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Comprendre le Rosaire afin de bien le prier

Notre Dame du Rosaire

Dans sa première lettre encyclique sur le Rosaire, le Pape Léon XIII en donne la définition : «revivre en notre âme la suite des mystères de notre salut et joindre à cette méditation une couronne mystique composée de dizaines d’avés séparés par des paters.»

Le Rosaire est composé d’une âme et d’un corps, le corps ce sont les paters et les avés, l’âme c’est la méditation des mystères.

Sans la méditation le Rosaire serait comme un corps sans âme, ou encore comme une rose sans parfum.

Il est donc important de comprendre comment s’articule cette union de l’âme et du corps du Rosaire, pour faire de cette prière une rose parfumée.

Saint-Thomas d’Aquin

Saint Thomas nous explique que la prière vocale comporte trois niveaux, trois niveaux d’attention:

  1. S’attacher à bien prononcer les paroles,
  2. Pénétrer le sens et,
  3. le plus important, fixer notre attention sur Dieu.

Ce troisième niveau s’appuie sur les deux premiers, les mots et leurs sens, et s’en sert comme d’un tremplin, pour monter jusqu’à la contemplation.

Par exemple l’âme s’appuie sur la répétition des paroles « que votre volonté soit faite » pour contempler le fiat de Marie à l’Annonciation ou bien encore sa résignation par au pied de la croix.

Ainsi il n’y a pas dissociation entre la contemplation du mystère et la parole récitée.

Examinons maintenant la méthode pédagogique du Rosaire : son mode et son but.

Tout d’abord son mode.

Comment agit-il ? Comme une goutte d’eau qui creuse la pierre sur laquelle elle tombe régulièrement et inlassablement, ainsi la méditation répétée des mystères du Rosaire, fait pénétrer les enseignements qui y sont contenus de plus en plus profondément dans notre âme. Elle finit par modeler l’âme à la ressemblance des modèles contemplés que sont Jésus et Marie. Saint-François de Sales prend une comparaison toute simple pour illustrer cela. De même, dit-il, que les enfants, à force d’entendre leur mère et de bégayer avec elle, apprennent à parler leur langage, de même, en demeurant près du Sauveur, par la méditation de ses paroles de ses actions et de ses affections, nous apprenons à parler, à faire et à vouloir comme lui.

Mais quel est le but de cette méthode ?

Former facilement des Saints, rapidement, en leur appliquant la grâce de Notre Seigneur pour les faire croitre spirituellement jusqu’à l’héroïcité. Vous le savez mes frères, que l’âme de Notre Seigneur, renferme une plénitude de grâces, qui s’est épanouie et manifestée à travers tous les actes de sa vie publique.

Or que fait le Rosaire ? Il nous met en contact avec les différentes phases de la vie de Notre Seigneur.

Comment faut-il le réciter ? D’une façon lente et réfléchie, nous dit un théologien du Rosaire, pour en faciliter l’intelligence à l’esprit et le sentiment au cœur.

S’il est assez facile d’éviter, ou de corriger, ce défaut de la précipitation, par contre il est plus difficile d’éviter les distractions, personne n’y échappe car elles proviennent de la faiblesse de notre nature.

Alors pratiquement, que convient-il de faire ? D’abord ne pas se décourager : même les saints ont éprouvé de telles difficultés. Ainsi Sainte Thérèse, c’est bien connu, qui aimait tant la Sainte Vierge, gémissait de ne pas bien réciter son chapelet. J’ai beau m’efforcer de méditer les mystères, disaient-elle, je n’arrive pas bien à fixer mon esprit. Finalement elle trouva la solution : maintenant je m’en désole moins, je pense que la très Sainte Vierge étant ma mère, elle doit voir ma bonne volonté.

Voila ce qui compte mes frères, la bonne Volonté ! Ne pas avoir de distractions délibérées, mais dès que nous nous apercevons que nous sommes distraits, revenons doucement à notre sujet, sans nous lasser, autant de fois que cela sera nécessaire.

Nous sommes convaincus, me direz-vous, que le Rosaire est un moyen exceptionnel efficace et rapide pour parvenir à la sainteté. Mais il n’en reste pas moins une méthode parmi d’autres et donc reste facultatif. Eh bien détrompez-vous mes frères, le Rosaire n’est pas facultatif. La Sainte Vierge elle-même, fait cette révélation au bienheureux Alain la Roche, apôtre dominicain du Rosaire au XVe siècle.

Écoutez bien. Sache mon fils, et fais le connaitre à tous, qu’un signe probable et prochain de damnation éternelle, est d’avoir de l’aversion, de la tiédeur, et de la négligence à dire la salutation angélique.

Parole terrible, mes frères, qui ne laisse aucune place à la tiédeur ou à la routine.

Extrait de Connaitre, aimer & pratiquer le Rosaire 

Traité de l’Enfer

CHAPITRE I Du lieu de l’enfer, de son prince, de l’entrée des âmes dans ce lieu d’horreur, et des peines qui leur sont communes.

Un jour que la servante de Dieu était très souffrante, elle s’enferma dans sa cellule, pour se livrer en toute liberté à l’exercice de la contemplation, où elle trouvait sa consolation et toutes ses délices. Il était environ quatre heures après midi: elle fut aussitôt ravie en extase, et l’archange Raphaël, qu’elle ne vit pas alors, vint la prendre, et la conduisit à la vision de l’enfer. Arrivée, à la porte de ce royaume effroyable, elle lut ces paroles écrites en caractères de feu: «Ce lieu est l’enfer, où il n’y a ni repos, ni consolation, ni espérance». Cette porte étant ouverte, elle regarda et vit un abîme si profond et si épouvantable, que depuis elle n’en pouvait parler sans que son sang se glaçât d’effroi.

De cet abîme sortaient des cris affreux et des exhalaisons insupportables; alors elle fut saisie d’une horreur extrême; mais elle entendit la voix de son conducteur invisible, qui lui disait d’avoir bon courage, parce qu’il ne lui arriverait aucun mal. Un peu rassurée par cette voix amie, elle observa plus attentivement cette porte, et vit que déjà fort large à son entrée, elle allait en s’élargissant toujours davantage dans son épaisseur; mais dans cet affreux corridor régnaient des ténèbres inimaginables; cependant il se fit pour elle une lumière, et elle vit que l’enfer était composé de trois régions: l’une supérieure, l’autre inférieure, et l’autre intermédiaire. Dans la région supérieure, tout annonçait de graves tourments; dans celle du milieu, l’appareil des tortures était encore plus effrayant; mais, dans la plus basse région, la souffrance était incompréhensible.

Ces trois régions étaient séparées par de longs espaces, où les ténèbres étaient épaisses, et les instruments de tortures en nombre prodigieux et extraordinairement variés. Dans cet abîme effroyable, vivait un immense dragon qui en occupait toute la longueur: il avait sa queue dans l’enfer inférieur, son corps dans l’enfer intermédiaire et sa tête dans l’enfer supérieur. Sa gueule était béante dans l’ouverture de la porte qu’il remplissait tout entière; sa langue sortait d’une longueur démesurée; ses yeux et ses oreilles lançaient des flammes sans clarté, mais d’une chaleur insupportable; sa gorge vomissait une lave brûlante et d’une odeur empestée.

Françoise entendit dans cet abîme un bruit effroyable: c’étaient des cris, des hurlements, des blasphèmes, des lamentations déchirantes, et tout cela mêlé à une chaleur étouffante, et à une odeur insoutenable, lui faisait un tel mal, qu’elle crut que sa vie allait s’anéantir; cependant son guide invisible la rassura par ses inspirations, et lui rendit un peu de courage: elle en avait besoin pour soutenir la vision dont nous allons parler. Elle aperçut Satan sous la forme la plus terrifiante qu’il soit possible d’imaginer. Il était assis sur un siège qui ressemblait à une longue poutre, dans l’enfer du milieu, et cependant sa tête atteignait le haut de l’abîme, et ses pieds descendaient jusqu’au fond; il tenait ses jambes écartées, et ses bras étendus, mais non en forme de croix. Une de ses mains menaçait le ciel, et l’autre semblait indiquer le fond du précipice.

Deux immenses cornes de cerf couronnaient son front; elles étaient fort rameuses, et les innombrables petites cornes qui en sortaient, comme autant de rameaux, semblaient autant de cheminées par où s’échappaient des colonnes de flammes et de fumée. Son visage était d’une laideur repoussante et d’un aspect terrible. Sa bouche, comme celle du dragon, vomissait un fleuve de feu très ardent; mais sans clarté et d’une puanteur affreuse. Il portait au cou un carcan de fer rouge. Une chaîne brûlante le liait par le milieu du corps, et ses pieds et ses mains étaient également enchaînés. Les fers de ses mains étaient fortement cramponnés dans la voûte de l’abîme; ceux de ses pieds tenaient à un anneau fixé au fond du gouffre, et la chaîne qui lui liait les reins, liait aussi le dragon dont nous avons parlé. A cette vision en succéda une autre.

La servante de Dieu aperçut de tous côtes des âmes que les esprits qui les avaient tentées ramenaient dans cette affreuse demeure: elles portaient leurs péchés écrits sur leurs fronts en caractères si intelligibles, que la sainte comprenait pour quels crimes chacune d’elles était damnée. Ces lettres, du reste, n’étaient que pour elle seule; car ces âmes malheureuses ne connaissaient réciproquement leurs péchés que par la pensée. Les démons qui les conduisaient, les accablaient de plaisanteries, de reproches amers et de mauvais traitements, qu’il serait difficile de raconter, tant la rage de ces monstres était inventive. A mesure que ces âmes arrivaient à l’entrée du gouffre, les démons les renversaient et les précipitaient, la tête la première, dans la gueule toujours ouverte du dragon. Ainsi englouties, elles glissaient rapidement dans ses entrailles, et à l’ouverture inférieure, elles étaient reçues par d’autres démons qui les conduisaient aussitôt à leur prince, ce monstre enchaîné, dont nous venons de parler.

Il les jugeait sur-le-champ, et après avoir assigné le lieu qu’elles devaient occuper selon leurs crimes, il les livrait à des démons qui lui servaient de satellites pour les y conduire. La sainte remarqua que cette translation ne se faisait pas de la même manière que celle des âmes qui passent du purgatoire au paradis. Quoique la distance que ces dernières ont à parcourir soit incomparablement plus grande que celle d’un enfer à l’autre, puisqu’il leur faut traverser la terre, le ciel des astres et le cristallin, pour arriver à l’empyrée; cependant ce voyage se fait dans un clin d’œil. La marche des âmes que Françoise voyait emporter par les gardes du tyran infernal, était au contraire fort lente, tant à cause des ténèbres épaisses, qu’il leur fallait traverser avec une sorte de violence, que des tortures qu’ils leur faisaient souffrir dans les espaces intermédiaires dont nous avons parlé. Ce n’était donc qu’après un certain temps que les démons finissaient par les déposer au fond de l’abîme.

Françoise vit aussi arriver d’autres âmes moins coupables que les premières, et cependant réprouvées; elles étaient précipitées dans la gueule du dragon, présentées à Lucifer, jugées et transférées par les démons, comme les autres; mais, au lieu de descendre au fond du gouffre, elles montaient dans l’enfer supérieur, avec la même lenteur néanmoins, et en subissant des tourments proportionnés à leurs péchés. Arrivées dans leur prison, elles y trouvaient une multitude de démons en forme de serpents et de bêtes féroces, dont la vue les terrorisait. Les regards de Satan les épouvantaient encore davantage, et, sans parler de l’incendie général dans lequel elles étaient enveloppées, le feu qui sortait du prince des ténèbres leur faisait cruellement sentir son ardeur dévorante. Autour d’elles régnait une nuit éternelle; en sorte que rien ne pouvait faire diversion aux peines qu’elles enduraient. Là, comme dans les autres parties de l’enfer, chacune des âmes réprouvées était livrée à deux démons principaux, exécuteurs des arrêts de la justice divine.

La fonction du premier était de la frapper, de la déchirer et de la tourmenter sans cesse; celle du second était de se moquer de son malheur, en lui reprochant de se l’être attiré par sa faute; de lui rappeler continuellement le souvenir de ses péchés, mais de la manière la plus accablante, en lui demandant comment elle avait pu céder aux tentations, et consentir à offenser son Créateur; de lui reprocher enfin, tous les moyens qu’elle avait eus de se sauver, et toutes les occasions de faire le bien, qu’elle avait perdues par sa faute. De là des remords déchirants, qui, joints aux tourments que l’autre bourreau lui faisait éprouver, la mettaient dans un état de rage et de désespoir, qu’elle exprimait par des hurlements et des blasphèmes. La charge confiée à ces deux démons n’était pourtant pas exclusive: tous les autres avaient également droit de l’insulter et de la tourmenter, et ils ne manquaient pas d’en user.

La servante de Dieu ayant désiré savoir quelle différence il y avait entre les habitants des trois provinces de ce royaume effroyable, il lui fut dit que, dans la région inférieure, étaient placés les plus grands criminels; dans celle du milieu les criminels médiocres et dans la région supérieure les moins coupables des réprouvés. Les âmes que vous voyez dans ce lieu le plus haut, ajouta la voix qui l’instruisait, sont celles des Juifs qui, à leur opiniâtreté près, vécurent exempts de grands crimes, celles des chrétiens qui négligèrent la confession pendant la vie, et en furent privés à la mort, etc. Tout ce que la bienheureuse voyait et entendait la remplissait d’épouvante; mais son guide avait grand soin de la rassurer et de la fortifier.

CHAPITRE II Tourments particuliers exercés sur neuf sortes de coupables.
  1. Supplices de ceux qui outragèrent la nature par leurs impuretés. Françoise aperçut dans la partie la plus basse et la plus horrible de l’enfer des hommes et des femmes qui enduraient des tortures effroyables. Les démons qui leur servaient de bourreaux les faisaient asseoir sur des barres de fer rougies au feu, qui pénétraient le corps dans toute sa longueur, et sortaient par le sommet de la tête, et pendant que l’un d’entre eux retirait cette barre, et la renfonçait de nouveau, les autres, avec des tenailles ardentes, leur déchiraient les chairs depuis la tête jusqu’aux pieds. Or ces tourments étaient continuels et cela sans exclusion des peines générales je veux dire, du feu, du froid glacial, des épaisses ténèbres, des blasphèmes et des grincements de dents.
  2. Supplices des usuriers. Non loin du cachot des premiers, Françoise en vit un autre où les criminels étaient torturés d’une manière différente, et il lui fut dit que c’étaient les usuriers. Or, ces malheureux étaient couchés et cloués sur une table de feu, les bras étendus, mais non en forme de croix, et le guide de Françoise lui dit à ce sujet, que tout signe de la croix était banni de ces demeures infernales. Chacun d’eux avait un cercle de fer rouge sur la tête. Les démons prenaient dans des chaudières de l’or et de l’argent fondus qu’ils versaient dans leurs bouches; ils en faisaient couler aussi dans une ouverture qu’ils avaient pratiquée à l’endroit du cœur, en disant: souvenez-vous, âmes misérables de l’affection que vous aviez pour ces métaux pendant la vie; c’est elle qui, vous a conduites où vous êtes. Ils les plongeaient ensuite dans une cuve pleine d’or et d’argent liquéfiés; en sorte, qu’elles ne faisaient que passer d’un tourment à un autre, sans obtenir un moment de repos. Elles souffraient en outre, les peines communes à toutes les autres âmes réprouvées; ce qui les réduisait à un affreux désespoir: aussi ne cessaient-elles de blasphémer le nom sacré de celui qui exerçait sur elles ses justes vengeances.
  3. Supplices des blasphémateurs. Françoise vit, dans la même région, les profanateurs obstinés de Dieu, de la sainte Vierge et des saints. Or, ils étaient soumis à des tortures effroyables. Les démons, armés de pinces brûlantes, tiraient leurs langues, et les appliquaient sur des charbons embrasés, ou bien ils prenaient de ces charbons, et les leur mettaient dans la bouche; ensuite ils les plongeaient dans des chaudières d’huile bouillante, ou bien ils leur en faisaient avaler, en disant: «Comment osiez-vous blasphémer ce que les cieux révèrent, âmes maudites et désespérées? Non loin de ceux-ci étaient les lâches qui renoncèrent Jésus-Christ par la crainte des supplices; mais leurs tourments n’étaient pas aussi rigoureux, Dieu ayant égard à la faiblesse humaine qui les fit succomber.
  4. Supplices des traîtres. Françoise vit dans le même quartier, les tortures qu’exerçaient les démons impitoyables sur les hommes infidèles à leurs maîtres, et surtout sur les chrétiens qui ne prirent des engagements sur les fonts sacrés du baptême que pour les profaner. Ces cruels bourreaux leur arrachaient le cœur avec des tenailles ardentes, et le leur rendaient ensuite pour l’arracher de nouveau. Ils les descendaient aussi de temps en temps dans des cuves pleines de poix bouillante, et leur disaient en les y tenant submergés: «Âmes fausses et perfides, sans cœur et sans fidélité, non contents de trahir vos maîtres temporels, vous avez osé trahir votre Dieu Lui-même; car vous prîtes sur les fonts du baptême, l’engagement solennel de renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, et vous avez fait tout l’opposé. N’oubliez pas ces promesses, et recevez le châtiment que leur violation vous a mérité». A ces reproches amers succédaient les hurlements des victimes; elles blasphémaient aussi les sacrements, surtout le saint baptême et maudissaient leur divin auteur.
  5. Supplices des homicides. Un peu plus loin elle vit des hommes à figures féroces, plongés dans une immense chaudière remplie de sang en ébullition. Or, les démons venaient les prendre dans cette chaudière bouillante et les jetaient dans une autre pleine d’eau à moitié glacée; puis les retiraient de celle-ci pour les submerger dans la première. Mais ce n’était pas là leur unique tourment, d’autres démons armés de poignards enflammés leur perçaient le cœur et ne retiraient le fer de la plaie que pour l’y plonger encore. Auprès de ces hommes sanguinaires, étaient placées ces mères qui se dénaturèrent au point d’ôter la vie à leurs propres enfants, et leurs tortures étaient à peu près les mêmes.
  6. Supplices des apostats qui abandonnèrent la foi catholique non par faiblesse mais par corruption. Les démons les sciaient par le milieu du corps, avec des scies de fer rouge, trempées dans du plomb fondu. Or, la reprise des chairs s’opérait subitement après l’opération, et permettait aux bourreaux de recommencer sans cesse.
  7. Supplice des incestueux. Il y eut dans tous les temps des hommes et des femmes qui, emportés par une passion aveugle, commirent des impuretés avec des personnes qui leur étaient unies par les liens du sang ou par des liens spirituels Or, la Servante de Dieu les vit dans un cachot voisin de celui des habitants de Sodome. Or, les démons les plongeaient dans une fosse pleine de matières infectes en ébullition; puis les retirant de là, ils les coupaient par quartiers, et lorsque ces quartiers s’étaient réunis, ce qui se faisait aussitôt, ils les replongeaient dans le cloaque brûlant et fétide.
  8. Supplices des magiciens. Dans l’enfer du milieu, la bienheureuse vit ceux qui, pendant leur vie, étaient en commerce avec le démon, et ceux qui les consultaient et leur donnaient confiance. Ils étaient enveloppés dans des ténèbres effroyables, et les bourreaux les lapidaient avec des pavés de fer rougis au feu. Il y avait là un gril carré, au milieu duquel, brûlait un feu terrible. Or, de temps en temps les démons couchaient leurs victimes sur ce gril, et les y tenaient fortement enchaînés; puis ils les retiraient de là pour les lapider encore.
  9. Supplices des excommuniés. La servante de Dieu remarqua que toutes les âmes précipitées dans la gueule du démon ne sortaient pas de son corps. Ayant eu le désir de savoir quelles étaient les âmes qu’elle ne voyait pas reparaître, il lui fut dit que c’étaient les âmes de ceux qui étaient morts dans l’excommunication. Elles descendent ajouta la voix qui l’instruisait, dans la queue du dragon, qui se prolonge jusqu’au fond de l’abîme, et est un vaste foyer où brûle un feu dévorant. Elles étaient donc renfermées dans cette affreuse prison, et les démons qui rôdaient autour, leur criaient d’une voix insultante : «C’est donc vous» qui, aveuglées par vos passions et hébétées par la sensualité, avez méprisé les foudres de l’Église ? Eh bien ! bouillez maintenant dans la queue du dragon. Hélas ! hélas ! répondaient du dedans des voix plaintives, quelle infortune est la nôtre, et quels maux affreux nous endurons !»
CHAPITRE III Comment les péchés capitaux sont punis dans l’enfer inférieur.
  1. Tourments des orgueilleux. La bienheureuse aperçut une vaste prison dont les habitants étaient fort nombreux, et on lui dit que c’étaient les superbes. Cette prison était divisée en plusieurs pièces, où les victimes étaient classées selon les diverses espèces de ce péché. Les ambitieux étaient ceux que les démons paraissaient mépriser davantage. Autant ces misérables avaient été affamés des honneurs pendant leur vie, autant ils étaient rassasiés d’opprobres et de confusion. En punissant ceux-ci, ils n’oubliaient pourtant pas les autres. Chaque famille d’orgueilleux, si je puis parler ainsi, avait sa peine propre et particulière; mais il y avait un châtiment horrible qui leur était commun à tous. Au milieu de cette prison spéciale était posé un lion énorme d’airain rougi par le feu. Sa gueule était levée en l’air et largement ouverte, et ses mâchoires, en guise de dents, étaient armées d’un grand nombre de rasoirs affilés. Son ventre était un repaire de serpents et d’autres bêtes venimeuses, et l’ouverture postérieure était comme l’entrée du corps de ce monstre, garnie de lames brûlantes et horriblement acérées. Or, les démons chargés de tourmenter ces tristes victimes, les lançaient en l’air de manière à les faire retomber dans la gueule du lion. Toutes tranchées et presque divisées par les rasoirs, elles passaient par la gorge de ce monstre et tombaient dans ses larges entrailles, au milieu des reptiles qui fourmillaient dans ce lieu infect, et exerçaient sur elles leur rage infernale. Elles gravitaient ensuite vers la partie postérieure où des démons les saisissaient avec des pinces ardentes, et les tiraient violemment à eux, à travers les rasoirs dont l’ouverture était bordée, et ce jeu cruel les bourreaux le recommençaient sans cesse. Ces âmes, irritées et enragées par d’aussi horribles tourments, hurlaient d’une manière affreuse et proféraient des blasphèmes effroyables. «Hurlez, leur disaient les esprits infernaux; hurlez, superbes maudits, qui fîtes si longtemps la guerre au Créateur sur la terre. Vous avez bien raison de vous désespérer, car vos malheurs ne finiront jamais».
  2. Tourments des réprouvés qui furent sujets à la colère. Françoise remarqua qu’ils étaient punis selon leurs divers degrés de culpabilité; mais voici une peine qui leur était commune. Il y avait dans leur prison un serpent d’airain, que le feu de l’enfer maintenait continuellement embrasé. Sa poitrine était large, son cou élevé comme une colonne et sa gueule béante. Dans cette horrible gueule étaient plantés en forme de croissant de longues et fortes aiguilles, dont les pointes étaient dirigées vers la gorge de l’animal. Or, les démons, prenant ces âmes dont nous parlons les lançaient par cette ouverture dans le corps du monstre; puis ils les en retiraient avec des tenailles ardentes toutes déchirées par les pointes qu’elles rencontraient à leur sortie. Or, elles souffraient continuellement ce supplice, qui les réduisait à un affreux désespoir, et leur arrachait les plus effroyables blasphèmes.
  3. Tourments des avares. La bienheureuse vit ensuite les avares dans une fosse remplie de gros serpents qui avaient des bras. Chacun de ces hideux reptiles s’attachait à un de ces coupables, que la justice divine leur avait abandonnés. Il lui frappait la bouche de sa queue, lui déchirait le cœur avec les dents, et l’étreignait dans ses bras, de manière à l’étouffer, si cela eût été possible; mais d’autres démons venaient les arracher à leurs affreux embrassements, avec des tenailles de fer, qui les déchiraient d’une manière horrible, et allaient les plonger dans une seconde fosse remplie d’or et d’argent liquéfiés, les accablant de leurs dérisions et de leurs sarcasmes.
  4. Tourments des envieux. Chacun de ces malheureux était couvert d’un manteau de flammes, avait un ver venimeux qui lui rongeait le cœur, pénétrait dans sa poitrine, et, remontant par la gorge se présentait à la bouche, qu’il forçait à ouvrir convulsivement; mais un démon l’empêchait de sortir, en serrant avec la main le cou de la victime, ce qui lui causait d’insupportables étouffements; et tandis qu’il l’étouffait ainsi d’une main, il tenait de l’autre une épée dont il lui perçait le cœur. Un second démon venait ensuite, qui lui arrachait le cœur de la poitrine, le trempait dans des immondices, et le lui remettait, pour l’arracher de nouveau, et ainsi sans fin; et ces traitements barbares étaient accompagnés de dérisions et de reproches, qui réduisaient ces infortunés à la rage et au désespoir
  5. Tourments des paresseux. Françoise les vit assis au milieu d’un grand feu, les bras croisés, et la tête inclinée sur les genoux. Leurs sièges étaient de pierres; ces pierres étaient cannelées profondément, et leurs cavités remplies de charbons embrasés: les bancs eux-mêmes étaient tout rouges et la flamme qui sortait du brasier s’attachait à ces tristes victimes, et les couvrait comme un vêtement. Or, les démons, les prenant avec des pinces ardentes, les renversaient violemment sur ces lits affreux, et les y traînaient en les tournant et les retournant en toutes manières; c’était pour les punir d’avoir perdu le temps. A côté de chacune d’elles était un démon qui, avec un coutelas, lui fendait la poitrine, et y versait de l’huile bouillante, et cela pour les punir d’avoir trop présumé de la miséricorde de Dieu. Il mettait encore des vers dans leurs plaies, en punition des mauvaises pensées auxquelles leur oisiveté laissait le champ libre.
  6. Tourments des gourmands. Françoise pu contempler aussi les châtiments de la gourmandise. Chaque malheureux, réprouvé pour ce vice avait un démon qui le prenait par la tête et le traînait sur des charbons ardents, tandis qu’un autre démon, debout sur lui, le foulait aux pieds avec violence. Ils lui liaient ensuite les pieds et les mains, et le précipitaient dans une chaudière pleine de poix fondue; puis, le retirant de là, ils le jetaient dans une autre remplie d’une eau presque réduite en glace. Ils lui versaient aussi du vin brûlant dans la bouche, pour le punir des coupables excès qu’il en avait fait pendant la vie. Pendant ce temps-là, ses bourreaux lui disaient d’un ton ironique : «La peine des gourmands, dans cette demeure, est le superflu chaud et froid. Voici donc où vous ont conduit vos intempérances, lui disaient d’autres esprits infernaux. Désormais vous aurez pour nourriture des serpents, et du feu pour breuvage. »
  7. Tourments des luxurieux. Françoise cherchait des yeux les esclaves de cette passion honteuse; on les lui montra. Ils étaient liés à des poteaux de fer embrasé, et les bourreaux, avec leurs langues ardentes, léchaient toutes les parties de leurs corps, ce qui les faisait souffrir horriblement. D’autres démons, avec des tenailles, déchiraient leurs chairs par lambeaux, en punition de la bonne chère qu’ils faisaient dans le monde, ce qui servait à alimenter toujours davantage leur funeste passion. Sous leurs poteaux étaient des grils ardents et armés de pointes de fer, auprès desquels étaient couchés d’horribles serpents. Les démons, attirant brusquement leurs victimes, les faisaient tomber à la renverse sur ces lits affreux, et les serpents se jetant sur eux, les mordaient avec une rage inconcevable. Ce supplice était particulier aux adultères.
CHAPITRE IV Supplices particuliers à sept espèces de pécheurs.
  1. Tourments des voleurs. La servante de Dieu vit des hommes qui étaient liés avec des cordes noires, par le moyen desquelles les démons les attiraient en haut; après quoi ils les laissaient retomber dans le feu. Ensuite ils les descendaient dans un puits d’eau glacée; de là ils les faisaient passer dans un lac de plomb fondu, où ils les forçaient de boire une horrible fusion de fiel, de poix et de soufre; ils les jetaient enfin dans un repaire de bêtes féroces. Or, il fut dit à la sainte que ces tristes victimes étaient les voleurs.
  2. Tourments des enfants dénaturés. Il y eut toujours sur la terre des enfants détestables, qui, au lieu d’honorer leurs parents, n’eurent pour eux que de l’éloignement et du mépris, les rendant excessivement malheureux par leur insubordination, leur mauvais caractère et leurs violences. Or, Françoise les vit dans un immense tonneau, garni de rasoirs, et où se trouvaient des serpents féroces. Les démons roulaient cette effroyable machine, et les pauvres victimes qu’elle renfermait étaient mordues par les serpents, et déchirées par les rasoirs. On fit remarquer à la bienheureuse que ces coupables et les autres ne demeuraient pas toujours dans l’enfer qui leur était assigné. De l’enfer inférieur ils passaient quelquefois dans l’enfer supérieur ou dans l’intermédiaire, ou de ceux-ci dans le plus bas. Ayant désiré en savoir la raison, il lui fut dit que c’était pour subir le supplément de peines dû aux circonstances plus ou moins aggravantes de leurs péchés.
  3. Tourments de ceux qui furent infidèles à leur vœu de chasteté. La position de ces malheureux était effroyable. Les démons les plongeaient tantôt dans un feu ardent, où coulaient en fusion la poix et le soufre, et tantôt dans un bain d’eau glacée; d’autres fois ils les serraient entre deux planches de fer, armées de clous aigus, et leur perçaient les flancs avec des fourches. Enfin, pour ajouter l’insulte à leurs supplices, ils ne cessaient de leur reprocher les crimes qu’ils avaient commis. «Souvenez-vous, leur disaient-ils, de vos impuretés sacrilèges : ces plaisirs, sitôt passés, vous coûtent cher maintenant. Souvenez-vous de tant de sacrements que vous avez profanés, et qui n’ont servi qu’à rendre votre condamnation plus terrible».
  4. Tourments des parjures. Ils avaient des bonnets de feu sur la tête; leurs langues étaient arrachées, et leurs mains coupées.
  5. Tourments des détracteurs. Chacun d’eux était livré à une vipère à sept tètes. Je parle de la forme qu’avait prise le démon spécialement chargé de le tourmenter. Or, voici à quoi lui servaient ses sept gueules. Avec la première il arrachait la langue du patient; avec la seconde il la mangeait; avec la troisième il la crachait dans le feu; avec la quatrième il la reprenait et la rendait au coupable; avec la cinquième il lui crevait les yeux; avec la sixième il lui arrachait la cervelle par une oreille, et avec la septième enfin, il dévorait ses narines. En outre, avec les ongles de ses mains il lui déchirait le corps.
  6. Tourments des vierges folles. Françoise vit ces âmes qui, fort jalouses de conserver leur virginité corporelle, prenaient peu de soin de la pureté de leur cœur. Les démons les flagellaient cruellement avec des chaînes de fer rouge.
  7. Tourments des veuves vicieuses. Elles étaient liées aux branches d’un énorme pommier, la tête renversée en arrière, et les démons leur faisaient manger des pommes pleines de vers. En outre, des dragons terribles, s’enlaçant à elles, leur déchiraient le cœur et les entrailles, tandis que la foule des démons ne cessait de leur reprocher leur mauvaise vie.
  8. Tourments des femmes idolâtres de leur beauté. Elles avaient pour chevelure des serpents qui leur mordaient cruellement le visage, tandis que d’autres démons enfonçaient des épingles rougies au feu dans toutes les parties de leur corps; et, pour aiguiser les remords de la conscience, ils ne cessaient de leur dire: Vous fîtes notre métier sur la terre, il est juste que vous nous soyez associées pendant l’éternité. Faites maintenant votre toilette dans ces flammes. Ces âmes répondaient par des blasphèmes horribles à ces insultes de leurs ennemis.
CHAPITRE V Blasphèmes des réprouvés

Tout cet affreux séjour retentissait d’horribles blasphèmes. Ses infortunes habitants maudissaient Dieu, comme s’il ne leur eût fait que du mal, et jamais aucun bien; ils maudissaient l’humanité sacrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ; ils maudissaient tous ses mystères, dont le souvenir ne leur rappelait que de criminelles ingratitudes; ils maudissaient toutes les grâces qu’ils avaient obtenues par Ses mérites, et dont l’abus leur avait attiré de si horribles châtiments. Toute la sainte vie de ce Dieu sauveur provoquait leurs blasphèmes; mais chacun s’attachait à profaner d’une manière spéciale la circonstance qui lui déplaisait le plus.

Celui-ci maudissait Son Incarnation, celui-là Sa Naissance; celui-ci Sa Circoncision et celui-là Son Baptême; celui-ci Sa Pénitence, celui-là Sa Passion; un autre Sa Résurrection, un autre Son Ascension glorieuse. Rien de ce qu’a fait notre aimable Sauveur, pour le salut de nos âmes, n’était respecté, parce que tous ces bienfaits ne furent pour eux que des objets d’ingratitude. Ils maudissaient et blasphémaient le doux nom de Marie, ses prérogatives, ses vertus, mais surtout sa maternité divine; parce que si elle n’eût pas mis le fils de Dieu au monde, ils eussent été moins coupables, et n’auraient pas à supporter d’aussi horribles tourments.

Ainsi donc leur éternité est tout employée à blasphémer et à maudire, mais avec une telle rage et un si profond désespoir, que, n’eussent-ils point d’autres supplices, cela suffirait pour les rendre infiniment malheureux. Cependant ils souffrent les autres peines communes à tous les réprouvés, et en outre, les peines qui leur sont particulières, ainsi que je viens de le dire.

CHAPITRE VI Nombre des démons, leurs noms et leurs emplois

Dans la vision XVII, où la création des anges et leur classification furent manifestées à la servante de Dieu, Dieu lui fit discerner ceux qui devaient pécher de ceux qui demeureraient fidèles. Elle fut ensuite témoin de leur révolte et de la chute horrible qu’elle leur mérita. Or, elle ne fut pourtant pas aussi profonde pour les uns que pour les autres: un tiers de ces infortunés demeura dans les airs, un autre tiers s’arrêta sur la terre et le dernier tiers tomba jusque dans l’enfer. Cette différence dans les châtiments correspondit à celles que Dieu remarqua dans les circonstances de leur faute commune. Parmi ces esprits rebelles, il y en eut qui embrassèrent de gaieté de cœur, si je puis parler de la sorte, la cause de Lucifer; et d’autres qui virent avec indifférence ce soulèvement contre le Créateur, et demeurèrent neutres. Les premiers furent précipités sur le champ dans l’enfer, d’où ils ne sortent jamais, à moins que Dieu ne les déchaîne quand Il veut frapper la terre de quelque grande calamité, pour punir les péchés des hommes. Les seconds furent jetés partie dans les airs, et partie sur la terre; et ce sont ces derniers qui nous tentent, comme je le dirai plus tard.

Lucifer, qui voulut être l’égal de Dieu dans le ciel, est le monarque des enfers, mais monarque enchaîné et plus malheureux que tous les autres. Il a sous lui trois princes auxquels tous les démons, divisés en trois corps, sont assujettis par la volonté de Dieu ; de même que dans le ciel, les bons anges sont divisés en trois hiérarchies présidées par trois esprits d’une gloire supérieure. Ces trois princes de la milice céleste furent pris dans les trois premiers chœurs, où ils étaient les plus nobles et les plus excellents ; ainsi, les trois princes de la milice infernale furent choisis comme les plus méchants des esprits des mêmes chœurs, qui arborèrent l’étendard de la révolte.

Lucifer était dans le ciel le plus noble des anges qui se révoltèrent, et son orgueil en fit le plus méchant de tous les démons. C’est pour cela que la justice de Dieu l’a donné pour roi à tous ses compagnons et aux réprouvés, avec puissance de les gouverner et de les punir, selon ses caprices; ce qui fait qu’on l’appelle le tyran des enfers. Outre cette présidence générale, il est encore établi sur le vice de l’orgueil. Le premier des trois princes qui commandent sous ses ordres, se nomme Asmodée: c’était dans le ciel un chérubin, et il est aujourd’hui l’esprit impur qui préside à tous les péchés déshonnêtes. Le deuxième prince s’appelle Mammon: c’était autrefois un trône, et maintenant il préside aux divers péchés que fait commettre l’amour de l’argent. Le troisième prince porte le nom de Belzébuth; il appartenait à l’origine au chœur des dominations, et maintenant il est établi sur tous les crimes qu’enfante l’idolâtrie, et préside aux ténèbres infernales. C’est aussi de lui que viennent celles qui aveuglent les esprits des humains. Ces trois chefs ainsi que leur monarque, ne sortent jamais de leurs prisons infernales; lorsque la justice de Dieu veut exercer sur la terre quelque vengeance éclatante, ces princes maudits députent à cet effet un nombre suffisant de leurs démons subordonnés; car il arrive quelquefois que les fléaux dont Dieu veut frapper les peuples, demandent plus de forces ou plus de malices que n’en ont les mauvais esprits répandus sur la terre et dans l’air. Alors les infernaux plus méchants et plus enragés, deviennent des auxiliaires indispensables. Mais hors de ces cas rares, ces grands coupables ne peuvent sortir des prisons où ils sont renfermés.

Tous ces esprits infortunés sont classés dans l’abîme selon leur ordre hiérarchique. La première hiérarchie, composée de séraphins, de chérubins et de trônes, habite l’enfer le plus bas ; ils endurent des tourments plus cruels que les autres, et exercent les vengeances célestes sur les plus grands pécheurs. Lucifer qui fut un séraphin, exerce sur eux une spéciale autorité, en vertu de l’orgueil dont il a la haute présidence. Les démons de cette hiérarchie ne sont envoyés sur terre, que, lorsque la colère de Dieu permet que l’orgueil prévale pour punir les nations.

La deuxième hiérarchie formée de dominations, de principautés et de puissances, demeure dans l’enfer du milieu. Elle a pour prince Asmodée qui, comme je l’ai déjà dit, préside aux péchés de la luxure. On peut deviner que, les démons de cette hiérarchie sont sur terre, lorsque les peuples s’abandonnent au vice infâme de l’impureté.

La troisième hiérarchie qui se compose de vertus, d’archanges et d’anges, a pour chef Mammon, et habite l’enfer supérieur. Lorsque ces démons sont lâchés sur la terre, la soif des richesses y prévaut de toutes parts, et il n’est plus question que d’or ou d’argent. Quant à Belzébuth, il est le prince des ténèbres, et les répand, quand Dieu le permet, dans les intelligences, pour étouffer la lumière de la conscience et celle de la véritable foi. Tel est l’ordre qui règne parmi les démons dans les enfers ; quant à leur nombre, il est innombrable. On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui demeurent dans l’air et sur la terre, mais ils n’ont point de chefs, et par conséquent vivent dans l’indépendance et une sorte d’égalité. Ce sont les démons aériens qui, la plupart du temps, déchaînent les vents, excitent les tempêtes, produisent les orages, les grêles et les inondations. Leur intention en cela est de faire du mal aux hommes, surtout en diminuant leur confiance en la divine Providence, et les faisant murmurer contre la volonté de Dieu.

Les démons de la première hiérarchie, qui vivent sur la terre, ne manquent pas de profiter aussi de ces occasions favorables à leur malice; trouvant les hommes irrités par ces calamités et fort affaiblis dans leur soumission et leur confiance, ils les font tomber beaucoup plus facilement dans le vice de l’orgueil. Ceux de la deuxième hiérarchie ne manquent pas à leur tour de les précipiter de leur hauteur superbe dans le cloaque impur, ce qui donne ensuite toute facilité aux démons de la troisième hiérarchie, de les faire tomber dans les péchés qu’enfante l’amour de l’argent.

Alors les anges qui président aux ténèbres les aveuglent, leur font quitter la voie de la vérité, et rendent leur retour extrêmement difficile. C’est ainsi que tous les démons, malgré la différence de leurs emplois, se concertent et s’aident mutuellement à perdre les âmes. Les uns affaiblissent leur foi, les autres les poussent à l’orgueil, ceux-ci à l’impureté, ceux-là à l’amour des richesses, d’autres enfin leur jettent un voile sur les yeux et les écartent si fort de la voie du salut, que la plupart ne la retrouvent plus. Le seul moyen d’échapper à ce complot infernal, serait de se relever promptement de la première chute, et c’est précisément ce que ces pauvres âmes ne font pas. De là, cette chaîne de tentations, qui de chute en chute les conduit au fond du précipice.

Lorsque j’ai dit que les démons qui sont dans l’air et sur la terre n’ont pas de chefs, j’ai voulu dire seulement qu’ils n’ont pas d’officiers subalternes ; car tous sont soumis à Lucifer, et obéissent à ses commandements, parce que telle est la volonté de la justice divine. Malgré la haine qu’ils portent aux hommes, aucun d’eux n’oserait les tenter sans l’ordre de Lucifer, et Lucifer lui-même ne peut prescrire, en ce genre que ce que lui permet le Seigneur plein de bonté et de compassion pour nous.

Lucifer voit tous ses démons, non seulement ceux qui sont autour de lui dans l’enfer, mais encore ceux qui sont dans l’air et sur la terre. Tous aussi le voient sans aucun obstacle, et comprennent parfaitement toutes ses volontés. Ils se voient également et se comprennent fort bien les uns les autres.

Les malins esprits, répandus dans l’air et sur la terre, ne ressentent pas les atteintes du feu de l’enfer ; ils n’en sont pas moins excessivement malheureux, tant parce qu’ils se maltraitent et se frappent sans cesse les uns les autres, que parce que les opérations des bons anges dans ce monde leur causent un dépit qui les tourmente cruellement. Les peines de ceux qui appartiennent à la première hiérarchie sont plus acerbes que celles des esprits de la seconde, et ceux-ci sont plus malheureux que les esprits de la troisième. La même justice distributive préside aux tourments des esprits infernaux; mais ceux-ci sont tous en proie à l’ardeur des flammes infernales.

Les démons qui demeurent au milieu de nous, et ont reçu le pouvoir de nous tenter, sont tous des esprits tombés du dernier chœur. Les anges commis à notre garde sont aussi de simples anges. Ces esprits tentateurs sont sans cesse occupés à préparer notre perte. Les moyens qu’ils emploient pour cela sont si subtils et si variés, qu’une âme qui leur échappe est fort heureuse, et ne saurait trop témoigner sa reconnaissance au Seigneur. Il n’est pas un instant du jour et de la nuit, où ces cruels ennemis n’essayent d’une tentation ou d’une autre, afin de lasser ceux qu’ils ne peuvent vaincre par la ruse ou la violence. La patience est donc l’arme défensive par excellence. Malheur à qui la laisse tomber de ses mains ! Lorsque ces tentateurs ordinaires rencontrent des âmes fortes et patientes, qu’ils ne peuvent entamer, ils appellent à leur secours des compagnons plus astucieux et plus malins, non pour combattre avec eux ou à leur place, car Dieu ne le permet pas ; mais pour leur suggérer des stratagèmes plus efficaces. Françoise savait tout cela par expérience : il était rare qu’elle fût tentée par son démon seul. D’ordinaire il s’en associait d’autres ; et trop faibles encore, ils recouraient à la malice des esprits supérieurs qui demeuraient dans l’air. Elle était devenue si habile dans cette guerre, qu’en soutenant une attaque, elle savait à quel chœur avait appartenu celui dont le conseil la dirigeait, et qui il était.

Lorsque les démons veulent livrer un assaut à une âme habile et forte, les uns l’attaquent de front, et les autres se placent derrière elle. C’est de cette sorte qu’ils combattaient ordinairement contre notre bienheureuse, et elle les voyait se faire des signes pour concerter leurs moyens.

Lorsqu’une âme, vaincue par les tentations, meurt dans son péché, son tentateur habituel l’emporte avec promptitude, suivi de beaucoup d’autres qui lui prodiguent des outrages, et ne cessent de la tourmenter jusqu’à ce qu’elle soit précipitée dans l’enfer. Ces détestables esprits se livrent ensuite à une joie féroce. Son ange gardien, après l’avoir suivie jusqu’à l’entrée de l’abîme, se retire aussitôt qu’elle a disparu, et remonte au ciel.

Lorsqu’une âme, au contraire, est condamnée au purgatoire, son tentateur est cruellement battu par l’ordre de Lucifer pour avoir laissé échapper sa proie. Il reste pourtant là, en dehors du purgatoire, mais assez près pour que l’âme le voie et entende, les reproches qu’il lui fait sur les causes de ses tourments. Lorsqu’elle quitte le purgatoire pour monter au ciel, ce démon revient sur la terre se mêler à ceux qui nous tentent ; mais il est pour eux un objet de moqueries, pour avoir mal rempli la mission dont il était chargé.

Tous ceux qui laissent ainsi échapper les âmes ne peuvent plus remplir l’office de tentateurs. Ils vont, errant çà et là, réduits à rendre aux hommes d’autres mauvais offices, quand ils peuvent. Quelquefois Lucifer, pour les punir, les loge honteusement dans des corps d’animaux, ou bien il s’en sert, avec la permission de Dieu, pour exercer des possessions qui leur attirent souvent de nouveaux châtiments et de nouvelles hontes. Les démons, au contraire, qui ont réussi à perdre les âmes auxquelles Lucifer les avait attachés, après les avoir portées dans les enfers, reparaissent sur la terre, couverts de gloire parmi leurs semblables, et jouent un plus grand rôle que jamais dans la guerre qu’ils font aux enfants de Dieu. Ce sont eux que les autres appellent à leur secours, comme plus expérimentés et plus habiles, quand ils ont affaire à des âmes fortes et généreuses qui se rient de leurs vains efforts.

Tout démon chargé de la mission de perdre une âme ne s’occupe point des autres ; il n’en veut qu’à celle-là, et emploie tous ses soins à la faire pécher ou à troubler sa paix. Cependant, quand il l’a vaincue, il la pousse, autant qu’il peut, à tenter, à molester ou à scandaliser d’autres âmes.

Il y a d’autres démons du même chœur que ceux qui nous tentent, qui vivent au milieu de nous sans nous attaquer. Leur mission est de surveiller ceux qui nous tentent, et de les châtier chaque fois qu’ils ne réussissent pas à nous faire pécher.

Chaque fois qu’ils entendent prononcer dévotement le saint Nom de Jésus, ils se prosternent spirituellement, non de bon cœur, mais par force. Françoise en vit une fois plusieurs en forme humaine, qui à ce Nom sacré qu’elle prononçait en conversant avec son confesseur, inclinèrent leur front avec un profond respect, jusque dans la poussière. Ce Nom sacré est pour eux un nouveau supplice, qui les fait souffrir d’autant plus cruellement, que la personne qui le prononce est plus avancée dans l’amour, et plus parfaite. Lorsque les impies profanent ce nom adorable, ces esprits réprouvés ne s’en attristent pas ; mais ils sont forcés de s’incliner, comme pour réparer l’injure qui Lui est faite. Ils en agissent de même lorsqu’on le prend en vain. Sans cette adoration forcée, ils seraient bien contents d’entendre blasphémer ce saint Nom. Les bons anges, au contraire, en pareilles occasions, l’adorent profondément, le louent et le bénissent avec un amour incomparable. Lorsqu’il est prononcé avec un vrai sentiment de dévotion, ils lui rendent les mêmes hommages, mais avec un vif sentiment de joie. Chaque fois que notre bienheureuse proférait ce très saint Nom, elle voyait son archange prendre un air extraordinairement joyeux, et s’incliner d’une manière si gracieuse, qu’elle en était tout embrasée d’amour.

Lorsque les âmes vivent dans l’habitude du péché mortel, les démons entrent en elles, et les dominent en plusieurs façons, qui varient selon la qualité et la quantité de leurs crimes ; mais quand elles reçoivent l’absolution avec un cœur contrit, ils perdent leur domination, délogent au plus vite, et se remettent auprès d’elles pour les tenter de nouveau ; mais leurs attaques sont moins vives, parce que la confession a diminué leurs forces.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XIV

Comme le Très-Haut manifesta aux saints anges le temps déterminé et convenable de la conception de la très-sainte Vierge, et de ceux qu’il destina pour sa garde.

189. Toutes les choses qui doivent être sont décrétées et déterminées avec leurs propriétés et leurs circonstances du tribunal de la volonté divine, comme dans un principe inévitable et dans la cause universelle de tout ce qui est créé, sans qu’aucune y soit oubliée, ni qu’après avoir été déterminée, elle puisse être empêchée par aucune puissance créée. Tout l’univers et tout ce qu’il contient dépend de ce gouvernement ineffable, qui survient et qui concourt à tout avec les causes naturelles, sans avoir jamais manqué ni même pouvoir manquer d’un seul point au nécessaire. Dieu a fait tout ce qui est créé, et il le soutient par sa seule volonté; il dépend de lui de conserver l’être qu’il a donné à toutes choses, ou de le leur ôter, les réduisant au néant, d’où il les a tirées. Mais comme il les créa toutes pour sa gloire et pour celle du Verbe incarné, il s’est employé dès le commencement de la création à ouvrir et à disposer les voies par où le même Verbe devait descendre pour prendre chair humaine et pour converser avec les hommes, afin de les conduire à Dieu et de leur apprendre à le chercher, à le connaître, à le craindre et à le servir, à l’aimer, à mériter d’en jouir et de le louer éternellement.

190. Son saint nom a été admirable par toute la terre , et glorifié en la plénitude et en la société des saints, qu’il avait choisis pour en faire un peuple su Verbe incarné, qui en devait être le chef . Lorsque tout était en la dernière et convenable disposition en laquelle sa divine providence l’avait voulu mettre, et que le temps qu’elle avait déterminé pour créer cette merveilleuse femme, qui apparut su ciel revêtue du soleil , s’approchait; voulant réjouir et enrichir la terre par sa venue, la très-sainte Trinité pour exécuter son dessein décréta ce que je déclarerai par mes faibles expressions et par mes simples conceptions touchant ce que j’en ai découvert.

191. Nous avons déjà dit comment, à l’égard de Dieu, rien n’est ni passé ni futur, parce que tout est présent à son entendement divin et infini, connaissant toutes choses par un acte très-simple. Mais les réduisant à nos manières d’exprimer et à notre faible façon de concevoir, nous considérons que sa Majesté divine regarda les décrets quelle avait faits de créer une digne et proportionnée Mère dont le Verbe dût prendre chair humaine, car l’accomplissement de ses décrets est infaillible. Le temps convenable et déterminé étant donc déjà arrivé, les trois divines personnes dirent en elles-mêmes: «Il est temps que nous commencions l’ouvrage de notre bon plaisir, et que nous créions cette pure créature et cette âme a bienheureuse qui nous doit être chère sur toutes les autres. Ornons-la de riches dons, et déposons en elle seule les plus grands trésors de notre grâce. Puisque toutes les autres à qui nous avons donné l’être ont été ingrates et rebelles à notre volonté, s’opposant à l’intention que nous avions, qu’elles se conservassent dans le premier et heureux état auquel nous créâmes les premiers hommes, qu’ils s’y sont opposés par leur péché, et puisqu’il n’est pas convenable que notre volonté soit entièrement frustrée, créons en toute sainteté et perfection cette créature, en laquelle le désordre du premier péché n’ait aucune part. Créons une âme selon nos désirs, un fruit de nos attributs, a nu prodige de notre pouvoir infini, sans que la tache du péché d’Adam la souille ni l’approche Faisons un ouvrage qui soit l’objet de notre toute-puissance et un modèle de perfection que nous présenterons à nos enfants comme la fin du projet que nous eûmes en la création. Et puisqu’ils ont tous prévariqué en la volonté libre du premier homme et par le péché qu’il a commis , que cette seule créature soit le dépôt par lequel ceux qu’il a perdus par sa désobéissance soient restaurés; qu’elle soit l’unique image et ressemblance de notre divinité, et qu’elle soit pendant toutes les éternités le chef-d’œuvre de nos complaisances et de nos délices. Nous déposerons en elle toutes les prérogatives et toutes les grâces que nous destinions en notre première et conditionnelle volonté pour les anges et pour les hommes s’ils se fussent maintenus dans leur premier état. Mais puisqu’ils les ont perdues, renouvelons-les en cette créature, et nous ajouterons à ces dons plusieurs autres. Ainsi le décret que nous fîmes ne sera pas entièrement frustré de ses fins, mais il sera plutôt accompli dans toute sa perfection en la personne de notre élue et unique . Car ayant déterminé pour les créatures ce qui était le plus saint, et ayant prévenu ce qui leur était le plus avantageux, le plus parfait et le plus louable, faveurs dont elles se sont rendues indignes, il faut tourner le torrent de notre bonté vers notre bien-aimée, et l’exempter de la loi ordinaire de la génération de tous les mortels, afin que la semence venimeuse du serpent n’ait aucune part en elle. Je veux descendre du ciel dans son sein, et me revêtir de la nature humaine, que je prendrai de sa propre substance.

192. Il est juste que la Divinité, qui est inépuisable en bonté, choisisse une matière très-pure et très-nette pour se renfermer et pour se couvrir, et qui n’ait jamais été souillée par le péché. Notre équité et notre providence demandent ce qui est le plus décent, le plus parfait et le plus saint, et cela s’exécutera, puisqu’il n’est aucune chose qui puisse résister à notre volonté . Le Verbe qui se doit faire homme, étant le rédempteur et le maître des hommes, doit fonder et établir la très-parfaite loi de grâce, et y enseigner à obéir et à honorer le père et la mère , comme des causes secondes de l’être naturel. Et le Verbe divin doit être le premier à l’exécuter, honorant celle qu’il a choisie pour sa Mère par la protection de son bras tout-puissant, qui l’anoblira et l’honorera, en la prévenant par ce qu’il y a de plus admirable, de plus saint et de plus excellent dans toutes les grâces et dans tous les a trésors de ses dons, entre lesquels le plus singulier sera l’honneur et la grâce de ne la pas assujettir à nos ennemis ni à leur malice: ainsi elle doit être exempte de la mort du péché.»

193. «Le Verbe aura enterre une Mère sans père, comme il a su ciel un Père sans mère. Et afin qu’il a y ait sine due correspondance et une juste proportion et convenance en appelant Dieu Père, et cette femme Mère, nous voulons que toute l’égalité et correspondance possible s’observe entre Dieu et la créature, afin qu’en aucun temps le dragon infernal ne puisse se glorifier d’avoir été supérieur à la femme à qui Dieu a obéi comme à sa véritable Mère. Cette dignité d’être délivrée du péché est due et proportionnée à celle qui doit être Mère du Verbe, et lui sera d’un plus grand ornement et d’un plus grand profit, car c’est un plus grand bien d’être sainte que d’en être seulement Mère; ainsi toute la sainteté et toute la perfection doivent accompagner la dignité de Mère de Dieu. Et la chair humaine dont il se doit revêtir doit être éloignée et séparée du péché; et devant en elle racheter les pécheurs, il ne doit pas racheter sa propre chair, comme il rachètera les autres, puisque étant unie à la Divinité, elle doit être rédemptrice; et pour ce sujet nous la préservons par avance, puisque nous avons déjà prévu et accepté a en cette même chair et en cette nature les mérites infinis du Verbe; et nous voulons que pendant a toute l’éternité le Verbe incarné soit glorifié en son tabernacle et en la glorieuse habitation de l’humanité qu’il en a reçue.»

194. «Elle sera fille du premier homme, mais quant à la grâce singulière, elle sera libre et exempte de son péché; et quant à la nature, elle sera très-parfaite et formée par une providence spéciale. Mais parce que le Verbe incarné doit être le maître qui enseignera l’humilité et la sainteté, et qui ne les établira que par les travaux et les peines qu’il doit souffrir, pour confondre la vanité et les apparences trompeuses des mortels, faisant a élection de cet apanage comme d’un trésor que nous estimons le plus; nous voulons aussi que celle qui doit être sa Mère en ait sa bonne part, qu’elle soit unique et singulière en la patience, admirable dans a les souffrances, et qu’elle nous offre avec son Fils unique un sacrifice de douleur, qui sera agréablement reçu de notre volonté et d’une plus grande a gloire pour elle.»

195. Ce fut le décret que les trois personnes divines manifestèrent aux anges bienheureux, qui exaltèrent et adorèrent leurs très-hauts et impénétrables jugements. Et comme la Divinité est un miroir volontaire qui manifeste dans la même vision de gloire, quand il lui plait, de nouveaux mystères aux bienheureux, elle leur fit cette nouvelle démonstration de sa grandeur, pour leur découvrir l’ordre admirable et l’accord merveilleux de ses œuvres. Et tout ceci suivit ce que nous avons dit aux chapitres précédents, sur ce que Dieu fit en la création des anges, quand il leur proposa qu’ils devaient honorer et reconnaître le Verbe incarné et sa très-sainte Mère pour leurs supérieurs. Car le temps qu’il avait destiné pour la conception de cette grande Reine étant arrivé, il n’était pas convenable que le Seigneur, qui dispose toutes choses avec poids et mesure , le célât. Il ne m’est pas possible de ne pas ternir et de ne pas obscurcir par des termes humains et des expressions si bornées, la connaissance que le Très-Haut m’a donnée de mystères si profonds et si relevés; mais je ne laisserai pas de dire, autant que ma faiblesse me le permettra, ce que je pourrai touchant les grands secrets que le Seigneur découvrait aux anges dans cette occasion.

196. «Le temps est déjà arrivé, ajouta sa Majesté divine, auquel notre providence avait déterminé de donner le jour à notre plus agréable et chère créature, la restauratrice du premier péché du genre humain, celle qui doit écraser la tête du dragon , celle que cette mystérieuse femme représenta, et qui apparut en notre présence comme un très-grand signe , et celle qui donnera la chair humaine au Verbe éternel. Cette heure si fortunée pour les mortels s’est approchée, en laquelle nous leur devons distribuer les trésors de notre divinité, et par ce moyen leur ouvrir les portes du ciel. Que la rigueur de notre justice s’arrête dans les châtiments qu’elle a exercés jusqu’à présent sur les a hommes, et que l’attribut de notre miséricorde se fasse connaître, en enrichissant les créatures par les richesses de la grâce et de la gloire éternelle que le Verbe incarné leur méritera.»

197. «Que le genre humain reçoive un réparateur, un maître, un médiateur, un frère et un ami, qu’il soit la vie des morts, le salut des infirmes, la consolation des affligés, le soulagement, le repos et le compagnon des persécutés. Que les prophéties de nos serviteurs et les promesses que nous leur avons faites de leur envoyer un Sauveur pour les racheter, s’accomplissent. Et afin que le tout s’exécute selon notre bon plaisir, et pour commencer l’ouvrage de ce mystère caché dès le commencement du monde, faisons élection, pour former notre bien-aimée Marie, du sein d’Anne, notre humble servante, afin qu’elle y soit conçue, et que sa très-heureuse âme y soit créée. Et quoique sa génération et sa formation doivent être selon l’ordre commun de la naturelle propagation, ce sera néanmoins par un ordre différent de grâce, selon la disposition de notre immense pouvoir.»

198. «Vous savez déjà comme l’ancien serpent, depuis le signe qu’il vit de cette merveilleuse femme, rôde autour de toutes pour les dévorer; que depuis la première que nous créâmes, il poursuit par ses tromperies et par ses embûches celles qu’il connaît être les plus parfaites en leur vie et en leurs œuvres, dans l’espérance qu’il a de rencontrer entre toutes celle dont on le menaça qu’elle a le foulerait aux pieds et lui écraserait la tète. Il a n’est pas douteux que quand il reconnaîtra, par e les grandes diligences qu’il y apportera, la sainteté u singulière de cette très-pure et très-innocente créature, tous les soins et tous les efforts qu’il emploiera pour la persécuter ne soient aussi grands que l’estime qui il en concevra. L’orgueil pourtant de ce dragon sera bien plus grand que sa force ; ainsi il est de notre volonté que vous veilliez sur notre sainte cité, et protégiez d’une manière toute particulière ce tabernacle du Verbe incarné, pour la garder, la secourir et la défendre contre nos ennemis, et pour l’éclairer, la fortifier et la consoler avec un soin et un respect digne de son mérite, pendant qu’elle sera parmi les mortels.»

199. Tous les anges bienheureux se montrèrent avec une profonde humilité, et comme prosternés devant le trône de la très-sainte Trinité, soumis à cette proposition que le Très-Haut leur fit, et tout prêts à exécuter son divin commandement. Chacun d’eux désirait avec une sainte émulation d’être envoyé, et s’offrait à un si heureux emploi: faisant tous su Très-Haut des hymnes et des cantiques nouveaux de louanges, de ce que l’heure arrivait en laquelle ils voyaient l’accomplissement d’une chose qu’ils avaient demandée avec tant d’ardeur durant plusieurs siècles. Je connus dans cette occasion que, depuis cette grande bataille que saint Michel eut su ciel avec le dragon et ses alliés, qui furent ensuite précipités dans les ténèbres éternelles , les légions de saint Michel restant victorieuses et confirmées en grâce et en gloire, ces esprits bienheureux commencèrent alors à demander l’exécution des mystères de l’incarnation du Verbe, qui leur furent révélés, et persévérèrent à réitérer leurs demandes jusqu’à ce que Dieu leur manifestât l’heure de l’accomplissement de leurs désirs.

200. Les esprits célestes reçurent par cette nouvelle révélation une nouvelle joie et une gloire accidentelle, et dirent au Seigneur: «Très-Haut et incompréhensible Seigneur de toutes choses, vous êtes digne de tout honneur, de toute louange et d’une gloire éternelle, et nous sommes créés pour exécuter votre divine volonté. Employez-nous, Seigneur tout-puissant, à tout ce qui regardera vos merveilleux ouvrages et vos grands mystères, afin qu’en tous et en tout votre très-juste bon plaisir s’accomplisse.» Dans ces affections et dans ces souhaits, les princes célestes ne se croyaient pas dignes de cet honneur, et ils auraient souhaité, s’il eût été possible, d’être plus purs et plus parfaits, pour être plus dignes de garder et de servir cette Reine admirable.

201. Le Très-Haut détermina et assigna ceux qui devaient s’occuper à un ministère si relevé; et il fit choix de cent dans chaque chœur, pour faire le nombre de neuf cents, outre lesquels il en destina douze pour servir leur Reine en forme corporelle et visible avec plus d’assiduité, et leur imprima des signes on des devises de la rédemption: ce sont les douze dont il est fait mention dans l’Apocalypse, qui gardaient les portes de la cité, et j’en parlerai dans la déclaration que je ferai ci-après ce chapitre. Le Seigneur en assigna dix-huit autres des plus relevés, afin qu’ils montassent et descendissent par la mystique échelle de Jacob dont nous avons déjà parlé, pour faire les ambassades de la Reine au grand Roi, et du Seigneur à cette même Reine; car elle les envoyait plusieurs fois au Père éternel pour être dirigée dans toutes ses actions selon les mouvements du Saint-Esprit, n’en faisant aucune que par son ordre et conformément à sa divine volonté, en sorte qu’elle n’aurait pas fait la moindre chose sans l’avoir consulté auparavant. Et quand elle n’était pas instruite par une spéciale illustration, elle envoyait ces anges bienheureux au Seigneur pour lui représenter son doute et le désir qu’elle avait de faire ce qui était le plus agréable à sa très-sainte volonté, et pour recevoir ses commandements, comme nous dirons dans la suite de cette histoire.

202. Par-dessus le nombre de tous ces anges dont nous venons de faire mention’, le Très-Haut choisit encore soixante-dix des plus relevés séraphins et des plus proches du trône de la Divinité, afin qu’ils conférassent et communiquassent avec la Reine du ciel, de la même manière qu’ils communiquent et parlent entre eux, et que les supérieurs éclairent les inférieurs. Cet avantage fut accordé à la Mère de Dieu (quoiqu’elle fût supérieure en dignité et en grâce à tous les séraphins), parce qu’elle était voyageuse et inférieure par sa nature. Et quand le Seigneur s’absentait d’elle quelquefois en suspendant sa présence sensible, comme nous verrons: ci-après, ces soixante-dix séraphins l’illustraient et la consolaient, et elle leur communiquait les affections de son ardent amour et les tendres soucis que l’absence de son trésor lui causait. Le nombre de soixante-dix, dont elle fut favorisée, répond aux soixante-dix années de sa très-sainte vie, qui ne fut pas de soixante, comme je le dirai en son lieu. Ce nombre a rapport à ces soixante courageux qui gardaient le lit du roi Salomon, comme il est écrit dans le troisième chapitre des Cantiques, qu’on choisissait entre les plus vaillants d’Israël et les plus expérimentés en la guerre, ayant leurs épées à la ceinture pour le préserver pendant la nuit des surprises des ennemis.

203. Ces princes et ces forts capitaines jurent destinés pour la garde de leur Reine, et choisis parmi les premiers des ordres hiérarchiques: parce qu’en cette ancienne bataille qui se donna dans le ciel entre les esprits humbles et le superbe dragon, ils furent armés par le Roi souverain de l’univers, afin qu’ils combattissent et vainquissent Lucifer et tous les apostats qui le suivirent, avec l’épée de sa vertu et de sa parole divine . Et parce que dans ce fameux combat ces suprêmes séraphins se distinguèrent par un grand zèle pour l’honneur du Très-Haut, comme de braves et adroits cal haines en l’amour divin, ces armes de la grâce leur étant données parla vertu du Verbe incarné, dont ils défendirent l’honneur, combattant pour leur chef et leur Seigneur aussi bien que pour sa très-sainte Mère, dont les intérêts se trouvent inséparables des siens; c’est pourquoi il est dit qu’ils gardaient le lit de Salomon et ne l’abandonnaient jamais, et qu’ils avaient leurs épées à la ceinture , endroit qui désigne la génération humaine, et en elle l’humanité de notre Seigneur Jésus-Christ, conçue dans le lit virginal de Marie, de sa propre substance et de son sang le plus pur.

204. Les autres dix séraphins, qui restent pour achever le nombre de soixante-dix, furent aussi des plus relevés de ce premier ordre, qui témoignèrent plus de zèle pour l’honneur de la divinité et de l’humanité du Verbe et de sa très-sainte Mère: et, quoique ce combat des auges fidèles fût fort court, il y eut assez d’instants pour toutes ces opérations. Les principaux chefs de cette sainte milice qui se signalèrent te plus dans cette première épreuve furent comme récompensés par cet honneur particulier qu’ils reçurent, d’être encore chefs parmi ceux qui devaient garder leur Reine et leur Maîtresse. Ils font tous ensemble le nombre de mille anges, en comptant les séraphins avec les autres des ordres inférieurs; de manière que cette Cité de Dieu était suffisamment garnie pour se défendre contre les légions infernales.

205. Pour mieux ordonner cet invincible escadron on y mit à la tète le prince de la milice céleste, saint Michel; lequel, bien qu’il ne fût pas toujours présent à la Reine, lui manifestait néanmoins sa présence et l’accompagnait souvent. Le Très-Haut le lui destina, afin que, comme principal et extraordinaire ambassadeur de notre Seigneur Jésus-Christ, il s’employât dans quelques affaires mystérieuses de la très-sainte Vierge. Le prince saint Gabriel y fut aussi employé, afin qu’il descendit, par l’ordre du Père éternel, pour les légations et les mystères qui regardaient cette princesse du ciel. Et ce fut ce que la très-sainte Trinité ordonna pour sa défense et pour sa garde ordinaire.

206. Tout ce dénombrement se fit par une grâce spéciale du Seigneur; car j’eus connaissance qu’il y garda quelque ordre de justice distributive, parce que son équité et sa providence eurent égard aux opérations et à, la volonté avec lesquelles les anges bienheureux reçurent les mystères de l’incarnation du Verbe et de sa très-sainte Mère, qui leur furent révélés au commencement: les mouvements de leurs affections et de leurs inclinations n’étant pas égaux à obéir à la divine volonté et à recevoir les mystères qui leur furent proposés, la grâce tic produisant pas entiers tous les mémos effets: ce qui fut cause que les uns s’y soumirent par une dévotion spéciale, connaissant l’union des deux nature, la divine et l’humaine, en la personne du Verbe, cachée sous l’humble voile d’un corps humain, et élevée à titre chef de toutes les créatures. L’affection des autres se mouvait d’admiration de ce que le Fils unique du hère céleste voulait bien se faire passible et avoir ont si grand amour pour les hommes que de s’offrir à mourir pour eux. Les autres se distinguèrent par les louanges qu’ils rendirent au Très-Haut de ce qu’il devait créer une femme d’une excellence si admirable, qu’elle serait élevée en-dessus de tons les esprits célestes, et dont le Créateur prendrait chair humaine. Selon donc tous ces mouvements et leurs proportions, que le Tout Puissant voulut récompenser d’une gloire accidentelle, il destina ces anges fidèles pour les mystères de Jésus-Christ et de sa très-pure Mère, de la manière que seront récompensés ceux qui se signaleront en cette présente vie en quelque vertu, comme les docteurs, les vierges, et les autres parleurs auréoles.

207. Lorsque ces esprits: bienheureux se manifestaient corporellement, selon cet ordre, à la Mère de Dieu, comme je le dirai dans la suite, ils lui découvraient et lui représentaient par des devises et par des caractères lumineux les divers mystères, soit de l’incarnation, soit de la passion de notre Seigneur Jésus-Christ, et plusieurs autres qui représentaient cette même Reine, ses grandeurs et sa dignité: quoiqu’elle ne les pénétrât pas quand ils commencèrent de les lui manifester, parce que le Très-Haut commanda à tous ces anges qu’ils ne lui déclarassent pas qu’elle dit être Mère de son Fils unique jusqu’à ce que le temps déterminé par sa divine sagesse fût arrivé; mais pourtant qu’ils l’entretinssent toujours des mystères de l’incarnation et de la rédemption des hommes, pour la conserver dans ses ferventes demandes. Les langues humaines sont incapables, et mes paroles sont trop faibles pour manifester une lumière aussi relevée et; une connaissance aussi sublimes que celles que j’en ai reçues.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XIII

Comme la conception de la très-sainte Marie fut annoncée par le saint archange Gabriel, et comme pour cela Dieu prévint sainte Anne d’une faveur singulière.

177. Les demandes de saint Joachim et de sainte Anne arrivèrent à la présence et au trône de la très-heureuse Trinité, où, étant exaucées et acceptées, la volonté divine fut manifestée aux anges bienheureux, comme si, à notre façon de concevoir, les trois personnes divines eussent parlé à eux, et leur eussent dit: «Nous avons déterminé par notre bénignité que la personne du Verbe prenne chair humaine, pour réa parer en elle tout le genre humain: nous l’avons a manifesté et promis aux prophètes, nos serviteurs, a afin qu’ils le prédissent au monde. La malice et les a péchés des vivants sont arrivés à un tel excès, qu’ils nous obligeraient d’exécuter la rigueur de a notre justice: mais notre bonté et notre miséricorde surpassent toutes leurs méchancetés, qui ne peuvent éteindre notre charité . Ayons égard qu’ils sont les ouvrages de nos mains, et que nous les avons créés à notre image et ressemblance , afin qu’ils fussent héritiers et participants de notre gloire éternelle. Considérons les agréables services que nos serviteurs et amis nous ont rendus, et le grand nombre de ceux qui se distingueront en nos louanges, et en la pratique de tout ce qui sera de notre bon plaisir. Jetons singulièrement notre vue sur Celle qui doit être élue entre toutes, qui sera la plus agréable, et l’objet de nos délices et de nos complaisances, et qui doit recevoir en son sein la personne du Verbe, et le revêtir de la mortalité de la chair humaine. Et puisque l’œuvre en laquelle nous devons manifester les trésors de notre Divinité au monde doit commencer, c’est maintenant le temps propre d’exécuter ce mystère. Joachim et Anne ont trouvé grâce devant nous; c’est pourquoi nous les a regardons avec miséricorde, et les prévenons par la vertu de nos dons et de nos grâces. Ils ont été fidèles en toutes sortes d’épreuves, ils ont rendu a témoignage de la vérité, et leurs âmes se sont rendues agréables en notre présence par leur sincère candeur. Que Gabriel, notre ambassadeur, leur aille donner des nouvelles de consolation et de joie, pour eux et pour tout le genre humain, et leur annonce que notre bénignité les a regardés et les a choisis pour l’accomplissement de nos desseins.»

178 Les esprits célestes ayant connu cette volonté et ce décret du Très-Haut, le saint archange Gabriel adorant et honorant sa divine Majesté en la manière que ces très-pures et spirituelles substances le font, étant humilié devant le trône de la très-sainte Trinité, il en sortit une voix intelligible qui lui dit; «Gabriel, illuminez, vivifiez et consolez Joachim et Anne, nos serviteurs, et dites-leur que leurs prières sont arrivées à notre présence, et que notre clémence les exaucées Promettez-leur qu’ils recevront un fruit de bénédiction par la faveur de notre droite, et qu’Anne concevra et enfantera une fille à laquelle nous donnons le nom de MARIE.»

179. Plusieurs mystères et secrets qui concernaient cette ambassade furent révélés à (archange saint Gabriel, recevant ce commandement du Très-Haut, qui le fit descendre incontinent du ciel empyrée pour s’acquitter de sa mission. Il apparut à saint Joachim, qui était en oraison, et lui dit; «Homme juste et équitable, le Très-Haut a vu de son trône royal vos désirs, et a exaucé vos prières et vos larmes: il vous rend heureux en la terre. Anne, voire épouse, concevra et enfantera une fille qui sera bénie entre toutes les femmes, et que toutes les nations reconnaîtront comme bienheureuse . Celai qui est le Dieu éternel, incréé et créateur de tontes choses, très-équitable en ses jugements, très-puissant et très-fort, m’envoie vers vous, d’autant que vos œuvres et vos aumônes lui ont été agréables. La charité attendrit le cœur du Tout-Puissant, et hâte ses miséricordes; c’est pourquoi il veut enrichir avec libéralité votre maison et votre famille par la fille qu’Anne concevra, à laquelle le même Seigneur donne le nom de MARIE. Elle doit être dès a son enfance consacrée à Dieu dans son temple, comme vous le lui avez promis. Elle sera grande, a élue, puissante et remplie du Saint-Esprit; et sa conception sera miraculeuse à cause de la stérilité d’Anne; et cette fille sera en sa vie et en ses œuvres a un prodige de grâces et de bénédictions. Louez, Joachim, le Seigneur pour un tel bienfait, et exaltez son saint nom, car il n’a rien opéré de si grand en aucune nation. Vous monterez au temple de Jérusalem pour y rendre vos actions de grâces; et, en témoignage de cette vérité et de cette bonne nouvelle que je vous annonce, vous rencontrerez votre sœur Anne à la porte d’Or, qui ira au temple pour le même sujet. Je vous avertis que cette ambassade est merveilleuse, car la conception de cette fille réjouira le ciel et la terre.»

180. Saint Joachim reçut cette apparition en un sommeil mystérieux qu ïl eut dans la longue prière qu’il fit, afin que cette ambassade fût conforme à celle que saint Joseph, époux de la très-sainte Vierge, reçut ensuite, quand il lui fut manifesté qu’elle était enceinte par l’opération du Saint-Esprit . Le très-heureux saint Joachim revint de ce sommeil tout rempli de joie et de consolation; et, par une prudente précaution, il cacha dans son cœur le secret du grand Roi; il s’en alla au temple par un commandement exprès, où il se prosterna avec une vive foi et une forte espérance en la présence du Très-Haut, et, tout pénétré qu’il était de tendresse et de reconnaissance, lui rendit des actions de grâces, et y adora ses jugements impénétrables .

181. Au même temps que ceci arrivait à saint Joachim, sainte Anne était dans une contemplation très-sublime, et tout absorbée cri Dieu et dans le mystère qu’elle attendait de l’incarnation dit Verbe éternel, dont le même Seigneur lui avait donné de très-hautes connaissances, et communiqué une lumière infuse toute particulière. Elle demandait à sa Majesté, avec une humilité profonde et une vive foi, que la venue du Réparateur du genre humain fût avancée, faisant cette prière; «Roi de très-haute majesté, et Seigneur de tout ce qui est créé, je désirerais, quoique vile a et abjecte créature (mais pourtant ouvrage de vos mains), obliger votre infinie bonté au prix de cette vie que j’ai reçue de vous, Seigneur, d’avancer le temps de notre salut. O quel bonheur, si votre clémence inépuisable s’inclinait à notre grand besoin, et si nos yeux avaient la consolation de voir le Réparateur et le Rédempteur des hommes! Souvenez-vous, Seigneur, des anciennes miséricordes que vous avez pratiquées envers votre peuple, lui promettant votre Fils unique, et que cette délibération de votre amour infini vous y oblige; que ce jour si désiré arrive avant que nous achevions les nôtres. Est-il bien possible que le Très Haut veuille descendre de son trône céleste! Est-il possible qu’il ait une mère sur la terre! Quelle femme sera si heureuse et si fortunée! Oh! qui la pourrait voir! Qui serait digne de servir ses servante! Bienheureuses les nations qui la verront et qui pourront se prosterner à ses pieds et l’adorer. Combien douce sera sa vue! Combien sera charmante sa conversation! Heureux les yeux qui la verront; heureuses les oreilles qui entendront ses discours, et la famille qui aura le glorieux avantage de lui donner une Mère. Que ce décret, Seigneur, s’exécute maintenant, et que votre divine volonté s’accomplisse.»

182. Sainte Aune s’occupait en de semblables oraisons et colloques après les connaissances qu’elle reçut de cet ineffable mystère, et elle en communiquait toutes les raisons à son ange gardien, qui lui apparaissait souvent, et principalement dans cette occasion, en laquelle il se fit voir plus éclatant qu’à l’ordinaire. Le Très-Haut ordonna que l’ambassade de la conception de sa très-sainte Mère frit en quelque chose semblable à celle qui se devait faire ensuite touchant son ineffable incarnation; parce que sainte Anne s’occupait à méditer avec une humble ferveur sur le bonheur de celle qui devait être mère de la Mère du Verbe incarné; et la très-sainte Vierge formait les mêmes souhaits et les mêmes actes touchant celle qui devait être mère de Dieu, comme je le dirai eu son lieu: le même ange faisant sous une forme humaine les deux ambassades, bien que l’apparition qui se fit à la Vierge Marie fût avec plus d’éclat et avec plus de mystère.

183. Le saint archange Gabriel se présenta à sainte Anne sous une forme humaine, plus beau et plus reluisant que le soleil, et lui dit; «Anne, servante du Très-Haut, je suis l’ange du conseil de sa divine Majesté, envoyé des cieux par son infinie bonté, qui regarde toujours favorablement les humbles qui habitent la terre . La prière persévérante est bonne, et l’humble confiance lui est agréable. Le Seigneur a exaucé vos demandes, parce qu’il est près de ceux qui l’invoquent avec une foi vive et une ferme espérance , et qui attendent avec patience et avec résignation les effets de sa miséricorde. Que s’il tarde quelquefois d’accomplir les souhaits et les prières des justes, et s’il semble ne vouloir pas leur accorder ce qu’ils lui demandent, ce n’est que pour les disposer à l’obtenir de sa bonté beaucoup plus avantageusement. La prière et l’aumône sont des clefs qui ouvrent les trésors du Roi tout-puissant, et attirent les richesses de ses miséricordes sur ceux qui l’invoquent . Vous et Joachim avez demandé un fruit de bénédiction, et le Très-Haut a déterminé de vous le donner autant admirable que saint, et de vous accorder beaucoup plus que vous ne lui avez demandé, en vous enrichissant de ses dons célestes; parce que vous étant humiliés dans vos demandes, le Seigneur, satisfaisant vos désirs, se veut exalter avec magnificence: car la créature ne lui saurait être plus agréable que lorsqu’elle lui demande avec humilité et confiance, sans douter de son pouvoir infini. Persévérez dans vos prières, et demandez sans casse le remède du genre humain, afin d’obliger le Seigneur de vous exaucer. Moise , par la persévérance de sa prière, rendit son peuple victorieux. Esther, par la prière et par la confiance, le délivra de la mort. Judith, par la même prière, fut fortifiée et encouragée pour réussir dans une aussi difficile exécution que celle qu’elle devait entreprendre pour la défense d’Israël; et elle en vint à bout, n’étant qu’une femme faible. David vainquit Goliath, parce qu’il pria en invoquant le nom du Seigneur . Élie obtint le feu du ciel pour son sacrifice, et il ouvrait et fermait les cieux par sa prière . L’humilité, la foi et les aumônes de Joachim aussi bien que les vôtres sont montées jusqu’au qu’au trône du Très-Haut, qui m’a envoyé, comme l’un de ses ministres angéliques, pour vous combler de joie et de consolation par les bonnes nouvelles que je vous annonce; parce que sa divine Majesté vous veut rendre bienheureuse, en vous choisissant pour mère de celle qui doit concevoir et enfanter le a Fils unique du Père éternel. Vous enfanterez une fille qui s’appellera MARIE par une ordonnance divine. Elle sera bénie entre toutes les femmes, et remplie du Saint-Esprit. Elle sera la nuée qui vous doit donner la rosée du ciel pour le soulagement des mortels, et les prophéties de vos anciens pères s’accompliront en elle. Elle sera la porte de la vie a et du salut pour les enfants d’Adam. Et vous saurez que j’ai annoncé à Joachim qu’il aurait une fille qui sera bienheureuse et bénie; mais le Seigneur lui a caché le mystère, ne lui manifestant pas quelle dût être mère du Messie. C’est pourquoi vous devez garder ce secret: et vous irez au plus tôt au a temple, pour y rendre grâces au Très-Haut de tant de faveurs que sa puissante et libérale droite vous a faites. Vous rencontrerez Joachim à la porte d’Or, où vous confèrerez avec lui des assurances que vous avez reçues de votre enfantement. Mais pour vous, qui êtes bénie du Seigneur, son infinie Majesté veut vous visiter et enrichir par ses plus singulières a grâces; il parlera à votre cour dans la solitude , et donnera le principe à la loi de grâce, en donnant l’être dans votre sein à Celle qui doit donner la chair mortelle au Seigneur immortel par la forme humaine qu’il en recevra. Et la véritable loi de miséricorde sera écrite dans cette humanité unie au Verbe par son sang .»

184. Afin que la faiblesse de l’humble cœur de sainte Anne pût supporter la grande admiration et la joie extraordinaire que lui causait la nouvelle que cet ambassadeur céleste lui donnait, elle fut fortifiée par le Saint-Esprit: ainsi elle la reçut avec une consolation inconcevable de son âme. Ensuite elle s’en alla au temple de Jérusalem, où elle rencontra saint Joachim, comme l’ange le leur avait prédit. Ils y rendirent tous deux des actions de grâces à l’auteur de cette merveille, et ils y offrirent des dons et des sacrifices particuliers. Ils y reçurent de nouvelles illustrations de la grâce de l’Esprit divin, et ils s’en retournèrent en leur maison remplis de consolations célestes, s’entretenant des faveurs qu’ils venaient de recevoir du Très-Haut par le ministère de son saint ange Gabriel, qui leur avait annoncé et promis à chacun en particulier, de la part du Seigneur, qu’il leur donnerait une fille qui serait la plus éminente en bonheur et en gloire. Et ils se communiquèrent dans cette occasion l’ordre qu’ils avaient reçu du même ange, de se marier ensemble pour le plus grand service de Dieu. Ils différèrent vingt ans de se communiquer ce secret, et ils ne le firent qu’après que l’ange leur eut promis la succession d’un telle fille. Ils renouvelèrent ensuite leurs vœux de l’offrir au temple, qu’ils y monteraient tous les ans dans un semblable jour, avec des offrandes extraordinaires, et qu’ils l’emploieraient en de divines louanges, en des actions de grâces et en aumônes. Ce qu’ils exécutèrent après; et ils ne cessèrent de rendre honneur et gloire au Très-Haut.

185. La prudence de sainte Anne lui fit garder le secret caché, sans jamais découvrir à saint Joachim, ni à aucune autre créature, que sa fille dût être la mère du Messie. Et le saint père n’en connut autre chose durant tout le cours de sa vie, sinon qu’elle serait une grande et mystérieuse femme; mais le Très-Haut le lui manifesta seulement quelques moments avant sa mort, comme je le dirai en son lieu. Et quoique j’aie reçu de grandes pénétrations et de sublimes conna4ssances des vertus et de la sainteté de ces deux saints parents de la Reine du ciel, je ne m’arrête point à déclarer ce que tous les fidèles doivent supposer, pour passer à mon principal dessein.

186. La première conception du corps qui devait servir à la Mère de la grâce, ayant été faite, et avant que de créer son âme très-sainte, Dieu fit une faveur singulière à sainte Anne. Elle eut une vision ou apparition intellectuelle de sa divine Majesté qui lui arriva d’une façon très-relevée; et, lui communiquant dans cette vision de grandes connaissances et des dons particuliers de grâces, il la disposa et la prévint par de très-douces bénédictions . Par la parfaite pureté qu’il lui communiqua, il spiritualisa tout son corps, et éleva son âme à un tel degré de perfection, que dès ce jour elle ne s’occupa à aucune chose humaine qui pût l’empocher d’unir toutes ses affections et toutes ses puissances à Dieu, sans le perdre jamais de vue. Le Seigneur lui dit, pendant qu’il lui départait, ces faveurs: «Anne, ma chère servante, je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob: ma bénédiction et ma lumière éternelle est avec toi. J’ai formé l’homme pour l’élever de la poussière, pour le faire héritier de ma gloire et participant de ma Divinité. Quoique je l’aie enrichi de plusieurs dons et que je l’aie mis en un état très-parfait, il a tout perdu en écoutant le serpent. Mais, oubliant par un effet de ma bonté son ingratitude, je veux réparer son dommage, et accomplir ce que j’ai promis à mes serviteurs et à mes prophètes, de leur envoyer mon Fils unique et leur rédempteur. Les cieux sont fermés, les anciens pères sont détenus sans pouvoir jouir de ma face, et sont privés du prix de ma gloire éternelle, que je leur ai promis: l’inclination de ma bonté infinie est comme violentée en ne se communiquant pas au genre humain. Je voudrais déjà user de ma miséricorde libérale à son égard, et lui donner la personne du Verbe éternel, afin qu’il se fasse homme, naissant d’une femme qui soit mère et vierge immaculée, pure, bénie et sainte sur toutes les créatures; et, pour en venir à l’exécution, je te fais mère de cette mienne et unique élue .»

187. Je ne puis pas facilement expliquer les effets que causèrent ces paroles du Très-Haut dans le cœur candide de sainte Anne, ayant été la première des mortels à qui le ministère de sa très-sainte fille fut révélé: qu’elle serait Mère de Dieu, et que celle qui était choisie pour le plus grand ouvrage de la puissance divine serait conçue dans son sein. Il était convenable aussi qu’elle en fût informée, parce qu’elle devait enfanter et élever avec tous ses soins cette mystérieuse fille, et afin qu’elle sût estimer le trésor qu’elle possédait. Elle écouta avec une humilité profonde la voix du Seigneur, et répondit avec une sainte crainte: «Seigneur Dieu éternel, c’est le propre de votre bonté immense, et l’ouvrage de votre puissant bras, de tirer le pauvre et le méprisé de la confusion . Je me reconnais, Seigneur, indigne de telles a miséricordes et de tels bienfaits. Que peut faire ce petit vermisseau en votre présence? Je ne puis vous offrir en actions de grâces que votre être même et votre propre grandeur, et en sacrifice, que mon âme et toutes mes puissances. Faites, Seigneur, de moi selon votre sainte volonté, puisque je m’y abandonne entièrement. Je voudrais être aussi dignement vôtre, que les grandes faveurs que vous me faites le méritent; mais que ferai-je, moi qui suis indigne d’être la servante de celle qui doit être mère de votre Fils unique et ma fille? Je confesserai, Seigneur, toujours cette vérité, dont je suis pénétrée, aussi bien que mon extrême pauvreté, qui ne m’empêchera pas de me prosterner aux pieds de vos immenses grandeurs pour y attendre les effets de votre miséricorde, puisque vous êtes un père pitoyable et le Dieu tout-puissant. Rendez-moi telle, Seigneur, que la dignité dont vous m’honorez le demande.»

188. Sainte Anne eut une merveilleuse extase dans cette vision, où elle reçut des connaissances très-profondes de la loi de nature, de la loi écrite et de la loi évangélique. Elle y découvrit comment la nature divine, dans le Verbe éternel, se devait unir à la nôtre; comment la très-sainte humanité serait élevée à l’être de Dieu, et plusieurs autres mystères de ceux qui se devaient opérer en l’incarnation du Verbe divin: le Très-Haut la disposant, par ces illustrations et par d’autres dons de grâces, pour la conception et la création de l’âme de sa très-sainte fille, qui devait être Mère de Dieu.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XII

Comme le genre humain s’étant multiplié, les clameurs des justes s’augmentèrent pour demander la venue du Messie, et les péchés s’accrurent aussi, et Dieu envoya au monde deux flambeaux dans la nuit de la loi ancienne pour annoncer la loi de grâce.

163. La postérité d’Adam s’étendit en grand nombre, et partant, les justes et les injustes se multiplièrent; et les saints augmentèrent leurs cris pour demander le Rédempteur, pendant que les pécheurs se rendaient indignes d’un tel bienfait par leurs crimes. Le peuple du Très-Haut et le triomphe du Verbe qui se devait faire homme, étaient déjà arrivés aux termes que la volonté divine avait marqués pour la venue du Messie; parce que le règne du péché avait si fort étendu sa malice sur les enfants de perdition, qu’il ne trouvait quasi plus de limites: c’est pourquoi le temps convenable au remède était arrivé. Les justes en augmentant leurs mérites avaient augmenté leurs couronnes; les prophètes et les saints pères connaissaient, par une joie extraordinaire que la divine lumière leur causait, que le salut et la présence de leur Restaurateur s’approchaient; et redoublant la ferveur de leurs cris, demandaient à Dieu que les prophéties et les promesses qu’il avait faites à son peuple fussent accomplies. Et ils représentaient devant le trône de 1a divine miséricorde la longue et ténébreuse nuit du péché dans laquelle il avait vécu dès la création du premier homme, et l’aveuglement des idolâtries, dans lequel tout le reste du genre humain était enseveli .

164. Lorsque l’ancien serpent eut infecté tout l’univers par son source venimeux, et qu’il semblait jouir de la paisible possession des mortels; quand eux-mêmes, s’éloignant de la lumière de la raison naturelle et de celle qu l’ancienne loi écrite leur pouvait fournir , au lieu de chercher la véritable Divinité, en feignaient plusieurs fausses, et que chacun se forgeait un dieu à sa fantaisie, sans faire réflexion que la confusion de tant de dieux était contraire à la perfection, su bel ordre et à la tranquillité de l’âme; quand par ces erreurs la malice, l’ignorance et l’oubli du vrai Dieu s’étaient déjà naturalisés, et cette mortelle langueur ou léthargie qui remplissait le monde, était si fort négligée, que les misérables et aveuglés malades n’ouvraient pas seulement la bouche pour en demander le remède; quand l’orgueil était sur le trône, et le nombre des forts presque infini , et que le superbe Lucifer faisait ses efforts pour boire les eaux du Jourdain les plus pures ; quand Dieu était le plus offensé par toutes ces injures et le moins honoré des hommes; et lorsque l’attribut de sa justice avait le plus de sujet de réduire tout ce qui est créé dans son premier néant:

165. Dans un tel état où les choses se trouvaient, le Très Haut (à notre façon de concevoir) tourna sa vue vers l’attribut de sa miséricorde, et fit pencher le poids de son incompréhensible équité du côté de la loi de clémence, voulant être plus adouci par sa même bonté, par les clameurs et par les services des justes et des prophètes de son peuple, qu’irrité par la méchanceté et par les offenses de tous les autres pécheurs. Il détermina donc de donner Jans cette nuit si rigoureuse de la loi ancienne des gages assurés du jour de la grâce, envoyant deux flambeaux très-reluisants su monde, qui annonçassent la prochaine aurore du Soleil de justice, Jésus-Christ notre Sauveur. Ces deux flambeaux furent saint Joachim et sainte Anne, que la volonté divine avait préparés et créés, afin qu’ils fussent faits selon son cœur. Saint Joachim avait sa maison, sa famille et ses parents à Nazareth, petite ville de Galilée. II fut toujours juste, saint et éclairé d’une grâce spéciale et d’une lumière céleste. Il pénétrait plusieurs mystères des Écritures et des anciens prophètes, et par ses continuelles et ferventes prières il demandait à. Dieu l’accomplissement de ses,promesses; et sa foi et sa charité pénétraient les cieux. Il était très-humble en lui-même, pur, d’une fort grande sincérité et de saintes manières; homme grave et sérieux, et d’une modestie et honnêteté incomparables.

166. Sainte Anne avait sa maison en Bethléhem; elle était une fille très-chaste, très-humble et très-belle, et dès son enfance, sainte, modeste et remplie de vertus. Elle reçut aussi du Très-Haut de grandes et de fréquentes illustrations, et s’occupait toujours à contempler les choses divines, sans négliger ses affaires domestiques, auxquelles elle était infatigable; et par ces saintes occupations-elle-,arriva à la plus grande perfection de la vie active et de la contemplative. Elle avait une science infuse des Écritures saintes, et une connaissance profonde de leurs mystères les plus cachés; elle fut incomparable aux vertus infuses de foi, d’espérance et de charité. Prévenue de ces dons, elle priait continuellement pour avancer la venue du Messie; et ses prières furent si agréables au Seigneur, qu’elle pouvait mériter la réponse d’avoir blessé son cœur par un de ses cheveux , et avancé cet heureux temps, puisque sans aucun doute les mérites de sainte Anne ne contribuèrent pas peu à anticiper la venue du Verbe, tenant la plus haute place entre tous les saints du vieux Testament.

167. Cette femme forte fit aussi une fervente prière, afin que dans l’état de mariage le Très-Haut lui donnât un époux qui la secondât à garder la loi divine et à devenir plus parfaite en l’observance de ses préceptes; et en même temps que sainte Anne faisait cette prière au Seigneur, sa providence divine ordonna que saint Joachim la fit aussi, afin que ces deux requêtes fussent en même temps présentées devant le tribunal de la très-sainte Trinité, où elles furent exaucées et expédiées. Il fut aussitôt délibéré par une ordonnance divine que Joachim et Anne s’uniraient par le lien du mariage, et seraient les parents de celle qui devait être Mère de Dieu incarné. Et pour l’exécution de ce décret le saint archange Gabriel fut envoyé pour le manifester à l’un et à l’autre apparut en forme corporelle à sainte Anne lorsqu’elle était dans une fervente oraison, en laquelle elle demandait la venue du Sauveur du monde et le remède des hommes. Elle vit ce saint prince si resplendissant et d’une beauté si surprenante, qu’elle en reçut quelque trouble et une sainte crainte, accompagnée d’une joie intérieure que sa présence lui causait par les lumières qu’elle communiquait à son âme. La sainte se prosterna avec une profonde humilité pour honorer l’ambassadeur du ciel; mais il s’opposa à cette posture humiliante, et l’encouragea comme celle qui devait être l’arche de la véritable manne, la très-sainte Marie, Mère du Verbe éternel; car le Seigneur avait déjà découvert ce mystère caché au saint archange, lorsqu’il l’envoya pour faire cette ambassade, quoique les autres anges du ciel ne le pénétrassent point encore, parce que cette révélation ou illumination fut faite immédiatement du Seigneur au seul archange Gabriel, qui ne manifesta pas non plus alors ce grand mystère à sainte Anne; mais lui ayant demandé son attention, il lui dit; «Servante du Seigneur, le Très-Haut vous bénisse et soit votre a salut. Sa Majesté divine a exaucé vos prières, et veut que vous persévériez à demander la venue du Sauveur, et vous ordonne de recevoir Joachim pour votre époux; il est homme juste et agréable aux yeux du Seigneur, et vous pourrez persévérer avec lui en l’observance de sa divine loi et en son service. Continuez vos prières et vos demandes, et n’ayez point d’autre soin, car le même Seigneur en ordonnera l’exécution. Marchez par le droit chemin de a la justice; élevez votre cœur et votre esprit aux choses du ciel, priez toujours pour la venue du Messie, et réjouissez-vous dans le Seigneur, qui est votre salut.» L’ange disparut après cela, l’ayant laissée fort éclairée pour pénétrer plusieurs mystères des Écritures, et ayant rempli son âme de consolations et renouvelé la ferveur de son esprit.

168. L’archange n’apparut point ni ne parla pas à saint Joachim en forme corporelle comme à sainte Anne; mais l’homme de Dieu s’aperçut qu’il lui tenait ces discours en songe: «Joachim, soyez béni de la divine droite du Très-Haut, persévérez en vos désirs et pratiquez la justice et la perfection. Le Seigneur veut que vous receviez Anne pont votre épouse, car le Tout-Puissant a rempli son âme de a bénédictions. Ayez soin d’elle et estimez-la comme un précieux don que sa main libérale vous fait, et rendez grâces à sa Majesté divine de vous l’avoir, confiée.» En vertu de ces divines ambassades, Joachim demanda la très-chaste Anne pour épouse, et le mariage se fit, obéissant tous deux à la volonté de Dieu, sans pourtant que l’un découvrit son secret à l’autre, jusqu’à ce que quelques années fussent passées, comme je le dirai en son lieu. Les deux saints époux habitèrent à Nazareth, et y suivirent les voies du Seigneur. Ils se rendirent fort agréables au Très-Haut et sans reproches, donnant la plénitude des vertus à toutes leurs œuvres par leur justice et par leur sincérité. Ils faisaient tous les ans trois portions de leurs revenus. Ils offraient la première au temple de Jérusalem pour le culte du Seigneur; ils distribuaient la seconde aux pauvres, et destinaient la troisième pour l’honnête entretien de leur famille. Dieu augmentait leurs biens temporels, parce qu’ils les employaient avec beaucoup de libéralité et de charité.

169. La paix était inviolable entre eux; ils vivaient dans une grande conformité de mœurs, sans querelle et sans bruit. La très-humble Anne était soumise en toutes choses à la volonté de Joachim; et l’homme de Dieu allait avec une sainte émulation au-devant de tout ce qui pouvait être de l’inclination de sainte Anne: et ce n’était pas en vain qu’il se confiait entièrement à sa conduite . De manière qu’ils vécurent en une si parfaite charité, qu’ils n’eurent pendant toute leur vie qu’une même volonté. Et étant unis au nom du Seigneur , sa sainte crainte ne les abandonnait jamais: saint Joachim ne manquant pas d’obéir au commandement que l’ange lui avait fait d’honorer son épouse et d’en avoir un grand soin.

170. Le Seigneur prévint la vénérable sainte Anne de ses plus douces bénédictions , lui communiquant des dons très-sublimes de grâce et de science infuse, pour la disposer au grand bonheur qui lui devait arriver, d’être mère de celle qui le devait être du même Seigneur. Et comme les œuvres du Très-Haut sont parfaites et achevées, il la fit par conséquent digne mère de la, plus parfaite des créatures, qui devait être inférieure à Dieu seul en sainteté, et supérieure à toutes les pures créatures.

171. Ces saints mariés passèrent vingt ans sans avoir aucun enfant, ce qui était réputé en ce temps-là et parmi ce peuple comme une grande honte c’est pourquoi ils essuyèrent de leurs voisins et de leurs amis plusieurs opprobres; car on croyait que ceux qui n’avaient point d’enfants n’avaient aucune part à la venue du Messie qu’ils attendaient. Mais le Très-Haut, qui les voulut affliger et les disposer à la grâce qu’il leur préparait par le moyen de cette humiliation, leur donna la patience pour se conformer aveuglément à ses divines dispositions, et afin qu’ils semassent par des larmes et par des prières cet heureux fruit qu’ils devaient ensuite recueillir . Ils le demandèrent du plus profond de leur cœur, en ayant reçu un commandement exprès du Ciel; et ils firent un vœu particulier au Seigneur que, s’il- leur donnait un enfant, ils le lui offriraient dans le temple, et le consacreraient à son service comme un fruit de bénédiction qu’ils en auraient reçu.

172. Le vœu de cette offrande fut fait par une particulière inspiration du Saint-Esprit, qui ordonnait que celle qui devait servir de demeure au Fils unique du Père, fût offerte et comme consignée par ses propres parents au même Seigneur avant qu’elle reçût l’être. Car sils ne se fussent obligés par un veau particulier de l’offrir au temple avant que de la connaître et de la pratiquer, la voyant ensuite si aimable, si douce et si agréable, ils auraient eu toutes les peines imaginables de s’en séparer, et ne l’eussent offerte qu’à contre-cœur, à cause du grand amour qu’ils auraient eu pour elle. Par cette offrande le Seigneur ne satisfaisait pas seulement, selon notre façon de parler, cette espèce de jalousie qu’il avait déjà, que nul autre que lui n’eût aucune prétention sur sa très-sainte Mère; mais son amour se trouvait aussi satisfait dans le retardement de sa venue.

173. Ayant persévéré un an entier dans ces ferventes demandes, selon l’ordre qu’ils en avaient reçu du Seigneur, il arriva que saint Joachim alla au temple de.Jérusalem par une inspiration divine et par un commandement exprès, pour y offrir des prières et des sacrifices pour la venue du Messie, et pour obtenir le fruit qu’il désirait. Y étant arrivé avec d’autres du lieu de sa demeure pour y offrir, en présence du souverain prêtre, les dons accoutumés, un prêtre appelé Issachar fit une forte correction au vénérable vieillard de ce qu’il offrait avec les antres, étant stérile. Et parmi les raisons qu’il lui allégua, il lui dit: «Joachim, pourquoi te présentes-tu pour offrir, étant un homme inutile? Sépare-toi des autres et va-t’en; n’irrite point le Seigneur par tes offrandes et par tes sacrifices, car ils ne sont pas agréables à ses yeux.» Le saint homme, tout honteux et confus, s’adressa avec une humble et amoureuse affection au Seigneur, lui disant; «Mon souverain Seigneur et mon Dieu éternel, votre commandement et votre volonté m’ont fait venir au temple; celui qui y tient votre place me méprise; mes péchés ont mérité cet affront; je le reçois donc pour l’amour de vous: ne méprisez pas, Seigneur, l’ouvrage de vos mains .» Après quoi l’affligé Joachim sortant du temple (dans une assiette pourtant fort tranquille), s’en alla à une maison de campagne qu’il avait; et durant quelques jours qu’il passa dans cette solitude, il adressa ses soupirs su Seigneur, et lui fit cette prière:

174. «Dieu d’une éternelle majesté, de qui dépendent tout l’être et l’entière réparation du genre humain, prosterné en votre divine présence, je supplie votre bonté infinie de regarder d’un œil favorable l’affliction de mon âme, et d’exaucer mes prières et celles d’Anne votre servante. Vos yeux pénètrent tous nos souhaits: que si je ne mérite pas a d’être exaucé, ne rejetez pas mon humble épouse, Seigneur Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob nos

anciens pères; ne détournez point de nous votre a clémence, et ne permettez pas, puisque vous êtes Père, que je sois du nombre des rejetée et des a réprouvés en mes offrandes, comme inutile, parce que vous ne me donnez point de succession. Souvenez-vous, Seigneur, des sacrifices et des oblations de vos serviteurs et de vos prophètes tees anciens pères , et ayez présentes les œuvres que votre divine vue a trouvées en eux dignes de vous être agréables. Et puisque vous me commandez, Seigneur, que je vous demande avec confiance, comme au Tout-Puissant et infiniment riche en miséricordes, accordez-moi ce que je désire et vous demande par votre ordre; car en vous demandant j’obéis à votre sainte volonté, en quoi vous me a promettez d’exaucer ma prière. Que si mes péchés arrêtent vos miséricordes, éloignez de moi ce qui vous déplaît et cause cet empêchement. Vous êtes puissant, Seigneur Dieu d’Israël, et vous pouvez a opérer sans aucun obstacle tout ce qu’il vous plaira . Écoutez mes prières, et bien que ce soit un a pauvre et abject qui vous les fait, vous êtes infini et porté à, user de miséricorde envers les humbles Où trouverai-je mon refuge, sinon en vous, qui êtes le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs et le Tout-Puissant? Vous avez comblé vos enfants et vos serviteurs de dons et de bénédictions en leurs générations, et vous m’enseignez de désirer et d’espérer de votre libéralité ce que vous avez opéré envers mes frères. Si c’est votre bon plaisir de m’accorder ma demande, j’offrirai et je consacrerai à votre a saint temple et à votre service, le fruit de succession que je recevrai de votre main libérale. J’abandonne mon cœur et mon âme à votre divine volonté, et j’ai toujours désiré d’éloigner mes yeux de la vanité. Faites de moi tout ce qu’il vous plaira, et consolez, Seigneur, nos âmes, par l’accomplissement de notre espérance. Regardez du trône de votre Majesté cette misérable poussière, et daignez la relever, afin qu’elle vous glorifie et vous adore, et que votre sainte volonté soit accomplie en toutes choses, et non pas la mienne.»

175. Joachim fit cette demande dans sa solitude; cependant le saint ambassadeur déclara à sainte Anne qu’il serait agréable à la divine Majesté quelle lui demandât une succession d’enfants avec cette sainte intention et cette grande affection qu’elle avait de (obtenir. Et la sainte dame ayant connu que c’était la volonté de Dieu et celle de son époux Joachim, se prosternant avec une humble soumission et confiance en la présence du Seigneur, fit cette prière: «Très-haute Majesté, Seigneur, créateur et conservateur de toutes choses, que mon âme honore et adore a comme le Dieu véritable, infini, saint et éternel, je parlerai et je manifesterai en votre royale présence ma nécessité et mon affliction, quoique je ne sois que poussière et que cendre . Seigneur Dieu incréé, faites-nous dignes de votre bénédiction, en nous donnant un fruit saint que nous vous puissions offrir dans votre temple. Souvenez-vous, Seigneur, que votre servante Anne, mère de Samuel, était stérile, et que, par votre libérale miséricorde, elle reçut l’accomplissement de ses désirs . Je ressens dans mon cœur une force qui m’incite et me a provoque de vous demander d’user à mon égard de a la mime miséricorde. Exaucez donc, mon très-doux Seigneur, mon humble prière, et souvenez-vous des services, des offrandes et des sacrifices de mes anciens pères, et des faveurs que le bras de votre toute-puissance a opérées en eux. Je voudrais bien, Seigneur, vois présenter une oblation qui vous fût agréable et que vous pussiez accepter; mais la plus a grande que, je puisse vous offrir est mon âme, mes a puissances, mes sens, et tout l’être que vous m’avez donné. Et si, daignant me regarder de votre trône a divin, vous me donnez un enfant, je le consacre et a je l’offre dès à présent au temple pour vous servir. Jetez, Seigneur, Dieu d’Israël, les yeux de votre bénignité sur cette vile et pauvre créature, consolez votre a serviteur Joachim, accordez-nous cette demande; a et que votre sainte et éternelle volonté s’accomplisse en toutes choses.»

176. Saint Joachim et sainte Anne firent ces prières; et j’en ai reçu une telle intelligence et découvert une si grande sainteté en ces heureux parents, qu’il ne m’est pas possible de dire tout ce que j’en conçois et que j’en ressens, à cause de ma grande ignorance; on ne le peut pas tout raconter; aussi cela n’est-il pas nécessaire, puisque ce que j’en viens de dire suffit à mon propos. Que si l’on veut former de hautes conceptions de ces saints, l’on n’a qu’à les mesurer et les proportionner à la très-haute fin et su sublime ministère pour lesquels Dieu les avait choisis, qui était d’être les aïeux immédiats de notre Seigneur Jésus-Christ, et les parents de sa très-sainte Mère.

La cité mystique de Dieu – Chapitre XI

Que le Tout-Puissant en la création de toutes choses eut notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère présents, et qu’il élut et favorisa son peuple figurant ces mystères.

133. La Sagesse, parlant de soi-même, dit au chapitre huitième des Proverbes, qu’elle se trouva présente en la création de toutes choses avec le Très-Haut. Et j’ai déjà dit que cette sagesse est le Verbe incarné, qui était présent avec sa très-sainte Mère lorsque Dieu déterminait dans son entendement divin la création de tout le monde; car dans cet instant non-seulement le Fils était avec le Père éternel et avec le Saint-Esprit en l’unité de la nature divine, mais aussi l’humanité qu’il devait prendre était, en premier lieu de tout ce qui est créé, prévue et désignée dans l’entendement du Père éternel; et avec son humanité, sa très-sainte Mère, qui devait la lui administrer du plus pur de son sang. En ces deux personnes tous ses ouvrages furent prévus, et à leur considération le Très-Haut s’obligeait, à notre façon de parler, de ne pas faire cas de toutes les ingratitudes que le genre humant et les anges mêmes qui prévariquèrent pouvaient commettre, et de ne pas laisser pourtant de procéder à la création de ce qui restait à faire, et des autres créatures qu’il préparait pour le service de l’homme.

134. Le Très-Haut regardait son Fils unique humanisé et sa très-sainte Mère comme des modèles qu’il venait de former par la grandeur de sa sagesse et de son pouvoir, pour sen servir comme d’originaux, sur lesquels il copiait tout le genre humain; et parce que ces deux images avaient une grande ressemblance à sa divinité, toutes les autres aussi, par rapport à ces deux modèles, seraient formées sur cette ressemblance de la Divinité. Il créa aussi les choses matérielles qui sont nécessaires à la vie humaine, mais avec une telle sagesse, que quelques-unes servissent aussi de symboles qui représentassent en quelque façon les deux objets, Jésus-Christ et Marie, sur lesquels il arrêtait principalement sa vue, et auxquels elles devaient servir. C’est pourquoi il fit ces deux grandes lumières du ciel, le soleil et la lune, afin qu’en divisant la nuit d’avec le jour , elles nous représentassent le Soleil de justice, Jésus-Christ, et sa très-sainte Mère, qui est belle comme la lune , lesquels divisent le jour de la grâce de la nuit du péché; et par ses continuelles influences le soleil éclairant la lune, les deux ensemble éclairent toutes les créatures, depuis le firmament et ses astres jusqu’au bout de l’univers.

135. Il créa les autres choses et en augmenta la perfection, voyant qu’elles devaient servir à Jésus-Christ, à la très-pure Marie, et à leur considération aux autres hommes; auxquels il prépara, avant que de les tirer du néant, une table fort délicate, très-abondante et très-assurée, et bien plus mémorable que celle d’Assuérus, parce qu’il les devait créer pour ses plaisirs, et les convier aux saintes délices de sa connaissance et de son amour: il ne voulut pas, comme discret et magnifique Seigneur, que le convié attendit, mais que ce fût tout une même chose d’être créé et de se trouver assis à la table de sa connaissance et de son amour, afin qu’il ne fût point distrait en ce qu’il lui était si important, que de reconnaître et de louer son Créateur tout-puissant.

136. Au sixième jour de la création, il forma et créa Adam comme dans un état de trente-trois ans; le même âge que notre Seigneur Jésus-Christ devait avoir au ‘temps de sa mort, si semblable en son corps et en son âme à sa très-sainte humanité, qu’à peine on l’aurait distingué. D’Adam il forma Ève, qui ressemblait si fort à la sainte Vierge, qu’elle la représentait en tous 1e traits de son visage et en sa personne. Le Seigneur regardait avec une extrême complaisance et avec un amour égal ces deux portraits des deux originaux qu’il devait créer en son temps; et, en leur considération, il donna de grandes bénédictions à leurs copies, comme pour entretenir avec eux et avec leurs descendants un commerce de charité, jusqu’à ce que le jour arrivât auquel il devait former Jésus et Marie.

137. Mais l’heureux. état auquel Dieu avait créé les deux premiers parents du genre humain dura fort peu: parce que, aussitôt qu’ils furent créés, l’envie du serpent, qui était comme à l’affût, s’éleva contre eux quoique Lucifer ne pût point apercevoir la formation d’Adam et d’Ève, comme il aperçut celle des autres créatures à l’instant qu’elles furent produites, car le Seigneur ne lui voulut point manifester l’ouvrage de la création de l’homme, ni la formation d’Ève de la côte d’Adam ; sa Majesté lui cachant tout cela l’espace de quelque temps, pendant lequel ils vécurent ensemble. Mais quand le démon eut vu la disposition admirable de la nature humaine sur tout le reste; la beauté de lame et celle du corps d’Adam et d’Ève, et qu’il eut connu l’amour paternel que le Seigneur leur portait, et qui les faisait maîtres et souverains de tout ce qui était créé, leur faisant espérer outre cela la vie éternelle, ce fut alors que la rage de ce dragon devint plus furieuse, et il n’y a aucune langue qui puisse exprimer les convulsions et les troubles que cette bête féroce eu conçut, son envie effrénée lui inspirant de leur ôter la vie. Il l’aurait fait comme un lion dévorant, s’il n’eut ressenti une force supérieure qui l’en empêchait mais il méditait et cherchait les moyens de les faire déchoir de la grâce du très-Haut et de les rendre rebelles à leur Créateur.

138. Lucifer s’éblouit ici et se trouva dans de grands doutes, parce que, comme le Seigneur lui avait manifesté dès le commencement que le Verbe se devait faire homme dans le sein de la très-sainte Vierge, sans lui déclarer ni en quel lieu, ni quand ce mystère se devait accomplir; il lui cacha la création d’Adam et la formation d’Ève, afin qu’il commençât dès lors à ressentir cette ignorance du mystère et du temps de l’incarnation. Or, comme sa colère et tous ses soins étaient tendus singulièrement contre Jésus-Christ et Marie, il douta qu’Adam ne fût sorti d’Ève, et qu’elle ne fût la Mère, et lui le Verbe incarné. Et le doute que le démon avait s’augmentait d’autant plus qu’il ressentait cette vertu divine qui l’empêchait de les offenser en leur vie. Mais comme il connut d’ailleurs les préceptes que Dieu leur fit incontinent (car ils ne lui furent point cachés, les découvrant dans la conférence qu’Adam et Ève en eurent ensemble), il sortait insensiblement de son doute, épiant les entretiens des deux premiers parents et sondant leur naturel, commençant dès lors à rôder autour d’eux comme un lion affamé , et à s’introduire dans leurs esprits par la connaissance de leurs inclinations. Néanmoins, jusqu’à ce qu’il en fût tout à fait désabusé, il chancelait toujours entre la haine irréconciliable qu’il portait à Jésus-Christ et à sa Mère, et la crainte qu’il avait d’être vaincu par lai: outre qu’il craignait que la Reine du ciel ne le vainquit, bien qu’elle ne fuit qu une pure créature, et non pas un Dieu.

139. Or, considérant le précepte qu’Adam et Ève avaient reçu, armé d’un mensonge trompeur, avec ce secours il résolut de les tenter, commençant de contredire et de s’opposer avec tous ses efforts à la volonté divine. Ce ne fut pas l’homme qu’il attaqua le premier, mais la femme, parce qu’il la connut d’un naturel plus délicat et plus faible; ayant plus d’espérance de remporter ses prétendus avantages sur elle, qu’il savait bien n’être pas aussi forte pour lui résister que Jésus-Christ, au cas qu’Adam l’eût été; outre qu’il avait conçu une très grande indignation contre elle, depuis le signe qu’il avait vu su ciel, et depuis les menaces que Dieu lui avait faites de cette femme. Toutes ces considérations l’entraînèrent et l’émurent plutôt contre Éve que contre Adam: avant que de se déclarer à elle, il lui envoya plusieurs pensées ou imaginations fortes et désordonnées comme ses avant-coureurs, pour la rendre en quelque façon disposée par les troubles que ses passions en recevraient. Et parce que j’en écrirai quelque chose dans un autre endroit, je ne m’étends pas ici à dire avec combien de violence et de cruauté il la tenta; il suffit a mon propos qu’on sache pour le présent ce que les Écritures saintes en disent, et c’est qu’il prit la forme d’un serpent, et que sous cette forme il parla à Ève , qui prêta l’oreille A sa conversation, qu’elle ne devait point écouter; puisqu’en l’écoutant et y répondant elle commença à y donner créance, et ensuite à transgresser le précepte pour soi, et enfin à persuader à son mari d’enfreindre la loi qu’il avait reçue, à son grand dommage et à celui de tous les autres, perdant potin eux et pour nous cet heureux état auquel le Très-Haut les avait mis.

140. Quand Lucifer vit leur chute, et que leur beauté intérieure par la grâce et la justice originelle s’était changée en la difformité du péché, le transport et le triomphe qu’il en témoigna à ses démons furent incroyables. Mais sa satisfaction ne fut pas de longue durée, parce qu’il connut d’abord avec combien de clémence (contre ce qu’il désirait) l’amour miséricordieux de Dieu s’était montré ù l’égard des criminels, et qu’il leur avait donné lieu de faire pénitence, d’en espérer le pardon et le retour de sa grâce; à quoi ils se disposaient par leur douleur et par leur contrition. Lucifer connut aussi qu’on leur rendait la beauté de la grâce et l’amitié du Seigneur, ce qui mit de nouveau dans le trouble tout l’enfer, voyant les heureux effets de la contrition. Et ses gémissements s’accrurent beaucoup plus, entendant la sentence que Dieu fulminait coutre les coupables, en laquelle le démon s’aveuglait, ne sachant à quoi se déterminer: et surtout ce lui fut un nouveau tourment d’ouïr qu’on lui renouvelait cette menace sur la terre: La femme t’écrasera la tête , comme elle lui avait été faite dans le ciel.

141. Les couches d’Ève se multiplièrent après le péché, par lequel se fit la distinction et la multiplication des bons et des mauvais, des élus et des réprouvés, les uns qui suivent Jésus-Christ notre Rédempteur et notre Maître, et les autres Satan. Les élus suivent leur chef par la foi, l’humilité, la charité, la patience et par toutes les vertus: et pour remporter le triomphe il sont secourus, aidés et embellis de la divine grâce et des dons que le même Seigneur et restaurateur de tous leur a mérités. Mais les réprouvés, sans recevoir des bienfaits et des faveurs semblables de leur cruel maître, ni en attendre d’autre récompense que la peine et la confusion éternelle de l’enfer, le suivent par orgueil, par présomption, par ambition, par toutes sortes d’ impuretés et de méchancetés, qui partent du père du mensonge et de l’auteur du péché.

142. Nonobstant ce péché, l’ineffable bénignité du Très-Haut leur donna sa bénédiction, afin qu’avec elle ils crussent, et que le genre humain se multipliait. Mais sa divine providence permit que le premier enfantement d’Ève portât les prémices du premier péché en la personne de l’injuste Caïn, et que le second figurait, en celle de l’innocent Abel , le réparateur du péché, notre Seigneur Jésus-Christ; commençant tout à la fois de le représenter en la figure et en l’imitation, afin qu’en la personne du premier juste commençassent la loi et la doctrine de Jésus-Christ, dont tous les autres doivent être disciples, en souffrant pour la justice et étant laits et opprimés des pécheurs, des réprouvés et de leurs propres frères . C’est pourquoi la patience, l’humilité et la douceur eurent leurs prémices en Abel; et en Caïn, l’envie et toutes les méchancetés qu’il pratiqua pour le bonheur du juste et pour sa propre perte, le méchant triomphant, et le bon endurant; et l’on trouve en ces spectacles le commencement de ceux qui devaient ensuite arriver dans le monde, composé de deux villes bien contraires, de Jérusalem pour les justes, et de Babylone pour les réprouvés, chacune ayant son chef pour le bonheur des uns et pour le malheur des autres.

143. Le Très-Haut voulut aussi que le premier Adam fût la figure du second en la manière de la création; puisque, par préférence au premier, il créa pour lui et ordonna la république de toutes les créatures, dont il le faisait le seigneur et le chef: ainsi il laissa passer plusieurs siècles avant que d’envoyer son Fils unique, afin qu’il trouvât eu la multiplication du genre humain un peuple dont il devait être 1e chef, le maître et le roi naturel, et afin qu’il ne fût pas un seul moment sans royaume et sans sujets; la sagesse divine disposant toutes choses avec cet ordre admirable, et voulant que celui qui avait été le premier dans l’intention, fût le dernier dans l’exécution.

144. Le temps s’approchant auquel le Verbe devait descendre du sein du l’ère éternel pour se revêtir de notre mortalité, Dieu élut et prévint un peuple choisi et très-noble, le plus admirable de tous ceux qui l’avaient précédé et qui devaient le suivre; et dans ce peuple une lignée illustre et sainte, dont le Verbe devait descendre selon la chair humaine. Je ne m’arrête pas à raconter cette généalogie de notre Seigneur Jésus-Christ, parce que cela n’est pas nécessaire et que les saints Évangélistes en font une assez ample mention . Je dis seulement, avec toutes les louanges que je puis rendre au Très-Haut, qu’il m’a découvert en plusieurs: occasions et en divers temps le grand amour qu’il porta à son peuple, les faveurs qu’il lui fit et les mystères qu il renfermait, comme ils ont ensuite été manifestés en sa sainte Église, sans que celui qui s’était constitué défenseur et protecteur d’Israël, ait jamais discontinué ses soins.

145. Il suscita des prophètes et de très-saints patriarches qui nous devaient montrer et annoncer de loin ce que nous possédons présentement, afin que nous l’honorions, connaissant la grande estime qu’ils firent de la loi de grâce, et avec combien d’élans et d’ardeur ils la souhaitèrent et la demandèrent. Dieu manifesta à ce peuple son esprit immuable par plusieurs révélations, et ils nous le manifestèrent par les Écritures, qui renferment des mystères immenses que nous devions développer et contraire par la foi, le Verbe incarné les ayant tous accomplis et autorisés, nous laissant par là une doctrine fidèle et assurée, et l’aliment spirituel des Écritures saintes pour sou Église. Et bien que les prophètes et les justes de ce peuple n’aient pu jouir de la vue corporelle de Jésus-Christ, néanmoins le Seigneur leur fut très-libéral en se manifestant à eux par les prophéties et en excitant leurs affections, afin qu’ils sollicitassent sa venue et et qu’ils demandassent la rédemption de tout le genre humain. L’assemblage uniforme de toutes ces prophéties, de tous les mystères et de tous les soupirs des anciens Pères, étaient pour le Très-Haut une musique très-harmonieuse qui raisonnait au plus profond de son sein; de manière (qu’à notre façon de parler) il suspendait le temps, et ne laissait pas de le hâter pour descendre sur la terre et pour venir converser avec les hommes.

146. Sans me trop arrêter sur ce que le Seigneur m’en a fait connaître, et pour arriver aux préparations que je cherche et que ce Seigneur fit pour envoyer le Verbe humanisé et sa très-sainte Mère au monde, je les dirai succinctement, selon l’ordre des Écritures saintes. La Genèse contient ce qui regarde le commencement et la création du monde pour le genre humain; le partage des terres et des peuples, le châtiment et la restauration du genre humain, la confusion des langues, l’origine du peuple élu, sa descente en Égypte; et plusieurs autres grands mystères que Dieu déclara à Moïse, afin de, nous faire connaître par son moyen l’amour et la justice qu’il avait montrés dès le commencement aux hommes, pour les attirer à sa connaissance et à son service, et pour marquer ce qu’il avait déterminé de faire à l’avenir.

147. L’Exode contient les aventures du peuple élu, les plaies et les châtiments que Dieu envoya pour le racheter avec mystère, la sortie d’Égypte et le passage de la mer, la loi écrite donnée avec tant d’appareils et de merveilles; et plusieurs autres, mystères qu’il opéra pour son peuple, affligeant quelquefois ses ennemis et d’autres fois ce même peuple, châtiant les uns comme un juge sévère, corrigeant l’autre comme un très-bon père, lui enseignant à connaître ses bienfaits dans les afflictions. Il fit de grands prodiges par la verge de Moïise, qui figurait la croix, ou le Verbe incarné devait être l’agneau sacrifié pour le remède des uns et pour la ruine des autres , comme la verge l’était et le fut en la mer Rouge, défendant le peuple en élevant autour de lui des remparts d’eau, et y faisant périr les Égyptiens. Et ainsi il formait un tissu avec tous ces mystères de la vie des saints, mêlée de joies et de pleurs, de tristesse et de consolation; copiant avec une sagesse infinie et une providence admirable toutes ces mystérieuses vicissitudes, sur la vie et sur la mort prévue de notre Seigneur Jésus-Christ.

148. Dans le Lévitique on décrit et on ordonne plusieurs sacrifices et cérémonies légales pour apaiser Dieu, parce qu’ils signifiaient l’Agneau qui se devait sacrifier pour tous, et ensuite nous immoler avec lui à sa Majesté divine, lorsqu’il exécuterait dans le temps la vérité de ces sacrifices et de ces figures. Il déclare aussi les vêtements du souverain prêtre Aaron, figure de Jésus-Christ, quoiqu’il ne doive pas être d’un ordre si inférieur, mais selon l’ordre de Melchisédech .

149. Les Nombres contiennent les demeures du désert, figurant la conduite que le Père voulait garder avec la’ sainte Église, avec son Fils unique fait homme et avec la sacrée Vierge; et aussi avec les autres juges; car, selon les divers sens, ils sont tous renfermés dans ces événements de la colonne de feu, de la manne, de la pierre dont l’eau sortit, et de plusieurs autres grands mystères qu’ils contiennent en d’autres choses. Ils renferment aussi les mystères qui sont attachés aux divers nombres, contenant en tout de très-profonds secrets.

150. Le Deutéronome est comme une seconde loi, qui n’est pas différente, mais réitérée d’une autre manière, et une figure plus singulière de la loi évangélique; parce que l’incarnation du Verbe devant être différée (par les secrets jugements de Dieu et pour les raisons de convenance connues à sa divine sagesse), ce même Dieu renouvelait et préparait des lois qui eussent quelque, conformité avec celles qu’il devait ensuite établir par son Fils unique.

151. Josué introduit le peuple de Dieu en la terre de promission, et la lui distribue, ayant passé le Jourdain, faisant des actions héroïques et figurant assez clairement notre Rédempteur, tant en son nom qu’en ses œuvres; en quoi il représenta la destruction des royaumes que le démon possédait, et la séparation qui se fera des bons d’aveu les méchants au dernier jour.

152. Après Josué (le peuple avant déjà pris possession de la terre promise et désirée, qui représentait premièrement et singulièrement l’Église que Jésus-Christ s’était acquise par le prix de son sang), suit le livre des juges, que Dieu ordonnait pour la conduite de son peuple, particulièrement dans les guerres qu’il souffrait des Philistins et des autres ennemis ses voisins, pour ses péchés et ses idolâtries continuelles; mais il le protégeait et le délivrait quand il se convertissait à lui par la pénitence et par le changement de vie. On raconte dans ce livre ce que firent ces deux femmes fortes et vaillantes, Débora et Jabel, l’une jugeant le peuple et le délivrant d’une grande oppression; l’autre contribuant à la victoire qu’il remporta sur ses ennemis: toutes ces histoires étant des figures manifestes et des témoignages évidents de ce qui se passe dans l’Église.

153. En suite du livre des Juges, nous lisons ceux des Rois, que les Israélites demandèrent pour se conformer au gouvernement des autres peuples. Ces livres contiennent de grands mystères de la venue du Messiel a mort du grand prêtre Héli et celle du roi Saül signifient l’abrogation de la loi ancienne. Sadoc et David figurent le nouveau règne et la prêtrise de Jésus-Christ et l’Église, avec le petit nombre qu’il devait y avoir en comparaison du reste du monde. Les autres rois d’Israël et de Juda et leurs captivités dénotent d’autres grands mystères de cette sainte Église.

154. Dans ces temps vint le très-patient Job, dont les paroles sont si mystérieuses, qu’il n’y en a aucune sans quelque profond mystère de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ, de la résurrection des morts et du jugement dernier, en la même chair que chaque homme aura eue dans le monde; de la violence, des ruses et des attaques du démon. Et surtout Dieu le proposa à tous les mortels comme un miroir de patience, afin que nous apprissions tous par ses exemples comment nous devons souffrir les afflictions après la mort de Jésus-Christ, que nous avons présente, puisque, avant quelle arrivât et le prévoyant de si loin, ce saint l’imita avec tant de patience.

155. Mais en la grande multitude des prophètes que Dieu envoya à son peuple pendant le règne de ses rois, car il en avait alors un plus grand besoin, il se trouve tant de mystères, que le Très-Haut n’en laissa aucun de ceux qui regardent la venue du Messie et sa loi,, qu’il ne lui révélât et déclarât, ayant tenu la même conduite avec les anciens pères et patriarches, quoique d’une manière plus éloignée. Et tout cela n’aboutissait qu’à multiplier les représentations et les images du Verbe incarné, lui préparer un peuple et figurer la loi qu’il devait établir.

156. Il mit en dépôt entre les mains des trois grands patriarches Abraham, Isaac et Jacob, de grands et de très précieux gages, pour pouvoir, s’appeler le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, voulant s’honorer de ce nom pour les honorer eux-mêmes, manifestant leur dignité, leurs excellentes vertus et les divins secrets qu’il leur avait confiés, afin qu’ils donnassent à Dieu un nom si honorable. Il éprouva le patriarche Abraham en lui commandant de sacrifier Isaac , pour faire cette représentation si claire de ce que le Père éternel devait faire avec son Fils unique. Mais quand ce père obéissant voulut exécuter le sacrifice, le même Seigneur qui l’avait ordonné l’en empêcha, afin que l’exécution d’une action si héroïque fût réservée au seul Père éternel, sacrifiant en effet son Fils unique, et qu’il fût dit qu’Abraham ne l’avait fait qu’en la seule menace; en quoi il parait que le zèle de l’amour divin fut fort comme la mort . Mais il n’était pas convenable qu’une figure si expresse restât imparfaite; c’est pourquoi elle fut achevée par le sacrifice qu’Abraham fit du bélier, qui figurait aussi l’Agneau qui devait ôter les péchés du monde .

157. Il montra à Jacob cette mystérieuse échelle chargée de divers secrets et de sens mystiques . Le plus grand fut qu’elle représentait le Verbe humanisé, qui est la voie et l’échelle par où nous montons au Père, duquel il descendit pour nous visiter; et par son moyen les anges qui nous éclairent et qui veillent à notre garde, montent et descendent, nous portant en leurs mains ; afin que nous ne soyons pas maltraités des pierres des erreurs, des hérésies et des vices dont le chemin de la vie mortelle est rempli; ne laissant pas de monter malgré ces obstacles en sûreté, par cette échelle avec la foi et l’espérance, depuis cette sainte Église, qui est la maison de Dieu et la porte du ciel et de la sainteté, jusqu’au lieu de notre bonheur.

158. Il montra à Moïse, pour le constituer dieu de Pharaon et chef de son peuple, ce buisson mystique qui était ardent sans se consumer , pour marquer en prophétie la personne divine cachée sous notre humanité, sans que l’humain dérogent au divin, et sans que le divin consumât ce qui était humain. Et outre ce mystère la virginité perpétuelle de la Mère du Verbe y était aussi figurée, non-seulement quant au corps, mais aussi quant à l’âme; car pour être fille d’Adam, revêtue et dérivée de cette nature embrasée du premier péché, elle n’en serait point souillée ni offensée.

159. Il fit aussi David selon le modèle de son cœur , afin qu’il pût dignement chanter les miséricordes du Très-Haut , comme il le fit, comprenant dans ses psaumes tous les mystères, non-seulement de la loi de grâce, mais aussi de la loi écrite et de la loi naturelle. Les témoignages, les jugements et les œuvres du Seigneur n’étant pas seulement en sa bouche, mais en ayant aussi le cœur pénétré pour les méditer jour et nuit . Et par le pardon qu’il fit des injures, il fut une vive image ou figure de Celui qui devait pardonner les nôtres; c’est pourquoi il reçut les plus claires et les plus assurées promesses de la venue du Rédempteur du monde.

160. Salomon, roi pacifique, et en cela figure du véritable Roi des rois, fit éclater sa sagesse en manifestant par diverses écritures les mystères de Jésus-Christ, singulièrement dans la métaphore des Cantiques, où il renfermait les mystères du Verbe incarné, de sa très-sainte Mère, de l’Église et des fidèles. Il enseigna aussi en différentes manières la morale pour régler les mœurs, et plusieurs autres écrivains ont reçu dé cette fontaine les eaux de vérité et de vie.

161. Mais qui pourra dignement exagérer le bienfait du Seigneur, d’avoir tiré de son peuple la glorieuse troupe de ses saints prophètes, auxquels la Sagesse éternelle a abondamment élargi la grâce de prophétie, éclairant son Église par tant de flambeaux, qui commencèrent de nous montrer de fort loin le Soleil de justice et les rayons qui devaient rejaillir de ses œuvres en la loi de grâce? Les deux grands prophètes Isaïe et Jérémie furent choisis pour nous annoncer, avec autant de douceur que de force, les mystères de l’incarnation du Verbe, de sa naissance, de sa vie et de sa mort. Isaïe nous promit qu’une vierge concevrait et enfanterait, et nous donnerait un fils qui s’appellerait Emmanuel , et qu’un petit enfant naîtrait pour nous, qui porterait son empire sur ses épaules , annonçant avec tant de clarté tout ce qui reste de la vie de Jésus-Christ, que sa prophétie parut un évangile. Jérémie déclara la nouvelle merveille que Dieu devait opérer dans une fille, qu’elle aurait en son sein un fils, qui seul pouvait être le Christ, Dieu et homme parfait . Il annonça qu’il serait vendu, il décrivit sa passion, ses opprobres et sa mort. La réflexion que je fais sur ces prophètes me remplit d’admiration. Isaïe demande que le Seigneur envoie de la pierre du désert au mont de la fille de Sion , l’Agneau qui doit dominer le monde, parce que cet Agneau, qui est le Verbe incarné, était, quant à la divinité, au désert du ciel, qui est ainsi appelé à cause qu’il n’y avait point encore d’hommes. Et il s’appelle pierre à cause de la situation, de la fermeté et du repos éternel dont il jouit. Le mont où il demande qu’il vienne est, au sens mystique, la sainte Église, et premièrement la très-sainte Vierge, fille de la vision de paix, qui est Sion. Et le prophète l’interpose pour médiatrice pour obliger le Père éternel d’envoyer l’Agneau son Fils unique, parce qu’il n’y avait personne dans tout le reste du genre humain qui pût l’obliger si fort f avancer l’incarnation, que le mérite d’une si excellente mère, qui devait avoir la gloire de revêtir cet Agneau de la peau et de la toison de sa très-sainte humanité: et c’est ce que contient cette très-douce prière et cette prophétie d’Isaïe.

162. Ézéchiel vit aussi cette mère vierge en la figure ou métaphore de cette porte fermée, qui ne devait être ouverte que pour le seul Dieu d’Israël, et par laquelle aucun, autre homme n’entrerait. Habacuc contempla notre Seigneur Jésus-Christ en la croix, et prophétisa par de profonds discours les mystères de la rédemption et les effets admirables de la passion et de la mort de notre Rédempteurs Joël St la description de la terre des douze tribus, figure des douze apôtres qui devaient être chefs de tous les enfants de’ l’Église. Il annonça aussi la venue du Saint-Esprit sur les serviteurs et les servantes du Très-Haut, marquant le tempe de la venue et de la vie de Jésus-Christ. Tous les autres prophètes l’annoncèrent par différents endroits, parce que le Très-Haut voulut que tout ce qui concernait la rédemption du genre humain fût dit, prophétisé et figuré si longtemps auparavant et si copieusement, que toutes ces œuvres admirables pussent rendre témoignage de l’amour et, du soin que Dieu eut pour les hommes, et combien il prétendait d’enrichir son Église, ôter à notre tiédeur et à notre lâcheté toute d’excuses, puisque pour les seules ombrés et figures, ces anciens pères et prophètes furent enflammés de l’amour divin, et rendirent au seigneur des cantiques de louange et de gloire; et nous, qui nous trouvons dans la vérité et dans le beau jour de la grâce, sommes ensevelis dans un oubli criminel de tant de bienfaits, et abandonnons la lumière pour chercher les ténèbres.

La cité mystique de Dieu – Chapitre X

Qui continue l’explication du chapitre douzième de l’Apocalypse.

120. Malheur à vous, terre et mer, car le diable est descendu vers vous dans une grande colère, sachant qu’il ne lui reste que peu de temps . Malheur à la terre, où tant de péchés et de méchancetés innombrables se doivent commettre! Malheur à la mer de ce que de telles offenses de son Créateur se commettant à sa vue, elle n’a pas rompu ses barrières pour inonder et noyer, les transgresseurs, vengeant les injures de son Seigneur! Mais malheur à la mer profonde et endurcie en méchanceté de ceux qui ont suivi ce diable, qui est descendu vers vous pour vous faire la plus cruelle et la plus inouïe de toutes les guerres! Sa rage est celle du plus fier des dragons, et surpasse celle d’un lion dévorant ; car il prétend anéantir toutes choses, et il lui semble que tons les siècles sont courts pour exécuter son courroux. Telle est la, soif et l’avidité insatiable qu’il a de nuire aux mortels; car tout le temps de leur vie ne lui suffit pas, parce qu’elle doit finir, et sa fureur souhaiterait des temps éternels, s’ils étaient possibles, pour faire la guerre aux enfants de Dieu. Et surtout la colère qu’il a contre cette heureuse femme qui lui doit écraser la tète est implacable. C’est pourquoi l’évangéliste ajoute

121. Quand donc le dragon eut vu qu’il était rejeté en terre, il persécuta la femme qui avait enfanté le Fils . Quand le serpent ancien eut vu le lieu et l’état très-malheureux ce il était tombé, ayant été lancé du ciel empyrée, il brillait d’une plus grande fureur et d’une plus cruelle envie, se rongeant comme une vipère les entrailles. Il conçut une telle indignation contre cette femme, Mère du Verbe humanisé, qu’il surpassa tout ce qui s’en peut dire et concevoir. Il s’en découvre néanmoins quelque chose par ce qui arriva immédiatement après que ce dragon fut précipité dans les enfers avec ses troupes de méchancetés, que je raconterai ici le mieux qu’il me sera possible et selon que l’intelligence me l’a manifesté.

122. Pendant toute la première semaine dont la Genèse fait mention, en laquelle Dieu s’appliquait il la création du monde et de ses créatures, Lucifer et les démons s’occupèrent à conférer ensemble pour inventer des méchancetés contre le Verbe qui se devait humaniser, et contre la femme dont il devait naître. Le premier jour, qui répond au dimanche, les anges furent créés, il leur fat donné une loi et des préceptes sur ce en quoi ils devaient obéir; les mauvais y furent désobéissants et transgressèrent les commandements du Seigneur, et par la disposition de la divine Providence toutes les choses susdites arrivèrent jusqu’au matin du second jour, qui répond su lundi, auquel Lucifer et tous ceux de son parti furent précipités dans l’enfer. Ces stations, ces demeures ou ces intervalles des anges, de leur création, opérations, bataille et chuté, ou glorification, répondirent à cet espace de temps. Dans l’instant que Lucifer et ses associés eurent fait leur première et funeste entrée dans l’enfer, ils y tinrent un conciliabule, qui dura jusqu’au jour qui répond su matin du jeudi. Lucifer employa pendant ce temps-là tout son savoir et toute sa malice diabolique à conférer avec les démons sur les moyens qu’ils pourraient trouver pour offenser Dieu davantage et se venger du châtiment dont il les avait punis. Leur conclusion fut que, comme ils connaissaient que Dieu devait aimer tendrement les hommes, la plus grande vengeance qu’ils en pourraient avoir et la plus grande injure qu’ils lui pourraient faire, serait d’empêcher les effets de cet amour, en trompant, persuadant et incitant autant qu il leur serait possible les mêmes hommes à perdre l’amitié et la grâce de Dieu, à lui être ingrats et rebelles à sa volonté.

123. «Nous devons travailler à y réussir (disait Lucifer), et employer pour cela toutes nos forces, tous nos soins et toute notre science; nous soumettrons, les hommes à notre loi et à notre volonté pour les détruire; nous persécuterons la nature humaine et la priverons de la récompense qui luit a été promise. Procurons fortement qu’ils n’arrivent point à voir la face de Dieu, puisque nous en avons été privés injustement. Je dois remporter de grands triomphes sur eus, je les détruirai et je les réduirai à ma volonté.. Je sèmerai de nouvelles doctrines, des erreurs et des lois entièrement contraires à celles du Très-Haut. Je choisirai et j’élèverai parmi ces hommes des prophètes et des chefs de nouveautés, qui répandront les doctrines; que je sèmerai parmi eux ; et pour me venger de leur Créateur, je les placerai ensuite avec moi dans ce profond tourment. J’affligerai les pauvres, j’opprimerai les affligés et je persécuterai les humbles; je sèmerai des discordes, je causerai des guerres, je susciterai des dissensions, et je formerai des superbes et des téméraires: je prolongerai la loi du péché, et quand ils s’y seront soumis, je les ensevelirai dans ce feu éternel; et ceux qui me seront les plus fidèles seront les plus tourmentés. Et c’est en cela que consistera mon royaume et la récompense de mes serviteurs.

126. «Je ferai une cruelle guerre au Verbe incarné, bien qu’il soit Dieu, puisqu’il sera homme aussi, d’une nature inférieure à la mienne. J’élèverai mon trône au-dessus du sien et ma dignité au-dessus de la sienne, je le vaincrai et l’abattrai par ma puissance et par mes ruses; la femme qui doit être sa Mère périra par mes mains. Comment une seule femme pourra-t-elle résister à ma puissance et nuire à ma grandeur? Et vous, ô démons! qui êtes insultés avec moi, suivez-moi et m’obéissez en cette vengeance, comme vous l’avez fait dans la désobéissance. Feignez d’aimer les hommes, pour les perdre, et de les servir, pour les détruire et les tromper; vous les assisterez pour les pervertir et les mener dans mes enfers.» Il n’est pas possible d’exprimer la malice et la fureur de ce premier conciliabule que Lucifer tint dans l’enfer contre le genre humain, qui n’était point encore, mais parce qu’il devait être. Tous les vices et tous les péchés du monde y furent inventés, le mensonge, les sectes et les erreurs en sortirent; toute sorte d’iniquités reçut son origine de ce chaos et de cette assemblée abominable; et tous ceux qui pratiquent le mal sont les esclaves de ce prince des ténèbres.

125. Ce conciliabule étant achevé, Lucifer désira de parler à Dieu, et sa Majesté lui en donna la permission par ses jugements profonds. Cela arriva de la manière dont Satan parla quand il demanda le pouvoir de tenter Job ; puis arriva le jour qui répond au jeudi; et il dit au Très-Haut: a Seigneur, puisque votre main m’a été si pesante, me punissant avec tant dé cruauté, et que vous avez déterminé tout ce qu’il vous a plu en faveur des hommes que vous voulez créer, voulant si fort agrandir et élever le Verbe incarné, et enrichir avec lui la femme qui doit être sa Mère par tous es dons que vous lui destinez soyez donc équitable et juste, et puisque vous m’avez donné la permission de persécuter les autres hommes, donnez-la-moi aussi de pouvoir tenter ce Christ Dieu et homme et la femme dont il doit naître et leur faire la guerre. Donnez-moi permission d’y employer tontes mes forces.» Lucifer tint alors d’autres discours, et il s’humilia à demander cette licence (l’humilité étant si fort opposée à son orgueil), parée que la rage et le désir démesuré qu’il avait d’obtenir ce qu’il souhaitait étaient si grands, qu’ils firent plier son orgueil, une méchanceté cédant à une autre; car il connaissait qu’il ne pouvait rien entreprendre sans la permission du Tout-Puissant. Et il se serait humilié une infinité de fois pour pouvoir tenter notre Seigneur Jésus-Christ, et singulièrement sa très-sainte Mère, appréhendant qu’elle ne lui écrasât la tête.

126. Le Seigneur lui répondit: «Tu ne dois pas, Satan, par justice, demander cette permission; car le Verbe incarné est ton Dieu, ton Seigneur toutes puissant et ton Souverain, quoiqu’il doive être a homme véritable tout ensemble, et tu n’es que sa a créature. Que si les autres hommes pèchent et que tu les soumettes par leurs péchés à ta volonté, il n’est pas possible que tu trouves le péché en mon Fils unique incarné. Si les hommes deviennent par ton moyen esclaves du péché, le Christ doit être saint, juste et séparé des pécheurs , qu’il rachètera et relèvera s’ils tombent. Cette femme contre qui tu es si fort enragé, quoiqu’elle soit une pure créature et fille d’un pur homme, sera néanmoins par ma détermination préservée du péché, et elle a sera toujours toute mienne; et je ne veux pas que par aucun titre et par aucun droit tu aies jamais sur elle aucun pouvoir.»

127. A, quoi Satan repartit: «Quel mérite et quelle sainteté si singulière trouvera-t-on en cette femme si elle ne doit jamais avoir aucun ennemi qui la persécuté et qui l’incite au péché? Cela n’est nullement de l’équité ni de la droite justice, et ne peut être ni raisonnable, ni louable.» Lucifer ajouta plusieurs autres blasphèmes avec un orgueil téméraire. Mais le, Très-Haut, qui dispose tout avec une sagesse infinie, lui répondit: «Je te permets de tenter le Christ, car il sera en ceci le modèle et le maître des autres. Je te permets aussi de persécuter cette à femme, mais tu ne la toucheras pas en sa vie naturelle, ne voulant pas en ceci exempter le Christ u et sa Mère, mais au contraire je consens que tu lés a tentes comme les autres.» Le dragon fut plus satisfait de cette permission que de toutes celles qu’il avait reçues de persécuter tous lés hommes en général; et il détermina d’y porter un plus grand soin dans l’exécution (comme il fit en effet), qu’en aucun autre de ses ouvrages, et dune se fier en cela à aucun autre démon, mais d’en prendre lui-même le soin. Et c’est pourquoi l’évangéliste continue:

128. Le dragon persécuta la femme qui avait enfanté le Fils: parce qu’en ayant obtenu la permission du Seigneur, il combattit d’une manière inouïe et persécuta celle qu’il s’imaginait pouvoir être la Mère de Dieu incarné. Et parce que je dirai en son lieu quels furent ces essais et ces combats, je dis seulement ici qu’ils furent au-dessus de toute imagination humaine. La manière d’y résister et de les vaincre avec tant de gloire fut aussi admirable, puisqu’il est dit que pour se défendre du dragon: Il lui fut donné deux ailes d’un grand aigle, afin quelle s’envolât dans le désert en son lieu, où elle est nourrie pendant un temps et des temps . La très-sainte Vierge reçut ces deux ailes avant que, d’entrer en ce combat, car le Seigneur la prévint par des dons et des faveurs particulières. L’une des ailes fut une science infuse qu’elle reçut de nouveau des plus grands mystères et des secrets divins. L’autre fut une nouvelle et très-profonde humilité, comme je l’expliquerai dans la suite. Elle s’envola avec ces deux ailes vers le Seigneur, comme vers son centre, car elle ne vivait et n’opérait qu’en lui seul. Elle vola comme un sigle royal, sans jamais se tourner du côté de l’ennemi, étant la seule en ce vol, vivant dans un lieu désert de tout ce qui est créé et terrestre, et seule avec la seule Divinité, sa dernière fin. Dans cette solitude, elle fut nourrie pendant un temps et des temps; nourrie de la très-douce manne et de l’aliment de la grâce et des paroles divines; et fortifiée par les faveurs du bras du Tout-Puissant, pour un temps et par des temps; parce qu’elle reçut durant sa vie cette nourriture, et principalement dans ce temps auquel elle soutint les plus grands efforts de Lucifer, car elle fut alors secourue par des faveurs plus grandes et plus proportionnées. Pour un temps et par des temps s’explique aussi de cette félicité éternelle où toutes ses victoires furent récompensées et couronnées.

129. Et la moitié d’un temps hors de la présence du serpent . Cette moitié de temps fut celui que la très-sainte Vierge vécut sur la terre, délivrée de la persécution du dragon et de; sa présence; car, après l’avoir vaincu dans les combats qu’elle eut avec lui par la disposition divine, elle en fut délivrée comme victorieuse. Et ce privilège lui fut accordé, afin qu’elle jouit de la paix et du calme qu’elle avait mérité étant victorieuse de l’ennemi, comme je le dirai ci-après. Mais l’évangéliste dit que, pendant que la persécution dura, le serpent jeta de sa gueule après la femme comme un fleuve d’eau, afin qu’elle fût emportée parle courant mais la femme fut secourue par la terre, qui s’ouvrit et engloutit le fleure que le dragon avait jeté . Lucifer exerça toute sa malice et toutes ses forces contre cette divine Reine, et lui en donna les prémices, parce que tous ceux qui en ont été tentés lui étaient moins importants que la seule Marie. Et les tromperies, les méchancetés et les tentations sortaient avec plus de violence de la gueule de ce dragon coutre elle, que les eaux impétueuses d’un fleuve précipité ne courent dans leurs abîmes. Mais la terre lui fut favorable, parce que la terre de son corps et de ses passions ne fut point maudite, et n’eut aucune part ù cette sentence ni au châtiment que Dieu fulmina contre nous en Adam et Ève, que notre terre serait maudite, et qu’elle produirait des épines au lieu de fruits , restant blessée en sa nature par l’aiguillon du péché, qui nous pique et nous contrarie toujours, et dont le démon se sert pour perdre les hommes, car il trouve en nous ces armes si fortes et si puissantes contre nous-mêmes; et, se prévalant de nos propres inclinations, il nous entraîne par des charmes trompeurs, par des plaisirs apparents et par ses fausses persuasions, après les objets sensibles et terrestres.

130. Mais la très-pure Marie, qui fut une terre sainte et bénie du Seigneur, sans aucune atteinte de ce fatal aiguillon ni d’aucun autre effet du péché, était si assurée en la terre, qu’elle n’en pouvait recevoir aucun dommage; au contraire, elle fût favorisée par ses inclinations très-bien réglées et entièrement soumises à la raison et à la grâce. Ainsi elle s’ouvrit pour engloutir le fleuve des tentations que le dragon lui vomissait inutilement, car il n’y trouva pas la matière disposée ni aucun penchant au péché, comme il arrive aux autres enfants d’Adam, dont les passions dépravées et terrestres aident plutôt à grossir ce fleuve qu’à le tarir, parce que nos passions et notre nature corrompue s’opposent toujours à la raison et à la vertu. Le dragon connaissant combien ses prétentions étaient inutiles contre cette mystérieuse femme, il est ajouté:

131. Ce qui anima le dragon contre la femme; et il s’en alla faire la guerre aux autres de sa génération qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus-Christ . Ce grand dragon ayant été entièrement vaincu par la glorieuse Reine de tout ce qui est créé, s’en alla pour éviter la confusion du nouveau tourment que lui et tout l’enfer devaient recevoir de sa,témérité, et se détermina de faire une cruelle guerre aux autres âmes de la même espèce et génération que la très-sainte Vierge, qui sont les fidèles marqués en leur baptême du caractère et du sang de Jésus-Christ pour garder ses témoignages. Car Lucifer et ses mous tournèrent toute leur rage avec plus de violence contre la sainte Église et contre ses membres, quand ils virent qu’ils ne pouvaient rien gagner contre notre Seigneur Jésus-Christ leur chef, ni contre sa très-sainte Mère, s’attachant singulièrement à faire la guerre avec une indignation particulière aux vierges consacrées à Jésus-Christ, et faisant tout leur possible pour détruire cette vertu de chasteté virginale, comme une semence choisie, et comme les précieux gages de la très-chaste Vierge et Mère de l’Agneau. C’est pourquoi l’Évangéliste dit, en achevant le chapitre, que:

132. Le dragon s’arrêta sur le sablon de la mer , qui est la vanité méprisable de ce monde, dont le dragon se nourrit et la broute comme de l’herbe. Tout ceci se passa dans le ciel, et -plusieurs choses furent manifestées aux anges dans les décrets de la volonté divine touchant les privilèges qui s’y préparaient pour la Mère du Verbe, dans le sein de laquelle il devait se faire homme. Je n’ai pas bien pu déclarer tout ce que j’en ai découvert; car je suis devenue plus pauvre par l’abondance des mystères, et les termes me manquent pour les exprimer.

La cité mystique de Dieu – Chapitre IX

Qui poursuit l’explication du chapitre douzième de l’Apocalypse.

106. Il se donna une grande bataille dans le ciel Michel et ses anges combattaient contre le dragon, et le dragon combattait, et ses anges. Le Seigneur ayant manifesté ce qu’il fut dit aux bons et aux mauvais anges, le prince saint Michel et ses compagnons combattirent par la permission divine avec le dragon et ses sectateurs. Et cette bataille fut admirable, parce qu’ils combattaient avec leurs entendements et leurs volontés. Saint Michel, avec le zèle de l’honneur de Dieu, dont son cœur était enflammé, et orné de son pouvoir divin et de sa propre humilité, résista à l’orgueil insolent du dragon, et lui dit: «Le Très-Haut est digne d’honneur, de louange et de respect, d’être aimé, craint et obéi de toutes les créatures; il peut opérer tout ce qui lui plaira, il ne peut rien vouloir qui ne soit très juste; c’est lui qui est incréé et indépendant de tout autre être; qui nous a donné gratuitement celui que nous avons, en nous créant et nous tirant du néant, et qui peut créer d’autres créatures selon son bon plaisir. Il est raisonnable que, prosternés et humiliés devant cet Être digne d’un infini respect, nous adorions sa majesté et ses grandeurs royales. Venez donc, anges! suivez-moi, adorons-le, louons ses secrets et ses admirables jugements, ses œuvres très-parfaites et saintes. Il est Dieu, très-élevé et au-dessus de toutes les créatures; et il ne le serait pas si nous pouvions pénétrer et comprendre ses merveilleux ouvrages. Il est infini en sagesse et en bonté, riche en ses trésors et en ses bienfaits; il peut, comme Seigneur de toutes choses, qui n’a besoin de personne, les communiquer à qui lui plaira, ne pouvant errer en son choix. Il peut aimer, et se donner à ceux qu’il aime, aimer qui lui plaira, élever, créer et enrichir ce qui lui sera le plus agréable; et il sera en toutes ses ouvres sage, saint et puissant. Adorons-le donc avec actions de grâces, pour le grand ouvrage de l’incarnation qu’il a déterminé, pour les faveurs qu’il prétend faire à son peuple, et pour sa réparation en cas qu’il vienne à tomber. Adorons ce suppôt des deux natures, la divine et l’humaine; recevons-le pour notre chef; avouons qu’il est digne de toute a gloire, louange et magnificence; et reconnaissons en lui la vertu et la divinité, comme auteur de grâce et de la gloire.»

107. Saint Michel et ses anges se servaient de ces armes comme de foudres invincibles, et combattaient le dragon et les siens, qui se défendaient par des blasphèmes. Car ne pouvant résister à la vue de ce prince céleste, il enrageait dans sa fureur, et par le tourment qu’il ressentait, il aurait bien voulu fuir. Mais la volonté divine ordonna que non-seulement il serait puni, mais qu’il serait aussi vaincu, et qu’il connaîtrait malgré lui la vérité et le pouvoir de Dieu, quoiqu’il dit en blasphémant: «Dieu est injuste d’élever la nature humaine au-dessus de l’angélique. Je suis le plus beau et le plus excellent de a tous les anges, et c’est pour cela que le triomphe m’est cil. Je mettrai mon trône au-dessus des a étoiles, je serai semblable au Très-Haut , et je ne me soumettrai à aucun qui soit d’une nature inférieure à la mienne, ni je ne consentirai jamais que personne me précède ni soit plus grand que moi.» Les anges apostats, complices de Lucifer, répétaient la même chose. Mais saint Michel lui repartit: «Qui est celui qui pourra s’égaler et se comparer au Seigneur, qui habite les cieux? Tais-toi, ennemi de tout bien, et arrête tes horribles blasphèmes; et puisque l’iniquité t’a possédé, sépare-toi de nous, malheureux, et marche avec ton ignorance aveugle et ta méchanceté dans la nuit ténébreuse, et au chaos des peines infernales. Et nous, O esprits du Seigneur, adorons et honorons cette heureuse femme qui doit donner chair humaine su Verbe éternel, et reconnaissons-la pour notre Reine et notre Maîtresse.»

108. Ce grand signe de la Reine servait de bouclier et d’armes offensives aux bous anges qui combattaient contre les mauvais, car à sa vue les raisons et les résistances de Lucifer perdaient leurs forces; et il était troublé et comme consterné, ne pouvant supporter les secrets mystérieux qui étaient représentés en ce signe. Et comme ce signe mystérieux avait paru par la vertu divine, sa Majesté voulut que l’autre figure ou signe du dragon roux parût aussi, et qu’il fût en ce signe honteusement précipité du ciel avec effroi, avec terreur de ses sectateurs et avec admiration des anges confirmés; car tout cela fut causé par cette nouvelle démonstration du pouvoir et de la justice divine.

109. Il est difficile d’exprimer par nos faibles paroles ce qui se passa dans cette mémorable bataille, à cause du peu de proportion qu’il y a de nos raisonnements matériels avec la nature et les opérations relevées de ces nobles esprits angéliques. Mais les mauvais ne furent pas les plus forts , parce que l’injustice, le mensonge, l’ignorance et la malice ne sauraient prévaloir à l’équité, à la vérité, à la lumière et à la bonté; ni ces vertus né peuvent être vaincues par les vices. Et pour cette raison saint Jean dit que dès lors leur place ne se trouva plus dans le ciel. Ces anges ingrats se rendirent indignes par les péchés qu’ils commirent, de la vue éternelle et de la compagnie du Seigneur; et leur mémoire fut rayée de son entendement, où ils étaient, avant que de tomber, comme écrits parles dons de grâce qu’il leur avait donnés; et comme ils furent privés du droit qu’ils avaient aux lieux qui leur étaient destinés s’ils eussent obéi, ce droit fut transporté aux hommes, et leurs places leur furent destinées, les vestiges des anges apostats restant si fort effacés qu’ils ne se trouvèrent plus au ciel. O méchanceté malheureuse, et jamais trop exagéré malheur, digne d’une punition si épouvantable et si formidable! Il ajoute et dit:

110. Et ce grand dragon, ce serpent ancien appelé diable et Satan, qui séduit tout le monde, fut précipité; et il fut jeté en terre, et ses anges le furent avec lui . Le prince saint Michel précipita du ciel Lucifer changé en dragon, avec cette parole invincible: Qui est égal à Dieu? qui fut si efficace, qu’elle eut le pouvoir d’abattre ce superbe géant et toutes ses troupes, et de les foudroyer avec une horrible infamie pour eux, aux plus bas lieux de la terre; celui-là commençant de recevoir avec son malheur et sa punition, les nouveaux noms de dragon, de serpent, de diable et de Satan, que le saint archange lui donna dans cette bataille, et, qui découvrent son iniquité et sa malice., qui l’ayant privé de la félicité et de l’honneur dont il s’était rendu indigne, le privèrent aussi des noms et des titres honorables, et lui procurèrent ceux qui déclarent son infamie. La méchante proposition et l’injuste commandement qu’il fit à ses confédérés de tromper et, de pervertir tous les mortels, publient assez son iniquité. Mais le mal qu’il se proposait de faire à tout le genre humain, l’accompagna dans les enfers, et, comme dit lame en son chapitre quatorzième, su profond du lac, où son cadavre fut livré au ver dévorant de sa mauvaise conscience, tout ce que le prophète dit en cet endroit se trouvant accompli en Lucifer.

111. Le ciel demeura purgé des mauvais anges, et le voile qui couvrait la Divinité fut ôté pour la gloire et le bonheur des bons et obéissants; ceux-ci restèrent triomphants et glorieux, et les rebelles châtiés en même temps. L’évangéliste poursuit qu’il ouit une grande voix dans le ciel disant: Maintenant le salut, la force, le règne de notre Dieu et la puissance de son Christ sont assurés; car l’accusateur de nos frères qui les accusait devant la face de notre Dieu jour et nuit, est rejeté . Cette voix que l’évangéliste ouït fut celle de la personne du Verbe, que tous les anges fidèles entendirent; et ses échos arrivèrent jusque dans l’enfer, où ils firent trembler et transir les malheureux exilés, quoiqu’ils n’y pénétrassent pas tous ses mystères, mais seulement ce que le Très-Haut leur voulut manifester pour leur peine et leur punition. Ce fut la vois du Fils au nom de l’humanité qu’il devait prendre, demandant au Père éternel que le salut, la force, le règne de sa Majesté et la puissance du Christ se fissent; parce que l’accusateur des frères du même Christ, notre Seigneur, qui étaient les hommes, venait d’être rejeté. Et ce fut comme une, requête faite devant le trône de la très-sainte Trinité en faveur du salut et de la force; afin que les mystères, de l’incarnation et de la rédemption fussent confirmés contre l’envie et la fureur de Lucifer, qui était descendu du ciel tout irrité contre la nature humaine dont le Verte se devait revêtir. C’est pourquoi il les appela par un amour souverain et une compassion tendre, frères; il dit que Lucifer les accusait jour et nuit, parce qu’il les accusa en présence du Père éternel et de toute la très-sainte Trinité, au jour qu’il jouissait de la grâce, commençant dès lors de nous mépriser par son orgueil; et ensuite il nous accuse avec bien plus de rage dans la nuit de ses ténèbres et de notre chute, sans que cette accusation et cette persécution cessent jamais, tant que le monde durera. Et il appela force, puissance et règne, les œuvres et les mystères de l’incarnation et de la mort de Jésus-Christ, car tout cela s’y trouva; et la force et la puissance s’y manifestèrent contre Lucifer.

112. Ce fut la première fois que le Verbe intercéda au nom de l’humanité pour les hommes devant le trône de la Divinité; et à notre façon de concevoir, le Père éternel conféra sur cette demande avec les personnes de la très-sainte Trinité; et manifestant en partie aux anges bienheureux le décret que le divin consistoire avait formé sur ces mystères, il leur dit: «Lucifer a élevé les étendards de l’orgueil et du péché, il poursuivra avec toute sorte d’iniquité et de fureur le genre humain, il en pervertira plusieurs par sa malice, se servant des mènes hommes pour détruire les hommes, et par l’aveuglement que les péchés et les vices leur causeront, ils prévariqueront en divers temps avec une ignorance dangereuse; mais l’orgueil, le mensonge et toutes sortes de péchés et de vices sont infiniment éloignés de notre être et de notre volonté. Élevons donc le triomphe de la vertu et de la sainteté; que la seconde personne s’incarne et qu’elle soit passible peur cet effet; qu’elle enseigne et rende recommandable l’humilité, l’obéissance et toutes les vertus; qu’elle opère le salut des mortels, et que cette personne étant Dieu véritable, s’humilie et devienne le moindre de tous; qu’il soit homme juste, le modèle et le maure de toute sainteté, et qu’il meure pour le salut de ses frères. Que la seule vertu soit reçue à notre tribunal, comme celle qui triomphe toujours des vices. Élevons les humbles, et humilions les superbes; faisons que les travaux et ceux qui les souffriront soient glorieux à notre bon plaisir. Déterminons d’assister les affligés et les persécutés , et que nos amis soient corrigés et affligés; qu’ils acquièrent par ces moyens notre grâce et notre amitié, et qu’ils opèrent aussi leur salut selon leur pouvoir, en pratiquant la vertu. Que ceux qui pleurent soient bienheureux; que les pauvres et ceux qui souffrent pour la justice et pour Jésus-Christ leur chef, soient heureux; que les humbles a soient exaltés, et les doux de cœur élevés. Aimons les pacifiques comme nos enfants. Que ceux qui pardonneront, souffriront les injures et aimeront leurs ennemis, nous soient très-chers . Préparons-leur à tous une abondance de fruits, de bénédictions de notre grâce, et le prix d’une gloire éternelle dans le ciel. Mon Fils inique établira cette doctrine, et ceux qui la suivront seront nos élus et nos bien-aimés , consolés et récompensés; et leurs bonnes œuvres seront conçues dans notre entendement comme cause première de toute vertu Permettons aux méchants d’opprimer les bons et de coopérer à leur couronne, pendant qu’ils méritent pour eux-mêmes des punitions. Qu’il arrive des scandales à l’égard des bons; que celui qui les cause soit malheureux , et bienheureux celui qui les reçoit. Que les enflés d’orgueil, les grands et les puissants affligent, blasphèment et oppriment les humbles, les faibles et les pauvres; et que ceux-ci, au lieu de malédictions, leur donnent des bénédictions ; qu’ils soient réprouvée des hommes durant leur vie mortelle, placés ensuite avec les bienheureux esprits angéliques nos enfants, et jouissent des places et des récompenses que les infortunés et les malheureux ont perdues. Que les obstinés et a les superbes soient condamnés à la mort éternelle, où ils connaîtront leur procédé imprudent et leur folle arrogance.»

113. «Afin que tous aient un véritable modèle et une grâce surabondante, s’ils en veulent faire leur a profit, que mon Fils descende passible pour réparer a et pour racheter les hommes (que Lucifer fera déchoir de leur état heureux), et relevons-les par ses a mérites infinis. Déterminons à présent que le salut soit fait, et qu’il y ait un Rédempteur et un Maître, qui mérite et enseigne, naissant et vivant pauvre , mourant méprisé et condamné par les hommes à une mort très-ignominieuse ; qu’il a soit réputé pour pécheur et coupable, et qu’il satisfasse à notre justice pour l’offense du péché ; et usons par ses mérites prévus de notre miséricorde et de notre clémence. Que tous sachent que l’humble, le pacifique, et celui qui pratiquera la vertu, qui souffrira et qui pardonnera, celui-là suivra notre Christ et sera notre fils. Que personne a ne pourra entrer par sa volonté libre dans notre royaume, si avant toutes choses il ne renonce à soi-même, et ne suit son chef et son maître en portant sa croix . Et celui-ci sera notre royaume, composé des parfaits qui auront légitimement travaille et combattu, persévérant jusqu’à la fin . Ceux-là participeront à la puissance de notre a Christ, qui vient d’Atre faite et déterminée, parce que l’accusateur de ses frères a été vaincu et rejeté: et son triomphe est fait; afin que les relevant et purifiant par son sang, il soit exalté et glorifié; car lui seul sera la voie, la lumière, la vérité et la vie , par lequel les hommes viendront à moi. Lui seul ouvrira les portes du ciel et le livre de la loi a de grâce, ; il sera médiateur et avocat des mortels , et ils auront en lui un père, un frère et un protecteur, puisqu’ils ont un persécuteur et un a accusateur. Et que les anges, qui comme nos fidèles x enfants ont aussi opéré le salut et la vertu, et défendu la puissance de mon Christ, soient couronnés et honorés en notre présence pendant toute l’éternité.»

114. Cette vois (qui contient les mystères cachés dès la constitution du monde , et manifestés par la doctrine et par la vie de Jésus-Christ) sortait du trône, et disait plus que je ne puis expliquer. C’est par elle que les commissions que les anges bienheureux devaient exercer leur furent intimées. Elle déclara à saint Michel et à saint Gabriel qu’ils seraient ambassadeurs du Verbe incarné et de Marie sa très-sainte Mère, et qu’ils seraient ministres de l’incarnation et de la rédemption; et plusieurs autres anges furent destinés avec ces deux princes pour le même ministère, comme je le dirai dans la suite de cet ouvrage. Le Tout-Puissant destina et commanda à d’autres anges d’accompagner et d’assister les âmes; de leur inspirer et enseigner la sainteté et les vertus contraires aux vices auxquels Lucifer avait proposé de les exciter; il leur enjoignit aussi de les défendre, de les garder et de les porter en leurs mains, afin que les justes ne bronchassent contre les pierres , qui sont les tromperies et les embûches que leurs ennemis leur devaient tendre.

115. Plusieurs autres choses furent décrétées en cette occasion, ou dans ce temps, auquel l’évangéliste dit que la puissance, le salut, la force et le règne de Jésus-Christ furent faits; mais ce qui s’y opéra mystérieusement fut que les prédestinés y furent déterminés, mis en un certain nombre, et écrits dans l’entendement divin, par les mérites prévus de notre Seigneur Jésus-Christ. O mystère, ô secret ineffable de ce qui se passa dans le sein de Dieu! O heureux sort pour les élus! Quel point si important, quel mystère si digne de la Toute-Puissance divine, et quel triomphe de la puissance de Jésus-Christ! Heureux mille et mille fois les membres qui furent déterminés et unis à un tel chef! O Église grande, peuple choisi et congrégation sainte, digne d’un tel prélat et d’un tel maître! En la considération d’un si haut mystère, tous les entendements créés s’abîment, mes raisonnements se suspendent, et ma langue devient muette.

116. Dans le consistoire des trois personnes divines ce livre mystérieux de l’Apocalypse fut donné, et comme consigné au Fils unique du Père éternel, ayant été pour lors composé, signé, et scellé avec les sept sceaux dont l’évangéliste fait mention , jusqu’à ce qu’il prit chair humaine, et qu’il l’ouvrît en décachetant par son ordre les sceaux avec tous les mystères qu’il opéra dès sa naissance, pendant sa vie et en sa mort. Ce que le livre contenait était tout ce que la très-sainte Trinité décréta depuis la chute des anges, et qui appartient à l’incarnation du Verbe, à la loi de grâce, aux dix commandements, et aux sept sacrements, à tous les articles de la foi, à ce qu’ils contiennent, à l’ordre et à la disposition de toute l’Église militante, donnant puissance au Verbe, afin que s’étant incarné, il communiquât comme souverain prêtre et saint pontife le pouvoir et les dons nécessaires aux apôtres, aux autres prêtres et ministres de cette Église.

117. La loi évangélique tira de là son principe mystérieux. Dans ce trône et consistoire très-secret fut établi et écrit dans l’entendement divin, que ceux qui garderaient cette loi seraient écrits au livre de vie. De là sortirent les pontifes et les prélats, de même que leurs titres de successeurs ou vicaires du Père éternel. Les débonnaires, les pauvres, les humbles: et toua les justes n’ont point d’autre principe que sa Majesté, qui fut et qui est leur très-noble origine; ce qui nous fait dire que qui obéit aux supérieurs obéit à Dieu, et qui les méprise le méprise aussi . Tout ceci fut décrété dans les idées et dans l’entendement divins. On y donna à notre Seigneur Jésus-Christ la puissance d’ouvrir en son temps ce livre, qui fut fermé et scellé jusqu’alors. Et en attendant, le Très-Haut donna son Testament et les témoignages de ses paroles divines en la loi naturelle et écrite, par des œuvres mystérieuses manifestant aux patriarches et aux prophètes une partie de ses secrets.

118. Il dit que par ces témoignages et par le sang de l’Agneau: Les justes le vainquirent ; car quoique le sang de notre Rédempteur Jésus-Christ fût suffisant et surabondant pour rendre tous les mortels vainqueurs du dragon leur accusateur; que les témoignages et les paroles infaillibles de ses prophètes soient d’un très-grand secours et d’une grande force pour arriver au salut éternel; néanmoins les justes coopèrent avec leur libre arbitre à l’efficace de la passion de Jésus-Christ, de la rédemption du monde et des saintes Écritures, et en obtiennent le fruit par les victoires qu’ils remportent sur eux-mêmes et sur le démon, en coopérant à la grâce. Et ils ne le vaincront pas seulement en ce que Dieu commande et demande d’ordinaire; mais par sa vertu et par sa grâce ils y ajouteront encore de donner leurs âmes, et de les sacrifier jusqu’à la mort pour le même Seigneur et pour ses témoignages , pour obtenir et pour mériter la couronne et le triomphe de Jésus-Christ, comme les martyrs ont fait pour la défense de la foi.

119. Le texte ajoute à cause de tous ces mystères, et dit: Réjouissez-vous, cieux, et vous qui habitez en eux . Réjouissez-vous, parce que vous devez être la demeure éternelle des justes et du Juste des justes, Jésus-Christ, et de sa très-sainte Mère. Réjouissez-vous, cieux, parce que le sort favorable que vous recevez n’est arrivé en aucune créature matérielle et inanimée; puisque vous devez être le palais du Dieu tout-puissant, lui servir d’une éternelle demeure, et recevoir pour votre reine la plus pure et la plus sainte de toutes les créatures. Réjouissez-vous, cieux, pour tous ces avantages, et vous qui habitez ces heureuses demeures, anges et justes, qui devez être associés et ministres de ce Fils du Père éternel et de sa Mère, et membres de ce corps mystique dont le même Jésus-Christ est le chef. Réjouissez-vous, anges fidèles, parce qu’en les secourant et les gouvernant par votre protection et par votre garde, vous augmenterez le pria de votre joie accidentelle. Que saint Michel, prince de la milice céleste, se réjouisse singulièrement, parce qu’il a défendu dans la bataille la gloire du Très-Haut et de ses mystères adorables, et qu’il sera ministre de l’incarnation du Verbe, et témoin particulier de ses effets jusqu’à la fin. Que tous ses alliés et défenseurs du nom de Jésus-Christ et de sa Mère se réjouissent avec lui de ce qu’ils ne perdront point dans tous ces ministères la jouissance de la gloire essentielle qu’ils possèdent déjà, et que les cieux fassent fête pour des mystères si relevés et si divins.

La cité mystique de Dieu – Chapitre VIII

Où le discours du chapitre précédent est continué par l’application du chapitre douzième de l’Apocalypse.

94. La lettre de ce chapitre de l’Apocalypse dit: «Un grand signe apparut au ciel: une femme qui était revêtue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds, et sur son chef une couronne de douze étoiles. Et étant enceinte elle criait en travail d’enfant, et souffrait des tourments pour enfanter. Il fut aussi vu un antre signe au ciel: et voici un grand dragon roux, ayant sept tètes et dix cornes, et sur a ses tètes sept diadèmes. Et sa queue tramait la troisième partie des étoiles du ciel, et les jeta en terre; et le dragon s’arrêta devant la femme qui allait a enfanter; afin qu’ayant enfanté, il dévorât son fils. Or elle enfanta un fils qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer, et son enfant fut a ravi à Dieu et à son trône. Et la femme s’enfuit en a un désert, où Dieu lui avait préparé un lien pour y a être nourrie l’espace de mille deux cent soixante a jours. Il se donna une grande bataille dans le ciel; Michel et ses anges combattaient contre le dragon, e et le dragon combattait, et ses anges. Mais ils ne furent pas les plus forts, et on ne trouva plus leurs places dans le ciel. Et ce grand dragon, ce serpent a ancien appelé diable et Satan, qui séduit tout le monde, fut précipité, et il fut jeté en terre, et ses anges le furent avec lui. Alors j’entendis une grande voix dans le ciel, qui dit: Maintenant le salut et la force, et le règne de notre Dieu et la puissance de a son Christ sont assurés: car l’accusateur de nos a frères, qui les accusait devant la face de notre Dieu jour et nuit, est rejeté. Mais ils l’ont vaincu par le a sang de l’Agneau, et par le témoignage qu’ils ont rendu, sans que l’amour de la vie les ait empêchés de la sacrifier. C’est pourquoi, ô cieux, réjouissez-vous, et voua qui les habitez. Malheur à vous; terre et mer, parce que le diable est descendu vers vous dans une grande colère, sachant qu’il ne lui reste que peu de temps! Quand donc le dragon eut vu qu’il était rejeté en terre, il persécuta la femme qui a avait enfanté le fils. Mais deux ailes d’un grand a aigle furent données à la femme, afin qu’elle s’envolât dans le désert en son lieu, où elle est nourrie pendant un temps, des temps, et la moitié d’un temps, hors de la présence du serpent. Alors le sera pont jeta de sa gueule après la femme comme un a fleuve d’eau, afin qu’elle fût emportée par le courant. Mais la terre aida à la femme, et la terre ouvrit son sein, et engloutit le fleuve que le dragon avait jeté de sa gueule. Ce qui anima le dragon contre femme, et il sen alla faire la guerre aux autres de sa génération qui gardent les commandements de Dieu, et qui ont le témoignage de Jésus-Christ. Et a il s’arrêta sur le sable de la mer .»

95. C’est jusqu’ici la lettre de l’évangéliste; et il parle du passé, parce qu’alors on lui montrait la vision de ce qui était déjà arrivé; il dit qu’un grand signe apparut au ciel: une femme qui était revécue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds; et qu’une couronne de douze étoiles couronnait sa tête . Ce signe apparut véritablement au ciel par la volonté de Dieu, qui le manifesta aux bons et aux mauvais anges, afin qu’ils déterminassent leurs volontés par cette vue à obéir à ce qu’il lui plairait de leur ordonner. Ainsi ils le virent avant que les bons se déterminassent au bien, et les mauvais au péché. Et ce fut comme un signe qui signifiait combien Dieu se devait rendre admirable en la formation de la nature humaine. Et quoiqu’il en eût donné connaissance aux anges en leur révélant le mystère de l’union hypostatique, il la leur voulut néanmoins manifester par des façons différentes dans une pure créature, la plus parfaite et la plus sainte qu’il devait créer après notre Seigneur Jésus-Christ. Elle fut aussi comme un signe qui devait assurer les bons anges que, bien que Dieu fût offensé par la désobéissance des mauvais, il ne laisserait pas pour cela d’exécuter le décret qu’il avait formé de créer les hommes: parce que le verbe humanisé et cette femme qui devait être sa Mère lui donneraient infiniment plus de satisfaction que les anges désobéissants ne pourraient l’offenser et lui déplaire. Elle fut aussi comme un arc-en-ciel (dont la figure s’imprimerait aux nues après le déluge), afin qu’il assurât que si les hommes péchaient comme les anges et étaient désobéissants, ils ne seraient pas châtiés sans pardon comme eux, mais qu’il leur donnerait par le moyen de ce merveilleux signe un remède salutaire. Et ce fut comme s’il leur disait: Je ne châtierai pas de la sorte les hommes que je dois créer, parce que la nature humaine produira cette femme, en laquelle mon Fils unique prendra chair pour rétablir mon amitié, apaiser ma justice, et ouvrir le chemin de la félicité, que le péché fermera.

96. En témoignage: de cette vérité, après que les anges rebelles furent châtiés à la vue de ce signe, le Très-Haut se montra aux bons anges, s’étant apaisé du courroux auquel l’orgueil de Lucifer l’avait provoqué. Et, suivant notre façon de parler, il se récréait de la présence de la Reine du ciel, qui était représentée en cette figure; faisant entendre aux anges bienheureux qu’il donnerait aux hommes, par le moyen de Jésus-Christ et de sa Mère, la grâce et les avantages que les anges apostats avaient perdus par leur rébellion. Ce grand signe produisit aussi un autre effet aux bons anges: car étant, selon notre manière de concevoir, comme affligés, contristés et quasi troublés par la dispute et la contestation qu’ils avaient eue avec Lucifer, le Très-Haut voulut qu’ils se réjouissent à la vue de ce signe, et qu’ils reçussent avec la gloire essentielle cette joie accidentelle, que la victoire qu’ils venaient de remporter contre Lucifer leur méritait aussi, et qu’en voyant cette marque de clémence, qui leur était montrée en signe de paix, ils connussent que la loi du châtiment ne s’étendait point sur eux , puisqu’ils avaient obéi à la divine volonté et à ses préceptes. Les anges confirmés découvrirent aussi en cette vision plusieurs mystères et plusieurs secrets de l’incarnation, de l’Église militante et de ses membres; qu’ils devaient assister et aider le genre humain, défendant tous les hommes contre leurs ennemis, et les dirigeant à la félicité éternelle: qu’eux-mêmes la recevaient par les mérites du Verbe humanisé; et que sa Majesté les avait préservés en vertu du même Jésus-Christ, prévu dans son entendement divin.

97. Et comme de tout ceci résulta une grande joie aux bons anges, il en résulta aussi un grand tourment aux mauvais, cela étant comme le principe et en partie la cause de leur punition; car ils connurent incontinent après ce dont ils n’avaient pas fait leur profit, que cette femme les vaincrait et leur écraserait la tète. L’évangéliste fit mention en ce chapitre de tous ces mystères et de plusieurs autres qui sont particulièrement compris dans ce grand signe, et qu’il ne m’est pas possible d’exprimer, bien qu’il les raconte sous un voile obscur et énigmatique jusqu à ce que le temps arrivât de les découvrir.

98. Le soleil dont il est dit que la femme était revêtue, est le véritable Soleil de justice, afin que les anges connussent la volonté efficace du Très-Haut, qui était déterminé à résider toujours par la grâce en cette femme, à la favoriser et la défendre par son bras tout-puissant et par sa protection singulière. Elle avait sous ses pieds la lune, parce qu’on la division que ces deux planètes font du jour et de la nuit, elle devait fouler aux pieds la nuit du péché, signifiée par la lune, et être éternellement revêtue du jour de la grâce, marqué par le soleil. Et aussi, parce que les déclins de la grâce, auxquels tous les mortels sont sujets, devaient être sous ses pieds, elle annonce que tous les hommes et les anges pourraient être soumis à ces vicissitudes, mais qu’elle seule devait être libre de la nuit, et des déclinaisons de Lucifer et d’Adam; qu’elle les dominerait toujours sans en pouvoir être surmontée. Et le Seigneur lui met sous les pieds, en présence de tous les anges, toutes les forces du péché, soit originel, soit actuel, comme des trophées de ses victoires, afin que les bons la reconnaissent, et les mauvais (bien qu’ils ne pénétrassent pas tous les mystères de cette vision) redoutent cette femme, même avant qu’elle reçoive l’être.

99. La couronne de douze étoiles nous représente fort clairement par leur éclat les vertus qui doivent couronner cette Reine du ciel et de la terre: mais le mystère de douze fut pour les douze tribus d’Israël, où tous les élus et les prédestinés se réduisent, comme l’évangéliste le marque au chapitre VII de l’Apocalypse. Et parce que tous les dons, toutes les grâces et les vertus de tous les élus devaient couronner leur Reine su degré le plus sublime et le plus. éminent, la couronne des douze étoiles lui est mise sur la tête.

100. Elle était enceinte , afin qu’il fût manifesté en présence de tous les anges, pour la joie des bons et pour le châtiment des mauvais, qui résistaient à la divine volonté et à ces mystères, que toute la très-sainte Trinité avait élu cette merveilleuse femme pour Mère du Fils unique du Père. Et comme cette dignité de Mère du Verbe était la plus grande, le principe et le fondement de toutes les excellences de cette grande princesse et de ce signe, c’est pour cela qu’on la propose aux anges, comme le dépôt de toute la très-sainte Trinité en la divinité et en la personne du Verbe incarné; puisque, par l’inséparable union et l’inexistence des personnes par l’indivisible unité, toutes les trois personnes ne peuvent pas manquer d’être où chacune se trouve, bien que la seule personne du Verbe ait été celle qui a pris chair humaine, et qu’elle ne fût enceinte que de lui seul.

101. Et étant enceinte elle criait ; car, quoique la dignité de cette Reine et ce mystère dussent être occultes dans leur principe, afin que Dieu naquit pauvre, humble et caché; cet enfantement néanmoins éclata après si fort, et sa voix fut si véhémente, qu’au premier écho le roi Hérode en fut tout troublé et hors de lui-même, et les Mages furent obligés d’abandonner leurs maisons et leurs pays pour le venir chercher. Il y eut des cœurs qui se troublèrent, et d’autres qui furent émus d’une affection intérieure. Et le fruit de cet enfantement croissant, dès qu’il fut élevé à la croix , ses cris furent si forts, qu’ils se firent entendre de l’orient à l’occident, et du septentrion su midi : si éclatante était la voix de cette femme, qui donna en enfantant la Parole du Père éternel.

102. Elle souffrait des tourments pour enfanter . Cela ne veut pas dire qu’elle dû enfanter avec don-leur, car en cet enfantement divin il n’y en devait avoir aucune; mais il nous exprime la grande douleur et le tourment que cette Mère ressentirait de voir que ce petit corps divinisé ne sortirait, quant à l’humanité, de son sein virginal que pour souffrir, et pour être obligé de satisfaire à son Père pour les péchés du monde, et de payer la dette qu’il ne pouvait pas contracter ; car cette Reine connaîtrait et connut tout cela par la science des Écritures. Elle en devait avoir le cœur percé par l’amour naturel qu’une telle Mère portait à un tel Fils, quoiqu’elle fût parfaitement soumise à la volonté du Père éternel. Ce tourment comprend aussi celui que cette très- pieuse Mère devait souffrir, connaissant combien de temps elle devait être privée de la présence de son trésor, dès qu’il serait sorti de son sein virginal: car, quoiqu’elle l’eût conçu dans son lime quant à la divinité, néanmoins, quant à la très-sainte humanité, elle devait être plusieurs fois privée de ce Fils, qui n’appartenait qu’à elle seule. Et quoique le Très-Haut eût déterminé de l’exempter de la coulpe, il ne l’exemptait pourtant pas des peines et des douleurs, proportionnées en quelque façon à la récompense qui lui était préparée. Ainsi les douleurs de cet enfantement ne furent pas des effets du péché, comme aux descendantes d’Ève , mais du plus tendre et du plus parfait amour de cette divine Mère envers son très-saint et unique Fils. Tous ces mystères furent un motif de louanges et d’admiration pour les bons anges, et pour les mauvais le principe de leur châtiment.

103. Il fut aussi vu un autre signe au ciel: et voici un grand dragon roux, ayant sept tètes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes; et sa queue traînait la troisième partie des étoiles du ciel, et les jeta en terre . Après ce que je viens de dire, le châtiment de Lucifer et de ses alliés arriva; car pour la peine qui était due aux blasphèmes qu’il avait vomis contre cette signalée femme, il se trouva changé, de très-bel ange qu’il était, en un furieux et horrible dragon, ce signe apparaissant sensible et d’une figure extérieure. Il souleva avec une extrême fureur sept tètes, qui furent les sept légions ou escadrons qui divisèrent tous ceux qui le suivirent et tombèrent dans son malheur: donnant à chacune de ces principautés une tête; leur ordonnant de pécher, et de prendre soin d’émouvoir et d’exciter les sept péchés mortels qu’on appelle communément capitaux, parce qu’ils contiennent tous les autres péchés, et sont comme chefs des partis qui s’élèvent contre Dieu. Les sept diadèmes qui couronnèrent Lucifer changé en dragon, furent l’orgueil, l’envie, l’avarice, l’ire, la luxure, la gourmandise et la paresse: le Très-Haut lui donnant ce châtiment comme une peine que lui et ses anges confédérés avaient méritée par leurs horribles méchancetés: car ce fut ici pour tous une punition éclatante et un châtiment proportionné à leur malice, comme auteurs des sept péchés capitaux.

104. Les dix cornes sont les triomphes de l’iniquité et de la malice du dragon, de l’orgueil et de l’exaltation vaine et téméraire qu’il s’attribue dans l’exécution des vices. Et par ces affections dépravées, pour arriver à la fin que son audace lui proposait, il offrit àux anges malheureux son amitié perverse et corrompue, aussi bien que des principautés, des supériorités et des récompenses imaginaires. Ces promesses, pleines d’une ignorance et d’une erreur plus que brutales, furent la queue par laquelle le dragon attira la troisième partie des étoiles du ciel: car les anges étaient des étoiles qui auraient brillé comme le soleil dans l’éternité perpétuelle avec les autres anges et les justes, s’il eussent persévéré biais le châtiment qu’ils avaient justement mérité les précipita dans le centre de la terre de leur malheur, qui est l’enfer, où ils seront éternellement privés de joie et de lumière .

105. Et le dragon s’arrêta devant la femme qui allait enfanter pour dévorer son fils . L’orgueil de Lucifer fut si démesuré, qu’il prétendit placer son trône au lieu le plus élevé , et dit en présence de cette femme signalée, avec une très-grande vanité: «Ce fils que cette femme doit enfanter est d’une nature inférieure à la mienne: c’est pourquoi je le dévorerai et je le perdrai; je formerai un parti contre lui dont je serai le chef, et je sèmerai des doctrines contraires aux lois qu’il prescrira, et je le contredirai toujours en lui faisant une guerre perpétuelle.» Mais la réponse du très-haut Seigneur fut que cette femme enfanterait un fils qui devait gouverner toutes les nations avec une verge de fer . «Et cet enfant, ajouta le Seigneur, ne sera pas seulement fils de cette femme, mais le mien aussi; il sera homme et a Dieu véritable, et si fort, qu’il vaincra ton orgueil a et t’écrasera la tète. Il sera pour toi, et pour tous a ceux qui te croiront et te suivront, un juge puisa saut qui te commandera avec une verge de fer , et détruira toutes tes prétentions vaines et téméraires. Il sera élevé à pion trône, où il s’assiéra, et jugera à ma droite; et afin qu’il triomphe de a ses ennemis, je les lui mettrai pour marche-pied ; il sera récompensé comme un homme juste, et qui a étant Dieu a opéré de si grandes choses pour ses créatures; tous le connaîtront et lui rendront honneur et gloire . Tu connaîtras comme le plus malheureux que le jour de l’ire du Tout-puissant est arrivé .» Et cette femme sera mise en la solitude où je lui préparerai un lieu . Cette solitude où cette femme s’enfuit, est celle de notre grande Reine, étant l’unique et la seule douée de la sainteté souveraine , et exempte de tout péché; car quoiqu’elle fût femme de la nature commune des mortels, elle surpassa néanmoins tous les anges en grâces, en dons et en mérites, qui lui procurèrent tous ces avantages. Ainsi elle s’enfuit et se mit parmi les pures créatures, dans une solitude qui est l’unique et sans égale entre toutes. Cette solitude fut si éloignée du péché, que le dragon la perdit de vue et ne la put apercevoir dès sa conception, le Très-Haut la mettant seule et unique dans le monde sans aucun commerce ni sujétion avec le serpent; mais au contraire il détermina avec une certitude, et comme une protestation ferme et constante, et dit: «Cette femme doit être a mon élue et mou unique dès l’instant qu’elle recevra l’être; je l’exempte dès à présent de la juridiction de ses ennemis, je lui destine et lui assigne un lieu solitaire d’une grâce très-éminente, afin qu’elle e y soit nourrit l’espace de mille deux cent soixante jours:» la Reine du ciel devant être ces jours-là dans un état singulier et très-élevé de faveurs intérieures et spirituelles, beaucoup plus admirables et plus mémorables que tout ce qu’on peut s’imaginer. Cela arriva dans les dernières années de sa vie, comme je le dirai avec l’aide de Dieu en son lieu: étant dans cet état si divinement nourrie, que notre entendement est trop borné pour le pénétrer. Et parce que ces bienfaits furent comme la fin et le terme auquel tous les autres de la vie de la Reine du ciel devaient aboutir, l’évangéliste en fait pour cela une mention particulière.

La cité mystique de Dieu – Chapitre VII

De quelle manière le Très-Haut commença ses ouvres, et comme il créa les choses matérielles pour l’homme et les anges et les hommes, afin qu’ils fissent un peuple dont le Verbe humanisé fût le chef.

80. La cause de toutes les causes et le créateur de tout ce qui a l’être est Dieu; il commença par la puissance de son bras toutes ses œuvres merveilleuses au temps que sa volonté avait déterminé. Moïse raconte l’ordre et le principe de cette création dans le premier chapitre de la Genèse; et parce que le Seigneur m’en a donné l’intelligence, je dirai ici ce qu’il faudra pour nous faire trouver les couvres et les mystères de l’incarnation du Verbe et de notre rédemption dans leur source.

81. La lettre du chapitre premier de la Genèse est celle-ci: «Dans le commencement Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était vide et sans fruits, et les ténèbres étaient sur la face de l’abîme, et l’Esprit du Seigneur était porté sur les eaux. Et Dieu dit: «Que la lumière soit faite; et la lumière fut faite. Et a Dieu vit que la lumière était bonne; et il la sépara des ténèbres, et il appela la lumière jour, et les a ténèbres nuit, et il fut fait un jour du soir et du matin .» En ce premier jour, Moïse dit que Dieu créa dans le commencement le ciel et la terre, parce que ce principe fut celui que Dieu tout-puissant donna étant dans son être immuable, comme sortant de soi pour créer hors de lui-même les créatures, qui commencèrent alors à recevoir l’être en elles-mêmes, et Dieu commença à se récréer en ses ouvrages comme en des couvres également parfaites. Et afin que l’ordre en fût aussi très-parfait, avant que de donner l’être aux créatures intellectuelles et raisonnables, il forma le ciel pour les anges et pour les hommes, et la terre où premièrement les mortels devaient être passagers. Ce ciel et cette terre furent des lieux si proportionnés à leurs fins et si parfaits, que, comme le prophète David dit avec bien de la raison: «Les cieux publient la gloire de Dieu, et le firmament et la terre annoncent les rouvres de ses mains ,» les cieux; avec leurs beautés, manifestent sa magnificence et sa gloire, parce qu’ils sont le dépôt du prix qui est destiné pour les saints. Le firmament de la terre annonce qu’il y doit avoir des créatures et des hommes pour l’habiter et pour aller par elle à leur Créateur. Et avant que de les créer, le Très-Haut veut préparer et créer le nécessaire pour cela et pour le temps qu’il leur devait accorder de vivre; afin que par tous les endroits ils se trouvent forcés d’obéir et d’aimer leur Créateur et leur bienfaiteur, et qu’ils connaissent par ses ouvrages son admirable nom et ses perfections infinies .

82. Moïse dit que la terre était vide , ce qu’il ne dit pas du ciel, parce qu’en celui-ci Dieu créa les anges dans l’instant dont Moïse dit: Dieu a dit: Que la lumière soit faite; et la lumière fut faite . Car il ne parle pas seulement de la lumière matérielle, mais aussi des lumières angéliques ou intellectuelles. Et il n’en fit pas une plus claire mention que de les signifier sous ce nom, à cause du facile penchant que les Hébreux avaient d’attribuer la divinité à des choses nouvelles et moins nobles que les esprits angéliques. Mais la métaphore de la lumière fut fort juste et fort propre pour nous signifier la nature angélique et pour nous faire mystiquement entendre la lumière de la science et de la grâce dont ils furent éclairés en leur création. Dieu créa, conjointement avec le ciel empyrée, la terre pour y former l’enfer en son centre; car dans le même instant qu’elle fut créée, il se trouva par la divine disposition au milieu dé ce globe des cavernes fort profondes et spacieuses, capables de contenir l’enfer, les limbes et le purgatoire. En même temps il fut créé dans l’enfer un feu matériel et toutes les autres choses qui y servent à présent pour tourmenter les damnés. Le Seigneur devait ensuite séparer la lumière des ténèbres et appeler la lumière jour, et les ténèbres nuit ; et cela n’arriva pas seulement entre la nuit et le jour naturel, mais entre les bons et les mauvais anges; car il donna aux bons la lumière éternelle de sa vision, et il l’appela jour, et jour éternel; il appela les mauvais nuit du péché, et ils furent précipités dans les ténèbres éternelles de l’enfer, afin que nous connussions tous combien furent unies la libéralité miséricordieuse du Créateur et du Vivificateur dans la récompense, et la justice du très-équitable Juge dans le châtiment.

83. Les anges furent créés en grâce dans le ciel empyrée, afin que par son secours leur mérite précédât le prix de la gloire qui leur était préparée; car, bien qu’ils fussent dans le lieu de gloire, la Divinité ne leur avait pas été découverte face à face et avec une claire connaissance, jusqu’à ce que ceux qui furent obéissants à la divine volonté l’eurent mérité par la grâce. Ainsi ces bienheureux anges aussi bien que les autres apostats demeurèrent fort peu dans cet état de passage; parce que leur création, leur état et leur terme furent divisés en trois demeures ou en trois stations, et même par quelque intervalle en trois instants. Dans le premier ils furent tous créés et ornés de la grâce et de dons, se trouvant de très-belles et très-parfaites créatures. A cet instant succéda une station, dans laquelle la volonté de leur Créateur leur fut à tous proposée et intimée; il leur fut imposé une loi et un précepte d opérer, de le reconnaître pour leur souverain Seigneur, et d’arriver à la fin pour laquelle il les avait créés. Dans cette demeure ou intervalle, cette fameuse bataille que saint Jean rapporte au chapitre 12 de l’Apocalypse, arriva entre saint Michel et ses anges, avec le dragon et les siens; les bons anges persévérant en la grâce méritèrent la félicité éternelle; et les désobéissants se révoltant contre Dieu méritèrent les peines qu’ils souffrent.

84. Et bien qu’en cette seconde demeure le tout eût pu se passer fort brièvement, selon la manière d’agir de la nature angélique et du pouvoir divin; néanmoins il me fut découvert que la charité du Très-Haut le suspendit et leur proposa par quelque intervalle le bien et le mal, la vérité et le mensonge, le juste et l’injuste, sa grâce et la malice du péché, l’amitié et l’inimitié de Dieu, la récompense et le châtiment éternels, la perte de Lucifer et de tous ses adhérents; sa Majesté leur montra même l’enfer et ses tourments, tellement qu’ils n’ignorèrent rien: car en leur nature si noble et si excellente, toutes les choses créées et terminées se peuvent voir comme elles sont en elles-mêmes, de sorte qu’ils virent, avant que de déchoir de la grâce, le lieu du châtiment. Et bien qu’ils ne connussent pas de la même façon le prix de la gloire, ils en eurent pourtant une autre connaissance, aussi bien que de la promesse manifeste et expresse du Seigneur; de façon que le Très-Haut eut de quoi justifier sa cause, et opérer selon sa souveraine justice et équité. Et parce que tant de bonté et de justification ne suffirent pas pour retenir Lucifer et ses sectateurs dans leur devoir, ils furent, comme des obstinés, châtiés et précipités au profond des malheureuses cavernes infernales, et les bons furent confirmés en grâce et dans la gloire éternelle. Tout cela arriva dans le troisième instant, auquel il fut connu véritablement que Dieu seul était impeccable par nature; puisque l’ange, qui en a une si excellente et qui la reçut enrichie et ornée de tant de dons de science et de grâce, ne laissa pas de pécher et de se perdre. Que deviendra, après cette fatale expérience, la fragilité humaine, si le pouvoir divin ne la défend et si elle l’oblige de l’abandonner?

85. Il nous reste de savoir le motif que Lucifer et ses confédérés eurent en leur péché (qui est ce que je cherche), et d’où naquit leur désobéissance et leur chute. Sur quoi j’ai appris qu’ils purent commettre plusieurs péchés, secundum reatum (ou dans cet intervalle que leur révolte dura, jusqu’à ce que Dieu prononça sa sentence), bien qu’ils ne commirent pas les actes de tous; mais il leur resta l’habitude de ceux qu’ils commirent par leur volonté dépravée, pour tous les mauvais actes, en sollicitant les autres et approuvant le péché qu’ils ne pouvaient opérer par eux-mêmes. Et suivant la mauvaise affection que Lucifer eut alors, il tomba dans un amour très-déréglé de lui-même, qui lui vint de se voir avec de plus grands dons de grâce et avec une plus excellente beauté de nature que les autres anges inférieurs. Il â arrêta trop dans cette connaissance, et la complaisance qu’il eut de lui-même le retarda et l’attiédit en la reconnaissance qu’il devait à Dieu, comme l’unique cause de tout ce qu’il avait reçu. Et se contemplant dans ses propres, ingrates et réitérées réflexions, il eut une nouvelle et criminelle complaisance pour sa beauté et pour ses grâces; il se les attribua et les aima comme siennes; et cette affection propre et désordonnée ne le fit pas seulement se révolter avec ce qu’il avait reçu d’une vertu supérieure; mais elle l’obligea aussi d’envier et de désirer les autres dons et les excellences qu’il n’avait pas. Et parce qu’il ne put les obtenir, il conçut une indignation et une haine implacable contre Dieu qui l’avait tiré du néant, et contre toutes ses créatures.

86. De là la désobéissance, la présomption, l’injustice, l’infidélité, le blasphème, et presque quelque espèce d’idolâtrie prirent leur origine, car cet ingrat désira pour soi l’adoration et l’honneur qu’on doit à Dieu. Il blasphéma contre sa divine grandeur et contre sa sainteté; il manqua à la foi et à la fidélité qu’il lui devait; il prétendit de détruire toutes les créatures, et il présuma de venir à bout de tout cela et de plusieurs autres choses. Ainsi son orgueil croit et persévère toujours , bien que sa témérité soit plus grande que son pouvoir , parce qu’il ne peut croître en celui-ci; et dans le péché un abîme en attire un autre . Lucifer fut le premier ange qui pécha, comme il contre par le chapitre 14 d’Isaïe; et celui-ci persuada les autres de le suivre, et c’est de là qu’on l’appelle prince des démons: ce n’est pas par sa nature qu’il reçoit ce titre, car elle ne pouvait pas le lui procurer; mais par son péché. Et les malheureux révoltés ne furent pas seulement d’un ordre ou hiérarchie, mais de chacune il y en eut plusieurs qui furent précipités.

87. Pour déclarer comme il m’a été manifesté quel honneur et quelle excellence Lucifer désira et envia par son orgueil, je dirai que, comme l’équité, le poids et la mesure se trouvent dans les œuvres de Dieu , sa providence détermina avant que les anges pussent tendre à des fins diverses, de leur manifester immédiatement après leur création la fin pour laquelle il les avait créés, avec une nature si relevée et si parfaite. Et cette illustration leur arriva de cette manière: ils eurent premièrement une très-claire connaissance de l’être de Dieu, un en substance et trois en personnes, et ils reçurent commandement de l’adorer et de l’honorer comme leur Créateur et leur souverain Seigneur, infini en son être et en ses attributs. Ils se soumirent et obéirent tous à ce précepte, mais avec quelque distinction; car les bons anges obéirent par amour et par justice, se soumettant d’une volonté affectueuse, admettant et croyant ce qui était au-dessus de leurs forces, et y obéissant avec joie. Mais Lucifer ne s’y soumit que parce qu’il crut le contraire impossible. Il ne le fit pas avec une parfaite charité, parce qu’il partagea sa volonté entre lui-même et la vérité infaillible du Seigneur; et cela lui rendit ce précepte en quelque façon violent et difficile, et fit qu’il ne l’accomplit pas avec une affection pleine d’amour et de justice; ainsi il se disposa à n’y pas persévérer. Et bien que cette lâcheté qu’il eut à opérer ces premiers actes avec difficulté, ne le privassent pas de la grâce, sa mauvaise disposition commença pourtant de là; car sa vertu et son esprit en furent ralentis et affaiblis, sa beauté même perdit de son éclat; et je crois que l’effet que cette lâcheté et cette difficulté causèrent en Lucifer, fut semblable à celui que le péché véniel délibéré cause en l’âme; mais je n’assure pas qu’il pécha alors mortellement ni véniellement, parce qu’il accomplit le commandement de Dieu; mais cet accomplissement fut lâche et imparfait, et la force de la raison y eut plus de part que l’amour et que l’inclination volontaire d’obéir, et c’est ce qui le disposa à tomber.

88. En second lieu, Dieu leur manifesta qu’il devait créer une nature humaine et des créatures raisonnables et inférieures, afin quelles l’aimassent, le craignissent et l’honorassent, comme leur auteur et leur bien éternel; qu’il devait favoriser beaucoup cette nature; que la seconde personne de la très-sainte Trinité devait s’incarner, se faire homme, et élever la nature humaine à l’union hypostatique et à la personne divine; qu’ils devaient reconnaître, honorer et adorer ce suppôt, Homme-Dieu, non-seulement en tant que Dieu, mais conjointement en tant qu’homme, et que les mêmes anges devaient être ses inférieurs et ses serviteurs en grâces et en dignité. Il leur fit connaître la convenance, l’équité, la justice et la raison qu’il y avait en cela; d’autant que l’acceptation des mérites prévus de cet Homme-Dieu leur avait mérité la grâce qu’ils possédaient et la gloire qui ils possèderaient; il leur fit aussi connaître qu’ils avaient été créés, et que toutes les autres créatures le seraient pour sa même gloire, parce qu’il devait être supérieur à toutes; et que celles qui seraient capables de connaître Dieu et de jouir de lui, devaient être son peuple et les membres de ce chef, pour le reconnaître et l’honorer. Et ils reçurent ensuite un commandement de se soumettre à tout cela.

89. Tous les bons anges se soumirent à ce précepte, y donnèrent leur consentement et y applaudirent avec une humble et amoureuse affection de toute leur volonté. Mais Lucifer y résista par son orgueil et par son envie, et provoqua ses adhérents à faire de même; ce qu’ils firent en effet en le suivant par cette désobéissance au divin commandement. Ce mauvais prince leur persuada qu’il serait leur chef, et qu’ils auraient une principauté indépendante et séparée de Jésus-Christ l’envie et l’orgueil ayant bien pu causer un tel aveuglément en un ange et une affection si désordonnée, qu’elle a été cause que la contagion du péché s’est communiquée à tant d’autres.

90. Ici se donna cette grande bataille que saint Jean dit s’être donnée dans le ciel . Car les anges obéissants, animés d’un ardent zèle de défendre la gloire du Très-Haut et l’honneur du Verbe humanisé prévu, demandèrent licence et comme l’agrément du Seigneur pour résister et contredire au dragon; et cette permission leur fut accordée. Mais il arriva ici un autre mystère; parce que, quand il fut proposé à tous les anges qu’ils devaient obéir su Verbe incarné, il leur fut fait un troisième commandement de recevoir conjointement une femme pour supérieure, dans le sein de laquelle le Fils unique du Père prendrait chair humaine; il leur fut dit que cette femme devait être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures humaines, et qu’elle devait être distinguée au-dessus de toutes les créatures angéliques et humaines, et les surpasser en dons de grâce et de gloire. Les bons anges, en obéissant à ce précepte du Seigneur, augmentèrent leur humilité, et avec elle ils le reçurent, et louèrent le pouvoir et les mystères du Très-Haut. Mais l’orgueil et la présomption de Lucifer et de ses confédérés s’augmentèrent par ce mystérieux précepte; et il désira pour soi avec une fureur effrénée l’honneur d’être le chef de tout le genre humain et de tous les ordres angéliques, et que si cela devait s’accomplir par le moyen de l’union hypostatique, ce fût avec lui.

91. Il résista avec d’horribles blasphèmes sur ce qu’il devait être inférieur à la Mère du Verbe incarné et notre Reine; se tournant avec une effrénée indignation contre l’auteur de ces merveilles, et provoquant les autres, ce dragon leur dit; «Ces préceptes sont injustes et injurieux à ma grandeur; et s’adressant à Dieu, il ajouta: «Je persécuterai et détruirai, Seigneur, cette nature que vous regardez avec tant d’amour, et à qui vous destinez de si grandes faveurs; j’emploierai pour cela tout mon pouvoir et tous mes soins, et j’abattrai cette femme Mère du Verbe de l’état honorable que vous lui promettez, et je renverserai vos desseins.»

92. Cette superbe présomption irrita si fort le Seigneur, qu’en humiliant Lucifer, il lui dit; «Cette femme que tu n’as pas voulu honorer, t’écrasera la tête , et tu seras par elle vaincu et abattu. Et si par ton orgueil la mort entre su monde , par l’humilité de cette femme, la vie et le salut des mortels y entreront; et je tirerai de la nature, et de l’espèce du Fils et de la Mère, ceux qui doivent jouir des récompenses et des couronnes que tu as perdues, aussi bien que tes adhérents.» Le dragon ne répondait à tout cela, et contre tout ce qui lui était déclaré de la divine volonté et de ses décrets, qu’avec une superbe et téméraire indignation, en menaçant tout le genre humain. Et les bons anges connurent le juste courroux du Très-Haut contre Lucifer et contre les autres apostats; et ils combattaient contre eux avec les armes de l’entendement, de la raison et de la vérité.

93. Le Tout Puissant opéra ici un autre merveilleux mystère; car, après avoir manifesté par intelligence à tous les anges le grand ouvrage de l’union hypostatique, il leur montra la très-sainte Vierge en un signe ou espèce, à la manière de nos visions imaginaires, selon notre façon de concevoir. Ainsi il leur fit connaître et leur représenta la pure nature humaine en une femme très-parfaite, en laquelle le puissant bras du Très-Haut devait être plus admirable qu’en tout le reste des créatures, parce qu’il déposait en elle les grâces et les dons de sa droite en un degré supérieur et éminent. Ce signe de la Reine du ciel et Mère da Verbe humanisé, fut manifesté à tous les anges, bons et mauvais. Les bons furent ravis d’admiration à sa vue et lui donnèrent des cantiques de louanges, et dès lors ils commencèrent à défendre l’honneur de Dieu humanisé et de sa très-sainte Mère, armés par cet ardent zèle et par le bouclier impénétrable de ce signe. Au contraire, le dragon et ses alliés conçurent une fureur et une rage implacable contre Jésus-Christ et sa très-sainte Mère; de sorte qui il arriva tout ce qui est contenu au chapitre 12 de l’Apocalypse, dont je mettrai la déclaration comme elle m’a été communiquée, en celui qui suit.