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Traité de la Prière I – Chapitre LXXVI, LXXVII, LXXIX, LXXX

LXXVI.- L’âme au troisième degré parvient à la bouche de Jésus-Christ.- La mort de la volonté propre est le signe qu’elle y est arrivée.

1.- Tout ce que je viens de te dire, mon Fils te l’avait enseigné; mais j’ai voulu te le répéter, en te parlant de lui pour te faire mieux comprendre l’excellence de l’âme parvenue au second degré, où elle connaît et acquiert si bien l’ardeur de l’amour, qu’elle court aussitôt au troisième degré, c’est-à-dire à la bouche: et là elle montre qu’elle est parvenue à l’état parfait. Par où passe-t-elle? L’âme passe par le cœur, c’est-à-dire qu’elle se rappelle où elle a été baptisée, et laissant l’amour imparfait, par la connaissance que lui donne cet aimable cœur, elle voit, elle goûte et ressent le feu de ma charité.

2.- Ceux qui sont arrivés à la bouche font ce que fait la bouche. La bouche parle avec la langue qu’elle a; elle goûte les aliments, elle les retient pour les donner à l’estomac, et les dents les broient pour qu’ils puissent être avalés. L’âme fait de même; elle me parle d’abord avec la langue, qui est dans la bouche du saint désir, c’est-à-dire avec la langue d’une sainte et continuelle prière. Cette langue parle, réellement et mentalement: elle parle mentalement lorsqu’elle m’offre ses doux et amoureux désirs pour le salut des âmes; elle parle réellement lorsqu’elle annonce la doctrine de ma Vérité, lorsqu’elle avertit et conseille le prochain, lorsqu’elle confesse la foi sans craindre ce que le monde peut lui faire souffrir. Elle parle hardiment devant toute créature, de toutes les manières et à chacun selon son état.

3.- L’âme aussi apaise la faim qu’elle a des âmes pour mon honneur sur la table de la très sainte Croix. Nulle autre chose et nulle autre table ne pourraient la rassasier parfaitement. Elle broie sa nourriture avec les dents, sans lesquelles elle ne peut rien avaler. La haine et l’amour sont comme deux rangées de dents dans la bouche du saint désir; la nourriture qu’elle reçoit est préparée pas la haine d’elle-même et par l’amour de la vertu, en elle et dans son prochain. Elle broie l’injure, le mépris, les affronts, les reproches, les persécutions nombreuses; elle supporte la faim, la soif, le froid, le chaud, les angoisses, les larmes et les sueurs pour le salut des âmes. Elle accepte tout pour mon honneur et ne rejette jamais son prochain.

4.- Quand tout est ainsi préparé, elle goûte et savoure le fruit de sa fatigue, et la douceur de ces âmes dont elle se rassasie dans ma charité et dans la charité du prochain. Cette nourriture parvient à l’estomac, qui est excité par le désir et la faim des âmes; et cet organe est l’amour et le zèle de son cœur pour le prochain. Elle se plaît tant à savourer et à s’approprier cette nourriture, qu’elle perd le goût des délicatesses de la vie corporelle, afin de pouvoir mieux se rassasier de cet aliment, qu’elle trouve sur la table de la sainte Croix et de la doctrine de Jésus crucifié.

5.- Alors l’âme s’engraisse de solides et véritables vertus, et se développe tellement dans l’abondance, que le vêtement de la sensualité qui la couvre se déchire, c’est-à-dire que son corps perd tout désir sensuel. Ce qui est ainsi déchiré meurt, et la volonté sensitive disparaît; car la volonté de l’âme qui vit en moi est revêtue de mon éternelle volonté: la sensualité meurt donc eu elle. Telle est l’âme arrivée au troisième degré de la bouche. Ce qui indique son progrès, c’est que la volonté propre est morte en goûtant l’ardeur de ma charité.

6.- L’âme trouve dans la bouche la paix et le repos. Tu sais que la bouche donne le baiser de paix: aussi à ce degré l’âme possède tellement la paix, que personne ne peut la troubler, parce qu’elle a perdu et détruit sa volonté propre, dont la mort seule procure la paix et le repos. L’âme alors enfante sans douleur des vertus à l’égard du prochain: non pas qu’elle soit exempte de peine, mais sa volonté, qui est morte, ne peut plus les ressentir, et elle supporte tout volontairement pour l’honneur de mon nom. Elle court avec ardeur dans la voie de Jésus crucifié; elle ne se laisse point arrêter par l’injure, par les persécutions qu’elle rencontre ou par les plaisirs que le monde voudrait lui donner: elle surmonte tout avec force et persévérance.

7.- Son amour s’est revêtu du feu de ma charité; il se rassasie du salut des âmes avec une patience sincère et parfaite. Cette patience est la preuve certaine que l’âme m’aime parfaitement et sans intérêt. Car si elle m’aimait et aimait le prochain pour sa consolation, elle serait impatiente et s’arrêterait dans sa route. Mais parce qu’elle m’aime pour moi, qui suis la souveraine Bonté, seule digne d’être aimée, parce qu’elle s’aime et qu’elle aime le prochain pour moi, pour louer et glorifier mon nom, elle est patiente, forte et persévérante.

LXXVII.- Des œuvres de l’âme parvenue au troisième degré.

1.- Il y a trois glorieuses vertus qui sont fondées sur la charité, et qui sont les fruits de ses branches: ces vertus sont la patience, la force, la persévérance. Elles sont couronnées par la lumière de la très sainte foi; cette lumière dissipe les ténèbres de l’âme qui court dans la voie de la Vérité; l’âme est exaltée par un saint désir, et personne n’est capable de l’arrêter. Le démon ne peut lui nuire par ses tentations, car il craint l’âme embrasée du feu de la charité. Les persécutions et les injures des hommes sont impuissantes contre elle; si le monde la poursuit, le monde aussi la redoute. Ma bonté le permet pour la fortifier et la faire grandir devant moi et devant le monde, parce qu’elle s’est faite petite par humilité.

2.- Ne le vois-tu pas dans mes saints, qui se sont abaissés pour moi et que j’ai élevés en moi, et dans le corps mystique de la sainte Église, qui parle toujours d’eux, parce que leurs noms sont écrits en moi, le livre de vie? Oui, le monde les respecte, parce qu’ils ont méprisé le monde. Ils ne cachent pas leur vertu par crainte, mais par humilité; et si le prochain a besoin de leurs services, ils ne se cachent pas de peur de souffrir et de perdre leur consolation; mais ils le servent avec courage, s’oubliant et se sacrifiant eux-mêmes.

3.- De quelque manière qu’ils consacrent leur vie et leur temps à mon honneur, ils sont heureux et trouvent la paix et le repos de l’esprit. Pourquoi? Parce qu’ils veulent me servir, non pas selon leur volonté, mais selon la mienne, et qu’ils aiment le temps de la consolation comme le temps de la tribulation, la prospérité comme l’adversité; l’une ne leur pèse pas plus que l’autre, parce qu’en toute chose ils trouvent ma volonté, et qu’ils n’ont pas d’autre pensée que de s’y conformer dès qu’ils la connaissent.

4.- Ils ont vu que rien ne se fait sans moi et que tout est ordonné mystérieusement par ma providence, excepté le péché, qui est un néant. C’est pour cela qu’ils détestent le péché et qu’ils acceptent avec respect les autres choses. Ils sont fermes et inébranlables dans leur volonté de suivre la voie de la vérité. Ils ne se ralentissent jamais, et servent fidèlement leur prochain, sans s’arrêter à son ignorance et à son ingratitude. Si quelquefois le méchant leur dit des injures et leur fait des reproches, ils n’en continuent pas moins leurs bonnes œuvres et les prières qu’ils m’offrent pour lui, et ils souffrent plus de l’offense qu’il me fait et du tort qu’il cause à son âme que de toutes les injures qui leur sont adressées. C’était ce que disait mon glorieux apôtre Saint Paul:  » Le monde nous maudit, et nous bénissons; il nous persécute, et nous le souffrons avec patience et actions de grâce; il blasphème, et nous prions; nous sommes rejetés comme les ordures du monde, et nous le supportons  » (I Cor., IV, 12-13).

5.- Tu vois, ma fille bien-aimée, le signe par excellence qui montre que l’âme a quitté l’amour imparfait pour, l’amour parfait: ce signe est la vertu de patience, qui lui fait suivre le doux Agneau sans tache, mon cher Fils. Lorsqu’il était sur la Croix où les clous de l’amour l’attachaient, il ne tint pas compte des injures des Juifs, qui lui criaient:  » Descends, et nous croirons en toi  » (S.Matth. XXVII, 42). Votre ingratitude ne l’empêcha pas de persévérer dans l’obéissance que je lui avais imposée, et sa patience fut si grande, qu’on n’entendit pas la moindre plainte sortir de ses lèvres.

6.- Ainsi font mes enfants bien-aimés, mes fidèles serviteurs qui suivent la doctrine et l’exemple de ma Vérité. Le monde a beau vouloir les faire reculer par ses caresses ou ses menaces; ils ne tournent jamais la tête en arrière, et fixent toujours leurs regards sur ma Vérité. Ils ne veulent jamais quitter le champ de bataille, pour venir reprendre chez eux le vêtement qu’ils y ont laissé, c’est-à-dire cet amour qui fait préférer la créature au Créateur. Ils restent joyeusement dans la mêlée, tout enivrés du sang de Jésus crucifié, de ce sang que j’ai chargé la sainte Église de distribuer pour soutenir et animer mes vrais chevaliers, qui combattent la sensualité, la chair, le mondé et le démon, avec la haine de leurs ennemis et l’amour de la vertu. Cet amour est une armure qui résiste à tous les coups et rend invulnérable tant qu’on la conserve et que le libre arbitre ne livre pas volontairement à l’ennemi le glaive qu’il tient dans ses mains. Ceux qui sont enivrés du sang de mon Fils ne le font jamais; ils persévèrent courageusement jusqu’à la mort, où tous leurs ennemis sont confondus.

7.- O glorieuse vertu, combien tu me plais! tu brilles dans le monde même, aux yeux ténébreux des ignorants qui ne peuvent s’empêcher de participer à la lumière de mes serviteurs. Dans la haine avec laquelle ils les poursuivent brille la bonté de mes serviteurs, qui désirent leur salut. Dans leur envie brille la grandeur de la charité, dans leur cruauté la pitié: car plus ils sont cruels, plus mes serviteurs sont compatissants. Dans l’injure triomphe la patience, qui règle et gouverne toutes les vertus, parce qu’elle est la moelle de la charité. Elle prouve et affermit les vertus de l’âme; elle montre si elles sont fondées ou non en moi. Elle est victorieuse et jamais vaincue, car elle est accompagnée, comme je te l’ai dit, de la force et de la persévérance; elle remporte la victoire, et quand elle quitte le champ de bataille, c’est pour venir à moi le Père, l’Éternel, qui récompense toute fatigue et qui lui donne la couronne de gloire.

LXXVIII.- Du quatrième état, qui n’est pas séparé du troisième.- Des œuvres de l’âme arrivée à cet état, et comment Dieu ne se sépare jamais d’elle d’une manière sensible.

1.- Je t’ai dit comment on reconnaît que l’âme est arrivée à la perfection de l’amour sincère et filial; maintenant je veux te dire le bonheur qu’elle goûte en moi, même dans son corps mortel. Lorsqu’elle est arrivée au troisième état dont je t’ai parlé, elle en atteint un quatrième, qui n’est pas séparé du troisième, mais qui lui est uni nécessairement, comme ma charité est toujours unie à la charité du prochain. C’est un fruit qui sort de ce troisième état par l’union parfaite que l’âme contracte avec moi; elle y trouve une force si grande que non seulement elle souffre avec patience, mais qu’elle désire avec ardeur souffrir pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Elle se glorifie dans les opprobres de mon Fils unique, comme le disait mon apôtre Saint Paul:  » Je me glorifie dans la tribulation et dans les opprobres de Jésus crucifié  » (II Cor., XII, 9). Et ailleurs:  » Puis-je me glorifier en autre chose qu’en Jésus crucifié »? Il disait aussi:  » Je porte les stigmates de Jésus crucifié dans mon corps  » (Gal., VI, 14-17). De même, ceux qui se passionnent pour mon honneur et qui sont affamés du salut des âmes, courent à la table de la très sainte Croix; ils veulent souffrir beaucoup pour être utiles au prochain, pour conserver et acquérir des vertus en portant les stigmates du Christ dans leur corps. Car l’amour crucifié qui les brûle, brille dans leur corps, et ils le montrent en se méprisant eux-mêmes, en se réjouissant des opprobres, des peines que je leur accorde, de quelque côté ou de quelque manière qu’ elles leur viennent.

3.- Pour ces fils bien-aimés la peine est un plaisir et le plaisir une fatigue. Ils repoussent les consolations et les jouissances que leur offre le monde, non seulement ils ne veulent pas celles que le monde leur donne par ma permission, car quelquefois les serviteurs du monde sont forcés par ma bonté à les vénérer et à les assister dans leurs besoins, mais encore ils ne veulent pas des consolations spirituelles qu’ils reçoivent de moi, et cela par humilité et par haine d’eux-mêmes. Ils ne méprisent pas la consolation, le présent de ma grâce, mais le plaisir que l’âme trouve dans cette consolation. Ce qui les inspire, c’est la vertu d’une humilité sincère acquise par une sainte haine; cette humilité est la gardienne et la nourrice de la charité que donne la connaissance de moi et d’eux-mêmes. Aussi tu vois briller dans leur esprit et dans leur corps la vertu et les stigmates de Jésus crucifié.

4.- Je leur fais la grâce de ne jamais me séparer d’eux d’une manière sensible, comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne, non par la grâce, mais par la douceur de ma présence. Je n’agis pas de la sorte avec ceux qui sont arrivés à la grande perfection et qui sont entièrement morts à leur volonté; car je me repose continuellement dans leur âme par ma grâce et d’une manière sensible. Dès qu’ils veulent s’unir à moi par un regard d’amour, ils le peuvent, parce que leur désir les attache tellement à moi que rien ne peut les en séparer. Tous les lieux et les instants leur conviennent pour la prière, parce que leur conversation s’est élevée au-dessus de la terre, et s’est fixée dans le ciel. Ils ont perdu toute affection terrestre, tout amour-propre sensitif; ils se sont élevés au-dessus d’eux-mêmes jusque dans les hauteurs des cieux, par l’échelle des vertus et les trois degrés que je t’ai montrés sur le corps de mon Fils.

5.- Au premier degré, ils ont dépouillé les pieds de leur affection de l’amour du vice; au second, ils ont goûté le secret et l’affection du cœur, et ils ont conçu l’amour pour les vertus; au troisième, où est la paix de l’esprit, ils ont acquis les vertus en quittant l’amour imparfait, et ils sont parvenus à la grande perfection, où ils ont trouvé le repos dans la doctrine de ma Vérité.

6.- Ils ont trouvé la table, la nourriture et le serviteur. La nourriture, ils la goûtent au moyen de la doctrine de Jésus crucifié. C’est moi qui suis le lit et la table; mon doux et tendre Fils est la nourriture; car ils se rassasient en lui du salut des âmes, et ils se nourrissent de lui-même. Je vous l’ai donné pour aliment; vous recevez au Sacrement de l’Autel sa chair et son sang, sa divinité, son humanité tout entière, que ma bonté vous offre pour que vous ne tombiez pas de faiblesse pendant votre pèlerinage, pour que vous n’oubliiez pas le bénéfice du sang versé pour vous avec tant d’amour, mais pour que vous soyez toujours pleins de force et d’ardeur dans votre voyage.

7.- L’Esprit Saint les sert, car l’ardeur de ma charité leur distribue les dons et les grâces. Ce doux serviteur va et vient pour les servir; il me porte leurs ardents et amoureux désirs, et il leur porte le fruit de leurs fatiguez, dont ils goûtent et savourent la douceur dans leurs âmes. Ainsi tu le vois, je suis la table, mon Fils est la nourriture, et le Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils, est le serviteur.

8.- Remarque qu’ils me possèdent toujours d’une manière sensible: plus ils ont rejeté les jouissances et voulu la peine, plus ils ont perdu la peine et trouvé la Jouissance. Pourquoi? Parce qu’ils sont enflammés et embrasés de ma charité qui a consumé leur volonté. Aussi le démon redoute les coups de leur charité; il leur jette de loin ses flèches et n’ose pas en approcher.

9.- Le monde les frappe à l’extérieur, croyant les blesser, et c’est lui qui se blesse; car le trait qui ne peut pénétrer revient sur celui qui le jette. Ainsi le monde, lorsqu’il lance les injures, la persécution et les murmures, sur mes parfaits serviteurs, ne trouve aucun endroit où il puisse les atteindre, parce que le jardin de leur âme est fermé; et le trait revient sur celui qui l’a lancé, empoisonné par la faute. Il ne peut blesser d’aucun côté les parfaits, parce qu’en frappant le corps il n’atteint pas l’âme qui reste heureuse et affligée, affligée de la faute du prochain, et heureuse de la charité qu’elle possède.

10.- Elle suit ainsi l’Agneau sans tache, mon Fils bien-aimé, qui, sur la croix, était heureux et affligé. Il était affligé de la croix que souffrait son corps, et de la croix du désir qu’il avait d’expier la faute des hommes; il était heureux, parce que la nature divine, unie à la nature humaine, ne pouvait souffrir et ravissait toujours son âme en se montrant à elle sans voile, li était heureux et affligé, parce que la chair souffrait, mais que la divinité ne pouvait souffrir, pas plus que son âme dans la partie supérieure de son entendement. De même, mes enfants bien-aimés, lorsqu’ils sont arrivés au troisième et au quatrième degré, sont affligés par des croix spirituelles et corporelles, puisqu’ils souffrent dans leur corps, comme je le permets, et qu’ils sont tourmentés du regret que leur causent mon offense et le malheur du prochain; mais ils sont heureux parce que le trésor de la charité qu’ils possèdent ne peut leur être enlevé; et c’est pour eux une source d’allégresse et de béatitude.

11.- Leur affliction n’est pas une douleur qui dessèche l’âme: elle l’engraisse, au contraire, dans l’ardeur de la charité. La peine augmente la vertu, la fortifie, la développe et l’excite. Elle n’affecte pas l’âme, mais elle la nourrit. Aucune douleur, aucune peine ne peut la retirer du foyer d’amour où elle est plongée. Un tison qui est embrasé dans une fournaise ne peut être saisi parce qu’il est tout en feu: de même l’âme qui est jetée dans la fournaise de ma charité n’est plus rien en dehors de moi; sa volonté est détruite et elle est tout embrasée en moi; personne ne peut la prendre et la retirer de ma grâce, parce qu’elle est devenue une même chose avec moi, et moi une même chose avec elle.

12.- Jamais je ne lui retire ma présence comme je le fais pour les autres dont je me rapproche et m’éloigne pour les conduire à la perfection. Lorsqu’ils y sont arrivés, je cesse ce jeu de l’amour; cette alternative de visites et d’absences est un jeu de l’amour; c’est par amour que je pars, c’est par amour que je reviens. Je ne me retire pas réellement, car je suis un Dieu immuable et je ne change pas; mais c’est l’effet sensible de ma charité dans l’âme qui parait et disparaît.

LXXIX.- Dieu ne se sépare jamais des parfaits par grâce et par sentiment, mais par union.

Dans sa traduction latine, le bienheureux Raymond, confesseur de sainte Catherine, affirme ici que l'état dont il est question était celui de notre sainte.

1.- Je te disais que les parfaits ne perdent jamais le sentiment de ma présence. Je m’éloigne cependant d’une autre manière, parce que leur âme, qui est unie à leur corps, ne pourrait supporter continuellement l’union que je contracte avec elle. Et parce qu’elle ne le peut pas, je m’éloigne, non par sentiment ou par grâce, mais par union.

2.- Lorsque l’âme s’élance avec ardeur vers la vertu par le pont de la doctrine de Jésus crucifié, et qu’elle arrive à la porte divine, elle élève son esprit eu moi, elle se baigne et s’enivre du sang; elle brûle du feu de l’amour et goûte en moi la divinité même. L’âme s’unit tellement à cet océan tranquille, qu’elle ne peut avoir de pensée qu’en moi. Dès sa vie mortelle, elle goûte le bien de l’immortalité, et malgré le poids de son corps elle reçoit les joies de l’esprit.

3.- Souvent son corps est élevé de terre par la parfaite union de l’âme avec moi, comme si le corps était déjà devenu subtil. Il n’a pas perdu sa pesanteur, mais parce que l’union de l’âme avec moi est plus parfaite que son union avec le corps, la force de l’esprit fixé en moi soulève de terre le poids du corps, et le corps reste immobile et brisé par l’amour de l’âme: tellement que, comme tu l’as entendu dire de quelques personnes, il lui serait impossible de vivre si ma bonté ne lui en donnait pas la force. Et je veux que tu saches que c’est un plus grand miracle de voir l’âme ne pas quitter le corps dans cette union, que de voir plusieurs corps morts ressusciter.

4.- Aussi j’arrête pour quelque temps cette union de l’âme et je la fais retourner dans le vase de son corps; la sensibilité de ses organes, qui avait été suspendue par l’ardeur de l’âme, recommence ses fonctions. Car l’âme n’est complètement séparée du corps que par la mort, mais elle perd seulement ses puissances par l’amour qui l’unit à moi. La mémoire ne contient d’autre chose que moi; l’intelligence ne contemple d’autre objet que ma Vérité, et l’amour qui suit l’intelligence, n’aime et ne s’unit qu’à ce que voit l’intelligence. Toutes ses puissances sont unies, abîmées et consumées en moi. Le corps perd tout sentiment. L’œil en voyant ne voit pas, l’oreille en entendant n’entend pas, la langue en parlant ne parle pas, à moins que quelquefois, à cause de la plénitude du cœur, je ne permette à la langue de le laisser déborder et de parler pour la gloire de mon nom.

5.- Ainsi, la langue en parlant ne parle pas, la main en touchant ne touche pas, les pieds en marchant ne marchent pas; tous les membres sont liés et retenus par les liens de l’amour, et ces liens les soumettent tellement à la raison et les unissent si étroitement à l’ardeur de l’âme, que tous ensemble, contrairement à la nature, ils crient vers moi le Père éternel pour que le corps soit séparé de l’âme et l’âme du corps. C’est ce que me criait le glorieux Saint Paul: « Malheureux que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? Je vois dans mes membres une loi contraire à la loi de l’esprit  » (Rom., VII, 23-24).

6.- Paul ne parlait pas seulement du combat de la chair contre l’esprit, car ma parole l’avait pour ainsi dire rassuré, lorsqu’il lui avait été dit:  » Paul, ma grâce te suffit » (II Cor., XII, 9). Il parlait ainsi parce qu’il se sentait enfermé dans son corps, qui empêchait ma vision pour quelque temps. Jusqu’au moment de la mort, l’œil ne peut voir l’éternelle Trinité de la même vision que les Bienheureux qui rendent sans cesse honneur et gloire à mon nom. Tant que Paul se trouvait parmi les hommes qui sans cesse m’offensent, il était privé de me voir dans mon essence.

7.- Mes serviteurs me voient et me goûtent, non pas dans mon essence, mais dans l’effet de la charité, de différentes manières, selon qu’il plaît à ma bonté de me manifester; mais cette vue de l’âme unie au corps est une obscurité quand on la compare à la vue de l’âme séparée du corps. Il semblait à Paul que la vue corporelle empêchait la vue spirituelle, et que ses sens grossiers privaient son âme de me contempler face à face. Sa volonté lui paraissait liée de telle sorte qu’il ne pouvait aimer autant qu’il devait aimer, parce que tout amour dans cette vie est imparfait jusqu’à ce qu’il arrive à sa perfection.

8.- L’amour de Paul, comme celui de mes autres vrais serviteurs, n’était pas imparfait quant à la grâce et à la charité; il était parfait sous ce rapport, mais il était imparfait parce qu’il ne pouvait rassasier son amour. C’était là sa peine. S’il avait pu satisfaire son désir de ce qu’il aimait, il n’aurait eu aucune peine; mais il souffrait parce que l’amour, tant qu’il est dans un corps mortel -n’a pas parfaitement ce qu’il aime.

9.- Dès que l’âme, au contraire, est séparée du corps, son désir est rempli et l’amour est sans peine. L’âme alors est rassasiée, mais elle l’est sans dégoût, parce qu’étant rassasiée elle a toujours faim, sans avoir la peine de la faim, car dès que l’âme est séparée du corps, elle déborde d’une félicite parfaite, et elle ne peut rien désirer sans la voir. Elle désire me voir, et elle me soit face à face, elle désire voir la gloire de mon nom dans mes saints, et elle la voit dans la nature angélique et dans la nature humaine.

LXXX.- Les mondains rendent gloire à Dieu, qu’ils le veuillent ou ne le veuillent pas.

1.- La vue de l’âme bienheureuse est si parfaite qu’elle voit la gloire et l’honneur de mon nom, non seulement dans les habitants du ciel, mais encore dans ceux de la terre. Qu’il le veuille ou non, le monde me rend gloire. Il est vrai qu’il ne le fait pas comme il devrait, en m’aimant par-dessus toute chose; mais moi je trouve dans les hommes la gloire et la louange de mon nom, puisqu’en eux brillent ma miséricorde et la grandeur de ma charité.

2.- Je leur laisse le temps, et je ne commande pas à la terre de les engloutir pour leurs fautes; je les attends, au contraire, et je dis à la terre de leur donner ses fruits, au soleil de les éclairer et de les chauffer de ses rayons; je conserve au ciel la régularité de ses mouvements et je répands ma miséricordieuse bonté sur toutes les choses qui sont faites pour eux. Non seulement je ne les leur retire pas à cause de leurs fautes, mais encore je les donne au pécheur comme au juste, et même souvent plus au pécheur qu’au juste, parce que le juste peut souffrir, et que je le prive des biens de la terre pour lui donner plus abondamment les biens du ciel. Ainsi, ma miséricorde et ma charité brillent sur eux.

3.- Quelquefois, les persécutions que les serviteurs du monde font supporter à mes serviteurs éprouvent leur patience et leur charité; elles ne servent qu’à me faire offrir d’humbles et continuelles prières; elles tournent ainsi à la gloire et à l’honneur de mon nom. Qu’il le veuille ou non, le méchant cause ma gloire, même par ce qu’il fait pour m’offenser.

Traité de la Prière I – Chapitre LXXII, LXXIII, LXXIV, LXXV

LXXII.- L’âme qui se connaît évite les tromperies du démon.

1.- Je n’ai pas voulu te cacher, ma fille bien-aimée, l’erreur où tombent ordinairement les hommes qui se complaisent dans le peu de bien qu’ils font au temps de la consolation, et celle de mes serviteurs qui s’attachent tellement aux douceurs spirituelles, qu’ils ne peuvent plus connaître la vérité de mon amour et discerner où se trouve le péché. Je t’ai dit le piège où le démon les prend par leur faute s’ils ne suivent pas le moyen que je t’ai enseigné. Ainsi toi et mes autres serviteurs, vous devez suivre la vertu par amour pour moi, et non par un autre, motif.

2.- Ces erreurs et ces dangers sont pour ceux dont l’amour est imparfait, c’est-à-dire pour ceux qui aiment plus mes bienfaits que moi-même. Mais l’âme qui est entrée dans la connaissance d’elle-même en s’exerçant à l’oraison parfaite, en rejetant l’imperfection de l’amour et de la prière, comme je te l’ai expliqué, cette âme me reçoit par l’amour; elle s’efforce d’attirer à elle le lait de ma douceur sur le sein de la doctrine de Jésus crucifié.

3.- Elle est arrivée au troisième état, c’est-à-dire à l’amour tendre et filial; elle n’a pas un amour mercenaire, mais elle agit avec moi comme un ami agit avec son ami qui lui fait un présent: il ne regarde pas au présent, mais au cœur de celui qui donne, et il n’aime le présent que par amour pour son ami. Ainsi fait l’âme qui est parvenue à l’amour parfait. Quand elle reçoit mes bienfaits et mes grâces, elle ne s’arrête pas au présent, mais son intelligence contemple la grandeur de ma charité qui donne.

4.- Pour que l’âme ne puisse s’excuser de ne pas faire ainsi, j’ai voulu unir le bienfait au bienfaiteur, en unissant la nature humaine à la nature divine, lorsque je vous ai donné le Verbe, mon Fils unique, qui est une même chose avec moi comme moi avec lui. Par cette union vous mie pouvez voir le présent sans voir celui qui vous le fait. Comprenez donc avec quel amour vous devez aimer le don et le donateur. Si vous faites cela, vous aurez un amour non pas mercenaire, mais pur et généreux, comme ceux qui se renferment dans la connaissance d’eux-mêmes.

LXXIII.- Comment l’âme quitte l’amour imparfait et arrive à l’amour parfait.

1.- Jusqu’à présent je t’ai montré de différentes manières comment’ l’âme quitte l’imperfection pour arriver à l’amour parfait, et comment elle agit quand elle est parvenue à l’amour intime et filial. Je t’ai dit et je te répète qu’elle y arrive par la persévérance, en se renfermant dans la connaissance d’elle-même, cette connaissance d’elle-même doit être accompagnée de la connaissance de ma bonté, pour qu’elle n’en soit pas troublée. Car la connaissance d’elle-même lui donnera la haine de son amour, sensitif et de l’attrait qu’elle a pour les consolations. De cette haine fondée sur l’humilité doit naître la patience.

2.- La patience deviendra sa force contre les attaques du démon et contre les persécutions des hommes. Elle s’en servira avec moi, lorsque, pour son bien, je lui retire la consolation. Elle supportera tout au moyen de cette vertu. Si la sensualité voulait, dans quelques épreuves, se révolter contre la raison, le juge de la conscience s’élèverait au-dessus d’elle avec une sainte haine et ferait justice de tout mouvement coupable. Car l’âme qui ne s’aime pas se corrige toujours et se reprend non seulement des mouvements qui sont contre la raison, mais encore quelquefois de ceux qui viennent de moi.

3.- C’est ce que veut faire comprendre mon doux serviteur saint Grégoire, lorsqu’il dit qu’une conscience sainte et pure trouvait le péché là où il n’était pas, c’est-à-dire que sa délicatesse était si grande, qu’elle voyait une faute où il n’y en avait pas. L’âme doit faire de même si elle veut quitter l’imperfection, et si elle attend, dans la connaissance d’elle-même et à la lumière de la foi, ce qu’ordonnera ma Providence .

4.- Ainsi firent mes disciples, lorsqu’ils se renfermèrent dans le Cénacle, persévérant dans les veilles et la prière jusqu’à la descente du Saint-Esprit. L’âme, comme je te l’ai dit, fait de même. Elle s’éloigne de l’imperfection et se renferme en elle-même pour atteindre la perfection. Elle veille, et fixe le regard de son intelligence sur la doctrine de ma Vérité. Elle se connaît et persévère humblement dans la prière d’un saint désir, parce qu’elle éprouve en elle l’ardeur de ma charité.

LXXIV.- Des signes auxquels on connaît que l’âme est arrivée à l’amour parfait.

1.- Je vais te dire maintenant quel signe prouve que l’âme est arrivée à l’amour parfait. Ce signe est le même signe qu’on vit dans mes disciples, lorsqu’ils eurent reçu l’Esprit Saint. Ils sortirent du Cénacle, perdirent toute crainte et annoncèrent ma parole, la doctrine du Verbe mon Fils bien-aimé. Loin de redouter la souffrance, ils s’en glorifiaient; ils ne craignaient pas de paraître devant les tyrans du monde et de leur dire la vérité pour l’honneur et la gloire de mon nom.

2.- Ainsi, lorsque l’âme s’est renfermée dans la connaissance d’elle-même, comme je te l’ai dit, je retourne vers elle par le feu de ma charité. Cette charité, pondant qu’elle persévérait dans sa retraite, lui a fait concevoir la vertu par amour, en lui communiquant ma puissance; avec cette puissance elle a dominé et vaincu sa passion sensitive.

3.- Par la même charité, je l’ai fait participer à la sagesse de mon Fils, et dans cette sagesse elle voit et connaît, par l’œil de l’intelligence, ma vérité et les égarements de l’amour-propre spirituel, c’est-à-dire l’amour imparfait de la consolation. Elle connaît la malice et les mensonges avec lesquels le démon abuse l’âme qui est liée à cet amour imparfait; elle se lève avec la haine de l’imperfection et avec l’amour de la perfection.

4.- Par cette même charité, qui est le Saint-Esprit, je la fais participer à sa volonté, en fortifiant la volonté qu’elle a de supporter toute peine, de sortir de la retraite pour mon nom, et de produire des bonnes œuvres envers le prochain. Elle ne sort pas de sa connaissance, mais elle fait sortir d’elle-même les vertus conçues par l’amour. Elle les montre de différentes manières, quand les besoins du prochain le réclament; car elle n’a plus la crainte qu’elle avait de perdre ses consolations spirituelles.

5.- Elle est parvenue à l’amour généreux et parfait, et elle agit au-dehors sans penser à elle-même. L’âme arrive au second degré de ce troisième état parfait, où elle goûte et enfante la charité du prochain. Elle obtient ce degré de parfaite union en moi. Ces deux derniers degrés sont unis ensemble, et l’un n’est pas sans l’autre; mon amour n’est jamais sans l’amour du prochain, et celui du prochain, sans le mien, ils ne peuvent être jamais séparés: de même, ces deux degrés ne sont jamais l’un sans l’autre, comme je te le montrerai en t’expliquant le troisième état.

LXXV.- Les imparfaits veulent suivre seulement le Père, tandis que les parfaits suivent le Fils.

1.- Je t’ai dit que ceux qui sortent ainsi dehors montrent qu’ils ont quitté l’imperfection et sont arrivés à la perfection. Ouvre les yeux de ton intelligence, et vois-les courir sur le pont de Jésus crucifié, votre règle, votre loi et votre doctrine. Ils ne se proposent pas d’autre but que Jésus crucifié. Ce n’est pas moi le Père qu’ils se proposent, comme font ceux qui sont dans l’amour imparfait et qui ne veulent pas supporter de peine, parce qu’en moi ne peut se trouver la peine.

2.- Les imparfaits ne veulent suivre que la consolation qu’ils trouvent en moi. Je te le dis, ce n’est pas moi qu’ils suivent, c’est la consolation qu’ils trouvent en moi. Les parfaits, au contraire, font autrement: embrasés par l’amour, ils ont uni les trois puissances de l’âme et monté les trois degrés figurés sur le corps de Jésus crucifié. Avec les pieds de son affection, leur âme est parvenue des pieds de mon Fils à son côté, où elle trouve le secret du cœur et connaît le baptême de l’eau, qui a sa vertu par le sang. L’âme y reçoit la grâce du saint baptême et y devient un vase capable de contenir la grâce unie et mélangée de ce sang.

3.- Où l’âme connaît-elle la dignité d’être unie et mélangée au sang de l’Agneau, en recevant le saint baptême par la vertu de ce sang? Dans le côté de mon Fils où elle connaît le feu de la divine charité. Si tu te le rappelles, ma Vérité incarnée te l’a révélé, lorsque tu l’interrogeais en lui disant: Doux Agneau sans tache, vous étiez mort quand votre côté a été ouvert. Pourquoi vouloir que votre cœur soit ainsi frappé et entrouvert? Mon Fils te répondit, s’il t’en souvient, qu’il avait eu bien des raisons; et il te dit les principales.

4.- Son désir de sauver le genre humain était infini, et son corps ne pouvait supporter la douleur et les tourments que dans une certaine mesure; ce qui était fini ne pouvait donc montrer l’amour infini dont il vous aimait; alors il voulut que vous vissiez le secret de son cœur, et il vous le montra ouvert, pour vous faire comprendre qu’il vous aimait plus que ne le pouvait montrer sa mort.

5.- L’eau et le sang qui en sortirent signifiaient le saint baptême de l’eau, que vous recevez en vertu du sang; il répandit le sang et l’eau pour marquer deux baptêmes de sang: le premier, que reçoivent ceux qui répandent leur sang pour moi: ce sang tire sa vertu du sang de mon Fils, et remplace le baptême qu’ils n’ont pu recevoir; le second est le baptême de feu, que reçoivent ceux qui désirent le baptême avec un ardent amour sans pouvoir l’obtenir; et il n’y a pas de baptême de feu sans le sang; parce que ce sang est pénétré par le feu de la divine charité qui l’a fait répandre.

6.- L’âme reçoit aussi le baptême de sang d’une autre manière, pour parler par figure; ma divine charité l’accorde parce qu’elle voit l’infirmité et la fragilité de l’homme qui l’entraîne au péché. Sa fragilité ni aucune autre cause ne l’entraînerait au péché, s’il n’y consentait pas; mais il y tombe par faiblesse, et le péché lui fait perdre la grâce qu’il avait reçue au baptême en vertu du sang; alors il fallait que ma divine bonté perpétuât le baptême du sang par la contrition du cœur et par la sainte confession, en s’adressant, quand on le peut, à mes ministres qui gardent les clefs du sang.

7.- Le sang est versé sur l’âme par l’absolution, et quand on ne peut se confesser, il suffit de la contrition du cœur: alors c’est la main de ma clémence qui vous donne le bénéfice du sang. Mais celui qui pourra se confesser devra le faire, et celui qui le pourra, et ne le fera pas, sera privé du bénéfice du sang.

8.- Il est vrai que, quand on le veut, au moment de la mort, et qu’on ne le peut pas, on reçoit le sang. Mais que personne ne soit assez insensé pour espérer se faire pardonner ses fautes au dernier instant; car il peut craindre que, pour punir son obstination, ma divine justice lui dise: Tu ne t’es pas souvenu de moi pendant la vie, quand tu en avais le temps; je ne me souviendrai pas de toi dans la mort. On ne doit donc jamais différer sa conversion; mais, alors même, on doit jusqu’à la fin espérer dans le sang et en recevoir le baptême.

9.- Mais tu vois que le baptême de sang peut toujours couler sur l’âme; et dans ce baptême tu reconnais l’action de mon Fils. La peine de la croix est finie, mais le fruit que vous en recevez est infini à cause de la nature divine infinie qui est unie à la nature humaine finie. La nature humaine souffrait dans mon Verbe revêtu de votre humanité, mais comme les deux natures sont unies et pénétrées l’une pour l’autre, la divinité attire à elle la peine qu’elle a supportée sur la croix avec un amour ineffable, et son action peut être appelée infinie.

10.- La peine n’était pas infinie, puisqu’elle était limitée par le corps, et que le désir de souffrir pour vous racheter a cessé sur la croix quand l’âme de mon Fils s’est séparée de son corps; mais le fruit qui est sorti de cette peine est infini comme le désir de votre salut, et vous le recevez d’une manière infinie; car s’il n’était pas infini, le genre humain ne pourrait pas être sauvé dans le passé, dans le présent et dans l’avenir. L’homme qui m’offense ne pourrait se relever sans cesse, si le baptême de sang ne lui était accordé d’une manière infinie, et si le fruit du sang n’était pas infini.

11.- C’est ce que mon Fils vous a montré par la blessure de son côté; c’est là que vous trouvez le secret de son cœur, parce que vous y voyez qu’il vous aime plus qu’il ne peut vous le montrer par une peine finie. Il vous le montre d’une manière infinie, par le baptême du sang uni au feu de la charité divine, car c’est l’amour qui l’a fait répandre. Le baptême est donné à tous les chrétiens, et à quiconque veut le recevoir, dans l’eau unie au sang et au feu. L’âme est ainsi pénétrée par le sang de mon Fils, et c’est pour vous faire comprendre ces choses qu’il a fait sortir le sang et l’eau de son côté. J’ai maintenant répondu à ce que tu m’avais demandé.

Traité de la Prière I – Chapitre LXIX, LXX, LXXI, LXXI

LXVIII.- Combien se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.

1.- Mes serviteurs qui sont encore dans l’amour imparfait me cherchent et m’aiment à cause de la consolation et du bonheur qu’ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait, petit ou grand, scion la mesure de l’amour qui agit, je donne des consolations spirituelles, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, dans le temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l’âme reçoive mal la consolation, c’est-à-dire quelle s’arrête plus à la consolation que je lui donne qu’à moi-même, mais bien pour qu’elle regarde plus l’ardeur de ma charité à donner et son indignité à recevoir, que le plaisir qu’elle trouve dans ces consolations. Mais si dans son ignorance, elle s’arrête à la seule jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.

2.- Elle est trompée d’abord par cette consolation qu’elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la console et je la visite plus qu’à l’ordinaire; et quand je me retire, elle revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu’elle avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu’elle sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le demandent ses besoins. Mais l’âme ignorante recherche la consolation dans les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l’Esprit Saint.

3.- Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu’elle me cherche en vérité et qu’elle ne m’aime pas seulement pour son plaisir, mais qu’elle s’attache plutôt à ma charité qu’à la consolation. Si elle ne le fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu’elle se verra privée de ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.

4.- Tels sont ceux qui s’arrêtent aux consolations: ils ont goûté ma visite d’une certaine manière, et ils veulent toujours y revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d’une autre façon, ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu’ils ont trouvée en moi.

5.- L’âme se trompe, parce qu’il est impossible qu’elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces; je les varie au contraire, je lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l’âme, et elle ne me sentira pas; quelquefois je manifesterai ma volonté, c’est-à-dire mon Verbe incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant il semblera que l’âme ne goûte pas l’ardeur et la joie que cette vision devrait lui donner. D’autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et goûtera un grand bonheur.

6.- Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour la faire croître dans l’humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement. Qu’elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu’elle reconnaisse avec amour l’amour avec lequel je donne. Qu’elle croie fermement que j’agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne. Le moyen d’éviter les pièges de l’ennemi est de recevoir tout de moi par amour, parce que je suis la fin suprême de l’homme et que toute chose doit être basée sur ma douce volonté.

LXIX.- De ceux qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d’assister le prochain.

1.- Je t’ai parlé de l’erreur de ceux qui veulent me goûter et me recevoir à leur manière; maintenant je veux te faire connaître combien se trompent ceux qui s’attachent tellement à la consolation, que, voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien pour les soulager, sous prétexte de mieux faire; ils disent: Cela m’ôte la paix de l’âme et m’empêche de réciter mes prières ordinaires.

2.- Ils croient m’offenser parce qu’ils n’ont plus de consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse; car ils m’offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu’en abandonnant toutes leurs consolations. Si j’ordonne des prières vocales et mentales, c’est pour que l’âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le prochain, c’est pour qu’elle persévère dans cette charité.

3.- Elle m’offense plus en abandonnant la charité du prochain pour prier et pour conserver la paix, qu’en laissant ses exercices pour assister le prochain. Aussi l’âme me trouve dans la charité du prochain, tandis qu’elle me perd dans les consolations où elle me cherche. Car en n’assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue, et avec mon amour diminue aussi la consolation.

4.- En voulant cagner on perd, en voulant perdre on gagne; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me gagne, et gagne le prochain en l’assistant et en le servant avec charité. Il goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au contraire, est toujours dans la peine; car souvent l’obéissance, les liens particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le contraindront à s’occuper du prochain: et alors il le fera avec chagrin, avec ennui et trouble de conscience; il deviendra insupportable à lui-même et aux autres.

5.- Si vous lui demandez: Pourquoi ressentez-vous de la peine? Il vous répondra: Il me semble que j’ai perdu la paix et la tranquillité d’esprit; je n’ai pas fait mes exercices ordinaires, et je crois que j’ai offensé Dieu. Il n’en est rien; mais parce qu’il ne regarde que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement où est son offense. S’il le savait, il verrait que l’offense ne consiste pas à être privé de consolation spirituelle et à laisser l’exercice de la prière lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour le prochain, qu’on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que l’âme se trompe elle-même à cause de son, amour-propre spirituel.

LXX.- De l’erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et les visions.

1.- L’amour-propre spirituel cause un mal plus grand à l’âme lorsqu’elle aime et recherche uniquement les consolations et les visions que j’accorde souvent à mes serviteurs. Dès qu’elle s’en voit privée, elle tombe dans le chagrin et l’ennui, parce qu’il lui semble qu’elle est privée de la grâce lorsqu’elle ne sent plus ma présence; car, comme je te l’ai dit, je parais et je disparais dans l’âme, afin de la rendre parfaite. Elle tombe dans l’abattement et croit être réprouvée dès qu’elle perd la consolation et qu’elle sent les attaques de la tentation.

2.- Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par l’amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu’elle sache que moi, le souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat, et pour l’empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit s’humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l’esprit. Je me retire d’elle pour qu’elle s’humilie et qu’elle reconnaisse ma charité dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.

3.- II faut qu’elle ne reçoive pas seulement le lait de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu’elle s’attache au sein de ma Vérité, et qu’elle reçoive le lait avec la chair, c’est-à-dire qu’elle se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus crucifié, dont j’ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C’est pour cela que je me retire. Si l’âme avance avec prudence et sagesse, je reviens bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité; mais si elle reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles, elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.

LXXI.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles peuvent être trompés par le démon qui se transforme en ange de lumière. – Des signes auxquels on peut reconnaître qu’une vision vient de Dieu ou du démon.

1.- Ceux qui s’attachent aux consolations spirituelles sont souvent exposés à d’autres pièges du démon, qui se transforme en ange de lumière. Le démon tente toujours l’âme sur ce qu’elle désire davantage, et, s’il la voit passionnée pour les consolations et les visions spirituelles, si elle y met tout son bonheur, au lieu de le mettre dans la vertu en se reconnaissant indigne des douceurs de mon amour, alors il revêt pour elle des formes de lumière: tantôt il prend l’apparence d’un ange, tantôt celle de mon Fils, tantôt celle de quelque saint. Il agit ainsi pour prendre l’âme à l’amorce du plaisir qu’elle trouve dans les visions et les douceurs spirituelles. Si l’âme ne se retire pas avec une humilité profonde en repoussant la jouissance qui lui est offerte, elle tombe par ce piège dans les mains du démon. Mais si elle se sépare de la jouissance par l’humilité, si elle s’attache par l’amour à moi qui donne, plutôt qu’à mes présents, alors le démon est vaincu, parce que son orgueil ne peut supporter l’humilité de l’âme.

2.- Si tu me demandes comment on peut reconnaître ce qui vient du démon et ce qui vient de moi, je te répondrai que c’est à ce signe.: Si c’est le démon qui se présente, à l’âme sous forme de lumière, elle en reçoit une vive joie; mais plus la vision se prolonge, plus la joie diminue, et il ne reste bientôt que trouble, tristesse et ténèbres qui obscurcissent tout l’intérieur. Mais si c’est moi, l’éternelle Vérité, qui visite l’âme, elle éprouve au premier moment une sainte frayeur, et avec cette frayeur, la joie, l’assurance, une douce prudence qui fait qu’en doutant elle ne doute pas.

3.- La connaissance d’elle-même la persuade de son indignité. Elle dit: Je ne suis pas digne de recevoir votre visite, et, puisque je n’en suis pas digne, comment cela peut-il être? Alors elle se confie à la grandeur de ma charité; elle comprend que je puis lui donner ce qu’il me plaît, en ne regardant pas son indignité, mais ma dignité, qui me rend capable de me recevoir en elle-même par grâce et d’une manière sensible. Je ne méprise pas son désir qui m’appelle, et elle me reçoit humblement en disant: Voici, votre servante, qu’il me soit fait selon votre volonté. Alors elle quitte l’oraison et les douceurs de ma présence avec joie, avec humilité, parce qu’elle se trouve indigne de tout ce qu’elle reçoit de ma charité.

4.- Tel est le signe qui montre si l’âme est visitée par moi ou par le démon. Ma visite commence par la crainte, elle continue et finit dans la joie et l’espoir de la vertu; celle du démon commence par la joie, mais elle se termine dans la confusion et les ténèbres de l’esprit. Je vous ai donné ce signe pour que l’âme qui veut marcher avec humilité et prudence ne puisse être trompée; elle le sera, quand elle voudra avancer seulement avec l’amour imparfait de sa propre consolation, et non pas avec mon amour.

Traité de la Prière I – Chapitre LXV, LXVI, LXVI, LXVII

LXV.- Du moyen que prend l’âme pour arriver à l’amour pur et généreux.

1.- Lorsque l’âme est entrée dans le chemin de la perfection, en passant par la doctrine -de Jésus crucifié, avec l’amour véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu’elle est arrivée par une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d’elle-même, elle s’y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle? Elle se renferme par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir qu’elle a d’arriver à l’amour généreux et parfait. Elle voit et comprend qu’on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive ma venue par l’augmentation de la grâce en elle. À quoi se reconnaît cette foi vive? À la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque chose qui arrive. À moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous ne devez jamais abandonner la prière.

2.- Souvent le démon obsède plus l’âme de ses tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n’y est pas consacré: il voudrait vous inspirer l’ennui de la, prière. Quelquefois il dit: Cette prière ne vous sert de rien, parce qu’on ne doit pas être ainsi distrait. Le démon s’efforce par ce moyen de troubler et, de dégoûter l’âme de l’exercice de la prière, parce que la prière est une arme avec laquelle l’âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu’elle la prend avec la main de l’amour et le bras du libre arbitre, et qu’elle combat à la lumière de la sainte foi.

LXVI.- L’âme doit passer de la prière vocale à la prière mentale.

1.- Tu sais, ma fille bien-aimée, que c’est en persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l’âme acquiert toute vertu. Elle doit persévérer, et ne se laisser jamais arrêter par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l’esprit du mal met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh! que cette prière est douce à l’âme, et qu’elle m’est agréable, lorsqu’elle est faite avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la lumière de la sainte foi et avec l’ardeur de ma charité!

2.- Cette charité s’est rendue visible dans la personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce sang enivre l’âme et l’embrase du feu de la charité divine; cette nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui tient la clef de ce Précieux Sang, est chargé de vous le distribuer. On le trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu’ils ne périssent pas de faiblesse.

3.- Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou virtuellement: sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse contemplation du sang de Jésus crucifié. L’âme y trouve et goûte le sentiment de l’amour qui l’a fait répandre; elle s’y enivre, s’y enflamme d’un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du prochain. Où acquiert-elle cette charité? Dans la cellule de la connaissance d’elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent leur imperfection et acquirent la perfection. Par quel moyen? Par la persévérance unie à la sainte foi.

4.- Mais ne pense pas qu’on reçoive cette ardeur et cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt des lèvres que du cœur. Ils ne songent qu’à réciter un certain nombre de psaumes et de Pater noster. Dès qu’ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent pas à autre chose; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il ne faut pas agir de la sorte; quand on ne fait pas davantage, on en retire peu de fruits et on m’est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés? Non, mais il faut procéder avec ordre et mesure.

5.- Tu sais que l’âme est imparfaite avant d’être parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté, lorsqu’elle est encore imparfaite, l’âme doit s’appliquer à la prière vocale; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire mentale; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s’efforcera d’élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l’abondance de ma charité et la rémission de ses péchés.

6.- Elle doit le faire pour que la connaissance d’elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas qu’elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu’elle ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi qu’elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon inépuisable miséricorde, afin qu’elle ne tombe pas dans la confusion.

7.- Si la connaissance d’elle-même et la vue de son péché n’étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l’espérance de la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu’elle ne s’appuierait pas sur le bras de ma miséricorde.

8.- C’est là un des pièges les plus dangereux que le démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m’être agréable, vous devez toujours dilater votre cœur et votre amour dans mon infinie miséricorde par une humilité sincère, Tu sais que l’orgueil du démon ne peut supporter une âme humble, et qu’il est confon4u par la grandeur de ma bonté et de ma miséricorde, dès que l’âme espère véritablement en moi.

9.- Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te troublant; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d’égarements et que tu n’avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais faire, et ce que ma bonté t’avait enseigné, car ma bonté est toujours présente à qui veut la recevoir. Tu t’appuyais avec humilité sur ma miséricorde, et tu disais: Je confesse à mon Créateur que ma vie s’est passé dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus crucifié; je me baignerai dans son sang. J’effacerai ainsi mes iniquités, et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.

10.- Le démon prit la fuite, mais il revint avec une autre tentation, et voulut te porter à l’orgueil en te disant: Tu es parfaite et agréable à Dieu; il est inutile de t’affliger davantage et de pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais prendre; c’était celle de l’humilité, et tu répondis au démon: Misérable que je suis! Jean-Baptiste n’a jamais fait de péché, il a été sanctifié dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence: et moi qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les pleurer? ai-je compris ce qu’est Dieu, et ce que je suis, moi qui l’offense?

11.- Alors le démon, ne pouvant supporter l’humilité de l’espérance en ma bonté, te cria: Sois maudite, car je ne puis -rien faire avec toi si je veux t’abaisser parle désespoir, tu t’élèves par l’espérance de la miséricorde; si je veux t’élever par l’orgueil, tu t’abaisses par l’humilité jusqu’aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.

12.- L’âme doit donc sans cesse unir à la connaissance de ma bonté la connaissance d’elle-même, et à la connaissance d’elle-même ma connaissance. C’est ainsi que la prière vocale sera utile à l’âme qui la fera, et qu’elle me sera agréable; de la prière vocale imparfaite, elle arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite. Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n’y arrivera jamais.

13.- Souvent l’âme, dans son ignorance, s’obstine à réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui donnant une claire connaissance d’elle-même et la contrition de ses fautes, tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d’autres fois en lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle l’avait désiré, la présence de mon Fils bien-aimé; mais elle, pour accomplir la tâche qu’elle s’est imposée, néglige ma visite et se fait un cas de conscience de ne pas achever ce qu’elle a commencé.

14.- Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait’ être le jouet du démon. Dès qu’elle sent au contraire ma visite par les moyens que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n’en a pas le temps, elle ne doit pas s’en attrister et se troubler, parce qu’elle a fait ce qu’elle devait faire. Il faut excepter cependant l’office divin, que les ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire: en ne le disant pas, ils m’offensent, puisqu’ils y sont tenus jusqu’à la mort. S’ils sentent leur esprit attiré vers la prière mentale à l’heure qu’ils devaient consacrer à la récitation de l’office, ils doivent faire en sorte de le dire, avant ou après, parce qu’ils ne doivent jamais y manquer,

15.- L’âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dès qu’elle s’y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l’ai dit, conduit à la prière parfaite; il ne faut donc pas l’abandonner, mais suivre le mode que je t’ai enseigné: et ainsi, par la pratique et la persévérance, l’âme goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.

16.- Je t’ai dit que quelques-uns participaient au corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement, parce qu’ils participaient à l’ardeur de la charité, qui se goûte au moyen de la sainte prière, peu ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie. Celui qui prie avec peu d’application recueille peu; celui qui prie avec beaucoup d’application recueille beaucoup. Plus l’âme s’efforce d’affranchir son amour et de s’unir à moi par la lumière de l’intelligence, plus elle me connaît; plus elle me connaît, plus elle m’aime; plus elle m’aime, plus. Elle me goûte.

17.- Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste pas dans la multitude des paroles, mais dans l’ardeur du désir qui élève l’âme vers moi, par la connaissance de son néant et la connaissance de ma bonté jointes ensemble: il faut donc unir la prière mentale et la prière vocale comme la vie active et la vie contemplative.

18.- il y a différentes manières de comprendre la prière vocale et la prière mentale. Car je t’ai dit que le désir, c’est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle. Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et surajoute à la prière continuelle du désir; et ainsi la prière vocale, unie à la sainte volonté de l’âme., se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois se continuera au-delà, si la charité le demande pour le salut du prochain, ou si la position où je l’ai placée l’exige.

19.- Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des âmes, comme l’inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n’exempte pas de la prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de -Dieu et du prochain, tout ce qu’on fait même pour soi avec une intention droite, peut être appelé une prière; car, comme le dit mon apôtre Saint Paul, on ne cesse pas de prier dès qu’on ne cesse pas de bien faire: aussi j’ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par l’ardeur de la charité, et -cette ardeur de la charité est la prière continuelle.

20.- Je t’ai dit comment on parvenait à la prière mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière vocale pour la prière mentale lorsque je visite l’âme; je t’ai dit ce qu’étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu’on fait pour soi ou pour son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que l’âme s’excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu; et l’âme y parviendra si elle se renferme dans la connaissance d’elle-même avec un amour tendre et filial. Si l’âme ne le fait pas, elle restera toujours dans sa tiédeur et son imperfection; elle n’aimera qu’autant qu’elle trouvera son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.

LXVII.- De l’erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.

1.- Je veux te parler de l’amour imparfait et de l’erreur de ceux qui m’aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le serviteur qui m’aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu’il ne me cherche moi-même: cela est évident, puisqu’il se trouble dès qu’il manque de consolations spirituelles ou temporelles.

2.- Les consolations temporelles charment les hommes du monde, qui font quelque bien tant qu’ils sont dans la prospérité; mais quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se troublent et abandonnent le peu de bien qu’ils faisaient. Si vous leur demandez: Pourquoi vous troublez-vous? Ils répondront: Parce que je suis dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit. C’est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j’agissais bien mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.

3.- Celui qui parle ainsi est aveuglé par l’intérêt. Il n’est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses œuvres. Ce qu’on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu’on fait dans la consolation, et même le mérite en augmenterait si l’on avait la patience. Mais cela vient de ce que ces hommes s’attachent trop à la prospérité. Ils m’aiment peu par vertu, et se reposent l’esprit dans quelques bonnes œuvres. Dès qu’ils sont privés de ce qui les charme, il leur semble qu’ils n’ont plus la paix nécessaire pour bien faire; il leur arrive comme à un homme qui est dans un beau jardin: parce qu’il s’y plaît, il aime y travailler; il croit aimer son travail, mais c’est la beauté du jardin qu’il aime. Il est- facile de voir qu’il aime plus le jardin que le travail; car, dès qu’il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir venait du travail, il ne l’aurait pas ainsi perdu; il l’aurait toujours, parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de l’homme, même lorsqu’on ne jouit plus de la prospérité, comme l’homme ne jouit plus du jardin.

4.- La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui disent: Je sais que je faisais mieux et que j’avais plus de consolations avant d’être éprouvé. J’aimais à faire le bien, mais maintenant je n’y ai aucun goût. Ils se font illusion; s’ils eussent aimé le bien par amour du bien, ils n’auraient pas cessé de l’aimer et, loin d’en perdre le goût, ils l’auraient davantage; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu’ils y trouvaient; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c’est là une erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes œuvres; ils s’abusent sur le plaisir qu’elles leur causent.

Traité de la Discrétion – Chapitre LXIV

LXIV.- En aimant Jésus imparfaitement, on aime imparfaitement le prochain. – Signes de cet amour imparfait.

1.- Je veux que tu saches que toute imperfection et toute perfection qui se manifestent et s’acquièrent en moi, se manifestent et s’acquièrent par le moyen du prochain. C’est ce qu’éprouvent les âmes simples qui aiment les créatures d’un amour spirituel. Si l’on m’aime d’un amour pur et désintéressé, on aime de même le prochain.

2.- Quand on remplit un vase à une fontaine, si on le retire de la fontaine pour boire, le vase est bientôt vide, mais si l’on boit en tenant le vase dans la fontaine, il ne se vide pas, mais il est toujours plein. Il en est de même de l’amour spirituel ou temporel du prochain, il faut y boire en moi, sans le tirer à soi.

3.- Je vous demande que vous m’aimiez comme je vous aime. Vous ne pouvez le faire complètement, puisque je vous ai aimés sans être aimé. L’amour que vous avez pour moi est une dette que vous acquittez, et non pas une grâce que vous m’accordez. L’amour que j’ai pour vous au contraire est une grâce, et non une dette.

4.- Vous ne pouvez donner me rendre l’amour que je réclame, et cependant je vous en offre le moyen dans votre prochain faites pour lui ce que vous ne pouvez faire pour moi. Mon Fils l’a montré lorsqu’il disait à Paul qui me persécutait  » Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? « (Acte IX, 4). Il le disait parce que Paul me persécutait en persécutant mes fidèles.

5.- Il faut que votre amour soit pur et qu’avec cet amour dont vous m’aimez, vous aimiez les autres. Sais-tu, ma fille, comment on reconnaît que l’amour spirituel dont on aime n’est pas parfait? Il est imparfait si l’âme souffre quand il lui semble que la créature qu’elle aime ne répond pas à son amour ou qu’elle n’en est pas aimée autant qu’elle croit l’aimer. Si elle souffre de la perte de sa présence, de ses consolations, ou de la préférence qu’elle donne à un autre.

6.- C’est à cela et à beaucoup d’autres choses semblables qu’on voit l’imperfection de l’amour que l’âme a pour moi et pour le prochain. Elle boit alors dans le vase hors de la fontaine, quoique l’amour l’ait rempli de moi. Mais parce qu’elle m’aime encore imparfaitement, elle montre qu’elle aime imparfaitement aussi le prochain. Cela vient de la racine de l’amour-propre spirituel, qui n’est pas encore arrachée.

7.- Je permets souvent ces épreuves de l’amour pour que l’âme se connaisse dans son imperfection. Je lui retire ma présence sensible pour qu’elle se renferme dans la connaissance d’elle-même, et qu’elle acquière ainsi la perfection. Je reviens ensuite avec une plus abondante lumière, avec une connaissance plus grande de ma vérité, pourvu qu’elle soit persuadée que c’est par ma grâce seulement qu’elle pourra tuer sa volonté.

8.- Qu’elle ne cesse jamais de travailler à sa vigne, d’en arracher les épines des pensées inutiles, et d’y mettre les pierres des vertus affermies dans le sang de Jésus crucifié, qu’elle a trouvées en allant par le pont de mon Fils bien-aimé. Car je te l’ai dit, si tu te le rappelles bien, sur ce pont de la doctrine de ma Vérité sont les pierres fondées sur la vertu de son sang, et les vertus vous donnent la vie par la vertu du sang.

Traité de la Discrétion – Chapitre LX, LXI, LXII, LXIII

LX. – De l’imperfection de ceux qui aiment et servent Dieu pour leur utilité, leur plaisir et leur consolation.

1.- Il y en a qui deviennent mes serviteurs fidèles en me servant sans crainte de la punition et par amour. Mais cet amour est imparfait, parce qu’il vient de l’utilité, du plaisir et de la douceur qu’ils trouvent en moi. Sais-tu-ce qui montre que cet amour est imparfait? C’est que, quand ils sont privés de la consolation qu’ils trouvent en moi, leur amour se refroidit et disparaît souvent ils aiment le prochain avec la même imperfection.

2.- Si je veux éprouver mon serviteur dans son intérêt, pour le retirer de l’imperfection et l’exercer à la vertu, j’éloigne de lui la consolation qu’il goûtait en moi, et je le laisse attaquer par la tribulation: c’est le moyen de lui donner une connaissance plus parfaite de lui-même, et de lui montrer qu’il reçoit de moi seul l’être et la grâce. Ces combats le portent à se réfugier en moi, à reconnaître mes bienfaits et à me chercher seul avec une humilité sincère. C’est pour cela que je lui donne et que je lui retire la consolation, mais jamais la grâce.

3.- Beaucoup alors se refroidissent et reculent par défaut de patience. Ils abandonnent leurs pieux exercices et croient se justifier en disant: ces actes ne me profitent pas; puisque je n’en retire aucune consolation pour mon âme.

4.- C’est agir comme l’imparfait qui n’a pas encore dégagé la lumière de la foi du voile de son amour-propre spirituel; car si ce voile était levé, l’âme verrait bien que toute chose vient de moi, et qu’une feuille d’arbre ne tombe pas sans ma providence. Tout ce que je donne, ou permets, arrive pour la sanctification de mes serviteurs, afin qu’ils possèdent le bien et la fin pour laquelle je les ai créés.

5.- Ils doivent voir et reconnaître que je ne veux autre chose que leur bonheur dans le sang de mon Fils unique, qui les purifie de leurs iniquités. Dans ce sang ils peuvent connaître ma vérité et voir que je les ai créés à mon image et à ma ressemblance, que je les ai créés de nouveau à la grâce par le sang de mon propre Fils, pour les rendre nies enfants adoptifs; mais, parce qu’ils sont imparfaits, ils me servent par intérêt et n’aiment le prochain qu’avec tiédeur.

6.- Les uns perdent courage pour éviter la peine les autres se ralentissent dans le service de leur prochain et se refroidissent dans leur charité, parce qu’ils n’ont plus les avantages et les consolations qu’ils y trouvaient. Il en est ainsi, parce que leur amour n’est pas pur, et qu’ils aiment leur prochain avec la même imperfection qu’ils m’aiment, c’est-à-dire par intérêt. S’ils ne reconnaissent pas leur imperfection, s’ils ne désirent pas s’en corriger, ils retournent nécessairement en arrière.

7.- Il faut que ceux qui veulent la vie éternelle aiment sans intérêt, parce qu’il ne suffit pas de fuir le péché par crainte du châtiment, ou d’embrasser la vertu par amour de ses avantages, il faut encore fuir le péché parce qu’il me déplaît, et aimer la vertu par amour pour moi.

8.- Il est vrai qu’ordinairement la crainte est le premier pas des pécheurs vers la pénitence. L’âme est imparfaite avant d’être parfaite; mais de l’imperfection elle doit aller à la perfection, ou pendant la vie en pratiquant la vertu et en m’aimant d’un cœur libre, généreux et détaché, ou à la mort en reconnaissant son imperfection et en se promettant que si elle eut avait le temps, elle me servirait sans penser à elle.

9.- C’était cet amour imparfait que ressentait saint Pierre pour le doux et bon Jésus, mou Fils unique, lorsqu’il jouissait des délices de son intimité. Mais quand vint le temps de la tribulation, il l’abandonna, et changea tellement, qu’au lieu de mourir pour lui, comme il avait dit, il le renia par peur et déclara qu’il ne l’avait jamais connu.

10.- L’âme succombe ainsi lorsqu’ elle monte ces degrés par crainte servile ou par amour mercenaire. Il faut donc sortir de cette imperfection, m’aimer d’un amour filial et me servir sans intérêt; car je sais récompenser toute peine, et je rends à chacun selon son état et ses efforts.

11.- Ceux qui n’abandonnent pas leurs prières et leurs bonnes œuvres, mais qui travaillent avec persévérance à augmenter leurs vertus, arriveront à l’amour des enfants. Je les aimerai avec cet amour, car je rends toujours l’amour qu’on me donne. Si quelqu’un m’aime comme le serviteur aime son maître, je le récompense comme un maître paie son serviteur, mais je ne me livre pas à lui, parce que les secrets ne se confient qu’à l’amitié: on ne fait qu’un avec son ami, mais non pas avec son serviteur. Il est vrai que le serviteur peut ‘augmenter tellement sa vertu et l’amour qu’il a pour son maître, qu’il deviendra son plus cher ami.

12.- Il en arrive ainsi à mes serviteurs: tant qu’ils restent dans l’amour mercenaire, je ne me manifeste point à eux. Mais s’ils rougissent de leur imperfection et s’ils aiment la vertu, s’ils arrachent avec une sainte haine la racine de l’amour-propre spirituel qui est en eux, si, montant sur le tribunal de leur conscience, ils font justice de la crainte servile et de l’amour mercenaire que n’a pas encore détruits dans leur cœur la lumière de la foi, alors ils me sont si agréables, que je les’ aime comme des amis, je me manifesterai à eux, puisque nia Vérité a dit:  » Celui qui m’aimera sera aimé de mon Père, et je l’aimerai; je me manifesterai à lui, et nous demeurerons ensemble « (S. Jean, XIV, 21-35). C’est la condition des vrais amis d’être deux corps et une seule âme par l’amour, car l’amour transforme dans la chose aimée. S’ils n’ont qu’une âme, comment peuvent-ils avoir des secrets l’un pour l’autre? Aussi mon Fils l’a dit:  » Je viendrai, et nous demeurerons ensemble « ; et c’est la vérité.

LXI.- Comment Dieu se manifeste à l’âme qui l’aime.

1.- Sais-tu comment je me manifeste dans l’âme qui m’aime en vérité et qui suit la doctrine de mon doux et bien-aimé Verbe? Je manifeste de différentes manières ma vérité dans l’âme, selon son désir, et j’ai trois sortes de manifestations.

2.- Je manifeste premièrement dans l’âme mon amour et ma charité par le moyen du Verbe, mon Fils; et cet amour, cette charité se voit dans son sang répandu avec tant d’ardeur. La charité se montre de deux manières l’une est générale et commune à tous ceux qui vivent dans la charité ordinaire. Ils la voient et l’éprouvent dans les nombreux bienfaits qu’ils reçoivent de moi l’autre manière est réservée à ceux qui sont devenus mes amis; ils connaissent la charité plus que les autres, parce qu’ils la connaissent, la goûtent et l’éprouvent sensiblement dans leurs âmes.

3.- La seconde manifestation est pour ceux auxquels je me révèle par le sentiment de l’amour. Je ne regarde pas la créature, mais les saints désirs, et je me montre à l’âme avec la même perfection qu’elle me recherche. Quelquefois je me révèle, dans cette seconde manifestation, en dominant l’esprit de prophétie et cri montrant les choses futures: et cela de beaucoup de manières, selon les besoins de cette âme ou des autres créatures.

4.- D’autres fois, et c’est la troisième manifestation, je forme dans leur esprit la présence de ma Vérité, mon Fils unique, par plusieurs moyens, selon que l’âme le désire et le veut. Tantôt elle une cherche dans la prière en voulant connaître ma puissance, et je la satisfais en lui faisant goûter et sentir ma vertu; tantôt elle me cherche dans la sagesse de mon Fils, et je la satisfais en l’offrant aux regards de son intelligence;,tantôt elle nie cherche dans la clémence de l’Esprit saint, et alors ma bonté lui fait goûter le feu de la divine charité, qui enfante les vraies et solides vertus, fondées sur la charité pure du prochain.

LXII.- Pourquoi Jésus-Christ ne dit pas: « Je manifesterai mon Père « , mais:  » Je me manifesterai « .

1.- Tu vois que mon Fils a dit la vérité dans cette parole:  » Celui qui m’aimera sera une même chose avec moi « ; car en suivant sa doctrine avec amour vous êtes unis lui, et étant unis à lui vous êtes unis à moi, parce que nous sommes une même chose, et puisque nous sommes une même chose, je me manifesterai aussi à vous.

2.- Ainsi mon Fils a dit la vérité en disant:  » Je me manifesterai à vous « , parce qu’en se manifestant il me manifeste, et en me manifestant il se manifeste. Mais pourquoi ne dit-il pas: Je vous manifesterai mon Père? Pour trois raisons. La première est qu’il veut montrer que je ne suis pas séparé de lui, ni lui de moi; et quand saint Philippe lui dit:  » Montrez-nous le Père, et cela nous suffira « , il répond:  » Qui me voit, voit le Père; et qui voit le Père, me voit  » (S, Jean, XIV, 8-9). Il le dit parce qu’il est une même chose avec moi; et ce qu’il avait, il l’avait de moi, et non pas moi de lui. Aussi dit-il aux Juifs:  » Ma doctrine n’est pas de moi, mais de mon Père, qui m’a envoyé « . Parce que mon Fils procède de moi, et non pas moi de lui. Mais comme je suis une même chose avec lui et lui avec moi, il ne dit pas; Je manifesterai le Père, mais je me manifesterai; parce que je suis une même chose avec le Père.

3.La seconde raison, c’est qu’en se manifestant à vous il ne montrait que ce qu’il avait de moi, le Père; comme s’il eût voulu dire: Le Père s’est manifesté entièrement en moi, puisque je suis une même chose avec lui. Je me manifesterai et je le manifesterai à vous par mon moyen.

4.- La troisième raison est, qu’étant invisible, je ne puis être vu de vous tant que vous ne serez pas séparés de vos corps. Alors vous verrez ma divinité face à face, et vous verrez aussi le Verbe, mon Fils intellectuellement jusqu’au temps de la résurrection générale, lorsque votre humanité se conformera et se réjouira dans l’humanité du Verbe, comme je te l’ai dit en te parlant de la résurrection (Le texte dit: nel Trattato della resurrettione. Ces mots semblent indiquer un ouvrage de sainte Catherine de Sienne qui ne nous est pas parvenu.).

5.- Vous ne pouvez me voir maintenant dans mon essence, et alors j’ai voilé la nature divine avec le voile de votre humanité, afin que vous pussiez me voir. Moi, l’invisible, je me suis fait pour ainsi dire visible en vous donnant le verbe, mon Fils, revêtu de votre nature; Il m’a manifesté à vous. Il ne dit pas: Je manifesterai mon Père, mais: Je me manifesterai à vous; comme s’il disait: Selon ce que m’a donné mon Père, je me manifesterai à vous. Tu vois que dans cette manifestation, en se manifestant il me manifeste. Tu ne lui a pas entendu dire: Je vous manifesterai le Père, car tant que vous êtes dans un corps mortel, vous ne pouvez me voir; mais mon Fils est une même chose avec moi.

LXIII.- Comment l’âme monte sur le second degré du pont.

1.- Tu as pu comprendre l’excellence de celui qui est parvenu à l’amour de l’ami; il a monté par les pieds de l’affection, et il est arrivé au secret du cœur, c’est-à-dire au second degré, figuré sur le corps de mon Fils. Je t’ai dit que ces trois, degrés correspondaient aux trois puissances de l’âme; et maintenant je les appliquerai aux trois états de l’âme. Avant de te conduire au troisième degré, je veux te montrer comment on parvient à être ami, et quand on est ami, comment on devient enfant par l’amour filial; ce que fait celui qui est ami, et à quel signe on reconnaît l’ami.

2.- Premièrement, comment parvient-on à être ami? L’homme était d’abord imparfait par la crainte servile; mais avec l’exercice et la persévérance, il parvient à l’amour de la jouissance et de l’utilité qu’il trouve en moi. Telle est la voie par laquelle passe celui qui désire arriver à l’amour parfait, c’est-à-dire à l’amour des amis et des enfants.

3.- Je dis que l’amour filial est parfait, parce que, dans l’amour du Fils, l’homme reçoit mon héritage, l’héritage du Père éternel; et parce que l’amour du Fils comprend toujours l’amour de l’ami, je t’ai dit que l’ami était devenu fils. Quel est le moyen de parvenir à l’amour filial? Le voici. Toute perfection et toute vertu procède de la charité, et la charité est nourrie par l’humilité; l’humilité vient de la connaissance et de la haine de soi-même, c’est-à-dire de sa sensualité. Pour y arriver, il faut persévérer et rester dans la cellule de la connaissance de soi-même, où on connaîtra ma miséricorde dans le sang de mon Fils unique, en attirant par son amour ma charité divine, en s’exerçant à détruire toute mauvaise volonté spirituelle et temporelle, et en se cachant humblement dans son intérieur.

4.- C’est ce que fit Pierre avec les autres disciples: il gémit amèrement après avoir eu le malheur de renier mon Fils. Sa douleur était encore imparfaite, et elle fut imparfaite pendant quarante jours et jusqu’après l’Ascension; car, mon Fils étant retourné vers moi quant à son humanité, Pierre et les autres disciples se cachèrent dans le cénacle pour attendre la venue du Saint-Esprit, que ma Vérité leur avait promis. Ils étaient renfermés par crainte, car l’âme craint toujours jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à l’amour véritable; mais en persévérant dans leurs veilles et dans leurs humbles prières jusqu’à ce qu’ils eussent reçu l’abondance de l’Esprit Saint, ils perdirent la crainte; ils suivirent et prêchèrent Jésus crucifié.

5.- Ainsi, après s’être purifiée du péché mortel et s’être reconnue coupable, l’âme qui veut parvenir à la perfection commence à pleurer par crainte du châtiment; puis elle s’élève à la considération de ma miséricorde, où elle trouve son bien-être et son avantage. Elle est encore imparfaite, et pour la faire arriver à la perfection, après quarante jours, c’est-à-dire après ces deux états, je me retire d’elle de temps en temps, non par grâce, mais par sentiment.

6.- C’est ce que mon Fils annonçait lorsqu’il disait aux disciples:  » Je m’en vais, et je reviendrai vers vous « . Tout ce qu’il disait en particulier à ses disciples était dit en général à tous les hommes présents et futurs. Il dit: Je m’en vais, et je reviendrai vers vous; et il en fut ainsi: car lorsque l’Esprit Saint fut descendu sur les disciples, il revint lui-même. Le Saint-Esprit ne vint pas seul, mais il vint avec ma puissance, avec la sagesse du Fils, qui est un avec moi, et avec la clémence du Saint-Esprit, qui procède du Père et du Fils.

7.- Or, je te le dis de même: Pour faire sortir l’âme de son imperfection, je me retire d’elle d’une manière sensible et je la prive de la consolation qu’elle avait d’abord. Lorsqu’elle était dans la souillure du péché mortel, elle s’est éloignée de moi, et je l’ai privée de ma grâce par sa faute; parce qu’elle m’avait fermé la porte de son désir. Le soleil de la grâce ne brille plus au-dedans, non par la faute du soleil, mais par la faute de la créature, qui ne lui ouvre pas par le désir; mais dès qu’elle reconnaît les ténèbres, elle ouvre la fenêtre et nettoie sa demeure par une sainte confession. Alors, par ma grâce, je retourne dans l’âme, et si je m’en retire quelquefois, elle ne perd pas la grâce, elle n’en perd que le sentiment.

8.- Je le fais pour la rendre humble, pour l’exercer âme chercher véritablement, pour l’éprouver à la lumière de la foi et lui faire acquérir la prudence. Alors, si elle aime d’une manière désintéressée, avec une foi vive et avec la haine d’elle-même, elle se réjouit dans la peine, parce qu’elle se trouve indigne de la paix et du repos de l’esprit. C’est la seconde des trois choses que je t’annonçais en te promettant de t’expliquer comment l’âme arrive à la perfection, et ce qu’elle fait quand elle y est arrivée. Voici ce qu’elle fait. Quand elle sent que je me suis retiré, elle ne retourne pas en arrière, mais elle persévère humblement dans ses exercices, et se renferme avec soin dans la connaissance d’elle-même.

9.- Elle y attend avec une foi vive l’avènement de l’Esprit Saint; elle m’attend, moi, le feu de la charité. Comment m’attend-elle? Elle m’attend, non dans l’oisiveté, mais dans les veilles et dans la prière continuelle; non seulement dans les veilles du corps, mais dans les veilles de l’intelligence. L’œil de son intelligence ne se ferme jamais; elle veille à la lumière de la foi pour arracher par la haine les pensées inutiles de son cœur; elle attend l’ardeur de ma charité, car elle sait que je ne veux pas autre chose que la sanctification des âmes: le sang de mon Fils l’a bien prouvé.

10.- Pendant que son intelligence veille ainsi dans ma connaissance et dans la connaissance d’elle-même, l’âme prie toujours par une sainte et ferme volonté: c’est la prière continuelle. Elle prie aussi par la prière actuelle, c’est-à-dire qu’elle fait dans leur temps les prières ordonnées par l’Église. Voici ce que fait l’âme qui a quitté l’imperfection pour arriver à la perfection.

11.- C’est pour qu’elle y arrive que je me retire d’elle, non par la grâce, mais par le sentiment. Je m’en éloigne pour qu’elle voie et connaisse ses défauts, parce que, dès qu’elle se sent privée de la consolation, elle éprouve sa faiblesse; elle comprend que seule elle ne peut être ferme et persévérante, et par là elle découvre la racine de l’amour-propre spirituel. Elle se connaît ainsi, elle s’élève au-dessus d’elle-même, et s’asseyant sur le tribunal de sa conscience, elle ne fait grâce à aucun sentiment blâmable en arrachant la racine de l’amour-propre avec la haine de cet amour et avec l’amour de la vertu.

Traité de la Discrétion – Chapitre LVI, LVII, LVIII, LIX

LVI.- Les trois degrés du pont correspondent à trois états de l’âme.

1.- Je t’ai dit la route que doivent suivre et que suivent ceux qui sont dans la charité commune, c’est-à-dire ceux qui observent les commandements et qui acceptent les conseils spirituellement; maintenant je veux te parler de ceux qui ont commencé à monter ces degrés, et qui veulent suivre la voie parfaite et observer complètement les commandements et les conseils dans les trois états que je vais t’expliquer plus particulièrement.

2.- L’âme a trois états auxquels s’appliquent ses trois puissances: le premier est imparfait, le second parfait, le troisième très parfait. Dans le premier, l’homme est pour moi un mercenaire, dans le second un serviteur fidèle, et dans le troisième un fils qui m’aime sans songer à lui. Ces trois états peuvent se rencontrer en diverses créatures, et quelquefois se trouver dans une même personne. Ils se trouvent en une même personne lorsqu’elle court avec une ardeur parfaite dans la voie, employant son temps de manière qu’elle arrive de l’état servile à l’état généreux, et de l’état généreux à l’état filial.

3.- Élève-toi au-dessus de toi-même; ouvre l’œil de ton intelligence et vois comment tous ces voyageurs s’avancent; les uns marchent imparfaitement, les autres parfaitement dans la voie des commandements, d’autres très parfaitement dans la voie des conseils. Tu verras d’où vient l’imperfection, d’où vient la perfection, et quel est l’aveuglement de l’âme qui n’arrache pas d’elle-même la racine de l’amour-propre. En quelque état que se trouve l’homme, il a besoin de tuer en lui l’amour-propre.

LVII.- L’âme, en regardant dans le divin miroir, voit les créatures marcher de différentes manières.

1.- Alors cette âme, embrasée d’un saint désir, contemplait dans le doux miroir de la Divinité les créatures qu’elle voyait prendre différentes routes et différents moyens pour arriver à leur fin. Beaucoup commençaient à monter en étant tourmentés par la crainte servile, c’est-à-dire en redoutant leur propre peine; beaucoup d’autres triomphaient de cette crainte et parvenaient à la perfection, mais bien peu arrivaient à la grande et véritable perfection.

LVIII.- La crainte servile ne suffit pas sans l’amour de la vertu. – La loi de crainte et la loi d’amour sont unies ensemble.

1.- Alors la bonté de Dieu, voulant satisfaire le désir de cette âme, lui disait: Remarque ceux que la crainte servile à détachés de la corruption du péché mortel s’ils n’avancent pas avec l’amour de la vertu, la crainte servile ne leur suffira pas pour obtenir la vie bienheureuse; mais I’amour uni à la crainte suffit, parce que la loi est fondée sur l’amour et la crainte.

2.- La loi de crainte est la loi ancienne que j’ai donnée à Moïse, et qui était fondée sur la crainte, parce que la peine punissait la faute commise. La loi d’amour est la loi nouvelle donnée par le Verbe, mon Fils unique; elle est fondée sur l’amour. Mais cette loi nouvelle ne détruit pas l’ancienne: elle l’accomplit au contraire. Ma vérité a dit:  » Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir  » (S. Matth., V, 17).

3.- Il a uni la loi de crainte à la loi d’amour. L’amour a ôté l’imperfection de la crainte de la peine, mais il a laissé la perfection de la bonne crainte, c’est-à-dire la crainte de m’offenser, non pas à cause de la punition, mais à cause de moi, qui suis la bonté suprême. Ainsi la loi imparfaite est devenue parfaite par la loi d’amour.

4.- Mon Fils unique est Venu comme un char de feu, et il a répandu les flammes de ma charité dans votre humanité. L’abondance de ma miséricorde a éloigné la peine des fautes qui se commettent. Celui qui m’offense n’est pas puni sur-le-champ dès cette vie, comme le voulait autrefois la loi de Moïse. La punition est maintenant différée, et la crainte servile est inutile. La faute n’est pas pour cela impunie; elle sera punie quand l’âme sera séparée du corps, si celui qui commet la faute ne la punit pas, dès cette vie, par une contrition parfaite.

5.- La vie est le temps de ma miséricorde, et la mort le temps de la justice. Il faut donc quitter la crainte servile et embrasser mon amour et ma sainte crainte. Sans cela l’homme retombe dans le fleuve, dès qu’il rencontre les flots de la tribulation, et les épines des consolations qui blessent l’âme qui les aime et les possède d’une manière déréglée.

LIX. Comment de la crainte servile, qui est l’état d’imperfection, on parvient à l’état de perfection.

1.- Je t’ai dit que personne ne pouvait sortir du fleuve et passer le pont sans monter trois degrés. On les monte imparfaitement, parfaitement et très parfaitement. Ceux qui sont conduits par la crainte servile montent et réunissent imparfaitement les puissances de leur âme. L’âme voit la peine qui suit la faute; elle se lève et appelle la mémoire pour chasser la pensée du vice, l’intelligence pour voir la punition de la faute, afin que la volonté puisse la détester. Ce premier acte, ce premier effort doit être fait avec la vue de l’intelligence éclairée par la sainte foi.

2.- Elle doit non seulement regarder la peine, mais la récompense de la vertu et l’amour que je lui porte, afin qu’elle puisse monter par amour, avec une affection dégagée de toute crainte servile. On devient ainsi serviteur fidèle et non mercenaire, en me servant par amour et non par crainte, en s’efforçant d’arracher avec une sainte haine la racine de l’amour-propre, en agissant avec prudence, courage et persévérance. Mais il y en a beaucoup qui montent si lentement et qui me rendent ce qu’ils me doivent avec tant de mollesse et d’ignorance, qu’ils s’arrêtent bientôt et retournent en arrière au moindre vent qu’ils rencontrent. Et parce qu’ils ont monté si imparfaitement le premier degré de Jésus crucifié, ils n’arrivent pas au second, qui est son cœur.

Traité de la Discrétion – Chapitre LIII, LIV, LV

LIII. – Explication de ces paroles de Jésus-Christ:  » Qui a soif vienne à moi et boive « .

1.- Ma vérité vous a tous généralement et particulièrement appelés, lorsque mon Fils, plein d’un ardent désir, criait dans le temple:  » Que celui qui a soif vienne à moi et boive (S. Jean, VII, 37), car je suis la fontaine d’eau vive « . Il ne dit pas, qu’il aille à mon Père et boive; mais il dit:  » qu’il vienne à moi « , parce que la peine ne peut être en moi le Père, mais bien en mon Fils unique. Vous qui êtes voyageurs et pèlerins dans cette vie mortelle; vous ne pouvez être sans peine, parce que le péché fait naître les épines sur la terre.

2.- Pourquoi dit-il:  » Venez à moi et buvez « ? Parce qu’en suivant sa doctrine, ou par la voie des commandements et l’amour des conseils, ou par la pratique réelle des commandements et des conseils, c’est-à-dire par la charité parfaite ou par la vie commune, quelle que soit la route que vous preniez pour aller à lui en suivant sa doctrine, vous trouverez de quoi vous désaltérer, en trouvant et goûtant le fruit du sang par l’union de la nature divine à la nature humaine. En vous trouvant en lui, vous vous trouvez en moi qui suis l’océan pacifique, parce que je suis une même chose avec lui, et lui une même chose avec moi.

3.- Ainsi vous êtes invités à la fontaine d’eau vive de la grâce, mais c’est par mon Fils qu’il faut y aller avec persévérance, sans vous laisser arrêter par les épines, les vents contraires; la prospérité, l’adversité et toutes les peines que vous rencontrerez. Vous devez persévérer jusqu’à ce que vous me trouviez, moi qui vous donne l’eau vive; et je vous la donne par le moyen du doux Verbe, mon Fils unique et bien-aimé.

4.- Mais pourquoi dit-il: « Je suis la fontaine d’eau vive « ? Parce qu’il est la fontaine qui me contient, moi qui donne l’eau vive par l’union de la nature divine à la nature humaine. Pourquoi dit-il:  » Qu’il vienne à moi et qu’il boive « ? Parce que vous ne pouvez éviter la peine, et que la peine ne peut se trouver en moi, mais en lui. C’est pour cela que je vous ai fait de mon Fils un pont, et personne ne peut venir à moi que par lui. Il l’a déclaré:  » Personne ne peut aller au Père, si ce n’est par moi « ; et ma Vérité est la vérité même.

5.- Ainsi, tu as vu la voie qu’il faut prendre et suivre avec persévérance. Vous ne pourriez boire autrement de l’eau vive; car la persévérance est la vertu qui reçoit la gloire et la couronne en moi, qui suis le bien suprême.

LIV. – Quel moyen doit prendre toute créature raisonnable pour pouvoir sortir des flots du monde et passer par le pont divin.

1.- Je reviens aux trois degrés par lesquels il faut aller pour ne pas périr dans ce fleuve, pour atteindre l’eau vive à laquelle vous êtes appelés, et pour que je sois continuellement en vous; car pendant votre pèlerinage, je suis en vous, et je me repose par la grâce au milieu de vos âmes. Il faut d’abord avoir soif; il n’y a d’invités que ceux qui ont soif, puisqu’il est dit:  » Qui a soif vienne à moi et boive « .

2.- Celui qui n’a pas soif ne saurait persévérer; il se laissera arrêter par la fatigue ou le plaisir. Il ne prendra ni vase pour puiser ni compagnon pour ne pas aller seul; il retournera en arrière dès qu’il rencontrera la persécution, parce qu’il l’a en horreur. Il craint parce qu’il est seul, mais s’il était accompagné, rien ne l’effraierait. S’il avait monté les trois degrés, il serait en sûreté, parce qu’il ne serait pas seul.

3.- Il faut donc que vous ayez soif et que vous vous réunissiez ensemble, comme je vous l’ai dit, deux ou trois, ou davantage. Pourquoi deux ou trois? Parce que deux ne sont pas sans trois, trois sans deux, ni trois et deux sans davantage. Celui qui est seul ne peut pas m’avoir en lui, parce qu’il n’a pas de compagnon, et je ne puis me tenir au milieu de lui. Il n’est rien parce qu’il est seul dans son amour-propre, et qu’il est séparé de ma grâce et privé de la charité du prochain. Dès qu’il est exclu de moi par sa faute, il est dans le néant, parce que je suis seul Celui qui suis; il est isolé dans son amour-propre, et il n’est compté pour rien dans ma Vérité; il est rejeté de moi.

3.- Il est dit: Quand ils seront deux ou trois, ou davantage, assemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux. Je t’ai dit que deux n’étaient pas sans trois ni trois sans deux, et c’est la vérité. Tu sais que les commandements se réduisent à deux, sans lesquels toute la loi ne peut être observée: il faut m’aimer par-dessus toute chose et aimer le prochain comme soi-même; c’est là le commencement, le milieu et la fin des commandements de la loi.

5.- Ces deux commandements ne peuvent être réunis en mon nom sans la réunion des trois puissances de l’âme, à savoir: la mémoire, l’intelligence et la volonté. La mémoire doit retenir ma bonté et mes bienfaits, l’intelligence doit contempler l’amour ineffable que je vous ai montré par le moyen de mon Fils unique: je l’ai donné pour objet à votre intelligence, pour qu’elle y voie le foyer de ma charité. La volonté alors s’unit à la mémoire et à l’intelligence, en m’aimant et me désirant comme sa fin.

6.- Quand ces trois puissances sont ainsi saintement assemblées, je suis au milieu d’elles par la grâce; et alors, parce que l’homme se trouve plein de ma charité et de celle du prochain, il se trouve sur-le-champ dans la compagnie de nombreuses et solides vertus. Le désir de l’âme lui donne soif de la vertu, de mon honneur, du salut des âmes; toute autre soif est éteinte et morte en elle. Elle marche en assurance et sans aucune crainte servile; elle monte le premier degré de l’affection, parce qu’elle s’est dépouillée de l’amour-propre; elle s’est élevée au-dessus d’elle-même et au-dessus des choses passagères; elle les aime et les conserve si elle veut, mais par moi et jamais sans moi, avec une sainte et véritable crainte, avec l’amour de la vertu.

7.-Elle monte le second degré; elle arrive à la lumière de l’intelligence et contemple l’amour infini, que je vous ai montré dans mon Fils crucifié. Alors elle trouve la paix et le repos, parce que la mémoire s’emplit jusqu’aux bords de ma charité. Tu sais qu’une chose vide résonne quand on la frappe, mais il n’en est pas de même quand elle est pleine. Quand la mémoire est pleine de la lumière de l’intelligence et des sentiments de l’amour, si elle est frappée par les tribulations ou par les plaisirs du monde, l’âme ne fait entendre ni les éclats de la joie, ni les cris de l’impatience, parce qu’elle est pleine de moi, qui suis le bien véritable.

8.- Dès qu’elle a monté ces degrés, elle se trouve en sainte compagnie; elle possède la raison et les trois puissances de l’âme, qu’elle a réunies en mon nom: elle est avec l’amour de moi et du prochain, avec la mémoire pour retenir, l’intelligence pour voir, la volonté pour aimer. L’âme est avec moi, qui suis sa force et sa sûreté; elle est entourée de vertus, et elle s’avance paisiblement, parce que je suis au milieu d’elles.

9.- Elle est poussée par un ardent désir, car elle a soif de suivre la voie de la Vérité, où se trouve la fontaine d’eau vive. Cette soif de mon honneur, de son salut et du salut du prochain lui fait désirer la voie, parce que sans cette voie elle ne pourrait y parvenir. Elle avance, et porte le vase de son cœur vide de tout désir et de tout amour déréglé du monde; et aussitôt que son cœur est vide, il se remplit, parce que rien ne peut rester vide.

10.- Il ne se remplit pas de choses matérielles, mais d’un air pur. Le cœur est un vase qui ne peut rester vide; dès que l’amour déréglé des choses terrestres, en est ôté, il se remplit des choses célestes, des douceurs de l’amour divin, qui conduit aux eaux de la grâce. Quand l’âme est arrivée, elle passe par la porte de Jésus crucifié, et elle goûte l’eau vive qui se trouve en moi, l’océan de la paix.

LV.- Résumé de plusieurs choses qui ont été déjà dites.

1.- Je t’ai montré comment toute créature raisonnable peut sortir de la mer du monde et éviter la mort et la damnation éternelle: je t’ai montré trois degrés principaux qui sont les trois puissances de l’âme, et personne n’en peut monter un sans monter les autres. Je t’ai expliqué cette parole de mon Fils: Quand ils seront deux ou trois, ou plusieurs, réunis en mon nom. Cette réunion est celle des trois puissances de l’âme, qui s’accordent avec les deux principaux commandements de la loi: m’aimer par-dessus toutes choses et aimer le prochain comme soi-même. Dès que l’homme a fait cette réunion et monté ces degrés, il a soif de l’eau vive; il avance; il passe sur le pont en suivant la doctrine de ma Vérité.

2.- Et alors vous accourez à la voix qui vous crie comme dans le temple: Que celui qui a soif vienne à moi et boive, car je suis la fontaine d’eau vive. Je t’ai expliqué cette parole et comment il fallait l’entendre, afin que tu connaisses mieux l’abondance de ma charité et le honteux aveuglement de ceux qui se plaisent à courir par la route du démon, qui leur offre une eau empoisonnée.

3.- Tu me demandais les moyens de ne pas périr dans le fleuve; je te les ai montrés, et je t’ai dit qu’il fallait monter sur le pont en unissant les deux commandements de la loi dans la charité du prochain et en m’apportant son cœur et son amour comme un vase; car je donne à boire à qui m’en demande. Il faut suivre la voie de Jésus crucifié et y persévérer jusqu’à la mort; voilà ce que doit faire l’homme, quel que soit son état, car l’état n’est jamais une excuse; on peut et on doit toujours remplir cette obligation de toute créature raisonnable.

4.- Personne ne peut s’en défendre en disant: J’ai une position, des enfants et d’autres embarras du monde, et il m’est impossible de suivre cette route. On ne peut alléguer ces obstacles; car je te l’ai dit, tout état m’est agréable, pourvu qu’on y apporte une bonne et sainte volonté. Toute chose est bonne et parfaite, puisqu’elle a été faite par moi, qui suis la souveraine bonté. Les créatures ne vous ont pas été données pour vous causer la mort, mais pour que vous ayez la vie. Ce que je vous demande est bien facile, car quoi de plus facile et de plus doux que l’amour? Je ne réclame qu’une chose, l’amour; m’aimer et aimer le prochain.

5.- En tout temps, en tout lieu, en tout état, l’homme peut aimer et se servir de tout, pour l’honneur et la gloire de mon nom. Mais, tu le sais, les aveugles ne suivent pas la lumière; ils se couvrent de leur amour-propre; ils aiment et possèdent les créatures en dehors de moi; ils passent cette vie dans des peines insupportables qu’ils se causent; et, s’ils ne changent de route, ils tombent dans la damnation éternelle. Ainsi je t’ai fait connaître ce que tout homme doit faire.

Traité de la Discrétion – Chapitre XLIX, L, LI, LII

XLIX. – La crainte servile ne suffit pas pour acquérir la vie éternelle, mais elle peut conduire à l’amour de la vertu.

1.- Quelques-uns se sentent éprouvés par les tribulations du monde, que j’envoie pour apprendre à l’âme que sa fin n’est pas en cette vie, que toutes ces choses étant imparfaites et transitoires, elle doit les prendre comme telles, et ne désirer que moi, qui suis sa fin véritable. Ils commencent à écarter le nuage de leurs yeux, à cause des peines qu’ils souffrent, et à cause de celles qui doivent punir leur péché. Cette crainte servile les fait sortir du fleuve et vomir le venin que le scorpion leur avait communiqué par l’appât de l’or qu’ils aimaient sans mesure. Ils aperçoivent ce qui donne la mort, et ils commencent à faire des efforts pour gagner la rive et atteindre le pont; mais la crainte servile ne suffit pas pour arriver.

2.- Purifier du péché mortel sa demeure, sans la remplir des vertus fondées sur l’amour et non sur la crainte, ce n’est pas mériter la vie éternelle; il faut placer les deux pieds sur le premier degré du pont, c’est-à-dire y parvenir par l’amour et le désir, qui sont les pieds de l’âme, pour atteindre la Vérité, dont je vous ai fait un pont. Il faut monter le premier degré que je t’ai fait voir, en te présentant comme un pont le corps de mon Fils.

3.- Il est vrai que presque toujours les serviteurs du monde commencent à se convertir par la crainte de la punition: les tribulations leur rendent souvent la vie insupportable et les détachent du monde. Si la lumière de la foi éclaire leur crainte, ils peuvent arriver à l’amour des vertus; mais il y en a qui marchent avec tant de tiédeur, qu’ils retombent souvent dans leurs fautes. Lorsqu’ils sont sur la rive, ils rencontrent des vents contraires et sont battus par les flots orageux de cette vie ténébreuse.

4.- Le vent de la prospérité surtout les éprouve avant qu’ils aient monté le premier degré par l’amour des vertus; ils retournent en arrière et s’attachent encore d’une manière déréglée aux jouissances du monde. Si c’est, le vent de l’adversité qui souffle, ils reculent par l’impatience, parce qu’ils ne détestent pas leurs fautes comme une offense qui m’est faite, mais par crainte de la punition qu’elle mérite. Sans cette crainte ils ne seraient pas convertis; mais toute vertu veut la persévérance, et dès qu’ils ne persévèrent pas, ils ne peuvent atteindre le but de leurs désirs, ils abandonnent ce qu’ils avaient commencé; la persévérance seule obtiendrait la récompense de leurs efforts.

5.- Ainsi les rechutes viennent de causes différentes: les uns succombent dans les combats de la chair contre l’esprit; les autres sont vaincus par les créatures qu’ils aiment hors de moi, ou par l’impatience que leur causent les injures reçues; d’autres par les attaques variées et nombreuses du démon, qui les décourage en dépréciant leurs œuvres. Ce bien que vous entreprenez, leur dit-il, ne sert à rien, à cause de vos fautes et de vos vices; et il les fait ainsi retourner en arrière et abandonner le peu qu’ils avaient entrepris.

6.- Quelquefois il les abuse en leur donnant une fausse confiance dans ma miséricorde. Pourquoi, leur dit-il, tant vous fatiguer? Jouissez de la vie, et au dernier moment vous vous reconnaîtrez et vous obtiendrez miséricorde. Par ce moyen le démon leur fait perdre cette crainte par laquelle ils avaient commencé. Toutes ces ruses, ces attaques les empochent de persévérer, et cela arrive parce que la racine de l’amour-propre n’est pas arrachée de leur cœur; c’est ce qui cause leur chute. Ils présument de ma miséricorde; ils n’ont qu’une injuste et coupable espérance, puisqu’ils comptent sur ma miséricorde pour m’outrager sans cesse.

7.- La miséricorde ne leur est pas donnée pour m’offenser, mais pour les défendre de la malice du démon et les préserver du désespoir ils font tout le contraire, puisqu’ils m’offensent en s’appuyant sur ma miséricorde elle-même. Il en est ainsi, parce qu’ils n’ont pas complété ce premier changement, qu’ils avaient opéré en se retirant du péché mortel par crainte du châtiment, lorsqu’ils avaient senti l’aiguillon de la tribulation. En s’arrêtant, ils n’arrivent pas à l’amour de la vertu et ils manquent de persévérance. L’âme ne peut rester immobile, il faut qu’elle avance ou qu’elle recule. Quand on avance dans la vertu, on abandonne l’imperfection de la crainte; quand on n’arrive pas à l’amour, on retourne en arrière.

L.- L’âme déplore l’aveuglement de ceux qui se noient dans le fleuve.

1.- Alors cette âme tourmentée de désirs considérait son imperfection et celle des autres; elle souffrait d’entendre et de voir tant d’aveuglement dans les créatures, parce qu’elle savait combien grande était la bonté de Dieu, qui n’a rien mis dans cette vie qui puisse empêcher le salut et qui ne serve au contraire à exercer et à éprouver la vertu. Et malgré cela, elle voyait que l’amour-propre et les affections déréglées entraînent les hommes dans le fleuve, et causent, quand ils ne s’en corrigent pas, leur damnation éternelle.

2.- Beaucoup de ceux qui avaient bien commencé retournaient en arrière pour les raisons que l’ineffable bonté de Dieu avait daigné lui révéler, et cette vue la plongeait dans une douleur profonde; elle fixait ses regards en Dieu le Père, et, elle lui disait: O amour inexprimable, combien grande est l’erreur de vos créatures! Qu’il plaise à votre bonté de m’expliquer plus particulièrement les trois degrés figurés sur le corps de votre Fils bien-aimé, comment on doit faire pour sortir entièrement de ces flots et pour suivre la voie de votre vérité, et quels sont ceux qui montent ces degrés.

LI – Les trois degrés figurés sur le pont signifient les trois puissances de l’âme.

1.- Alors la divine Bonté, abaissant le regard de sa miséricorde sur le désir qui tourmentait cette âme, lui disait: Ma fille bien-aimée, je ne méprise pas les saints désirs, et je me plais à les satisfaire. Aussi je vais te montrer ce que tu me demandes. Tu me demandes que je t’explique la figure des trois degrés, et comment on peut sortir du fleuve et monter sur le pont. Je t’ai déjà dit l’erreur et l’aveuglement de ces hommes, qui, pendant leur vie, sont les martyrs du démon et acquièrent la damnation éternelle pour prix de leurs iniquités. Et en te disant ces choses, je t’ai indiqué par quels moyens ils doivent éviter ces malheurs. Mais maintenant je m’étendrai davantage, pour satisfaire ton désir.

2.- Tu sais que tout mal est fondé sur l’amour-propre. Cet amour est un nuage qui obscurcit la lumière de la raison, et la raison a en elle la lumière de la foi; on ne perd pas l’une sans perdre I’autre. J’ai créé l’âme à mon image et ressemblance, en lui donnant la mémoire, l’intelligence et la volonté. L’intelligence est la plus noble partie de l’âme. L’intelligence est excitée par l’affection, et l’affection est nourrie par l’intelligence. C’est la main de l’amour, c’est-à-dire l’affection, qui remplit la mémoire de mon souvenir et du souvenir de mes bienfaits. Ce souvenir tend l’âme active et reconnaissante; elle la préserve de négligence et d’ingratitude; chaque puissance aide l’autre: ainsi se nourrit l’âme dans la vie de la grâce.

3.- L’âme ne peut vivre sans amour; elle veut toujours aimer quelque chose, car elle est faite d’amour, et je l’ai créée par amour. L’affection excite l’intelligence elle lui dit:  » Je veux aimer, parce que l’aliment dont je me nourris est l’amour « . Alors l’intelligence, éveillée par l’affection, se lève et lui dit:  » Si tu veux aimer, je te donnerai un bien que tu puisses aimer. Aussitôt elle se met à considérer la dignité que l’âme a reçue par la création, et l’indignité où elle est tombée par le péché, Dans la dignité de son être, elle admire mon ineffable bonté et la charité incréée avec laquelle je l’ai créée; et dans la profondeur de sa misère, elle trouve et contemple ma miséricorde, qui lui a donné le temps du repentir et qui l’a sauvée des ténèbres.

4.- Alors l’affection se nourrit d’amour; elle se rassasie par ses saints désirs de la haine des sens, et elle savoure dans cette haine l’humilité véritable et la parfaite patience. Une fois que les vertus ont germé, elles se développent parfaitement ou imparfaitement, selon que l’âme s’exerce à la perfection, comme je te le dirai bientôt.

5.- Mais au contraire, si l’affection est inclinée vers les choses sensibles, le regard de l’intelligence se tourne de ce ‘côté, et n’offre plus pour objet que des choses transitoires, qui entretiennent l’amour-propre, le dégoût de la vertu et l’attrait du vice, ce qui fait naître l’orgueil et l’impatience. La mémoire ne se remplit que de ce que lui présente l’affection. Cet amour obscurcit la vue, qui ne distingue et ne voit qu’une fausse lumière. C’est cette lumière que l’intelligence voit en toute chose, et que l’affection aime à cause de son apparence de bien et de plaisir. Sans cette apparence l’homme ne pêcherait pas; car, par sa nature, il ne peut désirer autre chose que le bien. Le vice est coloré d’une apparence de bien personnel qui fait pécher l’âme. Mais, parce que l’œil ne distingue plus rien dans son aveuglement, il méconnaît la vérité; il s’égare en cherchant le bien et le plaisir où ils ne sont pas.

6.- Je t’ai dit que les plaisirs du monde sans moi sont des épines empoisonnées. Dès que l’intelligence se trompe dans ce qu’elle voit, la volonté se trompe dans son amour, puisqu’elle aime ce qu’elle ne devrait pas aimer. La mémoire s’abuse de ce qu’elle retient. L’intelligence fait comme un voleur qui dépouille les autres. La mémoire retient aussi continuellement des choses qui sont hors de moi, et l’âme est ainsi privée de la grâce.

7.- L’une de ces trois puissances de l’âme est si grande, que je ne puis être offensé par l’une sans que toutes les trois ne m’offensent; car l’une communique à l’autre, ainsi que je te l’ai dit, le bien ou le mal, selon le bon plaisir du libre arbitre. Ce libre arbitre est uni à l’affection et l’excite selon qu’il lui plaît, avec ou sans la lumière de la raison. Vous avez votre raison unie à moi tant que le libre arbitre ne la sépare pas par un amour déréglé, et vous avez une loi perverse qui combat sans cesse contre l’esprit. Vous avez donc deux partis, la sensualité et la raison. La sensualité est servante, elle est faite pour obéir à l’âme; c’est par le corps que s’éprouvent et s’exercent les vertus.

8.- L’âme est libre; elle est affranchie du péché dans le sang de mon Fils; elle ne peut être opprimée si elle n’y consent par la volonté. La volonté est unie au libre arbitre, et le libre arbitre ne fait qu’une chose avec la volonté en s’accordant avec elle. Il est placé entre la sensualité et la raison, et il peut se tourner du côté qu’il choisit. Il est vrai que quand l’âme veut, par l’intermédiaire du libre arbitre, réunir ses puissances en mon nom, comme je te l’ai dit, alors toutes ses opérations spirituelles et temporelles sont bien ordonnées. Le libre arbitre se détache de la sensualité et s’unit à la raison. Alors, par ma grâce, je me repose au milieu d’elles.

9.- Mon Verbe incarné a dit:  » Quand deux ou trois seront réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux  » (S. Matth., XVIII, 20), et c’est la vérité. Car je te l’ai déjà dit: Personne ne peut venir à moi, si ce n’est par lui. Aussi est-il devenu pour le genre humain un pont à trois degrés, et ces trois degrés figurent également les trois états de l’âme, comme je te l’expliquerai bientôt.

LII. – Si les trois puissances de l’Âme ne sont pas unies ensemble, il lui est impossible d’avoir la persévérance nécessaire pour arriver à sa fin.

1.- Je t’ai expliqué que les trois degrés figuraient en général les trois puissances de l’âme. Ces degrés ne peuvent être montés séparément, si l’on veut passer par la doctrine le pont de ma Vérité. Si l’âme n’accorde pas ces trois puissances, elle ne peut avoir la persévérance dont je t’ai parlé, lorsque tu me demandais comment ces voyageurs devaient sortir du fleuve. Je te disais que, sans la persévérance, personne ne peut atteindre le but. Il y a deux buts qu’atteint la persévérance, le vice ou ta vertu. Si tu veux arriver à la vie, il faut persévérer dans la vertu; celui qui veut arriver à la mort éternelle persévère dans le vice. La persévérance conduit à moi, qui suis la vie, ou au démon, qui fait boire la mort.

Traité de la Discrétion – Chapitre XLV, XLVI, XLVII, XLVIII

XLV. – Quels sont ceux que ne blessent pas les épines du monde, quoique personne, en cette vie, ne puisse éviter la souffrance.

1.- Je veux maintenant te montrer ceux que blessent ou que ne blessent pas les épines et les ronces que la terre produit à cause du péché. Je t’ai fait voir jusqu’à présent ma bonté et la damnation des méchants qui sont trompés par leurs sens; je te dis maintenant qu’eux seuls sont blessés par les épines du monde.

2.- Quiconque naît à la vie ne peut être exempt de peines corporelles ou spirituelles. Mes serviteurs ont des peines corporelles, mais leur âme est toujours libre ils ne souffrent pas de la souffrance, parce que leur volonté est unie à la mienne; et c’est par la volonté que l’homme souffre. Ils souffrent au contraire de l’esprit et du corps, ceux qui ont, dès cette vie, un avant-goût de l’enfer, comme mes serviteurs ont un avant-goût de la vie éternelle. Tu sais que le bonheur principal des bienheureux est d’avoir leur volonté pleine de ce qu’ils désirent. Ils me désirent; en me désirant, ils me possèdent et me goûtent sans aucun obstacle, car ils ont laissé le poids de leur corps, qui était une force opposée à l’esprit.

3.- Le corps était un intermédiaire qui les empêchait de connaître la vérité; ils ne pouvaient me voir face à face parce que le corps ne leur permettait pas de me contempler. Mais dès que l’âme est délivrée du corps, sa volonté est satisfaite; elle désirait me voir, elle me voit, et c’est cette vision qui fait sa béatitude. Qui me voit me connaît, qui me connaît m’aime, et qui m’aime me possède, moi le bien suprême, éternel. Cette possession apaise et remplit sa volonté, qui était le désir de me voir et de me connaître. Dès lors il me désire et il me possède; il me possède et il me désire; et, comme je te l’ai dit, ce désir est sans peine et cette possession sans satiété.

4.- Ainsi, tu le vois, la grande cause de la béatitude de mes serviteurs est de me voir et de rue connaître. Cette vision et cette connaissance remplissent la volonté de ce qu’elle désire; elle est donc heureuse. Jouir de la vie éternelle, c’est surtout posséder ce que la volonté désire. Me voir, me connaître et m’aimer, donne la félicité parfaite.

5.- Ceux qui, dans cette vie, ont un avant-goût de la vie éternelle, jouissent de ce qui fait le bonheur des bienheureux. Comment ont-ils cet avant-goût? Par la vue de ma bonté envers eux et par la connaissance de ma vérité. Cette connaissance est dans l’entendement qui est l’œil de l’âme éclairé par moi. La pupille de cet œil est la sainte foi, dont la lumière fait discerner, connaître et suivre la voie et la doctrine de ma Vérité, le Verbe incarné. Sans la foi, l’âme ne saurait voir: elle est comme celui dont un voile obscurcit la pupille, qui est la partie lumineuse de l’œil. La pupille de l’œil de l’âme est la foi. Si l’amour-propre la couvre du voile de l’infidélité, elle ne peut plus voir. Elle possède bien un œil, mais non pas la lumière, dont elle s’est elle-même privée.

6.- Ainsi, tu le comprends, mes serviteurs en me voyant me connaissent, en me connaissant m’aiment, en m’aimant s’anéantissent et perdent toute volonté propre. Dès qu’ils ont perdu leur volonté, ils revêtent la mienne; et moi, je ne veux que votre sanctification. Ils quittent aussitôt le chemin d’en bas et commencent à gravir le pont; ils ne craignent plus les épines. Leurs pieds ne peuvent pas en être blessés, car ils sont garantis par l’amour de ma volonté. Ils souffrent du corps et non de l’esprit, parce que leur volonté sensitive est morte; et c’est celle qui afflige et tourmente l’âme de la créature. Dès que la volonté n’existe plus, la peine disparaît; ils supportent tout avec reconnaissance et se réjouissent d’être éprouvés pour moi, parce qu’ils ne désirent que ce que je veux.

7.- Je permets que le démon les tourmente et que les tentations éprouvent leur vertu; ils résistent par leur volonté qui est affermie en moi. Ils s’humilient et se reconnaissent indignes de la paix, du repos de l’âme; ils pensent qu’ils méritent la tribulation, et ils vivent ainsi dans la joie et la connaissance d’eux-mêmes, sans éprouver de véritables afflictions. Si l’épreuve leur vient des hommes, de la maladie, de la pauvreté, d’un revers de fortune, de la privation de leurs enfants ou des personnes qui leur sont chères, ils supportent ces épines que le péché a fait naître sur la terre, avec, la lumière de la raison et de la sainte foi. Leurs yeux sont fixés sur moi, qui suis la bonté suprême et qui ne peut vouloir que leur bien; tout ce qui leur arrive, c’est l’amour et non la haine qui le leur envoie.

8.- Dès qu’ils voient que je les aime, ils s’examinent et reconnaissent leurs défauts; ils voient à la lumière de la foi que tout bien doit être récompensé et toute faute punit. Ils comprennent que la moindre faute mérite une peine infinie, parce qu’elle est faite contre moi, qui suis le bien infini. Ils regardent comme une faveur d’en être punis pendant cette vie, qui passe si rapidement. Ils se purifient ainsi du péché par la contrition du cœur, et acquièrent des mérites par la perfection de leur patience. Leurs peines sont récompensées par un bien sans mesure; ils savent que toute souffrance dans cette vie est fugitive comme le temps.

9.- Le temps n’est qu’un point; le temps passe comme un éclair; la souffrance passe avec lui, elle est donc bien petite. Ils la supportent avec patience et marchent sur les épines de la terre sans être blessés; elles n’atteignent pas leur cœur, parce que leur cœur n’est plus à eux; il en a été ôté avec l’amour sensitif pour m’être étroitement uni par les liens de l’amour, Il est donc bien vrai qu’il jouissent de la vie éternelle, qu’ils en ont un avant-goût dès cette vie; ils traversent l’eau sans être mouillés; ils marchent sur les épines sans être blessés, parce qu’ils me connaissent, moi le souverain bien, parce qu’ils le cherchent là où il se trouve, c’est-à-dire dans le Verbe, mon Fils bien-aimé.

XLVI. – Des maux qui procèdent de l’aveuglement de l’intelligence. – Le bien qui n’est pas fait en état de grâce ne sert pas à la vie éternelle.

1.- Je t’ai dit ces choses pour que tu comprennes mieux comment ceux dont je t’ai fait connaître l’erreur ont un avant-goût de l’enfer. Je te dirai maintenant d’où vient leur erreur et comment ils reçoivent cet avant-goût de l’enfer. C’est parce qu’ils ont aveuglé leur intelligence par l’infidélité de leur amour-propre. La vérité s’acquiert par la lumière de la foi et le mensonge par l’infidélité. Je parle de l’infidélité de ceux qui ont reçu le saint baptême, dans lequel la pupille de la foi est donnée à l’œil de l’intelligence.

2.- Lorsque vient l’âge de raison, ceux qui s’exercent à la vertu conservent la lumière de la foi et enfantent des vertus vivantes qui profitent au prochain. De même qu’une femme qui donne le jour à un enfant le présente avec joie à son époux, ils m’offrent leurs vertus vivantes, à moi qui suis l’époux de leur âme. Mais au contraire, les malheureux qui, à l’âge de raison, ne profitent pas de la lumière de la foi, n’enfantent pas les vertus de la vie de la grâce, et ne produisent que des œuvres mortes. Elles sont mortes, parce qu’elles sont faites dans la mort du péché, et sans la lumière de la foi. Ils ont la forme du baptême, mais ils n’en ont plus la lumière, parce qu’ils en sont privés par les ténèbres de la faute que fait commettre l’amour-propre, qui couvre entièrement leur vue.

3.- On dit que ceux-là ont la foi sans les œuvres et que leur foi est morte. De même qu’un mort ne voit pas, de même l’œil de l’intelligence dont la pupille est obscurcie ne voit pas. L’âme ne se connaît pas et ne connaît pas les péchés qu’elle a commis; elle ne connaît pas ma bonté envers elle en lui donnant l’être et les grâces que j’y ai ajoutées. M’ignorant et s’ignorant elle-même, elle ne hait pas sa propre sensualité, mais elle l’aime et cherche à satisfaire ses désirs. Elle enfante ainsi les œuvres mortes du péché. Elle ne m’aime pas, et ne m’aimant pas, elle n’aime pas ce que j’aime, c’est-à-dire le prochain, et elle ne se plaît point à faire ce qui peut m’être agréable.

4.- Ce sont les vraies et solides vertus qu’il m’est agréable de voir en vous, et ce n’est pas à cause de moi. De quelle utilité pouvez-vous être polir moi? Je suis Celui qui agit, et rien ne se fait sans moi, excepté le péché, qui n’est que néant, puisqu’il prive l’âme de moi, qui suis le bien suprême, en la privant de la grâce. Les vertus me plaisent à cause de vous, parce que je puis les récompenser en moi, qui suis la vie éternelle.

5.- Tu vois que leur foi est morte, puisqu’elle est sans les œuvres: les œuvres qu’ils font ne servent point pour la vie éternelle, puisqu’ils n’ont pas la vie de la grâce. Cependant on ne doit jamais cesser de faire le bien, qu’on soit en état de grâce ou qu’on n’y soit pas, parce que le bien est toujours récompensé comme la faute est toujours punie. Le bien qui se fait en état de grâce sert à la vie éternelle; le bien qui se fait en état de péché mortel ne sert pas à la vie éternelle, mais il est récompensé de différentes manières, comme je te l’ai expliqué.

6.- Je le récompense quelquefois en accordant le temps nécessaire pour se reconnaître; quelquefois en mettant au cœur, de mes serviteurs de ferventes prières qui retirent les coupables du mal et les sauvent de leur misère. D’autres fois je ne leur accorde ni temps ni prières, mais je les récompense par l’abondance des choses temporelles. Ils sont comme les animaux qu’on engraisse pour les mener à la boucherie, et cela arrive à ceux qui résistent de toute manière à ma bonté, et qui font cependant quelque bien en dehors de la grâce et dans le péché. Ils n’ont pas voulu profiter du temps qui leur était accordé, des prières qu’on faisait pour eux, et de tous les moyens que j’employais pour les attirer. Je les repousse à cause de leurs vices, mais ma bonté veut récompenser ce qu’ils peuvent avoir fait d’utile; je leur accorde des biens temporels qui les engraissent, et, s’ils ne se convertissent pas, ils vont ainsi au supplice de l’enfer.

7.- Tu vois quelle est leur erreur; mais, s’ils y tombent, n’est-ce pas leur faute? Ils se sont privés de la lumière de la foi, et ils marchent à tâtons comme des aveugles, s’attachant à tout, ce qu’ils touchent. Parce que leur vue est obscurcie, ils ne placent leur affection que dans des choses transitoires; ils se trompent comme ces fous que séduit l’or, sans prendre garde au poison qu’il cache. Toutes les choses du monde, ses joies, ses plaisirs, si on les possède, si on les goûte sans moi, avec un amour déréglé, sont comme ces scorpions que je te montrais dans les commencements, après la figure de l’arbre: ils portaient de l’or devant eux et du poison par-derrière; il n’y avait pas de poison sans or ni d’or sans poison; mais c’était l’or qu’on voyait le premier, et personne n’évitait le poison, à moins d’être éclairé par la lumière de la foi.

XLVII.- On ne peut observer les commandements, si on n’observe pas aussi les conseils.

1.- Je t’ai dit que ceux qui sont éclairés par la lumière de la foi, retranchaient le poison des sens avec le glaive à deux tranchants de la haine du vice et de l’amour de la vertu; ceux qu’éclaire seulement la lumière de la raison acquièrent et possèdent l’or des choses terrestres qu’ils veulent conserver; mais ceux qui veulent atteindre la perfection méprisent ces biens réellement et spirituellement, ils observent les conseils de ma Vérité.

2.- Les autres possèdent et observent les commandements et ne suivent les conseils que spirituellement; mais comme les conseils sont liés aux commandements, personne ne peut observer les commandements sans observer les conseils, non pas réellement, mais spirituellement. En possédant les richesses du monde, on doit les posséder avec humilité, et non pas avec orgueil; on doit les posséder comme une chose prêtée, car ma bonté ne vous les donne que pour votre usage. Vous ne les avez qu’autant que je vous les donne; vous ne les conservez qu’autant que je vous les laisse, et je ne vous les laisse qu’autant que je vois qu’elles servent à votre salut. C’est ainsi que vous devez en user.

3.- Si l’homme en use de la sorte, il observe les commandements, puisqu’il m’aime par-dessus toutes choses et qu’il aime le prochain comme lui-même. Il vit avec un cœur libre, il ne s’attache pas aux richesses par le désir, il ne les aime pas et ne les tient que de ma volonté; et, s’il les possède matériellement, il n’en observe pas moins le conseil dans son cœur, parce qu’il s’est purifié du poison de l’amour déréglé.

4.- Ceux qui agissent ainsi sont dans la charité commune, mais ceux qui observent les commandements et les conseils spirituellement et réellement sont dans la charité parfaite; ils observent dans toute sa simplicité le conseil que ma Vérité, le Verbe incarné, donnait, à ce jeune homme qui lui demandait: Maître, que puis-je faire pour avoir la vie éternelle? Mon Fils lui dit: Observez les commandements de la loi. Le jeune homme répondit: Je les observe; et mon Fils lui dit: C’est bien. Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres (S. Matthieu, XIX, 16-21). Alors ce jeune homme devint triste, parce que les richesses qu’il avait, il les possédait encore avec trop d’amour: c’est ce qui causait sa peine. Mais les parfaits suivent le conseil; ils abandonnent le monde et ses délices; ils affligent leur corps par la pénitence, par les veilles, par d’humbles et continuelles prières.

5.- Ceux qui restent dans la charité commune ne perdent pas la vie éternelle en ne se séparant pas matériellement des richesses, parce qu’ils n’y sont pas obligés; mais, s’ils veulent garder les choses du monde, ils doivent le faire comme je te l’ai enseigné. En les possédant, ils ne pèchent pas; car toutes ces choses sont bonnes, excellentes, parfaites et créées par moi, qui suis la bonté souveraine, elles sont faites pour servir à mes créatures raisonnables, mais non pas pour que mes créatures deviennent les esclaves des délices du monde. Ceux qui veulent les garder renoncent à la perfection; ils doivent s’en servir, non pas comme des maîtres, mais comme des serviteurs. Tous leurs désirs doivent être pour moi; il faut aimer et posséder le reste comme des choses qui leur sont prêtés et qui ne leur appartiennent pas.

6.- Je ne tiens aucun compte des personnes et des positions, je ne m’arrête qu’aux saints désirs. Dans tout état que l’homme choisit, qu’il ait une volonté bonne et sainte, et il me sera agréable. Qui pourra réussir? Ceux qui détruiront le venin de l’amour-propre par la haine des sens et l’amour de la vertu. Dès que la volonté est purifiée de ce venin et réglée par l’amour et la sainte crainte de Dieu, l’homme peut choisir l’état qui lui plaît et y gagner la vie éternelle.

7.- Quoique la plus grande perfection, celle qui m’est le plus agréable, soit de se détacher spirituellement et matériellement de toutes les choses du monde, celui qui ne se sent pas capable d’atteindre cette perfection à cause de sa fragilité, peut rester dans la charité commune selon son état. Ma bonté l’a décidé, afin que personne ne puisse excuser son péché dans aucune condition. Y a-t-il en effet une excuse possible, puisque j’accorde aux passions et à la faiblesse de l’homme de pouvoir rester dans le monde, posséder la richesse, tenir un rang, vivre dans le mariage et travailler à établir ses enfants? L’homme peut choisir l’état qu’il veut, pourvu qu’il se purifie du venin de la sensualité, qui donne la mort éternelle.

8.- La sensualité tue l’âme comme un poison qui tourmente le corps et le fait enfin mourir, si on ne le rejette pas et si on ne prend aucune médecine. Le monde est un scorpion qui empoisonne par ses jouissances. Ce ne sont pas les choses temporelles qui tuent par elles-mêmes, car elles sont bonnes et faites par moi, qui suis la bonté suprême; on peut en user avec amour et crainte: le poison vient de la volonté perverse de l’homme. Il empoisonne l’âme et lui donne la mort, si elle ne le rejette par une sainte confession qui délivre le cœur. La confession est une médecine qui guérit de ce poison, mais ce remède paraît amer à la sensualité.

9.- Tu vois donc combien sont dans l’erreur ceux qui pourraient me posséder, fuir la tristesse et goûter la joie, la consolation. Ceux-là veulent le mal qui a l’apparence du bien, et ils s’attachent à l’or avec un amour déréglé parce qu’ils sont aveuglés par de nombreuses infidélités, ils, ne reconnaissent pas le poison; ils voient qu’ils sont empoisonnés, et ne prennent pas de remède; ils portent la croix du démon et ils ont un avant-goût de l’enfer.

XLVIII.- Les serviteurs du monde ne sont pas rassasiés de leurs biens. – Du supplice que leur cause leur volonté perverse.

1.- Je t’ai dit que de la volonté venaient les peines de l’homme. Comme mes serviteurs se sont dépouillés de leur volonté et revêtus de la mienne, ils n’éprouvent aucune affliction; ils sont toujours satisfaits, parce qu’ils sentent que je suis dans leur âme par la grâce. Ceux qui ne m’ont pas ne peuvent être satisfaits, lors même qu’ils possèderaient le monde tout entier, car les choses créées sont moindres que l’homme, puisqu’elles sont faites pour l’homme, et non l’homme pour elles. L’homme ne peut s’en contenter; moi seul je puis le satisfaire; et pourtant ces malheureux sont si aveugles qu’ils se fatiguent inutilement à poursuivre ce qu’ils ne peuvent avoir, parce qu’ils ne s’adressent point à moi qui pourrais tout leur donner.

2.- Veux-tu connaître leur tourment? Tu sais que l’amour souffre quand il perd la chose à laquelle il s’est identifié. Ceux qui s’identifient à la terre par l’amour deviennent semblables à la terre: les autres s’identifient à leurs richesses, à leurs honneurs, à leurs enfants; les autres me perdent pour se donner aux créatures, d’autres font de leur corps un animal immonde; tous ainsi désirent la terre et s’en repaissent. Ils voudraient que ces choses fussent durables, mais elles ne le sont pas; elles passent comme le vent. La mort leur enlève ce qu’ils aiment, ou ma volonté les en prive.

3.- Cette privation est pour eux une peine intolérable; leur douleur est aussi grande que leur amour avait été déréglé. S’ils avaient possédé ces choses comme des choses prêtées et qui ne leur appartenaient pas, ils les auraient quittées sans regret. Ils les regrettent, parce qu’ils n’ont plus ce qu’ils désirent; car le monde, je te l’ai dit, ne peut les rassasier, et ils souffrent de ne pas l’être.

4.- Quel supplice cause les remords de la conscience! quelle torture éprouve celui qui a soif de vengeance I Il se dévore lui-même et tue son âme avant de tuer soit ennemi, il se suicide avec le poignard de la haine. Que ne souffre pas l’avare qui par avarice se réduit à l’extrémité? Et l’envieux dont le cœur se ronge à la vue du bonheur d’autrui? Toutes les choses qu’on aime d’un amour déréglé engendrent des peines et des frayeurs sans nombre. Ces infortunés portent la croix du démon et ont un avant-goût de l’enfer; cette vie est pour eux pleine d’infirmités et de malheurs, et, s’ils ne se convertissent, ils n’ont à attendre que la mort éternelle.

5.- Ce sont ceux-là qui sont blessés par les épines de la tribulation, et qui se tourmentent eux-mêmes par leur volonté déréglée. Ils souffrent à l’intérieur et à l’extérieur; leur âme et leur corps endurent des peines sans aucun mérite, parce qu’ils les reçoivent sans patience et avec colère. Ils possèdent l’or des délices du monde avec un amour déréglé; ils sont privés de la vie de la grâce et de l’ardeur rie la charité. Ils deviennent des arbres de mort, toutes leurs actions sont mortes et ils s’en vont péniblement se noyer dans le fleuve, dont les eaux empoisonnées les engloutissent. Ils passent pleins de haine par la porte du démon, et reçoivent la damnation éternelle. Tu vois donc quelle est leur erreur, avec quelle peine ils arrivent à l’enfer et se font les martyrs du démon; ce qui les aveugle, c’est le nuage de l’amour-propre qui intercepte la lumière de la foi.

6.- Les tribulations du monde qui entourent de toute part mes serviteurs ne les atteignent qu’extérieurement. Ils sont persécutés, mais leur âme est tranquille parce qu’ils sont unis à ma volonté et qu’ils sont contents de souffrir pour moi. Les serviteurs du monde au contraire sont frappés au-dedans et au-dehors; ils sont surtout tourmentés intérieurement par la crainte de perdre ce qu’ils possèdent, et par l’amour de ce qu’ils ne peuvent avoir. Les autres peines qui sont causées par ces deux peines principales sont innombrables, et ta langue ne pourrait les dire. Ainsi donc, même en cette vie, il vaut mieux être juste que pêcheur; tu connais maintenant la route et la fin des uns et des autres.