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Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 31, 32, 33

Chapitre 31 – Matière des expiations

Le scandale donné

Ceux qui ont eu le malheur de donner mauvais exemple, et de perdre ou de blesser les âmes par le scandale, doivent prendre garde de tout réparer en ce monde, s’ils ne veulent avoir à subir une terrible expiation en l’autre. Ce n’est pas en vain que Jésus-Christ s’est écrié: Malheur au monde à cause de ses scandales ! Malheur à celui par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII, 7.)

Peinture indécente

Voici ce que rapporte le P. Rossignoli dans ses Merveilles du purgatoire (Merv. 24. p.120 fin p.121). Un peintre de grand talent, d’une vie exemplaire d’ailleurs, avait fait autrefois un tableau peu conforme aux lois sévères de la modestie chrétienne. C’était une de ces malheureuses peintures, que sous prétexte d’art, on trouve quelquefois dans les meilleures familles et dont la vue cause la perte de tant d’âmes. L’art véritable est une inspiration du ciel, qui élève l’âme vers Dieu; le génie réaliste qui ne s’adresse qu’aux sens, qui ne présente aux yeux que des beautés de chair et de sang, n’est qu’une inspiration de l’esprit immonde: ses œuvres, brillantes peut-être, ne sont pas des œuvres d’art, c’est faussement qu’on les décore de ce nom; ce sont des productions infâmes d’une imagination dévergondée. – Le peintre dont nous parlons, avait cédé sur ce point à l’entraînement du mauvais exemple. Bientôt cependant, renonçant à ce mauvais genre, il s’était astreint à ne faire plus que des tableaux religieux ou du moins parfaitement irréprochables.

En dernier lieu, il venait de peindre un grand tableau dans un couvent de Carmes déchaussés, quand il fut atteint d’une maladie mortelle. Se sentant mourir, il demanda au père Prieur la faveur d’être enterré dans l’église du monastère, et légua à la communauté le prix assez élevé de son travail, à la charge de célébrer des messes pour son âme.

Il mourut pieusement, et quelques jours se passèrent, lorsqu’un religieux, qui était resté au chœur après les matines, le vit apparaître au milieu des flammes et poussant des gémissements douloureux. – « Eh quoi ! dit-il, mon frère, vous avez de telles peines à endurer, après une vie si chrétienne et une mort si sainte ? – Hélas ! répondit-il, c’est à cause d’un mauvais tableau que j’ai peint autrefois. Lorsque j’ai comparu au tribunal du Souverain Juge une foule d’accusateurs y sont venus déposer contre moi: ils déclaraient avoir été excités à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs par une peinture immodeste due à mon pinceau. Par suite de ces pensées mauvaises les uns étaient au purgatoire, les autres en enfer. Ces derniers demandaient vengeance, disant que, étant cause de leur perte éternelle, je méritais au moins le même châtiment. – Alors la sainte Vierge et les Saints que j’ai glorifiés par mes peintures ont pris ma défense: ils ont représenté au Juge que cette malheureuse toile était une œuvre de jeunesse, dont je m’étais repenti, que je l’avais réparée plus tard par une foule de tableaux religieux, qui avaient été pour les âmes une source d’édification. » En présence de ces raisons de part et d’autre le Souverain Juge a déclaré que, à cause de mon repentir et de mes bonnes œuvres, je serais exempt de la damnation éternelle; mais en même temps il m’a condamné à souffrir dans ces flammes, jusqu’à ce que la maudite peinture soit brûlée, de manière à ne plus scandaliser personne. »

En conséquence, le pauvre patient pria le religieux Carme de faire des démarches pour que le tableau fût détruit. « Je vous en prie, ajouta-t-il, allez de ma part chez un tel, propriétaire du tableau; dites-lui en quel état je me trouve, pour l’avoir peint en cédant à ses instances, et conjurez-le d’en faire le sacrifice. S’il refuse, malheur à lui ! Au reste, pour montrer que tout ceci n’est pas une illusion, et pour le punir lui-même de sa faute, dites-lui qu’avant peu il perdra ses deux enfants. S’il refuse d’obéir aux ordres de Celui qui nous a créés l’un et l’autre, il le payera d’une mort prématurée. »

Le religieux ne tarda pas à faire ce que la pauvre âme lui demandait, et se rendit chez le possesseur du tableau. Celui-ci en apprenant ces choses, saisit la toile et la jeta au feu. Néanmoins, selon la parole du défunt, il perdit en moins d’un mois ses deux enfants. Le reste de ses jours, il s’appliqua à faire pénitence du mal qu’il avait commis en commandant et en conservant chez lui cette mauvaise peinture.

Si telles sont les conséquences d’un tableau immodeste, comment seront punis les scandales, autrement désastreux des mauvais livres, des mauvais journaux, des mauvaises écoles et des mauvaises conversations ? Vœ mundo a scandalis ! Vœ homini illi per quem scandalum venit ! Malheur au monde, à cause de ses scandales ! Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII. 7.)

Le scandale exerce de grands ravages dans les âmes par la séduction de l’innocence. Ah ! les maudits séducteurs ! Ils rendront à Dieu un compte terrible du sang de leurs victimes. Voici ce que nous lisons dans l’historien Daniel Bartoli, de la Compagnie de Jésus, Vie du Père Nicolas Zucchi (Cf. Merv. 97.).

Le Père Zucchi et la novice

Le saint et zélé père Zucchi, qui mourut à Rome le 21 mai 1670, avait engagé dans les voies de la perfection trois jeunes personnes, qui se consacrèrent à Dieu dans le cloître. L’une d’elles, avant de quitter le monde, avait été recherchée en mariage par un jeune seigneur. Après qu’elle fut entrée au noviciat, ce gentilhomme, au lieu de respecter une vocation si sainte, n’en continua pas moins d’adresser des lettres à celle qu’il voulait appeler sa fiancée, l’invitant à quitter, comme il disait, le triste service de Dieu, pour se reprendre aux joies de la vie. Le Père le rencontrant un jour dans la rue, le supplia de cesser de telles poursuites: « Je vous assure, ajouta-t-il, qu’avant peu vous paraîtrez au tribunal de Dieu, et qu’il est grand temps pour vous de vous y préparer par une sincère pénitence. »

En effet, quinze jours après, ce jeune homme mourut, enlevé par une prompte mort, qui lui laissa peu de temps pour mettre ordre à sa conscience, en sorte qu’on devait tout craindre pour son salut.

Un soir que les trois novices s’entretenaient ensemble des choses de Dieu, on vint appeler la plus jeune au parloir. Elle y trouva un homme, enveloppé dans un large manteau, qui se promenait à grands pas. – « Monsieur, dit-elle, qui êtes-vous ? et pourquoi m’avez-vous fait demander ? » – L’étranger, sans répondre, s’approche, et écarte le manteau mystérieux qui le couvre. La religieuse alors reconnaît le malheureux défunt, et voit avec effroi qu’il est tout entouré de liens de feu, qui le serrent au cou, aux poignets, aux genoux et aux chevilles des pieds. Priez pour moi ! s’écria-t-il, et il disparut.

Cette manifestation miraculeuse montrait que Dieu avait eu pitié de lui au dernier moment, qu’il n’était pas damné, mais qu’il payait ses essais de séduction par un horrible purgatoire.

Chapitre 32 -Matière des expiations. – La vie de plaisir, la recherche du bien-être

La vénérable Françoise de Pampelune et l’homme du monde

Il y a de nos jours beaucoup de chrétiens, totalement étrangers à la croix et à la mortification de Jésus-Christ. Leur vie molle et sensuelle n’est qu’un enchaînement de plaisirs; ils ont peur de tout ce qui est sacrifice: à peine observent-ils les strictes lois du jeûne et de l’abstinence prescrites par l’Église. Puisqu’ils ne veulent se soumettre à aucune pénitence en ce monde, qu’ils songent bien à celle qui leur sera imposée en l’autre. Il est certain que dans cette vie mondaine on ne fait qu’accumuler des dettes; la pénitence étant absente, on n’en paye aucune, et l’on arrive à un total qui effraye l’imagination. La vénérable servante de Dieu Françoise de Pampelune, qui fut favorisée de plusieurs visions sur le purgatoire, vit un jour un homme du monde, quoiqu’il eût été assez bon chrétien d’ailleurs, passer cinquante-neuf ans dans les expiations, à cause de sa recherche du bien-être. – Un autre y passa trente-cinq ans pour la même raison; et un troisième, qui avait eu en plus la passion du jeu, y demeura soixante-quatre ans. – Hélas, ces chrétiens malavisés ont laissé subsister toutes leurs dettes devant Dieu, et ce qu’ils auraient pu acquitter facilement avec quelques œuvres de pénitence, ils l’ont dû payer après par des années de supplices.

Si Dieu se montre sévère envers les riches et les heureux du siècle, il ne le sera pas moins envers les princes, les magistrats, les parents, et généralement tous ceux qui ont charge d’âmes et autorité sur les autres. Un jugement sévère, dit-il lui-même, attend les supérieurs (Sap. VI, 6.).

Sainte Élisabeth et la reine sa mère

Laurent Surius rapporte (Cf. Merv. 93.) comment une illustre Reine rendit après sa mort témoignage à cette vérité. Dans la Vie de sainte Élisabeth (19 nov.), duchesse de Thuringe, il est dit que cette servante de Dieu perdit sa mère Gertrude, reine de Hongrie, vers l’an 1220. En fille chrétienne et sainte, elle fit des aumônes considérables, redoubla ses mortifications et ses prières, épuisa toutes les ressources de sa charité pour le soulagement de cette âme si chère. Dieu lui fit connaître qu’elle n’en faisait pas trop. Une nuit la défunte lui apparut, le visage triste et défait: elle se mit à genoux auprès de son lit, et lui dit en pleurant: « Ma fille, vous voyez à vos pieds votre mère accablée de douleur. Je viens vous supplier de multiplier vos suffrages, afin que la divine miséricorde me délivre des tourments épouvantables que j’endure. Oh ! que ceux-là sont à plaindre qui exercent l’autorité sur les autres ! J’expie maintenant les fautes que j’ai commises sur le trône. O ma fille, au nom des angoisses que j’ai endurées pour vous mettre au monde, au nom des soins et des veilles que m’a coûté votre éducation, je vous conjure de me délivrer de mes supplices. » – Elisabeth profondément émue, se lève aussitôt, prend une sanglante discipline et supplie le Seigneur avec larmes de faire miséricorde à sa mère Gertrude, déclarant qu’elle ne cesserait de prier qu’elle n’eût obtenu sa délivrance. – Elle fut exaucée en effet, comme elle en reçut bientôt l’assurance.

Remarquons que dans l’exemple précédent il ne s’agit que d’une reine; combien plus sévèrement seront traités les rois, les magistrats, tous les supérieurs dont la responsabilité et l’influence sont bien plus grandes ?

Chapitre 33 – Matière des expiations

La tiédeur

Les bons chrétiens, les prêtres, les religieux, qui veulent servir Dieu de tout leur cœur, doivent bien se garder de l’écueil de la tiédeur et de la négligence. Dieu veut être servi avec ferveur: ceux qui sont tièdes et nonchalants soulèvent son dégoût; il va jusqu’à menacer de sa malédiction celui qui fait négligemment les choses saintes. C’est assez dire qu’il punira sévèrement en purgatoire toute négligence en son service.

Saint Bernard et le religieux de Citeaux

Parmi les disciples de saint Bernard qui embaumaient par leur sainteté la célèbre vallée de Clairvaux, il s’en trouva un, dont la négligence contrastait tristement avec la ferveur de ses frères. Malgré son double caractère de prêtre et de religieux, il s’était laissé aller à une déplorable tiédeur. Le moment de mourir arriva et il fut appelé devant Dieu, sans qu’il eût donné des preuves d’amendement.

Pendant qu’on chantait la messe de ses funérailles, un religieux de la communauté, vieillard d’une vertu peu commune, connut par une lumière intérieure que son âme, sans être damnée, était dans le plus malheureux état. – La nuit suivante, le défunt lui apparut en personne, dans un extérieur misérable et profondément désolé: « Hier, lui dit-il, vous avez eu connaissance de mon malheureux état, voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré en punition de ma coupable tiédeur. » – II conduisit alors le vieillard au bord d’un puits, large et profond, tout rempli de fumée et de flammes: « Voici le lieu, ajouta-t-il, où les ministres de la divine justice ont ordre de me tourmenter: ils ne cessent de me précipiter dans ce gouffre, et m’en retirent aussitôt après, pour m’y précipiter de nouveau, sans m’accorder un instant de trêve ou de repos. »

Le lendemain matin, ce religieux alla trouver saint Bernard pour lui faire part de sa vision. Le saint abbé, qui avait eu une apparition semblable, y vit un avis du ciel, donné à sa communauté. Il convoqua aussitôt le chapitre, et les larmes aux yeux raconta la double vision, exhortant ses religieux à secourir par de charitables suffrages leur pauvre frère défunt, et à profiter de ce triste exemple pour se conserver dans la ferveur et pour éviter les moindres négligences dans le service de Dieu (Rossign. Merv. 47).

La vénérable mère Agnès et la sœur de Haut-Villars

Le fait suivant est rapporté par M. de Lantages, dans la Vie de la vénérable Mère Agnès de Langeac, religieuse dominicaine (19 octobre). Tandis que cette servante de Dieu priait dans le chœur, une religieuse qu’elle ne connaissait pas parut tout d’un coup devant elle, misérablement habillée et avec un visage fort triste. Elle la considérait avec étonnement, se demandant qui cela pouvait être, lorsqu’elle entendit une voix qui lui dit distinctement: C’est la sœur de Haut-Villars.

Cette sœur de Haut-Villars était une religieuse du monastère du Puy, décédée il y avait plus de dix ans. L’apparition ne disait mot, mais témoignait assez par son triste maintien le grand besoin qu’elle avait d’être secourue. La mère Agnès le comprenait parfaitement, et commença dès ce jour à faire pour elle les plus ferventes prières. La défunte ne se contenta pas de cette première visite: elle continua à lui apparaître durant plus de trois semaines, presque partout et en tout temps, surtout après la communion et l’oraison, marquant toujours ses souffrances par la douloureuse expression de son visage.

Agnès, par le conseil de son confesseur, sans parler à personne de l’apparition, demanda à sa Prieure que la communauté fît des prières extraordinaires pour les défunts à son intention. Comme malgré ces prières l’apparition revenait toujours, elle conçut de grandes craintes que ce ne fût une illusion. Dieu daigna la tirer de cette peine: il fit clairement connaître à sa charitable servante par la voix de son ange gardien que c’était véritablement une âme du purgatoire, et qu’elle souffrait ainsi pour sa tiédeur au service de Dieu. – Depuis le moment de ces paroles, les apparitions cessèrent, et on ne put savoir combien de temps encore cette infortunée demeura au purgatoire.

Le Père Seurin et la religieuse de Loudun

Citons un autre exemple bien propre à stimuler la ferveur des pieux fidèles. Une sainte religieuse, nommée Marie de l’Incarnation, du monastère des Ursulines de Loudun apparut quelque temps après sa mort à sa Supérieure, femme d’intelligence et de mérite, qui en écrivit les détails au Père Surin de la Compagnie de Jésus. Sa lettre se trouve insérée dans la correspondance de ce Père. « Le six novembre, lui écrivait-elle, entre trois et quatre heures du matin, la Mère de l’Incarnation s’est présentée à moi avec un visage très-doux, qui paraissait plus humilié que souffrant: je vis bien cependant qu’elle souffrait beaucoup. »

D’abord, en la voyant auprès de moi, j’eus une grande frayeur; mais comme elle n’avait rien d’effrayant en elle-même, je me rassurai bientôt. Je lui demandai en quel état elle était, et si nous pouvions lui rendre quelque service ? – Elle répondit: « Je satisfais à la justice divine dans le purgatoire. » – Je la priai de me dire ce qui l’y retenait. – Alors, poussant un profond soupir, elle répondit: « Ce sont plusieurs négligences aux exercices communs; une certaine faiblesse que j’ai eue à me laisser entraîner par l’exemple des religieuses imparfaites; enfin et surtout, l’habitude où j’ai été de retenir par-devers moi des choses dont je n’avais pas la permission de disposer, et de m’en servir selon mes besoins et mes inclinations naturelles. Oh! si l’on savait, continua la bonne mère, le mal que l’on fait à son âme en ne s’appliquant pas à la perfection, et combien durement on devra expier un jour les satisfactions qu’on se donne contre les lumières de la conscience; on aurait une autre ardeur à se faire violence pendant la vie ! Ah ! Dieu voit les choses d’un autre œil que nous, il les juge autrement. »

« Je lui demandai de nouveau si nous pouvions lui être de quelque utilité pour abréger ses souffrances ? – Elle me répondit: « Je désire voir et posséder Dieu; mais je suis contente de satisfaire à sa justice, tant qu’il lui plaira.» – Je la priai de me dire si elle souffrait beaucoup ? – « Mes douleurs répondit-elle, sont incompréhensibles à ceux qui ne les sentent pas. » – En disant ces mots, elle s’approcha de mon visage, comme pour prendre congé de moi: or il me sembla que c’était un charbon de feu qui me brûlait, quoique son visage ne touchât point au mien; et mon bras, ayant un peu frisé sa manche, se trouva brûlé: j’y ressentis une vive douleur. »

Un mois après elle apparut de nouveau à cette même Supérieure pour lui annoncer sa délivrance.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 28, 29, 30

Chapitre 28 – Matière des expiations

Nous avons dit que le montant de la dette de peines au purgatoire provient de toutes les fautes non expiées sur la terre, mais surtout des péchés mortels, remis seulement quant à la coulpe. Or les hommes dont la vie entière se passe dans l’habitude du péché mortel et qui remettent jusqu’à la mort de se convertir, supposé que Dieu leur accorde cette grâce exceptionnelle, auront à subir, on le conçoit, des expiations épouvantables.

Le baron Sturton

L’exemple du baron Sturton est de nature à les faire réfléchir.

Le baron Jean Sturton, noble Anglais, était catholique au fond du cœur, bien que, pour garder ses charges à la cour, il assistât régulièrement au service protestant. Il cachait même chez lui un prêtre catholique, au prix des plus grands dangers, se promettant bien d’user de son ministère pour se réconcilier avec Dieu, à l’heure de la mort; mais il fut surpris par un accident, et comme cela arrive souvent, par un juste décret de Dieu, il n’eut pas le temps de réaliser son vœu de conversion tardive. Cependant la divine miséricorde, tenant compte de ce qu’il avait fait pour la sainte Église persécutée, lui avait accordé la grâce de la contrition parfaite, et par suite le salut. Mais il devait payer bien cher sa coupable négligence.

De longues années se passèrent; sa veuve se remaria, eut des enfants, et c’est une de ses filles, lady Arundel, qui raconte ce fait comme témoin oculaire.

« Un jour, ma mère pria le P. Corneille, jésuite de beaucoup de mérite, qui devait mourir plus tard martyr de la foi catholique (Il fut trahi par un serviteur de la famille Arundel et subit la mort à Dorchester en 1594.), de célébrer la messe pour l’âme de Jean Sturton, son premier mari. Il accepta l’invitation, et étant à l’autel, entre la consécration et le Memento des morts, il s’arrêta longtemps, comme absorbé dans l’oraison. Après la messe, dans une exhortation qu’il adressa à l’assistance, il nous fit connaître une vision qu’il venait d’avoir pendant le sacrifice. Il avait vu une forêt immense qui s’étendait devant lui, mais elle était toute en feu et ne formait qu’un vaste brasier: au milieu s’agitait le Baron défunt, poussant des cris lamentables, pleurant et s’accusant de la vie coupable qu’il avait menée dans le monde et à la cour. Après avoir fait l’aveu détaillé de ses fautes, le malheureux avait terminé par les paroles que l’Écriture met dans la bouche de Job: Pitié, pitié ! vous au moins qui êtes mes amis, car la main du Seigneur m’a touché ! Puis il avait disparu. »

Pendant que le P. Corneille racontait ces choses, il pleurait beaucoup, et nous tous, membres de la famille, qui l’écoutions, au nombre de quatre-vingts personnes, nous pleurions tous de même; et tout à coup, pendant que le père parlait, nous aperçûmes sur le mur auquel était adossé l’autel, comme un reflet de charbons ardents. »

Tel est le récit de lady Arundel, que l’on peut lire dans l’Histoire d’Angleterre par Daniel (Liv. V, chap. 7. Cf. Rossign. Merv. 4.).

Sainte Lidvine  – Restes des péchés mortels –  Péchés de luxure incomplètement expiés sur la terre

Sainte Lidvine vit au purgatoire une âme qui souffrait aussi pour des péchés mortels, incomplètement expiés sur la terre. Voici comment ce fait est rapporté dans la Vie de la sainte. Un homme qui avait été longtemps esclave du démon de la luxure, eut enfin le bonheur de se convertir. Il se confessa, en effet, avec une grande contrition; mais prévenu par la mort, il n’eut pas le temps de satisfaire pour ses nombreux péchés par une pénitence équitable. Lidvine, qui le connaissait, priait beaucoup pour lui.

Douze ans après sa mort, elle priait encore, lorsque dans un de ces ravissements où elle était conduite par son ange gardien au purgatoire, elle entendit une voix lugubre qui sortait d’un puits profond. « C’est l’âme de cet homme, dit l’ange, pour lequel vous avez prié avec tant de ferveur et de constance. » – Elle fut étonnée de le trouver encore dans ce lieu si bas douze ans après sa mort. – L’ange voyant qu’elle était profondément affectée, lui demanda si elle voulait souffrir quelque chose pour sa délivrance ? – « De tout mon cœur », répondit cette vierge charitable. – Elle souffrit donc depuis ce moment de nouvelles douleurs et des tourments affreux, qui semblaient surpasser les forces humaines. Elle les supporta cependant avec courage, soutenue par une charité plus forte que la mort; jusqu’à ce qu’il plût à pieu de la soulager. Alors elle respira comme rendue à la vie, et en même temps elle vit cette âme pour laquelle elle avait tant souffert, sortir de l’abîme, blanche comme la neige, et prendre son vol vers le ciel.

Chapitre 29 – Matière des expiations

Mondanité – Sainte Brigitte: la jeune personne, le soldat

Les âmes qui se laissent éblouir par les vanités du monde, si elles ont le bonheur d’échapper à la damnation, auront à subir des expiations terribles. Ouvrons les Révélations de sainte Brigitte (8 octobre), qui jouissent dans l’Église d’une juste considération. On y lit au livre VI, qu’un jour la Sainte se vit transportée en esprit dans le lieu du purgatoire, et que, parmi beaucoup d’autres, elle y aperçut une jeune demoiselle de haute naissance, qui s’était abandonnée autrefois au luxe et à la mondanité. Cette âme infortunée lui fit connaître toute sa vie et sa triste situation.

« Heureusement, dit-elle, qu’avant la mort je me suis confessée en des dispositions suffisantes pour éviter l’enfer; mais combien je souffre ici pour expier la vie mondaine que ma malheureuse mère ne m’a pas empêché de mener ! Hélas ! ajoutait-elle en gémissant, cette tête qui se plaisait aux parures, et qui cherchait à attirer les regards, est maintenant dévorée de flammes au-dedans et au dehors, et ces flammes sont si cuisantes qu’il me semble mourir continuellement. Ces épaules et ces bras que je faisais admirer, sont cruellement étreints dans des chaînes de fer rouge. Ces pieds jadis formés pour la danse, sont maintenant entourés de vipères qui les déchirent de leurs morsures et les souillent de leur bave immonde; tous ces membres que je chargeais de joyaux, de fleurs, de parures diverses, sont maintenant livrés à des tortures épouvantables. Ah ! ma mère, ma mère, ajoutait cette âme, que vous avez été coupable à mon égard ! C’était vous, qui par une funeste indulgence encouragiez mes goûts de parure et de vaines dépenses; c’était vous qui me conduisiez aux spectacles, aux festins, aux bals, à toutes ces réunions mondaines qui sont la ruine des âmes. Si je n’ai pas encouru l’éternelle damnation, c’est grâce à une miséricorde toute spéciale de Dieu, qui a touché mon cœur d’un sincère repentir. J’ai fait une bonne confession et j’ai été ainsi délivrée de l’enfer, mais pour me voir précipiter dams les plus horribles tourments du purgatoire. » – Nous avons dit déjà qu’il ne faut pas prendre à la lettre ce qui est dit des membres tourmentés, puisque l’âme est séparée de son corps; mais Dieu, suppléant au défaut des organes corporels, fait éprouver à cette âme les sensations qui viennent d’être décrites.

L’historien de la Sainte nous apprend qu’elle raconta sa vision à une cousine de la défunte, qui s’abandonnait elle aussi aux illusions de la mondanité. La cousine en fut si frappée, qu’elle renonça au luxe et aux amusements dangereux du monde pour se vouer à la pénitence dans un Ordre austère.

La même sainte Brigitte, dans une autre extase, assista au jugement d’un soldat qui venait de mourir. II avait vécu dans les vices, trop communs dans sa profession, et serait tombé en enfer; mais la sainte Vierge, qu’il avait toujours honorée, le préserva de ce malheur, et lui obtint la grâce d’un sincère repentir. La sainte le vit donc comparaître devant le tribunal de Dieu, et condamner à un long purgatoire pour les péchés de toutes sortes qu’il avait commis. « La peine des yeux, dit le Juge, sera de contempler des objets affreux; celle de la langue, d’être percée de pointes aiguës et tourmentée de la soif; celle du toucher, d’être plongé dans un océan de feu. » – La sainte Vierge intervint alors et obtint quelque adoucissement à la rigueur de cette sentence.

La Bienheureuse Marie Villani et la dame mondaine.

Citons encore un exemple des châtiments réservés aux mondains dans le purgatoire, lorsqu’ils ne sont pas, comme le mauvais riche de l’Évangile, ensevelis dans l’enfer. La Bienheureuse Marie Villani, religieuse dominicaine (Sa Vie, par Marchi, 1. Il, c. 5. Cf. Merv. 41), avait une dévotion très vive pour les âmes, et maintes fois elles se firent voir à elle, soit pour la remercier, soit pour réclamer ses prières et ses bonnes œuvres. Comme elle priait un jour à leur intention avec une grande ferveur, elle fut transportée en esprit au lieu de l’expiation. Parmi les âmes qui y souffraient, elle en vit une plus cruellement tourmentée que les autres, au milieu de flammes horribles qui l’enveloppaient tout entière. Émue de compassion, la servante de Dieu interrogea cette âme. « Je suis ici, répondit-elle, depuis très longtemps, punie pour mes vanités et mon luxe scandaleux. Jusqu’à cette heure, je n’ai pas obtenu le moindre soulagement. Quand j’étais sur la terre, occupée de ma toilette, de mes plaisirs, des fêtes et des joies mondaines, je ne songeais que bien peu à mes devoirs de chrétienne, et ne m’en acquittais qu’avec lâcheté. Ma seule préoccupation sérieuse était d’accroître le renom et la fortune des miens. Or voyez comme j’en suis punie: ils ne m’accordent pas un souvenir: mes parents, mes enfants, mes amis les plus intimes d’autrefois, tous m’ont oubliée. »

Marie Villani pria cette âme de lui faire sentir quelque chose de ce qu’elle endurait; et il lui sembla aussitôt qu’un doigt de feu la touchait au front, la douleur qu’elle en éprouva la fit aussitôt sortir d’extase. Or, la marque lui en resta, si profonde et si douloureuse, que deux mois après on la voyait encore, et que la sainte religieuse en souffrait cruellement. Elle endura cette douleur en esprit de pénitence en faveur de la défunte qui s’était manifestée à elle, et au bout d’un certain temps, cette âme vint annoncer elle-même sa délivrance.

Chapitre 30 – Matière des expiations – Péchés de la jeunesse

Souvent les bons chrétiens ne songent pas assez à faire pénitence pour les péchés de leur jeunesse: il faudra qu’ils les expient un jour par les rigoureuses pénitences du purgatoire. C’est ce qui arriva à la princesse Gida, belle-fille de sainte Brigitte, comme on peut le lire dans les Actes des Saints, 24 mars, Vie de sainte Catherine (Cf. Merv. 85.).

Sainte Catherine de Suède et la princesse Gida

Sainte Brigitte se trouvait à Rome avec sa fille, sainte Catherine, lorsque celle-ci vit lui apparaître l’esprit de Gida dont elle ignorait la mort. Se trouvant un jour en prière dans l’antique basilique du Prince des Apôtres, Catherine aperçut devant elle une femme, vêtue d’une robe blanche et d’un manteau noir, qui venait lui demander des prières pour une défunte. « C’est une de vos compatriotes, ajouta-t-elle, qui a besoin qu’on s’intéresse à son âme. – Son nom ? demanda la sainte. – C’est la princesse Gida, de Suède, femme de votre frère Charles. » – Catherine pria alors l’étrangère de l’accompagner chez sa mère Brigitte, pour lui annoncer cette triste nouvelle. – « Je suis chargée d’un message pour vous seule, dit l’inconnue, et il ne m’est pas permis de faire d’autres visites, car je dois repartir aussitôt. Du reste, vous n’avez pas à douter de la vérité du fait: dans quelques jours arrivera un autre envoyé de Suède, vous apportant la couronne d’or de la princesse Gida. Elle vous l’a léguée par testament, pour s’assurer le secours de vos prières; mais accordez-lui ce charitable secours dès à présent, car elle en a un pressant besoin. » – En achevant ces mots, elle s’éloigna.

Catherine voulut la suivre, mais il lui fut impossible de la retrouver, bien que son costume la fît distinguer facilement; elle interrogea ceux qui priaient dans l’église: personne n’avait vu cette étrangère. – Frappée et surprise de cette rencontre, elle s’empressa de retourner auprès de sa mère et lui raconta ce qui lui était arrivé. – Sainte Brigitte répondit en souriant: « C’est votre belle-sœur Gida elle-même, qui vous est apparue. Notre-Seigneur a daigné me faire tout connaître par révélation. La chère défunte est morte dans des sentiments de piété consolants: c’est ce qui lui a valu la faveur de venir auprès de vous, implorer des prières. Elle a encore à expier les nombreuses fautes de sa jeunesse: faisons donc toutes deux ce qui est en notre pouvoir pour la soulager. La couronne d’or qu’elle vous envoie, nous en fait une obligation plus pressante. »

Quelques semaines après, un officier de la cour du prince Charles arriva à Rome, apportant la couronne, et ce qu’il croyait être la première nouvelle du trépas de la princesse Gida. La couronne qui était fort belle fut vendue, et le prix employé en messes et bonnes œuvres, pour le soulagement de la défunte.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 25, 26, 27

Chapitre 25 – Durée du purgatoire

L’abbaye de Latrobe

Le fait suivant a été rapporté avec preuve authentique par le journal le Monde, numéro du 4 avril 1860. Il s’est passé en Amérique, dans une abbaye de Bénédictins, située au village de Latrobe. Une série d’apparitions y avait eu lieu dans le courant de l’année 1859. La presse américaine s’en était emparée et avait traité ces graves questions avec sa légèreté ordinaire; et pour mettre fin à cette sorte de scandale, l’abbé Wimmer, supérieur de la maison, adressa aux journaux la lettre suivante: « Voici la vérité: dans notre abbaye de Saint-Vincent, près de Latrobe, le 10 septembre 1859, un novice a vu apparaître un religieux bénédictin, en costume complet de chœur. Cette apparition s’est renouvelée chaque jour depuis le 18 septembre jusqu’au 19 novembre, soit de onze heures à midi, soit de minuit à deux heures du matin. Le 19 novembre seulement le novice a interrogé l’esprit en présence d’un autre membre de la communauté, et lui a demandé quel était le motif de ses apparitions. – Il a répondu qu’il souffrait depuis soixante-dix-sept ans, pour avoir omis de célébrer sept messes d’obligation; qu’il était déjà apparu à diverses époques à sept autres bénédictins, mais qu’il n’avait pas été entendu; qu’il serait contraint d’apparaître encore après onze années, si lui, le novice, ne venait pas à son secours. – Enfin, l’esprit demandait que ces sept messes fussent célébrées pour lui; de plus, le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite, gardant un profond silence; et pendant trente-trois jours, réciter trois fois par jour le psaume Miserere, les pieds nus et les bras en croix. »

Toutes ces conditions ont été remplies, à dater du 20 novembre jusqu’au 25 décembre: ce jour-là, après la célébration de la dernière messe, l’apparition a disparu.

« Pendant cette période, l’esprit s’était montré encore plusieurs fois, exhortant le novice dans les termes les plus pressants, à prier pour les âmes du purgatoire: car, disait-il, elles souffrent affreusement, et elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent à leur délivrance. – Il ajouta, chose bien triste à dire, que des cinq prêtres déjà décédés à notre abbaye, aucun n’était encore au ciel: que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas de conclusion, mais ceci est exact. »

Ce récit signé de la main de l’abbé est un document historique irrécusable. – Quant à la conclusion que le vénérable prélat nous laisse le soin de déduire de ces faits, elle est évidemment multiple. Qu’il nous suffise, en voyant un religieux souffrir depuis soixante-dix-sept ans en purgatoire, d’apprendre ce qu’il faut penser de la durée des expiations futures, tant pour les prêtres et les religieux, que pour les simples fidèles qui vivent au milieu de la corruption du monde.

Cent ans de supplices pour délai des derniers sacrements.

Une cause trop fréquente de la longue durée du purgatoire, c’est qu’on se prive du grand moyen établi par Jésus-Christ pour l’abréger, en tardant, quand on est gravement malade, à recevoir les derniers sacrements. Ces sacrements destinés à préparer les âmes au dernier passage, à les purifier des restes de leurs péchés et à leur épargner les expiations de l’autre vie, requièrent pour produire leurs effets, que le malade les reçoive avec les dispositions voulues. Or, pour peu qu’on diffère de les recevoir et qu’on laisse affaiblir les facultés de l’infirme, ces dispositions sont défectueuses. Que dis-je ? trop souvent il arrive que, par suite de ces délais imprudents, le malade vient à mourir, totalement privé de ces secours si nécessaires. La conséquence en est, si le défunt n’est pas damné, qu’il descend dans les plus profonds abîmes du purgatoire avec tout le poids de ses dettes.

Michel Alix (Hort. Past. tract. 6. Cf. Rossign. Merv. 86.) parle d’un ecclésiastique qui, au lieu de recevoir promptement les sacrements des infirmes, et de donner le bon exemple aux fidèles, se rendit coupable de négligence à cet égard et en fut puni par cent ans de purgatoire. Se trouvant gravement malade et en danger de mort, ce pauvre prêtre aurait dû s’éclairer sur son état et demander au plus tôt les secours que l’Église réserve à ses enfants pour l’heure suprême. Il n’en fit rien: et, soit que, par une illusion trop commune aux malades, il ne voulût pas s’avouer la gravité de sa situation, soit qu’il fût sous l’empire de ce fatal préjugé qui fait redouter à tant de faibles chrétiens la réception des derniers sacrements; il ne les demandait pas, il ne songeait pas à les recevoir. Mais on connaît les surprises de la mort: le malheureux différa et tarda si bien, qu’il mourut sans avoir le temps de recevoir ni Viatique ni Extrême-Onction. – Or, Dieu voulut en cette circonstance donner un grave avertissement. Le défunt vint lui-même révéler à un confrère qu’il était condamné à cent ans de purgatoire. « Je suis puni ainsi, dit-il, de mes retards à recevoir la grâce de la purification dernière. Si j’avais reçu les sacrements, comme j’aurais dû le faire, j’aurais échappé à la mort par la vertu de l’Extrême-Onction, et j’aurais eu le temps de faire pénitence. »

Chapitre 26 – Durée du purgatoire

La vénérable Catherine Paluzzi et la sœur Bernardine

Citons encore quelques exemples, qui achèveront de nous édifier sur la durée des expiations: nous y verrons que la divine justice se montre relativement sévère pour les âmes appelées à la perfection et qui ont reçu beaucoup de grâces. Au reste, Jésus-Christ ne dit-il pas dans l’Évangile qu’on exigera beaucoup de celui à qui l’on a donné beaucoup, et que l’on demandera plus à celui à qui l’on a plus confié (Luc. XII, 48.) ?

On lit dans la Vie de la vénérable Catherine Paluzzi qu’une sainte religieuse, morte entre ses bras, ne fut admise à l’éternelle béatitude qu’après une année entière de purgatoire. Catherine Paluzzi vécut saintement dans le diocèse de Nerpi, en Italie, où elle fonda un couvent de dominicaines. Là vivait avec elle une religieuse, nommée Bernardine, très avancée aussi dans les voies intérieures. Ces deux saintes âmes rivalisaient de ferveur et s’entraidaient à progresser de plus en plus dans la perfection où Dieu les appelait. L’historien de la vénérable les compare à deux charbons allumés qui se communiquent leurs ardeurs; et encore, à deux lyres accordées pour résonner ensemble et faire entendre un hymne d’amour perpétuel à la gloire du Seigneur.

Bernardine vint à mourir. Une maladie douloureuse, qu’elle supporta chrétiennement, la conduisit au tombeau. Avant d’expirer, elle dit à Catherine qu’elle ne l’oublierait pas devant Dieu, et si Dieu le permettait, qu’elle viendrait lui dire encore des paroles spirituelles, propres à contribuer à sa sanctification.

Catherine pria beaucoup pour l’âme de son amie, suppliant en même temps le Seigneur de lui permettre qu’elle vînt la visiter. Une année entière s’écoula, mais la défunte ne vint point.

Enfin le jour anniversaire de la mort de Bernardine, Catherine étant en oraison, aperçut un puits, d’où s’échappaient des torrents de fumée et de flammes, puis elle vit sortir de ce puits une personne, d’abord tout environnée de ténèbres. Peu à peu l’apparition se dégagea de ces nuages, s’éclaira, et enfin parut brillante d’un éclat extraordinaire. Dans cette personne glorieuse Catherine reconnut alors la sœur Bernardine, et courant à elle: « C’est vous, dit-elle, ma sœur bien-aimée ? Mais d’où donc sortez-vous ? Que signifie ce puits, cette fumée enflammée ? Est-ce seulement aujourd’hui que vous achevez votre purgatoire ? – Vous dites vrai, répondit l’âme: durant toute une année j’ai été retenue dans le lieu des expiations: et ce n’est qu’à cette heure que je vais être introduite dans la céleste Jérusalem. Pour vous, persévérez dans vos saints exercices: continuez à être charitable et miséricordieuse, vous obtiendrez miséricorde (Diario Domenic. Cf. Rossig. Merv. 100.). »

Les Frères Finetti et Rudolfini

Le fait suivant appartient à l’histoire de la Compagnie de Jésus. Deux scolastiques ou jeunes religieux de cet institut faisaient leurs études au collège Romain vers la fin du XVIe siècle, les FF. Finetti et Rudolfini. Tous deux étaient des modèles de piété et de régularité; tous deux aussi reçurent un avis du ciel, qu’ils découvrirent selon la règle au directeur de leur âme, Dieu leur avait fait connaître leur mort prochaine et l’expiation qui leur restait à faire au purgatoire: l’un devait y rester deux ans et l’autre quatre. Ils moururent, en effet, l’un après l’autre.

Leurs frères aussitôt firent pour leurs âmes les plus ferventes prières et toutes sortes de pénitences. Ils savaient que si la sainteté de Dieu impose à ses élus de longues expiations, elles peuvent être abrégées et remises entièrement par les suffrages des vivants.

Saint Pierre Claver et les deux pauvres femmes

Si Dieu est sévère pour ceux qui ont reçu beaucoup de connaissances et de grâces, il est d’autre part fort indulgent envers les pauvres et les simples, pourvu que ceux-ci le servent avec droiture et patience. – Saint Pierre Claver, de la Compagnie de Jésus, apôtre des nègres de Carthagène, connut le purgatoire de deux âmes, qui avaient vécu pauvres et humbles sur la terre: cette expiation se réduisait à quelques heures. Voici ce que nous lisons dans la vie de ce grand serviteur de Dieu (Vie de S. Pierre Claver par le P. Fleurian).

Il avait engagé une vertueuse négresse, nommée Angèle, à retirer chez elle une autre, appelée Ursule, percluse de tous ses membres, et toute couverte de plaies. Un jour qu’il allait la visiter, comme il le faisait de temps en temps, pour la confesser et lui porter quelques petites provisions, la charitable hôtesse lui dit d’un air affligé, qu’Ursule était sur le point d’expirer. Non, non, répondit le père en la consolant, elle a encore quatre jours à vivre, et elle ne mourra que samedi. Le samedi étant arrivé, il dit la messe à son intention, et sortit pour aller la disposer à la mort. Après avoir été quelque temps en prière: Consolez-vous, dit-il à l’hôtesse d’un air assuré, Dieu aime Ursule, elle mourra aujourd’hui; mais elle ne sera que trois heures en purgatoire. Qu’elle se souvienne seulement quand elle sera avec Dieu, de prier pour moi, et pour celle qui jusqu’ici lui a tenu lieu de mère. Elle mourut en effet à midi, et l’accomplissement d’une partie de la prophétie ne servit pas peu à faire ajouter foi à l’autre.

Ayant été un autre jour pour confesser une pauvre malade qu’il avait coutume de visiter, il apprit qu’elle venait d’expirer. Les parents étaient extrêmement affligés, et lui-même, qui n’avait pas cru qu’elle dût si tôt mourir, ne pouvait se consoler de ne l’avoir pas assistée dans ses derniers moments. Il se mit aussitôt en prière auprès du corps, puis se levant tout à coup d’un air serein: Une telle mort, dit-il, est plus digne de notre envie que de nos larmes: cette âme n’est condamnée qu’à vingt-quatre heures de purgatoire. Tâchons d’abréger le temps de ses peines par la ferveur de nos prières.

En voilà assez sur la durée des peines. Nous voyons qu’elles se prolongent pendant des espaces effrayants; les plus courtes même, vu leur rigueur, sont toujours longues. Tâchons donc de les abréger pour les autres, de les adoucir d’avance pour nous-mêmes, ou mieux encore, de les prévenir entièrement. Or, on les prévient en supprimant les causes. Quelles sont les causes ? quelle est la matière des expiations du purgatoire ?

Chapitre 27 – Cause des peines, matière des expiations du purgatoire

Pourquoi les âmes, avant d’être admises à voir la face de Dieu, doivent-elles ainsi souffrir? Quelle est la matière, quel est le sujet de ces expiations ? Qu’est-ce que le feu du purgatoire doit purifier et consumer en elles ? – Ce sont, répondent les docteurs, les souillures provenant de leurs péchés.

Mais que faut-il entendre ici par souillure ? D’après la plupart des théologiens, ce n’est pas la coulpe du péché, mais la peine ou la redevance de la peine, provenant du péché.

Pour le bien comprendre, il faut se rappeler que tout péché produit en l’âme un double effet, qu’on appelle la dette (reatus) de la coulpe et celle de la peine: il rend le pécheur non seulement coupable, mais encore digne d’une peine ou châtiment. – Or, après que la coulpe est pardonnée, d’ordinaire la peine reste à subir, en tout ou en partie, et elle doit être acquittée en cette vie ou en l’autre. – Les âmes du purgatoire n’ont plus aucune souillure de coulpe: ce qu’elles avaient de coulpe vénielle au moment de leur mort, a disparu dans l’ardeur de la pure charité dont elles se sont enflammées dans l’autre vie; mais elles portent toute la dette des peines qu’elles n’ont pas déposée avant de mourir.

Cette dette provient de toutes les fautes commises durant la vie, surtout des péchés mortels, remis, quant à la coulpe, par une sincère confession, mais qu’on a négligé d’expier par de dignes fruits de pénitence extérieure.

Doctrine de Suarez

Telle est la doctrine commune, que Suarez résume ainsi dans son traité du sacrement de Pénitence (Tom. 19 De pœnit. Disput. XI, sect. 4.): « Nous concluons donc, dit-il, que tous les péchés véniels avec lesquels un homme juste vient à mourir, sont remis quant à la coulpe, au moment où l’âme se sépare du corps, en vertu d’un acte d’amour de Dieu, et de contrition parfaite, qu’elle produit alors sur toutes ses fautes passées. En effet, l’âme en ce moment connaît parfaitement son état et les péchés dont elle est coupable devant Dieu, elle est en même temps maîtresse de ses facultés pour agir; d’autre part, du côté de Dieu, le secours le plus efficace lui est donné pour agir selon la mesure de grâce sanctifiante qu’elle possède. Il s’ensuit que, dans cette disposition parfaite, l’âme agit sans le moindre retard, se porte tout entière directement vers son Dieu, et se trouve dégagée, par un acte de souveraine détestation, de tous ses péchés véniels. Cet acte efficace et universel suffit pour les effacer quant à la coulpe. »

Toute souillure de coulpe a donc disparu; mais la peine reste à subir dans toute sa rigueur et pour toute sa durée, à moins que les âmes ne soient aidées par les vivants. Elles ne sauraient plus obtenir aucune remise par elles-mêmes, parce que le temps du mérite est passé: elles ne peuvent plus mériter, elles ne peuvent que souffrir et payer ainsi à la terrible justice de Dieu tout ce qu’elles lui doivent, jusqu’à la dernière obole: Usque ad novissimum quadrantem (Matth. V, 26.).

Sainte Catherine de Gênes

Ces dettes de peine sont des restes du péché, et une sorte de souillure, qui empêche la vision de Dieu et met obstacle à l’union de l’âme avec sa fin dernière. « La tache ou la coulpe du péché n’existant pas dans les âmes du purgatoire, écrit sainte Catherine de Gênes (Traité du purgatoire, chap. III.), il n’y a plus d’autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu’elles sentent en elles, leur cause le supplice du dam dont je viens de parler, et retarde le moment, où l’instinct qui les porte vers Dieu comme leur souveraine béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient clairement ce qu’est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c’est par nécessité de justice qu’il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique. – De cette vue naît en elles un feu d’une ardeur extrême et semblable à celui de l’enfer, sauf la coulpe du péché. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 22, 23, 24

Chapitre 22 – Durée du purgatoire

Sentiment des docteurs

La foi ne nous fait pas connaître la durée précise des peines du purgatoire: nous savons en général qu’elle est mesurée par la divine justice et proportionnée pour chacun à la gravité et au nombre de ses fautes, non encore expiées. Dieu peut cependant, sans préjudicier, à sa justice, abréger ces peines en augmentant leur intensité; l’Église militante aussi peut en obtenir la rémission, totale ou partielle, par le saint Sacrifice de la messe et les autres suffrages offerts pour les défunts. D’après le sentiment commun des docteurs, les peines expiatrices sont de longue durée. « Il est hors de doute, dit Bellarmin (De gemitu, 1. II. c. 9.), que les peines du purgatoire ne sont limitées ni à dix ni à vingt ans, et qu’elles durent quelquefois des siècles entiers. Mais, quand il serait vrai que leur durée ne dépasse point dix ou vingt ans, compte-t-on pour rien d’endurer pendant dix ou vingt ans des peines très-douloureuses, des peines inconcevables, sans aucun soulagement ? Si un homme était assuré que vingt ans durant il devrait souffrir aux pieds, ou à la tête ou aux dents, quelque violente douleur, sans jamais pouvoir dormir ou prendre le moindre repos, n’aimerait-il pas mieux mourir cent fois que de vivre de la sorte ? Et si on lui donnait le choix, ou d’une vie si misérable ou de la perte de tous ses biens, balancerait-il à sacrifier sa fortune pour se délivrer de ce tourment ? Quoi donc ? Pour nous délivrer des flammes du purgatoire, ferons-nous difficulté d’embrasser les travaux de la pénitence ? Craindrons-nous d’en pratiquer les plus pénibles exercices: les veilles, les jeûnes, les aumônes, les longues prières, et surtout la contrition accompagnée de gémissements et de larmes ? »

Calcul du Père de Munford

Ces paroles de Bellarmin résument toute la doctrine des théologiens et des Saints. Le Père de Munford de la Compagnie de Jésus, dans son Traité de la charité envers les défunts, établit la longue durée du purgatoire sur un calcul de probabilité, dont nous donnerons la substance. Il part du principe que, selon la parole de l’Esprit-Saint, le juste tombe sept fois le jour (Prov. XXIV, 16.), c’est-à-dire que ceux-là même qui s’appliquent à servir Dieu parfaitement, malgré leur bonne volonté, commettent encore une foule de fautes aux yeux infiniment purs de Dieu. Nous n’avons qu’à descendre dans notre conscience, à analyser devant Dieu nos pensées, nos paroles et œuvres, pour nous convaincre de ce triste effet de la misère humaine. Oh ! qu’il est facile de manquer de respect dans la prière, de préférer ses aises au devoir à remplir, de pécher par vanité, par impatience, par sensualité, par pensées et paroles peu charitables, par manque de conformité à la volonté de Dieu ! La journée est longue: est-il bien difficile à une personne même vertueuse de commettre, je ne dirai pas sept, mais vingt ou trente de ces sortes de fautes ou imperfections ?

Prenons une estimation modérée et supposons que vous commettiez tous les jours une moyenne de 10 fautes; au bout des 365 jours de l’année vous aurez une somme de 3,650 fautes. Diminuons, et pour la facilité du calcul, mettons 3,000 par an. Au bout de dix ans, ce sera 30,000; au bout de 20 ans, 60,000.

Supposons que de ces 60,000 fautes, vous ayez expié la moitié par la pénitence et les bonnes œuvres; il vous en reste encore 30,000 à acquitter.

Continuons notre hypothèse: vous mourez après ces vingt ans de vie vertueuse et vous paraissez devant Dieu avec une dette de 30,000 fautes, que vous devrez acquitter dans le purgatoire. Combien faudra-t-il de temps pour accomplir cette expiation ?
Supposons qu’en moyenne chaque faute exige une heure de purgatoire. Cette mesure est très modérée, si nous en jugeons par les révélations des saints; mais enfin, mettons une heure par faute, cela vous fait un purgatoire de 30,000 heures. Or 30,000 heures, savez-vous combien elles représentent d’années ? 3 années, 3 mois, et 15 jours.

Ainsi un bon chrétien, qui veille sur lui-même, qui évite tout péché mortel, qui s’applique à la pénitence et aux bonnes œuvres, se trouve au bout de vingt ans de vie, passible de 3 ans, 3 mois, et 15 jours de purgatoire.

Le calcul qui précède est basé sur une estimation bénigne à l’excès. Or, si vous majorez la peine, et qu’au lieu d’une heure, vous mettiez un jour pour l’expiation d’une faute; si au lieu de n’avoir que des péchés véniels, vous apportez devant Dieu une dette de peines provenant de péchés mortels, plus ou moins nombreux commis autrefois; si vous mettez, comme le dit sainte Françoise de Rome, une moyenne de sept années pour l’expiation d’un péché mortel, remis quant à la coulpe; qui ne voit qu’on arrive à une durée terrifiante et que les expiations peuvent facilement se prolonger durant de longues années et durant des siècles ?

Des années et des siècles dans les tourments ! Oh ! si l’on y pensait, avec quel soin on éviterait les moindres fautes, avec quelle ferveur on pratiquerait la pénitence pour satisfaire en ce monde !

Chapitre 23 – Durée du purgatoire

Sainte Lutgarde, l’abbé de Citeaux

Dans la Vie de sainte Lutgarde (16 juin.), écrite par son contemporain Thomas de Cantimpré, il est fait mention d’un religieux, d’ailleurs fervent, mais qui pour un excès de zèle, fut condamné à quarante ans de purgatoire. C’était un abbé de l’Ordre de Citeaux, nommé Simon, qui tenait Lutgarde en grande vénération; la sainte de son côté suivait volontiers ses avis, et de fréquents rapports avaient formé entre eux une sorte d’intimité spirituelle.

Le Pape innocent III

Mais l’abbé n’était pas envers ses subordonnés aussi doux qu’envers la sainte. Sévère à lui-même, il l’était aussi dans son administration, et poussait l’exigence de la discipline jusqu’à la dureté, oubliant trop la leçon du Maître qui nous apprend à être doux et humbles de cœur. Étant venu à mourir, comme sainte Lutgarde priait ardemment pour lui et s’imposait des pénitences pour le soulagement de son âme, il lui apparut et avoua qu’il était condamné à quarante ans de purgatoire. Heureusement il avait en Lutgarde une amie généreuse et puissante. Elle prodigua ses prières et ses austérités; puis, ayant reçu de Dieu l’assurance que le défunt serait délivré prochainement, la charitable sainte répondit: Je ne cesserai de pleurer, Seigneur, je ne cesserai d’importuner votre miséricorde, jusqu’à ce que je le voie libéré de ses peines. Elle le vit en effet lui apparaître bientôt plein de reconnaissance, resplendissante de gloire et au comble du bonheur.
Puisque je viens de citer sainte Lutgarde, faut-il que je parle de la célèbre apparition du Pape Innocent III ? J’avoue que ce fait m’a choqué d’abord, et que j’aurais voulu le passer sous silence. Il me répugnait de penser qu’un Pape et un tel Pape eût été condamné à un long et terrible purgatoire. On sait en effet qu’Innocent III, qui présida le célèbre Concile de Latran en 1215, fut un des plus grands Pontifes qui occupèrent le Siège de saint Pierre: sa piété et son zèle lui firent accomplir les plus grandes choses pour l’Église de Dieu et la sainte discipline. Or, comment admettre qu’un tel homme eût été jugé au tribunal suprême avec une telle sévérité ? Comment concilier cette révélation de sainte Lutgarde avec la divine miséricorde ?

J’aurais donc voulu n’y voir qu’une illusion, et je cher- chai des raisons à l’appui de cette idée. Mais j’ai trouvé, tout au contraire, que la réalité de l’apparition est admise par les plus graves auteurs et qu’aucun ne la rejette. Au reste, l’historien Thomas de Cantimpré est très-affirmatif et en même temps très-réservé: « Remarquez, lecteur, écrit-il en finissant son récit, que j’ai appris de la bouche de la pieuse Lutgarde les fautes mêmes, révélées par le défunt, et que je ne les supprime ici que par respect pour un si grand Pape. »

D’ailleurs, considérant le fait en lui-même, y trouve-t-on une vraie raison qui oblige de le révoquer en doute? Ne sait-on pas que Dieu ne fait aucune acception de personne ? que les Papes paraissent devant son tribunal comme les derniers des fidèles ? que tous, grands et petits, sont égaux devant lui et que chacun reçoit selon ses œuvres ? Ne sait-on pas, que ceux qui gouvernent les autres ont une grande responsabilité et auront à rendre un compte sévère ? Judicium durissimum his qui prœsunt fiet, un jugement très rigoureux est réservé aux supérieurs (Sap. VI, 6.): c’est l’Esprit-Saint qui le déclare. Or, Inno-cent III a régné pendant dix-huit ans, dans des temps très-difficiles. Et, ajoutent les Bollandistes, n’est-il pas écrit que les jugements de Dieu sont insondables et souvent bien différents des jugements des hommes ? Judicia tua abyssus multa (Ps. 35).

La réalité de l’apparition ne saurait donc être raisonnablement révoquée en doute. Dès lors je ne vois aucune raison de la supprimer, puisque Dieu ne révèle ces sortes de mystères qu’afin qu’on les fasse connaître pour l’édification de son Église.
Or, le Pape Innocent III mourut le 16 juillet 1216. Le même jour il apparut à sainte Lutgarde dans son monastère d’Aywières en Brabant. Elle, surprise de voir un fantôme environné de flammes, lui demanda qui il était et ce qu’il voulait. « Je suis, lui répondit-il, le Pape Innocent. – Est-il possible que vous, notre Père commun, vous soyez dans un tel état ? – Il n’est que trop vrai: j’expie trois fautes que j’ai commises et qui ont failli causer ma perte éternelle. Grâce à la sainte Vierge Marie, j’en ai obtenu le pardon, mais il me reste à en subir l’expiation. Hélas ! elle est terrible et elle durera pendant des siècles, à moins que vous ne veniez puissamment à mon Secours. Au nom de Marie, qui m’a obtenu la faveur de venir vous implorer, secourez-moi ! » – Il dit et disparut. Lutgarde annonça la mort du Pape à ses sœurs, et se livra avec elles à des prières et des exercices de pénitence en faveur de l’auguste et vénéré défunt, dont le trépas leur fut annoncée quelques semaines après, par une autre voie.

Jean de Lierre

Ajoutons ici un fait plus consolant, que nous trouvons dans la vie de la même Sainte. Un célèbre prédicateur, appelé Jean de Lierre, homme d’une grande piété, était fort connu de sainte Lutgarde. Il avait fait avec elle un pacte, par lequel ils se promettaient mutuellement que celui des deux qui mourrait le premier, rendrait une visite à l’autre, si Dieu le permettait. – Jean mourut le premier. Ayant entrepris le voyage de Rome pour régler certaines affaires qui intéressaient les religieuses, il trouva la mort dans les Alpes.

Fidèle à sa promesse, il se présenta aux yeux de Lutgarde dans le cloître d’Aywières. La sainte en le voyant, ne se doutant pas qu’il fût mort, l’invita selon la règle à entrer au parloir pour s’entretenir avec lui. « Je ne suis plus de ce monde, répondit-il, et je ne viens ici que pour m’acquitter de ma promesse. » – A ces mots Lutgarde tomba à genoux et demeura quelque temps toute interdite. Puis relevant les yeux sur son bienheureux ami: « Pourquoi, dit-elle, êtes-vous vêtu si splendidement ? Que signifie ce triple vêtement dont je vous vois orné ? – L’habit blanc, répondit-il, signifie l’innocence virginale que j’ai toujours conservée; la tunique rouge marque les travaux et les souffrances qui m’ont consumé avant le temps; le manteau bleu qui recouvre tout, désigne la perfection de la vie spirituelle. » Ayant dit ces paroles, il quitta subitement Lutgarde, qui resta partagée entre les regrets d’avoir perdu un si bon Père, et la joie qu’elle ressentait de son bonheur.

Saint Vincent Ferrier, le célèbre thaumaturge de l’Ordre de saint Dominique, qui prêcha avec tant de force la grande vérité du jugement de Dieu, avait une sœur qui n’était nullement touchée ni des paroles ni des exemples de son saint frère. Elle était remplie de l’esprit du monde, éblouie de ses vanités, enivrée de ses plaisirs, et marchait à grands pas vers sa ruine éternelle. Cependant le saint priait pour sa conversion, et sa prière fut enfin exaucée. La malheureuse pécheresse tomba mortellement malade; et au moment de mourir, rentrant en elle-même se confessa avec un repentir sincère.

Quelques jours après sa mort, tandis que son frère célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut au milieu des flammes, en proie à des maux intolérables. « Hélas ! mon frère, dit-elle, je suis condamnée à ces supplices jusqu’au jour du dernier jugement. Cependant vous pouvez m’aider. La vertu du saint sacrifice est si puissante: offrez pour moi une trentaine de messes, j’en espère le plus heureux effet. » – Le saint s’empressa d’accéder à cette demande; il célébra les trente messes, et le trentième jour, sa sœur lui apparut entouré d’anges et montant au ciel (Bayle, Vie de saint Vincent Ferr.). Grâce à la vertu du divin sacrifice, une expiation de plusieurs siècles se trouva réduite à trente jours.

Ce trait nous montre tout à la fois la durée des peines qu’une âme peut encourir, et l’effet puissant de la sainte messe, lorsque Dieu daigne l’appliquer à une âme. Mais cette application, comme celle des autres suffrages, n’a pas lieu toujours, du moins, ce n’est pas toujours avec la même plénitude.

Chapitre 24 – Durée du purgatoire

L’exemple suivant fait voir non seulement la longue durée des expiations infligées pour certaines fautes, mais en outre la difficulté de fléchir la divine justice en faveur de ceux qui ont commis ces sortes de fautes. L’histoire de la Visitation Sainte-Marie mentionne parmi les premières religieuses de cet institut la sœur Marie Denyse, qui s’était appelée dans le monde Mlle de Martignat. Elle avait pour les âmes du purgatoire la plus charitable dévotion, et se sentait particulièrement portée à recommander à Dieu les défunts qui avaient été grands dans le monde; car elle connaissait par expérience les dangers de leur position. Or un prince, dont on a supprimé le nom, mais que l’on croit appartenir à la Maison de France, était mort en duel, et Dieu permit qu’il apparût à sœur Denyse pour lui demander un secours, dont il avait le plus grand besoin. Il lui déclara qu’il n’était pas damné, malgré son crime qui méritait la damnation. Grâce à un acte de contrition parfaite qu’il avait formé au moment de mourir, il était sauvé; mais en punition de sa vie et de sa mort coupable, il était condamné aux plus rigoureux châtiments du purgatoire, jusqu’au jour du jugement.

La charitable sœur profondément touchée de l’état de cette âme, s’offrit généreusement en victime pour elle. Mais on ne saurait dire ce qu’elle eut à souffrir, durant plusieurs années, en conséquence de cet acte héroïque. Le pauvre prince ne lui laissait aucun repos et lui faisait partager ses tourments. Elle finit par en mourir; mais avant d’expirer, elle confia à sa Supérieure que, pour prix de tant d’expiations, elle avait obtenu pour son protégé une remise de peine de quelques heures.

Comme la Supérieure paraissait étonnée d’un pareil résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné avec ce que la sœur avait souffert: « Ah ! ma Mère, répliqua sœur Marie Denyse, les heures du purgatoire ne se comptent pas comme celles de la terre: des années entières de tristesse, d’ennui, de pauvreté ou de maladie en ce monde, ne sont rien en comparaison d’une heure de souffrances au purgatoire. C’est déjà beaucoup que la divine miséricorde nous ait permis d’exercer quelque influence sur sa justice. – Je suis moins touchée d’ailleurs du lamentable état dans lequel j’ai vu languir cette âme, que de l’admirable retour de la grâce qui a consommé l’œuvre de son salut. L’action dans laquelle le prince est mort, méritait l’enfer; un million d’autres eussent trouvé leur perte éternelle dans l’acte où il a trouvé son salut. Il ne recouvra sa connaissance que pour un instant, juste le temps de coopérer à ce précieux mouvement de la grâce, qui le mit en état de faire un acte sincère de contrition. Ce moment béni me semble un excès de la bonté, de la douceur, de l’amour infini de Dieu. »

Ainsi parla la sainte sœur Denyse: elle admirait tout à la fois la sévérité de la justice de Dieu et son infinie miséricorde. L’une et l’autre, en effet, éclatent dans cet exemple d’une manière saisissante.

Le duelliste – Le Père Schoofs et l’apparition d’Anvers

Au sujet de la longue durée du purgatoire pour certaines âmes, citons ici un trait plus récent et plus rapproché de nous. Le P. Philippe Schoofs, de la Compagnie de Jésus, qui mourut à Louvain en 1878, racontait le fait suivant, arrivé à Anvers dans les premières années de son ministère en cette ville. Il venait de prêcher une mission et était rentré au collège de Notre-Dame, situé alors rue de l’Empereur, lorsqu’il fut averti qu’on le demandait au parloir. Étant descendu aussitôt, il y trouva deux jeunes gens à la fleur de l’âge avec un enfant de neuf ou dix ans, pâle et maladif. « Mon père, lui dirent-ils, voici un enfant pauvre que nous avons recueilli, et qui mérite notre protection, parce qu’il est sage et pieux. Nous lui donnons la nourriture et l’éducation; et depuis plus d’une année qu’il fait partie de notre famille, il a été aussi heureux que bien portant. Depuis quelques semaines seulement, il a commencé à maigrir et à dépérir comme vous voyez. – Quelle est la cause de ce changement ? demanda le père. – Ce sont des frayeurs, répondirent-ils: l’enfant est éveillé toutes les nuits par des apparitions. Un homme, à ce qu’il nous assure, se présente à ses yeux: il le voit aussi clairement qu’il nous voit ici en plein jour. De là des frayeurs, des agitations continuelles. Nous venons, mon Père, vous demander un remède. – Mes amis, répondit le P. Schoofs, il y a remède à toutes choses auprès du Bon Dieu. Commencez, vous deux, par faire une bonne confession et une bonne communion; priez le Seigneur qu’il vous délivre de tout mal, et soyez sans crainte. Pour vous, mon enfant, dit-il au petit, faites bien votre prière, puis endormez-vous si profondément qu’aucun revenant ne puisse vous réveiller. » – Après cela il les congédia en leur disant de revenir, s’il arrivait encore quelque chose.

Quinze jours se passent, et les voilà qui reviennent. « Mon père, disent-ils, nous avons rempli vos prescriptions, et les apparitions continuent comme avant. L’enfant voit toujours apparaître le même homme. – Dès ce soir, répond le P. Schoofs, veillez à la porte de l’enfant, muni de papier et d’encre, pour écrire les réponses. Lorsqu’il vous avertira de la présence de cet homme, approchez, demandez au nom de Dieu qui il est, l’époque de sa mort, le lieu qu’il a habité et le sujet de sa venue. »

Dès le lendemain, ils reviennent, portant le papier où étaient écrites les réponses qu’ils avaient reçues. « Nous avons vu, disaient-ils, l’homme que voyait l’enfant. » Puis ils s’expliquèrent: c’était un vieillard, dont on n’apercevait que le buste et qui portait un costume du vieux temps. Il leur avait dit son nom et la maison qu’il avait habitée à Anvers. Il était mort en 1636, avait exercé la profession de banquier dans cette même maison, laquelle, de son vivant, comprenait aussi les maisons qui aujourd’hui sont attenantes à droite et à gauche. Disons ici en passant qu’on a depuis découvert dans les archives de la ville d’Anvers des documents, qui constatent l’exactitude de ces indications. – Il ajouta qu’il était au purgatoire, qu’on avait peu prié pour lui; et il suppliait les personnes de la maison de faire une communion pour lui; il demandait enfin qu’on fît un pèlerinage à Notre-Dame des Fièvres, à Louvain, et un autre à Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles. – « Vous ferez bien, dit le P. Schoofs, d’accomplir ces œuvres; et, si l’esprit revient encore, avant de le faire parler, exigez qu’il récite le Pater, l’Ave Maria et Credo. »

Ils accomplirent les œuvres indiquées avec toute la piété possible, et des conversions eurent lieu dans cette circonstance. Quand tout fut achevé, les jeunes gens revinrent: « Mon père, il a prié, dirent-ils au P. Schoofs, mais avec un accent de foi et de piété indicible. Jamais nous n’avons entendu prier ainsi: Quel respect dans son Pater ! Quel amour dans son Ave Maria ! Quelle fermeté dans son Credo ! Maintenant nous savons ce que c’est que prier. – Il nous a ensuite remerciés pour nos prières: il en était grandement soulagé; il eût même été délivré entièrement, disait-il, sans la faute de la fille de magasin, qui avait fait une confession sacrilège. – Nous avons, ajoutèrent-ils, rapporté cette parole à la fille; elle a pâli et avoué sa faute, puis, courant à son confesseur, elle s’est empressée de tout réparer. »

Depuis ce jour, ajoutait le P. Schoofs en terminant son récit, cette maison n’a plus été troublée. La famille qui l’habitait a prospéré rapidement et est riche aujourd’hui. Les deux frères continuent à se conduire d’une manière exemplaire, et leur sœur s’est faite religieuse dans un couvent où elle est actuellement supérieure.

Tout porte à croire que la prospérité de cette famille lui est venue du défunt qu’elle a secouru. Celui-ci, après ses deux siècles de purgatoire n’avait plus besoin que d’un reste d’expiation et des quelques œuvres qu’il a demandées. Ces œuvres accomplies, il a été délivré, et il aura voulu témoigner sa gratitude en obtenant les bénédictions de Dieu pour ses libérateurs.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 19, 20, 21

Chapitre 19 – Peines du purgatoire

Sainte Madeleine de Pazzi et la sœur Benoîte

On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, qu’une de ses sœurs nommée Marie-Benoîte, religieuse d’une éminente vertu, mourut entre ses bras. Pendant son agonie, elle aperçut une multitude d’anges, qui l’environnaient d’un air joyeux, attendant qu’elle rendît son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste; et, au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme bienheureuse sous la forme d’une colombe, dont la tête était dorée, et disparaître avec elle.

Trois heures après, veillant et priant auprès du saint corps, Madeleine connut que l’âme de la défunte n’était ni en paradis ni au purgatoire, mais dans un lieu particulier où, sans souffrir aucune peine sensible, elle était privée de la vue de son Dieu.

Le lendemain, comme on célébrait la messe pour l’âme de Marie-Benoîte, au Sanctus, Madeleine fut ravie de nouveau en extase, et Dieu lui fit voir cette âme bienheureuse au sein de la gloire, où elle venait d’entrer.

Madeleine se permit de demander au Sauveur Jésus pourquoi il n’avait pas admis plus tôt cette âme chérie en sa sainte présence ? Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière maladie, la sœur Benoîte s’était montrée trop sensible aux peines qu’on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque temps son union habituelle avec Dieu, et sa conformité parfaite à la divine volonté.

Sainte Gertrude

Revenons encore aux révélations de sainte Gertrude, que nous avons citées plus haut: nous y trouvons un autre trait qui montre comment, pour certaines âmes du moins, le soleil de la gloire est précédé d’une aurore et se lève par degrés. Une religieuse était morte à la fleur de son âge, dans le baiser du Seigneur. Elle s’était fait remarquer par une tendre dévotion au Saint-Sacrement. Après sa mort, sainte Gertrude la vit toute brillante de célestes clartés, agenouillée devant le divin Maître, dont les plaies glorifiées paraissaient comme des foyers lumineux: il s’en échappait cinq rayons enflammés qui allaient atteindre les cinq sens de la défunte. Celle-ci néanmoins gardait sur le front comme un nuage d’ineffable tristesse. « Seigneur Jésus, s’écria la sainte, comment pouvez-vous illuminer de la sorte votre servante, sans qu’elle éprouve une joie parfaite ? – Jusqu’à cette heure, répondit le doux Maître, cette sœur a été digne seulement de contempler mon humanité glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq plaies, en récompense de sa tendre dévotion au mystère de l’Eucharistie; mais, à moins de nombreux suffrages en sa faveur, elle ne peut être admise encore à la vision béatifique, à cause de quelques légers manquements dans l’observation de ses saintes règles. »

La Bienheureuse Marguerite-Marie et la Mère de Montoux

Terminons ce que nous avons à dire sur la nature des peines par quelques détails que nous trouvons dans la vie de la Bienheureuse Marguerite Marie de la Visitation. Ils sont tirés en partie du mémoire de la mère Greffier, cette Supérieure qui, sagement défiante au sujet des grâces extraordinaires accordées à la Bienheureuse sœur Marguerite, ne commença à en reconnaître la vérité qu’après mille épreuves. – La mère Philiberte Emmanuel de Montoux, Supérieure d’Annecy, mourut le 2 février 1683, après une vie qui édifia tout l’Institut. La mère Greffier la recommanda particulièrement aux prières de sœur Marguerite. Au bout de quelque temps, celle-ci dit à sa supérieure que Notre-Seigneur lui avait fait connaître que cette âme lui était fort chère, à cause de son amour et de sa fidélité à son service; qu’il lui gardait une ample récompense dans le ciel, après qu’elle aurait achevé de se purifier dans le purgatoire.

La Bienheureuse vit la défunte dans le lieu des expiations: Notre-Seigneur la lui montra dans les souffrances, mais recevant de grands soulagements par l’application des suffrages et des bonnes œuvres, qu’on offrait tous les jours pour elle dans tout l’Ordre de la Visitation. La nuit du jeudi-saint au vendredi, tandis que sœur Marguerite priait encore pour elle, il la lui fit voir comme étant placée sous le calice qui contenait l’hostie, au reposoir de l’Adoration: là elle participait aux mérites de son agonie au jardin des Olives.
Le jour de Pâques, qui cette année tombait au 18 avril, la bienheureuse la vit comme dans un commencement de félicité, désirant et espérant bientôt la vue et la possession de Dieu.

Enfin, quinze jours après, le 2 mai, dimanche du Bon Pasteur, elle la vit comme s’abîmant doucement dans la gloire, chantant mélodieusement le cantique de l’amour divin.

Voici comment la Bienheureuse Marguerite rend compte elle-même de cette dernière apparition dans une lettre adressée ce jour même, 2 mai 1623, à la mère de Saumaise à Dijon ( Écrits et correspondances de la Bienheureuse Marguerite Marie p.82 fin p.83): « Vive Jésus ! Mon âme se sent pénétrée d’une si grande joie, que j’ai peine à la contenir en moi-même. Permettez-moi, ma bonne Mère, de la communiquer à votre cœur, qui ne fait qu’un avec le mien en celui de Notre-Seigneur. Ce matin, dimanche du Bon Pasteur, deux de mes bonnes amies souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu: c’était aujourd’hui que le souverain Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d’un million d’autres âmes. Toutes deux, mêlées à cette multitude bienheureuse, s’en allaient avec des chants d’allégresse inexprimables. – L’une est la bonne mère Philiberte Emmanuel de Monthoux; l’autre, ma sœur Jeanne Catherine Gâcon. L’une répétait sans cesse ces paroles: L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit. L’autre disait: Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur, et les religieux qui vivent et meurent dans l’exacte observance de leurs règles. – Toutes deux veulent que je vous dise de leur part que la mort peut bien séparer les amis, mais non les désunir.
» Si vous saviez combien mon âme a été transportée de joie ! Car en leur parlant je les voyais peu à peu s’abîmer dans la gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan. – Elles vous demandent en action de grâces à la très auguste Trinité, un Laudate et trois Gloria Patri. – Comme je les priais de se souvenir de nous, elles m’ont dit, pour dernières paroles, que l’ingratitude n’est jamais entrée dans le ciel. »

Chapitre 20 – Diversité des peines

D’après les révélations des saints, il y a dans les peines afflictives du purgatoire une grande diversité. Bien que le feu soit le supplice dominant, il y a aussi le tourment du froid, il y a la torture des membres, et des supplices appliqués aux différents sens du corps humain. Cette diversité de peines est ordonnée par la divine Justice, et semble surtout répondre à la nature des péchés, qui exigent chacun son châtiment propre, selon cette parole: Quia per quœ peccat quis, per hœc et torquetur, l’homme est puni par où il a péché (Sap. XI, 17.). – Il convient au reste qu’il en soit ainsi pour le châtiment, puisque la même diversité existe pour les récompenses. Chacun reçoit au ciel selon ses œuvres, et, comme dit le vénérable Bède, chacun reçoit sa couronne, son vêtement de gloire: vêtement qui pour le martyr a la splendeur de la pourpre, et pour le confesseur l’éclat d’une blancheur éblouissante.

Le roi Sanche et la reine Gude

L’historien Jean Vasquez (Cf. Merv. 8.), dans sa Chronique, sous l’année 940, rapporte comment Sanche, roi de Léon, apparut à la reine Gude, et fut délivré du purgatoire par la piété de cette princesse. – Sanche avait vécu en excellent chrétien et mourut empoisonné par un de ses sujets. La reine Gude, sa femme, s’occupa de prier et de faire prier pour le repos de son âme; non contente de faire célébrer un grand nombre de messes, elle prit le voile dans le monastère de Castille, où le corps de son mari avait été déposé, afin de pouvoir pleurer et prier auprès de ces chères dépouilles.

Comme elle priait un jour de samedi aux pieds de la Très-Sainte Vierge, pour lui recommander l’âme de son mari, Sanche lui apparut, mais dans quel état, grand Dieu ! il était couvert d’habits de deuil, et portait comme ceinture un double rang de chaînes rougies au feu. Après avoir remercié sa pieuse veuve pour ses suffrages, il la conjura de continuer son œuvre de charité. « Ah ! si vous saviez, Gude, ce que j’endure, lui dit-il, vous feriez bien davantage encore. Par les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi, chère Gude, secourez-moi: ces flammes me dévorent ! »

La reine redoubla de prières, de jeûnes et de bonnes œuvres: elle répandit de royales aumônes dans le sein des pauvres, fit célébrer des messes de toutes parts, et donna au monastère un magnifique ornement pour les offices de l’autel.

Au bout de quarante jours, le roi lui apparut de nouveau: il était délivré de sa ceinture brûlante et de toutes ses souffrances; à la place de ses habits de deuil, il portait un manteau d’une éclatante blancheur, semblable à l’ornement sacré que Gude avait donné pour lui au monastère. « Me voici, chère Gude, dit-il à la reine: grâce à vous, je suis délivré de mes souffrances. Soyez bénie, à jamais ! Persévérez dans vos saints exercices, méditez souvent la rigueur des peines de l’autre vie et les joies du paradis, où je vais vous attendre.»

– A ces mots il disparut, laissant la pieuse Gude inondée de consolation.

Sainte Lidvine et l’âme transpercée

Un jour une femme toute désolée vint annoncer à sainte Lidvine qu’elle venait de perdre son frère. « Mon frère, dit-elle, vient de mourir et je recommande sa pauvre âme à votre charité. Offrez à Dieu pour elle quelques prières et une partie des souffrances de votre maladie. » – La sainte malade le lui promit, et peu de temps après, dans un de ses ravissements si fréquents, elle fut conduite par son ange gardien dans les prisons souterraines, où elle vit avec une extrême compassion les tourments des pauvres âmes plongées dans les flammes. L’une d’elles attira particulièrement son attention: elle la voyait transpercée de part en part par des broches de fer. Son ange lui dit que c’était là le frère défunt de cette femme, qui était venue demander pour lui le secours de ses prières. « Si vous voulez, ajouta-t-il, demander quelque grâce en sa faveur, elle ne vous sera pas refusée. – Je demande donc, répondit-elle, qu’il soit délivré de ces horribles fers qui le transpercent. » – Aussitôt elle vit qu’on les arrachait au malheureux et qu’on le conduisait de cette prison spéciale, dans la prison commune aux âmes qui n’ont encouru aucun supplice particulier.

La sœur du défunt étant revenue peu après auprès de sainte Lidvine, celle-ci lui fit connaître la triste situation de son frère, et l’engagea à l’aider en multipliant pour lui les prières et les aumônes. Elle-même offrit à Dieu ses supplications et ses souffrances, jusqu’à ce que la pauvre âme fût enfin délivrée (Vie de sainte Lidvine).

La Bienheureuse Marguerite et le lit de feu

Nous lisons dans la Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie, qu’une âme fut torturée dans un lit de tourment, à cause de sa paresse durant la vie; qu’en même temps elle eut à subir un supplice particulier dans son cœur, à cause de ses mauvais sentiments, et dans sa langue, en punition de ses paroles peu charitables. En outre, elle eut à souffrir une peine affreuse d’un genre tout différent, causée, non par le feu ou par le fer, mais par la vue épouvantable d’une damnation. Voici comment la Bienheureuse rapporte elle-même cet événement dans ses écrits: « Je vis en songe, dit-elle, une de nos sœurs décédées depuis quelque temps. Elle me dit qu’elle souffrait beaucoup en purgatoire; mais que Dieu venait de lui faire sentir une douleur qui surpassait toutes ses peines, en lui montrant une de ses proches parentes précipitées dans l’enfer. »

Je me réveillai sur ces paroles, et je sentis tout mon corps comme si brisé, que j’avais peine à me remuer. Comme on ne doit point croire aux songes, je ne fis pas grande réflexion sur celui-là; mais cette religieuse m’en fit bien faire malgré moi. Car, depuis ce moment, elle ne me donna point de repos, et elle me disait incessamment: Priez Dieu pour moi, offrez-lui vos souffrances, unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes, et donnez-moi tout ce que vous ferez jusqu’au premier vendredi de mai, où vous communierez pour moi. » Je le fis avec la permission de ma supérieure.

Cependant la peine que cette fille souffrante me communiquait, s’augmenta si fort, qu’elle m’accablait et me rendait impossible tout soulagement et repos. – L’obéissance me fit retirer pour en prendre dans mon lit; mais, je n’y fus pas plutôt, qu’il me semblait l’avoir proche de moi qui me disait: « Te voilà dans ton lit bien à ton aise; regarde celui où je suis couchée, et où je souffre des maux intolérables. » Je vis ce lit, qui me fait encore frémir toutes les fois que j’y pense. Le dessus et le dessous était de pointes aiguës et enflammées, qui entraient dans la chair: elle me dit alors que c’était à cause de sa paresse et négligence dans l’observance des règles. – « On me déchire le cœur, ajouta-t-elle, ce qui est ma plus cruelle douleur, pour mes pensées de murmure et désapprouvement, dans lesquelles je me suis entretenue contre mes supérieures. – Ma langue est rongée de vermine, et on me l’arrache continuellement, pour les paroles que j’ai dites contre la charité et pour mon peu de silence. – Ah ! que je voudrais bien que toutes les âmes consacrées à Dieu pussent me voir dans ces horribles tourments ! Si je pouvais leur faire voir ce qui est préparé à celles qui vivent négligemment dans leur vocation, elles marcheraient avec une tout autre ardeur dans leurs observances, et se garderaient bien de tomber dans les défauts qui me font maintenant tant souffrir. »

« Je fondis en larmes à ce spectacle. Cependant l’âme souffrante continua: Hélas ! dit-elle, un jour d’exactitude au silence, observé par toute la communauté, guérirait ma bouche altérée; un autre, passé dans la pratique de la sainte charité, guérirait ma langue; un troisième, passé sans aucun murmure ni désapprouvement contre la supérieure, guérirait mon cœur déchiré: mais personne ne pense à me soulager. »

» Après que j’eus fait la communion qu’elle m’avait demandée, elle me dit que ses horribles tourments étaient bien diminués; mais qu’elle était encore en purgatoire pour longtemps, condamnée à souffrir les peines qui sont dues aux âmes tièdes dans le service de Dieu.

«Pour moi, ajoute la Bienheureuse Marguerite, je me trouvai dès lors affranchie de mes peines, lesquelles, m’avait-elle dit, ne diminueraient point qu’elle-même ne fût soulagée (Languet, Vie de la Bienheureuse Marguerite. ). »

Chapitre 21 – Diversité des peines

Blasio ressuscité par saint Bernardin

Le célèbre Blasio Masseï, ressuscité par saint Bernardin de Sienne (20 mai.), vit aussi au purgatoire une grande diversité de peines. Ce miracle se trouve exposé au long dans les Acta Sanctorum, appendice au 20 mai.

Peu de temps après la canonisation de saint Bernardin de Sienne, mourut à Cascia au royaume de Naples, un enfant de onze ans, appelé Blasio Masseï. Ses parents lui avaient inspiré la dévotion qu’ils avaient eux-mêmes à ce nouveau Saint, et celui-ci sut les en récompenser. Le lendemain de la mort, comme on allait l’ensevelir, Blasio se réveilla comme d’un profond sommeil, et dit que saint Bernardin le ramenait à la vie pour raconter les merveilles qu’il lui avait fait voir dans l’autre monde.

On comprend l’étonnement et la curiosité que produisit cet événement. Pendant un mois entier le jeune Blasio ne fit que parler de ce qu’il avait vu, et répondre aux questions que lui faisaient les visiteurs. Il parlait avec une naïveté d’enfant, mais en même temps avec une exactitude d’expression, une connaissance des choses de la vie future, qui était de loin au-dessus de son âge.

Au moment de sa mort, disait-il, saint Bernardin s’était présenté devant lui, et l’avait pris par la main en lui disant: « N’ayez pas peur; mais regardez bien tout ce que je vous montrerai, afin de le retenir et de le raconter après. »

Or le saint conduisit successivement son jeune protégé, dans les régions de l’enfer, du purgatoire, des limbes, et enfin il lui fit voir le ciel.

Dans l’enfer Blasio vit des horreurs inexprimables, et les supplices divers par lesquels les orgueilleux, les avares, les impudiques et les autres pécheurs étaient tourmentés. Parmi eux il en reconnut plusieurs qu’il avait vus durant la vie, et même il en vit arriver deux qui venaient de mourir, Buccerelli et Frascha. Ce dernier était damné pour avoir possédé des biens mal acquis. Le fils de Frascha, frappé de cette révélation comme d’un coup de foudre, connaissant d’ailleurs la vérité des choses, s’empressa de faire une restitution complète; et non content de cet acte de justice, pour ne point s’exposer à partager un jour le triste sort de son père, il distribua aux pauvres le reste de sa fortune et embrassa la vie monastique.

Conduit de là au purgatoire, Blasio y vit aussi des supplices effroyables, diversifiés d’après les péchés dont ils étaient le châtiment. Il y reconnut un grand nombre d’âmes, et plusieurs d’entre elles le prièrent d’avertir leurs parents et proches de leur douloureuse situation, elles leur indiquaient même les suffrages et bonnes œuvres dont elles avaient besoin. – Lorsqu’on l’interrogeait sur l’état d’un défunt, il répondait sans hésiter et donnait les détails les plus précis. « Votre père, dit-il, à un de ses visiteurs, est au purgatoire depuis tel jour; il vous a chargé de distribuer telle somme en aumônes, et vous ne l’avez pas exécuté. – Votre frère, dit-il à un autre, vous avait demandé de faire célébrer autant de messes, et vous en étiez convenu avec lui; mais vous n’avez pas rempli votre engagement: il reste encore autant de messes à acquitter. »

Blasio parlait aussi du ciel où il avait été conduit en dernier lieu; mais il en parlait à peu près comme Saint Paul, qui, ayant été ravi au troisième ciel, avec son corps ou sans son corps, ce qu’il ne savait pas; y avait entendu des paroles mystérieuses qu’une bouche mortelle ne saurait redire. – Ce qui avait surtout frappé les regards de l’enfant, c’était l’immense multitude des anges qui entouraient le trône de Dieu, et la beauté incomparable de la sainte Vierge Marie, élevée au-dessus de tous les chœurs des anges.

La vénérable Françoise de Pampelune et la plume de feu

La vie de la vénérable mère Françoise du Saint-Sacre-ment, religieuse de Pampelune (Sa Vie par le F. Joachim. Cf. Merv. 26.), présente plusieurs faits qui montrent comment les peines sont appropriées aux fautes à expier. Cette vénérable servante de Dieu avait les communications les plus intimes avec les âmes du purgatoire, jusque-là qu’elles venaient en grand nombre et remplissaient sa cellule, attendant humblement, chacune à son tour, qu’elle les aidât par ses prières. Souvent, pour mieux exciter sa compassion, elles lui apparaissaient avec les instruments de leurs péchés, devenus dans l’autre vie des instruments de torture. Elle vit un jour un religieux, entouré d’objets précieux, de tableaux, de fauteuils embrasés. Il avait amassé ces sortes de choses dans sa cellule contrairement à la pauvreté religieuse; après sa mort, elles faisaient son tourment. – D’autres fois c’étaient des prêtres, avec leurs ornements en feu: l’étole transformée en chaîne brûlante, les mains couvertes d’ulcères hideux. Ils étaient ainsi punis pour avoir célébré sans respect les divins Mystères.

Un notaire lui apparut un jour avec tous les insignes de sa profession, lesquels tout en feu et accumulés autour de lui, le faisaient souffrir horriblement. « J’ai employé cette plume, cette encre, ce papier, lui dit-il, à dresser des actes illicites. J’avais aussi la passion du jeu, et ces cartes brûlantes que je suis forcé de tenir continuellement en main, font mon châtiment. Cette bourse embrasée contient mes gains illicites et me les fait expier.»

De tout ceci ressort un grand et salutaire enseignement. Les créatures sont données à l’homme comme moyens pour servir Dieu: il doit en faire des instruments de vertus et de bonnes œuvres; s’il en abuse et en fait des instruments de péché, il est juste qu’elles soient tournées contre lui et deviennent les instruments de son châtiment.

Saint Corprée et le roi Malachie.

La vie de saint Corprée, Évêque d’Irlande, qu’on trouve dans les Bollandistes sous le 6 mars, nous fournit un autre exemple du même genre. Un jour que ce saint Prélat était en prière après l’office, il vit se dresser devant lui un personnage horrible, le visage pâle, un collier de feu autour du cou, et sur les épaules un misérable manteau tout déchiré. – « Qui es-tu ? demanda le saint, sans se troubler. – Je suis une âme passée à l’autre vie. – D’où vient le triste état où je te vois ? – De mes fautes, qui m’ont attiré ces châtiments. Malgré la misère où je me trouve réduit maintenant, je suis Malachie, autre fois roi d’Irlande. Je pouvais dans cette haute position faire beaucoup de bien, c’était d’ailleurs mon devoir; je l’ai négligé: voilà pourquoi je suis puni. – N’as-tu pas fait pénitence de tes fautes ? – Je n’en ai pas fait assez, grâce à la coupable faiblesse de mon confesseur, que j’ai plié à mes caprices en lui offrant un anneau d’or. C’est à cause de cela que je porte maintenant au cou ce collier de flammes. – Je voudrais savoir, reprit l’Évêque, pourquoi vous êtes couvert de ces haillons. – C’est encore un châtiment: je n’ai pas vêtu ceux qui étaient nus, je n’ai pas aidé les pauvres avec la charité, avec le respect et la libéralité que me commandait ma dignité de roi et mon titre de chrétien. C’est pourquoi vous me voyez habillé moi-même en pauvre et couvert d’un vêtement de confusion. »

L’histoire ajoute que saint Corprée, s’étant mis en prière avec tout son chapitre, obtint au bout de six mois, un allègement de peine, et, un peu plus tard, la délivrance entière du roi Malachie.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 16, 17, 18

Chapitre 16 – Peines du purgatoire

Ce qui montre encore la rigueur du purgatoire, c’est que le temps le plus court y paraît très long. Tout le monde sait que les jours de joie passent vite et paraissent courts, tandis que nous trouvons très long le temps de la souffrance. Oh ! combien lentement s’écoulent les heures de la nuit pour les pauvres malades qui les passent dans l’insomnie et les douleurs ! Oh ! combien longue paraîtrait une minute, s’il fallait, pendant cette minute, tenir la main plongée dans le feu ! L’on peut dire que, plus les peines qu’on souffre sont intenses, plus la plus courte durée en paraît longue. Cette règle nous fournit un nouveau moyen d’apprécier les peines du purgatoire.

Saint Antonin, le religieux malade

On trouve dans les Annales des Frères-Mineurs, sous l’année 1285, un fait que rapporte aussi saint Antonin dans sa Somme, partie IV, § 4. Un religieux souffrant depuis longtemps d’une douloureuse maladie, se laissa vaincre par le découragement et supplia Dieu de le laisser mourir afin d’être délivré de ses maux. Il ne songeait pas que le prolongement de sa maladie était une miséricorde de Dieu, qui voulait par-là lui épargner des souffrances plus rigoureuses.

En réponse à sa prière, Dieu chargea son ange gardien de lui offrir le choix, ou de mourir immédiatement et de subir trois jours de purgatoire, ou d’endurer sa maladie pendant une année encore, et d’aller ensuite directement au ciel. Le malade ayant à choisir entre trois jours de Purgatoire et une année de souffrances, ne balança pas et prit les trois jours de purgatoire. Il mourut donc sur l’heure et alla au séjour de l’expiation.

Au bout d’une heure son ange vint le visiter dans ses souffrances. En le voyant, le pauvre patient se plaignit de ce qu’il l’avait laissé si longtemps dans ces supplices. Cependant, ajouta-t-il, vous m’aviez promis que je n’y serais que trois jours. – Combien de temps, demanda l’ange, pensez-vous avoir déjà souffert ? – Au moins plusieurs années, répondit-il, et je ne devais souffrir que trois jours. – Sachez, reprit l’ange, qu’il y a une heure seulement que vous êtes ici. La rigueur de la peine vous trompe sur le temps: elle fait qu’un instant vous paraît un jour, et une heure des années. – Hélas ! dit-il alors en gémissant, j’ai été bien aveugle, bien inconsidéré dans le choix que j’ai fait. Priez Dieu, mon bon ange, qu’il me pardonne et me permette de retourner sur la terre: je suis prêt à souffrir les plus cruelles infirmités, non seulement pendant deux ans, mais aussi longtemps qu’il lui plaira. Plutôt dix ans de maladies affreuses, qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables angoisses.

Le P. Rossignoli, durée d’un quart d’heure au purgatoire

Le trait suivant est tiré d’un pieux auteur cité par le Père Rossignoli (Merv. 17.). Deux religieux d’éminente vertu s’excitaient mutuellement à mener la vie la plus sainte. L’un d’eux tomba malade et connut par vision qu’il mourrait bientôt, qu’il serait sauvé, et qu’il serait seulement au purgatoire jusqu’à la première messe qu’on célébrerait pour lui. – Plein de joie à cette nouvelle, il s’empressa d’en faire part à son ami, et le conjura de ne pas tarder après sa mort à célébrer la messe qui devait lui ouvrir le ciel.

Il mourut le lendemain matin, et son saint compagnon, sans perdre de temps, alla offrir pour lui le saint sacrifice. Après la messe, comme il faisait son action de grâces et continuait à prier pour le défunt, celui-ci lui apparut rayonnant de gloire; mais d’un ton de plainte amicale, il lui demanda pourquoi il avait tant différé de célébrer cette seule messe dont il avait eu besoin ? – « Mon bienheureux frère, répondit le religieux, j’ai tant différé, dites-vous ? Je ne vous comprends pas. – Eh ! ne m’avez-vous pas laissé souffrir plus d’une année, avant de dire la messe pour moi ? – En vérité, mon frère, j’ai commencé le saint sacrifice aussitôt après votre décès: il n’y a pas eu un quart d’heure d’intervalle. » – Le bienheureux le regardant alors avec émotion, s’écria: « Qu’elles sont donc terribles ces peines expiatrices, puisqu’elles m’ont fait prendre quelques minutes pour une année ! Servez Dieu, mon frère, avec une exacte fidélité afin d’éviter de tels châtiments. Adieu, je vole au ciel, où vous viendrez bientôt me joindre. »

Le Frère Angélique

Cette rigueur de la divine justice à l’égard des âmes les plus ferventes, s’explique par l’infinie sainteté de Dieu qui découvre des taches dans ce qui nous paraît le plus pur. Les annales de l’Ordre de Saint-François (Chronique des Frères Min. p. 2. 1. 4. c. 8. Cf. Rossign. Merv. 36.) parlent d’un religieux que son éminente piété avait fait surnommer l’Angélique. Il mourut saintement dans un couvent de Frères-Mineurs à Paris; et un de ses confrères, docteur en théologie, persuadé qu’après une vie si parfaite il était allé droit au ciel et qu’il n’avait nul besoin de prières, omit de célébrer pour lui les trois messes d’obligation selon l’institut pour chaque défunt. – Au bout de quelques jours, comme il se promenait en méditant dans un endroit solitaire, le défunt se présenta à lui tout environné de flammes et lui dit d’une voix lamentable: « Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi. – Eh quoi ! frère Angélique, vous avez besoin de mon secours ? – Je suis retenu dans les feux du purgatoire, et j’attends le fruit du saint Sacrifice que vous deviez offrir trois fois pour moi. – Frère bien-aimé, j’ai cru que vous étiez déjà en possession de la gloire. Après une vie fervente et exemplaire comme la vôtre, je n’ai pu m’imaginer qu’il vous restât quelque peine à subir. – Hélas ! hélas ! reprit le défunt, personne ne croirait avec quelle sévérité Dieu juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre dans nos meilleures actions des côtés défectueux, des imperfections qui lui déplaisent. Il nous fait rendre compte jusqu’à la dernière obole usque ad novissimum quadrantem. »

Chapitre 17 – Peines du purgatoire

La Bienheureuse Quinziani

Dans la vie de la Bienheureuse Étiennette Quinziani (Auctore Franc. Seghizzo. Cf. Merv. 42. Marchese 2 janv.), religieuse dominicaine, il est parlé d’une sœur, appelée Paule, qui mourut au couvent de Mantoue, après une longue vie, sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l’église et placé à découvert dans le chœur, au milieu des religieuses. Pendant l’office, la Bienheureuse Quinziani s’était agenouillée auprès de la bière, recommandant à Dieu la défunte qui lui avait été fort chère; lorsque celle-ci tout à coup, laissant tomber le crucifix qu’on lui avait mis entre les mains, étend le bras gauche, et saisissant la main droite de la bienheureuse, la serre étroitement, comme ferait une malade qui dans les ardeurs de la fièvre demande secours à une amie. Elle la tint serrée pendant un temps considérable, puis retira son bras qui retomba inanimé dans le cercueil. Les religieuses, étonnées de ce prodige, en demandèrent l’explication à la bienheureuse. Elle répondit que lorsque la défunte lui serrait la main, une voix non articulée lui avait parlé au fond du cœur, disant: « Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j’endure. Oh ! si vous saviez la sévérité du Juge qui veut notre amour, quelle expiation il exige des moindres fautes avant de nous admettre à la récompense ! Si vous saviez combien il faut être pur pour voir la face de Dieu ! Priez, priez et faites pénitence pour moi, qui ne peux plus m’aider. »

La Bienheureuse, touchée de la prière de son amie, se livra à toutes sortes de pénitences et d’œuvres satisfactoires, jusqu’à ce qu’une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.

La conclusion naturelle qui ressort de ces terribles manifestations de la divine justice, c’est qu’il faut se hâter de satisfaire en cette vie. Certes, un coupable condamné à être brûlé vif, ne refuserait pas une peine plus légère si on lui en laissait le choix. Supposez qu’on lui dise: Vous pouvez vous libérer de ce terrible supplice, à condition que durant trois jours vous jeûniez au pain et à l’eau; s’y refuserait-il ? Celui qui préférerait le tourment du feu à cette légère pénitence, ne serait-il pas regardé comme ayant perdu la raison ? Or, préférer le feu du purgatoire à la pénitence chrétienne en cette vie, est une extravagance incomparablement plus grande.

L’empereur Maurice

L’empereur Maurice le comprit et fut plus sage. L’histoire rapporte (Bérault, Histoire ecclés. année 602) que ce prince, malgré ses bonnes qualités qui l’avaient rendu cher à saint Grégoire-le-Grand, commit sur la fin de son règne une faute considérable, et l’expia par un repentir exemplaire.

Ayant perdu une bataille contre le Kan ou roi des Avares, il refusa de payer la rançon des prisonniers, quoiqu’on ne demandât par tête que la sixième partie d’un sou d’or, ce qui faisait moins de vingt sous de notre monnaie. Ce refus sordide mit le vainqueur barbare dans une telle colère, qu’il fit massacrer sur-le-champ les soldats Romains, au nombre de douze mille. Alors l’empereur reconnut sa faute et la sentit si vivement, qu’il envoya de l’argent et des cierges aux principales églises et aux principaux monastères, afin qu’on y priât le Seigneur de le punir en cette vie plutôt qu’en l’autre.

Ces prières furent exaucées. L’an 602, ayant voulu obliger ses troupes à passer l’hiver au-delà du Danube, elles se mutinèrent avec fureur, chassèrent leur général Pierre, frère de Maurice, et proclamèrent empereur un simple centurion, nommé Phocas. La ville impériale suivit l’exemple de l’armée. Maurice fut obligé de s’enfuir de nuit, après avoir quitté toutes les marques de sa puissance, qui ne faisaient plus que son effroi. Il n’en fut pas moins reconnu.

On l’arrêta avec sa femme, cinq de ses fils et ses trois filles, c’est-à-dire tous ses enfants, excepté l’aîné de ses fils, nommé Théodose, qu’il avait fait déjà couronner empereur, et qui échappa pour lors au tyran. Maurice et ses cinq fils furent impitoyablement égorgés, près de Chalcédoine. Le carnage commença par les jeunes princes, qu’on fit mourir sous les yeux de cet infortuné père, sans qu’il lui échappât un seul mot de plainte. Songeant aux peines de l’autre vie, il s’estimait heureux de pouvoir souffrir dans la vie présente; et durant tout le massacre, on n’entendit sortir de sa bouche que ces paroles du psaume: Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable. Ps. 118.

Chapitre 18 – Peines du purgatoire

Comme nous l’avons dit plus haut, la peine du sens a divers degrés d’intensité: elle est moins terrible pour les âmes qui n’ont pas de péchés graves à expier, ou qui ayant fini déjà cette expiation plus rigoureuse, approchent de leur délivrance. Beaucoup de ces âmes ne souffrent plus alors que la seule peine du dam, même elles commencent déjà à briller des premiers rayons de la gloire et à goûter comme les prémices de la béatitude.

Sainte-Perpétue

Lorsque Sainte-Perpétue (7 mars. – (2) 15 novembre. Revelationes Gertrudianœ ac Mechtildianœ. Henri Oudin, Pictav. 1875.) vit au purgatoire son jeune frère Dinocrate, cet enfant ne semblait pas soumis à de cruelles tortures. L’illustre martyre écrivit elle-même le récit de cette vision, dans sa prison de Carthage, où elle avait été enfermée pour la foi de Jésus-Christ, lors de la persécution de Septime-Sévère, l’an 205. Le purgatoire lui apparut sous la figure d’un désert aride, où elle vit son frère Dinocrate qui était mort à l’âge de sept ans. L’enfant avait un ulcère au visage, et tourmenté par la soif, il cherchait vainement à boire des eaux d’une fontaine, qui était devant lui, mais dont les bords étaient trop élevés pour qu’il y pût atteindre.

La sainte martyre comprit que l’âme de son frère était au lieu des expiations et réclamait le secours de ses prières. Elle pria donc pour lui; et trois jours après, dans une nouvelle vision, elle vit le même Dinocrate au milieu d’un jardin délicieux: son visage était beau comme celui d’un ange, il était revêtu d’une très belle robe, les bords de la fontaine étaient abaissés devant lui, il puisait dans ses eaux vives avec une coupe d’or, et se désaltérait à longs traits. – La sainte connut alors que l’âme de son jeune frère jouissait enfin des joies du paradis.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les révélations de sainte Gertrude (2), qu’une jeune religieuse de son monastère, qu’elle aimait singulièrement à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus beaux sentiments de piété. Pendant qu’elle recommandait ardemment cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase, et eût une vision. La défunte lui fut montrée devant le trône de Dieu, environnée d’une brillante auréole et couverte de riches vêtements. Cependant elle paraissait triste et préoccupée: ses yeux étaient baissés, comme si elle eût eu honte de paraître devant la face de Dieu; on eût dit qu’elle voulait se cacher et s’enfuir. – Gertrude, toute surprise, demanda au divin Époux des vierges, la cause de cette tristesse et de cet embarras dans une âme si sainte: Très-doux Jésus, s’écria-t-elle, pourquoi dans votre bonté infinie n’invitez-vous pas votre épouse à s’approcher de vous et à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi la laissez-vous à l’écart triste et craintive ? » – Alors Notre-Seigneur, avec un sourire d’amour, fit signe à cette sainte âme de s’approcher ; mais elle, de plus en plus troublée, après avoir hésité un peu, toute tremblante, s’inclina profondément et s’éloigna.

A cette vue sainte Gertrude, s’adressant directement à l’âme: « Eh ! quoi, ma fille, lui dit-elle, vous vous éloignez quand le Seigneur vous appelle ? Vous qui avez soupiré toute votre vie après Jésus, maintenant qu’il vous tend les bras, vous reculez devant lui ! » – « Ah ! ma mère, répondit cette âme, je ne suis pas digne encore de paraître devant l’Agneau immaculé; il me reste des souillures que j’ai contractées sur la terre. Pour s’approcher du soleil de justice, il faut être plus pur que le rayon de la lumière: je n’ai pas encore cette pureté parfaite qu’il veut contempler dans ses saints. Sachez que, si la porte du ciel m’était ouverte, je n’oserais en franchir le seuil, avant d’être entièrement purifiée des plus petites taches; il me semble que le chœur des vierges qui suivent les pas de l’Agneau, me repousserait avec horreur. – Et pourtant, reprit la sainte Abbesse, je vous vois environnée de lumière et de gloire ! – Ce que vous voyez, répondit l’âme, n’est que la frange du vêtement de la gloire: pour revêtir cette robe ineffable du ciel, il faut ne plus avoir une ombre de souillure. »

Cette vision nous montre une âme bien près de la gloire; mais elle indique en même temps que cette âme est éclairée tout autrement que nous sur l’infinie sainteté de Dieu. La connaissance claire de cette sainteté lui fait rechercher, comme un bien, les expiations dont elle a besoin pour être digne des regards du Dieu trois fois saint.

Sainte Catherine de Gênes

C’est, du reste, ce qu’enseigne expressément Sainte-Catherine de Gênes. On sait que cette sainte a reçu de Dieu des lumières toutes particulières sur l’état des âmes dans le purgatoire: elle a écrit un opuscule, intitulé Traité du purgatoire, qui jouit d’une autorité semblable aux œuvres de sainte Thérèse. Or, au chapitre VIII, elle s’exprime ainsi: « Le Seigneur est tout miséricorde: il se tient, vis-à-vis de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois aussi que cette divine essence est d’une telle pureté, que l’âme ne saurait soutenir son regard, à moins d’être absolument immaculée. Si elle trouvait en soi le moindre atome d’imperfection, plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté infinie, elle se précipiterait au fond de l’enfer. – Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s’y élance; et elle estime que c’est par l’effet d’une grande miséricorde, qu’un lieu lui est donné pour se délivrer de l’empêchement au bonheur suprême qu’elle voit en elle. »

Le Frère Jean de Via

L’Histoire de l’origine de l’Ordre séraphique (Partie 4. n. 7. Cf. Merv. 83.) fait mention d’un saint religieux, appelé le Frère Jean de Via, qui mourut pieusement dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, le Frère Ascension, était en prière dans sa cellule et recommandait à Dieu l’âme du défunt, lorsque tout à coup il aperçut devant lui un religieux de son ordre, mais qui paraissait transfiguré: il était tout radieux et remplissait la cellule d’une douce clarté. Le frère tout hors de lui, ne le reconnut pas, mais s’enhardit assez pour lui demander qui il était et quel était le sujet de sa visite. – « Je suis, répondit l’apparition, l’esprit du Frère Jean de Via: je vous rends grâces pour les prières que vous faites monter au ciel en ma faveur, et je viens vous demander encore un acte de charité. Sachez que, grâce à la divine miséricorde, je suis dans le lieu du salut, parmi les prédestinés à la gloire: la lumière qui m’environne en est une preuve. Cependant je ne suis pas digne encore de voir la face du Seigneur, à cause d’un manquement qu’il me faut expier. Durant ma vie mortelle, j’ai omis par ma faute, et cela plusieurs fois, de réciter l’office pour les défunts, lorsqu’il était prescrit par la règle. Je vous conjure, mon frère, par l’amour que vous avez pour Jésus-Christ, de faire en sorte que ma dette soit acquittée en cette matière, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. »

Le Frère Ascension courut au Père Gardien, raconta ce qui lui était arrivé, et on s’empressa d’acquitter les offices demandés. Alors l’âme du bienheureux Frère Jean de Via se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore: elle était en possession de la félicité complète.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 13, 14, 15

Chapitre 13 – Peines du purgatoire

Antoine Pereyra

Aux deux faits qui précèdent ajoutons un troisième, tiré des annales de la Compagnie de Jésus. Nous parlons du prodige arrivé dans la personne d’Antoine Pereyra, frère conducteur de cette Compagnie, qui mourut en odeur de sainteté au collège d’Evora en Portugal, le 1er août 1645. Quarante-six ans auparavant, en 1599, cinq ans après son entrée au noviciat, ce frère fut atteint d’une maladie mortelle dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores; et peu d’instants après qu’il eut reçu les derniers sacrements, sous les yeux de toute la communauté qui assistait à son agonie, il sembla rendre l’âme, et devint bientôt froid comme un cadavre. L’apparence presque imperceptible d’un léger battement de cœur empêcha seule de l’ensevelir sur-le-champ. On le laissa donc trois jours entiers sur son lit de mort, et l’on découvrait déjà dans son corps des signes évidents de décomposition; lorsque tout à coup, le quatrième jour, il ouvrit les yeux, respira et parla.

Il lui fallut alors par obéissance raconter à son supérieur, le P. Louis Pinheyro, tout ce qui s’était passé en lui, depuis les dernières transes de son agonie; et voici l’abrégé de la relation qu’il en écrivit de sa propre main: « D’abord je vis, dit-il, de mon lit de mort, mon Père Saint-Ignace, accompagné de quelques-uns de nos Pères du ciel, qui venait visiter ses enfants malades, cherchant ceux qui lui sembleraient dignes d’être offerts par lui et par ses compagnons à Notre-Seigneur. Quand il fut près de moi, je crus un moment qu’il m’emmènerait, et mon cœur tressaillit de joie; mais bientôt il me signala ce qu’il fallait me corriger avant d’obtenir un si grand bonheur. »

Alors néanmoins, par une disposition mystérieuse de la Providence, l’âme du F. Pereyra se détacha momentanément de son corps; et aussitôt, la vue d’une hideuse troupe de démons, se précipitant vers elle, la remplit d’effroi. Mais en même temps son ange gardien, et Saint-Antoine de Padoue, son compatriote et son patron, descendant du ciel, mirent en fuite ses ennemis, et l’invitèrent à venir, en leur compagnie, entrevoir et goûter un moment, quelque chose des joies et des douleurs de l’éternité. « Ils me conduisirent donc tour à tour, ajoute-t-il, vers un lieu de délices, où ils me montrèrent une couronne de gloire incomparable, mais que je n’avais pas encore méritée; puis, sur les bords du puit de l’abîme, où je vis les âmes maudites tomber dans le feu éternel aussi pressées que les grains de blé, jetés sous une meule tournant sans relâche; le gouffre infernal était comme un de ces fours à chaux, où par moments, la flamme est comme étouffée sous l’amas des matériaux qu’on y précipite, mais pour se relever, en s’en nourrissant, avec une effroyable violence. »

Mené de là au tribunal du souverain Juge, Antoine Pereyra s’entendit condamner au feu du purgatoire; et rien ne saurait ici-bas, assure-t-il, faire comprendre ce qu’on y endure, ni l’état d’angoisse où l’on y est réduit par le désir et le délai de la jouissance de Dieu et de sa bienheureuse présence.

Aussi, lorsque son âme eut été de nouveau réunie à son corps par le commandement de Notre-Seigneur ni les nouvelles tortures de la maladie, qui acheva pendant six mois entiers de faire tomber par lambeaux, avec le secours journalier du fer et du feu, sa chair irrémédiablement attaquée par la corruption de cette première mort; ni les effrayantes pénitences, auxquelles il ne cessa plus de se livrer, autant que l’obéissance le lui permettrait, durant les quarante-six ans de sa nouvelle vie, ne purent apaiser sa soif de douleurs et d’expiations. « Tout cela, disait-il, n’est rien, auprès de ce que la justice et la miséricorde infinies de Dieu m’ont fait, non seulement voir, mais endurer. »

– Enfin comme sceau authentique de tant de merveilles, le F. Pereyra découvrit en détail à son supérieur les secrets desseins de la Providence sur la future restauration du royaume du Portugal, encore éloignée alors de plus d’un demi-siècle. Mais on peut sans crainte ajouter, que la plus irrécusable garantie de tous ces prodiges fut la surprenante sainteté à laquelle Antoine Pereyra ne cessa plus un seul jour de s’élever.

La vénérable Angèle Tholoméi

Citons encore un fait analogue, et qui confirme en tout point ceux qu’on vient de lire. Nous le trouvons dans la vie de la vénérable servante de Dieu, Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine. Elle fut ressuscitée de la mort par son propre frère; et rendit à la rigueur des jugements de Dieu un témoignage entièrement conforme à ceux qui précèdent.

Le Bienheureux Jean-Baptiste Tholoméi, que ses rares vertus et le don des miracles ont fait élever sur les autels, avait une sœur, Angèle Tholoméi, dont l’héroïcité des vertus a été aussi reconnue par l’Église. Elle tomba gravement malade et son saint frère demanda sa guérison par d’instantes prières. Le Seigneur lui répondit, comme autrefois aux sœurs de Lazare, qu’il ne guérirait pas Angèle; mais qu’il ferait plus, qu’il la ressusciterait pour la glorification de Dieu et le bien des âmes.

Elle mourut, en effet, en se recommandant aux prières de son saint frère. Comme on portait son corps au tombeau, le Bienheureux Jean-Baptiste, obéissant sans doute à un mouvement du Saint-Esprit, s’approcha du cercueil, et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sœur d’en sortir. Aussitôt elle se réveilla comme d’un profond sommeil et revint à la vie.

Cette âme si sainte paraissait toute frappée de stupeur et racontait de la sévérité des jugements de Dieu des choses qui font frémir. Elle commença en même temps à mener une vie qui prouvait bien la vérité de ses paroles. Sa pénitence était effrayante: non contente des exercices ordinaires usités par les saints, tels que les jeûnes, les veilles, les cilices, les disciplines sanglantes; elle allait jusqu’à se jeter dans les flammes, et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée. Son corps martyrisé était devenu un objet de pitié et d’horreur. On la blâmait hautement, on l’accusait de dénaturer par des excès la vraie pénitence chrétienne; elle n’en continuait pas moins, et se contentait de répondre: « Si vous connaissiez la rigueur des jugements de Dieu, vous ne parleriez point ainsi. Qu’est-ce que mes faibles pénitences, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie aux infidélités qu’on se permet si aisément en ce monde ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. »

Il ne s’agit pas ici, comme on voit, des peines qu’ont à subir au purgatoire les grands pécheurs, quand ils se convertissent avant la mort; mais des châtiments que Dieu inflige à une religieuse fervente pour les fautes les plus légères.

Chapitre 14 – Peines du purgatoire

Apparition de Foligno

La même rigueur se révèle dans une apparition plus récente, où une religieuse, morte après une vie exemplaire, manifesta ses souffrances de manière à jeter l’effroi dans toutes les âmes. L’événement arriva le 16 novembre 1859 à Foligno, près d’Assise, en Italie. Il produisit un grand retentissement dans la contrée; et, outre la preuve sensible qu’il laissa après lui, une enquête faite en due forme par l’autorité compétence en établit la vérité incontestable.

Il y avait au couvent des tertiaires franciscaines de Foligno une sœur, appelée Thérèse Gesta, qui était depuis de longues années maîtresse des novices, et à la fois chargée du pauvre vestiaire de la communauté. Elle était née à Bastia, en Corse, l’an 1707, et était entrée au monastère en février 1826.

La sœur Thérèse était un modèle de ferveur et de charité; il ne faudrait pas s’étonner, disait le directeur, si Dieu la glorifiait par quelque prodige après sa mort. Elle mourut subitement le 4 novembre 1859 d’un coup d’apoplexie foudroyante.

Douze jours après, le 16 novembre, une sœur, nommée Anna-Félicie, qui la remplaçait dans son office, montait au vestiaire et allait y entrer, lorsqu’elle entendit des gémissements qui semblaient venir de l’intérieur de cette chambre. Un peu effrayée, elle s’empressa d’ouvrir la porte: il n’y avait personne. Mais de nouveaux gémissements se firent entendre, si bien accentués, que, malgré son courage ordinaire, elle se sentit envahie par la peur. Jésus ! Marie ! s’écria-t-elle, qu’est-ce que cela ? – Elle n’avait pas fini, qu’elle entendit une voix plaintive, accompagnée de ce douloureux soupir: Oh ! mon Dieu, que je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! – La sœur stupéfaite reconnut aussitôt la voix de la pauvre sœur Thérèse. Alors, toute la salle se remplit d’une épaisse fumée, et l’ombre de sœur Thérèse apparut, se dirigeant vers la porte, en se glissant le long de la muraille. Arrivée près de la porte, elle s’écria avec force: Voici un témoignage de la miséricorde de Dieu. En disant ces mots, elle frappa le panneau le plus élevé de la porte, et y laissa l’empreinte de sa main droite, brûlée dans le bois comme avec un fer rouge; puis elle disparut.

La sœur Anna-Félicie était restée à moitié morte de frayeur. Toute bouleversée, elle se mit à pousser des cris et à appeler au secours. Une de ses compagnes accourt, puis une autre, puis toute la communauté; on s’empresse autour d’elle, et toutes s’étonnent de sentir une odeur de bois brûlé. La sœur Anna-Félicie leur dit ce qui vient de se passer et leur montre sur la porte la terrible empreinte. Elles reconnaissent aussitôt la main de sœur Thérèse, laquelle était remarquablement petite. Épouvantées, elles s’enfuient, courent au chœur, se mettent en prière, passent la nuit à prier et à faire des pénitences pour la défunte, et le lendemain toutes communient pour elle.

La nouvelle se répand au dehors, et les diverses communautés de la ville joignent leurs prières à celles des Franciscaines. – Le surlendemain, 18 novembre, sœur Anna-Félicie étant entrée dans sa cellule pour se coucher, s’entendit appeler par son nom, et reconnu parfaitement la voix de sœur Thérèse. Au même instant, un globe de lumière tout resplendissant apparaît devant elle, éclairant la cellule comme en plein jour, et elle entend sœur Thérèse qui, d’une voix joyeuse et triomphante, dit ces paroles: Je suis morte un vendredi, le jour de la passion; et voici qu’un vendredi je m’en vais à la gloire ! Soyez fortes pour porter la croix, soyez courageuses pour souffrir, aimez la pauvreté. Puis ajoutant avec amour: Adieu, adieu, adieu ! elle se transfigure en une nuée légère, blanche, éblouissante, s’envole au ciel et disparaît.

Dans l’enquête qui fut ouverte aussitôt, le 23 novembre, en présence d’un grand nombre de témoins, on ouvrit le tombeau de sœur Thérèse, et l’empreinte brûlée de la porte se trouva exactement conforme à la main de la défunte. – La porte avec l’empreinte brûlée, ajoute MGR de Ségur est conservée dans le couvent avec vénération. La mère abbesse, témoin du fait, a daigné me la montrer elle-même.

Voulant m’assurer de la parfaite exactitude de ces détails, rapportés par PGR de Ségur, j’en ai écrit à l’évêché de Foligno. On m’a répondu en m’envoyant une relation circonstanciée parfaitement d’accord avec le récit qui précède, et accompagnée d’un fac-similé de l’empreinte miraculeuse. Cette relation expliquait la cause de la terrible expiation que subit la sœur Thérèse. Après avoir dit: Ah ! combien je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! elle ajouta, que c’était pour avoir, dans l’exercice de son office du vestiaire, manqué à quelques points de la stricte pauvreté prescrite par la règle.

La divine justice punit donc bien sévèrement les moindres fautes. On pourrait ici demander pourquoi l’apparition, en faisant la mystérieuse empreinte sur la porte, l’appela un témoignage de la miséricorde de Dieu ? C’est parce qu’en nous donnant un semblable avertissement, Dieu nous fait une grande miséricorde: il nous presse d’aider les âmes et de pourvoir à nous-mêmes.

Le religieux dominicain de Zamora

Puisque nous avons parlé d’une empreinte brûlée, rapportons un fait analogue, arrivé en Espagne et qui eut dans ce pays une grande célébrité. Voici comment le raconte Ferdinand de Castille, dans son Histoire de saint Dominique. Un religieux dominicain vivait saintement dans son couvent de Zamora, ville du royaume de Léon. Il était lié d’amitié avec un frère franciscain, comme lui homme de grande vertu. Un jour qu’ils s’entretenaient ensemble des choses éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait, si Dieu voulait bien le permettre, apparaîtrait à l’autre pour lui donner des avis salutaires. Le frère mineur mourut le premier; et un jour que son ami, le fils de saint Dominique, préparait le réfectoire, il lui apparut. Après l’avoir salué avec respect et affection, il lui dit qu’il était du nombre des élus; mais qu’avant de pouvoir jouir du bonheur céleste, il lui restait beaucoup à souffrir pour une infinité de petites fautes dont il n’avait pas eu assez de repentir pendant sa vie. Rien sur la terre, ajout a-t-il, ne peut donner une idée des tourments que j’endure, et Dieu me permet de vous en montrer un effet sensible. – En disant ces mots, il étendit la main droite sur la table du réfectoire et la marque en resta empreinte dans le bois carbonisé, comme si l’on y eût appliqué un fer rouge.

Telle fut la leçon de ferveur que le franciscain défunt donna à son ami vivant. Elle profita non seulement à lui, mais à tous ceux qui virent cette marque de feu, si profondément significative. Car cette table devint un objet de piété, qu’on venait contempler de tout part; on la voit encore à Zamora, dit le P. Rossignoli, au moment où j’écris; pour la garantir on l’a recouverte d’une feuille de cuivre. Elle s’est conservée jusqu’à la fin du siècle dernier; depuis, les révolutions l’ont fait disparaître, comme tant d’autres souvenirs religieux.

Chapitre 15 – Peines du purgatoire

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, dans sa célèbre vision où les différentes prisons du purgatoire lui furent montrées, aperçut l’âme de son frère, qui était mort après avoir mené une vie fort chrétienne. Cependant cette âme était retenue dans les souffrances pour certaines fautes qu’elle n’avait pas expiées sur la terre. « Ce sont, dit la sainte, des souffrances intolérables et cependant supportées avec joie. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leur croix ici-bas ! ». Toute saisie du douloureux spectacle qu’elle venait de contempler, elle courut chez sa prieure, et se jetant à genoux. « O ma Mère, s’écria-t-elle, qu’elles sont terribles les peines du purgatoire ! Jamais je ne les aurais crues telles, si le Seigneur ne me les eût montrées…Et néanmoins je ne puis les appeler cruelles, elles sont plutôt avantageuses, ces peines qui conduisent à l’ineffable félicité du paradis. »

Pour impressionner davantage nos sens, il a plu à Dieu de faire sentir à quelques saints personnages une légère atteinte des peines expiatrices: comme une goutte de la coupe amère que les âmes ont à boire, comme une étincelle du feu qui les dévore.

Stanislas Chocosca

L’historien Bzovius, dans son Histoire de Pologne, sous l’année 1590, rapporte un événement miraculeux, arrivé au vénérable Stanislas Chocosca, l’une des lumières de l’Ordre de saint Dominique en Pologue (Cf. Rossign. Merv. 67). Un jour que ce religieux, plein de charité pour les défunts, récitait le saint Rosaire, il vit apparaître près de lui une âme toute dévorée de flammes. Comme elle le suppliait d’avoir pitié d’elle et d’adoucir les intolérables douleurs, que le feu de la divine justice lui faisait endurer, le saint homme lui demanda si ce feu était plus douloureux que celui de la terre ? – « Ah ! s’écria cette âme, tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire, sont comme un souffle rafraîchissant. Ignes alii levis aurœ locum tenent, si cum ardore meo comparentur. » – Stanislas avait peine à le croire. – « Je voudrais, dit-il, en faire l’épreuve. Si Dieu le permet, pour votre soulagement et pour le bien de mon âme, je consens à endurer une partie de vos peines. – Hélas ! vous ne le sauriez. Sachez qu’un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt, supporter un tel tourment. Toutefois Dieu vous permet d’en ressentir une légère atteinte: étendez la main. » – Chocosca étendit la main, et le défunt y laissa tomber une goutte de sa sueur, ou du moins d’un liquide qui en avait l’apparence. A l’instant le religieux, poussant un cri perçant, tomba par terre sans connaissance, tant la douleur était affreuse.

Ses frères accoururent et s’empressèrent de lui donner les soins que réclamait son état. Quand il revint à lui, tout plein encore de terreur, il raconta l’effroyable événement qui lui était arrivé et dont tous voyaient la preuve. « Ah ! mes pères, ajouta-t-il, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne commettrions le moindre péché; et nous ne cesserions de faire pénitence en cette vie, pour ne pas devoir la faire en l’autre. »

Stanislas se mit au lit dès ce moment; il vécut encore une année dans les cruelles souffrances que lui causait l’ardeur de sa plaie, puis, exhortant une dernière fois ses frères à se souvenir des rigueurs de la divine justice dont il avait fait une si terrible expérience, il expira dans la paix du Seigneur. – L’historien ajoute que cet exemple ranima la ferveur dans tous les monastères de cette province.

La Bienheureuse Catherine de Racconiggi

Nous lisons un fait analogue dans la vie de la Bienheureuse Catherine de Racconigi (Diario Domenicano, 4 septemb. Cf. Rossig Merv. 63.). Un jour qu’elle était fort souffrante, au point d’avoir besoin de l’assistance de ses sœurs, elle pensa aux âmes du purgatoire; et, pour tempérer les ardeurs de leurs flammes, elle offrit à Dieu les ardeurs que la fièvre lui faisait éprouver. En ce moment entrant en extase, elle fut conduite en esprit dans le lieu des expiations, où elle vit les flammes et les brasiers où les âmes sont purifiées avec d’immenses douleurs. Pendant qu’elle contemplait pleine de compassion ce lamentable spectacle, elle entendit une voix qui lui dit: Catherine, afin que tu procures plus efficacement la délivrance de ces âmes, tu vas éprouver quelque peu leurs tourments et en faire une expérience sensible. – A l’instant, une étincelle se détache et vient la frapper à la joue gauche. Les sœurs présentes virent très bien cette étincelle, et elles virent aussi avec terreur le visage de la malade s’enfler aussitôt d’une manière prodigieuse. Il demeura plusieurs jours en cet état, et, comme la bienheureuse le racontait à ses sœurs, les souffrances que cette simple étincelle lui avait fait éprouver surpassaient de loin tout ce qu’elle avait souffert dans le cours de plusieurs maladies douloureuses.

Jusque-là Catherine s’était employée avec charité à soulager les âmes du purgatoire; mais à partir de ce moment elle redoubla de ferveur et d’austérités pour accélérer leur délivrance; parce qu’elle savait par expérience le grand besoin qu’elles ont de notre secours.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 10, 11, 12

Chapitre 10 – Peines du purgatoire. – Peine du dam

Après avoir entendu les théologiens et les docteurs de l’Église, nous allons écouter des docteurs d’un autre genre: ce sont les Saints qui parlent des peines de l’autre vie, et qui racontent ce que Dieu leur en a montré par des communications surnaturelles.

Sainte Catherine de Gênes

Sainte Catherine de Gênes, dans son Traité du purgatoire (Chap. II, VIII.), dit que « les âmes éprouvent un tourment si extrême, qu’aucune langue ne pourrait le raconter, ni aucun entendement en concevoir la moindre notion, si Dieu ne le faisait connaître par une grâce spéciale.»

Aucune langue, ajoute-t-elle, ne saurait exprimer, aucun esprit ne saurait se faire une idée de ce qu’est le purgatoire. Quant à la grandeur de la peine, elle égale l’enfer. »

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse, dans le Château de l’âme (Sixième demeure, chap. XI.), parlant de la peine du dam, s’exprime ainsi: « La peine du dam ou la privation de la vue de Dieu, surpasse tout ce qu’on peut imaginer de plus douloureux: parce que les âmes, poussées vers Dieu, comme vers le centre de toutes leurs aspirations, en sont continuellement repoussées par sa justice. Qu’on se figure un naufragé qui, après s’être longtemps débattu contre les flots, va toucher le rivage, mais qui s’en voit éloigné sans cesse par une main irrésistible: quelles douloureuses angoisses ! Celles des âmes du purgatoire le sont mille fois davantage. »

Le Père Nieremberg

Le Père Nieremberg de la Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté à Madrid en 1658, rapporte (De pulchritud. Dei 1. 2. c. XI.) un fait arrivé à Trèves, et qui fut reconnu, dit le P. Rossignoli (Merveille 69. p.50 fin p.51 ), par le vicaire général de ce diocèse comme présentant tous les caractères de la vérité. Le jour de la Toussaint, une jeune fille d’une rare piété vit apparaître devant elle une dame de sa connaissance, morte peu de temps auparavant. L’apparition était vêtue de blanc, un voile de même couleur sur la tête, et tenant un long rosaire à la main, signe de la tendre dévotion qu’elle avait toujours professée pour la Reine du ciel. Elle implorait la charité de sa pieuse amie, disant qu’elle avait fait vœu autrefois de faire célébrer trois messes à l’autel de la sainte Vierge, et que n’ayant pu l’accomplir, cette dette ajoutait à ses souffrances. Elle la pria donc de s’en acquitter à sa place.

La jeune personne accorda volontiers la charité qu’on lui demandait; et quand les trois messes eurent été célébrées, la défunte lui apparut de nouveau, lui témoignant sa joie et sa reconnaissance. Elle continua même à lui apparaître tout le mois de novembre, presque toujours dans l’église. Son amie la voyait en adoration devant le saint sacrement, abîmée dans un respect dont rien ne saurait donner une idée; ne pouvant encore voir son Dieu face à face, elle semblait vouloir s’en dédommager en le contemplant au moins sous les espèces eucharistiques. Pendant le divin Sacrifice de la messe, au moment de l’élévation, son visage s’irradiait de telle sorte, qu’on eût dit un séraphin descendu du ciel; la jeune fille en était dans l’admiration et déclarait n’avoir jamais rien vu de si beau.

Cependant les jours se passaient, et, malgré les messes et les prières offertes pour elle, cette sainte âme demeurait en son exil, loin des Tabernacles éternels. Le 3 décembre, fête de Saint François-Xavier, sa protectrice devant communier à l’église des Pères Jésuites, l’apparition l’accompagna à la sainte table et se tint ensuite à ses côtés, durant tout le temps de son action de grâces, comme pour participer au bonheur de la sainte Communion et jouir aussi de la présence de Jésus-Christ.

Le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, elle revint encore, mais si brillante que son amie ne pouvait la regarder. Elle approchait visiblement du terme de son expiation. Enfin le 10 décembre, pendant la sainte messe elle apparut dans un éclat plus merveilleux encore: après s’être inclinée profondément devant l’autel, elle remercia la pieuse fille de ses prières et monta au ciel en compagnie de son ange gardien.

Quelque temps auparavant cette sainte âme avait fait connaître qu’elle ne souffrait plus que la peine du dam, ou de la privation de Dieu; mais elle ajouta que cette privation lui causait un supplice intolérable. – Cette révélation justifie la parole de saint Chrysostome dans sa quarante-septième homélie: Supposez, dit-il, tous les tourments du monde, vous n’en trouverez point qui égale celui d’être privé de la vue béatifique de Dieu.

En effet, le supplice du dam, dont il s’agit ici, est, selon tous les saints et tous les docteurs, bien plus rigoureux que la peine du sens. Il est vrai que dans la vie présente nous ne saurions le comprendre, parce que nous connaissons trop peu le souverain bien pour lequel nous sommes créés. Mais dans l’autre vie, cet ineffable bien apparaît aux âmes comme le pain à un homme affamé, comme l’eau vive à celui qui meurt de soif, comme la santé à un malade torturé par de longues souffrances; il excite en elles des désirs brûlants qui les tourmentent sans pouvoir se satisfaire.

Chapitre 11 – Peine de sens

Tourment du feu et tourment du froid

Si nous sommes faiblement impressionnés par la peine du dam, il en est tout autrement de la peine du sens: le tourment du feu, le supplice d’un froid âpre et intense, effraye notre sensibilité. C’est pourquoi la divine miséricorde, voulant exciter dans nos âmes une sainte frayeur, ne nous parle guère de la peine du dam; mais elle nous donne sans cesse le feu, le froid et autres tourments qui constituent la peine du sens. C’est ce que nous voyons dans l’Évangile et dans les révélations particulières, par lesquelles il lui plaît de manifester de temps en temps à ses serviteurs les mystères de l’autre vie.

Le vénérable Bède et Drithelme

Citons quelques-unes de ces révélations. Voici d’abord celle que rapporte, d’après le vénérable Bède, le pieux et savant cardinal Bellarmin.

L’Angleterre a été témoin de nos jours, écrit Bède, d’un prodige insigne, comparable aux miracles des premiers siècles de l’Église. Pour exciter les vivants à craindre la mort de l’âme, Dieu a permis qu’un homme, après s’être endormis du sommeil de la mort, revint à la vie corporelle et révélât ce qu’il avait vu dans l’autre monde. Les détails effrayants, inouïs, qu’il raconta, et sa vie de pénitence extraordinaire qui répondait à ses paroles, produisirent dans tout le pays la plus vive impression. Je résumerai les principales circonstances de cette histoire.

Il y avait dans le Northumberland un homme appelé Drithelme, qui vivait fort chrétiennement avec toute sa famille. Il tomba malade, et son mal s’aggrava de jour en jour au point qu’il fut enfin réduit à l’extrémité, et mourut à la grande désolation de sa femme et de ses enfants. Ceux-ci passèrent la nuit en pleurs auprès de son corps; mais le lendemain, avant de l’ensevelir, ils le virent tout d’un coup reprendre vie, se soulever et se mettre sur son séant. A cette vue ils furent saisis d’une telle frayeur qu’ils prirent tous la fuite, à l’exception de la femme, qui resta seule toute tremblante avec son mari ressuscité. Il la rassura aussitôt: Ne craignez point, lui dit-il, c’est Dieu qui me rend à la vie: il veut montrer en ma personne un homme ressuscité de la mort. Je sois vivre encore quelques temps sur la terre; mais ma nouvelle vie sera bien différente de celle que j’ai menée jusqu’ici.

Alors il se leva plain de santé, s’en alla droit à la chapelle ou église du lieu, et y demeura longtemps en prière. Il ne rentre chez lui, que pour prendre congé de ceux qui lui avaient été chers sur la terre, il leur déclara qu’il ne voulait plus vivre que pour se préparer à la mort et les engagea tous à en faire autant. Puis ayant partagé son bien en trois parts, il en donna une à ses enfants, une autre à sa femme et se réservé la troisième pour en faire des aumônes. Quand il eut tout distribué aux pauvres et se fut réduit lui-même à une extrême indigence, il alla frapper à la porte d’un monastère et supplia l’abbé de la recevoir comme un religieux pénitent, qui serait le serviteur de tous les autres.

L’abbé lui donna une cellule à l’écart, qu’il habita le reste de sa vie. Trois exercices partageaient tout son temps, la prière, les plus durs travaux et des pénitences extraordinaires. Les jeûnes les plus rigoureux étaient pour lui peu de choses; de plus, on le voyait en hiver se plonger dans l’eau glacée et y demeurer des heures et des heures en prières, jusqu’à réciter tous les psaumes du psautier de David.

La vie si mortifiée de Drithelme, ses yeux toujours baissés, les traits même de son visage, dénotaient une âme frappée de la crainte des jugements de Dieu. Il gardait un silence perpétuel, mais on le pressa de dire pour l’édification des autres ce que Dieu lui avait montré après sa mort. Alors il racontait ainsi sa vision.

Au sortir de mon corps, je fus accueilli par un personnage bienveillant qui me pris sous sa conduite: il avait le visage rayonnant et paraissait environné de lumière. Nous arrivâmes dans une vallée large, profonde, et d’une étendue immense, toute de feu d’un côté, toute de neige et de glace de l’autre; ici des brasiers et des tourbillons de flammes, là le froid le plus intense et le souffle d’un vent glacial.

Cette vallée mystérieuse était pleine d’âmes innombrables qui, agitées comme par une furieuse tempête, se portaient sans cesse d’un côté à l’autre. Quand elles ne pouvaient pas supporter la violence du feu, elles cherchaient à se rafraîchir au sein des glaces et des neiges; mais n’y trouvant qu’un nouveau supplice, elles se rejetaient au milieu des flammes.

Je considérais avec stupeur ces vicissitudes continuelles d’horribles tourments; et aussi loin que ma vue pouvait s’étendre, je ne voyais que des multitudes d’âmes, qui souffraient toujours et n’avaient jamais de repos. Leur seul aspect inspirait l’effroi. Je crus d’abord que je voyais l’enfer; mais mon guide, qui marchait devant, se tourna vers moi et me dit: « Non, ce n’est pas ici l’enfer des réprouvés, comme vous le pensez. Savez-vous, continua-t-il, quel est ce lieu ? – Non, répondis-je. – Sachez, reprit-il, que cette vallée où vous voyez tant de feu et tant de glace, est le lieu où sont punies les âmes de ceux qui ont négligé toute leur vie de se confesser et qui ont différé leur conversion jusqu’à la fin. Grâce à une miséricorde spéciale de Dieu, ils ont eu avant de mourir le bonheur de se repentir sincèrement, de confesser et de détester leurs péchés. C’est pourquoi elles ne sont point réprouvées, et entreront dans le royaume des cieux au grand jour du jugement. Plusieurs même d’entre eux obtiennent leur délivrance avant ce temps, par le mérite des prières, des aumônes et des jeûnes faits par les vivants en leur faveur, surtout par la vertu du Sacrifice de la messe, qu’on offre pour leur soulagement. »

Tel était le récit de Drithelme. Quand on lui demandait pourquoi il traitait si rudement son corps, pourquoi il se plongeait dans l’eau glacée ? il répondait qu’il avait vu d’autres tourments et un froid autrement rigoureux.

Si l’on s’étonnait qu’il pût soutenir ces étranges austérités: j’ai vu, disait-il, des pénitences autrement surprenantes. – Aussi, jusqu’au jour où Dieu le rappela à lui, il ne cessa d’affliger son corps; et bien qu’il fût cassé de vieillesse, il ne voulut accepter aucun adoucissement.

Cet événement produisit une profonde sensation en Angleterre: grand nombre de pécheurs, touchés des discours de Drithelme et frappés par l’austérité de sa vie, se convertirent sincèrement.

Ce fait, ajoute Bellarmin, me paraît d’une vérité incontestable: outre qu’il est conforme à ces paroles de l’Écriture: Ils passeront du froid des neiges aux brûlantes ardeurs du feu, le vénérable Bède le rapporte comme un événement récent et bien connu. De plus, il fut suivi de la conversion d’un grand nombre de pécheurs, ce qui est signe des œuvres de Dieu qui a coutume d’opérer des prodiges pour produire du fruit dans les âmes.

Chapitre 12 – Peines du purgatoire

Le savant et pieux cardinal rapporte ensuite l’histoire de sainte Christine l’admirable, qui vécut en Belgique à la fin du douzième siècle, et dont le corps se conserve aujourd’hui à Saint-Trond, dans l’église des Pères Rédemptoristes. La vie de cette illustre vierge fut, dit-il, écrite par Thomas de Cantimpré, religieux de l’Ordre de saint Dominique, auteur très-digne de foi et contemporain de la Sainte. Le cardinal Jacques de Vitry, dans la préface de la Vie de sainte Marie d’Ognies, parle d’une foule de saintes femmes et d’illustres vierges; mais celle qu’il admire au-dessus de toutes, est sainte Christine, dont il résume des étonnantes actions.

Cette servante de Dieu, après avoir passé dans l’humilité et la patience les premières années de sa vie, mourut à l’âge de trente-deux ans. Lorsqu’on allait l’ensevelir et que son corps était déjà dans l’église, couché dans une bière ouverte, selon l’usage de l’époque, elle se leva plaine de vie, jetant dans la stupeur toute la ville de Saint-Trond, témoin de cette merveille. L’étonnement fut bien plus grand, quand on apprit de sa bouche ce qui lui était arrivé après sa mort. Écoutons-la raconter elle-même son histoire.

« Aussitôt, dit-elle que mon âme fut séparée de mon corps, elle fut reçue par les anges, qui la conduisirent dans un lieu fort sombre et tout rempli d’âmes. Les tourments qu’elles y souffraient me semblaient si excessifs, qu’il est impossible d’en exprimer la rigueur. Je vis, parmi elles beaucoup de personnes de ma connaissance, et profondément touchée de leur triste état, je demandais quel était ce lieu, car je croyais que c’était l’enfer. Mon guide me répondit que c’était le purgatoire, où l’on punissait les pécheurs qui, avant de mourir, s’étaient repentis de leurs fautes, mais qui n’en avaient pas fait à Dieu une digne satisfaction. – De là je fus conduite dans l’enfer, et j’y reconnus aussi quelques malheureux réprouvés, que j’avais vu autrefois.

« Les anges alors me transportèrent dans le ciel, jusqu’au trône de la Majesté divine. Le Seigneur me regarda d’un œil favorable, et j’en eu une extrême joie, parce que je croyais obtenir la grâce de demeurer éternellement auprès de lui. Mais mon père céleste voyant ce qui se passait dans mon cœur, me dit ces paroles: Sans doute, ma chère fille, vous serez ici avec moi un jour. Pour le moment néanmoins je vous permets de choisir, ou bien d’être avec moi dès à présent, ou de retourner encore sur la terre pour y remplir une mission de charité et de souffrance. Afin de délivrer des flammes du purgatoire ces âmes qui vous ont inspiré tant de compassion, vous souffrirez pour elles sur la terre, vous endurerez de très grands tourments sans portant en mourir. Et non seulement vous soulagerez les défunts, mais l’exemple que vous donnerez aux vivants et votre vie pleine de souffrances portera les pécheurs à se convertir et à expirer leurs crimes. Après avoir achevé cette nouvelle vie, vous retournerez ici comblée de mérites.

« A ces paroles, voyant les grands avantages qui m’étaient offerts pour les âmes, je répondis sans hésiter, que je voulais reprendre la vie, et je suis ressuscitée au même instant. C’est dans le seul but de m’employer au soulagement des trépassés et à la conversion des pécheurs que je suis revenue dans ce monde. C’est pourquoi ne soyez pas étonnés des pénitences que vous me verrez faire ni de la vie que je mènerai désormais: elle sera si extraordinaire que jamais on n’aura rien vu de semblable. »

Tout ce récit est de la Sainte; voici ce que l’historien ajoute dans les divers chapitres de sa vie. Christine commença aussitôt à faire les choses pour lesquelles elle était envoyée de Dieu. Rejetant tous les adoucissements de la vie, se réduisant à un extrême dénuement, elle vivait sans feu ni lieu, plus misérable que les oiseaux du ciel qui ont un nid pour s’abriter. Non contente de ces privations, elle recherchait tout ce qui pouvait la faire souffrir et la tourmenter. Elle se jetait dans des fournaises ardentes, et y souffrait de si terribles douleurs, que, n’en pouvant plus, elle poussait des cris effroyables. Elle se tenait longtemps dans le feu, et quand elle en sortait, il ne paraissait dans son corps nulle marque de brûlure. – En hiver, quand la Meuse était glacée, elle s’y plongeait, et demeurait dans ce bain affreux, non seulement des heures et des jours, mais des semaines entières, priant Dieu tout ce temps et implorant sa miséricorde. – Quelquefois quand elle priait dans les eaux glaciales, elle se laissait emporter par le courant jusqu’à un moulin, dont la roue l’enlevait et la faisait tourner horriblement, sans pourtant briser ni disloquer aucun de ses os. – D’autres fois, poursuivie par des chiens qui la mordaient et la déchiraient, elle courait en les agaçant parmi les halliers et les épines, jusqu’à ce qu’elle fût toute en sang; néanmoins, quand elle était de retour, on ne lui voyait ni blessure ni cicatrice.

Bellarmin et sainte Christine l’admirable

Voilà quelques traits des admirables pénitences, décrites par l’historien de sainte Christine. Cet auteur était évêque, suffragant de l’archevêque de Cambrai; et nous avons, dit Bellarmin, tout sujet d’ajouter foi à son témoignage, tant parce qu’il a pour garant un autre très grave auteur, Jacques de Vitry, évêque et cardinal; que parce qu’il rapporte ce qui était arrivé de son temps et dans la province même qu’il habitait. D’ailleurs ce que souffrait cette admirable vierge n’était point caché: tout le monde a pu la voir au milieu des flammes, sans qu’elle fût consumée, et couverte de plaies volontaires, sans qu’il en parût la moindre marque un moment après. Ce qui plus est, sa merveilleuse vie dura quarante-deux ans, depuis quelle fut ressuscitée, et Dieu montra clairement que tout en elle se faisait par la vertu d’en haut. Les conversions insignes qu’elle opéra pendant sa vie et les miracles évidents qu’elle fit après sa mort firent voir manifestement le doigt de Dieu et la vérité de ce que, après sa résurrection, elle avait révélé de l’autre vie.

Ainsi, conclut Bellarmin, Dieu voulut fermer la bouche à ces libertins qui font profession de ne rien croire, et qui ont la témérité de dire en raillant: Qui est revenu de l’autre monde ? Qui n’a jamais vu les tourments de l’enfer et du purgatoire ? Voilà deux témoins fidèles: ils assurent qu’ils les ont vus et qu’ils sont épouvantables. Que s’ensuit il donc, sinon que les incrédules sont inexcusables ? mais ceux qui croient, et néanmoins de font pas pénitence, sont plus condamnables encore.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 7, 8, 9

Chapitre 7 – Lieu du purgatoire

Sainte Lidvine de Schiedam

Citons une troisième vision concernant l’intérieur du purgatoire, celle de sainte Lidvine de Schiedam (1), qui mourut le 11 avril 1433, et dont l’histoire, écrite par un prêtre son contemporain, est de la plus parfaite authenticité. Cette admirable vierge, vrai prodige de patience chrétienne, fut en proie à toutes les douleurs des plus cruelles maladies durant le long espace de trente-huit ans. Ses douleurs lui rendant le sommeil impossible, elle passait ses longues nuits dans la prière, et alors souvent ravie en esprit, elle était conduite par son ange gardien dans les régions mystérieuses du purgatoire. Elle y voyait des demeures, des prisons, des cachots divers, plus tristes les uns que les autres, elle y rencontrait des âmes qu’elle connaissait, et on lui montrait leurs châtiments divers.

On pourrait demander quelle était la nature de ces voyages extatiques ? et il est difficile de l’expliquer; mais on peut conclure de certaines autres circonstances qu’ils avaient plus de réalité qu’on ne serait porté à le croire. La sainte malade faisait des voyages analogues et des pèlerinages sur la terre, aux saints lieux de Palestine, aux églises de Rome et aux monastères du voisinage. Elle rapportait des endroits ainsi parcourus les connaissances les plus exactes. Un religieux du monastère de sainte Élisabeth, s’entretenant un jour avec elle, et parlant des cellules, du chapitre, du réfectoire de sa communauté, elle lui fit de toute sa maison une description exacte et détaillée, comme si elle y eût passé toute sa vie. Le religieux lui en ayant témoigné sa surprise: « Sachez, mon père, dit-elle, que j’ai parcouru votre monastère, j’ai visité toutes les cellules, j’ai vu les anges gardiens de tous ceux qui les habitent. » – Or voici un des voyages de notre Sainte dans le purgatoire.

Un malheureux pécheur, engagé dans les routes perdues du monde, s’était enfin converti, grâce aux prières de Lidvine et à ses pressantes exhortations, il fit une confession sincère de tous ses désordres, en reçut l’absolution, mais n’eut pas le temps de pratiquer beaucoup de pénitences, parce qu’il mourut de la peste peu après.

La sainte offrit pour son âme beaucoup de prières et de souffrances; et quelque temps après, ayant été conduite par son ange au purgatoire, elle désira savoir s’il y était encore et quelle était sa situation. – « Il y est, dit son guide céleste, et il souffre beaucoup. Seriez-vous disposée à endurer quelque peine pour diminuer les siennes ? – Sans doute, répondit-elle, je suis prête à tout pour l’aider. « – Aussitôt l’ange la conduisit dans un lieu de tortures effroyables: « Est-ce donc ici l’enfer, mon frère, demanda la sainte fille, saisie d’horreur ? – Non, ma sœur, répondit l’ange; mais cette partie du purgatoire est contiguë à l’enfer. »

En regardant de tout côté, elle aperçut comme une immense prison, entourée de murailles d’une hauteur prodigieuse, dont la noirceur et les pierres monstrueuses faisaient horreur. En approchant de cette sinistre enceinte, elle entendit un bruit confus de voix lamentables, de cris de fureur, de chaînes, d’instruments de torture, de coups violents que des bourreaux déchargeaient sur leurs victimes. Ce bruit était tel que tous les fracas du monde dans les tempêtes et les batailles ne sauraient y être comparés. – « Quel est donc cet horrible lieu ? demanda Lidvine à son bon ange. – C’est l’enfer, répondit-il. Voulez-vous que je vous le fasse voir ? – Non, de grâce, dit-elle, glacée d’épouvante: le bruit que j’entends est si affreux que je n’y puis tenir davantage; comment pourrais-je supporter la vue de ces horreurs ? »

(1) En continuant sa route mystérieuse, elle vit un ange tristement assis sur le bord d’un puits. « Quel est cet ange, demanda-t-elle à son guide ? – C’est, répondit-il, l’ange gardien du pécheur dont le sort vous intéresse. Son âme est dans ce puits où elle fait un purgatoire spécial.» – Lidvine à ces mots jeta sur son ange un regard expressif: elle désirait voir cette âme qui lui était chère, et travailler à la retirer de cet affreux cachot. Son ange, qui la comprit, ayant soulevé le couvercle de ce puits par un acte de sa puissance, un tourbillon de flammes s’en échappa ainsi que des cris plaintifs. – « Reconnaissez-vous cette voix, lui dit l’ange. – Hélas ! oui, répondit la servante de Dieu. – Désirez-vous voir cette âme, ajouta-t-il ? » – Sur sa réponse affirmative il l’appela par son nom; et aussitôt notre vierge vit paraître à l’ouverture du puits, un esprit tout en feu, semblable à un métal incandescent, qui lui dit d’une voix mal articulée: « Ô Lidvine, servante de Dieu, qui me donnera de pouvoir contempler la face du Très-Haut ! »

La vue de cette âme en proie au plus terrible tourment du feu produisit en notre sainte un tel saisissement, que sa ceinture, toute neuve et très forte qu’elle portait autour du corps, se rompit en deux; et que ne pouvant plus longtemps soutenir cette vue, elle revint subitement de son extase. Les personnes présentes, s’apercevant de son effroi, lui demandèrent ce qu’elle avait ? – « Hélas ! répondit-elle, qu’elles sont affreuses les prisons du purgatoire ! C’est pour aider les âmes que je consens à y descendre. Sans ce motif, on me donnerait le monde entier que je ne voudrais pas subir les terreurs que me cause un si affreux spectacle. »

Quelques jours après, le même ange qu’elle avait vu si triste, lui apparut avec un visage joyeux: il lui apprit que l’âme de son protégé était sortie du puits et avait passé au purgatoire ordinaire. Ce soulagement partiel ne pouvait suffire à la charité de Lidvine: elle continua à prier pour le pauvre patient et à lui appliquer le mérite de ses souffrances, jusqu’à ce qu’elle vît s’ouvrir devant lui les portes du ciel.

Chapitre 8 – Lieu du purgatoire

Saint Grégoire le Grand. – Le diacre Paschase et le prêtre de Centumcelle

Selon saint Thomas et d’autres docteurs, comme nous avons vu plus haut, dans des cas particuliers la divine justice assigne un lieu spécial sur la terre à la purification de certaines âmes. Ce sentiment se trouve confirmé par plusieurs faits; parmi lesquels nous citerons en premier lieu les deux que rapporte saint Grégoire-le-Grand dans ses Dialogues (Dialogor. IV, 40. p.38 fin p.39). « Lorsque j’étais jeune et encore laïque, écrit le saint Pape, j’ai entendu raconter aux anciens qui étaient bien informés, comment le diacre Paschase apparut à Germain, évêque de Capoue. Paschase, diacre de ce siège apostolique, de qui nous possédons encore les excellents livres sur le Saint-Esprit, était un homme d’éminente sainteté, adonné aux œuvres de charité, zélé pour le soulagement des pauvres, et fort oublieux de lui-même. Une contestation s’étant élevée au sujet d’une élection pontificale, Paschase se sépara des Évêques et embrassa le parti de celui que l’épiscopat n’avait point approuvé. Or, il mourut bientôt, avec une réputation de sainteté que Dieu confirma par un miracle: Une guérison éclatante eut lieu le jour de ses funérailles, au simple attouchement de sa dalmatique.

« Longtemps après, Germain, Évêque de Capoue, fut envoyé par les médecins aux bains de Sant-Angelo, dans les Abruzzes. Quel ne fut pas son étonnement d’y trouver, employé aux derniers offices des bains, le même diacre Paschase ! – J’expie ici, lui dit l’apparition, le tort que j’eus de me ranger au parti mauvais. Je vous en supplie, priez pour moi le Seigneur: vous saurez que vous êtes exaucé dès que vous cesserez de me voir en ces lieux. »

Germain commença de prier pour le défunt, et, au bout de quelques jours, étant revenu, il chercha vainement Paschase, qui avait disparu. – Il n’eut à subir, ajoute saint Grégoire, qu’un châtiment temporaire après cette vie, parce qu’il avait péché par ignorance et non par malice. »

Le même saint Pape parle ensuite d’un prêtre de Centumcellae, aujourd’hui Civitavecchia, qui lui aussi était allé aux eaux thermales. Un homme se présenta pour le servir dans les derniers offices de la domesticité, et durant plusieurs jours lui donna ses soins avec une complaisance et un empressement extrême. Le bon prêtre, pensant qu’il devait récompenser tant d’égards, arriva le lendemain porteur de deux pains bénits, et, après le service ordinaire, les offrit au complaisant serviteur. Celui-ci, d’un air triste, lui répondit: Pourquoi, mon père, me présenter ce pain ? Je ne puis le manger. Moi, que vous voyez, je fus ici le maître autrefois, et, après ma mort, pour l’expiation de mes fautes, j’y ai été renvoyé dans l’état que vous voyez. Si vous me voulez du bien, oh ! je vous en prie, offrez pour moi le Pain Eucharistique.

A ces mots il disparut subitement, et celui qu’on avait cru un homme, montra en s’évanouissant qu’il n’était qu’un esprit. Pendant toute une semaine le prêtre se livra aux exercices de la pénitence, et offrit chaque jour l’Hostie salutaire en faveur du défunt; puis étant retourné aux mêmes bains, il ne l’y trouva plus, et en conclut qu’il était délivré.

Le Bienheureux Étienne, franciscain et le religieux dans sa stalle

Il semble que la divine justice condamne parfois les âmes à subir leur peine au lieu même où elles commirent leurs fautes. On lit dans les chroniques des Frères-Mineurs (Liv. 4, chap. 30. Cf. Rossignoli, Merveilles du purgatoire. Merv. 27.), que le bienheureux Étienne, religieux de cet institut, avait pour le Saint-Sacrement une dévotion singulière, qui lui faisait passer en adoration une partie de ses nuits. Dans une de ces circonstances, étant seul à la chapelle au milieu des ténèbres, que rompait l’unique lueur d’une petite lampe, il aperçoit tout à coup dans une stalle un religieux, profondément recueilli et la tête ensevelie dans son capuchon. Étienne s’approche de lui, et demande s’il a bien la permission de quitter sa cellule à pareille heure ? – Je suis un religieux défunt, répond-il. C’est ici que je dois accomplir mon purgatoire, d’après un arrêt de la justice de Dieu, parce que c’est ici que j’ai péché par tiédeur et négligence dans l’office divin. Le Seigneur me permet de vous faire connaître mon état, afin que vous m’aidiez par vos prières.

Ému de ces paroles, le Bienheureux Étienne se mit à genoux aussitôt pour réciter le De profundis et autres prières; et il remarqua que pendant qu’il priait, le visage du défunt exprimait la joie. – Plusieurs fois encore, les nuits suivantes, l’apparition se montra de la même manière, plus heureuse chaque fois, à mesure qu’elle approchait de sa délivrance. Enfin après une dernière prière du Bienheureux Étienne, elle se leva de sa stalle toute radieuse, témoigna sa reconnaissance à son libérateur, et disparut dans les clartés de la gloire.

Théophile Renaud et la malade de Dôle

Le fait suivant a quelque chose de si merveilleux, que nous hésiterions, dit le chanoine Postel, à le reproduire, s’il n’avait été consigné en maint ouvrage, d’après le Père Théophile Raynaud, théologien et controversiste distingué du XVIIe siècle (Dans son ouvrage intitulé Heteroclita spiritualia, part. 2, sect. 3, punct. 5 (Grenoble, 1646 in-4o), alias punct. 6, quaesit. 9, Cf. Rossignoli, Merv. 99.), qui le rapporte comme un événement arrivé de son temps et presque sous ses yeux. L’abbé Louvet ajoute que le vicaire général de l’archevêque de Besançon, après en avoir examiné tous les détails, en avait reconnu la vérité. – L’an 1629, à Dôle en Franche-Comté, Huguette Roy, femme de médiocre condition, était retenue au lit par une fluxion de poitrine qui faisait craindre pour sa vie. Le médecin ayant cru devoir la saigner, eut la maladresse de lui couper l’artère du bras gauche: ce qui la réduisit promptement à toute extrémité.

Le lendemain, à la pointe du jour, elle voit entrer dans sa chambre une jeune fille, toute vêtue de blanc, d’un maintien fort modeste, qui lui demande si elle consent à accepter ses services et à être soignée par elle. La malade, heureuse de cette offre, répond que rien ne lui sera plus agréable; et aussitôt l’étrangère allume le feu, en approche Huguette, la remet doucement dans son lit; puis continue de la veiller et de la servir comme ferait l’infirmière la plus dévouée. Chose merveilleuse ! Le contact des mains de cette inconnue était si bienfaisant, que la mourante s’en trouva grandement soulagée et se sentit bientôt entièrement guérie. Alors elle voulut absolument savoir quelle était cette aimable inconnue, et l’appela pour l’interroger, mais elle s’éloigna en disant qu’elle reviendrait le soir. – Cependant l’étonnement, la curiosité furent extrêmes, quand on eut connaissance de cette guérison soudaine, et il n’était bruit dans toute la ville de Dôle que de ce mystérieux événement.

Quand l’inconnue revint le soir, elle dit à Huguette Roy, sans plus chercher à se cacher: « Sachez, ma chère nièce, que je suis votre tante, Léonarde Collin, qui mourut il y a dix-sept ans, en vous laissant héritière de son petit bien. Grâce à la bonté divine, je suis sauvée, et c’est la sainte Vierge Marie, pour laquelle j’eus une grande dévotion, qui m’a obtenu ce bonheur. Sans elle j’étais perdue. Quand la mort est venue me frapper subitement, j’étais en péché mortel; mais la miséricordieuse Vierge m’obtint à ce moment un mouvement de contrition parfaite, et me sauva ainsi de la damnation éternelle. Depuis lors je suis au purgatoire, et le Seigneur me permet de venir achever mon expiation en vous servant pendant quarante jours. Au bout de ce temps, je serai délivrée de mes peines, si de votre côté vous avez la charité de faire pour moi trois pèlerinages à trois sanctuaires de la sainte Vierge. »

Huguette étonnée, ne sachant que penser de ce langage, ne pouvant croire à la réalité de cette apparition, et craignant quelque piège de l’esprit malin, consulta son confesseur, le père Antoine Rolland, jésuite, qui l’engagea à menacer l’inconnue des exorcismes de l’Église. Cette menace ne la troubla point; elle dit tranquillement qu’elle ne craignait pas les prières de l’Église: « Elles n’ont de force, ajouta-t-elle, que contre les démons et les damnés, nullement contre des âmes prédestinées, et en grâce avec Dieu, comme je le suis. » – Huguette n’était pas convaincue: « Comment, dit-elle à la jeune fille, pouvez-vous être ma tante Léonarde ? Celle-ci était vieille et cassée, désagréable et quinteuse; tandis que vous êtes jeune, douce et prévenante. – Ah ! ma nièce, répondit l’apparition, mon véritable corps est dans le tombeau, où il restera jusqu’à la résurrection; celui que vous me voyez est un autre corps, formé miraculeusement de l’air, pour me permettre de vous parler, de vous servir et d’obtenir vos suffrages. Quant à mon caractère difficile, colérique, dix-sept ans de terribles souffrances m’ont bien appris la patience et la douceur. Sachez d’ailleurs, qu’en purgatoire on est confirmé en grâce, marqué du sceau des élus, et par là même exempt de tous les vices. »

Après de telles explications, l’incrédulité n’était plus possible. Huguette, à la fois émerveillée et reconnaissante, reçut avec bonheur les services qui lui étaient rendus, pendant les quarante jours marqués. Elle seule pouvait voir et entendre la défunte, qui venait à certaines heures et disparaissait ensuite. Dès que ses forces le lui permirent, elle accomplit pieusement les pèlerinages qu’on lui avait demandés.

Au bout des quarante jours, les apparitions cessèrent. Léonarde se montra une dernière fois pour annoncer sa délivrance: elle était alors dans l’état d’une incomparable gloire, étincelante comme un astre et portant sur son visage l’expression de la plus parfaite béatitude. Elle témoigna à son tour sa reconnaissance à sa nièce, lui promit de prier pour elle et pour toute sa famille, et l’engagea à se souvenir toujours, au milieu des peines de la vie, du but suprême de notre existence, qui est le salut de notre âme.

Chapitre 9

Peines du purgatoire, leur nature, leur rigueur

Il y a dans le purgatoire comme dans l’enfer une double peine, la peine du dam et la peine du sens. La peine du dam (damnum, dommage) consiste à être privé, pour un temps de la vue de Dieu, qui est le bien suprême, l’objet béatifique pour lequel nos âmes sont faites, comme nos yeux pour la lumière. C’est une soif morale dont l’âme est tourmentée.

La peine du sens, ou la douleur sensible, est semblable à celle que nous éprouvons dans notre chair. La nature n’en est pas définie par la foi; mais c’est le sentiment commun des docteurs qu’elle consiste dans le feu et autres genres de souffrances. – Le feu du purgatoire est de la même nature, disent les pères, que celui de l’enfer dont parle le Mauvais Riche: Quia crucior in hac flamma, je souffre, dit-il, cruellement dans cette flamme.

Quant à la rigueur de ces peines, comme elles sont infligées par la plus équitable justice, elles sont proportionnées à la nature, à la gravité et au nombre des fautes. Chacun reçoit selon ses œuvres, chacun doit acquitter les dettes dont il se trouve chargé devant Dieu. Or ces dettes sont très-inégales. Il y en a qui, accumulées durant toute une longue vie, s’élèvent aux dix mille talents de l’Évangile, c’est-à-dire à des millions et des milliards; tandis que d’autres se réduisent à quelques oboles, faible reste de ce qui n’a pas été expié sur la terre. – Il s’ensuit que les âmes subissent des peines très différentes, qu’il y a dans les expiations du purgatoire d’innombrables degrés et que les unes sont incomparablement plus rigoureuses que les autres.

Toutefois, parlant en général, les docteurs s’accordent à dire que ces peines sont très-rigoureuses. C’est le même feu, dit saint Grégoire, qui tourmente les damnés et purifie les élus (In psalm. 37.). Presque tous les théologiens, dit Bellarmin, enseignent que les réprouvés et les âmes du purgatoire souffrent l’action du même feu (De purgat. 1. 2. cap. 6.).

Bellarmin

Il faut tenir pour certain, écrit le même Bellarmin (De gemitu columbœ, lib. 2. cap. 9.), qu’il n’y a point de proportion entre les souffrances de cette vie et celles du purgatoire. Saint Augustin le déclare nettement dans son commentaire sur le psaume 31: Seigneur, dit-il, ne me punissez pas dans votre fureur, et ne me rejetez pas avec ceux à qui vous direz: Allez au feu éternel; mais ne me châtiez pas non plus dans votre colère: purifiez-moi plutôt tellement en cette vie, que je n’aie pas besoin d’être purifié par le feu dans l’autre. Oui, je crains ce feu qui a été allumé pour ceux qui seront sauvés il est vrai, mais qui ne le seront, qu’en passant auparavant par le feu (1 Cor. III, 15.). Ils seront sauvés, sans doute, après l’épreuve du feu; mais cette épreuve sera terrible, ce tourment sera plus insupportable que tout ce qu’on peut souffrir de plus douloureux en ce monde. – Voilà ce que dit saint Augustin, et ce qu’ont dit après lui saint Grégoire, le vénérable Bède, saint Anselme, saint Bernard. – Saint Thomas va même plus loin, il soutient que la moindre peine du purgatoire, surpasse toutes les peines de cette vie, quelles qu’elles puissent être. – La douleur, disait le Bienheureux Pierre Lefèvre, est plus profonde et beaucoup plus intime quand elle saisit directement l’âme et l’esprit, que quand elle n’y atteint que par l’intermédiaire du corps. Le corps mortel et les sens eux-mêmes absorbent et détournent une partie des peines physiques ou même morales (Sentim. du Bienheureux Lefèvre sur le purg. Messager du Sacré C. novembre 1873.).

Doctrine des théologiens

L’auteur du livre de l’Imitation exprime cette doctrine par une sentence pratique et saisissante. En parlant en général des peines de l’autre vie: Là, dit-il, une heure dans le tourment sera plus terrible qu’ici cent années de la plus rigoureuse pénitence (I, chap. 24.). Pour prouver cette doctrine, il est constant, ajoute Bellarmin, que toutes les âmes souffrent au purgatoire la peine du dam. Or cette peine surpasse toute souffrance sensible. Mais pour ne parler que de la seule peine du sens, nous savons combien terrible est le feu, si faible qu’il soit, que nous allumons dans nos maisons, et combien la moindre brûlure cause de douleur: or il est bien autrement terrible ce feu qui ne se nourrit ni de bois ni d’huile, et que rien ne saurait éteindre. Allumé par le souffle de Dieu pour être l’instrument de sa justice, il s’attaque aux âmes et les tourmente avec une activité incomparable.

Saint François de Sales – Crainte et confiance

Ce que nous venons dire et ce que nous avons à dire encore est bien propre à nous inspirer cette crainte salutaire qui nous est recommandée par Jésus-Christ. Mais de peur que certains lecteurs, oubliant la confiance chrétienne qui doit tempérer nos craintes, ne se livrent à une frayeur excessive, rapprochons de la doctrine précédente celle d’un autre docteur de l’Église, saint François de Sales, qui présente les peines du purgatoire tempérées par les consolations qui les accompagnent.

« Nous pouvons, disait ce saint et aimable directeur des âmes, tirer de la pensée du purgatoire plus de consolation que d’appréhension. La plupart de ceux qui craignent tant le purgatoire, songent plutôt à leur propre intérêt qu’aux intérêts de la gloire de Dieu; ce qui provient de ce qu’ils envisagent uniquement les peines de ce lieu, sans considérer en même temps les félicités et la paix que Dieu y fait goûter aux âmes. Il est vrai que les tourments en sont si grands que les plus extrêmes douleurs de cette vie n’y peuvent être comparées; mais aussi les satisfactions intérieures y sont telles, qu’il n’y a point de prospérité ni de contentement sur la terre qui les puisse égaler.» Les âmes y sont dans une continuelle union avec Dieu. Elles y sont parfaitement soumises à sa volonté; ou, pour mieux dire, leur volonté est tellement transformée en celle de Dieu, qu’elles ne peuvent vouloir que ce que Dieu veut: en sorte que, si le paradis leur était ouvert, elles se précipiteraient plutôt en enfer, que de paraître devant Dieu avec les souillures qu’elles voient encore en elles. Elles s’y purifient volontairement et amoureusement, parce que tel est le bon plaisir divin. Elles veulent y être en la façon qu’il plaît à Dieu, et pour autant de temps qu’il lui plaira.»

Elles sont impeccables, et ne peuvent avoir le moindre mouvement d’impatience ni commettre la moindre imperfection. Elles aiment Dieu plus qu’elles ne s’aiment elles-mêmes et plus que toute chose: elles l’aiment d’un amour accompli, pur, désintéressé. – Elles sont consolées par les anges. Elles sont assurées de leur salut et remplies d’une espérance qui ne peut être confondue dans son attente. – Leur amertume très amère est dans une paix très-profonde. Si c’est une espèce d’enfer quant à la souffrance, c’est un paradis quant à la douceur répandue dans leur cœur par la charité: charité plus forte que la mort et plus puissante que l’enfer; charité dont les lampes sont tout de feu et de flammes. (Cantic. VIII.) »

Heureux état, continue le saint Évêque, heureux état, plus désirable que redoutable, puisque ces flammes, sont des flammes d’amour et de charité (Esprit de saint François de Sales, p. 16, chap. 9.). » Voilà les enseignements des docteurs: il en résulte que si les peines du purgatoire sont rigoureuses, elles ne sont pas sans consolations. Le bon Jésus, qui a bu son calice si amer sans aucun adoucissement, a voulu adoucir le nôtre. En nous imposant sa croix dans cette vie, il y répand son onction, et en purifiant les âmes du purgatoire comme l’or dans la fournaise, il tempère leurs ardeurs par des consolations ineffables. Nous ne pouvons perdre de vue cet élément consolateur, ce côté lumineux, dans les tableaux parfois bien sombres que nous aurons à contempler.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 4, 5, 6

Chapitre 4

Lieu du purgatoire

Bien que la foi ne nous dise rien de précis sur le lieu du purgatoire, l’opinion la plus commune, celle qui s’accorde le mieux avec le langage de l’Écriture et qui est plus généralement reçue parmi les théologiens, le place dans les entrailles de la Terre, non loin de l’enfer des réprouvés. Les théologiens sont presque unanimes, dit Bellarmin (Catech. Rom. cap. 6.), à enseigner que le purgatoire, du moins le lieu ordinaire des expiations, est situé dans le sein de la terre, que les âmes du purgatoire et les, réprouvés sont dans les mêmes espaces souterrains, dans ces régions profondes que l’Écriture appelle les enfers.

Doctrine des théologiens – Catéchisme du Concile de Trente.

Quand nous disons dans le Symbole des apôtres, que Jésus-Christ après sa mort est descendu aux enfers, « le nom d’enfers, dit le catéchisme du Concile de Trente, signifie ces lieux cachés, où sont détenues les âmes qui n’ont point encore obtenu la béatitude éternelle. Mais ces lieux sont de plusieurs espèces. L’un est une prison noire et obscure, où les âmes des réprouvés sont continuellement tourmentées, avec les esprits immondes, par un feu qui ne s’éteint jamais. Ce lieu, qui est l’enfer proprement dit, s’appelle encore géhenne et abîme.»

Il y a un autre enfer, où est le feu du purgatoire. C’est là que les âmes des justes souffrent pendant un certain temps, pour être entièrement purifiées, avant que l’entrée leur soit ouverte dans la céleste patrie; car rien de souillé ne saurait y entrer jamais. »

Un troisième enfer, était celui où étaient reçues, avant la venue de Jésus-Christ, les âmes des saints, et dans lequel elles jouissaient d’un repos tranquille, exemptes de douleurs, consolées et soutenues par l’espérance de leur rédemption. Ce sont ces âmes saintes qui attendaient Jésus-Christ dans le sein d’Abraham, et qui furent délivrées lorsqu’il descendit aux enfers. Le Sauveur alors répandit subitement au milieu d’elles une brillante lumière, qui les remplit d’une joie infinie, et les fit jouir de la souveraine béatitude, qui est dans la vision de Dieu. Alors se vérifia cette promesse de Jésus au larron: Aujourd’hui vous serez avec moi dans le paradis. »

Saint Thomas

« Un sentiment très-probable, dit saint Thomas (Supplém. Part. 3. Quest. Ult.), et qui répond d’ailleurs aux paroles des saints et aux révélations particulières, c’est qu’il y aurait pour l’expiation du purgatoire un double lieu. Le premier serait destiné à la généralité des âmes, et il est situé en bas, près de l’enfer; le second serait pour des cas particuliers, et c’est de là que seraient sorties tant d’apparitions. » – Le saint docteur admet donc, comme beaucoup d’autres avec lui, que parfois la justice divine assigne un lieu spécial à la purification de certaines âmes, et permet même qu’elles apparaissent, soit pour instruire les vivants, soit pour procurer aux défunts les suffrages dont ils ont besoin, soit pour d’autres raisons dignes de la sagesse et de la miséricorde de Dieu.

Tel est l’aperçu général de la doctrine sur le lieu du purgatoire. Comme nous ne faisons pas un traité de controverse, nous n’ajoutons ni preuves ni réfutations: on peut les voir dans les auteurs tels que Suarez et Bellarmin. Nous nous contenterons de faire remarquer que l’opinion des enfers souterrains n’a rien à craindre de la science moderne. Une science purement naturelle est incompétente dans les questions, qui appartiennent comme celle-ci à l’ordre surnaturel. Nous savons d’ailleurs que les esprits peuvent se trouver dans un lieu occupé par des corps comme si ces corps n’existaient pas. Quel que soit donc l’intérieur de la terre, qu’il soit tout en feu, comme les géologues le disent communément, ou qu’il soit en tout autre état, rien n’empêche qu’il ne serve de séjour à des esprits, même à des esprits revêtus d’un corps ressuscité. L’apôtre saint Paul nous apprend que l’air est rempli d’une foule d’esprits de ténèbres: Nous avons à combattre, dit-il, contre les puissances des ténèbres, contre les esprits malins répandus dans l’air (Ephes. VI, 12). D’autre part, nous savons que les bons anges qui nous protègent, ne sont pas moins nombreux en ce monde. Or, si les anges et autres esprits peuvent habiter notre atmosphère sans que le monde physique en éprouve la moindre modification, comment les âmes des morts ne pourraient-elles pas demeurer dans le sein de la terre?

Chapitre 5 – Lieu du purgatoire – Révélations des saints

Sainte Thérèse

Sainte Thérèse avait une grande charité pour les âmes du purgatoire et les aidait autant qu’il était en elle par ses prières et ses bonnes œuvres. Pour la récompenser Dieu lui montrait fréquemment les âmes qu’elle avait délivrées; elle les voyait au moment de leur sortie de l’expiation et de leur entrée dans le ciel. Or, elles sortaient généralement du sein de la terre.

« On m’annonça, écrit-elle (Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, chap. 38. Fête, 15 octobre p.26 fin p.27), la mort d’un religieux, qui avait été jadis provincial de cette province, et qui l’était alors d’une autre; j’avais eu des rapports avec lui, et il m’avait rendu de bons offices. Cette nouvelle me causa un grand trouble. Quoique ce fût un homme recommandable par bien des vertus, j’appréhendais pour le salut de son âme, parce qu’il avait été durant vingt ans supérieur, et que je crains toujours beaucoup pour ceux qui ont charge d’âmes. Je m’en allai fort triste à un oratoire; là je conjurai Notre Seigneur d’appliquer à ce religieux le peu de bien que j’eusse fait en ma vie, et de suppléer au reste par ses mérites infinis, afin de tirer son âme du purgatoire. »

Pendant que je demandais cette grâce avec toute la ferveur dont j’étais capable, je vis, à mon côté droit, cette âme sortir du fond de la terre et monter au ciel dans des transports d’allégresse. Bien que ce Père fût fort âgé, il m’apparut sous les traits d’un homme qui n’avait pas encore trente ans, et avec un visage tout resplendissant de lumière. Cette vision fort courte dans sa durée me laissa inondée de joie, et sans ombre de doute sur la vérité de ce que j’avais vu. Comme j’étais séparée par une grande distance de l’endroit où ce serviteur de Dieu avait fini ses jours, je n’appris qu’après un certain temps les particularités de sa mort édifiante: tous ceux qui en furent témoins ne purent voir sans admiration la connaissance qu’il garda jusqu’au dernier moment, les larmes qu’il versait, et les sentiments d’humilité dans lesquels il rendit son âme à Dieu. »

Une religieuse de ma communauté, grande servante de Dieu, était décédée il n’y avait pas encore deux jours. On célébrait l’office des morts pour elle dans le chœur; une sœur disait une leçon, et j’étais debout pour dire le verset: à la moitié de la leçon, je vis l’âme de cette religieuse sortir, comme celle dont je viens de parler, du fond de la terre, et s’en aller au ciel. Cette vision fut purement intellectuelle, tandis que la précédente s’était présentée à moi sous des images. Mais l’une et l’autre laissent à l’âme une égale certitude.»

Dans ce même monastère venait de mourir, à l’âge de dix-huit ou vingt ans, une autre religieuse, vrai modèle de ferveur, de régularité et de vertu. Sa vie n’avait été qu’un tissu de maladies et de souffrances patiemment supportées. Je ne doutais point qu’après avoir ainsi vécu, elle n’eût plus de mérites qu’il ne lui en fallait pour être exempte du purgatoire. Cependant, tandis que j’étais à l’office, avant qu’on la portât en terre, et environ quatre heures après sa mort, je vis son âme sortir également de terre et monter au ciel. » – Voilà ce qu’écrit sainte Thérèse.

Saint Louis Bertrand

Un fait analogue est rapporté dans la vie de saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique. Cette vie écrite par le P. Antist, religieux du même ordre, qui avait vécu avec le saint, est insérée dans les Acta Sanctorum, sous le 10 octobre. – L’an 1557, lorsque saint Louis Bertrand résidait au couvent de Valence, la peste se déclara dans cette ville. Le terrible fléau multipliant ses coups, menaçait tous les habitants et chacun tremblait pour sa vie. Un religieux de la communauté, le P. Clément Benet, voulant se préparer avec ferveur à la mort, fit au saint une confession générale de toute sa vie; et en le quittant, « mon Père, lui dit-il, s’il plaît maintenant à Dieu de m’appeler, je viendrai vous faire connaître mon état dans l’autre vie.»

– Il mourut en effet peu de temps après, et la nuit suivante il apparut au saint. Il lui dit qu’il était retenu au purgatoire pour quelques fautes légères qui lui restaient à expier, et le supplia de le faire recommander à la communauté. Le saint communiqua aussitôt cette demande au père prieur, qui s’empressa de recommander l’âme du défunt aux prières et aux saints sacrifices de tous les Frères réunis au chapitre.

Six jours après, un homme de la ville, qui ne savait rien de ce qui s’était passé au couvent, étant venu se confesser au père Louis, lui dit « que l’âme du P. Clément lui était apparue. Il avait vu, disait-il, la terre s’entrouvrir et l’âme du Père défunt en sortir toute glorieuse: elle ressemblait, ajoutait-il, à un astre resplendissant et s’élevait dans les airs vers le ciel.»

Sainte Madeleine de Pazzi

Nous lisons dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi (25 mai), écrite par son confesseur, le P. Cépari de la Compagnie de Jésus, que cette servante de Dieu fut rendue témoin de la délivrance d’une âme dans les circonstances suivantes. Une de ses sœurs en religion était morte depuis quelque temps, lorsque la sainte, se trouvant en prière devant le très-saint Sacrement, vit sortir de terre l’âme de cette sœur, captive encore dans les prisons du purgatoire. Elle était enveloppée d’un manteau de flammes, au-dessous duquel une robe d’une éblouissante blancheur la protégeait contre les trop vives ardeurs du feu; et elle demeura une heure entière au pied de l’autel, adorant, dans un anéantissement indicible, le Dieu caché sous les espèces eucharistiques. Cette heure d’adoration que Madeleine lui voyait faire, était la dernière de sa pénitence; cette heure expirée, elle se leva et prit son vol vers le ciel.

Chapitre 6 – Lieu du purgatoire

Sainte Françoise de Rome

Il a plu à Dieu de faire voir en esprit les tristes demeures du purgatoire à quelques âmes privilégiées, qui devaient ensuite révéler ces douloureux mystères pour l’édification de tous les fidèles. De ce nombre fut l’illustre sainte Françoise (1), fondatrice des Oblates, qui mourut en 1440 à Rome, où ses vertus et ses miracles jetèrent le plus vif éclat. Dieu la favorisa de grandes lumières sur l’état des âmes dans l’autre vie. Elle vit l’enfer et ses horribles supplices; elle vit aussi l’intérieur du purgatoire, et l’ordre mystérieux, je dirais presque la hiérarchie des expiations, qui règne dans cette partie de l’Église de Jésus-Christ. Pour obéir à ses supérieurs, qui crurent devoir lui imposer cette obligation, elle fit connaître tout ce que Dieu lui avait manifesté; et ses visions, écrites sous sa dictée par le vénérable chanoine Matteotti, directeur de son âme, ont toute l’authenticité qu’on peut demander en ces matières.

Or la servante de Dieu déclara qu’après avoir subi avec un inexprimable effroi la vision de l’enfer, elle sortit de cet abîme et fut conduite par son guide céleste, l’archange Raphaël, dans les régions du purgatoire. Là ne régnait plus ni l’horreur du désordre, ni le désespoir, ni les ténèbres éternelles; la divine espérance y répandait sa lumière, et on lui dit que ce lieu de purification s’appelait aussi séjour de l’espérance. Elle y vit des âmes qui souffraient cruellement, mais des anges les visitaient et les assistaient dans leurs souffrances.

Le purgatoire, dit-elle, est divisé en trois parties distinctes, qui sont comme les trois grandes provinces de ce royaume de la douleur. Elles sont situées l’une au-dessus de l’autre, et occupées par des âmes de diverses catégories. Ces âmes sont ensevelies d’autant plus profondément qu’elles sont plus souillées et plus éloignées de la délivrance.

La région inférieure est remplie d’un feu très ardent, mais qui n’est pas ténébreux comme celui de l’enfer: c’est une vaste mer embrasée, jetant d’immenses flammes. D’innombrables âmes y sont plongées: ce sont celles qui se sont rendues coupables de péchés mortels, qu’elles ont dûment confessés, mais non suffisamment expiés durant la vie. La servante de Dieu appris alors que, pour tout péché mortel pardonné il reste à subir une peine de sept années de purgatoire. – Ce terme ne peut se prendre évidemment comme une mesure fixe, puisque les péchés mortels diffèrent d’énormité; mais comme une taxe moyenne. Quoique les âmes soient enveloppées dans les mêmes flammes, leurs souffrances ne sont pas les mêmes; elles diffèrent selon le nombre et la qualité de leurs anciens péchés.

Dans ce purgatoire inférieur la sainte distingua des laïques et des personnes consacrées à Dieu. Les laïques étaient celles qui, après une vie de péché, avaient eu le bonheur de se convertir sincèrement; les personnes consacrées à Dieu étaient celles qui n’avaient pas vécu selon la sainteté de leur état: elles se trouvaient dans la partie la plus profonde. En ce moment même, elle y vit descendre l’âme d’un prêtre qu’elle connaissait, mais dont elle s’abstient de révéler le nom. Elle remarqua qu’il avait la tête enveloppée d’un voile qui couvrait une souillure, la souillure de la sensualité. Bien qu’il eût mené une vie édifiante, ce prêtre n’avait pas toujours gardé une stricte tempérance et avait trop cherché les satisfactions de la table.

La sainte fut conduite alors dans le purgatoire inter- médiaire, destiné aux âmes qui ont mérité des peines moins rigoureuses. Il y avait là trois espaces distincts: l’un ressemblait à une vaste glacière, où régnait un froid inexprimable; la seconde, au contraire, était comme une chaudière immense remplie d’huile et de poix bouillantes; la troisième, comme un étang de métal liquide, qui ressemblait à de l’or ou de l’argent en fusion. Le purgatoire supérieur, que la sainte ne décrit pas, est le séjour des âmes qui, ayant été purifiées par les peines du sens, ne souffrent plus guère que la peine du dam, et approchent de l’heureux moment de leur délivrance.

Telle est en substance la vision de sainte Françoise relative au purgatoire.

Sainte Madeleine de Pazzi

Voici maintenant celle de sainte Madeleine de Pazzi, carmélite de Florence, telle qu’elle est rapportée dans sa vie par le P. Cépari. C’est un tableau détaillé du purgatoire, tandis que la vision précédente n’en a tracé que les grandes lignes.

Quelque temps avant sa sainte mort, qui arriva en 1607, la servante de Dieu Madeleine de Pazzi, se trouvant sur le soir avec plusieurs religieuses dans le jardin du couvent, fut ravie en extase et vit le purgatoire s’ouvrir devant elle. En même temps, comme elle le fit connaître plus tard, une voix l’invita à visiter toutes les prisons de la divine justice, afin de voir de près combien sont dignes de pitié les pauvres âmes qui les habitent.

En ce moment on l’entendit dire: Oui, j’en ferai le tour. Elle acceptait de faire ce douloureux voyage.

En effet, elle commença à circuler autour du jardin qui est fort grand, pendant deux heures entières, en s’arrêtant de temps en temps. Toutes les fois qu’elle interrompait sa marche, elle considérait attentivement les peines qu’on lui montrait. On la voyait alors se tordre les mains par commisération: son visage devenait pâle, son corps se courbait sous le poids de la douleur en présence du spectacle qu’elle avait sous les yeux.

Elle commença par s’écrier d’une voix lamentable: « Miséricorde, mon Dieu, miséricorde! Descendez, ô Sang précieux, et délivrez ces âmes de leur prison. Pauvres âmes, vous souffrez si cruellement, et cependant vous êtes contentes et joyeuses. Les cachots des martyrs, en comparaison de ceux-ci, étaient des jardins délicieux. Cependant il en est de plus profonds encore. Que je m’estimerais heureuse si l’on ne m’y faisait pas descendre!»

Cependant elle y descendit, car on la vit continuer sa route. Mais quand elle eut fait quelques pas, elle s’arrêta épouvantée, et, poussant un grand soupir, elle s’écria: Eh quoi! des religieux aussi dans ces tristes lieux ! Bon Dieu, comme ils sont tourmentés ! Ah, Seigneur ! Elle n’expliquait pas leurs souffrances; mais l’horreur qu’elle éprouvait en les contemplant, la faisait soupirer presque à chaque pas.

Elle passa de là dans des lieux moins lugubres: c’était les cachots des âmes simples et des enfants, dont l’ignorance et le peu de raison atténuent beaucoup les fautes. Aussi leurs tourments lui parurent beaucoup plus tolérables que ceux des autres. Il n’y avait là que de la glace et du feu. Elle remarqua que ces âmes avaient auprès d’elles leurs anges gardiens, qui les fortifiaient beaucoup par leur présence; mais elle voyait aussi des démons, dont l’aspect horrible aggravait leurs souffrances. Ayant fait quelques pas elle vit des âmes beaucoup plus malheureuses, et on l’entendit s’écrier: « Oh ! que ce lieu est horrible ! il est plein de démons hideux et d’incroyables tourments ! Quels sont donc, mon Dieu, les tristes victimes si cruellement torturées ? Hélas ! on les perce avec des glaives aigus, et on les coupe en pièces. » – Il lui fut répondu que c’étaient les âmes dont la conduite avait été entachée d’hypocrisie. En avançant un peu, elle vit une grande multitude d’âmes qui étaient foulées et comme écrasées sous un pressoir; et elle comprit que c’étaient des âmes qui pendant la vie, avaient été sujettes à l’impatience et à la désobéissance. En les contemplant, son regard, ses soupires, toute en attitude exprimait la compassion et l’effroi.

Un moment après, elle parut plus consternée et poussa un cri d’épouvante: c’était le cachot du mensonge qui venait de s’ouvrir à ses regards. Après l’avoir considéré avec attention, elle dit d’une voix fort haute: « Les menteurs sont placés dans un lieu voisin de l’enfer, et leurs peines sont bien grandes. On leur verse dans la bouche du plomb fondu; je les vois brûler et trembler de froid en même temps. »

Elle arriva ensuite à la prison des âmes qui avaient péché par faiblesse, et on l’entendit s’écrier: « Hélas ! je vous croyais avec celles qui ont péché par ignorance: mais je me trompais, vous brûlez dans un feu plus ardent. »

Plus loin, elle aperçut les âmes qui furent trop attachées aux biens de ce monde et péchèrent par avarice. « Quel aveuglement, dit-elle, de tant chercher une fortune périssable ! Ceux qui autrefois étaient insatiables de richesses, sont rassasiés ici de tourments: ils se liquéfient comme le métal dans la fournaise. »

De là passant au lieu où sont renfermées les âmes qui se souillèrent jadis du vice de l’impureté, elle les vit dans un cachot si sale et si infect qu’il lui faisait soulever le cœur. Elle détourna promptement les yeux de cette vue dégoûtante.

Ayant aperçu les ambitieux et les superbes, elle dit: « Voilà ceux qui voulaient paraître avec éclat parmi les hommes: maintenant ils sont condamnés à vivre dans cette effrayante obscurité. »

On lui fit voir ensuite les âmes ingrates envers Dieu. Elles étaient en proie à des tourments indicibles et comme noyées dans un lac de plomb fondu, pour avoir desséché par leur ingratitude la source de la piété.

Enfin, on lui montra, dans un dernier cachot, les âmes qui n’eurent aucun vice bien saillant, mais qui, ne veillant pas assez sur elles-mêmes, avaient commis toutes sortes de fautes légères; elle remarqua que ces âmes avaient part aux châtiments de tous les vices, dans un degré mitigé, parce que les fautes commises, comme en passant, rendent moins coupables que les habitudes.

Après cette dernière station, la sainte sortit du jardin, en priant Dieu de ne plus la rendre témoin d’un si déchirant spectacle: elle ne sentait plus la force de le supporter. Cependant son extase durait encore, et, conversant avec son Jésus, elle lui dit: « Apprenez-moi, Seigneur, quel a été votre dessein en me découvrant ces prisons terribles que je connaissais si peu et que je comprenais encore moins?

Ah ! je le vois à cette heure: vous avez voulu me faire connaître votre infinie sainteté et me faire haïr davantage les moindres péchés, si abominables à vos yeux. »