangez-vous pour qu’il ne meure que sur la croix ! » crie la foule.

« Si vous le faites mourir avant, vous en répondrez au Proconsul, souvenez-vous-en. Le coupable doit arriver vivant au supplice » disent les chefs des scribes aux soldats.

Ceux-ci les foudroient de leurs regards féroces mais, par discipline, ne parlent pas.

Longin, cependant, a la même peur que les juifs que le Christ meure en route et il ne veut pas avoir d’ennuis. Sans avoir besoin que quelqu’un le lui rappelle, il sait quel est son devoir de préposé à l’exécution et il y pourvoit. Il y pourvoit en désorientant les juifs qui sont déjà accourus en avant par la route qu’ils ont rejointe de tous les côtés de la montagne en suant, en se griffant pour passer à travers les buissons rares et épineux du mont aride et brûlé, en tombant sur les détritus qui l’encombrent comme si c’était un lieu de déblai pour Jérusalem, sans sentir d’autre peine que celle de perdre un halètement du Martyr, un de ses regards douloureux, un geste même involontaire de souffrance, et sans d’autre peur que celle de ne pas arriver à avoir une bonne place. Longin donne donc l’ordre de prendre le chemin le plus long qui monte en lacets au sommet et qui pour cela est beaucoup moins rapide.

Il semble que ce soit un sentier qui, à force d’être parcouru, soit devenu un chemin suffisamment pratique. Ce croisement de chemin avec l’autre arrive environ à moitié de la montagne. Mais je vois que plus haut, par quatre fois, la route directe se trouve coupée par celle qui monte avec beaucoup moins de pente et qui par compensation est beaucoup plus longue. Et sur cette route, il y a des gens qui montent mais qui ne participent pas à l’indigne chahut des obsédés qui suivent Jésus pour jouir de ses tourments : des femmes pour la plupart, en pleurs et voilées, et quelques petits groupes d’hommes très peu nombreux en vérité, plus en avant de beaucoup que les femmes, qui vont disparaître à la vue quand, en continuant, le chemin fait le tour de la montagne. Ici le Calvaire a une sorte de pointe faite en museau d’un côté alors que de l’autre elle tombe à pic. Les hommes disparaissent derrière la pointe rocheuse et je les perds de vue.

Les gens qui suivaient Jésus hurlent de rage. C’était plus beau, pour eux, de le voir tomber. Avec des imprécations obscènes au Condamné et à ceux qui le conduisent, ils se mettent en partie à suivre le cortège judiciaire et en partie montent presque en courant par la route rapide pour se dédommager de leur déception par une excellente place sur le sommet.

Les femmes, qui s’avancent en pleurant, se retournent en entendant les cris, et voient que le cortège tourne de ce côté. Elles s’arrêtent alors en s’adossant au mont, craignant d’être jetées en bas par les juifs violents. Elles abaissent encore plus leurs voiles sur leurs visages et il y en a une qui est complètement voilée comme une musulmane, ne laissant libres que ses yeux très noirs. Elles sont vêtues très richement et ont pour les défendre un vieil homme robuste dont, enveloppé dans son manteau comme il l’est, je ne distingue pas le visage. Je ne vois que sa longue barbe plutôt blanche que noire qui sort de son manteau foncé.

Quand Jésus arrive à leur hauteur elles sanglotent plus fort et se courbent en profondes salutations. Puis elles s’avancent résolument. Les soldats voudraient les repousser avec leurs lances, mais celle qui est couverte comme une musulmane écarte un instant son voile devant l’enseigne arrivé à cheval pour voir ce que c’est que ce nouvel obstacle, et il donne l’ordre de la faire passer. Je ne puis voir son visage ni son vêtement, car elle a déplacé son voile avec la rapidité d’un éclair et son habit est complètement caché par un manteau qui arrive jusqu’à terre, lourd, fermé complètement par une série de boucles. La main, qui pour un instant sort de dessous pour déplacer le voile, est blanche et belle, et c’est avec ses yeux noirs l’unique chose que l’on voit de cette grande matrone certainement influente puisque l’officier de Longin lui obéit ainsi.

Elles s’approchent de Jésus en pleurant et s’agenouillent à ses pieds pendant que Lui s’arrête haletant… et pourtant il sait encore sourire à ces pieuses femmes et à l’homme qui les escorte qui se découvre pour montrer qu’il est Jonathas. Mais celui-ci, les gardes ne le font pas passer, seulement les femmes. L’une d’elles est Jeanne de Chouza. Elle est plus défaite que quand elle était mourante. De rouge, elle n’a que les traces de ses pleurs et puis c’est tout un visage de neige avec ses doux yeux noirs qui, ainsi brouillés comme ils le sont, sont devenus d’un violet foncé comme certaines fleurs. Elle a dans les mains une amphore d’argent et l’offre à Jésus, mais Lui refuse. D’ailleurs son essoufflement est si grand qu’il ne pourrait même pas boire. De la main gauche, il s’essuie la sueur et le sang qui Lui tombe dans les yeux, qui, coulant le long de ses joues rouges et de son cou par les veines gonflées dans le battement essoufflé du cœur, trempe tout son vêtement sur la poitrine.

Une autre femme, qui a près d’elle une jeune servante avec un coffret dans les bras, l’ouvre, en tire un linge de lin très blanc, carré, et l’offre au Rédempteur. Il l’accepte et comme il ne peut avec une seule main le faire par Lui-même, la femme pleine de pitié l’aide, en faisant attention de ne pas heurter la couronne, à le poser sur son visage. Jésus presse le linge frais sur son pauvre visage et l’y tient comme s’il trouvait un grand réconfort. Puis il rend le linge et parle : « Merci Jeanne, merci Nique… Sara… Marcella… Élise… Lidia… Anne… Valeria… et toi… Mais… ne pleurez pas… sur Moi… filles de… Jérusalem… mais sur les péchés… les vôtres et ceux… de votre ville… Bénis… Jeanne… de n’avoir…plus d’enfants… Vois… c’est une pitié de Dieu… de ne pas… de ne pas avoir d’enfants… car… ils souffrent de… cela. Et toi aussi… Élisabeth… Mieux… comme cela a été… que parmi les déicides… Et vous… mères… pleurez sur… vos fils, car… cette heure ne passera pas… sans châtiment… Et quel châtiment, s’il en est ainsi pour… l’Innocent… Vous pleurerez alors… d’avoir conçu… allaité et… d’avoir encore… vos fils… Les mères… de ce moment-là… pleureront parce que… en vérité, je vous le dis… qu’il sera heureux… celui qui alors… tombera… sous les décombres… le premier. Je vous bénis… Allez… à la maison… priez… pour Moi. Adieu, Jonathas… éloigne-les… »

Et au milieu d’un cri aigu de pleurs féminins et d’imprécations juives, Jésus se remet en marche.

Jésus est de nouveau trempé de sueur. Les soldats aussi suent et les deux autres condamnés, car le soleil de ce jour d’orage est brûlant comme la flamme et le flanc de la montagne devenu brûlant lui aussi s’ajoute à la chaleur du soleil. Que devait être l’effet de ce soleil sur le vêtement de laine de Jésus, en contact avec les blessu­res des fouets, il est facile de l’imaginer et d’en être horrifié… Mais Lui ne profère pas une plainte. Seulement, bien que la route soit beaucoup moins rapide et n’ait pas ces pierres disjointes, si dangereuses pour son pied qui traîne maintenant, Jésus titube toujours plus fort, allant heurter un rang de soldats puis le rang opposé, et fléchissant de plus en plus vers la terre.

Ils pensent supprimer cet inconvénient en Lui passant une corde à la taille et en la tenant par les deux bouts comme si c’étaient des rênes. Oui, cela le soutient, mais ne Lui enlève pas son fardeau. Au contraire, la corde en heurtant la croix, la déplace continuellement sur l’épaule et la fait frapper la couronne qui désormais a fait du front de Jésus un tatouage sanglant. De plus, la corde frotte la taille où se trouvent tant de blessures et certainement doit les ouvrir de nouveau. Aussi la tunique blanche se colore à la taille d’un rosé pâle. Pour l’aider, ils le font souffrir plus encore.

Le chemin continue, il fait le tour de la montagne, revient presque en avant vers la route rapide. Là se trouve Marie avec Jean. Je dirais que Jean l’a amenée en cet endroit ombragé, derrière la pente de la montagne, pour qu’elle se refasse un peu. C’est l’endroit le plus escarpé de la montagne. Il n’y a que ce chemin qui la côtoie. Au-dessous la côte descend rapidement et au-dessus la pente est aussi forte. À cause de cela les cruels la négligent. Là il y a de l’ombre, car je dirais que c’est le septentrion, et Marie, adossée comme elle l’est à la montagne, est à l’abri du soleil. Elle se tient debout appuyée au flanc de la montagne mais elle est déjà épuisée. Elle aussi halète, pâle comme une morte dans son vêtement bleu très foncé, presque noir.

Jean la regarde avec une pitié désolée. Lui aussi a perdu toute trace de couleur et il est terreux, avec deux yeux las et écarquillés, dépeigné, les joues creusées comme s’il avait été malade. Les autres femmes : Marie et Marthe de Lazare, Marie d’Alphée et de Zébédée, Suzanne de Cana, la maîtresse de la maison et d’autres encore que je ne connais pas, sont au milieu du chemin et elles regardent si le Sauveur arrive. Ayant vu que Longin arrive, elles accourent près de Marie pour lui donner la nouvelle. Marie, soutenue par le coude par Jean, se détache, majestueuse dans sa douleur, de la côte du mont et se met résolument au milieu du chemin, en ne s’écartant qu’à l’arrivée de Longin qui, du haut de son cheval, regarde la femme pâle et celui qui l’accompagne, blond, pâle, aux doux yeux de ciel comme elle. Et Longin hoche la tête pendant qu’il la dépasse suivi des onze cavaliers.

Marie essaie de passer entre les soldats à pied mais ceux-ci, qui ont chaud et sont pressés, cherchent à la repousser avec leurs lances, d’autant plus que du chemin pavé volent des pierres pour protester contre tant de pitié. Ce sont encore les juifs qui lancent encore des imprécations à cause de l’arrêt causé par les pieuses femmes et disent : « Vite ! Demain c’est Pâque. Il faut tout finir avant le soir ! Complices qui méprisez notre Loi ! Oppresseurs ! A mort les envahisseurs et leur Christ ! Ils l’aiment ! Voyez comme ils l’aiment ! Mais prenez-le ! Mettez-le dans votre Ville maudite ! Nous vous le cédons ! Nous n’en voulons pas ! Les charognes aux charognes ! La lèpre aux lépreux ! »

Longin se lasse et éperonne son cheval, suivi des dix lanciers, contre la canaille qui l’insulte et qui fuit une seconde fois. C’est en le faisant qu’il voit une charrette arrêtée, montée certainement des cultures maraîchères qui sont au pied de la montagne et qui attend avec son chargement de salades que la foule soit passée pour descendre vers la ville. Je pense qu’un peu de curiosité chez le Cyrénéen et ses fils l’ont fait monter jusque là, car il n’était vraiment pas nécessaire pour lui de le faire. Les deux fils, allongés sur le tas de légumes, regardent et rient après les juifs en fuite. L’homme, de son côté, un homme robuste sur les quarante-cinquante ans, debout près de l’âne qui effrayé veut reculer, regarde attentivement vers le cortège.

Longin le dévisage. Il pense qu’il peut lui être utile et lui ordonne : « Homme, viens ici. » Le Cyrénéen fait semblant de ne pas entendre, mais avec Longin on ne plaisante pas. Il répète l’ordre de telle façon que l’homme jette les rênes à un de ses fils et s’approche du centurion.

« Tu vois cet homme ? » lui demande-t-il, et en parlant ainsi, il se retourne pour indiquer Jésus et il voit à son tour Marie qui supplie les soldats de la laisser passer. Il en a pitié et crie : « Faites passer la Femme. » Puis il reprend à parler au Cyrénéen : « Il ne peut plus avancer ainsi chargé. Tu es fort. Prends sa croix et porte-la à sa place jusqu’à la cime. »

« Je ne peux pas… J’ai l’âne… il est rétif… les garçons ne savent pas le retenir. »

Mais Longin lui dit : « Va, si tu ne veux pas perdre l’âne et gagner vingt coups comme punition. »

Le Cyrénéen n’ose plus réagir. Il crie aux garçons : « Allez vite à la maison et dites que j’arrive tout de suite » et puis il va vers Jésus.

Il le rejoint juste au moment où Jésus se tourne vers sa Mère que seulement alors il voit venir vers Lui, car il avance si courbé et les yeux presque fermés comme s’il était aveugle, et il crie : « Maman ! »

C’est la première parole depuis qu’il est torturé qui exprime sa souffrance. Car dans cette parole, il y a la confession de tout et de toute sa terrible douleur de l’esprit, du moral et de la chair. C’est le cri déchiré et déchirant d’un enfant qui meurt seul, parmi les argousins et au milieu des pires tortures… et qui arrive à avoir peur même de sa propre respiration. C’est la plainte d’un enfant qui délire et que déchirent des visions de cauchemar… Et il veut la mère, la mère parce que seul son frais baiser calme l’ardeur de la fièvre, que sa voix fait fuir les fantômes, que son embrassement rend la mort moins effrayante…

Marie porte la main à son cœur comme si elle avait reçu un coup de poignard et vacille légèrement, mais elle se reprend, hâte sa marche et en allant les bras tendus vers son Fils martyrisé, elle crie : « Fils ! » Mais elle le dit d’une telle manière que qui n’a pas un cœur d’hyène le sent se fendre par cette douleur.

Je vois que même parmi les romains il y a un mouvement de pitié… et pourtant ce sont des hommes d’armes habitués aux tueries, marqués de cicatrices – Mais la parole : « Maman ! » et « Fils ! » sont toujours les mêmes et pour tous ceux qui, je le répète, ne sont pas pires que des hyènes, et sont dites et comprises partout, et soulèvent partout des flots de pitié…

Le Cyrénéen a cette pitié… Il voit que Marie ne peut embrasser son Fils à cause de la croix, et qu’après avoir tendu les mains, elle les laisse retomber, persuadée de ne pouvoir le faire. Elle le regarde seulement, essayant de sourire de son sourire martyr, pour le réconforter alors que ses lèvres tremblantes boivent ses larmes. Lui, tordant la tête de sous le joug de la croix, cherche à son tour à lui sourire et à lui envoyer un baiser avec ses pauvres lèvres blessées et fendues par les coups et la fièvre. Le Cyrénéen, à ce spectacle, se hâte d’enlever la croix et il le fait avec la délicatesse d’un père, pour ne pas heurter la couronne et ne pas frotter les plaies.

Mais Marie ne peut baiser son Fils… L’attouchement, même le plus léger, serait une torture sur les chairs déchirées, et Marie s’en abstient. Et puis… les sentiments les plus saints ont une pudeur profonde et ils veulent le respect ou du moins la compassion. Ici, c’est la curiosité et surtout le mépris. Se baisent seulement leurs deux âmes angoissées.

Le cortège se remet en marche sous la poussée des flots d’un peuple furieux qui les presse, les sépare, en repoussant la Mère contre la montagne, l’exposant au mépris de tout un peuple… Maintenant, derrière Jésus, marche le Cyrénéen avec la croix. Et Jésus, libéré de ce fardeau, marche mieux. Il halète fortement, portant souvent la main à son cœur comme s’il avait une grande douleur, une blessure à la région sterno-cardiaque, et maintenant qu’il le peut, n’ayant plus les mains liées, il repousse les cheveux tombés en avant, tout gluants de sang et de sueur, jusque derrière les oreilles, pour sentir l’air sur son visage congestionné, il délace le cordon du cou qui le fait souffrir quand il respire… Mais sa marche est plus facile.

Marie s’est retirée avec les femmes. Elle suit le cortège une fois qu’il est passé, et ensuite, par un raccourci, elle se dirige vers le sommet de la montagne défiant les imprécations de la plèbe cannibale. Maintenant que Jésus est libre, le dernier lacet de la montagne est assez vite parcouru et ils sont proches de la cime toute remplie d’un peuple qui pousse des cris.

Longin s’arrête et il ordonne que tous, inexorablement, soient repoussés plus bas, pour dégager la cime, lieu de l’exécution. Une moitié de la centurie exécute l’ordre en accourant sur place et en repoussant sans pitié tous ceux qui s’y trouvent, en se servant pour cela de leurs dagues et de leurs lances. Sous la grêle des coups de plat et des bâtons les juifs de la cime s’enfuient. Et ils voudraient se placer sur l’esplanade qui est au-dessous. Mais ceux qui y sont déjà ne cèdent pas et parmi ces gens s’allument des rixes féroces. Ils semblent tous fous.

Comme je l’ai dit l’an dernier, le Calvaire, à son sommet, a la forme d’un trapèze irrégulier, légèrement plus haut d’un côté, à partir duquel la montagne descend rapidement pour un peu plus de la moitié de sa hauteur. Sur cette petite place on a déjà préparé trois trous profonds tapissés de briques ou d’ardoises, creusés exprès, en somme. Tout près d’eux, il y a des pierres et de la terre, prêtes pour butter les croix. D’autres trous, par contre, ont été laissés pleins de pierres. On comprend qu’ils les vident d’une fois sur l’autre selon le nombre de ceux qui servent.

Sous la cime trapézoïdale, du côté où la montagne ne descend pas, il y a une sorte de plate-forme en pente douce qui forme une seconde petite place. De celle-ci partent deux larges sentiers qui côtoient la cime, de sorte que celle-ci est isolée et surélevée d’au moins deux mètres de tous les côtés.

Les soldats, qui ont repoussé la foule de la cime, apaisent, à coups persuasifs de lances, les rixes et dégagent le chemin pour que le cortège puisse passer sans encombre dans le bout de chemin qui reste, et ils restent là à faire la haie pendant que les trois condamnés, encadrés par les cavaliers, et protégés en arrière par l’autre demi-centurie, arrivent au point où ils doivent s’arrêter: au pied du plancher naturel, surélevé qui forme la cime du Golgotha.

Pendant que cela arrive, j’aperçois les Marie et un peu en arrière d’elles Jeanne de Chouza avec quatre autres des dames de tout à l’heure. Les autres se sont retirées et elles doivent l’avoir fait par elles-mêmes car Jonathas est là, derrière sa maîtresse. Il n’y a plus celle que nous appelons Véronique et que Jésus a appelée Nique, et sa servante manque aussi et aussi la dame toute voilée à laquelle les soldats obéirent. Je vois Jeanne, la vieille qu’on appelle Élise, Anne et deux que je ne saurais identifier. Derrière ces femmes et les Marie, je vois Joseph et Simon d’Alphée, et Alphée de Sara avec le groupe des bergers. Ils ont lutté avec ceux qui voulaient les repousser en les insultant, et la force de ces hommes, que multiplient leur amour et leur douleur, s’est montrée si violente qu’ils ont vaincu en se créant un demi-cercle libre contre les juifs lâches qui n’osent que lancer des cris de mort et tendre leurs poings. Mais rien de plus, car les bâtons des bergers sont noueux et lourds et la force et l’adresse ne manquent pas à ces preux. Et je ne me trompe pas de parler ainsi. Il faut un vrai courage pour rester aussi peu nombreux, connus comme galiléens ou fidèles au Galiléen, contre toute une population hostile. L’unique point, de tout le Calvaire, où on ne blasphème pas le Christ !

Le mont, des trois côtés qui descendent en pente douce vers la vallée, n’est qu’une fourmilière. La terre jaunâtre et nue ne se voit plus, et sous le soleil qui va et vient, paraît un pré fleuri de corolles de toutes les couleurs tant sont serrés les couvre-chefs et les manteaux des sadiques qui le couvrent. Au-delà du torrent, sur le chemin, une autre foule; au-delà des murs, une autre encore. Sur les terrasses les plus proches, une autre. Le reste de la ville nu… vide… silencieux. Tout est ici : tout l’amour et toute la haine. Tout le Silence qui aime et pardonne, toute la Clameur qui hait et lance des imprécations.

Pendant que les hommes préposés à l’exécution préparent leurs instruments en achevant de vider les trous, et que les condamnés attendent dans leur carré, les juifs réfugiés dans le coin opposé aux Marie les insultent. Ils insultent même la Mère : « À mort les galiléens ! À mort ! Galiléens ! Galiléens ! Maudits ! À mort le blasphémateur galiléen ! Clouez sur la croix même le sein qui l’a porté ! Loin d’ici les vipères qui enfantent les démons ! À mort ! Purifiez Israël des femmes qui s’allient au bouc !… »

Longin, qui est descendu de cheval, se tourne et voit la Mère… Il ordonne de faire cesser ce chahut. La demi-centurie, qui était derrière les condamnés, charge la racaille et désencombre complètement la seconde petite place, alors que les juifs s’échappent à tra­vers la montagne en s’écrasant les uns les autres. Les onze cavaliers descendent aussi de cheval et l’un d’eux prend les onze chevaux en plus de celui du centurion et les mène à l’ombre, derrière la côte de la montagne.

Le centurion se dirige vers la cime. Jeanne de Chouza s’avance, l’arrête. Elle lui donne l’amphore et une bourse, et puis se retire en pleurant, pour aller vers le coin de la montagne avec les autres.

Là-haut, tout est prêt. On fait monter les condamnés. Jésus passe encore une fois près de la Mère qui pousse un gémissement qu’elle cherche à freiner en portant son manteau sur sa bouche. Les juges la voient et rient et se moquent d’elle.

Jean, le doux Jean, qui a un bras derrière les épaules de Marie pour la soutenir, se retourne avec un regard féroce, son œil en est phosphorescent. S’il ne devait pas protéger les femmes, je crois qu’il prendrait à la gorge quelqu’un de ces lâches.

À peine les condamnés sont-ils sur le plateau fatal que les soldats entourent la place de trois côtés. Il ne reste vide que celui qui surplombe.

Le centurion donne au Cyrénéen l’ordre de s’en aller et il s’en va de mauvaise grâce cette fois et je ne dirais pas par sadisme, mais par amour, si bien qu’il s’arrête près des galiléens en partageant avec eux les insultes dont la foule prodigue au petit nombre de fidèles au Christ. Les deux larrons jettent par terre leurs croix en blasphémant.

Jésus se tait. Le chemin douloureux est terminé.

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Les différents procès – La flagellation – Le couronnement d’épines

Les différents procès

La flagellationLe couronnement d’épines
Commence la douloureuse marche par le petit chemin pierreux qui mène de la petite place où Jésus a été capturé au Cédron et de là, par un autre chemin, vers la ville. Et tout de suite commencent les moqueries et les sévices.

Jésus, lié comme il l’est aux poignets et jusqu’à la ceinture comme s’il était un fou dangereux, avec les bouts des cordes confiés à des énergumènes ivres de haine, est tiré d’un côté et de l’autre comme un chiffon abandonné à la colère d’une meute de chiens. Mais si c’étaient des chiens ceux qui agissent ainsi ils seraient encore excusables. Mais ce sont des hommes, bien qu’ils n’aient d’humain que l’aspect. Et c’est pour causer plus de douleur qu’ils ont pensé à ce liage de deux cordes opposées, dont l’une sert seulement à emprisonner les poignets et les griffe et les scie par son frottement rugueux, et l’autre, celle de la ceinture, comprime les coudes contre le thorax, et scie et comprime le haut de l’abdomen, en torturant le foie et les reins où on a fait un énorme nœud, et où de temps à autre celui qui tient les bouts des cordes donne des coups en s’en servant comme de fouets et en disant : « Hue ! Aller ! Trotte, baudet ! » et il y ajoute aussi des coups de pieds, appliqués derrière les genoux du Torturé qui chancelle et ne tombe pas seulement parce que les cordes le tiennent debout. Mais cela n’évite pas pourtant que, tiré à droite par celui qui s’occupe des mains et à gauche par celui qui tient la corde de la ceinture, Jésus aille heurter les murets et les troncs, et tombe brutalement contre la rampe du petit pont à cause d’un coup plus cruel reçu au moment où il va franchir le petit pont sur le Cédron. La bouche contusionnée saigne. Jésus lève les mains liées pour essuyer le sang qui souille la barbe, et il ne parle pas. C’est vraiment l’agneau qui ne mord pas celui qui le torture.

Des gens pendant ce temps sont descendus prendre des pierres et des cailloux sur la grève, et d’en bas commence une grêle de pierres sur une cible accessible. En effet la marche s’est ralentie sur le petit pont étroit et peu sûr sur lequel les gens s’entassent en se gênant les uns les autres, et les pierres frappent Jésus à la tête, aux épaules, et pas Jésus seul, mais aussi ceux qui l’escortent qui réagissent en lançant des bâtons et en jetant les pierres elles-mêmes. Et tout sert pour frapper de nouveau Jésus à la tête et au cou. Mais le pont se dégage, et maintenant la ruelle étroite jette son ombre sur la mêlée car la lune qui commence de descendre n’atteint pas ce sentier contourné et au cours de la cohue beaucoup de torches se sont éteintes.

Mais la haine tient lieu de lumière pour voir le pauvre Martyr dont la haute taille facilite aussi la torture. Il est le plus grand de tous, il est donc facile de le frapper, de le prendre par les cheveux pour l’obliger à renverser violemment en arrière la tête, sur laquelle on lance une poignée d’immondices qui doit forcément entrer dans la bouche et dans les yeux en Lui donnant nausée et souffrance.

On commence la traversée du faubourg d’Ophel, du faubourg où il a répandu tant de bienfaits et de caresses. La foule pousse des cris pour appeler les dormeurs sur les seuils. Si les femmes poussent des cris de douleur et fuient terrorisées en voyant ce qui arrive, les hommes, les hommes qui pourtant ont eu de Lui guérisons, secours, paroles amicales, ou bien baissent la tête par indifférence, affectant du moins insouciance, ou bien passent de la curiosité à la rancœur, au ricanement, au geste de menace et même suivent le cortège pour torturer. Satan est déjà au travail…

Un homme, un mari qui veut le suivre pour l’offenser, est saisi par le bras par sa femme qui lui crie : « Lâche ! Si tu es vivant, c’est grâce à Lui, homme dégoûtant plein de pourriture. Souviens-t’en ! » Mais la femme est vaincue par l’homme qui la frappe bestialement en la jetant par terre, et qui court ensuite rejoindre le Martyr sur la tête duquel il jette une pierre.

Une autre femme, âgée, cherche à barrer le chemin à son fils qui accourt avec un visage de hyène et avec un bâton pour frapper lui aussi et elle lui crie : « Assassin de ton Sauveur, tu ne le seras pas tant que je vivrai ! » Mais la malheureuse, frappée par son fils d’un coup de pied brutal à l’aine, s’abat en criant : « Déicide et matricide ! Pour le sein que tu déchires une seconde fois et pour le Messie que tu frappes, que tu sois maudit ! »

La violence s’accroît de plus en plus à mesure qu’on approche de la ville.

Avant d’arriver aux murs — et déjà les portes sont ouvertes et les soldats romains, l’arme au pied, observent d’où vient le tumulte et comment il se développe, prêts à intervenir si le prestige de Rome en est atteint — Jean s’y trouve avec Pierre. Je crois qu’ils sont arrivés là par un raccourci qu’ils ont pris en franchissant le Cédron en amont du pont, et en précédant rapidement la foule qui va lentement gênant elle-même sa marche. Ils sont dans la pénombre d’une entrée, près d’une petite place qui précède les murs. Ils ont sur la tête leurs manteaux pour cacher leurs visages. Mais quand Jésus arrive, Jean laisse tomber son manteau et découvre son visage pâle et bouleversé au clair de lune qui éclaire encore avant de disparaître derrière la colline qui se trouve au-delà des murs, et que j’entends appeler Tofet par les sbires qui ont capturé Jésus. Pierre n’ose pas se découvrir, mais cependant il s’avance pour être vu… Jésus les regarde… et a un sourire d’une infinie bonté. Pierre tourne sur lui-même et revient dans son coin obscur, les mains sur les yeux, courbé, vieilli, déjà une loque humaine. Jean reste courageusement où il est et ne rejoint Pierre que quand la foule hurlante est passée. Il le prend par le coude, le conduit comme si c’était un garçon qui guide son père aveugle, et ils entrent tous deux dans la ville, derrière la foule bruyante.

J’entends les exclamations étonnées, moqueuses, affligées des soldats romains. L’un d’eux maudit ceux qui l’ont fait lever à cause de ce « mouton imbécile »; un autre se moque des juifs capables de « prendre une femmelette »; un autre a pitié de la Victime « qu’il a toujours vue pleine de bonté »; un autre dit : « J’aurais préféré qu’ils me tuent que de le voir entre leurs mains. C’est un grand. Ma dévotion va dans le monde à ces deux : Lui et Rome. »

« Par Jupiter ! » s’écrie le plus élevé en grade. « Je ne veux pas d’ennuis. Je vais aller trouver le porte-enseigne. Qu’il y pense lui à le dire à qui de droit. Je ne veux pas que l’on m’envoie combattre les Germains. Ces hébreux sentent mauvais et ce sont des serpents et des ennuis. Mais ici la vie est en sûreté et je vais finir mon temps, et près de Pompéi j’ai une fillette !… »

Je perds le reste pour suivre Jésus qui s’avance par le chemin qui fait un détour en montée pour aller au Temple. Mais je vois et comprends que la maison d’Anna, où ils veulent l’amener, est et n’est pas dans ce labyrinthe qu’est le Temple et qui occupe toute la colline de Sion. Elle est à son extrémité, près d’une série de murailles, qui semblent marquer ici la limite de la ville, et qui de ce lieu s’étendent avec des portiques et des cours à travers le flanc de la colline pour arriver dans l’enceinte du Temple proprement dit, c’est-à-dire où vont les Israélites pour leurs diverses manifestations du culte. Un haut portail ferré s’ouvre dans la muraille. Vers lui accourent des hyènes volontaires qui y frappent violemment. À peine s’entrouvre-t-il, ils font irruption à l’intérieur en terrassant presque et en foulant aux pieds la servante venue pour ouvrir et ils l’ouvrent tout grand pour que la foule hurlante, avec le Capturé au milieu, puisse entrer. Et une fois entrés, voilà qu’ils la ferment et la barrent, peut-être par peur de Rome ou des partisans du Nazaréen.

Ses partisans ! Où sont-ils ?…

Ils parcourent l’atrium de l’entrée et puis traversent une vaste cour, un couloir, un autre portique et une nouvelle cour, et ils traînent Jésus en Lui faisant gravir trois marches, et en Lui faisant parcourir presque en courant les arcades qui s’élèvent au-dessus de la cour pour arriver plus vite à une riche salle où se trouve un homme âgé habillé en prêtre.

« Que Dieu te console, Anna » dit celui qui semble être l’officier, si on peut appeler ainsi le gredin qui commande ces brigands. « Voici le coupable. Je le confie à ta sainteté pour qu’Israël soit purifié de la faute. »

« Que Dieu te bénisse pour ta sagacité et ta foi. »

Belle sagacité ! Il avait suffi de la voix de Jésus pour les faire tomber par terre au Gethsémani.

« Qui es-tu ? »

« Jésus de Nazareth, le Rabbi, le Christ. Et tu me connais. Je n’ai pas agi dans les ténèbres. »

« Dans les ténèbres, non. Mais tu as dévoyé les foules par des doctrines ténébreuses. Et le Temple a le droit et le devoir de protéger l’âme des fils d’Abraham. »

« L’âme ! Prêtre d’Israël, peux-tu dire que tu as souffert pour l’âme du plus petit ou du plus grand de ce peuple ? »

« Et Toi alors ? Qu’as-tu fait qui puisse s’appeler souffrance ? »

« Qu’ai-je fait ? Pourquoi me le demandes-tu ? Israël tout entier en parle. De la cité sainte au plus misérable bourg les pierres elles-mêmes parlent pour dire ce que j’ai fait. J’ai donné la vue aux aveugles : la vue des yeux et celle du cœur . J’ai ouvert l’ouïe à ceux qui étaient sourds : aux voix de la Terre et aux voix du Ciel. J’ai fait marcher les estropiés et les paralytiques pour qu’ils commencent leur marche vers Dieu par la chair et puis avancent avec l’esprit. J’ai purifié les lépreux : des lèpres que la Loi mosaïque signale et de celles qui rendent infects près de Dieu : les péchés. J’ai ressuscité les morts, et je ne dis pas que ce soit une grande chose de rappeler à la vie une chair, mais c’est une grande chose de racheter un pécheur, et je l’ai fait. J’ai secouru les pauvres en enseignant aux hébreux avides et riches le précepte saint de l’amour du prochain et, en restant pauvre malgré le ruisseau d’or qui m’est passé par les mains, j’ai essuyé plus de larmes Moi seul que vous tous, possesseurs de richesses. J’ai donné enfin une richesse qui n’a pas de nom : la connaissance de la Loi, la connaissance de Dieu, la certitude que nous sommes tous égaux et que, aux yeux saints du Père, égaux sont les pleurs ou les crimes, qu’ils soient versés ou accomplis par le Tétrarque et le Pontife, ou par le mendiant et le lépreux qui meurt au bord du chemin. C’est cela que j’ai fait. Rien de plus. »

« Sais-tu que tu t’accuses Toi-même ? Tu dis les lèpres qui rendent infects aux yeux de Dieu et ne sont pas signalées par Moïse. Tu insultes Moïse et tu insinues qu’il y a des lacunes dans sa Loi… »

« Pas la sienne : celle de Dieu. C’est ainsi. Plus que la lèpre, malheur de la chair et qui a une fin, je déclare grave, et telle elle est, la faute qui est un malheur et un malheur éternel de l’esprit. »

« Tu oses dire que tu peux remettre les péchés. Comment le fais-tu ? »

« Si avec un peu d’eau lustrale et le sacrifice d’un bélier il est permis et croyable qu’on annule une faute, qu’on l’expie et qu’on en est purifié, comment ne le pourront pas mes pleurs, mon Sang et ma volonté ? »

« Mais tu n’es pas mort. Où est alors le Sang ? »

« Je ne suis pas encore mort. Mais je le serai car c’est écrit. Au Ciel, quand n’existait pas Sion, quand n’existait pas Moïse, quand n’existait pas Jacob, quand n’existait pas Abraham, quand le roi du Mal mordait l’homme au cœur et l’empoisonnait lui et ses fils. C’est écrit sur la Terre dans le Livre où sont les paroles des prophètes. C’est écrit dans les cœurs. Dans le tien, dans celui de Caïphe et des synhédristes qui ne me pardonnent pas, non, ces cœurs ne me pardonnent pas d’être bon. J’ai absous, en anticipant sur mon Sang. Maintenant j’accomplis l’absolution avec le bain dans ce Sang. »

« Tu nous dis avides et ignorants du précepte d’amour… »

« Et n’est-ce pas vrai ? Pourquoi me tuez-vous ? Pourquoi avez-vous peur que je vous détrône. Oh ! ne craignez pas. Mon Royaume n’est pas de ce monde. Je vous laisse maître de tout pouvoir. L’Éternel sait quand Il faut dire le « Suffit » qui vous fera tomber foudroyés… »

« Comme Doras, hein ? »

« Il est mort de colère, non par la foudre du Ciel. Dieu l’attendait de l’autre côté pour le foudroyer. »

« Et tu le répètes à moi, son parent ? Tu oses ? »

« Je suis la Vérité. Et la Vérité n’est jamais lâche. »

« Orgueilleux et fou ! »

« Non : sincère. Tu m’accuses de vous offenser, mais est-ce que par hasard vous ne haïssez pas vous tous ? Vous vous haïssez l’un l’autre. Maintenant c’est la haine pour Moi qui vous unit. Mais demain, quand vous m’aurez tué, la haine reviendra parmi vous et plus féroce, et vous vivrez avec cette hyène dans le dos et ce serpent dans le cœur. J’ai enseigné l’amour, par pitié pour le monde. J’ai enseigné à ne pas être avide, à avoir pitié. De quoi m’accuses-tu ? »

« D’avoir apporté une doctrine nouvelle. »

« O prêtre ! Israël pullule de doctrines nouvelles : les esséniens ont la leur, les sadochites la leur, les pharisiens la leur, chacun a sa doctrine secrète qui, pour l’un s’appelle plaisir, pour l’autre or, pour un autre puissance. Chacun a son idole. Pas Moi. J’ai repris la Loi piétinée de mon Père, du Dieu Éternel, et je suis revenu dire simplement les dix propositions du Décalogue. Je me suis desséché les poumons pour les faire entrer dans des cœurs qui ne les connaissaient plus. »

« Horreur ! Blasphème ! C’est à moi, prêtre, que tu dis cela ? Il n’a pas de Temple, Israël ? Nous sommes comme les exilés de Babylone ? Réponds. »

« C’est ce que vous êtes et plus encore. Il y a un Temple. Oui. Un édifice. Dieu n’y est pas. Il a fui devant l’abomination qui est dans sa maison. Mais pourquoi tant m’interroger puisque ma mort est décidée ? »

« Nous ne sommes pas des assassins. Nous tuons si nous en avons le droit pour une faute prouvée. Mais moi, je veux te sauver. Dis-moi, et je te sauverai. Où sont tes disciples ? Si tu me les livres je te laisse libre. Le nom de tous, et davantage ceux qui sont secrets que ceux qui sont connus. Dis : Nicodème est à Toi ? Et aussi Joseph ? Et Éléazar ? Et Gamaliel ? Et… Mais pour celui-ci je le sais… Inutile. Parle, parle. Tu le sais : je puis te tuer et te sauver. Je suis puissant. »

« Tu es fange. Je laisse à la fange le métier d’espion. Je suis Lumière. »

Un sbire Lui lâche un coup de poing.

« Je suis Lumière. Lumière et Vérité. J’ai parlé ouvertement au monde, j’ai enseigné dans les synagogues et au Temple où se rassemblent les juifs, et je n’ai rien dit en secret. Je le répète : pourquoi m’interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que j’ai dit. Eux le savent. »

Un autre sbire Lui donne une gifle en criant : « C’est ainsi que tu réponds au Grand Prêtre ? »

« C’est à Anna que je parle. Le Pontife c’est Caïphe. Et je parle avec le respect dû au vieillard. Mais s’il te semble que j’ai mal parlé, montre-le-moi. Autrement pourquoi me frappes-tu ? »

« Laissez-le faire. Je vais trouver Caïphe. Vous, gardez-le ici jusqu’à ce que j’en décide autrement. Et faites qu’il ne parle à personne. » Anna sort.

Jésus ne parle pas, non, il ne parle pas. Pas même à Jean qui ose rester sur la porte en défiant toute la gent policière. Mais Jésus doit, sans parole, lui donner un commandement, car Jean, après un regard affligé, sort de là et je le perds de vue.

Jésus reste au milieu des argousins. Coups de corde, crachats, injures, coups de pied, les cheveux arrachés, c’est ce qui Lui reste, jusqu’au moment où un serviteur vient dire d’amener le Prisonnier dans la maison de Caïphe.

Et Jésus, toujours lié et maltraité, sort de nouveau sous les arcades, les parcourt jusqu’à une entrée et puis traverse une cour où une foule nombreuse se réchauffe à un feu, car la nuit est devenue froide et venteuse dans ces premières heures du vendredi. Il y a aussi Pierre avec Jean, mêlés à la foule hostile, et ils doivent avoir un beau courage pour rester là… Jésus les regarde et il a une ombre de sourire sur sa bouche déjà enflée par les coups reçus.

Un long chemin à travers les portiques et les atriums et les cours et les couloirs. Mais quelles maisons avaient ces gens du Temple ?

Dans l’enceinte pontificale, la foule n’entre pas. Elle est repoussée dans l’atrium d’Anna. Jésus va seul au milieu des sbires et des prêtres. Il entre dans une vaste salle qui semble perdre sa forme rectangulaire à cause des nombreux sièges disposés en fer à cheval sur trois côtés, en laissant au milieu un espace vide au-delà duquel se trouvent deux ou trois fauteuils montés sur des estrades.

Au moment où Jésus va entrer, le rabbi Gamaliel le rejoint, et les gardes donnent un coup au Prisonnier pour qu’il cède l’entrée au rabbi d’Israël. Mais celui-ci, raide comme une statue, hiératique, ralentit, et en remuant à peine les lèvres, sans regarder personne, demande : « Qui es-tu ? Dis-le-moi. »

Et Jésus, doucement : « Lis les prophètes et tu auras la réponse. Le premier signe est chez eux. L’autre va venir. »

Gamaliel resserre son manteau et entre, et derrière lui entre Jésus. Pendant que Gamaliel va sur un siège, on traîne Jésus au milieu de la salle, en face du Pontife : une vraie figure de criminel et on attend qu’entrent tous les membres du Sanhédrin. Puis la séance commence. Mais Caïphe voit deux ou trois sièges vides et demande : « Où est Éléazar ? Et où est Jean ? »

Un jeune scribe, je crois, se lève, s’incline et dit : « Ils ont refusé de venir. Voici l’écrit. »

« Qu’on le conserve et qu’on écrive, Ils en répondront. Qu’ont les saints membres de ce Conseil à dire à son sujet ? »

« Je parle. Dans ma maison, Lui a violé le sabbat. Dieu m’est témoin que je ne mens pas. Ismaël ben Fabi ne ment jamais. »

« Est-ce vrai, accusé ? »

Jésus se tait.

« Je l’ai vu vivre avec des courtisanes connues. En faisant le prophète, il avait fait de son repaire un lupanar, et pour comble avec des femmes païennes. Avec moi il y avait Sadoc, Collascebona et Nahoum, fiduciaire d’Anna. Dis-je le vrai, Sadoc et Collascebona ? Démentez-moi, si je le mérite. »

« C’est vrai. C’est vrai. »

« Que dis-tu ? »

Jésus se tait.

« Il ne manquait pas une occasion de nous ridiculiser et de nous faire ridiculiser. La plèbe ne nous aime plus à cause de Lui. »

« Tu les entends ? Tu as profané les membres saints. »

Jésus se tait.

« Cet homme est possédé du démon. Revenu d’Égypte, il exerce la magie noire. »

« Comment le prouves-tu ? »

« Sur ma foi et sur les tables de la Loi ! »

« Grave accusation. Disculpe-toi. »

Jésus se tait.

« Ton ministère est illégal, tu le sais. Il est passible de mort. Parle. »

« Illégale est cette séance que nous tenons. Lève-toi, Siméon, et partons » dit Gamaliel.

« Mais rabbi, tu deviens fou ? »

« Je respecte les règles. Il n’est pas permis de procéder comme nous procédons, et j’en ferai une accusation publique. » Et le rabbi Gamaliel sort raide comme une statue, suivi d’un homme d’environ trente-cinq ans qui lui ressemble.

Il y a un peu de tumulte dont profitent Nicodème et Joseph pour parler en faveur du Martyr.

« Gamaliel a raison. Illicite est l’heure et l’endroit, et les accusations manquent de consistance. Quelqu’un peut-il l’accuser d’avoir méprisé notoirement la Loi ? Je suis son ami et je jure que je l’ai toujours trouvé respectueux envers la Loi » dit Nicodème.

« Et moi également. Et pour ne pas souscrire à un crime je me couvre la tête, non à cause de Lui, mais à cause de nous, et je sors. » Et Joseph va descendre de sa place et sortir.

Mais Caïphe braille : « Ah ! vous parlez ainsi ? Que viennent les témoins assermentés, alors. Et écoutez. Puis vous vous en irez. »

Entrent deux figures de galériens. Regards fuyants, sourires cruels, mouvements sournois.

« Parlez. »

« Il n’est pas licite de les entendre ensemble » crie Joseph.

« Je suis le Grand Prêtre. Je commande. Et silence ! »

Joseph donne un coup de poing sur la table et il dit : « Que s’ouvrent sur toi les flammes du Ciel ! À partir de ce moment, sache que Joseph l’Ancien est ennemi du Sanhédrin et ami du Christ. Et de ce pas je vais dire au Préteur qu’ici on tue sans respect pour Rome » et il sort en repoussant violemment un jeune scribe maigre qui voudrait le retenir.

Nicodème, plus paisible, sort sans dire un mot, et en sortant il passe devant Jésus et le regarde…

Nouveau tumulte. On craint Rome. Et la victime expiatoire est encore et toujours Jésus.

« C’est à cause de Toi, tu vois, tout cela ! Tu es le corrupteur des meilleurs juifs. Tu les as prostitués. »

Jésus se tait.

« Que parlent les témoins ! » crie Caïphe.

« Oui, celui-ci usait le… le… Nous le savions… Comment s’appelle cette chose ? »

« Le tétragramme, peut-être ? »

« Voilà ! Tu l’as dit ! Il évoquait les morts. Il enseignait la rébellion pour le sabbat et la profanation pour l’autel. Nous le jurons. Il disait qu’il voulait détruire le Temple pour le reconstruire en trois jours avec l’aide des démons. »

« Non. Il disait : il ne sera pas fait par l’homme. »

Caïphe descend de son siège et vient près de Jésus. Petit, obèse, laid, il semble un énorme crapaud près d’une fleur. Car Jésus, malgré ses blessures, ses contusions, souillé et dépeigné, est encore tellement beau et majestueux.

« Tu ne parles pas ? Quelles accusations ils font contre Toi ! Horribles ! Parle pour enlever de Toi cette honte. »

Mais Jésus se tait. Il le regarde et se tait.

« Réponds à moi, alors. Je suis ton Pontife. Au nom du Dieu vivant, je t’en conjure. Dis-moi : es-tu le Christ, le Fils de Dieu ? »

« Tu l’as dit. Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme, assis à la droite de la puissance du Père, venir sur les nuées du ciel. Du reste, pourquoi m’interroges-tu ? J’ai parlé en public pendant trois ans. Je n’ai rien dit de caché. Interroge ceux qui m’ont entendu. Ils te diront ce que j’ai dit et ce que j’ai fait. »

Un des soldats qui le tiennent le frappe sur la bouche en le faisant saigner de nouveau, et crie : « C’est ainsi que tu réponds, ô satan, au Grand Prêtre ? »

Et Jésus, avec douceur, lui répond comme à celui d’auparavant : « Si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? Si j’ai mal parlé, pourquoi ne me dis-tu pas où je me trompe ? Je répète : je suis le Christ, Fils de Dieu. Je ne puis mentir. Le Grand Prêtre, le Prêtre Éternel, c’est Moi. Et Moi seul je porte le vrai Rational sur lequel il est écrit : Doctrine et Vérité. Et à elles je suis fidèle, jusqu’à la mort, ignominieuse aux yeux des hommes, sainte aux yeux de Dieu, et jusqu’à la bienheureuse Résurrection. Je suis l’Oint. Pontife et Roi je suis. Et je vais prendre mon sceptre et avec lui, comme avec un van, purifier l’aire. Ce Temple sera détruit et ressuscitera, nouveau, saint, car celui-ci est corrompu et Dieu l’a abandonné à son destin. »

« Blasphémateur ! » crient-ils tous en chœur.

« En trois jours tu le feras, fou et possédé ? »

« Non pas celui-ci, mais le mien se dressera, le Temple du Dieu vrai, vivant, saint, trois fois saint. »

« Anathème ! » crient-ils de nouveau en chœur.

Caïphe élève sa voix éraillée et déchire ses vêtements de lin avec des gestes d’horreur étudiés, et il dit : « Quoi d’autre avons-nous besoin d’entendre des témoins ? Le blasphème est dit. Que faisons-nous donc ? »

Et tous en chœur : « Il est passible de la mort. »

Et avec des gestes indignés et scandalisés ils sortent de la salle laissant Jésus à la merci des sbires et de la populace des faux témoins. Ils le giflent, Lui donnent des coups de poing, le couvrent de crachats, Lui bandent les yeux avec un chiffon et puis, en Lui tirant violemment les cheveux, ils l’envoient ça et là, les mains liées de façon qu’il heurte les tables, les chaises et les murs et pendant ce temps Lui demandent : « Qui t’a frappé ? Devine. » Plusieurs fois, en Lui faisant des crocs-en-jambe, ils le font tomber par terre et rient vulgairement en voyant comment, les mains liées, il peine pour se relever.

Les heures passent ainsi, et les bourreaux fatigués songent à prendre un peu de repos. Ils mènent Jésus dans un débarras en Lui faisant traverser de nombreuses cours an milieu des moqueries de la plèbe déjà nombreuse dans l’enceinte des maisons pontificales. Jésus arrive dans la cour où se trouve Pierre près de son feu et il le regarde. Mais Pierre fuit son regard. Jean n’est plus là, je ne le vois pas. Je pense qu’il est parti avec Nicodème…

L’aube avance avec sa couleur vert pâle. Un ordre est donné : ramener le Prisonnier dans la salle du Conseil pour un procès plus légal. C’est le moment où Pierre nie pour la troisième fois de connaître le Christ quand celui-ci passe déjà marqué par ses souffrances. Et dans la lumière verte de l’aube les contusions semblent encore plus atroces sur le visage terreux, les yeux plus profonds et vitreux, un Jésus assombri par la douleur du monde… Un coq jette dans l’air à peine remué de l’aube son cri railleur, sarcastique, gamin. Et c’est à ce moment de grand silence qui s’est fait à l’apparition du Christ, qu’on entend la voix âpre de Pierre qui dit : « Je le jure, femme. Je ne le connais pas », affirmation tranchante, sûre, à laquelle comme un rire moqueur répond de suite le chant gamin du petit coq.

Pierre sursaute. Il tourne sur lui-même pour fuir et se trouve en face de Jésus qui le regarde avec une infinie pitié, avec une douleur si profonde et si intense qu’elle me brise le cœur comme si après cela, je devais voir se dissoudre, et pour toujours, mon Jésus. Pierre fait entendre un sanglot et il sort en titubant comme s’il était ivre. Il s’enfuit derrière deux serviteurs qui sortent dans la rue et se perd dans la route encore à moitié obscure.

Jésus est ramené dans la salle, et ils Lui répètent en chœur la question captieuse : « Au nom du Dieu vrai, dis-nous : es-tu le Christ ? » Et ayant eu la réponse d’avant, ils le condamnent à mort et donnent l’ordre de le conduire à Pilate.

Jésus, escorté par tous ses ennemis, sauf Anna et Caïphe, sort, en repassant par ces cours du Temple où tant de fois il avait parlé et répandu des bienfaits et guéri, il franchit l’enceinte crénelée, entre dans les rues de la ville et, plutôt traîné que conduit, descend vers la ville qui rosit dans une première annonce de l’aurore.

Je crois qu’avec l’unique but de le tourmenter plus longuement ils Lui font faire un long tour vicieux dans Jérusalem, en passant exprès par les marchés, devant les écuries et les auberges remplies de gens à cause de la Pâque. Et aussi bien les déchets des légumes des marchés que les excréments des animaux des écuries deviennent des projectiles pour l’Innocent, dont le visage apparaît avec de plus en plus de bleus et de petites lacérations sanglantes et voilé par les ordures variées qui se sont répandues sur lui, Les cheveux, déjà alourdis et légèrement plaqués par la sueur sanguinolente et devenus plus opaques, pendent maintenant dépeignés, mêlés de pailles et d’immondices, tombent sur les yeux parce qu’ils les ébouriffent pour Lui voiler le visage.

Les gens des marchés, acheteurs et vendeurs, laissent tout en plan pour suivre, et non par amour, le Malheureux. Les garçons d’écuries et les serviteurs des auberges sortent en masse, sourds aux appels et aux ordres de leurs maîtresses. Celles-ci, pour dire la vérité, comme presque toutes les autres femmes sont, sinon toutes opposées aux offenses, du moins indifférentes au tumulte, et se retirent en grommelant parce qu’on les laisse seules avec tant de clients à servir.

La troupe hurlante grossit de minute en minute. Il semble que, par une épidémie inattendue, les âmes et les physionomies changent de nature : les premières deviennent des âmes de criminels et les secondes des masques féroces dans des visages bleus de rage ou rouges de colère, les mains deviennent des griffes et les bouches prennent la forme et le ululement des loups, les yeux deviennent torves, comme ceux des fous. Seul Jésus est toujours Lui-même, bien que maintenant voilé par les immondices répandues sur son corps et altéré par les bleus et les œdèmes.

À un archivolte qui resserre le chemin comme un anneau, alors que tout s’engorge et ralentit, un cri fend l’air : « Jésus ! » C’est Élie, le berger, qui cherche à se faire un passage en faisant tournoyer une lourde matraque. Vieux, puissant, menaçant et fort, il réussit à rejoindre presque le Maître. Mais la foule, déroutée par l’assaut imprévu, serre ses rangs et sépare, repousse, maîtrise cet homme qui est seul contre tout un peuple.

« Maître ! » crie-t-il pendant que le tourbillon de la foule l’absorbe et le repousse.

« Va !… La Mère… Je te bénis… »

Le cortège dépasse le point étroit. Comme une eau qui retrouve le large après une écluse, il se déverse en tumulte dans une vaste avenue élevée au-dessus d’une dépression entre deux collines, au bout desquelles sont de splendides palais de gens riches.

Je recommence à voir le Temple en haut de sa colline, et je comprends que le tour inutile qu’on a fait faire au Condamné pour en faire un objet de moquerie pour toute la ville et permettre à tout le monde de l’insulter, en augmentant à chaque pas ceux qui l’insultent, va se fermer en revenant au point de départ.

D’un palais sort au galop un cavalier. Le caparaçon pourpre sur la blancheur du cheval arabe et la majesté de son aspect, l’épée brandie nue et manœuvrée d’estoc et de taille sur les échines et sur les têtes qui saignent, le font paraître un archange. Quand en caracolant il fait légèrement cabrer son cheval, en faisant des sabots une arme de défense pour la monture et son maître, c’est le plus valable pour s’ouvrir un passage à travers la foule. Ce mouvement fait tomber de la tête le voile pourpre et or qui la couvrait, tenu serré par une bande d’or, et je reconnais Manaën.

« Arrière ! » crie-t-il. « Comment vous permettez-vous de troubler le repos du Tétrarque ? » Mais ce n’est qu’une feinte pour justifier son intervention et sa tentative d’arriver à Jésus. « Cet homme… Laissez-moi le voir… Écartez-vous, ou j’appelle les gardes… »

Les gens, à cause de la grêle de coups de plat et des ruades du cheval et des menaces du cavalier, s’ouvre, et Manaën rejoint le groupe de Jésus et des gardes du Temple qui le tiennent.

« Laissez le passage ! Le Tétrarque est plus que vous, serviteurs dégoûtants. Arrière ! Je veux Lui parler » et il y arrive en chargeant avec son épée le plus acharné des geôliers.

« Maître !… »

« Merci, mais va-t’en ! Et que Dieu te réconforte ! » Et, comme il peut avec ses mains liées, Jésus fait un geste de bénédiction.

La foule siffle de loin, et dès qu’elle voit que Manaën s’est retiré, elle se venge d’avoir été repoussée, par une grêle de pierres et d’immondices sur le Condamné.

Par l’avenue, qui monte et que le soleil a déjà attiédie, on se dirige vers la Tour Antonia dont la masse apparaît déjà au loin.

Un cri aigu de femme : « Oh ! mon Sauveur ! Ma vie pour la sienne, ô Éternel ! » fend l’air.

Jésus tourne la tête, et il voit en haut de la loge fleurie qui couronne une maison très belle, Jeanne de Chouza au milieu de ses servantes et serviteurs, avec les petits Marie et Matthias autour d’elle, qui lève les bras au ciel.

Mais le Ciel n’entend pas les prières, aujourd’hui ! Jésus lève ses mains et trace un geste de bénédiction et d’adieu.

« À mort ! À mort le blasphémateur et le corrupteur, le satan ! À mort ses amis ! » et coups sifflets et pierres volent vers la haute terrasse. Je ne sais si quelqu’un est blessé. J’entends un cri très aigu et je vois le groupe se séparer et disparaître.

Et en avant, en avant, par la montée… Jérusalem montre ses maisons au soleil, vides, vidées par la haine qui pousse toute une ville avec ses habitants effectifs et ceux occasionnels venus pour la Pâque, contre Jésus désarmé.

Des soldats romains, tout un manipule, sort en courant de l’Antonia avec leurs lances dirigées contre la populace qui se disperse en criant. Restent au milieu du chemin Jésus avec les gardes et les chefs des prêtres, des scribes et des anciens du peuple.

« Cet homme ? Cette sédition ? Vous en répondrez à Rome » dit avec hauteur un centurion.

« Il est passible de mort selon notre loi. »

« Et depuis quand vous a-t-on rendu le jus gladii et sanguinis ? » demande toujours le plus ancien des centurions, un visage sévère, un vrai romain, qui a une joue creusée par une cicatrice profonde. Et il parle avec le mépris et le dégoût avec lequel il aurait parlé à des galériens pouilleux.

« Nous savons que nous n’avons pas ce droit. Nous sommes les fidèles sujets de Rome… »

« Ah ! Ah ! Ah ! Entends-les, Longin ! Fidèles ! Sujets ! Charognes ! Je vous donnerais pour vous récompenser les flèches de mes archers. »

« Trop noble une telle mort ! Pour les échines des mulets seulement le fouet… » répond Longin avec un flegme ironique.

Les chefs des prêtres, les scribes et les anciens, écument leur venin. Mais ils veulent arriver à leur but et se taisent, ils avalent l’offense sans montrer qu’ils la comprennent et, s’inclinant devant les deux chefs, ils demandent que Jésus soit conduit à Ponce Pilate pour qu’il le juge et le condamne avec la justice bien connue et honnête de Rome.

« Ah ! Ah ! Ah ! Tu les entends ? Nous sommes devenus plus sages que Minerve… Ici ! Donnez ! Et marchez en avant ! On ne sait jamais. Vous êtes des chacals et des immondes. Vous avoir par derrière est un danger. En avant ! »

« Nous ne pouvons pas. »

« Et pourquoi ? Quand quelqu’un accuse, il doit être devant le juge avec l’accusé. C’est le règlement de Rome. »

« La maison d’un païen est immonde à nos yeux, et nous nous sommes déjà purifiés pour la Pâque. »

« Oh ! les pauvres ! Ils se contaminent à entrer !.,. Et le meurtre de l’unique hébreu qui soit un homme et non un chacal, un reptile votre pareil, ne vous souille pas ? C’est bien. Restez où vous êtes, alors. Pas un pas en avant ou on vous enfilera sur les lances. Une décurie autour de l’Accusé. Les autres contre cette racaille qui sent du bec mal lavé. »

Jésus entre au Prétoire au milieu des dix lanciers qui forment un carré de hallebardes autour de sa personne. Les deux centurions vont en avant. Jésus s’arrête dans un large atrium, au-delà duquel se trouve une cour que l’on entrevoit derrière un rideau que le vent déplace; eux disparaissent derrière une porte. Ils rentrent avec le Gouverneur vêtu d’une toge très blanche sur laquelle il y a pourtant un manteau écarlate. C’est peut-être ainsi qu’ils étaient quand ils représentaient officiellement Rome.

Il entre indolemment, avec un sourire sceptique sur son visage rasé, il frotte entre ses mains des feuilles de cédrat et les flaire avec volupté. Il va vers un cadran solaire et se retourne après l’avoir regardé. Il jette des grains d’encens dans un brasier placé aux pieds d’une divinité. Il se fait apporter de l’eau de cédrat et se gargarise. Il regarde sa coiffure toute bouclée dans un miroir de métal très propre. Il semble avoir oublié le condamné qui attend son approbation pour qu’on le tue. Il ferait venir la colère même à des pierres.

Comme l’atrium est complètement ouvert par devant et surélevé de trois hautes marches sur le niveau du vestibule, qui s’ouvre sur la rue déjà, surélevé de trois autres marches par rapport à celle-ci, les hébreux voient tout parfaitement et frémissent, mais ils n’osent pas se rebeller par peur des lances et des javelots.

Finalement, après avoir marché en long et en large dans la vaste pièce, Pilate va directement en face de Jésus, le regarde et demande aux deux centurions : « Celui-ci ? »

« Celui-ci. »

« Que viennent ses accusateurs » et il va s’asseoir sur un siège placé sur une estrade. Sur sa tête les insignes de Rome s’entrecroisent avec leurs aigles dorées et leur sigle puissant.

« Ils ne peuvent pas venir. Ils se contaminent. »

« Heu !!! Cela vaut mieux. Nous épargnerons des fleuves d’essences pour enlever l’odeur de bouc à l’endroit. Faites-les approcher au moins. Ici dessous, et faites attention qu’ils n’entrent pas puisqu’ils ne veulent pas le faire. Cet homme peut être un prétexte pour une sédition. »

Un soldat s’en va porter l’ordre du Procurateur romain. Les autres s’alignent sur le devant de l’atrium à des distances régulières, beaux comme neuf statues de héros.

S’avancent les princes des prêtres, les scribes et les anciens et ils saluent avec des courbettes serviles et ils s’arrêtent sur la petite place qui est devant le Prétoire, au-delà des trois gradins du vestibule.

« Parlez et soyez brefs. Déjà vous êtes en faute pour avoir troublé la nuit et obtenu par la force l’ouverture des portes. Mais je contrôlerai. Et mandants et mandataires répondront de la désobéissance au décret. » Pilate est allé vers eux, tout en restant dans le vestibule.

« Nous venons soumettre à Rome, dont tu représentes le divin empereur, notre jugement sur celui-ci. »

« Quelle accusation portez-vous contre Lui ? Il me semble inoffensif… »

« Si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas amené. » Et dans leur désir violent d’accuser, ils s’avancent.

« Repoussez cette plèbe ! Six pas au-delà des gradins de la place. Les deux centuries aux armes ! »

Les soldats obéissent rapidement en s’alignant cent sur le gradin extérieur le plus haut, avec le dos tourné au vestibule, et cent sur la petite place sur laquelle s’ouvre le portail d’entrée à la demeure de Pilate. J’ai dit portail d’entrée : je devrais dire andron ou arc de triomphe parce que c’est une très vaste ouverture bornée par une grille, maintenant grande ouverte, qui permet d’entrer dans l’atrium grâce au long couloir du vestibule large au moins de six mètres, de sorte que l’on voit bien ce qui arrive dans l’atrium surélevé. Au-delà du vaste vestibule on voit les figures bestiales des juifs qui regardent menaçantes et sataniques vers l’intérieur, qui regardent au-delà de la barrière armée qui, coude à coude, comme pour une parade, présente deux cents pointes de lances aux lâches assassins.

« Quelle accusation portez-vous contre Lui ? Je le répète. »

« Il a commis un crime contre la Loi des pères. »

« Et vous venez me déranger pour cela ? Prenez-le vous et jugez-le selon vos lois. »

« Nous ne pouvons pas mettre quelqu’un à mort. Nous ne sommes pas savants. Le Droit hébraïque n’est qu’un enfant déficient devant le Droit parfait de Rome. Comme ignorants et comme sujets de Rome, notre maîtresse, nous avons besoin… »

« Depuis quand êtes vous miel et beurre ?… Mais vous avez dit une vérité, ô maîtres du mensonge ! Vous avez besoin de Rome ! Oui. Pour vous débarrasser de Lui qui vous gène. J’ai compris. » Et Pilate rit en regardant le ciel serein qui s’encadre comme un ruban rectangulaire de turquoise foncée entre les blancs murs de marbre de l’atrium.

« Dites : en quoi a-t-il commis un crime contre vos lois ? »

« Nous avons trouvé qu’il mettait le désordre dans notre nation et qu’il empêchait de payer le tribut à César, en se disant le Christ, roi des juifs. »

Pilate retourne près de Jésus, qui est au milieu de l’atrium, laissé là par les soldats lié mais sans escorte tant apparaît nettement sa douceur. Et il Lui demande : « Es-tu le roi des juifs ? »

« Le demandes-tu de toi-même ou parce que d’autres l’insinuent ? »

« Et que veux-tu que m’importe ton royaume ? Suis-je juif, par hasard ? Ta nation et ses chefs t’ont livré pour que je juge. Qu’as-tu fait ? Je sais que tu es loyal. Parle. Est-ce vrai que tu aspires à régner ? »

« Mon Royaume n’est pas de ce monde. Si c’était un royaume du monde, mes ministres et mes soldats auraient combattu pour que les juifs ne s’emparent pas de Moi. Mais mon Royaume n’est pas de la Terre et tu sais que je n’aspire pas au pouvoir. »

« C’est vrai. Je le sais, on me l’a dit. Mais tu ne nies pas que tu es roi ? »

« Tu le dis. Je suis Roi. C’est pour cela que je suis venu au monde : pour rendre témoignage à la Vérité. Qui est ami de la vérité écoute ma voix. »

« Et qu’est-ce que c’est la vérité ? Tu es philosophe ? Cela ne sert pas devant de la mort. Socrate est mort quand même. »

« Mais cela lui a servi devant la vie, à bien vivre et aussi à bien mourir. Et à entrer dans la seconde vie sans avoir trahi les vertus civiques. »

« Par Jupiter ! » Pilate le regarde un moment avec admiration, puis il reprend son sarcasme sceptique. Il fait un geste d’ennui, Lui tourne le dos, et revient vers les juifs.

« Je ne trouve en Lui aucune faute. »

La foule se déchaîne, prise par la panique de perdre sa proie et le spectacle du supplice. Elle crie : « C’est un rebelle ! »

« Un blasphémateur ! »

« Il encourage le libertinage ! »

« Il pousse à la rébellion ! »

« Il refuse le respect à César ! »

« Il veut se faire passer pour prophète »

« Il fait de la magie »

« C’est un satan »

« Il soulève le peuple avec ses doctrines en les enseignant dans toute le Judée, à laquelle il est venu de la Galilée en enseignant »

« À mort ! »

« À mort ! »

« Il est galiléen ? Tu es galiléen ? » Pilate revient vers Jésus : « Tu les entends comme ils t’accusent ? Disculpe-toi. »

Mais Jésus se tait. Pilate réfléchit… Et il décide. « Une centurie, et qu’on le conduise à Hérode. Qu’il le juge, c’est son sujet. Je reconnais le droit du Tétrarque et je souscris à l’avance à son verdict. Qu’on le lui dise. Allez. »

Jésus, encadré comme un gredin par cent soldats, traverse de nouveau la ville et rencontre de nouveau Judas Iscariote qu’il avait déjà rencontré une fois près d’un marché. J’avais oublié auparavant de le dire, écœurée par la bagarre de la populace. Même regard de pitié sur le traître…

Maintenant il est plus difficile de Lui donner des coups de pieds et de bâtons, mais les pierres et les immondices ne manquent pas et, si les pierres font seulement du bruit sur les casques et les cuirasses des romains, elles laissent des marques quand elles atteignent Jésus qui s’avance avec son seul vêtement, ayant laissé son manteau au Gethsémani.

En entrant dans le fastueux palais d’Hérode, il voit Chouza… qui ne peut le regarder et qui fuit pour ne pas le voir dans cet état en se couvrant la tête de son manteau.

Le voilà dans la salle, devant Hérode. Et derrière Lui voilà les scribes et les pharisiens, qui ici se sentent à leur aise, qui entrent en qualité de faux accusateurs. Seul le centurion avec quatre soldats l’escortent devant le Tétrarque.

Celui-ci descend de son siège et tourne autour de Jésus en écoutant les accusations de ses ennemis. Il sourit et raille. Puis il feint une pitié et un respect qui ne troublent pas le Martyr, comme ne l’ont pas troublé les railleries.

« Tu es grand, je le sais. Et je me suis réjoui que Chouza soit ton ami et Manaën ton disciple. Moi… les soucis de l’État… Mais quel désir de te dire : grand… de te demander pardon… L’œil de Jean… sa voix m’accusent et sont toujours devant moi. Tu es le saint qui efface les péchés du monde. Absous-moi, ô Christ. »

Jésus se tait.

« J’ai entendu qu’ils t’accusent de t’être dressé contre Rome. Mais n’es-tu la verge promise pour frapper Assur ? »

Jésus se tait.

« On m’a dit que tu prophétises la fin du Temple et de Jérusalem. Mais le Temple n’est-il pas éternel comme esprit, puisqu’il est voulu par Dieu qui est éternel ? »

Jésus se tait.

« Tu es fou ? Tu as perdu ton pouvoir ? Satan te coupe la parole ? Il t’a abandonné ? »

Hérode rit maintenant, mais ensuite il donne un ordre. Et des serviteurs accourent amenant un lévrier dont la jambe est cassée et qui glapit lamentablement, et un palefrenier idiot dont la tête est pleine d’eau, qui bave, un avorton, jouet des serviteurs.

Les scribes et les prêtres fuient en criant au sacrilège en voyant le chien sur un brancard.

Hérode, faux et railleur, explique : « C’est le préféré d’Hérodiade. Un cadeau de Rome. Il s’est cassé une patte hier et elle pleure. Commande qu’il guérisse. Fais un miracle. »

Jésus le regarde avec sévérité et se tait.

« Je t’ai offensé ? Alors celui-ci. C’est un homme, bien qu’il soit de peu plus qu’une bête. Donne-lui l’intelligence, Toi, Intelligence du Père… N’est-ce pas ce que tu dis ? » Et il rit, offensant.

Un autre regard plus sévère de Jésus et silence.

« Cet homme est trop abstinent et maintenant il est abruti par les mépris. Du vin et des femmes ici, et qu’on le délie. »

On le délie. Et pendant que des serviteurs en grand nombre apportent des amphores et des coupes, des danseuses entrent… couvertes de rien. Une frange multicolore de lin ceint pour unique vêtement leur mince personne de la ceinture aux hanches. Rien d’autre. Bronzées parce que africaines, souples comme de jeunes gazelles, elles commencent une danse silencieuse et lascive.

Jésus repousse les coupes et il ferme les yeux sans parler. La cour d’Hérode rit devant son indignation.

« Prends celle que tu veux. Vis ! Apprends à vivre !… » Insinue Hérode.

Jésus semble une statue. Les bras croisés, les yeux fermés, il ne bouge pas même quand les danseuses impudiques le frôlent de leurs corps nus.

« Suffit. Je t’ai traité en Dieu et tu n’as pas agi en Dieu. Je t’ai traité en homme et tu n’as pas agi en homme. Tu es fou. Un vêtement blanc. Revêtez-le de celui-ci pour que Ponce Pilate sache que le Tétrarque a jugé fou son sujet. Centurion, tu diras au Proconsul que Hérode lui présente humblement son respect et vénère Rome. Allez. »

Et Jésus, attaché de nouveau, sort avec une tunique de lin qui Lui arrive aux genoux par dessus son vêtement rouge de laine.

Et ils reviennent vers Pilate.

Maintenant la centurie fend non sans peine la foule qui ne s’est pas lassée d’attendre devant le palais proconsulaire. Il est étrange de voir une foule si nombreuse en ce lieu et dans le voisinage, alors que le reste de la ville paraît vide. Jésus voit les bergers en groupe et ils sont au complet : Isaac, Jonathas, Lévi, Joseph, Élie, Matthias, Jean, Siméon, Benjamin et Daniel, avec un petit groupe de galiléens où je reconnais Alphée et Joseph d’Alphée, avec deux autres que je ne connais pas, mais que je dirais juifs à cause de leur coiffure. Et plus loin, qui s’est glissé à l’intérieur du vestibule à demi caché derrière une colonne, avec un romain que je dirais un serviteur, il voit Jean. Il sourit à celui-ci et à ceux-là… Ses amis… Mais que sont ces amis si peu nombreux et Jeanne, et Manaën, et Chouza au milieu d’un océan de haine qui bout ?…

Le centurion salue Ponce Pilate et fait son rapport.

« Ici encore ? ! Ouf ! Maudite race ! Faites avancer la populace et amenez ici l’Accusé. Heu ! Quel ennui ! »

Il va vers la foule en s’arrêtant toujours au milieu du vestibule.

« Hébreux, écoutez. Vous m’avez amené cet homme comme fauteur de troubles. Devant vous je l’ai examiné, et je n’ai trouvé en Lui aucun des crimes dont vous l’accusez. Hérode pas plus que moi n’a rien trouvé. Et il nous l’a renvoyé. Il ne mérite pas la mort. Rome a parlé. Cependant, pour ne pas vous déplaire en vous enlevant votre amusement, je vais vous donner Barabbas. Et Lui, je le ferai frapper par quarante coups de fustigation. Cela suffit. »

« Non, non ! Pas Barabbas ! Pas Barabbas ! Pour Jésus la mort ! Une mort horrible ! Libère Barabbas et condamne le Nazaréen. »

« Écoutez ! J’ai dit fustigation. Cela ne suffit pas ? Je vais le faire flageller alors ! C’est atroce, savez-vous ? On peut en mourir. Qu’a-t-il fait de mal ? Je ne trouve aucune faute en Lui et je le délivrerai. »

« Crucifie-le ! Crucifie-le ! À mort ! Tu protèges les criminels ! Païen ! Satan toi aussi ! »

La foule s’avance par dessous et le premier rang de soldats se déforme dans le heurt car ils ne peuvent se servir de leurs lances. Mais le second rang, descendant d’un gradin, fait tourner les lances et dégage ses compagnons.

La flagellation

« Qu’il soit flagellé » commande Pilate à un centurion.

« Combien de coups ? »

« Autant qu’il te semble… Le tout est d’en finir. Et je suis ennuyé. Va. »

Jésus est emmené par quatre soldats dans la cour au-delà de l’atrium. Dans cette cour, toute pavée de marbre de couleur, il y a au milieu une haute colonne semblable à celle du portique. À environ trois mètres du sol elle a un bras de fer qui dépasse d’au moins d’un mètre et se termine en anneau. On y attache Jésus avec les mains jointes au-dessus de la tête, après l’avoir fait déshabiller. Il ne garde qu’un petit caleçon de lin et ses sandales. Les mains, attachées aux poignets, sont élevées jusqu’à l’anneau, de façon que Lui, malgré sa haute taille, n’appuie au sol que la pointe des pieds… Et cette position doit être aussi une torture.

J’ai lu, je ne sais où, que la colonne était basse et que Jésus se tenait courbé. Possible. Moi, je dis ce que je vois.

Derrière Lui se place une figure de bourreau au net profil hébraïque, devant Lui une autre figure pareille. Ils sont armés d’un fouet fait de sept lanières de cuir, attachées à un manche et qui se terminent par un martelet de plomb. Rythmiquement, comme pour un exercice, ils se mettent à frapper. L’un devant, l’autre derrière, de manière que le tronc de Jésus se trouve pris dans un tourbillon de coups de fouets. Les quatre soldats auxquels il a été remis, indifférents, se sont mis à jouer aux dés avec trois autres soldats qui se sont joints à eux.

Et les voix des joueurs suivent la cadence des fouets qui sifflent comme des serpents et puis résonnent comme des pierres jetées sur la peau tendue d’un tambour. Ils frappent le pauvre corps si mince et d’un blanc de vieil ivoire et qui se zèbre d’abord d’un rosé de plus en plus vif, puis violet, puis il se couvre de traces d’indigo gonflées de sang, qui se rompent en laissant couler du sang de tous côtés. Ils frappent en particulier le thorax et l’abdomen, mais il ne manque pas de coups donnés aux jambes et aux bras et même à la tête, pour qu’il n’y eût pas un lambeau de la peau qui ne souffrît pas.

Et pas une plainte… S’il n’était pas soutenu par les cordes, il tomberait. Mais il ne tombe pas et ne gémit pas. Seulement, après une grêle de coups qu’il a reçus, sa tête pend sur sa poitrine comme s’il s’évanouissait.

« Ohé ! Arrête-toi ! Il doit être tué vivant » crie et bougonne un soldat.

Les deux bourreaux s’arrêtent et essuient leur sueur.

« Nous sommes épuisés » disent-ils. « Donnez-nous la paie, pour que l’on puisse boire pour se désaltérer… »

« C’est la potence que je vous donnerais ! Mais prenez… ! » et le décurion jette une large pièce à chacun des deux bourreaux.

« Vous avez travaillé comme il faut. Il ressemble à une mosaïque. Tito, tu dis que c’était vraiment Lui l’amour d’Alexandre ? Alors nous le lui ferons savoir pour qu’il en fasse le deuil. Délions-le un peu. »

Ils le délient et Jésus s’abat sur le sol comme s’il était mort. Ils le laissent là, le heurtant de temps en temps de leurs pieds chaussés de caliges pour voir s’il gémit.

Mais Lui se tait.

« Qu’il soit mort ? C’est possible ? Il est jeune et c’est un artisan, m’a-t-on dit… et on dirait une dame délicate. »

« Maintenant je m’en occupe » dit un soldat. Et il l’assoit, le dos appuyé à la colonne. Où il était, il y a des caillots de sang… Puis il va à une fontaine qui coule sous le portique, remplit d’eau une cuvette et la renverse sur la tête et le corps de Jésus. « Voilà ! L’eau fait du bien aux fleurs. »

Jésus soupire profondément et il va se lever, mais il reste encore les yeux fermés.

« Oh ! bien ! Allons, mignon ! Ta dame t’attend !… »

Mais Jésus appuie inutilement les mains au sol pour tenter de se redresser.

« Allons ! Vite ! Tu es faible ? Voilà pour te redonner des forces » raille un autre soldat. Et avec le manche de sa hallebarde il Lui donne une volée de coups au visage et il atteint Jésus entre la pommette droite et le nez, qui se met à saigner.

Jésus ouvre les yeux, les tourne. Un regard voilé… Il fixe le soldat qui l’a frappé, s’essuie le sang avec la main, et ensuite se lève grâce à un grand effort.

« Habille-toi. Ce n’est pas décent de rester ainsi. Impudique ! » Et ils rient tous en cercle autour de Lui.

Il obéit sans parler. Il se penche, et Lui seul sait ce qu’il souffre en se penchant vers le sol, couvert de contusions comme il l’est et avec des plaies qui lorsque la peau se tend s’ouvrent plus encore et d’autres qui se forment à cause des cloques qui crèvent. Un soldat donne un coup de pied aux vêtements et les éparpille et chaque fois que Jésus les rejoint, allant en titubant où ils sont tombés, un soldat les repousse ou les jette dans une autre direction. Et Jésus, qui éprouve une souffrance aiguë, les suit sans dire un mot pendant que les soldats se moquent de Lui en tenant des propos obscènes.

Il peut finalement se revêtir. Il remet aussi le vêtement blanc resté propre dans un coin. Il semble qu’il veuille cacher son pauvre vêtement rouge, qui hier seulement était si beau et qui maintenant est sale et taché par le sang versé au Gethsémani. Et même, avant de mettre sa tunicelle sur la peau, il essuie avec elle son visage mouillé et le nettoie ainsi de la poussière et des crachats. Et lui, le pauvre, le saint visage, apparaît propre, marqué seulement de bleus et de petites blessures. Il redresse sa coiffure tombée en désordre, et sa barbe, par un besoin inné d’être ordonné dans sa personne.

Et puis il s’accroupit au soleil, car il tremble, mon Jésus… La fièvre commence à se glisser en Lui avec ses frissons, et aussi se fait sentir la faiblesse venant du sang perdu, du jeûne, du long chemin.

On Lui lie de nouveau les mains, et la corde revient scier là où il y a déjà un rouge bracelet de peau écorchée.

Le couronnement d’épines

« Et maintenant ? Qu’en faisons-nous ? Moi, je m’ennuie ! »

« Attends. Les juifs veulent un roi, nous allons le leur donner. Celui-là… » dit un soldat.

Et il court dehors, certainement dans une cour qui se trouve derrière, d’où il revient avec un fagot de branches d’aubépine sauvage. Elles sont encore flexibles car le printemps garde les branches relativement souples, mais bien dures avec leurs épines longues et pointues. Avec leur dague ils enlèvent les feuilles et les fleurettes, ils plient les branches en forme de cercle et les enfoncent sur la pauvre tête. Mais la couronne barbare Lui retombe sur le cou.

« Elle ne tient pas. Plus étroite. Enlève-la. »

Ils l’enlèvent et griffent les joues en risquant de l’aveugler et arrachent ses cheveux en le faisant. Ils la resserrent. Maintenant elle est trop étroite et bien qu’ils l’enfoncent en faisant pénétrer les épines dans la tête, elle menace de tomber. Ils l’enlèvent de nouveau en Lui arrachant d’autres cheveux. Ils la modifient de nouveau. Maintenant, elle va bien. Par devant un triple cordon épineux. En arrière, là où les extrémités des branches se croisent, c’est un vrai noeud d’épines qui entrent dans la nuque.

« Vois-tu comme tu es bien ? Bronze naturel et vrais rubis. Regarde-toi, ô roi, dans ma cuirasse » bougonne celui qui a eu l’idée du supplice.

« La couronne ne suffit pas pour faire un roi. Il faut la pourpre et le sceptre. Dans l’écurie il y a un roseau et aux ordures une chlamyde rouge. Prends-les, Cornélius. »

Et quand ils les ont, ils mettent le sale chiffon rouge sur les épaules de Jésus. Avant de mettre dans ses mains le roseau, ils Lui en donnent des coups sur la tête en s’inclinant et en saluant : « Salut, roi des juifs » et ils se tordent de rire.

Jésus les laisse faire. Il se laisse asseoir sur le « trône », un bassin retourné, certainement employé pour abreuver les chevaux. Il se laisse frapper, railler, sans jamais parler. Il les regarde seulement… et c’est un regard d’une douceur et d’une souffrance si atroce que je ne puis le soutenir sans m’en sentir blessée au cœur.

Les soldats n’arrêtent leurs railleries qu’en entendant la voix âpre d’un supérieur qui demande que l’on traduise devant Pilate le coupable.

Coupable ! De quoi ?

Jésus est ramené dans l’atrium maintenant couvert d’un précieux vélarium à cause du soleil. Il a encore la couronne et le roseau et la chlamyde.

« Avance que je te montre au peuple. »

Jésus, bien que brisé, se redresse avec dignité. Oh ! comme il est vraiment roi !

« Écoutez, hébreux. L’homme est ici, je l’ai puni. Mais maintenant laissez-le aller. »

« Non, non ! Nous voulons le voir ! Dehors ! Que l’on voie le blasphémateur. »

« Conduisez-le dehors et veillez à ce que l’on ne le prenne pas. »

Et pendant que Jésus sort dans le vestibule et se montre dans le carré des soldats, Ponce Pilate le montre de la main en disant : « Voilà l’homme. Votre roi. Cela ne suffit pas encore ? »

Le soleil d’une journée accablante, qui maintenant descend presque à pic car on est au milieu entre tierce et sexte, allume et met en relief les regards et les visages. Sont-ils des hommes ? Non, des hyènes enragées. Ils crient, montrent le poing, demandent la mort…

Jésus est debout. Et je vous assure que jamais il n’a eu la noblesse de maintenant. Pas même quand il faisait les miracles les plus puissants. Noblesse de la souffrance. Mais il est tellement divin qu’il suffirait à le marquer du nom de Dieu. Mais pour dire ce nom il faut être au moins des hommes. Et Jérusalem n’a pas d’hommes aujourd’hui. Elle n’a que des démons.

Jésus tourne son regard vers la foule, cherche, trouve dans la mer des visages haineux, les visages amis. Combien ? Moins de vingt amis parmi les milliers d’ennemis… Et il incline la tête, frappé par cet abandon. Une larme tombe… une autre… une autre… la vue de ses pleurs ne suscite pas la pitié, mais une haine encore plus forte.

On le ramène dans l’atrium.

« Donc ? Laissez-le aller. C’est justice. »

« Non. À mort ! Crucifie-le. »

*Je vous donne Barabbas. »

« Non. Le Christ ! »

« Et alors chargez-vous-en. Prenez sur vous de le crucifier, car moi je ne trouve aucune faute en Lui, pour le faire. »

« Il s’est dit le Fils de Dieu. Notre loi prescrit la mort pour celui qui se rend coupable d’un tel blasphème. »

Pilate devient pensif. Il rentre, il s’assoit sur son petit trône. Il met la main à son front, son coude sur son genoux, et il scrute Jésus.

« Approche-toi » dit-il.

Jésus va au pied de l’estrade.

« Est-ce vrai ? Réponds. »

Jésus se tait.

« D’où viens-tu ? Qu’est-ce que Dieu ? »

« C’est le Tout. »

« Et puis ? Que veut dire le Tout ? Qu’est le Tout pour celui qui meurt ? Tu es fou… Dieu n’existe pas. Moi, j’existe. »

Jésus se tait. Il a laissé tomber la grande parole et puis il recommence à s’envelopper de silence.

« Ponce : l’affranchie de Claudia Procula demande à entrer. Elle a un écrit pour toi. »

« Domine ! Les femmes aussi maintenant ! Qu’elle vienne. »

Une romaine entre et elle s’agenouille pour présenter une tablette de cire. Ce doit être celle où Procula prie son mari de ne pas condamner Jésus. La femme se retire à reculons pendant que Pilate lit.

« On me conseille d’éviter ton homicide. Est-ce vrai que tu es plus qu’un haruspice ? Tu me fais peur. » Jésus se tait.

« Mais ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te libérer ou de te crucifier ? »

« Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut. Aussi celui qui m’a mis entre tes mains est plus coupable que toi. »

« Qui est-ce ? Ton Dieu ? J’ai peur… » Jésus se tait. Pilate est sur des charbons ardents : il voudrait et ne voudrait pas. Il craint le châtiment de Dieu, il craint celui de Rome, il craint la vengeance des juifs. Un moment c’est la peur de Dieu qui l’emporte. Il va sur le devant de l’atrium et dit d’une voix tonnante : « Il n’est pas coupable. »

« Si tu le dis, tu es ennemi de César. Celui qui se fait roi est son ennemi. Tu veux libérer le nazaréen. Nous le ferons savoir à César. »

Pilate est pris par la peur de l’homme.

« Vous voulez sa mort, en somme ? Soit ! Mais que le sang de ce juste ne soit pas sur mes mains » et, s’étant fait apporter un bassin, il se lave les mains en présence du peuple qui paraît pris de frénésie et crie : « Sur nous, sur nous son sang. Qu’il retombe sur nous et sur nos enfants. Nous ne le craignons pas. À la croix ! À la croix ! »

Ponce Pilate retourne sur son trône, il appelle le centurion Longin et un esclave. Il se fait apporter par l’esclave une table sur laquelle il appuie une pancarte et y fait écrire : « Jésus Nazaréen, Roi des juifs. » Et il la montre au peuple.

« Non, pas ainsi. Pas roi des Juifs, mais qu’il a dit qu’il serait roi des Juifs. » Ainsi crient plusieurs.

« Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » dit durement Pilate, et debout, il étend les mains les paumes en avant et en bas et ordonne : « Qu’il aille à la croix. Soldat, va, prépare la croix. » Et il descend, sans même plus se retourner vers la foule agitée, ni vers le pâle Condamné. Il sort de l’atrium…

Jésus reste au milieu de l’atrium sous la garde des soldats, attendant la croix.

Soirée du 7-3-44.

À qui puis-je dire ce que je souffre ? À personne de cette Terre car ce n’est pas une souffrance de le Terre et elle ne serait pas comprise. C’est une souffrance qui est douceur et une douceur qui est souffrance. Je voudrais souffrir dix fois, cent fois autant. Pour rien au monde je voudrais ne plus souffrir cela. Mais cela n’empêche pas que je souffre comme quelqu’un qu’on prend à la gorge, qu’on serre dans un étau, qu’on brûle dans un four, qu’on transperce jusqu’au cœur .

S’il m’était permis de me mouvoir, de m’isoler de tout le monde et de pouvoir, dans le mouvement et le chant, donner un soulagement à mon sentiment, puisque c’est une souffrance de sentiment, j’en serais soulagée. Mais je suis comme Jésus sur la croix. Il ne m’est plus accordé ni mouvement ni solitude et je dois serrer les lèvres pour ne pas donner en pâture aux curieux ma douce agonie. Serrer les lèvres, ce n’est pas une façon de parler ! Je dois faire un grand effort pour maîtriser l’impulsion qui me porte à pousser le cri de joie et de peine surnaturelle qui fermente en mon intérieur et monte avec l’impétuosité d’une flamme ou d’un jet d’eau.

Les yeux voilés de souffrance de Jésus : Ecce Homo, m’attirent comme un aimant. Il est en face de moi et il me regarde debout sur les gradins du Prétoire, avec sa tête couronnée, les mains liées sur son vêtement blanc de fou avec lequel ils voulaient le ridiculiser et au contraire ils l’ont vêtu d’une candeur digne de l’Innocent. Il ne parle pas. Mais tout en Lui parle et m’appelle et me demande.

Que demande-t-il ? Que je l’aime. Cela je le sais et le Lui donne au point de me sentir mourir comme si j’avais une lame dans la poitrine. Mais il me demande encore quelque chose que je ne comprends pas, et que je voudrais comprendre. Voilà ma torture. Je voudrais Lui donner tout ce qu’il peut désirer même si je dois mourir de douleur. Et je n’y réussis pas.

Son visage douloureux m’attire et me fascine. Il est beau quand il est le Maître ou le Christ ressuscité. Mais cette vue me donne seulement de la joie, alors que cette autre me donne un amour profond, plus profond que ne peut l’être l’amour d’une mère pour son enfant souffrant.

Oui, je le comprends. L’amour de compassion c’est la crucifixion de la créature qui suit le Maître jusqu’à la torture finale. C’est un amour despotique qui nous interdit toute pensée qui n’est pas celle de sa douleur. Nous ne nous appartenons plus. Nous vivons pour consoler sa torture et sa torture est notre tourment qui nous tue. pas seulement métaphoriquement. Et pourtant toute larme que nous arrache la douleur est plus précieuse qu’une perle et toute souffrance que nous comprenons ressemble à la sienne plus désirée et plus aimée qu’un trésor.

Père, je me suis efforcée de dire ce que j’éprouve. Mais c’est inutile. De toutes les extases que Dieu peut me donner, ce sera toujours celle de sa souffrance qui portera mon âme jusqu’à son septième ciel. Mourir d’amour en regardant mon Jésus qui souffre, je trouve que c’est la plus belle mort.

Source

L’agonie et la capture au Gethsémani

La route est entièrement silencieuse. Seule l’eau d’une fontaine qui retombe dans un bassin de pierre rompt le profond silence. Le long des murs des maisons, du côté de l’orient, il y a encore de l’obscurité, alors que de l’autre côté la lune commence à blanchir le sommet des maisons et là où la route s’élargit pour former une petite place voilà que la clarté laiteuse et argentée de la lune descend pour embellir aussi les cailloux et la terre de la route. Mais sous les nombreux archivoltes qui vont d’une maison à l’autre, semblables à des pont-levis ou à des étais pour ces vieilles maisons aux ouvertures peu nombreuses sur les rues, et qui à cette heure sont toutes closes et sombres comme si c’étaient des maisons abandonnées, c’est l’obscurité complète, et la torche rougeâtre portée par Simon acquiert une singulière vivacité et une utilité encore plus grande. Les visages, dans cette lumière rouge et mobile, se montrent avec un relief net et tous, tant qu’ils sont, révèlent autant d’état d’âme différents.

Le plus solennel et le plus calme, c’est celui de Jésus. Pourtant la fatigue le vieillit en y faisant paraître des lignes inhabituelles qui font déjà apparaître la future effigie de son visage recomposé dans la mort.

Jean, qui est à côté de Lui, tourne un regard étonné, dolent sur tout ce qu’il voit. On dirait un enfant terrorisé par quelque récit qu’il a entendu ou quelque promesse effrayante et qui demande de l’aide à qui il sait être plus que lui. Mais qui peut l’aider ?

Simon, qui est de l’autre côté de Jésus, a le visage fermé, sombre, de quelqu’un qui rumine des pensées atroces, et c’est encore le seul qui après Jésus montre un aspect plein de dignité.

Les autres, qui en deux groupes ne cessent de se déformer, sont tous en fermentation. De temps à autre la voix rauque de Pierre ou celle de baryton de Thomas s’élèvent avec une résonance étrange. Puis ils baissent la voix comme effrayés de ce qu’ils disent. Ils discutent sur ce qu’il faut faire, et l’un propose une chose et l’autre une autre. Mais toutes les propositions tombent car réellement va commencer « l’heure des ténèbres » et les jugements humains restent obscurs et confus.

« Il fallait me le dire plus tôt » dit Pierre fâché.

« Mais personne n’a parlé. Pas le Maître… »

« Oui ! Justement Lui te le disait. Mais, frère ! Il semble que tu ne le connaisses pas !… »

« Moi je ressentais quelque trouble et j’ai dit : « Allons mourir avec Lui ». Vous vous le rappelez ? Mais, par notre Très Saint Dieu, si j’avais su que c’était Judas de Simon !… » tonne Thomas d’une voix menaçante.

« Et que voulais-tu faire ? » demande Barthélemy.

« Moi ? Je le ferais encore maintenant si vous m’aidiez ! »

« Quoi ? Tu partirais pour le tuer ? Et où ? »

« Non. J’éloignerais le Maître. C’est plus simple. »

« Il ne viendrait pas ! »

« Je ne Lui demanderais pas de venir. Je l’enlèverais comme on enlève une femme. »

« Ce ne serait pas une mauvaise idée ! » dit Pierre. Et, impulsif, il revient en arrière, se met dans le groupe des deux fils d’Alphée qui avec Matthieu et Jacques parlent doucement comme des conjurés.

« Écoutez : Thomas dit d’éloigner Jésus. Tous ensemble. On pourrait… du Get-Samni par Bethphagé à Béthanie et de là… en route pour quelque endroit. Le faisons-nous ? Une fois Lui mis en lieu sûr, on revient et on extermine Judas. »

« C’est inutile. Israël n’est qu’une trappe » dit Jacques d’Alphée.

« Et maintenant elle est tout près de se fermer. On le comprenait. Trop de haine ! »

« Mais, Matthieu ! Tu me fais enrager ! Tu avais plus de courage quand tu étais pécheur ! Philippe, parle. »

Philippe, qui vient tout à fait seul et paraît se faire un monologue, lève le visage et s’arrête. Pierre le rejoint et ils parlent entre eux. Puis ils rejoignent le groupe de tout à l’heure. « Moi, je dirais que le meilleur endroit, c’est dans le Temple » dit Philippe.

« Es-tu fou ? » crient les cousins, Matthieu et Jacques. « Mais si là on veut sa mort ! »

« Chut ! Quel vacarme ! Je sais ce que je dis. Ils le chercheront partout, mais pas là. Toi et Jean avez de bonnes amitiés parmi les serviteurs d’Anna. On donne une bonne poignée d’or… et tout est fait. Croyez-le ! Le meilleur endroit pour cacher quelqu’un que l’on recherche, c’est la maison du geôlier. »

« Moi, je ne le fais pas » dit Jacques de Zébédée. « Mais écoute aussi les autres, Jean pour commencer. Et si ensuite ils l’arrêtent ? Je ne veux pas qu’on dise que c’est moi le traître… »

« Je n’y avais pas pensé. Et alors ? » Pierre est anéanti.

« Et alors je dirais qu’il faut faire une chose par pitié. La seule que nous puissions : éloigner la Mère » dit Jude d’Alphée.

« Bon !… Mais… qui y va ? Qu’est-ce qu’on lui dit ? Vas-y toi, son parent. »

« Moi, je reste avec Jésus. C’est mon droit. Vas-y toi. »

« Moi ?! Je me suis armé d’une épée pour mourir comme Eléazar de Saura. Je traverserai des légions pour défendre mon Jésus et je frapperai sans retenue. Si la force de ceux qui sont plus nombreux me tue, n’importe. Je l’aurai défendu » proclame Pierre.

« Mais es-tu vraiment sûr que c’est l’Iscariote ? » demande Philippe au Thaddée.

« J’en suis sûr. Aucun de nous n’a un cœur de serpent. Il n’y a que lui… Va, Matthieu, trouver Marie et dis-lui… »

« Moi ? La tromper ? La voir, ignorante, à côté de moi, et puis ?… Ah ! non. Je suis prêt à mourir, mais pas à trahir cette colombe… »

Les voix se confondent en un murmure.

« Tu entends ? Maître, nous t’aimons » dit Simon.

« Je le sais. Je n’ai pas besoin de ces paroles pour le savoir. Et si elles donnent la paix au cœur du Christ, elles blessent son âme. »

« Pourquoi, mon Seigneur ? Ce sont des paroles d’amour. »

« D’un amour tout humain. En vérité, en ces trois ans, je n’ai rien fait, car vous êtes encore plus humains qu’à la première heure. Il fermente en vous tous les ferments les plus fangeux, ce soir. Mais ce n’est pas votre faute… »

« Sauve-toi, Jésus ! » dit Jean en gémissant.

« Je me sauve. »

« Oui ? Oh ! mon Dieu, merci ! » Jean paraît une fleur qui plie en se desséchant et qui redevient fraîche sur sa tige. « Je le dis aux autres. Où allons-nous ? »

« Moi à la mort. Vous à la Foi. »

« Mais n’avais-tu pas dit maintenant que tu te sauves ? » Le préféré est de nouveau accablé.

« Je me sauve, en fait, je me sauve. Si je n’obéissais pas au Père, je me perdrais. J’obéis, donc je me sauve. Mais ne pleure pas ainsi ! Tu es moins brave que les disciples de ce philosophe grec dont je t’ai parlé un jour. Eux restèrent près de leur maître que faisait mourir la ciguë, pour le réconforter par leur virile douleur. Toi… tu sembles un enfant qui a perdu son père. »

« Et n’en est-il pas ainsi ? C’est plus que si je perdais mon père ! Je te perds Toi… »

« Tu ne me perds pas puisque tu continues de m’aimer. Est perdu quelqu’un qui est séparé de nous par l’oubli sur la Terre et par le jugement de Dieu dans l’au-delà. Mais nous ne serons pas séparés. Jamais. Ni par celui-ci, ni par celui-là. »

Mais Jean n’entend pas raison.

Simon s’approche encore plus près de Jésus et Lui confie à voix basse : « Maître… moi… Simon Pierre et Moi, nous espérions faire quelque chose de bon… Mais… Toi qui sais tout, dis-moi : dans combien d’heures penses-tu être capturé ? »

« Avant que la lune ne soit au sommet de son arc. »

Simon fait un geste de douleur et d’impatience, pour ne pas dire de dépit. « Alors tout a été inutile… Maître, je vais t’expliquer. Tu as presque reproché à Simon Pierre et à moi de t’avoir laissé seul dans ces derniers jours… Mais nous nous éloignions pour Toi… Par amour pour Toi. Pierre, dans la nuit de lundi, impressionné par tes paroles, est venu me trouver pendant mon sommeil et il m’a dit : « Toi et Moi, je me fie à toi, nous devons faire quelque chose pour Jésus. Même Judas a dit vouloir s’en occuper » Oh ! pourquoi n’avons-nous pas compris alors ? Pourquoi ne nous as-tu rien dit, Toi ? Mais dis-moi : tu ne l’as dit à personne ? Vraiment à personne ? Peut-être l’as-tu compris seulement il y a quelques heures ? »

« Je l’ai toujours su. Avant même qu’il fût au nombre des disciples. Et pour que son crime ne fût pas parfait, du côté divin et du côté humain, j’ai cherché de toutes les manières de l’éloigner de Moi. Ceux qui veulent que je meure sont les bourreaux de Dieu. Lui, mon disciple et ami, est aussi le Traître, le bourreau de l’homme. Mon premier bourreau car il m’a déjà fait mourir par l’effort de l’avoir à côté de Moi, à ma table, et de devoir le protéger de Moi-même contre vous. »

« Et personne ne le sait ? »

« Jean. Je lui l’ai dit à la fin de la Cène. Mais qu’avez-vous fait ? »

« Et Lazare ? Il ne sait vraiment rien Lazare ? Aujourd’hui nous sommes allés chez lui. En effet, il est venu de grand matin, a sacrifié et est reparti, sans même s’arrêter à son palais et sans aller au Prétoire, car lui y va toujours par suite d’une habitude prise par son père. Et Pilate, tu le sais, est dans la ville, ces jours-ci… »

« Oui. Ils y sont tous. Il y a Rome, la nouvelle Sion, avec Pilate. Il y a Israël avec Caïphe et Hérode. Il y a tout Israël, car la Pâque a rassemblé les enfants de ce peuple au pied de l’autel de Dieu… As-tu vu Gamaliel ? »

« Oui. Pourquoi me le demandes-tu ? Je dois le revoir aussi, demain… »

« Gamaliel, ce soir est à Bethphagé. Je le sais. Quand nous serons arrivés au Gethsémani tu iras trouver Gamaliel et tu lui diras : « Sous peu tu auras le signe que tu attends depuis vingt et un ans ». Rien d’autre. Et puis tu reviendras avec tes compagnons. »

« Mais comment le sais-tu ? Oh ! Maître, mon pauvre Maître qui n’as même pas le réconfort d’ignorer les œuvres d’autrui ! »

« Tu dis bien ! Le réconfort d’ignorer ! Pauvre Maître ! Car il y a plus d’œuvres mauvaises que de bonnes. Mais je vois aussi celles qui sont bonnes et je m’en réjouis. »

« Alors tu sais que… »

« Simon, c’est l’heure de ma passion. Pour la rendre plus complète, le Père me retire la lumière à mesure qu’on approche. D’ici peu, je n’aurai que ténèbres et la contemplation de ce que sont les ténèbres : c’est-à-dire tous les péchés des hommes. Tu ne peux, vous ne pouvez pas comprendre. Personne, à moins d’y être appelé par Dieu pour une mission spéciale, ne comprendra cette passion dans la grande Passion. Puisque l’homme est matériel, même dans l’amour et dans la méditation, il y en aura qui pleureront et souffriront à cause des coups que j’ai reçus, et de mes tortures de Rédempteur, mais on ne mesurera pas cette torture spirituelle qui, croyez-le vous qui m’écoutez, sera la plus atroce… Parle-moi donc, Simon. Guide-moi sur les sentiers où ton amitié est allée pour Moi, car je suis un pauvre qui perd la vue et qui voit des fantômes, et non des choses réelles… »

Jean le serre contre lui et demande : « Quoi ? Tu ne vois plus ton Jean ? »

« Je te vois, mais les fantômes surgissent du brouillard de Satan, visions de cauchemar et de douleur. Nous sommes tous enveloppés dans ce miasme d’enfer, ce soir. En Moi, il cherche à créer la lâcheté, la désobéissance et la douleur. En vous, il créera la déception et la peur. En d’autres, qui pourtant ne sont ni peureux ni criminels, il amènera le crime et l’effroi. En d’autres, qui déjà appartiennent à Satan, il donnera la perversion surnaturelle. Je parle ainsi car leur perfection dans le mal sera telle qu’elle dépassera les possibilités humaines et atteindra la perfection qui est toujours dans le surhumain. Parle, Simon. »

« Oui. Depuis mardi, nous ne faisons que nous déplacer pour savoir, pour prévenir, pour chercher de l’aide. »

« Et qu’avez-vous pu faire ? »

« Rien, ou bien peu. »

« Et le peu sera « rien » quand la peur paralysera les cœurs. »

« Je me suis heurté aussi à Lazare… La première fois que cela m’arrive… Heurté car il me paraît inerte… Lui pourrait agir. C’est un ami du Gouverneur. C’est toujours le fils de Théophile ! Mais Lazare a repoussé toutes mes propositions. Je l’ai quitté en criant : « Je pense que l’ami dont parle le Maître, c’est toi ! Tu me fais horreur ! » et je ne voulais plus retourner chez lui. Mais, ce matin, il m’a appelé et m’a dit : « Peux-tu encore penser que je suis le traître ? » J’avais déjà vu Gamaliel, et Joseph et Chouza, et Nicodème et Manaën, et enfin ton frère Joseph… et je ne pouvais plus croire cela. Je lui ai dit : « Pardonne-moi, Lazare. Mais je sens ma pensée bouleversée plus que quand j’étais moi-même un condamné ». Et c’est ainsi, Maître… Je ne suis plus moi… Mais pourquoi souris-tu ? »

« Parce que cela confirme ce que je t’ai dit auparavant. Le brouillard de Satan t’enveloppe et te trouble. Qu’a répondu Lazare ? »

« Il a dit : « Je te comprends. Viens aujourd’hui avec Nicodème. J’ai besoin de te voir ». Et j’y suis allé pendant que Simon Pierre allait chez les galiléens, car ton frère qui vient de si loin sait plus de nouvelles que nous. Il dit qu’il a été informé par hasard en parlant avec un vieux galiléen, ami d’Alphée et de Joseph, qui habite près des marchés. »

« Ah !… oui… Un grand ami de la maison… »

« Il est ici avec Simon et les femmes. Il y a aussi la famille de Cana. »

« J’ai vu Simon. »

« Eh bien, Joseph, par son ami, qui est ami aussi de quelqu’un du Temple qui est devenu son parent par les femmes, a su qu’est décidée ta capture, et il a dit à Pierre : « Je l’ai toujours combattu, mais par amour et tant qu’il était encore fort. Mais maintenant qu’il devient comme un enfant à la merci de ses ennemis, moi, son parent qui l’ai toujours aimé, je suis avec Lui. C’est un devoir de sang et de cœur »

Jésus sourit en reprenant pour un instant le visage serein des heures de joie.

« Et Joseph a dit à Pierre : « Les pharisiens de Galilée sont des aspics comme tous les pharisiens. Mais la Galilée n’est pas toute pharisienne. Et il y a ici beaucoup de galiléens qui l’aiment. Allons leur dire de se rassembler pour le défendre. Nous n’avons que des couteaux, mais les bâtons aussi sont des armes quand on les manie bien. Et, si les milices romaines n’interviennent pas, nous aurons , vite raison de cette lâche canaille que sont les sbires du Temple ». Et Pierre est allé avec lui. Moi, pendant ce temps, j’allais chez Lazare, avec Nicodème. Nous avions décidé de le persuader de venir avec nous et d’ouvrir la maison pour rester avec Toi. Il nous a dit : « Je dois obéir à Jésus et rester ici. Pour souffrir le double… » Est-ce vrai ? »

« C’est vrai, Je lui ai donné cet ordre. »

« Pourtant il m’a donné les épées, elles sont à lui : une pour moi, une pour Pierre. Chouza aussi voulait me donner des épées. Mais… que sont deux lames de fer contre tout un monde ? Chouza ne peut croire que soit vrai ce que tu dis. Il jure que lui ne sait rien et qu’à la cour on ne pense qu’à jouir de la fête… Une ripaille comme à l’ordinaire. Si bien qu’il a dit à Jeanne de se retirer dans une de leurs maisons en Judée. Mais Jeanne veut rester ici, renfermée dans son palais comme si elle n’y était pas. Mais elle ne s’éloigne pas. Elle a avec elle Plautina, Anne et Nique, et deux dames romaines de la maison de Claudia. Elles pleurent, prient et font prier les innocents. Mais ce n’est pas un temps de prière. C’est un temps de sang. Je sens renaître en moi le « zélote » et je brûle de tuer pour faire vengeance !… »

« Simon, si j’avais voulu te faire mourir maudit, je ne t’aurais pas enlevé à la désolation !… » Jésus est très sévère.

« Oh ! pardon, Maître… pardon. Je suis comme ivre, je délire. »

« Et Manaën, que dit-il ? »

« Manaën dit que cela ne peut être vrai, et que si c’était vrai, lui te suivra même au supplice. »

« Comme tous vous avez confiance en vous !… Que d’orgueil il y a dans l’homme ! Et Nicodème et Joseph ? Que savent-ils ? »

« Rien de plus que moi. Il y a quelque temps, dans une assemblée. Joseph s’en est pris au Sanhédrin. Il les traita d’assassins parce qu’ils voulaient tuer un innocent, et il dit : « Tout est illégal là dedans. Lui le dit bien : c’est l’abomination dans la maison du Seigneur. Cet autel sera détruit car il est profané ». Ils ne le lapidèrent pas parce que c’est lui. Mais depuis lors ils l’ont tenu dans l’ignorance totale. Seuls Gamaliel et Nicodème sont restés ses amis. Mais le premier ne parle pas et le second… Ni lui ni Joseph n’ont plus été convoqués au Sanhédrin pour les décisions les plus vraies. Il se réunit illégalement ici et là, à des heures différentes, car ils ont peur d’eux et de Rome. Ah ! j’oubliais !… Les bergers. Eux aussi sont avec les galiléens. Mais nous sommes peu nombreux ! Si Lazare avait voulu nous écouter et aller trouver le Préteur ! Mais il ne nous a pas écoutés… Voilà ce que nous avons fait… Beaucoup… et rien… et je suis tellement accablé que je voudrais aller à travers la campagne en criant comme un chacal, en m’abrutissant dans une orgie, en tuant comme un brigand, pour m’enlever cette pensée que « tout est inutile » comme l’a dit Lazare, comme l’ont dit Joseph et Chouza, et Manaën et Gamaliel… » Le Zélote ne semble plus lui-même.

« Qu’a dit le rabbi ? »

« Il a dit : « Je ne connais pas exactement les intentions de Caïphe, mais je vous dis que seulement pour le Christ est prophétisé ce que vous dites. Et comme je ne reconnais pas le Christ en ce prophète, je ne trouve pas qu’il y ait lieu de s’agiter. Un homme sera tué, bon, ami de Dieu. Mais de combien de ses semblables, Sion a bu le sang ? ! » Et comme nous insistions sur ta Nature divine, il a répété avec entêtement : « Quand je verrai le signe, je croirai ». Il a promis de s’abstenir de voter ta mort et même, si possible, de persuader les autres de ne pas te condamner. Cela, rien de plus. Il ne croit pas ! Il ne croit pas ! Si on pouvait arriver à demain… Mais tu dis que non. Oh ! qu’allons-nous faire, nous ?! »

« Tu iras chez Lazare et tu chercheras à y amener autant que tu peux. Non seulement des apôtres, mais aussi des disciples que tu trouveras errants sur les chemins de la campagne. Tu essaieras de voir les bergers et de leur donner cet ordre. La maison de Béthanie est plus que jamais la maison de Béthanie, la maison de la bonne hospitalité. Que ceux qui n’ont pas le courage d’affronter la haine de tout un peuple se réfugient là, pour attendre… »

« Mais nous ne te laisserons pas. »

« Ne vous séparez pas… Divisés vous ne seriez rien. Unis, vous serez encore une force. Simon, promets-moi cela. Tu es paisible, fidèle, tu sais parler et commander, même Pierre. Et tu as une grande obligation envers Moi. Je te le rappelle pour la première fois pour t’imposer l’obéissance. Regarde : nous sommes au Cédron. De là tu es monté vers Moi lépreux et d’ici tu es parti purifié. Pour ce que je t’ai donné, donne-moi. Donne à l’Homme ce que Moi j’ai donné à l’homme. Maintenant le lépreux c’est Moi… »

« Non ! Ne le dis pas ! » disent ensemble en gémissant les deux disciples.

« Il en est ainsi ! Pierre, mes frères seront les plus accablés. Mon honnête Pierre se sentira comme un criminel et n’aura pas de paix. Et mes frères.., Ils n’auront pas le courage de regarder leur mère et la mienne… Je te les recommande… »

« Et moi, Seigneur, de qui serai-je ? Tu ne penses pas à moi ? »

« O mon petit enfant ! Tu es confié à ton amour. Il est si fort qu’il te guidera comme une mère. Je ne te donne pas d’ordre ni de direction. Je te laisse sur les eaux de l’amour. Elles sont en toi un fleuve si calme et si profond que je ne me mets pas en peine pour ton lendemain. Simon, tu as entendu ? Promets, promets-moi ! » Il est pénible de voir Jésus tellement angoissé… Il reprend : « Avant que viennent les autres ! Oh ! merci ! Sois béni ! »

Tout le groupe se réunit.

« Maintenant, séparons-nous. Moi, je monte là-haut pour prier. Je veux avec Moi Pierre, Jean et Jacques. Vous, restez ici. Et si vous êtes accablés, appelez. Et ne craignez pas. On ne touchera pas à un cheveu de votre tête.. Priez pour Moi. Déposez la haine et la peur. Ce ne sera qu’un instant… et ensuite la joie sera pleine. Souriez. Que j’ai dans le cœur vos sourires. Et encore, merci de tout, amis. Adieu. Que le Seigneur ne vous abandonne pas… »

Jésus se sépare des apôtres et va en avant pendant que Pierre se fait donner par Simon la torche. Celui-ci auparavant a allumé avec elle des rameaux résineux qui brûlent en crépitant au bord de l’oliveraie et répandent une odeur de genièvre.

Je souffre de voir le Thaddée qui regarde Jésus d’un regard tellement intense et douloureux que ce dernier se retourne et cherche qui l’a regardé. Mais le Thaddée se cache derrière Barthélemy et se mord les lèvres pour se calmer.

Jésus fait de la main un geste qui est bénédiction et adieu, puis il continue son chemin. La lune, maintenant très haute, entoure de sa lumière sa haute figure et paraît la faire plus grande, en la spiritualisant, en rendant plus clair son vêtement rouge et plus pâle l’or de ses cheveux. Derrière Lui, hâtent le pas Pierre avec la torche et les deux fils de Zébédée.

Ils continuent jusqu’à ce qu’ils rejoignent le bord du premier escarpement du rustique amphithéâtre de l’oliveraie, auquel sert d’entrée la petite place irrégulière et de gradins les différents escarpements qui montent par échelons des oliviers sur le mont. Puis Jésus leur dit : « Arrêtez-vous, attendez-moi ici pendant que je prie. Mais ne dormez pas. Je pourrais avoir besoin de vous. Et, je vous le demande par charité : priez ! Votre Maître est très accablé. »

Et en effet il est déjà profondément accablé. Il paraît chargé d’un fardeau. Où est désormais le viril Jésus qui parlait aux foules, beau, fort, l’œil dominateur, souriant paisiblement, avec sa voix retentissante et pleine de charme ? Il paraît déjà pris par l’angoisse. Il est comme quelqu’un qui a couru ou qui a pleuré. Sa voix est lasse et angoissée. Triste, triste, triste…

Pierre répond au nom de tous : « Sois tranquille, Maître. Nous veillerons et nous prierons. Tu n’as qu’à nous appeler et nous viendrons. »

Et Jésus les quitte alors que les trois se penchent pour ramasser des feuilles et des branches pour faire un feu qui serve à les tenir éveillés et aussi pour combattre la rosée qui commence à descendre abondamment.

Il marche, en leur tournant le dos, de l’occident vers l’orient, ayant donc en face la lumière de la lune. Je vois qu’une grande douleur dilate encore davantage son œil; c’est peut-être un bistre de lassitude qui l’élargit, peut-être est-ce l’ombre de l’arcade sourcilière. Je ne sais pas. Je sais qu’il a l’œil plus ouvert et plus enfoncé. Il monte, la tête penchée, seulement de temps en temps il la lève en soupirant comme s’il se fatiguait et haletait, et alors il tourne son œil si triste sur l’oliveraie paisible. Il fait quelques mètres en montée, puis il tourne autour d’un escarpement qui se trouve ainsi entre Lui et les trois qu’il a laissés plus bas.

L’escarpement, qui au début ne monte que de quelques décimètres, ne cesse de monter, et il a bientôt atteint deux mètres, de sorte qu’il met complètement Jésus à l’abri de tout regard indiscret ou ami. Jésus continue jusqu’à un gros rocher qui à un certain point barre le petit sentier, peut-être mis pour soutenir la côte qui descend avec plus de rapidité et nue jusqu’à un espace désolé qui précède les murs au-delà desquels est située Jérusalem, et qui vers le haut continue à monter avec d’autres escarpements et d’autres oliviers. Justement au-dessus du gros rocher se penche un olivier tout noueux et tordu. Il semble un bizarre point d’interrogation mis par la nature pour poser quelque question. Les branches touffues au sommet donnent une réponse à la question du tronc, en disant tantôt oui quand elles se penchent vers la terre, tantôt non en se déplaçant de droite à gauche, sous un vent léger qui passe par vagues successives à travers les feuillages et qui parfois exhale seulement l’odeur de la terre, parfois l’odeur légèrement amère de l’olivier, parfois un parfum mêlé de roses et de muguets dont on se demande d’où il peut bien venir. Au-delà du petit sentier, vers le bas, il y a d’autres oliviers et l’un, justement au-dessous du rocher, frappé par la foudre et ayant pourtant survécu, ou découpé je ne sais comment, a, du tronc primitif, fait deux troncs qui se dressent comme les deux branches d’un grand V moulé et les deux feuillages se présentent d’un côté et de l’autre du rocher comme si en même temps ils voulaient voir et cacher, ou lui faire une base d’un gris argenté tout paisible.

Jésus s’arrête à cet endroit. Il ne regarde pas la ville qui se fait voir tout en bas, toute blanche dans le clair de lune. Au contraire il lui tourne le dos et il prie, les bras ouverts en croix, le visage levé vers le ciel. Je ne vois pas son visage car il est dans l’ombre, la lune étant pour ainsi dire perpendiculaire au-dessus de sa tête, c’est vrai, mais ayant aussi le feuillage épais de l’olivier entre Lui et la lune dont les rayons filtrent à peine entre les feuilles en produisant des taches lumineuses en perpétuel mouvement. Une longue, ardente prière. De temps en temps il pousse un soupir et fait entendre quelque parole plus nette. Ce n’est pas un psaume, ni le Pater. C’est une prière faite du jaillissement de son amour et de son besoin. Un vrai discours fait à son Père.

Je le comprends par les quelques paroles que je saisis : « Tu le sais… Je suis ton Fils… Tout, mais aide-moi… L’heure est venue… Je ne suis plus de la Terre. Cesse tout besoin d’aide à ton Verbe… Fais que l’Homme te satisfasse comme Rédempteur, comme la Parole t’a été obéissante… Ce que Tu veux… C’est pour eux que je te demande pitié… Les sauverai-je ? C’est cela que je te demande. Je les veux ainsi : sauvés du monde, de la chair, du démon… Puis-je te demander encore ? C’est une juste demande, mon Père. Pas pour Moi. Pour l’homme qui est ta création, et qui voulut rendre fange jusqu’à son âme. Je jette dans ma douleur et dans mon Sang cette boue pour qu’elle redevienne l’incorruptible essence de l’esprit qui t’est agréable… Il est partout. C’est lui le roi ce soir : au palais royal et dans les maisons, parmi les troupes et au Temple… La ville en est pleine, et demain ce sera un enfer… »

Jésus se tourne, appuie son dos au rocher et croise ses bras. Il regarde Jérusalem. Le visage de Jésus devient de plus en plus triste. Il murmure : « Elle paraît de neige… et elle n’est que péché. Même dans elle, combien j’en ai guéris ! Combien j’ai parlé !… Où sont ceux qui me paraissaient fidèles ? »…

Jésus penche la tête et regarde fixement le terrain couvert d’une herbe courte et que la rosée rend brillante. Mais bien qu’il ait la tête penchée je comprends qu’il pleure car des gouttes brillent en tombant de son visage sur le sol. Puis il lève la tête, desserre ses bras, les joint en les tenant au-dessus de sa tête et en les agitant ainsi unis.

Puis il se met en route. Il revient vers les trois apôtres assis autour de leur feu de branchages. Il les trouve à moitié endormis. Pierre appuie ses épaules à un tronc, et les bras croisés sur la poitrine il balance sa tête, dans le premier brouillard d’un sommeil profond. Jacques est assis, avec son frère, sur une grosse racine qui affleure et sur laquelle ils ont mis leurs manteaux pour moins sentir les aspérités, mais malgré cela, bien qu’ils soient moins à l’aise que Pierre, eux aussi somnolent. Jacques a abandonné sa tête sur l’épaule de Jean qui a penché la tête sur celle de son frère comme si le demi-sommeil les avait immobilisés dans cette pose.

« Vous dormez ? Vous n’avez pas su veiller une seule heure ? Et Moi j’ai tant besoin de votre réconfort et de vos prières ! »

Les trois sursautent confus. Ils se frottent les yeux, ils murmurent une excuse, accusant la digestion pénible d’être la première cause de leur sommeil : « C’est le vin… la nourriture… Mais maintenant cela passe. Cela n’a été qu’un moment. Nous ne désirions pas parler et cela nous a endormis. Mais maintenant nous allons prier à haute voix et cela ne nous arrivera plus. »

« Oui. Priez et veillez. Pour vous aussi, vous en avez besoin. »

*Oui, Maître. Nous allons t’obéir. »

Jésus s’en retourne. La lune Lui frappe le visage si fort que sa clarté d’argent fait pâlir de plus en plus son vêtement rouge comme si elle le couvrait d’une poussière blanche et lumineuse. Je vois dans cette clarté son visage découragé, affligé, vieilli. Le regard est toujours dilaté mais paraît embué de larmes. La bouche a un pli de lassitude.

Il revient à son rocher plus lentement et tout penché. Il s’y agenouille en appuyant ses bras au rocher qui n’est pas lisse, mais à mi-hauteur il a une sorte de sein, comme si on l’avait travaillé exprès. Sur ce sein de dimension réduite, il a poussé une petite plante qui me semble de ces fleurettes semblables à de petits lys que j’ai vues aussi en Italie. Les petites feuilles sont rondes mais dentelées sur les bords et charnues avec des fleurettes sur les tiges très grêles. On dirait des petits flocons de neige qui saupoudrent la grisaille du rocher et les feuilles d’un vert foncé. Jésus appuie ses mains près d’elles et les fleurettes Lui frôlent la joue car il pose sa tête sur ses mains jointes et il prie. Après un moment il sent la fraîcheur des petites corolles et il lève la tête. Il les regarde, les caresse, leur parle : « Vous êtes pures !… Vous me réconfortez ! Dans la petite grotte de Maman, il y avait aussi de ces fleurettes… et elle les aimait car elle disait : « Quand j’étais petite, mon père me disait : « Tu es un lys si petit et tout plein de la rosée céleste’ « … Maman ! Oh ! Maman ! » Il éclate en sanglots. La tête sur ses mains jointes, retombé un peu sur ses talons, je le vois et l’entends pleurer, alors que ses mains serrent ses doigts et se tourmentent l’une l’autre. Je l’entends qui dit : « À Bethléem aussi… et je te les ai apportées, Maman. Mais celles-ci, qui te les apportera désormais ?… »

Puis il recommence à prier et à méditer. Elle doit être bien triste sa méditation, angoissée plutôt que triste car, pour y échapper, il se lève, va en avant et en arrière en murmurant des paroles que je ne saisis pas, levant son visage, le rabaissant, faisant des gestes, passant sur ses yeux, sur ses joues, sur ses cheveux, ses mains avec des mouvements machinaux et agités, comme ceux de quelqu’un qui est dans une grande angoisse. Ce n’est rien de le dire. Le décrire est impossible. Le voir, c’est partager son angoisse.

Il fait des gestes vers Jérusalem. Puis il recommence à élever les bras vers le ciel comme pour demander de l’aide. Il enlève son manteau comme s’il avait chaud. Il le regarde… Mais que voit-il ? Ses yeux ne regardent pas autre chose que sa torture et tout sert à cette torture pour l’augmenter, même le manteau tissé par sa Mère. Il le baise et dit : « Pardon, Maman ! Pardon ! » Il semble le demander à l’étoffe filée et tissée par l’amour de sa Mère… Il le reprend. Il est pris par un tourment. Il veut prier pour le surmonter, mais avec la prière reviennent les souvenirs, les appréhensions, les doutes, les regrets… C’est toute une avalanche de noms… de villes… de personnes… de faits… Je ne puis le suivre car il est rapide et irrégulier. C’est sa vie évangélique qui défile devant Lui… et Lui ramène Judas le traître. Son angoisse est si grande, que pour la vaincre il crie le nom de Pierre et de Jean. Et il dit : « Maintenant ils vont venir. Ils sont bien fidèles, eux ! » Mais « eux » ne viennent pas. Il appelle de nouveau. Il paraît terrorisé comme s’il voyait je ne sais quoi. Il s’enfuit rapidement vers l’endroit où se trouve Pierre et les deux frères. Et il les trouve plus commodément et plus pesamment endormis autour de quelques braises qui vont mourir et produisent seulement des éclairs rouges dans la cendre grise.

« Pierre ! Je vous ai appelés trois fois ! Mais que faites-vous ? Vous dormez encore ? Mais vous ne sentez pas à quel point je souffre ? Priez. Que la chair n’ait pas le dessus, ne vous vainque pas. En aucun de vous. Si l’esprit est prompt, la chair est faible. Aidez-moi… »

Les trois, s’éveillent plus lentement, mais finalement ils y arrivent et s’excusent, les yeux ébahis. Ils se lèvent, en commençant par s’asseoir, puis ils se mettent vraiment debout.

« Mais vois un peu ! » murmure Pierre. « Ceci ne nous est jamais arrivé ! Ce doit être vraiment ce vin. Il était fort. Et aussi ce froid. On s’est couvert pour ne pas le sentir (en effet ils s’étaient couverts avec leurs manteaux, même la tête) et on n’a plus vu le feu, on n’a plus eu froid et voilà que le sommeil est venu. Tu dis que tu nous as appelés ? Et pourtant il ne me semblait pas que je dormais si profondément… Allons, Jean, cherchons des branches, remuons-nous. Cela va passer. Sois tranquille, Maître, que dorénavant !… Nous resterons debout… » et il jette une poignée de feuilles sèches sur la braise et souffle pour faire reprendre la flamme. Il l’alimente avec les branches apportées par Jean, pendant que Jacques apporte un quartier de genièvre ou d’une plante du même genre qu’il a coupé dans un buisson peu éloigné et le met par dessus le reste.

La flamme monte haute et gaie éclairant le pauvre visage de Jésus, un visage vraiment d’une tristesse telle que l’on ne peut le regarder sans pleurer. Toute clarté de ce visage a disparu dans une lassitude mortelle. Il dit : « J’éprouve une angoisse qui me tue ! Oh ! oui ! Mon âme est triste à en mourir. Amis !… Amis ! Amis ! » Mais même s’il ne le disait pas, son aspect dirait qu’il est vraiment comme quelqu’un qui meurt, et dans l’abandon le plus angoissé et le plus désolé. Il semble que chacune de ses paroles soit un sanglot…

Mais les trois sont trop appesantis par le sommeil. Ils semblent presque ivres tant ils marchent en titubant les yeux mi-clos… Jésus les regarde… Il ne les mortifie pas par des reproches. Il secoue la tête, soupire et s’en va à la place qu’il occupait.

Il prie de nouveau debout, les bras en croix. Puis à genoux comme avant, le visage penché sur les petites fleurs. Il réfléchit. Il se tait… Puis il se met à gémir et à sangloter fortement, presque prosterné tant il s’est relâché sur ses talons. Il appelle le Père avec toujours plus d’angoisse…

« Oh ! » dit-il. « Il est trop amer ce calice ! Je ne puis pas ! Je ne puis pas. Il est au-dessus de ce que je puis. J’ai tout pu ! Mais pas cela… Éloigne-le, Père, de ton Fils ! Pitié pour Moi !… Qu’ai-je fait pour le mériter ? » Puis il se reprend et dit : « Cependant, mon Père, n’écoute pas ma voix si elle te demande ce qui est contraire à ta volonté. Ne te souviens pas que je suis ton Fils, mais seulement ton serviteur. Que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. »

Il reste ainsi un moment, puis il pousse un cri étouffé et lève un visage bouleversé. Un seul instant, puis il tombe sur le sol, le visage réellement contre terre et il reste ainsi. Une loque d’homme sur qui pèse tout le péché du monde, sur qui s’abat toute la Justice du Père, sur qui descendent les ténèbres, la cendre, le fiel, cette redoutable, redoutable, absolument redoutable chose qu’est l’abandon de Dieu, pendant que Satan nous torture… C’est l’asphyxie de l’âme, c’est être ensevelis vivants dans cette prison qu’est le monde quand on ne peut plus sentir qu’entre nous et Dieu il y a un lien, c’est être enchaînés, bâillonnés, lapidés par nos propres prières qui nous retombent dessus hérissées de pointes et pleines de feu, c’est se heurter contre un Ciel fermé où ne pénètrent pas la voix et les regards de notre angoisse, c’est être « orphelins de Dieu », c’est la folie, l’agonie, le doute de s’être jusqu’alors trompés, c’est la persuasion d’être chassés par Dieu, d’être damnés. C’est l’enfer !…

Oh ! je le sais ! et je ne puis, je ne puis voir la douleur de mon Christ, et savoir qu’elle est un million de fois plus atroce que celle qui m’a consumée l’an passé et qui, quand elle me revient à l’esprit, me bouleverse encore…

Jésus gémit, au milieu des râles et des soupirs d’une véritable agonie : « Rien !… Rien !… Va-t’en !… La volonté du Père ! Elle ! Elle seule !.., Ta volonté, Père. La tienne, non pas la mienne… Inutile. Je n’ai qu’un Seigneur : le Dieu très Saint. Une Loi : l’obéissance. Un amour : la rédemption… Non. Je n’ai plus de Mère. Je n’ai plus de vie. Je n’ai plus de divinité. Je n’ai plus de mission. C’est inutilement que tu me tentes, démon, avec la Mère, la vie, ma divinité, ma mission. J’ai pour mère l’Humanité et je l’aime jusqu’à mourir pour elle. La vie, je la rends à Celui qui me l’a donnée et me la demande, au Maître Suprême de tout vivant. La Divinité, je l’affirme en montrant qu’elle est capable de cette expiation. La mission, je l’accomplis par ma mort. Je n’ai plus rien, sauf de faire la volonté du Seigneur mon Dieu. Va-t’en, Satan ! Je l’ai dit la première et la seconde fois. Je le redis pour la troisième : « Père : s’il est possible, que ce calice s’éloigne de Moi. Mais pourtant que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui soit faite ». Va-t’en, Satan. J’appartiens à Dieu. »

Puis il ne parle plus que pour dire entre ses halètements : « Dieu ! Dieu ! Dieu ! » Il l’appelle à chaque battement de son cœur et il semble qu’à chaque battement le sang déborde. L’étoffe tendue sur les épaules s’en imbibe et devient sombre malgré le grand clair de lune qui l’enveloppe tout entier.

Pourtant une clarté plus vive se forme au-dessus de sa tête, suspendue à environ un mètre de Lui, une clarté si vive que même le Prostré la voit filtrer à travers les ondulations des cheveux déjà alourdis par le sang et malgré le voile dont le sang couvre ses yeux. Il lève la tête… La lune resplendit sur le pauvre visage et encore plus resplendit la lumière angélique semblable au diamant blanc-azur de l’étoile Vénus. Et apparaît la terrible agonie dans le sang qui transsude des pores. Les cils, les cheveux, la moustache, la barbe sont aspergés et couverts de sang. Le sang coule des tempes, le sang sort des veines du cou, les mains dégouttent du sang. Il tend les mains vers la lumière angélique et quand les larges manches glissent vers les coudes, les avant-bras du Christ se voient en train de suer du sang. Dans le seul visage les larmes tracent deux lignes nettes à travers le masque rouge.

Il enlève de nouveau son manteau et s’essuie les mains, le visage, le cou, les avant-bras. Mais la sueur continue. Il presse plusieurs fois l’étoffe sur son visage en la tenant pressée avec ses mains, et chaque fois qu’elle change de place, apparaissent nettement sur l’étoffe rouge foncé les empreintes qui, humides comme elles le sont, semblent être noires. Sur le sol l’herbe est rouge de sang.

Jésus paraît près de défaillir. Il délace son vêtement au cou comme s’il se sentait étouffer. Il porte la main à son cœur et puis à sa tête et l’agite devant son visage comme pour s’éventer, en gardant la bouche entrouverte. Il se traîne vers le rocher, mais plutôt vers le sommet du talus, et s’y appuie le dos. Il reste les bras pendants le long du corps, comme s’il était déjà mort, la tête pendant sur la poitrine. Il ne bouge plus.

La lumière angélique décroît tout doucement. Puis elle se trouve comme absorbée dans le clair de lune. Jésus rouvre les yeux. Il lève péniblement la tête. Il regarde. Il est seul, mais il est moins angoissé. Il allonge une main. Il tire à Lui le manteau qu’il a abandonné sur l’herbe et se met à s’essuyer le visage, les mains, le cou, la barbe, les cheveux. Il prend une large feuille, qui a poussé justement sur le bord du talus, toute couverte de rosée et avec elle il achève de se nettoyer en se lavant le visage et les mains et en s’essuyant de nouveau. Il le fait plusieurs fois avec d’autres feuilles, jusqu’à ce qu’il ait effacé les traces de sa terrible sueur. Seul son vêtement est taché, et spécialement sur les épaules et aux plis des coudes, au cou et à la ceinture, aux genoux. Il le regarde et secoue la tête. Il regarde aussi le manteau, mais il le voit trop taché. Il le plie et le pose sur le rocher, là où il forme un berceau, près des fleurettes.

Difficilement, à cause de sa faiblesse, il se tourne pour se mettre à genoux. Il prie en appuyant la tête sur le manteau sur lequel sont déjà ses mains. Puis il s’appuie au rocher, se lève, et encore légèrement titubant, il va trouver les disciples. Son visage est très pâle, mais il n’est plus troublé. C’est un visage d’une beauté divine bien qu’il soit exsangue et plus triste qu’à l’ordinaire.

Les trois dorment profondément, tout enveloppés dans leurs manteaux, tout à fait allongés près du feu éteint. On les entend respirer profondément en un commencement de ronflement sonore. Jésus les appelle, inutilement. Il doit se pencher et secouer Pierre généreusement.

« Qu’est-ce ? Qui m’arrête ? » dit-il en sortant abasourdi et effrayé de son manteau vert foncé.

« Personne. C’est Moi qui t’appelle. »

« C’est le matin ? »

« Non. La seconde veille est à peu près terminée. »

Pierre est tout engourdi, Jésus secoue Jean qui pousse un cri de terreur en voyant penché sur lui un visage de fantôme tant il semble de marbre. « Oh !… tu me paraissais mort ! »

Il secoue Jacques et celui-ci croit que c’est son frère qui l’appelle et il dit : « Ils ont pris le Maître ? »

« Pas encore, Jacques » répond Jésus. « Mais levez-vous maintenant et allons. Celui qui me trahit est proche. »

Les trois, encore étourdis, se lèvent. Ils regardent autour… Oliviers, lune, rossignols, brise, la paix… Rien d’autre. Cependant ils suivent Jésus sans parler. Les huit aussi sont plus ou moins endormis auprès du feu éteint.

« Levez-vous ! » tonne Jésus. « Pendant que Satan arrive, montrez à celui qui ne dort jamais et à ses fils que les fils de Dieu ne dorment pas ! »

« Oui, Maître. »

« Où est-il, Maître ? »

« Jésus, moi… »

« Mais qu’est-il arrivé ? »

Et au milieu des questions et des réponses confuses, ils remettent leurs manteaux…

À peine à temps pour apparaître en ordre à la troupe de sbires, commandée par Judas, qui fait irruption dans la petite place tranquille en l’éclairant violemment avec une foule de torches allumées. C’est une horde de bandits déguisés en soldats, des figures de galériens que déforme un sourire démoniaque. Il y a aussi quelques zélateurs du Temple.

Les apôtres sautent tous dans un coin. Pierre devant, et les autres en groupe derrière. Jésus reste où il est.

Judas s’approche soutenant le regard de Jésus, redevenu le regard étincelant de ses jours les meilleurs. Et il n’abaisse pas son visage. Au contraire il s’approche avec un sourire de hyène et le baise sur la joue droite.

« Ami, et qu’es-tu venu faire ? C’est par un baiser que tu me trahis ? »

Judas baisse un instant la tête, puis la relève… insensible au reproche comme à toute invitation au repentir.

Jésus, après les premières paroles dites avec la majesté de Maître, prend le ton affligé de qui se résigne à un malheur.

Les sbires, en criant, s’avancent avec des cordes et des bâtons et cherchent à s’emparer des apôtres en plus du Christ, sauf de Judas Iscariote, naturellement.

« Qui cherchez-vous ? » demande Jésus calme et solennel.

« Jésus, le Nazaréen. »

« C’est Moi ! » Sa voix est un tonnerre. Devant le monde assassin et à celui innocent, devant la nature et les étoiles, Jésus se rend ce témoignage ouvert, loyal, plein d’assurance. Je dirais qu’il est heureux de pouvoir se le donner.

Mais s’il avait dégagé la foudre, il n’aurait pu faire davantage. Tous s’abattent comme une gerbe d’épis fauchés. Ne restent debout que Judas, Jésus et les apôtres qui reprennent courage au spectacle des soldats abattus, si bien qu’ils s’approchent de Jésus en menaçant si explicitement Judas que celui-ci fait un saut juste à temps pour éviter un coup de maître de l’épée de Simon. Poursuivi sans résultat à coups de pierres et de bâtons que lui lancent par derrière les apôtres qui ne sont pas armés d’épées, il s’enfuit au-delà du Cédron et disparaît dans l’obscurité d’une ruelle.

« Levez-vous. Qui cherchez-vous ? Je vous le demande de nouveau. »

« Jésus, le Nazaréen. »

« Je vous ai dit que c’est Moi » dit Jésus avec douceur. Oui : avec douceur. « Laissez donc libres ces autres. Je viens. Déposez les épées et les bâtons. Je ne suis pas un larron. J’étais toujours parmi vous. Pourquoi ne m’avez-vous pas pris alors ? Mais c’est votre heure et celle de Satan… »

Mais pendant qu’il parle, Pierre s’approche de l’homme qui déjà tend les cordes pour lier Jésus, et il donne un coup d’épée maladroit. S’il s’était servi de la pointe, il regorgeait comme un mouton. Ainsi il ne fait que lui décoller l’oreille qui reste pendante et laisse couler beaucoup de sang. L’homme crie qu’il est mort. Il y a du désordre entre ceux qui veulent avancer et ceux qui ont peur à la vue des épées et des poignards qui brillent.

« Déposez ces armes. Je vous le commande. Si je voulais, j’aurais les anges du Père pour me défendre. Et toi, sois guéri. Dans ton âme, si tu peux, pour commencer. » Et avant de tendre les mains aux cordes, il touche l’oreille et la guérit.

Les apôtres poussent des cris désordonnés… Oui. Je regrette de le dire, mais c’est ainsi. Qui crie une chose, qui une autre. L’un crie : « Tu nous as trahis ! » et un autre : « Mais il est fou ! » et un autre encore : « Et qui peut te croire ? » Qui ne crie pas s’enfuit…

Et Jésus reste seul,.. Seul avec les sbires… Et le chemin commence…

Source

Recueil de plusieurs indulgences

Extrait du Livre d’or des âmes du purgatoire

Recueil de plusieurs indulgences que tout Fidèle peut gagner, Et de celles qui sont attachées aux CHAPELETS ou ROSAIRES, nommés Brigittains, bénis par le Souverain Pontife, ou par celui à qui il en a accordé le pouvoir.

Résumé – Pense-bête des indulgences

1. Possible d’attacher l‘indulgence plénière du chemin de croix sur son crucifix
2. S’inscrire à la Confrérie du Saint-Rosaire
3. Porter son chapelet pieusement sur soi : 100 ans /jour
4. Faire Rosarié son chapelet : 2,025 jours/grain
5. Obtenir Indulgence plénière – Bénédiction des frères Croisier sur le chapelet
6. Indulgence Sainte-Brigitte

  • Indulgence plénière chaque fois qu’on s’approche des sacrements, si on récite trois chapelets par semaine, pour le triomphe de l’Église ;
  • 50 ans, une fois le jour, en récitant un chapelet dans une église où est établie la confrérie du saint Rosaire ;
  • 10 ans et 10 quarantaines, une fois le jour, en récitant un chapelet, étant au moins deux;
  • 7 ans et 7 quarantaines, à chaque jour du mois du Rosaire (octobre), en récitant un chapelet ;
  • 7 ans et 7 quarantaines, chaque semaine, en récitant trois chapelets durant la dite semaine.
  • 5 ans et 5 quarantaines, à chaque Je vous salue, Marie, si l’on prononce dévotement le nom de Jésus.

AVERTISSEMENT

Ne vous scandalisez pas, âmes lâches, de ce nombre étendu d’Indulgences, dont l’Église, notre mère commune, favorise ses enfants dans les jours de sa miséricorde. Cessez d’attaquer par vos blasphèmes ce que vous ignorez. Le mot Indulgence signifie pardon ou rémission. Toute Indulgence suppose nécessairement un péché commis : si l’on n’avait commis aucun péché, on n’aurait pas besoin d’Indulgence. Quoique le péché soit remis par la digne réception du Sacrement de Pénitence ; cependant, le châtiment que mérite le péché, n’est pas remis par l’absolution du Prêtre ; ce châtiment n’est remis dans cette vie, que par les pénitences proportionnées que les Confesseurs imposent, par celles qu’on pratique soi-même, et par les Indulgences qu’on s’efforce de gagner. Ce châtiment s’expie, après la mort, par les feux du Purgatoire. Plus vous êtes soigneux de gagner les Indulgences, plus vous abrégez les peines de l’autre vie.

L’Indulgence est donc la rémission de la peine temporelle due au péché, accordée entièrement ou en partie aux pénitents bien disposés ; car il y a deux sortes d’indulgences, l’Indulgence plénière et l’Indulgence limitée.

L’Indulgence plénière est la rémission entière de toute la peine temporelle due au péché ; de sorte que si vous êtes assez heureux de la gagner dans toute sa plénitude, vous entrez dans le Ciel sans passer même par les flammes du Purgatoire : mais qu’il est rare de la gagner dans toute sa plénitude ! Il faut pour cet effet, non seulement être exempt de tout péché mortel, mais encore de tout péché véniel, mais encore de la moindre affection au péché véniel. Qui peut se flatter de se trouver dans cet heureux état ? Ce qui doit consoler dans cette incertitude, c’est que si on ne gagne pas l’Indulgence dans toute sa plénitude, on en gagne au moins une partie ; il faut donc à cet effet y apporter les plus grandes dispositions.

L’Indulgence limitée est la rémission d’une partie de la peine temporelle due au péché, telles sont les Indulgences de quarante jours, de cent jours, de 100 ans, 200 ans, &c. J’entends quelqu’un s’écrier : Quelle folie ! D’accorder des Indulgences de cent ans, de deux cents ans ! Vivrai-je cent ans, deux cents ans ? Langage hérétique, puisque vous blâmez la pratique de l’Église, votre Mère. Sachez que quand l’Église favorise ses enfants de ces sortes d’Indulgences, c’est comme si elle leur disait : Vous méritez pour tel péché de faire pénitence pendant quarante jours, je vous en accorde la rémission si vous faites ce que je vous ordonne. Vous méritez pour tel péché de faire pénitence pendant cent ans, deux cents ans si vous viviez ; je vous en accorde le pardon. Combien, dont les péchés sont si énormes et si multipliés, que s’ils vivaient 1000 ans, 2000 ans, ils ne seraient pas encore à bout des pénitences qu’ils devraient faire pour effacer entièrement la peine temporelle due à leurs péchés !

Admirez donc la bonté libérale de l’Église, qui nous procure un moyen si sûr et si abondant ; car elle est dépositaire d’un trésor inépuisable, composé des mérites infinis de J. C., des satisfactions surabondantes de la Sainte Vierge, et d’un grand nombre de Saints, d’où les Indulgences tirent leur force, leur vertu et leur efficacité ; et l’Église, usant du pouvoir que J. C., son Chef invisible, lui a donné, en enrichit les Fidèles dans leur besoin. Ainsi, gagnant une Indulgence, nous participons dès-lors aux mérites infinis de J. C., aux satisfactions surabondantes de la Sainte Vierge et des Saints. Ce n’est pas au fond que l’intention de l’Église, en accordant des Indulgences, soit de diminuer les pénitences qu’on peut faire, mais elle a intention de suppléer au défaut de celles qu’on n’est pas en état de pratiquer. Ainsi, quoique je gagne une Indulgence, je ne suis pas pour cela dispensé de faire des pénitences convenables et proportionnées autant qu’il est en mon pouvoir. Ne perdons jamais l’occasion d’en profiter, elles nous entretiendront dans un esprit de ferveur ; elles suppléeront au défaut de pénitence que nous devons, mais que nous ne pouvons faire ; elles abrégeront les peines de l’autre vie.

Pour gagner les Indulgences plénières, il faut (suivant un Décret du 9 Décembre 1765, donné par Clément XIII) se confesser, quand même on ne se sentirait pas coupable d’un péché mortel, à moins qu’on ne soit dans l’usage de se confesser une fois la semaine ; car alors, quand la conscience ne reproche aucune faute mortelle, on peut gagner l’Indulgence sans recourir à son Confesseur. Il faut encore communier, à moins que le Bref de l’Indulgence ne l’exige pas. Il faut enfin remplir les autres conditions, et prier pendant quelque temps pour les fins prescrites par le Souverain Pontife, ou l’Évêque qui accorde l’Indulgence.

Pour satisfaire à ces fins, il suffit généralement de dire cinq Pater et cinq Ave, en se conformant à l’intention de celui qui accorde l’Indulgence.

Pour gagner les Indulgences partielles, c’est-à-dire, de sept ans, de cent ou de quarante jours, il faut également être en état de grâce, et faire ce qui est prescrit pour chacune en particulier.

Toutes ces différentes Indulgences n’ont point été réduites par les Souverains Pontifes Clément XIII et Clément XIV, successeurs des Papes qui les ont accordées.

Avant de commencer les bonnes œuvres ou prières qui sont marquées pour une Indulgence plénière ou partielle, il sera très-bon de les offrir à Dieu en ces termes, ou autres équivalents :

Je vous offre, ô mon Dieu, l’action (ou les prières) que je vais faire pour la gloire de votre Saint Nom, pour l’exaltation de votre Sainte Église, l’extirpation des schismes et des hérésies, la paix entre les Princes chrétiens ; en un mot, pour toutes les intentions de cette même Église. Je vous demande pardon, Seigneur, de tous mes péchés ; daignez me faire miséricorde, je vous en prie au nom du Sang précieux que vous avez répandu pour moi, des mérites de la Sainte Vierge et de tous les Saints. Ainsi soit-il. 5 Pater et 5 Ave pour gagner l’Indulgence plénière.

Indulgence que tout Fidèle peut gagner.

PREMIÈRE PARTIE.

I. Chaque Fidèle qui, après s’être confessé, assiste religieusement à l’Office de la Fête-Dieu, gagne quatre cents jours d’Indulgence pour la Messe ; autant, soit pour Matines, soit pour Vêpres ; cent soixante jours pour chacune des Petites Heures, et la moitié de ces Indulgences, s’il assiste aux mêmes Offices pendant l’Octave ; par conséquent deux cents jours pour la Messe, autant pour Matines ou pour Vêpres, et quatre-vingts jours pour chaque Petites Heures.

II. Ceux qui se saluent, l’un en disant laudetur Jesus Christus, ou loué soit Jésus-Christ ; et l’autre en répondant in soecula, dans tous les siècles, ou semper, toujours, ou amen, ainsi soit-il, gagneront cent jours d’Indulgences, en vertu des Brefs de Sixte IV, et de Benoît XIII. Ces deux Pontifes ont de plus accordé l’Indulgence plénière, pour l’article de la mort, à ceux qui auraient coutume de se saluer ainsi, pourvu que dans ces derniers moments ils invoquent et prononcent de cœur, s’ils ne le peuvent pas de bouche, ces noms sacrés de Jésus et de Marie ; enfin, ces deux Papes ont accordé les mêmes Indulgences, non seulement aux Prédicateurs, mais aux simples Fidèles qui introduiront cette pratique.

III. Le même Sixte IV a accordé trois cents jours d’Indulgences à ceux qui récitent dévotement les Litanies de Jésus, et deux cents à ceux qui disent celles de la Sainte Vierge.

IV. Ceux qui tous les vendredis récitent cinq fois le Pater et l’Ave, vers les trois heures après midi, pour demander à Dieu, outre les fins ordinaires, la conversion des Pécheurs, à peu près dans le temps où le Sauveur du monde est mort pour nous, gagnent une Indulgence de cent jours, que Benoît XIV attacha à cette sainte pratique, dès la première année de son Pontificat.

V. Innocent XII a accordé sept années et sept quarantaines d’Indulgence à ceux qui, un cierge ou un flambeau à la main, accompagnent le Saint Sacrement, lorsqu’on le porte aux malades ; trois années et trois quarantaines à ceux qui le font porter, ne pouvant le porter eux-mêmes, cinq années et cinq quarantaines à ceux qui l’accompagnent sans porter de lumières.

VI. Indulgences accordées à ceux et celles qui récitent de bouche et de coeur les Actes de Foi, d’Espérance et de Charité.

Le Pape Benoît XIV, considérant combien les Actes des trois Vertus Théologales sont nécessaires au salut, confirme par son décret du 28 Janvier 1756, la Bulle du Pape Benoît XII, du 15 Janvier 1728, par laquelle il accorde à tous les fidèles de l’un et de l’autre sexe, qui réciteront de bouche et de cœur, tous les jours, pendant le mois, les Actes de Foi, d’Espérance et de Charité ;

I°. Une Indulgence plénière qu’ils pourront gagner une fois le mois et le jour qu’ils choisiront, auquel s’étant confessé et ayant communié, ils prieront dévotement pour la concorde entre les Princes Chrétiens, pour l’extirpation de l’hérésie , pour l’exaltation de l’Église notre Sainte Mère. (Pour remplir l’intention du Souverain Pontife, il suffit de dire cinq Pater et cinq Ave.) Laquelle Indulgence ils pourront appliquer aux morts.

2°. Une Indulgence plénière à l’article de la mort.

3°. Une Indulgence de sept ans et sept quarantaines qu’ils pourront gagner une fois chaque jour, et qu’ils pourront appliquer aux morts. Le Pape Benoît XIV ajoute que l’on pourra gagner cette Indulgence de sept ans et de sept quarantaines, autant de fois chaque jour que l’on récitera les susdits actes, et que l’on pourra les appliquer aux morts.

Actes de Vertus Théologales, insérés dans la Bulle de Benoît XIV.

ACTE DE FOI.

Mon Dieu, je crois en vous, et tout ce que croit et enseigne votre Sainte Église ; je le crois, parce que c’est vous, ô mon Dieu, qui l’avez dit et révélé, et que vous êtes la souveraine vérité qui ne pouvez vous tromper, ni nous tromper.

ACTE D’ESPÉRANCE.

Mon Dieu, j’espère en vous, et mon salut éternel avec les grâces et les secours nécessaires pour y arriver ; je l’espère par les mérites de Jésus-Christ mon Sauveur, parce que vos miséricordes sont infinies, et que vous êtes fidèle à vos promesses.

ACTE DE CHARITÉ.

Mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur, et par-dessus toutes choses, parce que vous êtes infiniment bon et infiniment aimable ; j’aime mon prochain comme moi-même, pour l’amour de vous, et parce que vous me le commandez.

Le Pape Benoît XIV fait remarquer que toutes ces Indulgences ne sont point attachées à une certaine formule, mais qu’on pourra se servir de celle que l’on voudra, pourvu que les motifs particuliers à chaque vertu y soient exprimés.

VII.Indulgences accordées à ceux ou celles qui récitent l’Angelus au son de la Cloche.

On nous avertit le matin, à midi et le soir, de réciter l’Angelus, pour remercier Dieu du bienfait de l’Incarnation, et pour invoquer la Sainte Vierge qui a eu tant de part à ce grand Mystère.

Le Pape Benoît XIII, a accordé par un Bref de 1724,

I. Cent jours d’Indulgence à tous ceux qui, le matin ou à midi, ou le soir, récitent dévotement, et à genoux, cette prière, au son de la cloche.

2. Une Indulgence plénière une fois le mois, en tel jour que l’on voudra choisir, pourvu que l’on se soit confessé, et qu’on ait communié en ce jour là, et qu’on prie pour la concorde entre les Princes, pour l’extirpation des hérésies, et pour l’exaltation de l’Église, notre Sainte Mère. Pour remplir l’intention du Souverain Pontife, il suffit dire cinq Pater et cinq Ave.

Le Pape Benoît XIV, en confirmant la même Indulgence, le 20 Avril 1742, a marqué que :

I. L’Angelus se dirait debout depuis les premiers Vêpres du Samedi, jusqu’au soir du Dimanche suivant.

2. Que pendant le temps Pascal on pourra réciter en la place de l’Angelus, le Regina coeli, avec le Verset et l’Oraison Deus qui per resurrectionem, &c.

3. Ceux qui ne savent pas le Regina coeli, diront l’Angelus à l’ordinaire, les uns et les autres debout.

4. Ceux qui ne savent ni l’un ni l’autre, diront une fois le Pater et l’Ave.

VIII. Indulgences accordées à ceux qui sont dans l’usage de faire l’Oraison;

La pratique de l’Oraison et de la Méditation a toujours été regardée comme le plus puissant moyen de se soutenir dans la vraie piété, et de revenir de ses égarements passés. Sans esprit d’Oraison, point d’esprit intérieur : sans esprit intérieur, qu’est-ce qu’un Chrétien ? C’est un airain sonnant, c’est une cymbale retentissante, c’est un vaisseau vide qui fait beaucoup de bruit, et qui ne produit rien ; c’est pourquoi les Souverains Pontifes, pénétrés des grands avantages de l’Oraison, et des grands maux qui suivent le défaut d’Oraison, ont encouragé les Fidèles à une si sainte pratique, accordant d’amples Indulgences à toutes les personnes qui s’y appliqueraient.

Le Pape Benoît XIV, ce grand Prince, qui dans l’espace de dix-sept ans, a gouverné l’Église avec tant de dignité, ce grand Pape, par sa Bulle donnée à Rome, à Ste.-Marie-Majeure, sous l’Anneau du Pêcheur, la sixième année de son Pontificat, le 16 Décembre 1746 ; Bulle adressée à tous les Primats, Patriarches, Archevêques et Évêques de l’Univers Chrétien. Le Pape s’exprime en ces termes :

Nos vénérables Frères, Salut et Bénédiction, &c.

I. Nous remettons, dans la forme ordinaire de l’Église, à tous et à chacun de ceux qui, dans les Églises, enseigneront en public ou en particulier la manière de méditer, de faire oraison de quelque façon que ce soit, aux personnes qui l’ignorent, comme à tous et à chacun de ceux qui assisteront à ces prières et instructions, sept années d’Indulgence et sept quarantaines, autant de fois que, dans un esprit de pénitence, il communieront et prieront pour l’union entre les Princes Chrétiens, pour l’extirpation des hérésies.

2. Nous accordons encore miséricordieusement en notre Seigneur, une fois chaque mois, Indulgence plénière à ceux et à celles qui, pendant un mois, feront tous les jours une demi-heure, ou au moins un quart d’heure, l’Oraison mentale, sans interruption ; qui, s’étant confessés, feront les prières, suivant l’intention du Souverain Pontife, laquelle Indulgence ils pourront aussi appliquer, par forme de suffrage, aux âmes des Fidèles trépassés.

DEUXIÈME PARTIE.

Indulgences accordées aux Chapelets ou Rosaires nommés Brigittains, bénis par le Souverain Pontife, ou par celui à qui il en a accordé le pouvoir.

INSTRUCTION PRÉLIMINAIRE.

HENRY VIII, Roi d’Angleterre, accablé par les différents troubles excités dans son royaume, chargea les Religieux de St.-Sauveur, dits de Ste.-Brigitte, qui vivaient en grande odeur de Sainteté, de faire des Prières extraordinaires pour obtenir du Dieu, par l’intercession de la Sainte Vierge, la paix et la tranquillité du royaume. Henry, reconnaissant de la signalée faveur qu’il croyait devoir aux Prières ferventes de ces Saints Religieux, voulut leur témoigner combien il y était sensible. Il leur demanda quelle preuve ils exigeaient de sa libéralité. Ces Saints Religieux, plus avides des biens spirituels que des biens temporels, supplièrent le Roi d’obtenir du Souverain Pontife la permission, primative à leur ordre, de bénir les Chapelets et Dizaines, avec l’application de quelques Indulgences. Le Pape Alexandre VI, à la prière du Roi, accorda à tous les Prieurs de l’Ordre de Saint-Sauveur, dits de Sainte-Brigitte, de bénir les Chapelets et Dizaines, en y appliquant les Indulgences suivantes :

Savoir : qu’on gagnerait cinq cents jours d’Indulgence, toutes les fois qu’on dira un Ave Maria sur chaque grain. Cette Bulle fut donnée en 1500.

Le Pape Léon X, par sa Bulle du 10 Juillet 1515, a réduit à cent jours d’Indulgence sur chaque Oraison Dominicale, sur chaque Salutation Angélique, sur chaque Symbole des Apôtres qu’on réciterait.

Outre l’Indulgence susdite de cent jours, le même Pape accorde l’Indulgence de sept années et de sept quarantaines à quiconque récitera le Rosaire entier de quinze dizaines, lorsqu’il est béni.

Il accorde encore la même Indulgence de sept ans et de sept quarantaines à ceux qui réciteront ensemble le même Rosaire ou Chapelet, comme si chacun avait récité ledit Chapelet en particulier et seul. Cette Bulle à perpétuité de Léon X, est conservée dans la maison des Pères Brigittains, à Cologne.

Le Pape Alexandre VII a fortifié et ratifié la même Bulle. Le pape Clément XI a confirmé la Bulle de Léon X en 1703.

Dans la suite, le Pape Innocent XI ayant encore réduit plusieurs Indulgences, on s’imagina que celle des Pères Brigittains n’avait plus de force ; les Pères de cet Ordre s’adressèrent à la sacrée Congrégation des Indulgences ; ils obtinrent un Décret de confirmation l’an 1595.

I. Pour gagner cette Indulgence, il faut avoir un Chapelet de cinq à six dizaines : il doit être béni par un Prieur de l’Ordre des Brigittains.

2. Il faut réciter les trois premiers Chapelets, suivant les intentions de notre Saint Père le Pape. Le premier pour le Pape, le second pour l’Église, le troisième pour celui qui l’a béni. Ensuite de quoi on gagne toutes les Indulgences applicables pour soi-même ou pour les âmes du Purgatoire, et non pour les vivants.

3. Il faut avoir le Chapelet entre les doigts, et tenir un des grains pour gagner l’Indulgence ; car le porter dans sa poche, sans le toucher, on ne gagnerait pas l’Indulgence.

4. On ne peut vendre ce Chapelet, il perdrait ses Indulgences. On ne peut en mourant le donner à d’autres, se réservant quelques Indulgences pour le repos de son âme ; et celui à qui on le laisse est obligé de dire les trois premiers Chapelets comme ci-dessus, avant de pouvoir gagner les Indulgences.

5. Si on perd un grain de son Chapelet, ledit Chapelet a toujours le même privilège ; il faudrait qu’on perdît la moitié dudit Chapelet, pour en être privé ; mais les grains qu’on remplace, s’ils ne sont bénis, n’ont pas d’Indulgence.

6. On peut se servir de deux Chapelets Brigittains, un à la maison, l’autre à l’Église, pourvu qu’on récite sur chacun les trois premiers Chapelets, comme ci-dessus.

Il y a en France, au Diocèse de Senlis, le Couvent de Saint-Sulpice-du-Désert, possédé par les Religieux de l’Ordre du Sauveur, dits de Sainte-Brigitte.

(Les Missionnaires de Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Poitou, Diocèse de la Rochelle, ont obtenu du Pape Benoît XIII, par un Bref à perpétuité, donné le 20 Octobre 1728, la permission de bénir, pendant le cours de leur mission, les Chapelets-Brigittains.) Le motif sur lequel se fonde le Souverain Pontife, c’est qu’ils s’efforcent de soutenir et d’étendre partout la dévotion du St.-Rosaire. Ce Bref a été certifié véritable par les Sieurs Dauphin et Joseph Arot, banquiers expéditionnaires en Cour de Rome, à Rennes, le 12 Novembre 1729.
Indulgences accordées par le Pape Clément XI aux Couronnes ou Rosaires Brigittains.

Quiconque récitera ledit Chapelet, au moins de cinq dizaines chaque jour, pendant un an entier, choisira un jour au moins dans l’année, ayant un véritable regret de ses péchés, s’étant confessé et communié, priera pour la paix entre les Princes Chrétiens, pour l’extirpation des hérésies, et pour l’exaltation de l’Église, notre Sainte Mère, gagnera l’Indulgence plénière de tous ses péchés, avec le pouvoir de l’appliquer aux âmes des Fidèles trépassés. Clément XI, 22 Septembre 1714.
Indulgences accordées par le Pape Benoît XIV, aux mêmes Couronnes ou Rosaires Brigittains.

Celui qui aura coutume de réciter ledit Chapelet, au moins de cinq dizaines une fois la semaine, et s’étant confessé, et ayant communié le jour de la fête de Ste. Brigitte, visitera l’Église de sa Paroisse ou une autre Église, y priera Dieu, comme à l’article précédent, gagnera l’indulgence plénière de tous ses péchés.

2. Quiconque, à l’article de la mort, recommandera son âme à Dieu, étant confessé et ayant communié, ou s’il ne peut le faire, étant au moins contrit, dira Jésus au fond de son cœur, ne pouvant le dire de bouche, gagnera l’Indulgence plénière de tous ses péchés.

3. Celui qui aura coutume de réciter ledit Chapelet chaque jour, pendant un mois de suite, et étant confessé et ayant communié le jour qu’il aura choisi dans l’espace de ce mois, visitera une Église, et y priera Dieu comme ci-dessus, gagnera l’Indulgence plénière de tous ses péchés.

4. Quiconque, portant sur soi ledit Chapelet, priera à genoux, au son de la cloche, pour quelque agonisant, gagnera chaque fois l’Indulgence de quarante jours.

5. Quiconque ayant chez soi ledit Chapelet, et se repentant de ses péchés, fera l’examen de sa conscience et dira trois fois le Pater et l’Ave, gagnera l’Indulgence de vingt jours.

6. Celui qui, tenant le même Chapelet, assistera les jours de Fêtes ou les jours ouvriers à la Ste. Messe, ou entendra la parole de Dieu, ou accompagnera le Saint Viatique, quand on le porte aux malades, ou ramènera quelque pécheur dans la voie du salut, ou fera quel qu’autre œuvre pieuse en l’honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou de la bienheureuse Vierge Marie, ou de Sainte Brigitte, et récitera trois Pater et trois Ave, gagnera l’Indulgence de cent jours.

7. Chacun peut gagner toutes ces Indulgences pour soi, ou les appliquer par manière de suffrage aux âmes du Purgatoire. (Benoît XIV, du 20 Mars 1742). La sacrée Congrégation des Indulgences et saintes Reliques, renouvelant le Décret du 26 Novembre 1714, défend à tous en général, et à chacun en particulier, de vendre ces Chapelets ou Rosaires, parce qu’ils sont bénis, ni de les prêter même sans déterminer de temps. Si on le fait, ils perdront les Indulgences qui y étaient attachées. Toutefois, par un autre Décret Apostolique, du 18 Février 1745, ces Indulgences auront leur valeur pour celui qui a prêté le Chapelet, et non pour celui qui l’a emprunté ; et que si l’on vient à perdre quelqu’un de ces Chapelets, on n’en puisse substituer d’autres à leur place, qu’ils n’oient été auparavant bénis par les susdits Pères, ou autres Prêtres qui en ont reçu le pouvoir.

Tout ceci est traduit de l’Italien, imprimé à Rome, l’an 1743, avec la permission de la sacrée Congrégation des Indulgences.
Indulgences Plénières.

I. A l’article de la mort, si, étant confessé et ayant communié, et dans le cas qu’on ne le puisse faire, si, étant vraiment contrit, on recommande son âme à Dieu, et si on invoque, sinon de bouche, au moins dans son cœur, le Saint Nom de Jésus.

2. Chaque année, aux Fêtes de Noël, des Rois, de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, de la Sainte Trinité, de la Fête Dieu, de la Purification de l’Annonciation, de l’Assomption, de la Nativité de la Sainte Vierge, de la Nativité de Saint Jean-Baptiste, des Saints Apôtres Pierre et Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Philippe, Jacques, Barthelemi, Matthieu, Simon, Jude, Matthias, Joseph, et le jour de la Fête de tous les Saints, pourvu que, répétant de ses péchés, on se confesse, on communie, et qu’on récite cinq Pater et cinq Ave, suivant les intentions de notre Saint Père le Pape.
Indulgences de plusieurs années.

I. Qui fera les mêmes choses aux autres Fêtes de Notre-Seigneur et de Notre-Dame, sept ans et sept quarantaines.

2. Les Dimanches et Fêtes de l’année, cinq ans et cinq quarantaines.

3. Aux jours ouvriers, cent jours.
Indulgences pour plusieurs jours.

I. Qui enseignera la Doctrine chrétienne, ou le Catéchisme à l’Église, à la maison, à ses parents, à ses domestiques, deux cents jours.

2. Qui visitera les prisonniers ou les malades dans les Hôpitaux et ailleurs, s’employant avec piété à leur soulagement spirituel et corporel, deux cents jours.

3. Qui, au son pour les morts, dira le De profundis, cent jours.

4. Qui, le vendredi, pensera dévotement à la Passion et à la Mort de Jésus-Christ, disant trois Pater et Ave, cent jours.

5. Qui, ayant un vrai repentir de ses péchés, avec un ferme propos de s’en corriger, fera l’examen de sa conscience, et dira avec dévotion trois Pater et trois Ave, ou qui fera les mêmes prières en l’honneur de la Sainte Trinité, ou cinq Pater et cinq Ave en l’honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ, cent jours.

6. Qui priera dévotement pour les Agonisants, disant au moins un Pater et un Ave, cinquante jours.

7. Qui se préparera à dire la sainte Messe, ou à recevoir la Sainte Communion, ou à réciter l’Office divin, ou celui de la Sainte Vierge, cinquante jours.
Conditions requises pour gagner toutes ces Indulgences, que N. S. Père le Pape accorde aux Chapelets, Rosaires, Croix et Médailles bénis par sa Sainteté, ou par ceux à qui elle en a donné le pouvoir.

I. Il faut que ces Médailles soient d’or, d’argent, de cuivre ou d’autre pareil métal : point d’étain, de plomb, de matière fragile.

2. Qu’elles soient seulement des Saints canonisés ou insérés au Martyrologue Romain.

3. Que ces Médailles, aussi bien que les Croix ou Chapelets, ne passent pas la personne de ceux à qui elles auront été accordées ou par eux distribuées la première fois.

4. Qu’on ne les puisse donner à d’autres, ni donner, ni prêter, ni leur en substituer d’autres, si on vient à les perdre.

5. Il faut porter sur soi les Chapelets et Médailles portatives ; mais on peut garder dans sa chambre ou autre lieu décent de sa maison, les Croix, Crucifix et autres images d’Indulgences, en faisant devant elles les Prières prescrites.

6. S’il vient à manquer quelque chose à ces Médailles, les Indulgences cessent.

7. On ne peut avec une de ces Médailles, faire gagner en mourant l’Indulgence plénière.

8. On ne peut, par des Messes dites à un Autel où il y aura de ces Crucifix, gagner l’Indulgence.

9. On peut gagner ces Indulgences pour soi, et les appliquer aux âmes du Purgatoire.

10. Il n’est pas nécessaire de dire le Chapelet tout entier ; il suffit d’en dire la moitié au moins, ou ce que l’on pourra ; on gagne toujours sur le Credo, Pater et Ave, cent jours d’Indulgence sur chaque grain.

11. Ceux qui sont dans la Confrérie du Rosaire, ou qui sont obligés par pénitence de le réciter, satisfont à leur obligation, et gagnent l’Indulgence.

12. Les Croix, Médailles et Chapelets ne peuvent servir à faire gagner les Indulgences à autres personnes qu’à celles à qui ils ont été concédés pour la première fois.

Tout ceci est extrait du Formulaire des Indulgences, imprimé à Rome, l’an 1758.

PRIÈRE DE SAINT BERNARD

A LA TRÈS-SAINTE VIERGE.

Memorare, ô piissima Virgo Maria, non esse auditum à saeculo, quemquam ad tua currentem praesidia, tua implorantem auxilia, tua petentem suffragia, esse derelictum. Ego tali animatus confidentiâ, ad te Virgo, Virginum Mater, curro, ad te venio, coram te gemens peccator assisto ; noli, Mater Verbi, verba mea despicere, sed audi propitia et exaudi. Amen.

Monstra te esse Matrem, Qui pro nobis natus,
Sumat per te preces, Tulit esse tuus.
La même Prière en français.

Souvenez-vous, ô très-pieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais ouï dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre secours, et demandé vos suffrages, ait été abandonné. Animé d’une pareille confiance, ô Vierge, Mère des Vierges, je cours et viens à vous, et gémissant sous le poids de mes péchés, je me prosterne à vos pieds O Mère du Verbe, ne méprisez pas mes prières ; mais écoutez-les favorablement, et daignez les exaucer.

Faites voir que vous êtes notre Mère, et que celui qui, pour nous sauver, a bien voulu naître de vous, reçoive par vous nos prières.

Sileat misericordiam tuam, Virgo beata, si quis est qui invocatam te in necessitatibus suis, sibi meminerit defuisse. S. Bernard.
_________________________

L’Éminente sainteté de Marie, sa dignité de Mère de Dieu, la gloire dont elle jouit, le pouvoir qu’elle a reçu sur la terre et dans le Ciel, la tendresse qu’elle a pour tous les hommes, qu’elle regarde comme ses enfants, toutes ces qualités doivent inspirer à tous les Fidèles une vive et affectueuse dévotion pour elle. On ne peut trop les exhorter à lui adresser souvent la prière composée par S. Bernard. On peut assurer que depuis qu’elle est établie dans l’Église, elle a eu les plus heureux succès. Ce fut par elle que Saint François de Sales, fatigué depuis un mois par une cruelle idée de réprobation, recouvra dans un moment la paix que des torrents de larmes n’avoient pu lui procurer. Ce fut par elle que M. Bernard, si célèbre par sa tendresse pour les prisonniers, eut le bonheur de convertir un malheureux qui, condamné au supplice de la roue, ne voulait pas entendre parler de Dieu, ni des tourments qu’il prépare aux endurcis.

MARIA, ô nomen sub quod nemini desperandum ! S. Aug.

MARIE, ô Nom sous lequel personne ne doit désespérer.

Les indulgences

1471 La doctrine et la pratique des indulgences dans l’Église sont étroitement liées aux effets du sacrement de Pénitence.

Qu’est-ce que l’indulgence ?

«L’indulgence est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées, par l’action de l’Église, laquelle, en tant que dispensatrice de la rédemption, distribue et applique par son autorité le trésor des satisfactions du Christ et des saints «(Paul VI, const. ap. «Indulgentiarum doctrina», Norme 1).

«L’indulgence est partielle ou plénière, selon qu’elle libère partiellement ou totalement de la peine temporelle due pour le péché «(ibid, Norme 2). «Tout fidèle peut gagner des indulgences pour soi-même ou les appliquer aux défunts «(⇒ CIC, can. 994).

Les peines du péché

1472 Pour comprendre cette doctrine et cette pratique de l’Église il faut voir que le péché a une double conséquence. Le péché grave nous prive de la communion avec Dieu, et par là il nous rend incapables de la vie éternelle, dont la privation s’appelle la «peine éternelle «du péché. D’autre part, tout péché, même véniel, entraîne un attachement malsain aux créatures, qui a besoin de purification, soit ici-bas, soit après la mort, dans l’état qu’on appelle Purgatoire. Cette purification libère de ce qu’on appelle la «peine temporelle «du péché. Ces deux peines ne doivent pas être conçues comme une espèce de vengeance, infligée par Dieu de l’extérieur, mais bien comme découlant de la nature même du péché. Une conversion qui procède d’une fervente charité, peut arriver à la totale purification du pécheur, de sorte qu’aucune peine ne subsisterait (cf. Cc. Trente : DS 1712-1713 ; 1820).

1473 Le pardon du péché et la restauration de la communion avec Dieu entraînent la remise des peines éternelles du péché. Mais des peines temporelles du péché demeurent. Le chrétien doit s’efforcer, en supportant patiemment les souffrances et les épreuves de toutes sortes et, le jour venu, en faisant sereinement face à la mort, d’accepter comme une grâce ces peines temporelles du péché ; il doit s’appliquer, par les œuvres de miséricorde et de charité, ainsi que par la prière et les différentes pratiques de la pénitence, à se dépouiller complètement du «vieil homme «et à revêtir «l’homme nouveau «(cf. Ep 4, 24).

Dans la communion des saints

1474 Le chrétien qui cherche à se purifier de son péché et à se sanctifier avec l’aide de la grâce de Dieu ne se trouve pas seul. «La vie de chacun des enfants de Dieu se trouve liée d’une façon admirable, dans le Christ et par le Christ, avec la vie de tous les autres frères chrétiens, dans l’unité surnaturelle du Corps mystique du Christ, comme dans une personne mystique «(Paul VI, const. ap. «Indulgentiarum doctrina «5).

1475 Dans la communion des saints «il existe donc entre les fidèles – ceux qui sont en possession de la patrie céleste, ceux qui ont été admis à expier au purgatoire ou ceux qui sont encore en pèlerinage sur la terre – un constant lien d’amour et un abondant échange de tous biens «(ibid.). Dans cet échange admirable, la sainteté de l’un profite aux autres, bien au-delà du dommage que le péché de l’un a pu causer aux autres. Ainsi, le recours à la communion des saints permet au pécheur contrit d’être plus tôt et plus efficacement purifié des peines du péché.

1476 Ces biens spirituels de la communion des saints, nous les appelons aussi le trésor de l’Église, «qui n’est pas une somme de biens, ainsi qu’il en est des richesses matérielles accumulées au cours des siècles, mais qui est le prix infini et inépuisable qu’ont auprès de Dieu les expiations et les mérites du Christ Notre Seigneur, offerts pour que l’humanité soit libérée du péché et parvienne à la communion avec le Père. C’est dans le Christ, notre Rédempteur, que se trouvent en abondance les satisfactions et les mérites de sa rédemption (cf. He 7, 23-25 ; 9, 11-28)».

1477 «Appartiennent également à ce trésor le prix vraiment immense, incommensurable et toujours nouveau qu’ont auprès de Dieu les prières et les bonnes œuvres de la bienheureuse Vierge Marie et de tous les saints qui se sont sanctifiés par la grâce du Christ, en marchant sur ses traces, et ont accompli une œuvre agréable au Père, de sorte qu’en travaillant à leur propre salut, ils ont coopéré également au salut de leurs frères dans l’unité du Corps mystique «(Paul VI, const. ap. «Indulgentiarum doctrina «5).

Obtenir l’indulgence de Dieu par l’Église

1478 L’indulgence s’obtient par l’Église qui, en vertu du pouvoir de lier et de délier qui lui a été accordé par le Christ Jésus, intervient en faveur d’un chrétien et lui ouvre le trésor des mérites du Christ et des saints pour obtenir du Père des miséricordes la remise des peines temporelles dues pour ses péchés. C’est ainsi que l’Église ne veut pas seulement venir en aide à ce chrétien, mais aussi l’inciter à des œuvres de piété, de pénitence et de charité (cf. Paul VI, loc. cit. 8 ; Cc. Trente : DS 1835).

1479 Puisque les fidèles défunts en voie de purification sont aussi membres de la même communion des saints, nous pouvons les aider entre autres en obtenant pour eux des indulgences, de sorte qu’ils soient acquittés des peines temporelles dues pour leurs péchés.

Source

La discussion de Jésus avec les Docteurs au Temple & Douleur de Marie à la disparition de Jésus

Je vois Jésus. C’est un adolescent. Vêtu d’une tunique qui me semble de lin blanc et lui descend jusqu’aux pieds. Il se drape par-dessus dans une étoffe rectangulaire d’un rouge clair. Il est tête nue avec des cheveux longs qui lui descendent à moitié des oreilles, plus foncés que lorsque je l’ai vu plus petit. C’est un garçon robuste, très grand pour son âge, mais dont le visage est vraiment enfantin.

Il me regarde et me sourit en me tendant les mains. Un sourire pourtant qui ressemble déjà à celui que je Lui vois adulte : doux et plutôt sérieux. Il est seul. Je ne vois rien d’autre en ce moment. Il est appuyé à un petit mur au-dessus d’une ruelle toute en montées et descentes, pierreuse avec au milieu un creux qui, par temps de pluie, se transforme en ruisseau. Pour l’heure il est à sec car la journée est belle.

Il me semble de m’approcher aussi du muret et de regarder à l’entour et en bas comme fait Jésus. Je vois un groupe de maisons rassemblées sans alignement. Il y en a de hautes, de basses et orientées dans tous les sens. Cela ressemble – la comparaison est pauvre mais assez juste – à une poignée de cailloux blancs jetés sur un terrain sombre. Les rues et ruelles apparaissent comme des veines au milieu de cette blancheur. Çà et là des arbres sortent d’entre les murs. Beaucoup sont en fleurs et beaucoup couverts de feuilles nouvelles. Ce doit être le printemps.

À gauche, par rapport à moi qui regarde, il y a une grande agglomération, disposée sur trois rangées de terrasses couvertes de bâtiments, et puis des tours, des cours et des portiques au centre desquels se dresse un bâtiment plus haut, majestueux, très riche, à coupoles rondes qui brillent au soleil comme si elles étaient couvertes de métal, cuivre ou or. Le tout est entouré d’une muraille crénelée, de créneaux à la façon de M comme si c’était une forteresse . Une tour plus haute que les autres à cheval sur une rue plutôt étroite et qui est en saillie domine nettement cette vaste agglomération. On dirait une sentinelle sévère.

Jésus regarde fixement cet endroit, puis il se retourne appuyant de nouveau le dos au muret comme il était d’abord, puis il regarde un petit monticule qui est en face de l’agglomération, un monticule couvert de maisons jusqu’à la base et ensuite dénudé. Je vois qu’une rue se termine là avec un arceau au-delà duquel il n’y a plus qu’une rue pavée de pierres quadrangulaires, irrégulières et mal assemblées. Elles ne sont pas exagérément grandes comme les pierres des routes consulaires romaines. Elles ressemblent plutôt aux pierres classiques des vieux trottoirs de Viareggio (je ne sais s’ils existent encore) mais mal assemblées. Une mauvaise route. Le visage de Jésus devient tellement sérieux que je me mets à chercher sur ce monticule la cause de cette mélancolie. Mais je ne trouve rien de spécial. C’est une hauteur dénudée. C’est tout. En revanche, je perds Jésus. En effet, quand je me retourne, il n’est plus là. Et je m’assoupis avec cette vision.

…Quand je me réveille, avec au cœur le souvenir de cette vision, après avoir retrouvé un peu de forces et de calme, car tout le monde dort, je me trouve dans un endroit que je n’ai jamais vu. Il y a des cours, des fontaines, des maisons, ou plutôt des pavillons que des maisons. Cela semble être en effet plutôt des pavillons que de maisons. Il y a là une foule nombreuse, habillée à l’ancienne mode hébraïque et beaucoup de cris. En regardant autour de moi, je me rends compte que je suis à l’intérieur de cette agglomération que Jésus regardait. Je vois en effet la muraille crénelée qui l’entoure, la tour qui fait sentinelle et l’imposant bâtiment qui se dresse au centre et sur lequel s’appuient les portiques très beaux et vastes où se trouve une foule occupée qui à une chose, qui à une autre.

Je me rends compte que je me trouve dans l’enceinte du Temple de Jérusalem. Je vois des pharisiens en longs vêtements flottants, des prêtres vêtus d’habits de lin avec une plaque de métal précieux au sommet de la poitrine et sur le front et d’autres points qui luisent çà et là sur les vêtements très amples et blancs que retient à la taille une ceinture de grand prix. Puis, il y en a d’autres, moins chamarrés qui doivent encore appartenir à la caste sacerdotale et qui sont entourés de disciples plus jeunes. Je vois que ce sont des docteurs de la Loi.

Je me trouve égarée au milieu de tous ces personnages, ne sachant pas bien ce que j’ai à faire là-dedans. Je m’approche d’un groupe de docteurs où a débuté une discussion théologique. Une grande foule s’en approche aussi.

Parmi les « docteurs » il y a un groupe à la tête duquel se trouve un certain Gamaliel avec un autre, âgé et presque aveugle, que soutient Gamaliel au cours de la discussion. Celui-là, je l’entends appeler Hillel (je mets l’H parce que je vois qu’il y a une aspiration au début du nom), il semble le maître ou le parent de Gamaliel parce que ce dernier le traite avec confiance et respect en même temps. Le groupe de Gamaliel a des vues plus larges, alors qu’un autre groupe, et c’est le plus nombreux, est dirigé par un certain Sciammaï et est caractérisé par une intransigeance haineuse et rétrograde que l’Évangile met si bien en lumière.

Gamaliel, entouré d’un groupe important de disciples, parle de la venue du Messie. S’appuyant sur la prophétie de Daniel, il soutient que le Messie doit être déjà né. En effet, depuis une dizaine d’années environ, les soixante-dix semaines indiquées par la prophétie sont accomplies, à dater du décret de reconstruction du Temple. Sciammaï le combat en affirmant que s’il est vrai que le Temple a été reconstruit, il n’est pas moins vrai que l’esclavage d’Israël n’a fait que croître et que la paix qu’aurait dû apporter avec lui Celui que les Prophètes appellent « le Prince de la paix » est bien loin d’exister dans le monde et spécialement à Jérusalem opprimée par un ennemi qui ose pousser sa domination jusqu’à l’enceinte du Temple dominée par la Tour Antonia remplie de légionnaires romains, prêts à apaiser avec leur épée tout soulèvement patriotique.

La discussion, pleine d’arguties, tire en longueur : chaque maître fait étalage d’érudition pas tant pour vaincre son rival que pour s’imposer à l’admiration des auditeurs. Cette intention est évidente.

Du groupe serré de ses fidèles sort une fraîche voix d’enfant : « C’est Gamaliel qui a raison. »

Mouvement de la foule et du groupe des docteurs. On cherche l’interrupteur. Mais pas besoin de le chercher; il ne se cache pas. Il se manifeste et s’approche du groupe des « rabbi ». Je reconnais mon Jésus adolescent. Il est sûr de Lui et franc, avec des yeux intelligents qui étincellent.

« Qui es-tu ? » Lui demande-t-on.

« Un fils d’Israël venu accomplir ce que la Loi ordonne. »

La réponse hardie et sûre d’elle-même le rend sympathique et Lui vaut des sourires d’approbation et de bienveillance. On s’intéresse au petit Israélite.

« Comment t’appelles-tu ? »

« Jésus de Nazareth. »

La bienveillance s’atténue dans le groupe de Sciammaï. Mais Gamaliel, plus bienveillant, poursuit le dialogue en même temps que Hillel. Ou plutôt c’est Gamaliel qui, respectueusement, dit au vieillard : « Demande quelque chose à l’enfant. « 

« Sur quoi fondes-tu ta certitude?  » demande Hillel. (Je mets les noms en tête des réponses pour abréger et rendre plus clair).

Jésus : « Sur la prophétie qui ne peut faire erreur sur l’époque et les signes qui l’ont accompagnée quand ce fut le moment de sa réalisation. C’est vrai que César nous domine. Mais le monde était tellement paisible et la Palestine si calme quand expirèrent les soixante-dix semaines qu’il fut possible à César d’ordonner un recensement dans ses domaines. Il ne l’aurait pas pu s’il y avait eu la guerre dans l’Empire et des soulèvements en Palestine. Comme ce temps était accompli, ainsi va se terminer l’autre intervalle de temps de soixante-deux semaines plus une depuis l’achèvement du Temple, pour que le Messie soit consacré et que se réalise la suite de la prophétie pour le peuple qui ne l’a pas accepté. Pouvez-vous avoir des doutes ? Ne vous rappelez-vous pas de l’étoile que virent les Sages d’Orient et qui alla justement se poser dans le ciel de Bethléem de Juda et que les prophéties et les visions, depuis Jacob et par la suite, indiquent ce lieu comme destiné à accueillir la naissance du Messie, fils du fils du fils de Jacob, à travers David qui était de Bethléem ? Ne vous rappelez-vous pas Balaam ? « Une Étoile naîtra de Jacob ». Les Sages d’Orient, auxquels la pureté et la foi gardaient ouverts les yeux et les oreilles, ont vu l’Étoile et compris son nom : « Messie » et ils sont venus adorer la Lumière allumée dans le monde. »

Sciammaï, le regard livide: « Tu dis que le Messie est né au temps de l’Étoile à Bethléem Ephrata ? »

Jésus : « Je le dis. »

Sciammaï : « Alors il n’existe plus. Tu ne sais pas, Enfant, qu’Hérode fit tuer tous les garçons de un jour à deux ans de Bethléem et des environs ? Toi qui connais si bien les Écritures, tu dois aussi savoir cela : « Un cri s’est élevé… C’est Rachel qui pleure ses enfants». Les vallées et les collines de Bethléem qui ont recueilli les pleurs de Rachel mourante sont restées remplies de ces pleurs, et les mères l’ont répété sur leurs fils massacrés. Parmi elles, il y avait certainement aussi la Mère du Messie. »

Jésus : « Tu te trompes, vieillard. Les pleurs de Rachel se sont changés en hosanna, parce que là où elle avait mis au jour « le fils de sa douleur », la nouvelle Rachel a donné au monde le Benjamin du Père céleste, le Fils de sa droite, Celui qui est destiné à rassembler les peuples sous son sceptre et à le libérer de la plus terrible servitude. »

Sciammaï : « Et comment, s’il a été tué ? »

Jésus : « N’as-tu pas lu, en parlant d’Élie ? Il fut enlevé dans un char de feu. Et le Seigneur Dieu ne pourra pas avoir sauvé son Emmanuel pour qu’il fût le Messie de son peuple ? Lui qui a ouvert la mer devant Moïse pour qu’Israël rejoignit à pieds secs son territoire, II n’aura pas pu ordonner à ses anges de sauver son Fils, son Christ, de la férocité de l’homme ? En vérité je vous le dis : le Christ vit et il est parmi vous et quand sera venue son heure, il se manifestera dans sa puissance. » Jésus, en disant ces paroles que je souligne, a dans la voix un éclat qui remplit l’espace. Ses yeux brillent encore davantage et comme mus par le pouvoir et la promesse, il tend le bras et la main droite comme pour un serment. C’est un enfant, mais il est solennel comme un homme.

Hillel : « Enfant, qui t’a enseigné ces paroles ? »

Jésus : « L’Esprit de Dieu. Je n’ai pas de maître humain. C’est la parole de Dieu que vous entendez par mes lèvres. »

Hillel : « Viens, parmi nous, que je te voie de près, ô Enfant ! Mon espérance se ravive au contact de ta foi et mon âme s’illumine au soleil de la tienne. »

Et on fait asseoir Jésus sur un siège élevé entre Gamaliel et Hillel et on Lui apporte des rouleaux pour qu’il les lise et les explique. C’est un examen en règle. La foule se presse et écoute.

La voix enfantine de Jésus lit : « Console-toi, ô mon peuple. Parlez au cœur de Jérusalem, consolez-la car son esclavage est fini… Voix de quelqu’un qui crie dans le désert: préparez les chemins du Seigneur… Alors apparaîtra la gloire du Seigneur… ».

Sciammaï: « Tu le vois. Nazaréen ! Ici on parle d’esclavage fini. Jamais comme à présent nous sommes esclaves. Ici on parle d’un précurseur. Où est-il ? Tu radotes ! »

Jésus: « Je te dis que c’est à toi plus qu’aux autres que t’invite le Précurseur. À toi et à tes semblables. Autrement tu ne verras pas la gloire du Seigneur et tu ne comprendras pas la parole de Dieu, parce que la bassesse, l’orgueil, la dissimulation t’empêcheront de voir et d’entendre. »

Sciammaï: « C’est ainsi que tu parles à un maître ? »

Jésus: « C’est ainsi que je parle, ainsi que je parlerai jusqu’à la mort. Car au-dessus de mon intérêt il y a celui du Seigneur et l’amour pour la Vérité dont je suis le Fils. Et j’ajoute pour toi, ô rabbi, que l’esclavage dont parle le Prophète et dont je parle Moi aussi, n’est pas celui que tu crois, et la royauté n’est pas celle à laquelle tu penses. Mais au contraire, c’est par les mérites du Messie que l’homme sera libéré de l’esclavage du Mal qui le sépare de Dieu et le caractère du Christ s’imprime sur les esprits libérés de tout joug et soumis à son règne éternel. Toutes les nations inclineront la tête, ô race de David, devant le Germe né de toi et devenu l’arbre qui couvre toute la terre et s’élève jusqu’au Ciel. Au Ciel et sur la terre toute bouche louera son Nom et tout genou fléchira devant le Consacré de Dieu, le Prince de la paix, celui qui enivrera de Lui-même toute âme fatiguée et rassasiera toute âme affamée, le Chef, le Saint qui conclura une alliance entre la terre et le Ciel. Non pas comme celle qui fut conclue avec les Pères d’Israël quand Dieu les fit sortir d’Égypte, en les traitant encore comme des serviteurs, mais en gravant la pensée de la Paternité céleste dans les esprits des hommes avec la Grâce nouvellement versée en eux par les mérites du Rédempteur par qui tous les bons connaîtront le Seigneur, et le Sanctuaire de Dieu ne sera plus abattu ni détruit. »

Sciammaï : « Mais, ne blasphème pas, Enfant ! Rappelle-toi Daniel. Il dit qu’après la mort du Christ, le Temple et la Cité seront détruits par un peuple et un chef qui viendra pour cela. Et Toi, tu soutiens que le Sanctuaire de Dieu ne sera plus abattu ! Respecte les Prophètes ! »

Jésus : « En vérité je te dis qu’il y a Quelqu’un qui est plus que les Prophètes et tu ne le connais pas, ni ne le connaîtras pas parce qu’il te manque de vouloir le connaître. Et je t’affirme que tout ce que j’ai dit est vrai. Il ne connaîtra plus la mort, le vrai Sanctuaire, mais comme Celui qui le sanctifie, il ressuscitera pour la vie éternelle et à la fin des jours du monde, il vivra au Ciel. »

Hillel : « Écoute, Enfant. Aggée dit :  » …II viendra le Désiré des Nations. Grande sera la gloire de cette maison et de cette dernière plus que de la première». Il veut peut-être parler du même sanctuaire que Toi ? »

Jésus: « Oui, Maître, c’est cela qu’il veut dire. Ta droiture t’achemine vers la Lumière et Moi je te dis : quand le Sacrifice du Christ sera accompli, la paix viendra vers toi parce que tu es un Israélite sans malice. »

Gamaliel : « Dis-moi, Jésus. La paix dont parlent les Prophètes, comment peut-on l’espérer si la guerre vient détruire ce peuple? Parle et éclaire-moi aussi. »

Jésus : « Ne te souviens-tu pas. Maître, de ce que dirent ceux qui furent présents la nuit de la naissance du Christ ? Que les troupes angéliques chantèrent : « Paix aux hommes de bonne volonté ». Mais la volonté de ce peuple n’est pas bonne et il n’aura pas la paix. Il méconnaîtra son Roi, le Juste, le Sauveur parce qu’il attend un roi revêtu de la puissance humaine alors que Lui est le Roi de l’esprit. Ce peuple ne l’aimera pas, parce que le Christ prêchera ce qui ne plaît pas à ce peuple. Le Christ ne combattra pas des ennemis pourvus de chars et de cavalerie, mais les ennemis de l’âme qui inclinent vers des jouissances infernales le cœur de l’homme créé pour le Seigneur. Et cela, ce n’est pas la victoire qu’Israël attend de Lui. Il viendra, Jérusalem, ton Roi monté sur  » l’ânesse et l’ânon », c’est à dire les justes d’Israël et les gentils. Mais l’ânon, je vous le dis, lui sera plus fidèle et le suivra précédant l’ânesse et grandira sur la route de la Vérité et de la Vie. Israël, à cause de sa volonté mauvaise, perdra la paix et souffrira en elle-même, pendant des siècles, ce qu’il a fait souffrir à son Roi réduit par eux à être l’Homme des Douleurs dont parle Isaïe. »

Sciammaï : « Ta bouche profère à la fois des enfantillages et des blasphèmes, Nazaréen. Réponds : et où est le Précurseur ? Quand l’avons-nous eu ? »

Jésus : « Il existe. Malachie ne dit-il pas : « Voici que j’envoie mon ange préparer devant Moi le chemin et immédiatement viendra à son Temple le Dominateur que vous cherchez et l’Ange du Testament que vous désirez ardemment » ? Donc, le Précurseur précède immédiatement le Christ. Il est déjà là, comme le Christ. S’il y avait des années entre celui qui prépare le chemin au Seigneur et le Christ, tous les chemins s’encombreraient et dévieraient. Dieu le sait et il a décidé que le Précurseur précède d’une seule heure le Maître. Quand vous verrez ce Précurseur, vous pourrez dire : « La mission du Christ est commencée ». À toi je dis : le Christ ouvrira beaucoup d’yeux et beaucoup d’oreilles quand Il viendra par ces chemins. Mais ce ne sont pas les tiens ni ceux de tes semblables, car vous lui donnerez la mort en échange de la Vie qu’il vous apporte. Mais quand, plus grand que ce Temple, plus haut que le Tabernacle enfermé dans le Saint des Saints, plus haut que la Gloire que soutiennent les Chérubins, le Rédempteur sera sur son trône et sur son autel, la malédiction pour les déicides et la vie pour les gentils couleront de ses mille et mille blessures. Car Lui, ô maître toi qui l’ignores, n’est pas, je le répète, Roi d’une domination humaine, mais d’un Royaume spirituel, et ses sujets seront uniquement ceux qui par leur amour sauront renaître en leur esprit et comme Jonas, après une première naissance, renaître sur d’autres rivages : « ceux de Dieu » à travers la régénération spirituelle qui viendra par le Christ qui donnera la vraie vie à l’humanité. »

Sciammaï et son entourage : « Ce Nazaréen est Satan ! »

Hillel et les siens : « Non. Cet enfant est un Prophète de Dieu. Reste avec nous, Petit. Ma vieillesse transmettra ce qu’elle sait à ton savoir et tu seras Maître du Peuple de Dieu. »

Jésus : « En vérité, je te dis que si beaucoup étaient comme toi, le salut arriverait à Israël. Mais mon heure n’est pas venue. Les voix du Ciel me parlent et, dans la solitude je dois les recevoir jusqu’à ce que mon heure arrive. Alors, avec mes lèvres et mon sang, je m’adresserai à Jérusalem, et mon sort sera celui des Prophètes lapidés et assassinés par elle. Mais, au-dessus de mon être, il y a celle du Seigneur Dieu, auquel je soumets Moi-même pour qu’il fasse de Moi l’escabeau de sa gloire, en attendant que Lui fasse du monde un escabeau pour les pieds du Christ. Attendez-Moi à mon heure. Ces pierres entendront de nouveau ma voix et frémiront à ma dernière parole.

Bienheureux ceux qui, en cette voix, auront écouté Dieu et croiront en Lui par son entremise. À ceux-là le Christ donnera son Royaume dont votre égoïsme rêve qu’il sera tout humain alors qu’il est céleste. Pour l’avènement de ce Royaume, Moi, je dis: « Voici ton serviteur, Seigneur, venu pour faire ta Volonté. Réalise-la entièrement, car je brûle de l’accomplir ». « 

Et ici se termine la vision de Jésus avec son visage enflammé d’ardeur spirituelle, tourné vers le ciel, les bras ouverts, debout au milieu des docteurs stupéfaits.

Samedi 29 janvier 1944

J’aurai ici à vous dire deux choses qui vous intéresseront certainement, et que j’avais décidé d’écrire dès mon réveil. Mais puisqu’il y en a d’autres plus pressantes, j’écrirai plus tard.

Voici ce que je voulais dire au début :

Vous me demandiez aujourd’hui comment j’avais pu savoir les noms de Hillel et Gamaliel et celui de Sciammaï. C’est la voix que j’appelle « seconde voix » c’est elle qui me dit ces choses. C’est une voix encore moins sensible que celle de mon Jésus et des autres qui me dictent. Celles-là ce sont des voix, je vous l’ai déjà dit et je vous le répète, que mon entendement spirituel les perçoit comme si c’était des voix humaines. Je les perçois suaves ou indignées, riantes ou tristes, exactement comme quelqu’un qui me parlerait tout près. Tandis que cette « seconde voix » au contraire c’est comme une lumière, une intuition qui parle en mon esprit. Je dis « en » mon esprit et non pas « à » mon esprit. C’est une indication.

Ainsi comme je m’approchais du groupe des gens qui discutaient, sans savoir quel était cet illustre personnage qui, à côté d’un vieillard parlait avec tant de chaleur, « cette voix » intérieure me dit : « Gamaliel – Hillel » Oui, d’abord Gamaliel et ensuite Hillel, je n’ai aucun doute. Pendant que je me demandais qui étaient ceux-ci, ce moniteur intérieur m’indiqua le 3ème individu antipathique tout juste au moment où Gamaliel l’appelait par son nom. C’est ainsi que j’ai pu savoir qui était celui-là qui avait l’aspect d’un pharisien. Aujourd’hui, ce moniteur intérieur me fait comprendre que je voyais l’univers après sa mort. Il en est ainsi très souvent dans les visions. C’est lui qui me fait comprendre certains détails que par moi-même je ne saisirais pas, et qu’il est nécessaire de comprendre. Je ne sais si je me suis bien expliquée. Mais je laisse cela de côté parce que Jésus commence à me parler.

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Douleur de Marie à la disparition de Jésus

Douleur de Marie à la disparition de Jésus

Catéchèse du mardi 22 février 1944 (veille du mercredi des cendres)

Jésus dit :

« Petit Jean, prends patience. Il s’agit d’autre chose. Et traitons cette autre chose pour faire plaisir à ton Directeur, et compléter l’ouvrage. Je veux que ce travail soit remis demain, mercredi des Cendres. Je veux que tu aies fini ce travail fatigant parce que… je veux te faire souffrir avec Moi.

Revenons en arrière, très en arrière. Revenons au Temple où, à l’âge de 12 ans, je suis en train de discuter. Revenons même sur les chemins qui mènent a Jérusalem et de Jérusalem au Temple.

Tu vois la douleur de Marie lorsque se réunirent les groupes d’hommes et de femmes. Elle voit que je ne suis pas avec Joseph. Elle ne s’emporte pas en durs reproches envers son époux. Toutes les femmes l’auraient fait. Elles l’auraient fait pour beaucoup moins, oubliant que l’homme est toujours le chef dans la famille.

Mais la douleur qui se manifeste sur le visage de Marie transperce le cœur de Joseph plus qu’aucun reproche. Elle ne s’abandonne pas. Marie, à des scènes dramatiques. Pour beaucoup moins, d’autres femmes l’eussent fait pour qu’on les remarque et pour s’attirer de la pitié. Mais sa douleur contenue est si évidente avec le tremblement qui la saisit, la pâleur de son visage, ses yeux si grands ouverts qu’elle émeut plus qu’une scène de pleurs et de cris.

Elle ne sent plus la fatigue ni la faim. Pourtant, l’étape avait été longue et depuis si longtemps elle n’avait rien pris ! Mais elle laisse tout. Et la couchette que l’on préparait et la nourriture qui va être distribuée. Elle revient sur ses pas. C’est le soir et la nuit descend. Peu importe. Chaque pas la ramène vers Jérusalem. Elle arrête les caravanes, les pèlerins, elle les interroge. Joseph la suit et l’aide. Une journée de marche à rebours, et puis l’angoissante recherche à travers la Cité.

Où, où peut être son Jésus ? Et Dieu permet qu’elle ne sache pas, pendant de si longues heures, où me chercher. Chercher un enfant au Temple n’avait pas de sens. Que pouvait bien faire un enfant au Temple ? Tout au plus s’il était perdu à travers la ville et s’était ramené là, à l’intérieur, porté par ses petits pas, sa voix plaintive aurait appelé la maman et attiré l’attention des adultes, des prêtres, qui auraient pensé à rechercher les parents avec des écriteaux mis aux portes. Mais pas d’écriteaux. Personne en ville ne savait rien de cet enfant. Beau ? Blond ? Robuste ? Mais il y en a tant dont on peut le dire ! C’était trop peu pour pouvoir affirmer : « Je l’ai vu, il était ici ou là » !

Puis, après trois jours, symbole des trois jours de sa future angoisse, voilà que Marie à bout de forces pénètre dans le Temple, parcourt les cours et les vestibules. Rien. Elle court, elle court la pauvre Maman, là où elle entend une voix enfantine. Et même les agneaux avec leurs bêlements lui semblent la voix de la créature qu’elle cherche. Mais Jésus ne pleure pas. Il enseigne. Voilà que Marie entend, au-delà d’un groupe de personnes, la chère voix qui dit : « Ces pierres frémiront… ». Elle tâche de se frayer un chemin à travers la foule et elle y réussit finalement. Le voilà, le Fils, les bras ouverts, tout droit au milieu des docteurs.

Marie est la Vierge prudente, mais, cette fois, le chagrin la fait sortir de sa réserve. C’est une digue qui abat tout obstacle. Elle court vers son Fils, l’embrasse en le soulevant de son siège et en le posant à terre. Elle s’écrie : « Oh ! pourquoi nous as-tu fait cela ? Depuis trois jours nous marchons à ta recherche. Ta Maman se meurt de chagrin, Fils. Ton père est épuisé de fatigue. Pourquoi, Jésus ? ».

On ne demande pas de « pourquoi » à Celui qui sait. Le « pourquoi » de sa façon d’agir. A ceux qui sont appelés on ne demande pas « pourquoi » ils laissent tout pour suivre la voix de Dieu. J’étais la Sagesse et je savais. J’étais « appelé » à une mission et je la remplissais. Au-dessus du père et de la mère de la terre, il y a Dieu, le Père Divin. Ses intérêts dépassent les nôtres, ses affections passent avant toutes les autres. Je le dis à ma Mère. Je termine l’enseignement aux docteurs par l’enseignement à Marie, Reine des docteurs. Et elle ne l’a jamais plus oublié. Un rayon de soleil lui est revenu au cœur, tandis qu’elle me tient par la main, humble et obéissant, mais mes paroles lui sont restées au cœur.

Beaucoup de jours ensoleillés ou nuageux passeront sous le ciel, pendant ces vingt et une années où je serai encore sur la terre. Beaucoup de joies et beaucoup de peines et de pleurs passeront, les uns après les autres, en son cœur pendant les vingt et une autres années qui suivront, mais elle ne demandera plus : « Pourquoi, mon Fils, nous as-tu fait cela ? « 

Apprenez cette leçon, vous, hommes arrogants.

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Présentation de Jésus au Temple

Je vois partir d’une petite maison très modeste un couple de personnes. D’un petit escalier extérieur descend une très jeune mère avec, entre ses bras, un bébé dans un lange blanc.

Je reconnais, c’est notre Maman. C’est toujours elle, pâle et blonde, agile et si gentille en toutes ses démarches. Elle est vêtue de blanc, avec un manteau d’azur pâle qui l’enveloppe. Sur la tête un voile blanc. Elle porte son Bébé avec tant de précautions. Au pied du petit escalier, Joseph l’attend auprès d’un âne gris. Joseph est habillé de marron clair, aussi bien pour l’habit que pour le manteau. Il regarde Marie et lui sourit. Quand Marie arrive près de l’âne, Joseph se passe la bride sur le bras gauche, et prend pour un moment le Bébé qui dort tranquille pour permettre à Marie de mieux s’installer sur la selle. Puis, il lui rend Jésus et ils se mettent en marche.

Joseph marche à côté de Marie en tenant toujours la monture par la bride et en veillant qu’elle marche droit et sans trébucher. Marie tient Jésus sur son sein et, par crainte que le froid ne puisse Lui nuire, elle étend sur Lui un pli de son manteau. Ils parlent très peu, les deux époux, mais ils se sourient souvent.

La route qui n’est pas un modèle du genre se déroule à travers une campagne que la saison a dépouillée. Quelque autre voyageur se rencontre avec les deux ou les croise, mais c’est rare.

Puis voici des maisons qui se découvrent et des murs qui enserrent une ville. Les deux époux entrent par une porte, puis commence le parcours sur le pavé très disjoint de la ville. La marche devient beaucoup plus difficile, soit à cause du trafic qui fait arrêter l’âne à tout moment, soit parce que sur les pierres et les crevasses qui les interrompent il a de continuelles secousses qui dérangent Marie et l’Enfant.

La route n’est pas plane : elle monte bien que légèrement. Elle est étroite entre les hautes maisons aux entrées aussi étroites et basses et aux rares fenêtres sur la rue. En haut, le ciel se montre avec tant de morceaux d’azur de maison à maison ou de terrasse à terrasse. En bas sur la rue, il y a des gens qui crient et croisent, d’autres personnes à pied ou à âne, ou conduisant des ânes chargés et d’autres, en arrière d’une encombrante caravane de chameaux. À un certain endroit passe avec beaucoup de bruits de sabots et d’armes une patrouille de légionnaires romains qui disparaissent derrière une arcade qui enjambe une rue très étroite et pierreuse.

Joseph tourne à gauche et prend une rue plus large et plus belle. J’aperçois l’enceinte crénelée que je connais déjà tout au fond de la rue.

Marie descend de l’âne près de la porte où se trouve une sorte d’abri pour les ânes. Je dis « abri » parce que c’est une espèce de hangar ou mieux d’abri couvert jonché de paille avec des piquets munis d’anneaux pour attacher les quadrupèdes. Joseph donne quelque argent à un garçon qui est accouru, pour acheter un peu de foin et il tire un seau d’eau à un puits rudimentaire situé dans un coin, pour la donner à l’âne.

Puis, il rejoint Marie et ils entrent tous deux dans l’enceinte du Temple.

Ils se dirigent d’abord vers un portique où se trouvent ces gens que Jésus fustigea plus tard vigoureusement : les marchands de tourterelles et d’agneaux et les changeurs. Joseph achète deux blanches colombes. Il ne change pas d’argent. On se rend compte qu’il a déjà ce qu’il faut.

Joseph et Marie se dirigent vers une porte latérale où on accède par huit marches, comme on dirait qu’ont toutes les portes, en sorte que le cube du Temple est surélevé au-dessus du sol environnant. Cette porte a un grand hall comme les portes cochères de nos maisons en ville, pour en donner une idée, mais plus vaste et plus décoré. La il y a à droite et à gauche deux sortes d’autels c’est-à-dire deux constructions rectangulaires dont au début je ne vois pas bien a quoi elles servent. On dirait des bassins peu profonds car l’intérieur est plus bas que le bord extérieur surélevé de quelques centimètres.

Je ne sais si c’est Joseph qui a appelé : voila qu’accourt un prêtre. Marie offre les deux pauvres colombes et moi qui comprends leur sort, je détourne mon regard. J’observe les ornements du très lourd portail, du plafond, du hall. Il me semble pourtant voir, du coin de l’œil, que le prêtre asperge Marie avec de l’eau, Ce doit être de l’eau, car je ne vois pas de tache sur son habit. Puis, Marie, qui, en même temps que les colombes, avait donné au prêtre une petite poignée de monnaie (j’avais oublié de le dire), entre avec Joseph dans le Temple proprement dit, accompagnée par le prêtre.

Je regarde de tous côtés. C’est un endroit très orné. Sculptures à têtes d’anges avec rameaux et ornements courent le long des colonnes, sur les murs et le plafond. Le jour pénètre par de longues et drôles fenêtres, étroites, sans vitres naturellement et disposées obliquement sur le mur. Je suppose que c’est pour empêcher d’entrer les averses.

Marie s’introduit jusqu’à un certain endroit, puis s’arrête. À quelques mètres d’elle il y a d’autres marches et au-dessus une autre espèce d’autel au-delà duquel il y a une autre construction.

Je m’aperçois que je croyais être dans le Temple et au contraire j’étais au dedans des bâtiments qui entourent le Temple proprement dit, c’est-à-dire le Saint, et au-delà duquel il semble que personne, en dehors des prêtres, ne puisse entrer. Ce que je croyais être le Temple n’est donc qu’un vestibule fermé qui, de trois côtés, entoure le Temple où est renfermé le Tabernacle. Je ne sais si je me suis très bien expliquée, mais je ne suis pas architecte ou ingénieur.

Marie offre le Bébé, qui s’est éveillé et tourne ses petits yeux innocents tout autour, vers le prêtre, avec le regard étonné des enfants de quelques jours. Ce dernier le prend sur ses bras et le soulève à bras tendus, le visage vers le Temple en se tenant contre une sorte d’autel qui est au-dessus des marches. La cérémonie est achevée. Le Bébé est rendu à sa Mère et le prêtre s’en va.

Il y a des gens, des curieux qui regardent. Parmi eux se dégage un petit vieux, courbé qui marche péniblement en s’appuyant sur une canne, Il doit être très vieux, je dirais plus qu’octogénaire. Il s’approche de Marie et lui demande de lui donner pour un instant le Bébé. Marie le satisfait en souriant.

C’est Siméon, j’avais toujours cru qu’il appartenait à la caste sacerdotale et au contraire, c’est un simple fidèle, à en juger du moins par son vêtement. Il prend l’Enfant, l’embrasse. Jésus lui sourit avec la physionomie incertaine des nourrissons. Il semble qu’il l’observe curieusement, parce que le petit vieux pleure et rit à la fois et les larmes font sur sa figure des dessins emperlés en s’insinuant entre les rides et retombant sur la barbe longue et blanche vers laquelle Jésus tend les mains : C’est Jésus, mais c’est toujours un petit bébé et, ce qui remue devant lui, attire son attention et lui donne des velléités de se saisir de la chose pour mieux voir ce que c’est. Marie et Joseph sourient, et aussi les personnes présentes qui louent la beauté du Bébé.

J’entends les paroles du saint vieillard et je vois le regard étonné de Joseph, l’émotion de Marie, les réactions du petit groupe des personnes présentes, les unes étonnées et émues aux paroles du vieillard, les autres prises d’un fou rire. Parmi ces derniers se trouvent des hommes barbus et de hautains membres du Sanhédrin qui hochent la tête. Ils regardent Siméon avec une ironique pitié.

Ils doivent penser que son grand âge lui a fait perdre la tête.

Le sourire de Marie s’éteint en une plus vive pâleur, lorsque Siméon lui annonce la douleur. Bien qu’elle sache, cette parole lui transperce l’âme. Marie s’approche davantage de Joseph pour trouver du réconfort; elle serre passionnément son Enfant sur son sein et, comme une âme altérée, et boit les paroles d’Anne qui, étant femme, a pitié de la souffrance de Marie et lui promet que l’Éternel adoucira l’heure de sa douleur en lui communiquant une force surnaturelle : « Femme, Celui qui a donné le Sauveur à son peuple ne manquera pas de te donner son ange pour soulager tes pleurs. L’aide du Seigneur n’a pas manqué aux grandes femmes d’Israël et tu es bien plus que Judith et que Yaël. Notre Dieu te donnera un cœur d’or très pur pour résister à la mer de douleur par quoi tu seras la plus grande Femme de la création, la Mère. Et toi, Petit, souviens-toi de moi à l’heure de ta mission. »

Ici s’arrête pour moi la vision.

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L’adoration des mages – C’est « l’Évangile de la foi »

Mon conseiller intérieur me dit :

«Ces contemplations que tu vas recevoir et que je vais te présenter, appelle-les “ les Évangiles de la foi ” car, pour toi comme pour les autres, ils viendront mettre en lumière la puissance de la foi et de ses fruits, et vous confirmer dans votre foi en Dieu.»

Je vois la petite ville de Bethléem, toute blanche et rassemblée comme une couvée de poussins sous la lumière des é toiles. Deux rues principales s’y coupent à angle droit, l’une venant de l’extérieur du bourg – c’est la grand-route qui continue plus loin, – l’autre qui le traverse d’un bout à l’autre, mais pas au-delà. D’autres ruelles sillonnent cette bourgade, sans la moindre trace d’un plan d’urbanisme tel que nous le concevons ; elles s’adaptent plutôt aux différences de niveaux du sol et aux maisons édifiées çà et là, au gré des accidents du sol et des caprices des constructeurs. Tournées parfois vers la droite, parfois vers la gauche, ou encore de biais par rapport à la rue qui les borde, ces maisons l’obligent à ressembler à un ruban sinueux au lieu d’être rectiligne entre un point et un autre.

De temps en temps, on rencontre une petite place, soit pour un marché, soit pour une fontaine, ou encore – parce que les bâtiments sont construits au petit bonheur –, un espace libre sur lequel on ne peut rien construire.

À l’endroit où, à ce qu’il me semble, je dois m’arrêter plus particulièrement, se trouve précisément l’une de ces places irrégulières. Elle devrait être carrée ou du moins rectangulaire. Elle se présente au contraire sous la forme d’un trapèze si bizarre qu’on dirait un triangle coupé au sommet. Du côté le plus long – la base du triangle – se dresse un bâtiment large et bas. C’est le plus important du village. Du dehors, c’est une muraille lisse et nue sur laquelle s’ouvrent deux portes cochères actuellement bien fermées. À l’intérieur en revanche, de nombreuses fenêtres au premier étage donnent sur la cour carrée, tandis que, au-dessous, des portiques entourent des cours jonchées de paille et de détritus, avec des vasques pour abreuver les chevaux et les autres animaux. Les colonnes rustiques des portiques portent des anneaux pour attacher les bêtes et, sur un côté, se trouve un vaste hangar pour abriter troupeaux et montures. Je comprends qu’il s’agit de l’auberge de Bethléem.

Sur deux autres côtés de même longueur se trouvent des maisons et des maisonnettes, les unes précédées d’un petit jardin et d’autres pas, car certaines ont la façade tournée vers la place, et d’autres, vers l’arrière. Sur le côté plus étroit, face au caravansérail, se dresse une unique maisonnette avec, au milieu de la façade, un escalier extérieur qui donne accès aux chambres de l’étage habité. Comme c’est la nuit, elles sont toutes fermées et, vu l’heure, les rues sont désertes.

Je vois s’intensifier la clarté de la nuit qui descend d’un ciel semé d’étoiles, toujours si belles dans le ciel d’Orient, si vives et grandes qu’elles en paraissent toutes proches ; on a l’impression qu’on pourrait aisément les atteindre, les toucher du doigt, ces fleurs qui brillent sur le velours du firmament… Je lève les yeux pour comprendre quelle est la source de cette intensité de lumière. Une étoile d’une taille insolite qui la fait ressembler à une petite lune s’avance dans le ciel de Bethléem. Par là même, les autres paraissent s’éclipser et lui céder le passage comme des servantes sur le parcours d’une reine, tant son éclat les surpasse et les fait disparaître.

Son noyau ressemble à un énorme saphir, éclairé de l’intérieur par un soleil ; il en sort une traînée lumineuse où prédomine un bleu céleste, mais où se fondent les blonds des topazes, les verts des émeraudes, l’éclat irisé des opales, les clartés sanguines des rubis et le doux scintillement des améthystes. On retrouve toutes les pierres précieuses de la terre dans cette traînée qui balaye le ciel d’un mouvement rapide et ondulant comme si elle était vivante. Mais la couleur prédominante qui semble pleuvoir du globe de l’étoile, c’est la teinte paradisiaque de saphir clair qui vient colorer d’un bleu argenté les maisons, les rues et le sol de Bethléem, ce berceau du Sauveur. Elle n’a plus rien de la pauvre bourgade qui, pour nous, est plus petite qu’un village rural. C’est une cité fantastique de conte de fées où tout est d’argent. Même l’eau des fontaines et des vasques ressemble à du diamant liquide.

C’est en rayonnant avec encore plus d’éclat que l’étoile s’arrête sur la petite maison qui se trouve du côté le plus étroit de la place. Ni ses occupants ni les villageois ne la voient, parce qu’ils dorment dans leurs maisons bien closes. Cependant, les palpitations lumineuses de l’astre s’accélèrent, son sillage ondule et tourbillonne plus fort en traçant presque des demi-cercles dans le ciel, qui s’illumine tout entier sous l’effet de cette poussière d’étoiles qu’elle entraîne, ce filet de pierres précieuses qui resplendissent de mille couleurs sur les autres étoiles, comme pour leur communiquer un message de joie.

La maison tout entière est baignée de ce feu liquide de joyaux. Le toit de la petite terrasse, l’escalier de pierre grise, la petite porte, tout ne forme qu’un bloc d’argent pur saupoudré d’une poussière de diamants et de perles. Aucun palais royal sur terre n’a jamais eu et n’aura jamais d’escalier pareil à celui-ci, fait pour recevoir le passage des anges et pour servir à la Mère, qui est Mère de Dieu. Ses petits pieds de Vierge immaculée peuvent se poser sur cette éclatante blancheur, ses petits pieds destinés à se poser sur les marches du trône de Dieu. Mais la Vierge ignore tout. Elle veille à côté du berceau de son Fils et prie. Son âme recèle des splendeurs qui surpassent celles dont l’étoile embellit toutes choses.

Un cortège s’avance dans la rue principale : chevaux harnachés et d’autres guidés à la main, dromadaires et chameaux, les uns montés, les autres chargés de bagages. Le bruit des sabots ressemble à de l’eau qui clapote en heurtant les pierres d’un torrent.

Parvenus sur la place, tous s’arrêtent. Sous le rayonnement de l’étoile, ce cortège est d’une splendeur fantastique : les ornements des riches montures, les vêtements des cavaliers, les visages, les bagages, tout resplendit en ravivant et en unissant au scintillement de l’étoile l’éclat du métal, du cuir, de la soie, des fourrures et des joyaux. Les yeux rayonnent, les bouches rient, car une autre splendeur s’est allumée dans les cœurs, celle d’une joie surnaturelle.

Pendant que les serviteurs se dirigent vers le caravansérail avec les animaux, trois personnages de la caravane descendent de leur monture respective, qu’un serviteur emmène aussitôt, et marchent vers la maison.
Ils se prosternent, face contre terre, et baisent le sol. Ce sont trois personnages puissants, leurs riches vêtements le prouvent. À peine descendu de son chameau, l’un d’eux, à la peau très foncée, se drape dans un superbe vêtement de soie blanche. Son front est ceint d’un cercle d’or et de sa ceinture pend un poignard ou une épée dont la garde s’orne de pierres précieuses. Les deux autres sont descendus de leurs magnifiques chevaux. L’un d’eux est revêtu d’une tunique rayée, très belle, où domine le jaune. Cet habit est comme un long domino garni d’une capuche et d’un cordon qui semblent faits tout d’une pièce en filigrane d’or tant ils sont ornés de brocart. Quant au troisième, il porte une chemise de soie bouffante qui sort d’un long et large pantalon serré aux pieds. Il s’est enveloppé dans un châle très fin, véritable jardin fleuri tant sont vives les fleurs qui le décorent entièrement. Sur la tête, il porte un turban retenu par une chaînette faite entièrement de chatons de diamants.

Ayant vénéré la maison où se trouve le Sauveur, ils se relèvent et vont au caravansérail, que les serviteurs, après y avoir frappé, ont fait ouvrir.

Ici s’arrête ma vision.

Elle reprend trois heures plus tard par la scène de l’adoration des mages à Jésus.

Il fait jour, désormais. Un beau soleil brille dans le ciel de l’après-midi.

Un serviteur des mages traverse la place et gravit l’escalier de la petite maison. Il entre, ressort, et retourne à l’auberge.

Les trois sages sortent, suivis chacun de son serviteur. Ils traversent la place. Les rares passants se retournent pour regarder ces personnages majestueux qui marchent lentement, avec solennité. Un bon quart d’heure est passé entre l’entrée du serviteur et celle des Mages, ce qui a permis aux habitants de la petite maison de se préparer à recevoir leurs hôtes.

Ces derniers sont habillés encore plus richement que la veille au soir. Les soieries resplendissent, les pierres précieuses étincellent, un grand panache de plumes de grand prix couvertes d’écailles encore plus précieuses oscille sur la tête de celui qui a un turban.

L’un des serviteurs porte un coffre orné de marqueteries dont les fermetures sont en or buriné ; le deuxième une coupe très travaillée, surmontée d’un couvercle encore mieux ciselé ; le troisième, une espèce d’amphore large et basse, en or elle aussi, bouchée par une fermeture en forme de pyramide garnie d’un brillant au sommet. Ces objets doivent être lourds, car les serviteurs les portent avec effort, surtout celui qui est chargé du coffre.

Les trois visiteurs montent l’escalier et entrent. Ils pénètrent dans une pièce qui va de la rue à l’arrière de la maison. On aperçoit le petit jardin qui se trouve derrière par une fenêtre ouverte au soleil. Des portes s’ouvrent dans les deux autres murs, d’où les propriétaires observent : un homme, une femme, et trois ou quatre enfants entre deux âges.

Marie est assise, l’enfant sur son sein, et Joseph se tient debout auprès d’elle. Mais elle se lève elle aussi et s’incline quand elle voit entrer les trois mages. Elle est entièrement vêtue de blanc. Elle est si belle dans le simple vêtement immaculé qui la recouvre de la base du cou aux pieds, des épaules à ses fins poignets, si belle avec sa tête couronnée de tresses blondes, son visage rosi par l’émotion, ses yeux qui sourient avec douceur, sa bouche qui s’ouvre pour saluer : «Que Dieu soit avec vous !», que les trois hommes en restent un instant interdits. Puis ils s’avancent, se prosternent à ses pieds et la prient de s’asseoir.

Eux non, ils ne s’asseyent pas, bien que Marie les en prie. Ils restent à genoux, appuyés sur leurs talons. Les trois serviteurs se tiennent en retrait, eux aussi à genoux, tout de suite derrière le seuil. Ils ont déposé devant eux les objets qu’ils portaient, et attendent.

Les trois sages contemplent l’Enfant, qui, à ce qu’il me semble, doit avoir de neuf mois à un an, tant il est éveillé et robuste.

Il se tient assis sur le sein de sa Mère, sourit et gazouille avec une voix de petit oiseau.

Comme sa Mère, il est entièrement vêtu de blanc et porte des sandalettes à ses pieds minuscules. Un petit vêtement tout simple : une tunique d’où sortent de beaux petits petons remuants, de petites mains potelées qui voudraient bien tout attraper, et surtout un très joli visage où resplendissent des yeux bleu foncé ; sa bouche fait des fossettes des deux côtés quand il rit, découvrant des dents minuscules. Les boucles de ses cheveux font penser à une poussière d’or tant elles sont brillantes et vaporeuses.

Le plus âgé des sages parle au nom de tous.

Il explique à Marie que, une nuit du dernier mois de décembre, ils ont vu, dans le ciel, apparaître une nouvelle étoile d’un éclat inhabituel. Jamais aucune carte du ciel n’avait mentionné cet astre et nul n’en avait jamais parlé. On ne connaissait pas son nom, parce qu’il n’en avait pas. Née du sein de Dieu, cette étoile s’était épanouie pour apprendre aux hommes une vérité bénie, un secret de Dieu. Mais les hommes ne s’en étaient guère souciés, parce que leur âme était plongée dans la boue. Ils ne levaient pas les yeux vers Dieu et ne savaient pas lire les paroles qu’il trace – qu’il en soit éternellement béni – avec des astres de feu sur la voûte des cieux.

Eux, ils l’avaient vue et s’étaient efforcés d’en comprendre le sens. C’est de bon cœur qu’ils avaient perdu le peu de sommeil qu’ils accordaient à leurs membres et en oubliaient de manger pour se plonger dans l’étude du zodiaque. Or les conjonctions des planètes, le temps, la saison, le calcul des heures passées et des combinaisons astronomiques leur avaient appris le nom et le secret de l’étoile. Son nom était “Messie”, et son secret : “Être le Messie venu au monde.” Ils avaient donc pris la route pour l’adorer, à l’insu les uns des autres. Par monts et par vaux, à travers déserts et fleuves, voyageant de nuit, ils avaient marché en direction de la Palestine, vers où l’étoile les guidait. Pour chacun, de trois points différents de la terre, elle allait dans cette direction. Et puis ils s’étaient rencontrés, de l’autre côté de la mer Morte. C’est là que la volonté de Dieu les avait réunis, et ils avaient continué ensemble, en se comprenant, bien que chacun parle sa propre langue, et en comprenant et pouvant parler la langue du pays traversé, par quelque miracle de l’Éternel.

Ensemble, ils étaient allés à Jérusalem, puisque le Messie devait être le roi de Jérusalem, le roi des Juifs. Mais l’étoile s’était cachée sur le ciel de cette ville ; ils avaient senti leur cœur se briser de douleur et s’étaient examinés pour savoir s’ils avaient démérité de Dieu. Mais, leur conscience les rassurant, ils s’étaient adressés au roi Hérode pour lui demander dans quel palais était né le roi des Juifs qu’ils étaient venus adorer. Ayant convoqué les prêtres et les scribes, le roi leur avait demandé où devait naître le Messie, et ils avaient répondu:

«À Bethléem de Judée.»

Les mages étaient donc venus à Bethléem et l’étoile était réapparue à leurs yeux, une fois quittée la cité sainte. La veille au soir, son éclat s’était accru – le ciel entier était embrasé – puis, unissant la lumière des autres étoiles à son propre rayonnement, elle s’était arrêtée au-dessus de cette maison. Ils avaient compris que c’était là que se trouvait le Nouveau-né divin. Et maintenant ils l’adoraient et lui offraient leurs pauvres cadeaux et, par-dessus tout, leur cœur qui ne cesserait jamais de bénir Dieu de la grâce qu’il leur avait accordée et d’aimer son Nouveau-né, dont ils voyaient la sainte humanité. Ils allaient ensuite en rendre compte au roi Hérode, car lui aussi désirait l’adorer.

«Voici à la fois l’or qu’il convient à un roi de posséder, l’encens comme il convient à Dieu, et voilà, Mère, voilà la myrrhe, puisque ton Nouveau-né n’est pas seulement Dieu mais homme, et connaîtra donc l’amertume de la chair et de la vie humaine ainsi que la loi inévitable de la mort. Notre amour aurait préféré ne pas te dire ces mots et penser que sa chair est éternelle à l’instar de son Esprit. Mais, Femme, si nos cartes ne se trompent pas, et plus encore nos âmes, ton Fils est le Sauveur, le Christ de Dieu qui devra, pour sauver la terre, prendre sur lui le mal du monde dont l’un des châtiments est la mort. Cette résine est destinée à cette heure-là, pour que ses chairs – qui sont saintes – ne connaissent pas la pourriture de la corruption et gardent leur intégrité jusqu’à leur résurrection. Que par nos cadeaux il se souvienne de nous et sauve ses serviteurs en leur donnant son Royaume.

Pour l’instant, et pour être sanctifiés par lui, que sa Mère offre son Enfant à notre amour. Qu’en baisant ses pieds la bénédiction céleste descende sur nous».

Marie, qui a dominé l’effroi provoqué par les paroles du savant et a dissimulé par un sourire la tristesse de l’évocation funèbre, leur offre l’enfant. Elle le pose dans les bras du plus âgé, qui l’embrasse et reçoit des caresses, puis il le passe aux deux autres.

Jésus sourit et joue avec les chaînettes et les franges des trois hommes, et il regarde avec curiosité l’écrin ouvert, rempli d’une matière jaune et luisante. Il rit quand il voit que le soleil forme un arc-en-ciel en tombant sur le couvercle de la myrrhe.

Puis les trois personnages rendent l’Enfant à Marie et se lèvent. Marie en fait de même. Le plus jeune donne un ordre à son serviteur, qui sort, et les uns et les autres s’inclinent. Les mages parlent encore un peu, comme s’ils ne pouvaient se résoudre à quitter cette maison. Des larmes d’émotion brillent dans les yeux. Finalement, ils se dirigent vers la sortie, accompagnés par Marie et Joseph.

L’Enfant a voulu descendre et donner la main au plus âgé des trois, et il marche comme cela, une main dans la main de Marie, l’autre dans celle du sage, qui se penche pour le retenir. Jésus a le pas encore incertain d’un enfant et il rit en frappant du pied le rayon de lumière que le soleil dessine par terre.

Parvenus sur le seuil – il ne faut pas oublier que cette pièce prenait toute la longueur de la maison – les trois visiteurs prennent congé en s’agenouillant encore une fois pour baiser les pieds de Jésus. Marie, penchée sur son Fils, prend sa petite main et, en la guidant, lui fait faire un geste de bénédiction sur la tête de chacun des mages. C’est déjà un signe de croix que tracent les petits doigts de Jésus guidés par Marie.

Après cela, les trois mages descendent l’escalier. La caravane est déjà prête, elle les attend. Le harnachement des chevaux brille sous le soleil couchant. Les gens se sont rassemblés sur la petite place pour observer ce spectacle insolite.

Jésus bat des mains en riant. Sa Mère l’a soulevé et appuyé contre un large parapet qui borde le palier. Elle le maintient par un bras sur sa poitrine pour l’empêcher de tomber. Joseph est descendu avec les trois personnages et tient l’étrier à chacun pendant qu’ils montent à cheval ou à chameau.

Désormais, maîtres et serviteurs sont tous en selle. L’ordre de marche est donné. Les trois hommes se penchent jusque sur le cou de leur monture en un dernier salut. Joseph s’incline, Marie en fait de même et guide de nouveau la main de Jésus en un geste d’adieu et de bénédiction.

Source Jésus dit :

«Et maintenant ? Que vous dire, ô âmes qui sentez mourir votre foi ?

Rien ne pouvait apporter à ces sages d’Orient la certitude de la vérité. Rien de surnaturel. Ils n’avaient que leurs calculs d’astronomie et leur réflexion qu’une vie intègre rendait parfaite. Et pourtant ils ont eu foi, foi en tout : dans la science, dans leur conscience, dans la bonté de Dieu.

Par la science, ils ont cru au signe de la nouvelle étoile qui ne pouvait être que “celle” que l’humanité attendait depuis des siècles : le Messie. Par ailleurs, ils ont eu foi en la voix de leur conscience qui recevait des “voix” célestes et leur disait : “C’est l’étoile qui indique l’avènement du Messie.” Grâce à leur bonté, ils ont cru avec foi que Dieu ne les tromperait pas et que, puisque leur intention était droite, il allait les aider de mille façons à atteindre leur but.

Et ils y sont parvenus. Parmi tant de personnes qui étudient les signes, eux seuls ont compris ce signe-là, car eux seuls avaient au fond du cœur le désir de connaître les paroles de Dieu avec une intention droite, dont le but principal était de rendre aussitôt à Dieu honneur et louange.

Ils ne recherchaient pas quelque intérêt personnel. Au contraire, ils vont au-devant de fatigues et de dépenses, sans demander la moindre compensation humaine. Ils demandent seulement à Dieu de se souvenir d’eux et de les sauver pour l’éternité.

De même qu’ils ne pensaient à aucune compensation humaine future, ils n’ont aucune préoccupation humaine lorsqu’ils entreprennent ce voyage. Vous, vous auriez coupé les cheveux en quatre de mille manières :

“Comment vais-je pouvoir faire un tel voyage dans des pays et parmi des peuples d’une autre langue ? Va-t-on me croire ou m’emprisonner comme espion ? Quelle aide m’apportera-t-on pour traverser déserts, montagnes et fleuves ? Et la chaleur ? Les vents des hauts plateaux ? Les fièvres qui règnent dans les régions marécageuses ?

Les fleuves gonflés par les pluies ? Les différences de nourriture, de langues ? ” Et ainsi de suite.

C’est comme cela que, vous, vous raisonnez. Mais pas eux. Eux, ils disent avec une sincère, une sainte audace : “Toi, mon Dieu, tu lis dans les cœurs et tu vois quel est notre but. Nous nous remettons entre tes mains. Accorde-nous la joie surnaturelle d’adorer ta deuxième Personne faite chair pour le salut du monde.”

Cela suffit. Ils se mettent en route à partir des Indes lointaines, des chaînes de montagnes de Mongolie sur lesquelles planent seulement les aigles et les vautours, où Dieu parle par le tumulte des vents et des torrents, où il écrit de mystérieuses paroles sur les pages illimitées des névés, des terres où le Nil naît puis coule, tel une veine bleu vert, à la rencontre du cœur de la Méditerranée couleur d’azur. Ni pics, ni forêts, ni sables, ni océans desséchés plus dangereux que les mers, rien n’arrête leur marche. L’étoile brille sur leurs nuits, elle les empêche de dormir. Quand on cherche Dieu, les habitudes animales doivent céder le pas aux impatiences et aux nécessités surnaturelles.

L’étoile les amène du nord, de l’orient et du midi et, par un miracle de Dieu, elle s’avance pour tous trois vers un même point comme, par un autre miracle, elle les réunit après un tel parcours à cet endroit. Un troisième miracle leur donne, anticipation de la sagesse de la Pentecôte, le don de se comprendre et de se faire comprendre comme au Paradis, où l’on ne parle qu’une seule et même langue, celle de Dieu.

Un seul moment d’effroi les assaille lorsque l’étoile disparaît.

Dans leur humilité – parce qu’ils sont réellement grands –, ils n’imaginent pas que cela puisse être dû à la méchanceté d’autrui et que les hommes corrompus de Jérusalem ne méritent pas de voir l’étoile de Dieu. Ils pensent avoir eux-mêmes démérité de Dieu et font leur examen de conscience, tremblants, contrits et déjà prêts à demander pardon.

Mais leur conscience les rassure. Les âmes habituées à la méditation ont une conscience extrêmement sensible, affinée par une attention constante, par une introspection aiguë qui a fait de leur vie intérieure un miroir sur lequel se reflètent les moindres traces des événements quotidiens.

Ils s’en sont fait une maîtresse, une voix qui les avertit et se fait entendre, je ne dis pas à la moindre erreur, mais à un simple regard vers l’erreur, vers l’humain, vers la complaisance pour leur moi. Par conséquent, quand ils se remettent en face de cette maîtresse, de ce miroir sévère et limpide, ils savent qu’elle ne mentira pas. Or, à cet instant, elle les rassure et ils reprennent courage.

“Ah, qu’il est doux de sentir que rien en nous ne s’oppose à Dieu ! Qu’il regarde avec bienveillance l’âme de son enfant fidèle et la bénit… Ce sentiment provoque un accroissement de la foi et de la confiance, de l’espérance, de la force et de la patience. Certes, en ce moment c’est la tempête. Mais elle passera, puisque Dieu m’aime et sait que je l’aime, et jamais son aide ne me fera défaut.” Ainsi parlent ceux qui ont en eux la paix que donne une conscience droite qui dirige souverainement chacun de leurs actes.

J’ai dit qu’ils étaient “humbles parce qu’ils étaient réellement grands”. Dans votre vie, que se passe-t-il au contraire ? Un individu n’est jamais humble, du fait qu’il est grand, mais parce qu’il est vaniteux et tire sa puissance de son influence et de votre sotte idolâtrie. Il y a des malheureux qui, pour la simple raison qu’ils sont majordomes d’un puissant, huissiers d’un bureau, fonctionnaires dans une administration, bref au service de celui qui leur a procuré cette place, prennent des poses de demi-dieux. Comme ils font pitié !…

Mais eux, les trois, parce qu’ils étaient sages, étaient réellement grands. D’abord par leurs vertus surnaturelles, ensuite par leur science, enfin par leur richesse. Mais ils se considèrent comme moins que rien : poussière sur la poussière de la terre par rapport au Dieu Très-Haut qui crée les mondes par un sourire et les sème comme des grains de blé pour rassasier les yeux des anges par des colliers d’étoiles.

Ils se considèrent comme moins que rien par rapport au Dieu très-haut qui a créé la planète sur laquelle ils vivent et lui a donné une extraordinaire variété. En Sculpteur infini d’œuvres sans limites, il y a disposé d’un coup de pouce, ici un chapelet de douces collines, là une ossature de dômes et de sommets en guise de vertèbres de la terre, de ce corps démesuré qui a pour veines les rivières, pour bassins les lacs, pour cœur les océans, pour vêtements les forêts, pour voiles les nuages, pour ornements les glaciers de cristal, pour bijoux les turquoises et les émeraudes, les opales et les béryls de toutes les eaux qui, avec les bois et les vents, chantent un grand chœur de louanges à leur Seigneur.

Mais malgré leur sagesse, ils se sentent moins que rien face au Dieu très-haut dont cette sagesse provient et qui leur a donné un regard plus pénétrant que celui de leurs yeux pour voir les réalités : c’est le regard de l’âme qui sait reconnaître en toute chose des paroles qu’aucune main humaine n’a écrites, mais qui ont été gravées par la pensée de Dieu.

Malgré leurs richesses, ils se sentent moins que rien, un atome en comparaison de la richesse du Maître de l’univers, qui sème métaux et pierres précieuses sur les astres et les planètes, ainsi que des richesses en profusion inépuisable dans le cœur de ceux qui l’aiment.

Arrivés devant une pauvre maison dans la plus insignifiante des villes de Juda, ils ne hochent pas la tête en disant : “C’est impossible !” : ils s’inclinent, s’agenouillent, s’humilient de tout leur cœur et adorent.

Dieu est là, derrière ce misérable mur, ce Dieu qu’ils ont toujours invoqué sans jamais oser – même de très loin – espérer pouvoir le voir ; mais ils l’invoquent pour le bien de l’humanité tout entière, et pour “leur” propre bien éternel. Ah, ils n’espéraient que cela : pouvoir le voir, le connaître, le posséder dans la vie qui ne connaît plus ni aubes ni crépuscules !

Il est là, derrière ce pauvre mur. Qui sait si son cœur d’enfant, qui est toujours le cœur de Dieu, n’entend pas le cœur de ces trois hommes qui, prosternés dans la poussière de la rue, s’écrient : “Saint, Saint, Saint ! Béni soit le Seigneur notre Dieu. Gloire, gloire, gloire et bénédiction” ? Ils se le demandent avec un cœur tremblant d’amour.

Pendant la nuit et le matin suivant, c’est par la plus vive des prières qu’ils préparent leur âme à communier à l’Enfant-Dieu. Ils ne vont pas vers cet autel qu’est le sein virginal portant l’Hostie divine comme vous y allez, vous, l’esprit habité de préoccupations matérielles. Ils oublient sommeil et nourriture et, s’ils portent leurs plus beaux atours, ce n’est pas par vanité humaine, mais pour faire honneur au Roi des rois. Les dignitaires entrent à la cour des souverains avec leurs plus beaux vêtements.

Les mages ne devraient-ils donc pas s’avancer vers ce Roi en habits de fête ? Et quelle fête, pour eux, pourrait être plus grande que celle-ci ?

Dans leurs contrées lointaines, ils ont dû maintes et maintes fois se parer pour des hommes qui étaient leurs égaux, pour les fêter et leur faire honneur. Il est donc juste de prosterner aux pieds du Roi suprême pourpre et joyaux, soies et plumes précieuses, de déposer à ses pieds, à ses doux petits pieds, les fibres de la terre, les parfums de la terre, les métaux de la terre, les pierres précieuses de la terre – tout cela est son œuvre – pour qu’elles aussi, ces richesses de la terre, adorent leur Créateur. Et ils seraient heureux si ce petit Bébé leur ordonnait de s’allonger sur le sol pour offrir un tapis vivant à ses premiers pas d’enfant et leur marchait sur le corps, lui qui a quitté les étoiles pour eux, qui ne sont que poussière, poussière, poussière.

Ils sont humbles, généreux, obéissants aux “voix” du Très-Haut qui leur enjoignent d’apporter des cadeaux au Roi nouveau-né. C’est ce qu’ils font. Ils ne disent pas : “Il est riche et n’a besoin de rien, il est Dieu et ne connaîtra pas la mort.” Ils obéissent. Ils subviennent sans affectation à la pauvreté du Sauveur. Qu’il sera utile, cet or, pour ceux qui demain seront des fugitifs ! Quel sens revêt donc cette myrrhe pour celui qui sera bientôt mis à mort ! Quelle piété dans cet encens pour celui qui devra respirer la puanteur de la luxure des hommes qui s’exhale autour de son infinie pureté !

Ils sont humbles, généreux, obéissants et respectueux les uns des autres. Les vertus engendrent toujours d’autres vertus. Après les vertus qui s’adressent à Dieu, voici celles qui s’adressent aux autres. Le respect, qui devient charité. Il appartient au plus âgé de parler au nom de tous, de recevoir en premier le baiser du Sauveur et de le conduire par la main. Les autres pourront encore le voir, mais pas lui : il est âgé, et le jour de son retour à Dieu s’approche. Il le verra, le Christ, après sa mort cruelle, et il le suivra dans le sillage des sauvés pour retourner au ciel. Mais il ne le verra plus sur cette terre. Alors, il lui restera pour viatique la tiédeur de la petite main qui s’est confiée à la main ridée.

Il n’y a aucune envie chez les autres, mais un respect plus grand pour le vieux sage. Il a certainement plus de mérites qu’eux, et depuis plus longtemps. L’Enfant-Dieu le sait.

Si celui qui est la Parole du Père ne sait pas encore parler, son geste est parole. Bénie soit son innocente parole qui désigne celui-là comme son préféré !

Mais, mes enfants, il y a deux autres enseignements à tirer de cette vision.

C’est d’abord l’attitude de Joseph qui sait rester à “sa” place. Il est présent en tant que gardien et protecteur de la Pureté et de la Sainteté, mais il n’en usurpe pas les droits. C’est Marie qui, avec son Jésus, reçoit les hommages et à qui les mages s’a dressent. Joseph s’en réjouit pour elle et ne s’afflige pas d’être une figure secondaire. Joseph est un juste, il est le Juste. Et il est toujours juste, même à ce moment-là. Les vapeurs de la fête ne lui montent pas à la tête. Il reste humble et juste.

Il se réjouit des cadeaux. Non pas pour lui-même, mais parce qu’il pense qu’ils lui serviront à rendre plus agréable la vie de son épouse et de son doux enfant. Il n’y a aucune cupidité en Joseph. C’est un travailleur et il continuera à travailler. Mais il se réjouit qu’eux, ses deux amours, connaissent un peu d’aisance et de confort. Ni les mages ni lui ne savent que ces dons serviront à une fuite et à une vie d’exil au cours desquelles ces richesses s’évaporeront comme des nuages chassés par le vent, puis au retour dans leur patrie. Ils auront alors tout perdu, clients et meubles. Il ne leur restera que les murs de leur maison, protégée par Dieu parce que c’est là qu’il s’est uni à la Vierge et s’est fait chair.

Joseph est humble, lui, le gardien de Dieu et de la Mère de Dieu et Épouse du Très-Haut, jusqu’à présenter l’étrier à ces vassaux de Dieu.

C’est un pauvre charpentier, car la violence des hommes a dépouillé les héritiers de David de leurs possessions royales. Mais il est toujours de race royale et a les manières d’un roi. C’est aussi de lui qu’il a été dit : “Il était humble parce qu’il était réellement grand.”

Dernier enseignement, doux et expressif :

C’est Marie qui prend la main de Jésus, qui ne sait pas encore bénir, et la guide pour faire ce geste saint.

C’est toujours Marie qui prend la main de Jésus et la guide.

Aujourd’hui encore. Aujourd’hui, Jésus sait bénir. Mais il arrive que sa main transpercée retombe, lasse et découragée, parce qu’il sait qu’il est inutile de bénir. Vous détruisez ma bénédiction.

Elle retombe encore sous l’effet de l’indignation, parce que vous me maudissez. C’est alors Marie qui contient cette indignation en déposant un baiser sur ma main. Ô le baiser de ma Mère, qui saurait y résister ? Puis, de ses doigts délicats, mais avec un amour si impérieux, elle saisit mon poignet et me force à bénir.

Je ne puis repousser ma Mère. Mais il vous faut aller à elle pour qu’elle soit votre avocate. Elle est ma Reine avant d’être la vôtre, et son amour pour vous a des indulgences que même le mien ne connaît pas. Sans paroles, mais avec les perles de ses larmes et l’évocation de ma croix dont elle me fait tracer le signe en l’air, elle plaide votre cause et m’exhorte :

“Tu es le Sauveur. Sauve !”

Voilà, mes enfants, “l’Évangile de la foi” dans l’apparition de la scène des mages. Méditez et imitez, pour votre bien.»

Source

Naissance de Jésus notre Seigneur – L’adoration des bergers.

Je vois encore l’intérieur de ce pauvre refuge pierreux où, partageant le sort des animaux, Marie et Joseph ont trouvé asile.

Le petit feu sommeille ainsi que son gardien. Marie soulève doucement la tête de sa couche, et regarde. Elle voit Joseph, la tête inclinée sur la poitrine, comme s’il réfléchissait, et elle pense que la fatigue a triomphé de sa bonne volonté de rester éveillé. Elle sourit, d’un bon sourire. Faisant moins de bruit que ne peut en faire un papillon qui se pose sur une rose, elle s’assied, puis s’agenouille. Elle prie avec un sourire radieux sur le visage. Elle prie, les bras étendus non pas précisément en croix, mais presque, les paumes dirigées vers le haut et en avant, et elle ne paraît pas fatiguée de cette pose pénible. Puis, elle se prosterne, le visage contre le foin, dans une prière encore plus profonde. Une prière prolongée.

Joseph s’éveille. Il voit le feu presque mort et l’étable presque dans les ténèbres. Il jette une poignée de brindilles et la flamme se réveille. Il y ajoute des branches plus grosses, puis encore plus grosses car le froid doit être piquant, le froid de la nuit hivernale et tranquille qui pénètre partout dans ces ruines.

Le pauvre Joseph tout près comme il l’est de la porte – appelons ainsi l’ouverture que son manteau essaye d’obstruer – doit être gelé. Il approche les mains près de la flamme, défait ses sandales et approche ses pieds. Il se chauffe. Quand le feu est bien pris, et que sa clarté est assurée, il se tourne. Il ne voit rien, pas même cette blancheur du voile de Marie qui traçait une ligne claire sur le foin obscur. Il se lève et lentement s’approche de la couchette.

« Tu ne dors pas, Marie ? » demande-t-il. Il le demande trois fois, jusqu’à ce qu’elle en prenne conscience et réponde : « Je prie. »

« Tu n’as besoin de rien ? »

« Non, Joseph. »

« Essaie de dormir un peu, de reposer au moins. »

« J’essaierai, mais la prière ne me fatigue pas. »

« Adieu, Marie. »

« Adieu, Joseph. »

Marie reprend sa position. Joseph pour ne plus céder au sommeil s’agenouille près du feu et il prie. Il prie avec les mains qui lui couvrent le visage. Il ne les enlève que pour alimenter le feu et puis il revient à sa brûlante prière. À part les crépitements du bois et le bruit du sabot de l’âne, qui de temps en temps frappe le sol, on n’entend rien.

Un faisceau de lumière lunaire se glisse par une fissure du plafond et semble une lame immatérielle d’argent qui s’en va chercher Marie. Il s’allonge peu à peu à mesure que la lune s’élève dans le ciel et l’atteint finalement. Le voilà sur la tête de l’orante. Il la nimbe d’une blancheur éclatante.

Marie lève la tête comme pour un appel du ciel et elle s’agenouille de nouveau. Oh ! comme c’est beau ici ! Elle lève sa tête qui semble resplendir de la lumière blanche de la lune, et elle est transfigurée par un sourire qui n’est pas humain. Que voit-elle ? Qu’entend-elle ? Qu’éprouve-t-elle ? Il n’y a qu’elle qui pourrait dire ce qu’elle vit, entendit, éprouva à l’heure fulgurante de sa Maternité. Je me rends seulement compte qu’autour d’elle la lumière croit, croit, croit. On dirait qu’elle descend du Ciel, qu’elle émane des pauvres choses qui l’environnent, qu’elle émane d’elle surtout.

Son vêtement, d’azur foncé, a à présent la couleur d’un bleu d’une douceur céleste de myosotis, les mains et le visage semblent devenir azurés comme s’ils étaient sous le feu d’un immense et clair saphir. Cette couleur me rappelle, bien que plus légère, celle que je découvre dans la vision du saint Paradis et aussi celle de la vision de l’arrivée des Mages. Elle se diffuse surtout toujours plus sur les choses, les revêt, les purifie, leur communique sa splendeur.

La lumière se dégage toujours plus du corps de Marie, absorbe celle de la lune, on dirait qu’elle attire en elle tout ce qui peut arriver du ciel. Désormais, c’est elle qui est la Dépositaire de la Lumière, celle qui doit donner cette Lumière au monde. Et cette radieuse, irrésistible, incommensurable, éternelle, divine Lumière qui va être donnée au monde, s’annonce avec une aube, une diane, un éveil de la lumière, un chœur d’atomes lumineux qui grandit, s’étale comme une marée qui monte, monte en immenses volutes d’encens, qui descend comme un torrent, qui se déploie comme un voile…

La voûte, couverte de fissures, de toiles d’araignées, de décombres en saillie qui semblent miraculeusement équilibrées, noire, fumeuse, repoussante, semble la voûte d’une salle royale. Chaque pierre est un bloc d’argent, chaque fissure une clarté opaline, chaque toile d’araignée un baldaquin broché d’argent et de diamants. Un gros lézard, engourdi entre deux blocs de pierre, semble un collier d’émeraude oublié là, par une reine; une grappe de chauve-souris engourdies émettent une précieuse clarté d’onyx. Le foin qui pend de la mangeoire la plus haute n’est plus de l’herbe : ce sont des fils et des fils d’argent pur qui tremblent dans l’air avec la grâce d’une chevelure flottante.

La mangeoire inférieure, en bois grossier, est devenue un bloc d’argent bruni. Les murs sont couverts d’un brocart où la blancheur de la soie disparaît sous une broderie de perles en relief. Et le sol… qu’est-ce maintenant le sol ? Un cristal illuminé par une lumière blanche. Les saillies semblent des roses lumineuses jetées sur le sol en signe d’hommage; et les trous, des coupes précieuses, d’où se dégagent des arômes et des parfums.

Et la lumière croît de plus en plus. L’œil ne peut la supporter. En elle, comme absorbée par un voile de lumière incandescente, disparaît la Vierge… et en émerge la Mère.

Oui, quand la lumière devient supportable pour mes yeux, je vois Marie avec son Fils nouveau-né dans ses bras. Un petit Bébé rose et grassouillet qui s’agite et se débat avec ses mains grosses comme un bouton de rose et des petits pieds qui iraient bien dans le cœur d’une rose; qui vagit d’une voix tremblotante exactement comme celle d’un petit agneau qui vient de naître, ouvrant la bouche, rouge comme une petite fraise de bois, montrant sa petite langue qui bat contre son palais couleur de rose; qui remue sa petite tête si blonde qu’on la croirait sans cheveux, une petite tête ronde que la Maman soutient dans le creux de l’une de ses mains pendant qu’elle regarde son Bébé et l’adore, pleurant et riant tout ensemble et qu’elle s’incline pour y déposer un baiser, non pas sur la tête innocente, mais sur le milieu de la poitrine sous lequel se trouve le petit cœur, qui bat, qui bat pour nous… là où un jour sera la blessure. Elle la panse d’avance, cette blessure, sa Maman, avec son pur baiser d’Immaculée.

Le bœuf éveillé par la clarté se dresse avec un grand bruit de sabots et il mugit. L’âne relève la tête et brait. C’est la lumière qui les réveille, mais j’aime penser qu’ils ont voulu saluer leur Créateur pour eux-mêmes et pour tous les animaux.

Joseph aussi, qui comme extasié priait avec autant d’intensité qu’il s’était abstrait de tout ce qui l’entourait, se secoue et entre ses doigts dont il se couvre le visage, il voit filtrer la lumière étrange. Il découvre le visage, lève la tête, se retourne. Le bœuf debout, lui cache Marie, mais elle l’appelle : « Joseph, viens. »

Joseph accourt et devant le spectacle s’arrête comme foudroyé de révérence, il va tomber à genoux là où il se trouve. Mais Marie insiste : « Viens, Joseph. » Elle appuie la main gauche sur le foin et tenant de la main droite l’Enfant qu’Elle serre sur son cœur, elle se lève et se dirige vers Joseph qui marche hésitant, pris entre le désir d’avancer et la peur d’être irrespectueux.

Au pied de la couche les deux époux se rencontrent et se regardent en pleurant de bonheur.

« Viens » dit Marie « offrons Jésus au Père. »

Pendant que Joseph s’agenouille, elle, debout, entre les deux poutres qui soutiennent la voûte, élève sa Créature entre ses bras et dit : « Me voici. C’est pour Lui, ô Dieu, que je te dis cette parole. Me voici pour faire ta volonté. Et avec Lui, moi, Marie et Joseph mon époux. Voici tes serviteurs, Seigneur. Que soit accomplie par nous, à toute heure et en toute occasion, ta volonté pour ta gloire et ton amour. » Puis Marie se penche et dit : « Prends, Joseph » et Elle offre l’Enfant.

« Moi ! À Moi ! Oh ! Non ! Je ne suis pas digne ! » Joseph est tout effrayé, anéanti à l’idée de devoir toucher Dieu.

Mais Marie insiste en souriant : « Tu en es bien digne. Personne ne l’est plus que toi. C’est pour cela que Dieu t’a choisi. Prends-le, Joseph, et tiens-le pendant que je cherche les langes. »

Joseph, rouge comme la pourpre, avance les bras et prend le petit bourgeon de chair qui crie parce qu’il a froid. Quand il l’a entre les bras, il ne persiste pas dans l’intention de le tenir par respect éloigné de lui. Il le serre contre son cœur et éclatant en sanglots : « Oh ! Seigneur ! Mon Dieu ! » et il se penche pour baiser ses petits pieds et les sent glacés. Alors, il s’assoit sur le sol, le serre sur son sein. Avec son habit marron, avec ses mains il s’ingénie à le couvrir, à le réchauffer, à le défendre contre la bise nocturne. Il voudrait bien aller du côté du feu, mais là il y a un courant d’air qui entre par la porte. Mieux vaut rester où il est. Il vaut mieux même aller entre les deux animaux qui les protégeront du courant d’air et donneront un peu de chaleur. Il va se mettre entre le bœuf et l’âne avec les épaules tournées vers la porte, penché sur le Nouveau-né pour lui faire de sa poitrine une niche dont les parois sont une tête grise aux longues oreilles et un grand museau blanc aux naseaux fumants et aux bons yeux humides.

Marie a ouvert le coffre et en a tiré les linges et les langes. Elle est allée près du feu pour les réchauffer. La voilà qui va vers Joseph et enveloppe le Bébé dans les linges tiédis, puis elle protège la petite tête avec son voile. « Où allons-nous le mettre maintenant ? » dit-elle.

Joseph regarde autour, réfléchit… « Attends, dit-il. Poussons plus loin les deux animaux et leur foin. Tirons en bas le foin de la mangeoire qui est plus haut et mettons-le ici à l’intérieur. Le bord de cette mangeoire le protégera de l’air, le foin lui fera un oreiller et le bœuf par son souffle le réchauffera un peu. » Et Joseph se met à l’ouvrage, pendant que Marie berce son Petit en le serrant sur son cœur et en appuyant sa joue sur la petite tête pour la réchauffer.

Joseph ravive le feu sans épargner le bois pour faire une belle flamme. Il réchauffe le foin et peu à peu le sèche et le met sur le sein pour l’empêcher de refroidir. Puis, quand il en a assez amoncelé pour faire un petit matelas à l’Enfant, il va à la mangeoire et l’arrange pour en faire un berceau. « C’est prêt, dit-il. Maintenant il faudrait bien une couverture pour empêcher le foin de le piquer, et pour le couvrir… »

« Prends mon manteau » dit Marie.

« Tu auras froid. »

« Oh ! cela ne fait rien ! La couverture est trop rugueuse. Le manteau est doux et chaud. Je n’ai pas du tout froid. Mais que Lui ne souffre plus. »

Joseph prend l’ample manteau de moelleuse laine bleue sombre et l’arrange en double sur le foin, avec un pli qui penche hors de la crèche. Le premier lit du Sauveur est prêt.

Et la Mère, de sa douce démarche ondoyante, le porte et le dépose, le recouvre avec le pli du manteau qu’elle amène aussi autour de la tête nue qui enfonce dans le foin, à peine protégé des piqûres par le mince voile de Marie. Il ne reste à découvert que le petit visage gros comme le poing, et les deux, penchés sur la crèche, radieux, le regardent dormir son premier sommeil. La chaleur des langes et du foin a arrêté ses pleurs et apporté le sommeil au doux Jésus.

Source

L’adoration des bergers

J’écris en présence de mon Jésus-Maître. Pour moi, tout pour moi. Revenu pour moi, depuis tant de temps, tout pour moi. Vous direz : « Mais, comment ? Cela fait presque un mois que tu reviens à entendre et à voir, et tu dis que tu l’as enfin après si longtemps ? » Je réponds encore une fois ce que, de vive voix et par écrit, j’ai dit plusieurs fois.

C’est autre chose que de voir et autre chose que d’entendre et surtout autre chose, de voir et entendre pour les autres ou de voir et entendre tout pour moi, exclusivement pour moi. Dans le premier cas je suis une spectatrice, une répétitrice de ce que je vois et entends, mais si cela me donne la joie car ce sont toujours des choses qui vous causent une grande joie, il est vrai aussi que c’est une joie qui est extérieure. Les mots disent mal ce que je ressens si bien. Mais, je ne sais mieux m’exprimer. En somme, je veux dire que ma joie ressemble à celle de quelqu’un qui lit un beau livre ou voit une belle scène. Il en est ému, la goûte, en admire l’harmonie, il pense : « Quelle belle chose ce serait d’être à la place de cette personne ! » Tandis que dans le second cas, quand l’audition et la vision est pour moi, alors « cette personne » c’est moi. Elle est pour moi la parole que j’entends, pour moi la figure que je vois.

C’est moi et Lui. Moi et Marie. Moi et Jean. Vivants, vrais, réels, tout proche. Non pas en face de moi comme si je voyais passer un film, mais à côté de mon lit, se déplaçant dans la chambre ou s’appuyant aux meubles, ou assis, ou debout comme des personnes vivantes, mes hôtes; ce qui est bien différent d’une vision pour tout le monde. En somme tout cela est « pour moi. »

Et aujourd’hui, et même hier depuis l’après-midi, Jésus est ici, avec son vêtement ordinaire de laine blanche, d’un blanc qui tire sur l’ivoire, si différent par sa pesanteur et sa teinte du vêtement éclatant qui semble d’un lin immatériel, si blanc qu’on dirait qu’il est fait de fils de lumière, qui le couvre dans le Ciel. Il est ici avec ses mains belles et longues et effilées, d’un blanc de vieil ivoire, avec son beau visage allongé et pâle où resplendissent ses yeux dominateurs et doux de saphir sombre entre les cils épais d’un châtain étincelant de blond roux. Il est ici avec ses beaux cheveux longs blonds et souples, d’un blond roux plus vif dans les parties éclairées et plus sombre dans le fond des plis. Il est ici ! Il est ici ! Il me sourit et me regarde écrire de Lui. Comme il faisait à Viareggio… et comme il ne faisait plus depuis la Semaine Sainte… me donnant toute cette désolation qui devenait fièvre et presque désespérance quand, à la douleur qui me venait d’être privée de Lui, s’ajoutait encore celle d’être privée de vivre là au moins où je l’avais vu et pouvais dire : « Là, il s’est appuyé. Là, il s’est assis. Là il s’est penché pour mettre sa main sur ma tête » et là où étaient morts les miens. Oh ! qui ne l’a pas éprouvé ne peut comprendre ! Non, il n’y a pas de raison de prétendre de jouir de toutes ces faveurs. Nous savons bien que ce sont des grâces gratuites, que nous ne méritons pas et nous ne pouvons prétendre qu’elles durent quand elles nous sont accordées. Nous le savons bien. Et plus elles nous sont données, et plus nous nous anéantissons dans l’humilité en reconnaissant notre répugnante misère en face de l’Infinie Beauté et de la Divine Richesse qui se donne à nous.

Mais que dites-vous, Père ? Un fils ne désire-t-il pas voir son père et sa mère ? Une femme voir son mari ? Et quand la mort ou une longue absence les prive de leur vue, ne trouvent-ils pas un réconfort dans le fait de vivre là où ils ont vécu ? S’ils doivent quitter ce lieu, ne souffrent-ils pas doublement, parce qu’ils ont perdu aussi le lieu où l’absent partagea leur amour ? Peut-on leur reprocher de souffrir de cette douleur ? Non. Et pour moi ? Jésus n’est-il pas mon Père et mon Époux ? Plus cher; beaucoup plus cher qu’un père ou un époux ? Et qu’il me soit tel, jugez d’après la façon dont j’ai supporté la mort de ma mère. J’ai souffert, savez-vous ? Je pleure encore car je l’aimais malgré son caractère. Mais vous avez vu comment j’ai franchi cette passe. Jésus était là. Et il m’était plus cher que maman. Dois-je Le dire. J’ai souffert, et je souffre davantage maintenant de la mort de maman qui remonte à huit mois que je n’ai souffert alors. C’est que dans ces deux derniers mois, j’étais sans Jésus pour moi et sans Marie pour moi et même maintenant, il suffit qu’ils me laissent un moment pour que je ressente plus que jamais ma désolation d’orpheline malade et je sois replongée dans l’humaine et amère douleur de ces jours inhumains.

J’écris sous les yeux de Jésus et donc je n’exagère pas et je ne déforme rien. Ce n’est pas ma manière, d’ailleurs, mais même si j’étais ainsi, il me serait impossible de rester sous ce regard. J’ai écrit ceci, en cet endroit où je n’ai pas l’habitude de le faire, car pour les visions de Marie, je ne les interromps pas par la manifestation de mon pauvre moi.

Je sais déjà que je dois continuer à manifester ses gloires. Sa Maternité, à tous les instants, n’a-t-elle pas été une couronne de gloire ? Je suis très malade et il me coûte beaucoup d’écrire. Je suis une loque. Mais quand il s’agit de la faire connaître pour qu’Elle soit davantage aimée, je ne calcule pas. Les épaules me font mal ? Le cœur cède ? Ma tête souffre ? La fièvre monte ? N’importe ! Que Marie soit connue toute beauté et tendresse, comme je la vois, par la bonté de Dieu et la sienne, et cela me suffit.

Plus tard je vois une vaste étendue de campagne. La lune est au zénith et elle cingle tranquille dans un ciel tout constellé. Les étoiles paraissent des clous de diamant enfoncés dans un immense baldaquin de velours bleu foncé. Et la lune rie au milieu avec sa figure toute blanche d’où descendent des fleuves de lumière laiteuse qui donnent une teinte blanche au paysage. Les arbres dépouillés de leur feuillage se détachent plus grands et sombres sur cette blancheur, pendant que les murets qui surgissent çà et là ressemblent à du lait caillé. Une maisonnette, dans le lointain, semble être un bloc de marbre de Carrare.

Sur ma droite, je vois une sorte de hangar qui est construit partie en maçonnerie, partie en bois. De là, sort de temps en temps un bêlement intermittent et bref. Ce doit être des brebis qui rêvent ou qui croient l’aube proche à cause du clair de lune. C’est une clarté, excessive même, tant elle est intense, et qui s’accroît comme si l’astre s’approchait de la terre ou étincelait par suite d’un mystérieux incendie.

Un berger s’avance sur le seuil. Il lève le bras à hauteur du front pour ménager ses yeux et regarde en l’air. Il semble impossible qu’on doive s’abriter de la clarté de la lune, mais elle est si vive qu’elle éblouit, en particulier celui qui sort d’un enclos, d’ordinaire ténébreux. Tout est calme, mais cette clarté est étonnante. Le berger appelle ses compagnons. Ils vont tous à la porte. Un tas d’hommes hirsutes, de tous âges. Il y a des adolescents et d’autres qui déjà blanchissent. Ils commentent le fait étrange et les plus jeunes ont peur, spécialement un garçon d’une douzaine d’années qui se met à pleurer, s’attirant les moqueries des plus vieux.

« De quoi as-tu peur, sot que tu es ? » lui dit le plus vieux. « Tu ne vois pas que l’air est tranquille ? Tu n’as jamais vu un clair de lune ? Es-tu toujours resté sous la robe de la maman comme un poussin sous la poule couveuse ? Mais, tu en verras des choses ! Une fois j’étais allé vers les monts du Liban, plus loin encore. Je montais. J’étais jeune et la marche ne me fatiguait pas. J’étais riche aussi à cette époque… Une nuit, je vis une lumière telle que je pensai qu’Élie allait revenir avec son char de feu. Le ciel était tout embrasé. Un vieux – le vieux c’était lui – me dit : « Un grand événement va bientôt se produire dans le monde. Et pour nous ce fut un événement : l’arrivée des soldats de Rome. Oh ! tu en verras si tu vis… »

Mais le pastoureau ne l’écoute plus. Il semble n’avoir plus peur. En effet, il quitte le seuil et s’esquive de derrière les épaules d’un berger musclé derrière lequel il s’était réfugié et sort dans le parc qui se trouve devant le hangar. Il regarde en l’air et marche comme un somnambule ou comme s’il était hypnotisé par quelque chose qui le captive totalement. À un moment il crie : « Oh ! » et reste comme pétrifié, les bras légèrement ouverts. Les autres se regardent, étonnés.

« Mais qu’a donc ce sot ? » dit quelqu’un.

« Demain je le ramène à sa mère. Je ne veux pas d’un fou pour garder les brebis » dit un autre.

Et le vieux qui a parlé précédemment dit alors : « Allons voir avant de juger. Appelez aussi les autres qui dorment et prenez des bâtons. Il y a peut-être une mauvaise bête ou des malandrins… »

Ils rentrent, ils appellent les autres bergers et sortent avec des torches et des matraques. Ils rejoignent l’enfant.

« Là, là » murmure-t-il en souriant. « Au-dessus de l’arbre regardez cette lumière qui arrive. On dirait qu’elle s’avance sur un rayon de lune. La voilà qui approche. Comme elle est belle ! »

« Moi, je ne vois qu’une clarté un peu vive. »

« Moi aussi. »

« Moi aussi » disent les autres.

« Non. Je vois quelque chose qui ressemble à un corps » dit un autre en qui je reconnais le berger qui a donné le lait à Marie.

« C’est un… c’est un ange ! » crie l’enfant. « Le voilà qui descend et s’approche… Par terre ! À genoux devant l’Ange de Dieu ! »

Un « oh ! » prolongé et respectueux s’élève du groupe des bergers qui tombent le visage contre terre et paraissent d’autant plus frappés par l’apparition qu’ils sont plus âgés. Les plus jeunes sont à genoux et regardent l’ange qui s’approche toujours plus, et s’arrête en l’air déployant ses grandes ailes, blancheur de perles dans la blancheur lunaire qui l’enveloppe, au-dessus du mur d’enceinte.

« Ne craignez pas, je ne vous porte pas malheur. Je vous apporte la nouvelle d’une grande joie pour le peuple d’Israël et pour tous les peuples de la terre. » La voix angélique, c’est une harpe harmonieuse qui accompagne des voix de rossignols.

« Aujourd’hui, dans la cité de David, est né le Sauveur. » À ces mots, l’ange ouvre plus grandes ses ailes et les agite comme par un tressaillement de joie et une pluie d’étincelles d’or et de pierres précieuses paraît s’en échapper. Un véritable arc-en-ciel qui dessine un arc de triomphe au-dessus du pauvre parc.

« …le Sauveur qui est le Christ. » L’ange brille d’une lumière plus éclatante. Ses deux ailes, maintenant arrêtées et tendues vers le ciel semblent deux voiles immobiles sur le saphir de la mer, deux flammes qui montent ardentes.

« …Christ, le Seigneur ! » L’ange replie ses ailes de lumière et s’en couvre comme d’un survêtement de diamant sur un habit de perles, il s’incline comme pour adorer avec les bras serrés sur le cœur et le visage qui disparaît, incliné comme il est sur la poitrine, dans l’ombre du haut des ailes repliées. On ne voit plus qu’une forme allongée et lumineuse, immobile pendant la durée d’un Gloria.

Mais voici qu’il bouge. Il rouvre les ailes et lève son visage où la lumière s’épanouit en un sourire paradisiaque et il dit : « Vous le reconnaîtrez à ces signes : dans une pauvre étable, derrière Bethléem, vous trouverez un bébé enveloppé dans des langes couché dans une mangeoire d’animaux, parce que pour le Messie, il n’y a pas eu de toit dans la cité de David. » En disant cela, l’ange devient grave, même triste.

Mais des Cieux arrive une foule – oh ! quelle foule ! – une foule d’anges qui lui ressemblent, une échelle d’anges qui descendent dans l’allégresse, éclipsent la lune par leur lumière paradisiaque. Ils se rassemblent autour de l’ange annonciateur, en agitant leurs ailes, en répandant des parfums, en une harmonie musicale où toutes les voix les plus belles de la création se retrouvent, mais portées à la perfection de leur sonorité.

Si la peinture est l’effort de la matière pour devenir lumière, ici la mélodie est l’effort de la musique pour exprimer aux hommes la beauté de Dieu, et entendre cette mélodie c’est connaître le Paradis, où tout est harmonie de l’amour qui de Dieu se donne, se répandant pour réjouir les bienheureux et retourner de ceux-ci à Dieu et Lui dire : « Nous t’aimons ! »

Le « Gloria » angélique se répand en ondes de plus en plus étendues sur la campagne tranquille, ainsi que la lumière. Les oiseaux unissent leurs chants pour saluer cette lumière précoce et les brebis leurs bêlements pour ce soleil anticipé, comme si les animaux qui saluaient leur Créateur, venu au milieu d’eux pour les aimer comme Homme et en plus comme Dieu.

Le chant décroît, et la lumière aussi pendant que les anges remontent aux Cieux… Les bergers reviennent à eux-mêmes.

« As-tu entendu ? »

« Allons-nous voir ? »

« Et les animaux ? »

« Oh ! il ne leur arrivera rien. Allons pour obéir à la parole de Dieu »

« Mais, où aller ? »

« N’a-t-il pas dit qu’il était né aujourd’hui et qu’il n’avait pas trouvé de logement à Bethléem ? » Et le berger qui a donné le lait c’est lui qui parle maintenant. « Venez, je sais. J’ai vu la femme et elle m’a fait de la peine. Je lui ai indiqué un endroit pour elle, parce que je pensais bien qu’elle ne trouverait pas de logement, et à l’homme je lui ai donné du lait pour elle. Elle est si jeune et si belle. Elle doit être bonne comme l’ange qui nous a parlé. Venez, venez. Allons prendre du lait, des fromages, des agneaux et des peaux tannées de brebis. Ils doivent être très pauvres et… qui sait quel froid pour Celui que je n’ose nommer ! Et penser que j’ai parlé à la Mère comme à une pauvre épouse ! … »

Ils vont au hangar et en sortent, peu après, portant qui des récipients de lait, qui des fromages ronds enveloppés dans des filets de sparterie, qui des paniers avec un agneau bêlant, qui des peaux de brebis apprêtées.

« Moi je porte une brebis qui a eu un agneau il y a un mois. Son lait est excellent. Il pourra leur être utile si la femme en manque. Elle me semblait une bambine, et si pâle ! … Un teint de jasmin, au clair de lune » dit le berger du lait. Et il les conduit.

Ils s’en vont, éclairés par la lune et des torches, après avoir fermé le hangar et l’enceinte. Ils vont par les sentiers champêtres, à travers des haies de ronces dépouillées par l’hiver. Ils font le tour de Bethléem et arrivent à l’étable non par le chemin qu’avait suivi Marie, mais en sens contraire. Ainsi ils ne passent pas devant les grottes mieux aménagées mais trouvent immédiatement le refuge qu’ils cherchent. Ils s’approchent.

« Entre ! »

« Moi, je n’ose pas. »

« Entre, toi. »

« Non. »

« Regarde au moins. »

« Toi, Lévi qui as vu l’ange le premier, cela veut dire que tu es plus bon que nous, regarde. » Vraiment ils l’avaient d’abord traité de fou… mais maintenant il leur est utile que le gamin ose ce qu’eux n’osent pas.

L’enfant hésite mais se décide ensuite. Il s’approche du refuge, écarte un peu le manteau… et s’arrête en extase.

« Que vois-tu ? » lui demandent-ils anxieux à voix basse.

« Je vois une femme toute jeune et belle et un homme penché sur une mangeoire et j’entends… j’entends un bébé qui pleure et la femme lui dit d’une voix… oh ! quelle voix ! »

« Que dit-elle ? »

« Elle dit : « Jésus, mon tout petit ! Jésus, amour de ta Maman ! Ne pleure pas, mon petit Enfant ! » Elle dit : « Oh ! si je pouvais te dire : ‘Prends le lait, mon tout petit ! ‘ Mais je ne l’ai pas encore !  » Elle dit : « Tu as si froid, mon amour ! Le foin te pique. Quelle douleur pour ta Maman de t’entendre pleurer ainsi ! Sans pouvoir te soulager ». Elle dit : « Dors, ma petite âme ! Mon cœur se fend de t’entendre et de voir tes larmes ». Elle l’embrasse et réchauffe ses petits pieds avec ses mains. Elle est penchée abaissant ses mains sur la mangeoire.

« Appelle ! Montre que tu es là ! »

« Moi non. Vous plutôt qui nous avez conduit et la connaissez. »

Le berger ouvre la bouche et se borne à un soupir bruyant.

Joseph se retourne et vient à la porte. « Qui êtes-vous ? »

« Des bergers. Nous vous apportons de la nourriture et de la laine. Nous venons adorer le Sauveur. »

« Entrez. »

Ils entrent dans l’étable qui s’éclaire à la lumière des torches. Les vieux poussent les jeunes devant eux.

Marie se retourne et sourit : « Venez » dit-elle. « Venez ! » et elle les invite de la main et par son sourire et elle prend le garçon qui a vu l’ange et l’attire à elle, tout près de la crèche. Et l’enfant regarde, radieux.

Les autres, invités aussi par Joseph, s’avancent avec leurs cadeaux, et avec des paroles brèves, émues, les déposent aux pieds de Marie. Ils regardent le petit Bébé qui pleure doucement et ils sourient, émus et heureux.

L’un d’eux plus hardi dit : « Prends, Mère, elle est soyeuse et propre. Je l’avais préparée pour le bambin qui va bientôt naître chez nous, mais je te la donne. Mets ton Fils dans cette laine, elle sera douce et chaude. » Et il offre une peau de brebis, une très belle peau avec une longue toison de laine toute blanche .

Marie soulève Jésus et l’en enveloppe. Elle le montre aux bergers qui, à genoux sur la litière du sol, le regardent extasiés.

Ils se font plus hardis et l’un d’eux propose : « Il faudrait Lui donner une gorgée de lait ou mieux de l’eau et du miel. Mais nous n’avons pas de miel. On en donne aux tout petits. J’ai sept enfants, je suis au courant… « 

« Voilà du lait. Prends, Femme. « 

« Mais il est froid. Il faut du chaud. Où est Élie ? C’est lui qui a la brebis. »

Élie doit être l’homme au lait, mais il n’est pas là. Il s’est arrêté dehors et regarde par une fente et il est perdu dans l’obscurité de la nuit.

« Qui vous a amenés ici ? »

« Un ange nous a dit de venir et Élie nous a conduits. Mais où est-il à présent ? »

Un bêlement de la brebis le trahit.

« Avance, on demande de toi. »

Il entre avec la brebis, intimidé d’être le plus remarqué.

« C’est toi ? » dit Joseph qui le reconnaît. Et Marie lui sourit en disant : « Tu es bon. »

Ils traient la brebis, et trempant l’extrémité d’un linge dans le lait chaud et écumeux, Marie baigne les lèvres du Petit qui suce cette douceur crémeuse. Ils sourient tous, et plus encore lorsque avec le coin de la toile encore entre les lèvres, Jésus s’endort dans la tiédeur de la laine.

« Mais vous ne pouvez rester ici. Il fait froid et humide. Et puis… avec cette odeur d’animaux ! Ça ne va pas… et ça ne va pas pour le Sauveur. »

« Je le sais » dit Marie avec un grand soupir. « Mais il n’y a pas de place pour nous à Bethléem. »

« Prends courage, ô Femme. Nous allons te chercher une maison. »

« Je vais en parler à ma patronne, dit l’homme au lait, Élie. Elle est bonne. Elle vous accueillera, dut-elle vous céder sa pièce. Dès qu’il va faire jour, je lui en parle. Elle a sa maison toute pleine, mais elle vous donnera une place. »

« Pour le Petit au moins. Moi et Joseph, n’importe si nous restons encore par terre. Mais pour le Petit… »

« Ne soupire pas, Femme, j’y pense. Je raconterai à beaucoup de gens ce qui nous a été dit. Vous ne manquerez de rien. Pour le moment, prenez ce que notre pauvreté peut vous donner. Nous sommes des bergers… »

« Nous sommes pauvres, nous aussi » dit Joseph. « Et ne pouvons vous dédommager. »

« Oh ! nous ne voulons pas ! Même si vous le pouviez nous ne le voudrions pas ! Le Seigneur nous a déjà récompensés. La paix, il l’a promise à tout le monde. Les anges disaient : « Paix aux hommes de bonne volonté ». Mais à nous, il l’a déjà donnée car l’ange a dit que cet Enfant, c’est le Sauveur, le Christ, le Seigneur. Nous sommes pauvres et ignorants, mais nous savons que les Prophètes disent que le Sauveur sera le Prince de la Paix et à nous il a dit d’aller l’adorer. Ainsi il nous a donné sa paix. Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et gloire à celui qui est son Christ ! Et toi, sois bénie, Femme qui l’a engendré ! Tu es Sainte puisque tu as mérité de le porter ! Commande-nous, comme une Reine, car nous serons contents de te servir. Que pouvons-nous faire pour toi ? »

« Aimer mon Fils, et avoir toujours dans le cœur vos pensées de maintenant. »

« Mais pour toi, tu ne désires rien ? Tu n’as pas de parents à qui faire savoir que ton Fils est né ? »

« Oui, j’en aurais. Mais ils ne sont pas près d’ici. Ils sont à Hébron… »

« J’y vais moi » dit Élie. « Qui sont-ils ? »

« Zacharie, le prêtre, et Élisabeth ma cousine. »

« Zacharie, oh ! Je le connais bien. En été je vais sur ces montagnes où il y a de riches et beaux pâturages et je suis l’ami de son berger. Quand je vais te savoir arrangée, je vais chez Zacharie. »

« Merci, Élie. »

« De rien. C’est grand honneur pour moi, pauvre berger, d’aller parler au prêtre et de lui dire : « Le Sauveur est né ». »

« Non. Tu lui diras : « Marie de Nazareth, ta cousine, a dit que Jésus est né, et de venir à Bethléem « 

« C’est ainsi que je dirai. »

« Dieu t’en récompense, je me souviendrai de toi, de vous tous… »

« Tu parleras à ton Enfant de nous ? »

« Oui. »

« Je suis Élie. »

« Moi Lévi. »

« Moi Samuel. »

« Moi Jonas. »

« Moi Isaac. »

« Moi Tobie. »

« Moi Jonathas. »

« Et moi Daniel. »

« Et Siméon, moi. »

« Et moi, mon nom est Jean. »

« Moi je m’appelle Joseph et mon frère Benjamin, nous sommes jumeaux. »

« Je me rappellerai vos noms. »

« Il nous faut partir… Mais nous reviendrons… Et nous t’en amènerons d’autres pour adorer ! … »

« Comment revenir au parc en laissant ce Petit ? »

« Gloire à Dieu qui nous l’a montré ! »

« Fais-nous baiser son habit » dit Lévi avec un sourire d’ange.

Marie lève doucement Jésus et, assise sur le foin, présente aux baisers, les pieds minuscules, enveloppés d’un linge. Ceux qui ont de la barbe se l’essuient d’abord. Tous, presque, pleurent et quand ils doivent partir, ils sortent à reculons, laissant leur cœur près de la crèche…

La vision se termine ainsi pour moi : Marie assise sur la paille avec l’Enfant sur son sein et Joseph qui accoudé au bord de la crèche, regarde et adore.

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