Archives de catégorie : Âme

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 12, 13

Chapitre 12 – Moyens de secourir les âmes

La sainte Messe

Non, de tout ce qu’on peut faire en faveur des âmes du purgatoire, il n’est rien d’aussi précieux que l’immolation du divin Sauveur à l’autel. Outre que c’est la doctrine expresse de l’Église, manifestée dans ses conciles, beaucoup de faits miraculeux, authentiques, ne laissent point de doute à cet égard.

Religieux de Cîteaux délivré par l’Hostie salutaire

Nous avons déjà parlé d’un religieux de Clairvaux qui fut délivré du purgatoire par les prières de S. Bernard et de sa communauté. Ce religieux, dont la régularité avait laissé à désirer, était apparu après sa mort pour demander à S. Bernard des secours extraordinaires. Le saint Abbé avec tous ses fervents disciples, s’empressa de faire offrir des prières, des jeûnes et des messes pour le pauvre défunt. Celui-ci fut bientôt délivré, et apparut plein de reconnaissance à un vieillard de la communauté qui s’était intéressé plus particulièrement à lui. Interrogé sur l’œuvre d’expiation qui lui avait profité davantage, au lieu de répondre, il prit le vieillard par la main, le conduisit à l’église où l’on célébrait la messe en ce moment: « Voilà, dit-il en montrant l’autel, la grande force libératrice, qui a rompu mes chaînes, voilà le prix de ma rançon: c’est l’Hostie salutaire qui ôte les péchés du monde ! » (L’abbé Postel, Le purgatoire. Chap. 5. Cf. Rossign. Merv. 47.)

Le Bienheureux Henri Suzo

Voici un autre fait, rapporté par l’historien Ferdinand de Castille et cité par le Père Rossignoli. Il y avait à Cologne, parmi les étudiants des cours supérieurs de l’université, deux religieux dominicains d’un talent distingué, dont l’un était le Bienheureux Henri Suzo (25 janvier). Les mêmes études, le même genre de vie, et par-dessus tout le même goût pour la sainteté, leur avaient fait contracter une amitié intime, et ils se faisaient part mutuellement des faveurs qu’ils recevaient du ciel.

Quand ils eurent terminé leurs études, se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur couvent, ils convinrent et se promirent l’un à l’autre, que le premier des deux qui mourrait, serait secouru par l’autre, une année entière, de deux messes par semaine: le lundi, une messe de Requiem, selon l’usage, et le vendredi, celle de la Passion, autant que le permettraient les rubriques. Ils s’y engagèrent, se donnèrent le baiser-de-paix, et quittèrent Cologne.

Pendant plusieurs années ils continuèrent, chacun de son côté, à servir Dieu avec la plus édifiante ferveur. Le Frère, dont le nom n’est pas exprimé, fut le premier appelé au jugement, et Suzo en reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine volonté. Quant à l’engagement qu’il avait pris, le temps le lui avait fait oublier. Il priait beaucoup pour son ami, s’imposait en sa faveur des pénitences nouvelles et bien des œuvres saintes, mais ne songeait point à dire les messes convenues.

Un matin qu’il méditait à l’écart dans une chapelle, il voit tout d’un coup paraître devant lui son ami défunt, qui, le regardant tendrement, lui reproche d’avoir été infidèle à une parole donnée, acceptée, sur laquelle il avait droit de compter avec confiance. – Le bienheureux, surpris, s’excusa de son oubli en énumérant les oraisons et mortifications qu’il avait faites, et qu’il continuait à faire pour un ami, dont le salut lui était aussi précieux que le sien même. « Est-ce donc, mon frère, ajouta-t-il, que tant de prières et de bonnes œuvres que j’ai offertes à Dieu pour vous, ne vous suffisent pas ? – » Oh ! non, non, mon frère, reprit l’âme souffrante; non, cela ne me suffit pas ! C’est le sang de Jésus-Christ qu’il faut pour éteindre les flammes dont je suis consumé; c’est l’auguste Sacrifice qui me rachètera de ces tourments épouvantables. Je vous en conjure donc, tenez votre parole, et ne me refusez pas ce que vous me devez en justice. »

Le Bienheureux s’empressa de répondre à cet infortuné qu’il s’acquitterait au plus tôt; et que, pour réparer sa faute, il célébrerait et ferait célébrer plus de messes qu’il n’en avait promis.

En effet, dès le lendemain, plusieurs prêtres à la prière de Suzo, s’unissant à lui, montaient à l’autel pour le défunt, et continuèrent les jours suivants cet acte de charité. Au bout de quelque temps, l’ami de Suzo lui apparut de nouveau, mais dans un tout autre état: il avait la joie sur le visage et une lumière très-pure l’environnait: « Oh ! merci, mon fidèle ami, lui dit-il; voici que, grâce au sang du Sauveur. Je suis délivré de l’épreuve. Je monte au ciel pour contempler Celui « que nous avons si souvent adoré ensemble sous les voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna pour remercier le Dieu de toute miséricorde, et il comprit mieux que jamais l’inestimable prix du sacrifice auguste de nos autels (Rossignoli, Merveille 34, d’après Ferdinand de Castille).

Chapitre 13 – Soulagement des âmes

Sainte Elisabeth et la reine Constance

Nous lisons dans la vie de sainte Elisabeth de Portugal (8 juillet), qu’après la mort de sa fille Constance, elle connut le triste état de la défunte au purgatoire et le prix que Dieu exigeait pour sa rançon. La jeune princesse, mariée depuis peu au roi de Castille, fut ravie par une mort inopinée à l’affection de sa famille et de ses sujets. Elisabeth venait d’apprendre cette triste nouvelle, et elle se rendait avec le roi son mari dans la ville de Santarem, lorsqu’un ermite, sorti de sa solitude, se mit à courir derrière le cortège royal, en criant qu’il avait à parler à la reine. Les gardes le repoussaient; mais la Sainte s’étant aperçue de son insistance, donna ordre qu’on lui amenât ce serviteur de Dieu.

La sainte Messe

Dès qu’il fut en sa présence, il lui raconta que plus d’une fois, pendant qu’il priait dans son ermitage, la reine Constance lui était apparue et l’avait instamment conjuré de faire savoir à sa mère qu’elle gémissait au fond du purgatoire, qu’elle était condamnée à des peines longues et rigoureuses, mais qu’elle serait délivrée si pendant l’espace d’un an on célébrait chaque jour la Sainte Messe pour elle. – Les courtisans, qui avaient entendu cette communication, s’en moquaient tout haut, et traitaient l’ermite de visionnaire, d’intrigant ou de fou.

Quant à Elisabeth, elle se tourna vers le roi et lui demanda ce qu’il en pensait ? « Je crois, répondit le prince, qu’il est sage de faire ce qui vous est « marqué par cette voie extraordinaire. Après tout, faire célébrer des messes pour notre chère défunte, est une œuvre qui n’a rien que de très-paternel et de très chrétien. » – On chargea donc de ce soin un saint prêtre, Ferdinand Mendez.

Au bout de l’année, Constance apparut à sainte Elisabeth, vêtue de blanc et rayonnante de gloire. « Aujourd’hui, ma mère, lui dit-elle, je suis délivrée des peines du purgatoire et je monte au ciel. » – La sainte remplie de consolation et de joie se rendit à l’église pour remercier le Seigneur. Elle y trouva le prêtre Mendez qui lui déclara que, la veille, il avait fini de célébrer les trois cent soixante-cinq messes dont on l’avait chargé. La reine comprit alors que Dieu avait tenu la promesse qu’il lui avait faite par le pieux ermite, et elle lui en témoigna sa reconnaissance en versant d’abondantes aumônes dans le sein des pauvres.

S. Nicolas de Tolentino

Vous nous avez délivrés de nos persécuteurs et vous avez confondu ceux qui nous haïssaient (Psaume 43). Telles furent les paroles qu’adressèrent à l’illustre saint Nicolas de Tolentino les âmes qu’il avait délivrées en offrant pour elles le sacrifice de la messe. – une des plus grandes vertus de cet admirable serviteur de Dieu, dit le père Rossignoli (Merv. 21, Vie de S. Nic. de Tolentino, 10 sept.), fut sa charité, son dévouement pour l’Église souffrante. Pour elle il jeûnait souvent au pain et à l’eau, il se donnait des disciplines cruelles, il se mettait autour des reins une chaîne de fer étroitement serrée. Quand le sanctuaire s’ouvrit devant lui, et qu’on voulut lui conférer le sacerdoce, il recula longtemps devant cette sublime dignité; ce qui le décida enfin à se laisser imposer les mains, ce fut la pensée qu’en célébrant chaque jour, il pourrait assister plus efficacement ses chères âmes du purgatoire. De leur côté, les âmes qu’il soulageait par tant de suffrages, lui apparurent plusieurs fois pour le remercier ou pour se recommander à sa charité.

Pellegrino d’Osima

Il demeurait à Vallimanes, près de Pise, tout occupé de ses exercices spirituels, lorsqu’un samedi pendant la nuit, il vit en songe une pauvre âme en peine, qui le suppliait de vouloir bien, le lendemain matin, célébrer la sainte messe pour elle et pour quelques autres âmes, qui souffraient d’une manière affreuse au purgatoire. Nicolas reconnaissait très bien la voix, mais ne pouvait se rappeler distinctement la personne qui parlait ainsi. Il demanda donc qui elle était. – « Je suis, répondit l’apparition, votre défunt ami, Pellegrino d’Osima. Par « la miséricorde divine, j’ai évité les châtiments éternels par une sincère « pénitence, mais non les peines temporelles dues à mes péchés. Je viens au nom « de beaucoup d’âmes aussi malheureuses que moi, vous supplier d’offrir demain « la sainte messe pour nous: nous en espérons notre délivrance, ou du moins un « grand soulagement. » Le saint répondit avec sa bonté accoutumée: « Que le « Seigneur daigne vous secourir par les mérites de son sang précieux ! Mais cette « messe pour les morts, je ne puis la dire demain: c’est moi qui dois chanter au « chœur la messe conventuelle. – Ah ! Venez au moins avec moi, s’écria le « défunt, avec des gémissements et des larmes; je vous en conjure pour l’amour « de Dieu, venez contempler nos souffrances, et vous ne me refuserez plus: vous « êtes trop bon pour nous laisser dans de pareilles angoisses. »

Alors il lui sembla qu’il était transporté dans le purgatoire. Il vit une plaine immense, où une grande multitude d’âmes de tout âge et de toute condition étaient livrées à des tortures diverses et épouvantables: du geste et de la voix elles imploraient tristement son assistance. « Voilà, lui dit « Pellegrino, la situation de ceux qui m’ont envoyé vers vous. Comme vous êtes « agréable à Dieu, nous avons la confiance qu’il ne refuserait rien à l’oblation du « Sacrifice faite par vous, et que sa divine miséricorde nous délivrerait. »

A ce lamentable spectacle, le saint ne put retenir ses larmes. Il se mit aussitôt en prière pour soulager tant d’infortunés, et le lendemain matin il alla trouver son Prieur, lui rendit compte de sa vision et de la demande de Pellegrino concernant sa messe pour ce jour-là même. Le père Prieur, partageant son émotion, le dispensa pour ce jour et pour toute la semaine, de sa fonction d’hebdomadaire, afin qu’il pût offrir le saint sacrifice à l’intention demandée, et se consacrer tout entier au soulagement des pauvres âmes. Heureux de cette permission, Nicolas se rendit à l’église et célébra avec une dévotion extraordinaire la sainte Messe pour les défunts. Pendant toute la semaine, il continua d’offrir le saint sacrifice à la même intention, pratiquant en outre, jour et nuit des oraisons, des macérations et toutes sortes de bonnes œuvres.

A la fin de la semaine, Pellegrino lui apparut de nouveau, mais non plus dans un état de souffrance: il était revêtu d’une robe blanche, et environné d’une splendeur toute céleste, dans laquelle se montraient une foule d’autres âmes bienheureuses. Toutes ensemble lui rendaient grâces et l’appelaient leur libérateur, puis elles s’élevèrent au ciel en chantant le verset du Psalmiste: Salvasti nos de affligentibus nos, et odientes nos confudisti, vous nous avez délivrés de nos persécuteurs et vous avez confondu ceux qui nous haïssaient (Ps. 43). Les ennemis dont il est ici parlé sont les péchés, et les démons qui en sont les instigateurs.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 11,12

Chapitre 11

Secours accordé aux âmes. – La sainte Messe. – Jubilé de Léon XIII, commémoration solennelle des morts le dernier dimanche de septembre.

Nous avons vu, nous voyons encore le saint enthousiasme avec lequel l’Église a voulu célébrer le Jubilé sacerdotal de son Chef vénéré, le Pape Léon XIII. Tous les fidèles du monde sont venus à Rome, soit en personne soit au moins de cœur, déposer aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ leurs hommages et leurs offrandes; l’Église militante tout entière a tressailli de joie au milieu de ses longues épreuves.

L’Église triomphante du ciel a été associée à cette allégresse par la canonisation et la béatification d’un groupe nombreux de ses glorieux membres; ne fallait-il pas que l’Église souffrante vînt aussi y prendre part ?

Nos frères du purgatoire pouvaient-ils être oubliés ? Ces âmes, si chères au cœur de Jésus-Christ, ne devaient-elles pas, elles aussi, ressentir les doux effets de cette admirable fête ? On le sent, il eut manqué quelque chose aux saintes réjouissances de l’Église entière, si l’Église souffrante n’y eût pas participé.

Léon XIII l’a compris. Toujours dirigé par l’Esprit-Saint quand il agit en Pasteur Suprême, le Pape, par une Lettre encyclique, datée du 1er avril 1888, a statué que dans le monde entier, on célèbrerait une solennelle Commémoration des morts, le dernier dimanche du mois de septembre.

Après avoir rappelé avec quel admirable amour l’Église militante a fait éclater sa joie, et comment l’Église triomphante s’est réjouie avec elle: « Pour mettre en quelque sorte, dit le Saint-Père, le comble à cette joie commune, Nous désirons remplir aussi largement que possible le devoir de Notre charité apostolique, en étendant aussi la plénitude des trésors spirituels infinis à ces fils bien-aimés de l’Église qui, ayant fait la mort des justes, ont quitté cette vie de combat avec le signe de la foi et sont devenus les rejetons de la vigne mystique; bien qu’il ne leur soit permis d’entrer dans la paix éternelle, que lorsqu’ils auront payé jusqu’à la dernière obole la dette qu’ils ont contractée envers la justice vengeresse de Dieu. »

« Nous sommes mus en cela et par les pieux désirs des catholiques, auxquels Nous savons que Notre résolution sera particulièrement chère, et par l’atrocité lamentable des peines dont souffrent les âmes des défunts; mais Nous Nous inspirons surtout de l’usage de l’Église, qui, au milieu même des plus joyeuses solennités de l’année, n’oublie pas de faire la sainte et salutaire commémoration des défunts, afin qu’ils soient acquittés de leurs fautes. »

« C’est pourquoi, comme il est certain, de par la doctrine catholique, que les âmes retenues dans le purgatoire sont soulagées par les suffrages des fidèles et surtout par l’auguste Sacrifice de l’autel, Nous pensons ne pouvoir leur donner de gage plus utile et plus désirable de Notre amour, qu’en multipliant partout, pour l’expiation de leurs peines, l’oblation pure du très-saint sacrifice de notre divin Médiateur. »

« Nous établissons donc, avec toutes les dispenses et dérogations nécessaires, le dernier dimanche du mois de septembre prochain, comme un jour de très ample expiation, dans lequel il sera célébré par Nous et pareillement par chacun de Nos Frères les patriarches, les archevêques et évêques et par les autres prélats exerçant leur juridiction dans un diocèse, chacun dans sa propre église patriarcale, métropolitaine ou cathédrale, une messe spéciale pour les défunts, avec la plus grande solennité possible et d’après le rite indiqué par le missel pour la Commémoration de tous les fidèles défunts. Nous approuvons que cela se fasse de même dans les églises paroissiales et collégiales, aussi bien du clergé séculier que régulier, et par tous les prêtres en général, pourvu que l’on n’omette pas l’office propre de la messe du jour partout où il y en a l’obligation. »

« Quant aux fidèles, Nous les exhortons vivement, après avoir fait la confession sacramentelle, à se nourrir dévotement du pain des anges, en suffrage des âmes du purgatoire. »

« Nous accordons par Notre autorité apostolique à ces fidèles de gagner l’indulgence plénière pour les défunts; et la faveur de l’autel privilégié à tous ceux qui, comme il a été dit plus haut, célèbreront la messe. »

« Ainsi, les pieuses âmes qui expient par de si grandes peines les restes de leurs fautes, recevront un soulagement spécial et très-opportun, grâce à l’Hostie salutaire que l’Église universelle, unie à son Chef visible et animée d’un même esprit de charité, offrira à Dieu pour qu’il les admette au séjour de la consolation, de la lumière et de la paix éternelle. »

« En attendant, Vénérables Frères, Nous vous accordons affectueusement dans le Seigneur, comme gage des dons célestes, la bénédiction apostolique à vous, à tout le clergé et au peuple confié à vos soins. »

« Donné à Rome, près Saint-Pierre, en la solennité de Pâques de l’année 1888, la onzième de Notre pontificat. »

LÉON XIII, PAPE.

Chapitre 12 – Moyens de secourir les âmes

La sainte Messe

Non, de tout ce qu’on peut faire en faveur des âmes du purgatoire, il n’est rien d’aussi précieux que l’immolation du divin Sauveur à l’autel. Outre que c’est la doctrine expresse de l’Église, manifestée dans ses conciles, beaucoup de faits miraculeux, authentiques, ne laissent point de doute à cet égard.

Religieux de Cîteaux délivré par l’Hostie salutaire

Nous avons déjà parlé d’un religieux de Clairvaux qui fut délivré du purgatoire par les prières de S. Bernard et de sa communauté. Ce religieux, dont la régularité avait laissé à désirer, était apparu après sa mort pour demander à S. Bernard des secours extraordinaires. Le saint Abbé avec tous ses fervents disciples, s’empressa de faire offrir des prières, des jeûnes et des messes pour le pauvre défunt. Celui-ci fut bientôt délivré, et apparut plein de reconnaissance à un vieillard de la communauté qui s’était intéressé plus particulièrement à lui. Interrogé sur l’œuvre d’expiation qui lui avait profité davantage, au lieu de répondre, il prit le vieillard par la main, le conduisit à l’église où l’on célébrait la messe en ce moment: « Voilà, dit-il en montrant l’autel, la grande force libératrice, qui a rompu mes chaînes, voilà le prix de ma rançon: c’est l’Hostie salutaire qui ôte les péchés du monde ! » (L’abbé Postel, Le purgatoire. Chap. 5. Cf. Rossign. Merv. 47.)

Le Bienheureux Henri Suzo

Voici un autre fait, rapporté par l’historien Ferdinand de Castille et cité par le Père Rossignoli. Il y avait à Cologne, parmi les étudiants des cours supérieurs de l’université, deux religieux dominicains d’un talent distingué, dont l’un était le Bienheureux Henri Suzo (25 janvier). Les mêmes études, le même genre de vie, et par-dessus tout le même goût pour la sainteté, leur avaient fait contracter une amitié intime, et ils se faisaient part mutuellement des faveurs qu’ils recevaient du ciel.

Quand ils eurent terminé leurs études, se voyant à la veille de se séparer pour retourner chacun dans leur couvent, ils convinrent et se promirent l’un à l’autre, que le premier des deux qui mourrait, serait secouru par l’autre, une année entière, de deux messes par semaine: le lundi, une messe de Requiem, selon l’usage, et le vendredi, celle de la Passion, autant que le permettraient les rubriques. Ils s’y engagèrent, se donnèrent le baiser-de-paix, et quittèrent Cologne.

Pendant plusieurs années ils continuèrent, chacun de son côté, à servir Dieu avec la plus édifiante ferveur. Le Frère, dont le nom n’est pas exprimé, fut le premier appelé au jugement, et Suzo en reçut la nouvelle avec de grands sentiments de soumission à la divine volonté. Quant à l’engagement qu’il avait pris, le temps le lui avait fait oublier. Il priait beaucoup pour son ami, s’imposait en sa faveur des pénitences nouvelles et bien des œuvres saintes, mais ne songeait point à dire les messes convenues.

Un matin qu’il méditait à l’écart dans une chapelle, il voit tout d’un coup paraître devant lui son ami défunt, qui, le regardant tendrement, lui reproche d’avoir été infidèle à une parole donnée, acceptée, sur laquelle il avait droit de compter avec confiance. – Le bienheureux, surpris, s’excusa de son oubli en énumérant les oraisons et mortifications qu’il avait faites, et qu’il continuait à faire pour un ami, dont le salut lui était aussi précieux que le sien même. « Est-ce donc, mon frère, ajouta-t-il, que tant de prières et de bonnes œuvres que j’ai offertes à Dieu pour vous, ne vous suffisent pas ? – » Oh ! non, non, mon frère, reprit l’âme souffrante; non, cela ne me suffit pas ! C’est le sang de Jésus-Christ qu’il faut pour éteindre les flammes dont je suis consumé; c’est l’auguste Sacrifice qui me rachètera de ces tourments épouvantables. Je vous en conjure donc, tenez votre parole, et ne me refusez pas ce que vous me devez en justice. »

Le Bienheureux s’empressa de répondre à cet infortuné qu’il s’acquitterait au plus tôt; et que, pour réparer sa faute, il célébrerait et ferait célébrer plus de messes qu’il n’en avait promis.

En effet, dès le lendemain, plusieurs prêtres à la prière de Suzo, s’unissant à lui, montaient à l’autel pour le défunt, et continuèrent les jours suivants cet acte de charité. Au bout de quelque temps, l’ami de Suzo lui apparut de nouveau, mais dans un tout autre état: il avait la joie sur le visage et une lumière très-pure l’environnait: « Oh ! merci, mon fidèle ami, lui dit-il; voici que, grâce au sang du Sauveur. Je suis délivré de l’épreuve. Je monte au ciel pour contempler Celui « que nous avons si souvent adoré ensemble sous les voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna pour remercier le Dieu de toute miséricorde, et il comprit mieux que jamais l’inestimable prix du sacrifice auguste de nos autels (Rossignoli, Merveille 34, d’après Ferdinand de Castille).

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 9, 10

Chapitre 9 – Secours accordés aux âmes

Les suffrages – Œuvres méritoires, impétratoires, satisfactoires. – Miséricorde de Dieu

Si le Seigneur console les âmes avec tant de bonté, sa miséricorde se révèle avec bien plus d’éclat dans le pouvoir qu’il accorde à son Église d’abréger leurs peines. Voulant exécuter avec clémence les arrêts sévères de sa justice, il accorde des réductions et des mitigations de peine; mais il le fait d’une manière indirecte et par l’intervention des vivants. C’est à nous qu’il accorde tout pouvoir de secourir nos frères affligés par voie de suffrage, c’est-à-dire, par voie d’impétration et de satisfaction.

Le mot suffrage dans la langue ecclésiastique est synonyme de prière; cependant quand le Concile de Trente définit que les âmes du purgatoire sont aidées par les suffrages des fidèles, le sens du mot suffrage est plus étendu: il comprend en général tout ce que nous pouvons offrir à Dieu en faveur des trépassés. Or nous pouvons offrir ainsi, non seulement des prières, mais toutes nos bonnes œuvres, en tant qu’elles sont impétratoires et satisfactoires.

Pour comprendre ces termes, rappelons-nous que chacune de nos bonnes œuvres, accomplie en état de grâce, possède d’ordinaire une triple valeur aux yeux de Dieu.

1° Cette œuvre est méritoire, c’est-à-dire qu’elle ajoute à nos mérites, qu’elle nous donne droit à un nouveau degré de gloire dans ciel.

2° Elle est impétratoire (impétrer, obtenir), c’est-à-dire qu’à la manière d’une prière, elle a la vertu d’obtenir de Dieu quelque grâce.

3° Elle est satisfactoire, c’est-à-dire qu’à la manière d’une valeur pécuniaire, elle est propre à satisfaire la justice divine, à payer nos dettes de peines temporelles devant Dieu.

Le mérite est inaliénable, et demeure le bien propre de la personne qui fait l’action. – Au contraire, la valeur impétratoire et satisfactoire peut profiter à d’autres, en vertu de la communion des saints.

Ces notions supposées, posons cette question pratique: Quels sont les suffrages, par lesquels selon la doctrine de l’Église, nous pouvons aider les âmes du purgatoire ?

A cette question on répond: ce sont les prières, les aumônes, les jeûnes et pénitences quelconques, les indulgences et surtout le saint Sacrifice de la messe.

Toutes ces œuvres, accomplies en état de grâce, Jésus-Christ nous permet de les offrir à la divine Majesté pour le soulagement de nos frères du purgatoire; et Dieu les applique à ces âmes selon les règles de sa justice et de sa miséricorde.

Par cette admirable disposition, tout en sauvegardant les droits de sa justice, notre Père céleste multiplie les effets de sa miséricorde, qui s’exerce ainsi tout à la fois envers l’Église souffrante et envers l’Église militante. Le secours miséricordieux qu’il nous permet de porter à nos frères souffrants nous profite excellemment à nous-mêmes: c’est une œuvre, non seulement avantageuse pour les défunts, mais encore sainte et salutaire pour les vivants: Sancta et salubris est cogitatio pro de functis exorare.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les Révélations de sainte Gertrude (Legatus div. pietatis, 1. 5. c. 5), qu’une humble religieuse de sa communauté, ayant couronné une vie exemplaire par une mort très-pieuse, Dieu daigna montrer à la Sainte l’état de cette défunte. Gertrude vit son âme, ornée d’une beauté ineffable, et chère à Jésus qui la regardait avec amour. Néanmoins, à cause de quelques légères négligences non expiées, elle ne pouvait encore entrer dans la gloire, et était obligée de descendre dans le sombre séjour des souffrances. A peine avait-elle disparu dans ces profondeurs, que la Sainte la vit reparaître et s’élever vers le ciel, portée par les suffrages de l’Église: Ecclesiœ precibus sursum Ferri.

Judas Machabée

Déjà dans l’ancienne Loi, on faisait des prières et on offrait des sacrifices pour les morts. L’Écriture rapporte en le louant l’acte pieux de Judas Machabée, après la victoire qu’il remporta sur Gorgias, général du roi Antiochus. Cette victoire coûta la vie à un certain nombre de soldats israélites. Ces soldats avaient commis une faute, en prenant parmi les dépouilles de l’ennemi des objets consacrés aux idoles, ce qui était défendu par la loi. C’est alors que Judas, chef de l’armée d’Israël, ordonna des prières et des sacrifices pour la rémission de leur péché et le soulagement de leurs âmes. Voici le passage où l’Écriture rapporte ces faits, II Machab. XIII, 39.

Après le sabbat, Judas vint avec les siens enlever les corps de ceux qui avaient été tués, pour les ensevelir, à l’aide de leurs parents, dans le tombeau de leurs pères.

Or ils trouvèrent sous les tuniques de ceux qui étaient morts au combat des objets consacrés aux idoles, pris à Jammia, et que la loi interdit aux Juifs. Tout le monde reconnut clairement que c’était la cause de leur mort.

C’est pourquoi tous bénirent le juste jugement du Seigneur, qui avait découvert ce qu’on avait voulu cacher.

Et, se mettant en prière, ils conjurèrent le Seigneur d’oublier le péché qui avait été commis. Mais le vaillant Judas exhortait le peuple à se conserver sans péché, à la vue de ce qui était arrivé à cause des péchés de ceux qui avaient été tués.

Et, après avoir fait une collecte, il envoya douze mille drachmes d’argent à Jérusalem, afin qu’on offrît un sacrifice pour les péchés de ceux qui étaient morts. Il avait de bons et religieux sentiments touchant la résurrection. (Car s’il n’eût pas espéré que ceux qui avaient été tués ressusciteraient un jour, il eût regardé comme une chose vaine et superflue de prier pour les morts);

Car il croyait qu’une grande miséricorde est réservée à ceux qui meurent dans la piété.

C’est donc une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés.

Chapitre 10 Secours accordés aux âmes

La sainte Messe

Dans la nouvelle Loi nous avons le divin sacrifice de la Messe, dont les divers sacrifices de la Loi Mosaïque n’étaient que de faibles figures. Le Fils de Dieu l’institua, non seulement comme un digne hommage rendu par la créature à la divine Majesté; mais encore comme une propitiation pour les vivants et les morts: c’est-à-dire, comme un moyen efficace d’apaiser la justice de Dieu irritée par nos péchés.

La sainte Messe fut célébrée pour les défunts dès l’origine de l’Église. « Nous célébrons l’anniversaire du triomphe des Martyrs, écrivait Tertullien au IIIe siècle (De corona, c. 5.), et suivant la tradition de nos Pères, nous offrons le Sacrifice pour les défunts au jour anniversaire de leur mort.

Saint Augustin

« Il n’y a pas à en douter, écrit S. Augustin (Serm. 34, de verbis apost.), les prières de l’Église, le Sacrifice salutaire, les aumônes distribuées pour les défunts, soulagent les âmes, et font que Dieu en use envers elles avec plus de clémence que ne méritent leurs péchés. C’est la pratique universelle de l’Église, pratique qu’elle observe comme l’ayant reçue de ses Pères, c’est-à-dire des saints Apôtres. »

Sainte Monique.

Sainte Monique, la digne mère de S. Augustin, ne demandait en mourant qu’une chose à son fils, c’est qu’il se souvint d’elle à l’autel du Seigneur; et le saint Docteur en rapportant cette touchante circonstance au livre de ses Confessions (Liv. 9. c. 12.), conjure tous ses lecteurs de se joindre à lui pour la recommander à Dieu au saint Sacrifice.

Voulant retourner en Afrique, sainte Monique vint avec Augustin à Ostie pour s’y embarquer; mais elle tomba malade et sentit bientôt que sa mort était proche. « C’est ici, dit-elle à son fils, que vous donnerez la sépulture à votre mère. La seule chose que je vous demande, c’est que vous vous souveniez de moi à l’autel du Seigneur, ut ad altare Domini memineritis mei. »

Que l’on me pardonne, ajoute S. Augustin, les larmes que j’ai alors versées: car il ne fallait pas pleurer cette mort qui n’était que l’entrée dans la véritable vie. Toutefois, considérant des yeux de la foi la misère de notre nature déchue, je pouvais répandre devant vous, Seigneur, des larmes autres que celles de la chair, les larmes qui coulent à la pensée du péril où se trouve toute âme qui a péché en Adam.

« Certes ma mère a vécu de manière à glorifier votre nom par la vivacité de sa foi et la pureté de ses mœurs; cependant, oserais-je affirmer qu’aucune parole contraire à la sainteté de votre loi n’est sortie de ses lèvres ? Hélas ! que devient la vie la plus sainte, si vous l’examinez dans la rigueur de votre justice ? »

C’est pourquoi, ô le Dieu de mon cœur, ma gloire et ma vie ! je laisse de côté les bonnes œuvres que ma mère a faites, pour vous demander seulement le pardon de ses péchés. Exaucez-moi par les blessures sanglantes de Celui qui mourut pour nous sur la croix, et qui maintenant, assis à votre droite, est notre intercesseur.

« Je sais que ma mère a toujours fait miséricorde, qu’elle a pardonné de bon cœur les offenses, remis les dettes qu’on avait contractées envers elle; remettez-lui donc ses dettes à elle-même, si durant les longues années de sa vie elle en a contracté envers vous. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui, et n’entrez pas en jugement avec elle, car vos paroles sont véritables: vous avez promis miséricorde aux miséricordieux. »

Cette miséricorde, je crois que vous la lui avez déjà faite, ô mon Dieu; mais acceptez l’hommage de ma prière. Souvenez-vous qu’au moment de son passage à l’autre vie, votre servante ne songea pour son corps ni à de pompeuses funérailles, ni à des parfums précieux; elle ne demanda pas un sépulcre magnifique, ni qu’on la transportât dans celui qu’elle avait fait construire à Tagaste, sa patrie; mais seulement que nous fissions mémoire d’elle à votre autel, dont elle appréciait les mystères. Vous le savez, Seigneur, tous les jours de sa vie elle avait participé à ces divins mystères, qui renferment la Victime sainte dont le sang a effacé la cédule de notre condamnation.

« Qu’elle repose donc en paix avec mon père son mari, avec l’époux auquel elle fut fidèle dans les jours de son union, et dans les tristesses de son veuvage; avec celui dont elle s’était faite l’humble servante pour le gagner à vous, Seigneur, par sa douceur et sa patience. Et vous, ô mon Dieu, inspirez à vos serviteurs qui sont mes frères, inspirez à tous ceux qui liront ces lignes, de se souvenir à votre autel de Monique, votre servante, et de Patrice, qui fut son époux. Que tous ceux qui vivent encore dans la lumière trompeuse de ce monde, se souviennent donc pieusement de mes parents, afin que la dernière prière de ma mère mourante soit exaucée, au-delà même de ses vœux. »

Ce beau passage de S. Augustin nous montre le sentiment de ce grand Docteur au sujet des suffrages pour les défunts; et il fait voir clairement que le premier et le plus puissant de tous les suffrages est le saint Sacrifice de la messe.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 7, 8

Chapitre 7 – Consolations du purgatoire

Les anges

Outre les consolations que les âmes reçoivent de la Sainte Vierge Marie, elles sont encore aidées et consolées par les saints anges, surtout par leurs anges gardiens. Les Docteurs enseignent que la mission tutélaire de l’ange gardien ne se termine qu’à l’entrée de son client dans le paradis. Si, au moment de la mort, une âme en état de grâce n’est pas digne encore de voir la face du Très-Haut, l’ange gardien la conduit au lieu des expiations et y demeure avec elle pour lui procurer tous les secours et toutes les consolations en son pouvoir.

Sainte Brigitte

C’est, dit le Père Rossignoli, une opinion assez commune parmi les saints Docteurs, que le Seigneur, qui enverra un jour ses anges pour rassembler tous ses élus, les envoie de temps en temps au purgatoire, visiter les âmes souffrantes et les consoler. Aucun adoucissement, sans doute, ne leur saurait être plus précieux que la vue des habitants de la Jérusalem céleste, dont ils partageront un jour l’admirable et éternelle félicité. Les révélations de sainte Brigitte sont remplies de traits de ce genre, et les vies de plusieurs autres saints en offrent un grand nombre.

La vénérable Paule de Sainte-Thérèse

La vénérable sœur Paule de Sainte-Thérèse, dont nous avons parlé plus haut, était d’une merveilleuse dévotion envers l’Église souffrante, et elle en fut récompensée dès ici-bas par des visions miraculeuses. Un jour, pendant qu’elle faisait dans cette intention une prière fervente, elle fut transportée en esprit au purgatoire, et elle y vit une foule d’âmes plongées dans les flammes. Tout auprès se tenait le Sauveur, escorté de ses anges, qui en désignait l’une après l’autre quelques-unes pour le ciel, où elles montaient aussitôt avec une joie inexprimable. A cette vue, la servante de Dieu, s’adressant à son divin Époux, lui dit: « O Jésus, pourquoi ce choix dans une si grande multitude ? – J’ai délivré, daigna-t-il répondre, celles qui pendant leur vie ont produit de grands actes de charité et de miséricorde, et qui ont mérité que j’en use de même à leur égard, selon ma parole: Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » (Merv. 50.)

Le Frère Pierre de Basto

Nous trouvons dans la vie du serviteur de Dieu Pierre de Basto un trait qui montre comment les saints anges, même tandis qu’ils veillent à notre garde sur la terre, s’intéressent au soulagement des âmes du purgatoire. – Et puisque nous avons prononcé le nom du Frère de Basto, nous ne pouvons résister au désir de faire connaître à nos lecteurs cet admirable religieux: son histoire est aussi intéressante que propre à nous édifier.

Pierre de Basto, Frère Coadjuteur de la Compagnie de Jésus, que son biographe appelle l’Alphonse Rodriguez du Malabar, mourut en odeur de sainteté à Cochin, le 1er mars 1645. Il était né en Portugal de l’illustre famille de Machado, unie par le sang à tout ce que la province d’Entre-Douro-et-Minho comptait alors de plus nobles races. Les ducs de Pastrano et de Hixar étaient au nombre de ses alliés; et le monde offrait à son cœur une carrière toute semée des plus séduisantes espérances. Mais Dieu se l’était réservé et l’avait prévenu de ses dons les plus merveilleux. Tout petit enfant, quand Pierre Machado, conduit à l’église, priait avec la ferveur d’un ange devant le Saint-Sacrement, il croyait que le peuple entier voyait comme lui, des yeux du corps, des légions d’esprits célestes en adoration près de l’autel et du tabernacle; et dès lors aussi le Sauveur, caché sous les voiles eucharistiques, devint par excellence le centre de toutes ses affections et des innombrables merveilles qui remplirent sa longue et sainte vie.

Ce fut là que plus tard, comme dans un divin soleil, il découvrit sans voiles l’avenir et ses détails les plus imprévus. Ce fut là encore que Dieu lui montrât les mystérieux symboles d’une échelle d’or qui unissait le ciel à la terre, s’appuyant au saint tabernacle; et du lis de la pureté, plongeant ses racines et puisant sa vie dans la fleur du divin froment des élus, et dans le vin qui seul fait germer les vierges.

Vers dix-sept ans, grâce à cette pureté de cœur et à cette force, dont le sacrement de l’Eucharistie était pour lui la source inépuisable, Pierre fit, à Lisbonne, le vœu de chasteté perpétuelle, aux pieds de Notre-Dame-de-la–Victoire. Il ne songeait pas encore cependant à quitter le monde, et s’embarqua, peu de jours après, pour les Indes, où il porta les armes pendant deux ans. Mais au bout de ce temps, près de périr dans un naufrage, où il fut cinq jours entiers le jouet des flots, soutenu et sauvé par la Reine du ciel et par son divin Fils, qui lui apparurent, il leur promit de consacrer uniquement à leur service, dans l’état religieux, tout ce qui lui resterait de vie; et dès qu’il fut de retour à Goa, n’ayant encore que dix-neuf ans, il alla s’offrir en qualité de Coadjuteur temporel aux supérieurs de la Compagnie de Jésus. Dans la crainte que son nom ne lui attirât quelque honneur ou quelque louange des hommes, il emprunta dès lors celui de l’humble village où il avait reçu le baptême, et ne fut plus appelé que Pierre de Basto.

C’est à lui qu’arriva peu de temps après, durant une des épreuves du noviciat, ce trait célèbre dans les annales de la Compagnie et bien consolant pour tous les enfants de saint Ignace. Le maître des novices du F. Pierre l’avait envoyé en pèlerinage, avec deux jeunes compagnons, dans l’île de Salsette, en leur ordonnant de n’accepter nulle part l’hospitalité chez les missionnaires, mais de mendier dans les villages leur pain de chaque jour et leur asile de chaque nuit. Or un jour, fatigué d’une longue course, ils rencontrèrent une humble famille, composée d’un vieillard, d’une femme et d’un petit enfant, qui les accueillirent avec une charité incomparable, et s’empressèrent de leur servir un modeste repas. Mais au moment de les quitter, après leur avoir rendu mille actions de grâces, comme Pierre de Basto priait ses hôtes de lui dire leurs noms, voulant sans doute les recommander à Dieu: « Nous sommes, » lui répondit la mère, « les trois fondateurs de la Compagnie de Jésus »; et tous trois disparurent au même instant.

Toute la vie religieuse de ce saint homme, jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pendant près de cinquante-six ans, ne fut qu’un tissu de merveilles et de grâces extraordinaires; mais il faut ajouter qu’il les méritait et les achetait en quelque sorte au prix des vertus, des travaux, des sacrifices les plus héroïques. Chargé tour à tour de la lingerie, de la cuisine ou de la porte, dans les collèges de Goa, de Tutucurin, de Coulao et de Cochin, jamais Pierre de Basto ne chercha ni à se soustraire aux plus durs travaux, ni à se réserver un peu de loisir aux dépens de ses différents offices, pour goûter les délices de l’oraison. De graves infirmités, dont la seule cause avait été l’excès du travail, étaient, disait-il en riant, ses plus joyeuses distractions. En outre, abandonné pour ainsi dire à toute la rage des démons, le serviteur de Dieu ne jouissait presque d’aucun repos. Ces esprits de ténèbres lui apparaissaient sous les formes les plus hideuses, et le flagellaient bien souvent, surtout à l’heure où chaque nuit il avait coutume d’interrompre son sommeil et d’aller prier devant le Saint-Sacrement.

Un jour qu’il était en voyage, ses compagnons s’enfuirent au bruit d’une troupe formidable d’hommes, de chevaux et d’éléphants, qui semblait s’approcher avec furie; lui seul demeura calme; et quand ses compagnons parurent s’étonner qu’il n’eût pas même manifesté le plus léger signe de trouble: « Si Dieu, répondit-il, ne permet pas aux démons d’exercer sur nous leur fureur, que pourrions-nous craindre ? et s’il leur en donne la permission, pourquoi donc tenterais-je de me dérober à leurs coups ? » Il n’avait du reste qu’à invoquer la Reine du ciel, pour qu’elle se montrât soudain près de lui, et mit en fuite l’enfer saisi d’effroi.

Souvent il se sentait bouleversé jusqu’au fond de l’âme, et ne retrouvait le calme avec la victoire qu’auprès de son refuge ordinaire, Jésus présent dans la sainte Eucharistie. Abreuvé une fois d’indignes outrages, qui l’avaient ému plus qu’à l’ordinaire, il était allé se prosterner au pied de l’autel et demandait instamment au Sauveur le don de la patience. Alors Notre-Seigneur lui apparut tout couvert de plaies, un lambeau de pourpre sur les épaules, une corde au cou, un roseau à la main, une couronne d’épines sur la tête, et s’adressant à Pierre de Basto: « Pierre, lui dit-il, contemple donc ce qu’a souffert le vrai Fils de Dieu, pour apprendre aux hommes à souffrir. »

Mais nous n’avons point touché encore le point que nous voulions signaler dans cette sainte vie: je veux dire la dévotion de Pierre de Basto pour les âmes du purgatoire, dévotion admirablement encouragée et secondée par son ange gardien. Malgré ses travaux multipliés, il récitait chaque jour le saint Rosaire pour les trépassés. Un jour, par oubli, il s’était mis au lit sans l’avoir récité; mais à peine endormi il fut réveillé par son ange gardien: « Mon fils, lui dit cet esprit céleste, les âmes du purgatoire attendent l’effet ordinaire de votre charité. » Pierre se leva aussitôt pour remplir ce pieux devoir (Ménol. de la Comp. de Jésus).

Chapitre 8 – Consolations du purgatoire

Les anges – La Bienheureuse Émilie de Verceil

Si les saints anges s’intéressent ainsi aux âmes du purgatoire en général, on comprend aisément qu’ils auront un zèle tout particulier pour celles de leurs clients. Dans le couvent dont la Bienheureuse Émilie (17 août), religieuse Dominicaine, était prieure, à Verceil, c’était un point de la règle de ne jamais boire hors des repas, à moins d’une autorisation expresse de la supérieure. Cette autorisation, la Bienheureuse avait pour pratique ordinaire de ne point l’accorder; elle engageait ses sœurs à faire de bonne grâce ce petit sacrifice, en souvenir de la soif ardente que le Sauveur avait éprouvée pour leur salut sur la croix. Et pour les encourager encore mieux, elle leur conseillait de confier ces quelques gouttes d’eau à leur ange gardien, afin qu’il les leur réservât dans l’autre vie, pour apaiser les ardeurs du purgatoire. L’événement suivant montra combien cette pieuse pratique était agréable à Dieu.

Une sœur, nommée Cécile Avoyadra, vint un jour lui demander la permission de se rafraîchir, car elle était pressée de soif. – « Ma fille, dit la prieure, faites ce léger sacrifice par amour pour Dieu et en vue du purgatoire. – Ma mère, ce sacrifice n’est pas si léger: je meurs de soif, » répondit la bonne sœur; néanmoins, quoiqu’un peu contristée, elle obéit au conseil de sa supérieure. Cet acte tout à la fois d’obéissance et de mortification fut précieux aux yeux de Dieu, et la sœur Cécile en fut bien récompensée. – Quelques semaines après, elle mourait, et au bout de trois jours elle apparut rayonnante de gloire à la Mère Émilie. « O ma Mère, lui dit-elle, combien je vous suis reconnaissante ! J’étais condamnée à un long purgatoire pour avoir trop aimé ma famille; et voilà qu’au bout de trois jours, j’ai vu venir dans ma prison mon ange gardien tenant à la main ce verre d’eau dont vous m’avez fait faire le sacrifice à mon divin Époux: il a répandu cette eau sur les flammes qui me dévoraient: elles se sont éteintes aussitôt et j’ai été délivrée. Je prends mon essor vers le ciel, où ma reconnaissance ne vous oubliera pas (Rossig. Merv. 60.). »

Les Saints du ciel

C’est ainsi que les anges de Dieu aident et consolent les âmes du purgatoire. – On pourrait demander ici comment les Saints et les Bienheureux déjà couronnés dans le ciel peuvent les secourir ? Il est certain, comme dit le Père Rossignoli, et tel est l’enseignement des maîtres de la théologie, S. Augustin et S. Thomas, que les Saints sont très-puissants à cet égard par voie de supplication, ou comme on dit, par voie d’impétration, mais non de satisfaction. En d’autres termes, les saints du ciel peuvent prier pour les âmes et obtenir ainsi de la divine miséricorde la diminution de leur peine mais ils ne peuvent point satisfaire pour elles, ni acquitter, leurs dettes devant la divine justice: c’est là un privilège que Dieu a réservé à son Église militante.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 5, 6

Chapitre 5

Consolations des âmes. – La Sainte Vierge. – Révélations de sainte Brigitte – Le Père Jérôme Carvalho – Le Bienheureux Renier de Cîteaux.

Les âmes du purgatoire reçoivent aussi de grandes consolations de la Sainte Vierge. N’est-elle pas la Consolatrice des affligés ? et quelle affliction comparable à celle des pauvres âmes? N’est-elle pas la Mère de miséricorde ? Et n’est-ce pas à l’égard de ces âmes saintes et souffrantes qu’elle doit montrer toute la miséricorde de son Cœur ? Il ne faut donc pas s’étonner que dans les Révélations de sainte Brigitte la Reine des cieux se donne à elle-même le beau nom de Mère des âmes du purgatoire: « Je suis, dit-elle à cette Sainte, la Mère de tous ceux qui sont dans le lieu de l’expiation; mes prières adoucissent les châtiments qui leur sont infligés pour leurs fautes (Révélations S. Brig. 1. 4. c. 1. ). »

Le 25 octobre 1604, au collège de la Compagnie de Jésus à Coïmbre, mourut en odeur de sainteté le Père Jérôme Carvalho, âgé de 60 ans. Cet admirable et humble serviteur de Dieu sentait une très vive appréhension des peines du purgatoire. Ni les rudes macérations auxquelles il se livrait plusieurs fois chaque jour, sans compter celles que lui suggérait encore chaque semaine le souvenir plus particulier de la Passion, ni les six heures qu’il consacrait soir et matin à la méditation des choses saintes, ne lui semblaient devoir le mettre à l’abri des châtiments, dus après sa mort à ses prétendues infidélités. Mais, un jour, la Reine du ciel, à laquelle il avait une tendre dévotion, daigna consoler elle-même son serviteur par la simple assurance qu’elle était Mère de miséricorde pour ses chers enfants du purgatoire, aussi bien que pour ceux qui vivent sur la terre. – Cherchant plus tard à répandre une doctrine si consolante, le saint homme laissa, par mégarde et dans la chaleur du discours, échapper ces mots: Elle me l’a dit.

On rapporte qu’un autre grand serviteur de Marie, le Bienheureux Renier de Cîteaux (30 mars), tremblait à la pensée de ses péchés et de la justice terrible de Dieu après la mort. Dans sa frayeur, s’étant adressé à sa grande protectrice, qui s’appelle la Mère de miséricorde, il fut ravi en esprit, et vit la Mère de Dieu supplier son Fils en sa faveur. « Mon Fils, disait-elle, faites-lui grâce du purgatoire, puisqu’il se repent humblement de ses péchés. » – « Ma Mère, répondit Jésus-Christ, je remets sa cause entre vos mains »; ce qui voulait dire, qu’il soit fait à votre client comme vous souhaitez. – Le Bienheureux comprit avec une ineffable joie que Marie lui avait obtenu l’exemption du purgatoire.

Chapitre 6

Consolations du purgatoire. – La Sainte Vierge Marie, privilège du samedi. – La vénérable Paule de Sainte-Thérèse

C’est à certains jours surtout que la Reine des cieux exerce sa miséricorde au purgatoire. Ces jours privilégiés sont d’abord tous les samedis, ensuite les diverses fêtes de Marie, qui deviennent ainsi comme les jours de fête du purgatoire. – Nous voyons dans les révélations des Saints que le samedi, jour spécialement consacré à la Sainte Vierge, la douce Mère des miséricordes descend dans les cachots du purgatoire pour visiter et consoler ses dévots serviteurs. Alors, selon la pieuse croyance des fidèles, elle délivre les âmes qui, ayant porté le saint Scapulaire, ont droit au privilège de la Sabbatine; ensuite elle prodigue les douceurs de ses consolations aux autres âmes qui l’ont particulièrement honorée. Voici ce que vit à ce sujet la Vénérable Sœur Paule de Sainte-Thérèse, religieuse Dominicaine du monastère de Sainte-Catherine à Naples (Rossign. Merv. 50. Marchese, t. I, p. 56).

Ayant été ravie en extase, un jour de samedi, et transporté en esprit dans le purgatoire, elle fut toute surprise de le trouver transformé comme en un paradis de délices, éclairé par une vive lumière, en place des ténèbres habituelles. Comme elle se demandait la raison de ce changement, elle aperçut la Reine des cieux, entourée d’une infinité d’anges, auxquels elle ordonnait de délivrer les âmes qui lui avaient été spécialement dévouées et de les conduire au ciel.

S. Pierre Damien

S’il en est ainsi des simples samedis, on ne peut guère douter qu’il n’en soit de même des jours de fête consacrés à la Mère de Dieu. Parmi toutes ces fêtes, celle de la glorieuse Assomption de Marie semble être le grand jour des délivrances. S. Pierre Damien (Opusc. 34, p. 2, c. 3.) nous dit que, chaque année au jour de l’Assomption, la Sainte Vierge délivre plusieurs milliers d’âmes. Voici la vision miraculeuse qu’il rapporte à ce sujet.

La défunte Marozi

C’est un pieux usage, dit-il, qui existe parmi le peuple de Rome, de visiter les églises un cierge à la main, pendant la nuit qui précède la fête de l’Assomption de Notre-Dame. Or il arriva à cette occasion qu’une personne de qualité, se trouvant agenouillée dans la basilique de l’Ara Cœli, au capitole, aperçut en prière devant elle une autre Dame, sa marraine, qui était morte plusieurs mois auparavant. Surprise et ne pouvant en croire ses yeux, elle voulut éclaircir ce mystère, et alla se placer près de la porte de l’église. Dès qu’elle la vit sortir, elle la prit par la main et la tirant à l’écart: « N’êtes-vous pas, lui dit-elle, ma marraine Marozi, qui m’avez tenue sur les fonts du baptême ? – Oui, répond aussitôt l’apparition, c’est moi-même. – Eh ! comment se fait-il que je vous retrouve parmi les vivants, puisque vous êtes morte il y a près d’une année ? – Jusqu’à ce jour je suis restée plongée dans un feu épouvantable, à cause des nombreux péchés de vanité que j’ai commis dans ma jeunesse; mais dans cette grande solennité, la Reine du ciel est descendue au milieu des flammes du purgatoire, et m’a délivrée ainsi qu’un grand nombre d’autres défunts, afin que nous entrions au ciel le jour de son Assomption. Ce grand acte de clémence elle l’exerce chaque année; et, dans la circonstance actuelle, le nombre de ceux qu’elle a délivrés égale celui du peuple de Rome. »

Voyant que sa filleule restait stupéfaite et semblait douter encore, l’apparition ajouta: « En preuve de la vérité de mes paroles, sachez que vous-même vous mourrez dans un an, à la fête de l’Assomption: si vous passez ce terme, tenez tout ceci pour illusion. »

Saint-Pierre Damien termine ce récit en disant, que la jeune Dame passa l’année en bonnes œuvres pour se préparer à paraître devant Dieu. L’année suivante, l’avant-veille de l’Assomption, elle tomba malade, et mourut le jour même de la fête, comme il lui avait été prédit.

La fête de l’Assomption est donc le grand jour des miséricordes de Marie envers les âmes: elle se plaît à introduire ses enfants la gloire l’anniversaire du jour où elle-même y fit son entrée. Cette pieuse croyance, ajoute l’abbé Louvet, est appuyée sur un grand nombre de révélations particulières; c’est pourquoi, à Rome, l’église de Sainte-Marie in Montorio, qui est le centre de l’archiconfrérie des suffrages pour les trépassés, est dédiée sous le vocable de l’Assomption.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 3, 4

Chapitre 3

Consolations des âmes – S. Stanislas de Cracovie et le ressuscité Pierre Milès.

Ce contentement au milieu des plus amères souffrances ne peut s’expliquer que par les divines consolations que le Saint-Esprit répand dans les âmes du purgatoire. Ce divin Esprit, par la foi, l’espérance et la charité les met dans la disposition d’un malade qui subit un traitement très douloureux, mais dont l’effet certain sera de lui rendre une santé parfaite. Ce malade souffre, mais il aime des souffrances si salutaires. L’Esprit consolateur donne aux âmes un contentement semblable. Nous en avons un exemple frappant dans ce Pierre Milès, ressuscité par S. Stanislas de Cracovie, et qui préférait retourner en purgatoire que de vivre encore sur la terre.

Le célèbre miracle de cette résurrection arriva en 1070. Voici comment on le trouve rapporté dans les Acta Sanctorum, sous le 7 mai. Saint Stanislas était Évêque de Cracovie lorsque le duc Boleslas II gouvernait la Pologne. Il ne manquait pas de rappeler ses devoirs à ce prince, qui les violait scandaleusement devant tout son peuple. Boleslas s’irrita de la sainte liberté du prélat; et pour se venger, il excita contre lui les héritiers d’un certain Pierre Milès, qui était mort trois années auparavant, après avoir vendu une terre à l’église de Cracovie. Les héritiers accusèrent l’Évêque d’avoir envahi ce terrain sans le payer au propriétaire. Stanislas eut beau affirmer qu’il avait effectué le payement; comme les témoins qui devaient le soutenir se trouvaient subornés ou intimidés, il fut déclaré usurpateur du bien d’autrui, et condamné à restituer la terre en litige. Alors, voyant que la justice humaine lui faisait défaut, il éleva son cœur à Dieu et en reçut une inspiration soudaine: il demanda trois jours de délai, promettant de faire comparaître en personne Pierre Milès, son vendeur, qui lui-même rendrait témoignage. On le lui accorda par moquerie.

Le Saint jeûna, veilla, pria Notre-Seigneur de défendre sa cause; et le troisième jour, après avoir célébré la sainte Messe, il partit, escorté de ses clercs et de beaucoup de fidèles, et vint à l’endroit où Pierre était enterré. Par son ordre on ouvrit la tombe, qui ne contenait plus que des ossements; il les toucha de son bâton pastoral, et au nom de Celui qui est la résurrection et la vie, il commanda au mort de se lever. Soudain ces ossements se raffermirent, se rapprochèrent, se couvrirent de chair, et aux regards stupéfaits de tout un peuple, on vit le mort tenant le saint Évêque par la main s’acheminer vers le lieu du tribunal. Boleslas avec sa cour et une foule considérable étaient dans l’attente la plus vive. « Voici Pierre, dit le Saint à Boleslas, il vient, Prince, rendre témoignage devant vous. Interrogez-le, il répondra. »

Impossible de peindre la stupéfaction du Duc, de ses assesseurs, de toute cette foule. Le ressuscité affirma que sa terre lui avait été payée; ensuite se tournant vers ses héritiers, il leur fit de justes reproches pour avoir accusé le pieux prélat contre tout droit et toute justice; puis il les exhorta à faire pénitence d’un si grave péché.

C’est ainsi que l’iniquité, qui se croyait déjà sûre du succès, fut confondue. Maintenant vient la circonstance qui regarde notre sujet et que nous voulons faire ressortir. Voulant achever pour la gloire de Dieu un si grand miracle, Stanislas proposa au défunt, s’il voulait encore vivre quelques années, de le lui obtenir de Notre-Seigneur. – Pierre répondit qu’il ne le désirait pas. Il était au purgatoire, mais il aimait mieux y retourner tout de suite et en souffrir les peines, que de s’exposer au danger de la damnation dans cette vie terrestre. Il conjura seulement le Saint de prier Dieu afin que ses peines fussent abrégées, et qu’il pût bientôt entrer dans le séjour des bienheureux. – Après cela, accompagné de l’Évêque et d’une grande multitude, Pierre s’en retourna à son tombeau, s’y recoucha, et aussitôt son corps se défit, ses os se détachèrent et retombèrent dans leur premier état. – On a lieu de croire que le Saint obtint promptement la délivrance de son âme.

Ce qui est particulièrement remarquable en cet exemple, et doit attirer toute notre attention, c’est qu’une âme du purgatoire, après avoir fait l’essai des plus cruels supplices, préfère cet état si douloureux à la vie dans ce monde; et la raison qu’elle donne de cette préférence, c’est que dans cette vie mortelle nous sommes exposés au danger de nous perdre et d’encourir la damnation éternelle.

Chapitre 4 – Consolations des âmes

Sainte Catherine de Ricci et l’âme d’un prince.

Citons un autre exemple des consolations intérieures et du contentement mystérieux que les âmes éprouvent au milieu des plus cuisantes douleurs: nous le trouvons dans la vie de sainte Catherine de Ricci (13 février), religieuse de l’ordre de S. Dominique, qui mourut au monastère de Prato le 2 février 1590. Cette servante de Dieu portait la charité envers les âmes du purgatoire, jusqu’à souffrir en leur place sur la terre ce qu’elles devaient endurer dans l’autre monde. Entre autres, elle délivra des flammes expiatrices l’âme d’un prince, en souffrant pour lui pendant quarante jours des tourments inouïs.

Ce prince, que l’histoire ne nomme pas, par égard sans doute pour sa famille, avait mené une vie mondaine; et la Sainte fit beaucoup de prières, de jeûnes et de pénitences, pour que Dieu l’éclairât et qu’il ne fût pas réprouvé. Dieu daigna l’exaucer, et le malheureux pécheur donna avant sa mort des preuves évidentes d’une sincère conversion. Il mourut dans ces bons sentiments et passa en purgatoire.

Catherine en eut connaissance par révélation divine dans l’oraison, et s’offrit à satisfaire elle-même pour cette âme à la justice divine. Le Seigneur agréa ce charitable échange, reçut dans la gloire l’âme du prince et fit subir à Catherine des peines tout à fait étranges, durant l’espace de quarante jours. Elle fut saisie d’un mal qui, au jugement des médecins, n’était pas naturel, et qu’ils ne pouvaient ni guérir ni soulager. Voici, d’après les témoins, en quoi ce mal consistait. Le corps de la Sainte se couvrit d’ampoules, remplies d’une humeur visiblement en ébullition, comme l’eau bouillante sur le feu. Il en résultait une chaleur extrême, au point que sa cellule s’échauffait comme un four et paraissait pleine de feu: on ne pouvait y demeurer quelques instants sans sortir pour respirer.

Il était évident que la chair de la malade bouillait, et sa langue ressemblait à une plaque de métal rougie au feu. Par intervalles, l’ébullition cessait, et alors la chair paraissait comme rôtie; mais bientôt les ampoules se reproduisaient et répandaient la même chaleur.

Cependant, au milieu de ce supplice, la Sainte ne perdait ni la sérénité du visage ni la paix de l’âme: au contraire, elle semblait jouir dans ces tourments. Les douleurs allaient parfois à un tel degré d’intensité qu’elle en perdait la parole pendant dix ou douze minutes. Quand les religieuses, ses sœurs, lui disaient qu’elle semblait être dans le feu; elle répondait simplement qu’oui, sans ajouter rien de plus. Lorsqu’elles lui représentaient qu’elle poussait le zèle trop loin, et qu’elle ne devrait pas demander à Dieu de si excessives douleurs: « Pardonnez-moi, mes Mères, disait-elle, si je vous réplique. Jésus a tant d’amour pour les âmes, que tout ce que nous faisons pour leur salut lui est infiniment agréable. C’est pourquoi je supporte volontiers quelque peine que ce soit, tant pour la conversion des pécheurs que pour la délivrance des âmes détenues au purgatoire. »

Les quarante jours expirés, Catherine revint à son état ordinaire. Les parents du prince lui demandèrent où était son âme: « N’ayez aucune crainte, répondit-elle, son âme jouit de la gloire éternelle. » On connut par-là que c’était pour cette âme qu’elle avait tant souffert.

Ce trait peut nous apprendre bien des choses; mais nous l’avons cité pour montrer comment les plus grandes souffrances ne sont pas incompatibles avec la paix intérieure. Notre Sainte, tout en souffrant visiblement les peines du purgatoire, jouissait d’une paix admirable et d’un contentement surhumain.

Le Dogme du Purgatoire – Seconde partie – Chapitres 1, 2

Chapitre 1er

Crainte et confiance

Nous venons de considérer les rigueurs de la divine justice dans l’autre vie: elles sont terrifiantes, et il n’est pas possible d’y penser sans effroi. Ce feu allumé par la divine justice, ces peines douloureuses, auprès desquelles les pénitences des Saints et les souffrances des Martyrs sont peu de chose, quelle âme croyante pourrait les envisager sans crainte ?

Cette crainte est salutaire et conforme à l’esprit de Jésus-Christ. Le divin Maître veut que nous craignions, que nous craignions non seulement l’enfer, mais encore le purgatoire, sorte d’enfer mitigé. C’est pour nous inspirer cette sainte frayeur qu’il nous montre la prison du Juge suprême, d’où l’on ne sortira point avant que la dernière obole ne soit payée (1); et l’on peut étendre au feu du purgatoire ce qu’il dit du feu de la géhenne: Ne craignez point ceux qui font mourir le corps et qui ne peuvent rien sur l’âme; mais craignez celui qui peut jeter le corps et l’âme en enfer (2).

Miséricorde de Dieu

Toutefois l’intention du Sauveur n’est pas que nous ayons une crainte excessive et stérile, cette crainte qui tourmente les âmes et les abat, cette crainte sombre et sans confiance; non, il veut que notre crainte soit tempérée par une grande confiance en sa miséricorde; il veut que nous craignions le mal pour le prévenir et l’éviter; il veut que la pensée des flammes vengeresses stimule notre ferveur dans son service, et nous porte à expier nos fautes en ce monde plutôt qu’en l’autre. Il vaut mieux extirper maintenant nos vices, et expier nos péchés, dit l’Auteur de l’Imitation, que de remettre à les expier en l’autre monde (3). – Au reste si, malgré notre zèle à bien vivre et à satisfaire en ce monde, nous avons encore des craintes fondées d’avoir un purgatoire à subir, nous devons envisager cette éventualité avec une grande confiance en Dieu qui ne laisse pas sans consolation les âmes qu’il purifie par les souffrances.

Or pour donner à notre crainte ce caractère pratique et ce contrepoids de confiance, après avoir contemplé le purgatoire dans ses peines et ses rigueurs, il nous le faut considérer sous une autre face et à un autre point de vue, celui de la miséricorde de Dieu, qui n’y éclate pas moins que sa justice.

Si Dieu réserve aux moindres fautes des châtiments terribles dans l’autre vie, il ne les inflige point sans un tempérament de clémence; et rien ne montre mieux que le purgatoire l’admirable harmonie des perfections divines, puisque la plus sévère justice s’y exerce en même temps que la plus ineffable miséricorde. Si le Seigneur châtie les âmes qui lui sont chères, c’est dans son amour, selon cette parole: Je corrige et je châtie ceux que j’aime (4). D’une main il les frappe, de l’autre il les guérit, il leur offre miséricorde et rédemption en abondance: Quoniam apud Dominum misericordia, et copiosa apud eum redemptio (5).

(1) Matth. V, 26. – (2) Matth. X, 28. – (3) Imit. I, 24. – (4) Apol. III, 19. – (5) Ps. 129.

Cette miséricorde infinie de notre Père céleste doit être le fondement inébranlable de notre confiance et, à l’exemple des Saints, nous devons l’avoir toujours devant les yeux. Les Saints ne la perdaient point de vue; c’est pourquoi la crainte du purgatoire ne leur ôtait ni la paix ni la joie du Saint-Esprit.

Sainte Lidvine et le prêtre

Sainte Lidvine, qui connaissait si bien la rigueur effrayante des peines expiatrices, était animée de cet esprit de confiance et tâchait de l’inspirer aux autres. Un jour elle reçut la visite d’un prêtre pieux. Comme il se trouvait assis auprès du lit de la sainte malade avec d’autres personnes vertueuses, la conversation s’engagea sur les peines de l’autre vie. Le prêtre voyant dans les mains d’une femme un vase rempli de graine de sénevé, en prit occasion pour dire qu’il tremblait en pensant au feu du purgatoire; « néanmoins, ajouta-t-il, je voudrais y être pour autant d’années qu’il y a de petits grains dans ce vase; alors du moins j’aurais la certitude de mon salut. – Que dites-vous là, mon Père, reprit la Sainte ? Pourquoi si peu de confiance dans la miséricorde de Dieu ? Ah ! si vous saviez mieux ce que c’est que le purgatoire, quels tourments affreux on y endure ! – Que le purgatoire soit ce qu’il voudra, répondit-il, je persiste dans ce que j’ai dit. »

Ce prêtre mourut quelque temps après; et les mêmes personnes qui avaient été présentes à son entretien avec Lidvine, interrogeant la sainte malade sur l’état de son âme en l’autre monde, elle répondit: « Le défunt est bien, à cause de sa vie vertueuse; mais il serait mieux, s’il se fût confié davantage en la passion de Jésus-Christ, et s’il eût embrassé un sentiment plus doux au sujet du purgatoire. »

En quoi consistait le manque de confiance que la Sainte désapprouvait en ce bon prêtre ? Dans le sentiment où il était, qu’il est presque impossible de se sauver, et qu’on ne saurait guère entrer au ciel qu’après d’innombrables années de tourments. Cette idée est fausse et contraire à la confiance chrétienne. Le Sauveur est venu apporter la paix aux hommes de bonne volonté, et nous imposer comme condition de salut un joug suave et un fardeau qui n’est point pesant. – Ainsi, que votre volonté soit bonne et vous trouverez la paix, vous verrez s’évanouir les difficultés et les terreurs. La bonne volonté: tout est là. Soyez de bonne volonté, soumettez-vous à la volonté de Dieu, mettez sa sainte loi au-dessus de tout; servez le Seigneur de tout votre cœur, et il vous aidera si bien que vous arriverez en paradis avec une étonnante facilité: je n’aurais jamais cru, direz-vous, qu’il fût si facile d’entrer au ciel ! – Toutefois, je le répète, pour opérer en nous cette merveille de miséricorde, Dieu demande de notre part le cœur droit, la bonne volonté.

La bonne volonté consiste proprement à soumettre et à conformer notre volonté à celle de Dieu, qui est la règle de tout bon vouloir; et ce bon vouloir atteint sa plus haute perfection, quand on embrasse la volonté divine comme le bien suprême alors même qu’elle impose les plus grands sacrifices, les plus rigoureuses souffrances. Chose admirable ! l’âme ainsi disposée semble perdre le sentiment des douleurs. C’est que cette âme est animée de l’esprit d’amour, et, comme dit S. Augustin, quand on aime, on ne souffre pas, ou si l’on souffre on aime la souffrance: Aut si laboratur, labor ipse amatur.

Le vénérable Père Claude de la Colombière.

Il avait ce cœur aimant, cette bonne et parfaite volonté, le Vénérable Père Claude de la Colombière, de la Compagnie de Jésus, qui, dans sa Retraite spirituelle, exprimait ainsi ses sentiments: « Il ne faut pas laisser d’expier par la pénitence les dérèglements de sa vie; mais il le faut faire sans inquiétude, parce que le pis qui puisse arriver, quand on a bonne volonté, et qu’on est soumis à l’obéissance, c’est d’être longtemps en purgatoire, et l’on peut dire en un bon sens que ce n’est pas là un fort grand mal.

« Je ne crains point le purgatoire. Quant à l’enfer je n’en veux pas parler; car je ferais tort à la miséricorde de Dieu de craindre l’enfer le moins du monde, quand je l’aurais plus mérité que tous les démons. Mais le purgatoire, je ne le crains point: je voudrais bien ne l’avoir pas mérité, parce que cela ne s’est pu faire sans déplaire à Dieu; mais puisque c’est une chose faite, je suis ravi d’aller satisfaire à sa justice de la manière la plus rigoureuse qu’il soit possible d’imaginer, et même jusqu’au jour du jugement. Je sais que les tourments y sont horribles; mais je sais qu’ils honorent Dieu, et ne peuvent altérer les âmes, qu’on y est assuré de ne s’opposer jamais à la volonté de Dieu, qu’on ne lui saura point mauvais gré de sa rigueur, qu’on aimera jusqu’à sa sévérité, qu’on attendra avec patience qu’elle se soit entièrement satisfaite. Ainsi j’ai donné de tout mon cœur toutes mes satisfactions aux âmes du purgatoire, et cédé même à d’autres tous les suffrages qu’on fera pour moi après ma mort, afin que Dieu soit glorifié dans le paradis par des âmes qui auront mérité d’y être élevées à une plus grande gloire que moi. »

Voilà jusqu’où va la charité, l’amour de Dieu et du prochain, quand il a pris possession d’un cœur: il transforme, il transfigure la souffrance au point qu’elle perd son amertume et se change en douceur. Lorsque vous en serez venu, dit le livre de l’Imitation, à trouver douce la tribulation et à la goûter par amour pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, car vous avez trouvé le para dit sur la terre (Imit. II, 12). Ayons donc beaucoup d’amour de Dieu, beaucoup de charité, et nous craindrons peu le purgatoire: le Saint-Esprit nous rendra témoignage au fond du cœur, qu’étant enfants de Dieu, nous n’avons pas à redouter les châtiments d’un Père.

Chapitre 2

Confiance – Miséricorde de Dieu envers les âmes – Il les console.

Il est vrai que tous ne sont pas à ce haut degré de charité; mais il n’est personne qui ne puisse avoir confiance dans la divine miséricorde. Cette miséricorde est infinie, et elle donne la paix à toutes les âmes qui l’ont bien devant les yeux et se confient en elle. – Or la miséricorde de Dieu s’exerce au sujet du purgatoire de trois manières:

  1. en consolant les âmes;
  2. en mitigeant leurs peines;
  3. en nous donnant à nous-mêmes avant la mort mille moyens d’éviter le purgatoire.

Sainte Catherine de Gênes

D’abord Dieu console les âmes du purgatoire: il les console par lui-même, par la Sainte Vierge et par les saints anges. Il console les âmes en les remplissant au plus haut degré de foi, d’espérance et d’amour divin, vertus qui produisent en elles la conformité à la volonté divine, la résignation, la patience la plus parfaite. « Le Seigneur, écrit sainte Catherine de Gênes, imprime à l’âme du purgatoire un tel mouvement d’amour attractif, qu’il serait suffisant pour l’annihiler si elle n’était immortelle. Illuminée et enflammée par cette pure charité, autant elle aime Dieu, autant elle déteste la moindre souillure qui lui déplaît, le moindre obstacle qui l’empêche de s’unir à lui. Ainsi, si elle pouvait découvrir un autre purgatoire, plus terrible que celui dans lequel elle se trouve, cette âme s’y précipiterait, vivement poussée par l’impétuosité de l’amour qui existe entre Dieu et elle, afin de se délivrer plus vite de tout ce qui la sépare du souverain bien (Traité du purgatoire chap. 9.). »

« Ces âmes, dit encore la même Sainte, sont intimement unies à la volonté de Dieu, et si complètement transformées en elle, que toujours elles sont satisfaites de sa très sainte ordonnance. » – « Les âmes du purgatoire n’ont plus d’élection propre; elles ne peuvent plus vouloir que ce que Dieu veut. Elles reçoivent ainsi avec la soumission la plus parfaite tout ce que Dieu leur donne; et ni plaisir, ni contentement, ni peine, ne peuvent jamais les faire se replier sur elles-mêmes (Ibid. chap. 13 et 14.). ».

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, après la mort d’un de ses frères, étant allée au chœur prier pour lui, vit son âme en proie à des souffrances excessives. Touchée de compassion, elle fondit en pleurs et s’écria d’une voix lamentable: « Frère, misérable et bienheureux tous ensemble ! ô âme affligée et pourtant contente ! ces peines sont intolérables, et cependant elles sont supportées. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leurs croix ici-bas ! Pendant que vous étiez dans ce monde, ô mon frère, vous ne vouliez pas m’écouter, et maintenant vous désirez ardemment que je vous écoute. O Dieu également juste et miséricordieux ! soulagez ce frère qui vous servit dès son enfance. Regardez votre bonté, je vous en conjure, et usez de votre grande miséricorde à son égard. O Dieu très juste ! s’il n’a pas toujours été attentif à vous plaire, du moins il n’a jamais méprisé ceux qui faisaient profession de vous servir fidèlement. »

Le jour où elle eut cette célèbre extase pendant laquelle elle parcourut les diverses prisons du purgatoire, ayant de nouveau aperçu l’âme de son frère: « Pauvre âme, lui dit-elle, que vous êtes souffrante ! et cependant vous vous réjouissez. Vous brûlez, et vous êtes contente; c’est que vous savez bien que ces peines doivent vous conduire à une grande et inénarrable félicité. Que je me trouverais heureuse, si je ne devais jamais souffrir davantage ! Demeurez ici, mon frère, et achevez en paix votre purification. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 40, 41

Chapitre 40 – Matière des expiations

Manque de charité et de respect envers le prochain

La vraie charité est humble et s’incline devant ses frères, les respectant tous comme s’ils lui étaient supérieurs. Ses paroles toujours amicales et pleines d’égards pour tout le monde, n’ont rien d’amer ni de froid, rien qui sente le mépris, parce qu’elles coulent d’un cœur doux et humble, comme celui de Jésus. Elle évite aussi avec soin tout ce qui pourrait troubler l’union; et si quelque différend se produit, elle fait toutes les démarches, tous les sacrifices, pour amener la réconciliation, selon cette parole du divin Maître: Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, et alors vous viendrez présenter votre offrande (Matth. V, 23).

Saint Louis Bertrand et le défunt demandant pardon

Un religieux ayant blessé la charité à l’égard de saint Louis Bertrand, en reçut après sa mort un châtiment terrible. Il fut plongé dans le feu du purgatoire, qu’il dut subir jusqu’à ce que la justice divine fût satisfaite; de plus, il ne put être admis au séjour des élus avant d’avoir accompli un acte extérieur de réparation, qui servit d’exemple aux vivants. Voici comment le fait est rapporté dans la Vie du saint (Acta Sanctor. 10 octob).

Quand saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique, résidait au couvent de Valence, il y avait dans la communauté un jeune religieux, qui attachait trop d’importance à la science humaine. Sans doute, les lettres et l’érudition ont leur prix, mais, comme le Saint-Esprit le déclare, elles le cèdent à la crainte de Dieu et à la science des saints: Non super timentem Dominum (Eccli. XXV, 13). Cette science des saints que l’éternelle sagesse est venue nous enseigner, consiste dans l’humilité et la charité. Or le jeune religieux, dont nous parlons, encore peu avancé dans cette divine science, se permit de reprocher au Père Louis son peu de savoir, et de lui dire: On le voit, mon Père, vous n’êtes pas bien savant ! – Mon frère, répondit le Saint avec une douce fermeté, Lucifer a été fort savant et il n’en est pas moins réprouvé.

Le Frère qui avait commis cette faute ne songea pas à la réparer. Cependant il n’était pas un mauvais religieux; et à quelque temps de là, étant tombé malade, il reçut fort bien tous les sacrements et mourut dans la paix du Seigneur. Un temps assez considérable s’écoula, pendant lequel saint Louis fut nommé Prieur. Alors, étant resté dans le chœur après matines, le défunt lui apparut environné de flammes, et s’inclinant humblement devant lui, il lui dit: « Mon père, pardonnez-moi les paroles blessantes que je vous ai adressées autrefois. Dieu ne permet pas que je voie sa face avant que vous ne m’ayez pardonné cette faute et célébré ensuite pour moi le saint sacrifice de la Messe. » – Le Saint lui pardonna volontiers et offrit le lendemain la Messe pour lui. La nuit suivante, se trouvant encore dans le chœur, il vit de nouveau le défunt lui apparaître, mais glorieux et allant au ciel.

Le Père Nieremberg

Le Père Eusèbe Nieremberg, religieux de la Compagnie de Jésus, auteur du beau livre Différence entre le temps et l’éternité, résidait au collège de Madrid, où il mourut en odeur de sainteté en 1658. Ce serviteur de Dieu, singulièrement dévot aux âmes du purgatoire, priait un jour avec ferveur dans l’église du collège pour un Père récemment décédé. Le défunt qui avait longtemps professé la théologie, ne s’était pas montré moins bon religieux que savant théologien: il avait eu surtout une grande dévotion à la Sainte Vierge; mais un vice s’était mêlé à ses vertus: il manquait de charité dans ses paroles et parlait fréquemment des défauts du prochain.

Or, comme le P. Nieremberg recommandait son âme à Dieu, ce religieux lui apparut et lui révéla son état. Il était livré à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité. Sa langue, en particulier, instrument de ses fautes, était tourmentée par un feu cuisant. La Sainte Vierge, en récompense de la tendre dévotion qu’il avait eue pour elle, lui avait obtenu de venir solliciter des prières; il devait en même temps servir d’exemple à ses frères, pour leur apprendre à veiller avec soin sur toutes leurs paroles. – Le Père Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences pour lui, obtint enfin sa délivrance (Vie du P. Nieremberg).

La Bienheureuse Marguerite-Marie et le religieux Bénédictin.

Le religieux dont il est parlé dans la Vie de la bienheureuse Marguerite, et pour qui cette servante de Dieu souffrit si cruellement pendant trois mois, était aussi puni, entre autres fautes, pour ses péchés contre la charité. Voici comment eut lieu cette révélation.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, lisons-nous dans sa Vie, étant une fois devant le Saint-Sacrement, tout à coup se présenta à elle un homme totalement en feu, et dont les ardeurs la pénétrèrent si fort qu’elle se sentait comme brûler avec lui. L’état pitoyable où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes. C’était un religieux bénédictin de la congrégation de Cluni, à qui elle s’était confessée autrefois et qui avait fait du bien à son âme en lui ordonnant de communier. En récompense de ce service, Dieu lui avait permis de s’adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines.

Le pauvre défunt lui demanda que durant l’espace de trois mois, tout ce qu’elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué: elle le lui promit, après en avoir demandé la permission. – Il lui dit alors, que la première cause de ses grandes souffrances était d’avoir cherché son propre intérêt avant la gloire de Dieu et le bien des âmes, par trop d’attache à sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers ses frères. La troisième, l’affection naturelle pour les créatures, à laquelle il avait eu la faiblesse de céder, et dont il leur avait donné des témoignages dans les entretiens spirituels, ce qui, ajoutait-il déplaisait beaucoup à Dieu.

Il est difficile de dire tout ce que la Bienheureuse eut à souffrir, l’espace des trois mois qui suivirent. Le défunt ne la quittait pas: du côté où il était, elle se sentait tout en feu, avec de si vives douleurs qu’elle en pleurait toujours. Sa Supérieure, touchée de compassion, lui ordonnait des pénitences et des disciplines, parce que les peines et les souffrances qu’on lui accordait, la soulageaient beaucoup. Les tourments, disait-elle, que la sainteté de Dieu imprimait en elle, étaient insupportables. C’était un échantillon de ce qu’endurent les âmes.

Chapitre 41 – Matière des expiations

Abus de la grâce

Il est un autre dérèglement de l’âme que Dieu punit sévèrement en purgatoire, savoir l’abus de la grâce. On entend par là le manque de correspondance aux secours que Dieu nous accorde et aux invitations qu’il nous fait pour la pratique du bien, pour la sanctification de nos âmes. Cette grâce qu’il nous présente est un don précieux, qu’on ne peut laisser tomber par terre, c’est une semence de salut et de mérite qu’il n’est pas permis de rendre stérile. Or on commet cette faute, quand on ne répond pas avec générosité à l’invitation divine. J’ai reçu de Dieu les moyens de faire l’aumône: une voix intérieure m’invite à la faire; je ferme mon cœur, ou je ne donne que d’une main avare: c’est un abus de grâce. – Je puis entendre la messe, assister au sermon, fréquenter les sacrements: une voix intérieure m’y invite; mais je ne veux pas m’en donner la peine: c’est un abus de grâce. – Une personne religieuse doit être obéissante, humble, mortifiée, dévouée à ses devoirs: Dieu le demande et lui en donne la force en vertu de sa vocation; elle ne s’y applique pas, elle ne travaille pas à se vaincre pour coopérer avec le secours que Dieu lui offre: c’est un abus de grâce.

Sainte Madeleine de Pazzi et la religieuse défunte

Or ce péché, disons-nous, est rigoureusement puni au purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi nous apprend, qu’une de ses sœurs en religion eut beaucoup à souffrir après la mort pour n’avoir pas correspondu à la grâce en trois occasions. Il lui était arrivé, un jour de fête, de sentir l’envie de faire un petit travail: il ne s’agissait que d’un ouvrage de femme, mais il n’était pas nécessaire et il convenait de le remettre à un autre moment. L’inspiration de la grâce lui disait de s’en abstenir, par respect pour la sainteté du jour; mais elle préféra satisfaire l’envie naturelle qu’elle avait de faire cet ouvrage, sous prétexte que c’était une chose légère. – Une autre fois, ayant remarqué qu’un point d’observance était oublié, et qu’en le faisant connaître à ses supérieurs il en résulterait un bien pour la communauté, elle omit d’en parler. L’inspiration de la grâce lui disait d’accomplir cet acte de charité, mais le respect humain l’empêcha de le faire. – Une troisième faute fut un attachement déréglé pour les siens qui étaient dans le monde. Comme épouse de Jésus-Christ, elle devait toutes ses affections à ce divin Époux; mais elle partageait son cœur en s’occupant trop des membres de sa famille. Quoiqu’elle sentît que sa conduite à cet égard était défectueuse, elle n’obéit pas à ce mouvement de la grâce et ne travailla pas sérieusement à se corriger.

Cette sœur, d’ailleurs fort édifiante, étant venue à mourir, Madeleine pria pour elle avec sa ferveur ordinaire. Seize jours se passèrent et elle apparut à la Sainte, lui annonçant sa délivrance. Comme Madeleine s’étonnait de ce qu’elle avait été si longtemps dans les tourments, elle lui fit connaître qu’elle avait dû expier son abus de la grâce dans les trois cas dont nous avons parlé; et elle ajouta que ces fautes l’auraient retenue plus longtemps dans les supplices, si Dieu n’avait eu égard à un côté plus satisfaisant de sa conduite: il avait abrégé ses peines à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention, et de sa charité envers ses sœurs (Cépari, Vie de sainte Madeleine de Pazzi).

Ceux qui ont eu plus de grâces en ce monde et plus de moyens d’acquitter leurs dettes spirituelles, seront traités au purgatoire avec moins d’indulgence, que d’autres qui ont eu moins de facilité à satisfaire pendant la vie.

La Bienheureuse Marguerite et les trois âmes en purgatoire.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, ayant appris la mort de trois personnes récemment décédées, deux religieuses et une séculière, se mit aussitôt à prier pour le repos de leurs âmes. C’était le premier jour de l’an. Notre-Seigneur touché de sa charité et usant d’une familiarité ineffable, daigna lui apparaître; et les lui montrant toutes les trois dans ces prisons de feu où elles gémissaient, lui dit: « Ma fille, pour vos étrennes, je vous accorde la délivrance d’une de ces trois âmes, et je vous laisse le choix. Laquelle voulez-vous que je délivre ? – Qui suis-je, Seigneur, répondit-elle, pour désigner celle qui mérite la préférence ? Daignez faire vous-même le choix. » – Alors Notre-Seigneur délivra la séculière, disant, qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, parce qu’elles avaient eu plus de moyens d’expier leurs péchés pendant la vie.v

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 37, 38, 39

Chapitre 37 – Matière des expiations

Intempérance de la langue. – Le religieux dominicain

Nous venons de voir comment on expie en purgatoire l’inconsidération dans les paroles. Le P. Rossignoli parle d’un religieux Dominicain qui encourut les châtiments de la divine justice pour un défaut semblable. Ce religieux, prédicateur plein de zèle, une gloire de son Ordre, apparut après sa mort à un de ses frères à Cologne: il était couvert de vêtements magnifiques, portait une couronne d’or sur la tête; mais sa langue était cruellement tourmentée. Ces ornements représentaient la récompense de son zèle pour les âmes, et de sa parfaite exactitude pour tous les points de sa règle. Cependant sa langue endurait des tourments, parce qu’il n’avait pas assez veillé sur ses paroles, et que son langage n’avait pas toujours été digne des lèvres sacrées d’un prêtre et d’un religieux.

Les sœurs Gertrude et Marguerite

Le trait suivant est tiré de Césaire (Dial. de miraculis). Dans un monastère de l’Ordre de Citeaux, dit cet auteur, vivaient deux jeunes religieuses, nommées sœur Gertrude et sœur Marguerite. La première, quoique d’ailleurs vertueuse, ne veillait pas suffisamment sur sa langue, elle se permettait fréquemment de manquer au silence prescrit, quelquefois même dans le chœur, avant et après l’office. Au lieu de se recueillir avec respect dans le lieu saint et de préparer son cœur à la prière, elle se dissipait en adressant à sœur Marguerite placée à côté d’elle, des paroles inutiles; en sorte que, outre la violation de sa règle et le manque de piété, elle était pour sa compagne un sujet de scandale. Elle mourut étant encore jeune; et voilà que peu de temps après sa mort, sœur Marguerite venant à l’office, la voit venir aussi et s’asseoir dans la stalle qu’elle occupait de son vivant.

A cette vue, la sœur fut près de défaillir. Quand elle eut bien repris ses sens elle raconta à sa Supérieure ce qu’elle venait de voir. La Supérieure lui dit de ne pas se troubler; mais, si la défunte reparaissait, de lui demander au nom du Seigneur le sujet de sa venue.

Elle reparut en effet le lendemain, de la même manière, et, selon l’ordre de la prieure, Marguerite lui dit: « Ma chère sœur Gertrude, d’où venez-vous et que voulez-vous ? – «Je viens, dit-elle, satisfaire à la justice de Dieu dans le lieu où j’ai péché. C’est ici, dans ce lieu saint, consacré à la prière, que j’ai offensé Dieu par des paroles inutiles et contraires au respect religieux, par la mauvaise édification que j’ai donnée à la communauté, et par le scandale que je vous ai donné, à vous en particulier. Oh ! si vous saviez, ajouta-t-elle, ce que je souffre: je suis toute dévorée de flammes, ma langue surtout en est cruellement tourmentée. » – Elle disparut, après avoir demandé des prières.

Saint Hugues de Cluni et l’infracteur du silence

Lorsque saint Hugues (29 avril), qui succéda en 1049 à saint Odilon, gouvernait le fervent monastère de Cluni, un de ses religieux qui avait été peu fidèle à la règle du silence, étant venu à mourir, apparut au saint Abbé pour implorer le secours de ses prières. Il avait la bouche remplie d’affreux ulcères, en punition, disait-il, de ses paroles oiseuses. – Hugues ordonna sept jours de silence à toute sa communauté. On les passa dans le recueillement et la prière. Alors le défunt apparut de nouveau, délivré de ses ulcères, le visage radieux, et témoignant sa reconnaissance pour le charitable secours qu’il avait reçu de ses frères. Si tel est le châtiment des paroles simplement oiseuses, quel sera celui des paroles plus coupables ?

Chapitre 38 – Matière des expiations

Manquements à la justice

Une foule de révélations nous montrent que Dieu punit avec une rigueur implacable tous les péchés contraires à la justice et à la charité. Et en matière de justice, il semble exiger que la réparation se fasse avant que la peine soit remise; comme, dans l’Église militante, ses ministres doivent exiger la restitution pour remettre la coulpe, selon l’axiome: Sans restitution point de rémission.

Le Père d’Espinoza et les payements

Le P. Rossignoli (Merv. 94) parle d’un religieux de sa compagnie, appelé Augustin d’Espinoza, dont la sainte vie n’était qu’un acte de dévouement continuel aux âmes du purgatoire. Un homme riche, qui se confessait à lui, étant mort sans avoir suffisamment réglé ses affaires, lui apparut, et lui demanda d’abord s’il le connaissait ? – « Sans doute, répondit le Père, je vous ai administré le sacrement de pénitence, peu de jours avant votre mort. – Sachez donc, ajouta le défunt, que je viens par grâce spéciale de Dieu vous conjurer d’apaiser sa justice, et de faire pour moi ce que je ne puis plus faire moi-même. Veuillez me suivre. »

Le Père va d’abord trouver son supérieur, lui rend compte de ce qu’on lui demande, et sollicite la permission de suivre son étrange visiteur. La permission obtenue, il sort et suit l’apparition qui, sans prononcer une parole, le mène jusqu’à l’un des ponts de la ville. Là elle prie le Père d’attendre un peu, s’éloigne et disparaît un moment, puis revient avec un sac d’argent qu’elle prie le père de porter, et tous deux rentrent dans la cellule du religieux. Alors le mort lui remet un billet écrit, et montrant l’argent: « Tout cela, dit-il, est à votre disposition. Ayez la charité d’en prendre pour satisfaire mes créanciers, dont les noms sont marqués sur ce billet, avec le montant de ce qui leur est dû. Veuillez prendre ensuite ce qui restera de la somme et l’employer en bonnes œuvres à votre choix, pour le repos de mon âme. » – A ces mots il disparut, et le Père se mit en devoir de remplir toutes ses intentions.

Huit jours s’étaient à peine écoulés qu’il se fit voir de nouveau au Père d’Espinoza. Il remercia cette fois le Père avec effusion: « Grâce à la charitable exactitude, lui dit-il, avec laquelle vous avez payé les dettes que j’avais laissées sur la terre, grâce aussi aux saintes messes que vous avez célébrées pour moi, je suis délivré de toutes mes peines, et admis dans l’éternelle béatitude. »

La Bienheureuse Marguerite de Cortone et les marchands assassinés

Nous trouvons un exemple du même genre dans la Vie de la Bienheureuse Marguerite de Cortone (Voir les Actes des Saints, 22 févr.). Cette illustre pénitente se distinguait aussi par sa charité envers les défunts, et ils lui apparaissaient en grand nombre pour implorer le secours de ses suffrages. Un jour entre autres elle vit devant elle deux voyageurs, qui la supplièrent de les aider à réparer des injustices restées à leur charge. « Nous sommes deux marchands, lui dirent-ils, qui avons été assassinés en chemin par des brigands. Nous n’avons pu nous confesser ni recevoir l’absolution de nos péchés; mais par la miséricorde du Sauveur et la clémence de sa sainte Mère, nous eûmes le temps de faire un acte de contrition parfaite, et nous fûmes sauvés. Mais nos tourments sont affreux au purgatoire, parce que dans l’exercice de notre profession nous avons commis beaucoup d’injustices. Tant que ces injustices ne sont pas réparées, nous n’aurons ni repos, ni soulagement. C’est pourquoi nous vous supplions, servante de Dieu, d’aller trouver tels et tels de nos parents et héritiers, pour les avertir de restituer au plus tôt tout l’argent que nous avons mal acquis. » – Ils donnèrent à la Bienheureuse les indications nécessaires et disparurent.

Chapitre 39 – Matière des expiations

Péchés contre la charité

Il a été dit plus haut que la divine justice se montre aussi particulièrement rigoureuse pour les péchés contraires à la charité du prochain. La charité est, en effet, la vertu qui tient le plus au cœur du divin Maître, et qu’il recommande à ses disciples comme devant les distinguer aux yeux de tous les hommes: La marque, dit-il, à laquelle on reconnaîtra que vous êtes mes vrais disciples, c’est la charité que vous aurez les uns pour les autres (Joan. XIII, 35). Il n’est donc pas étonnant que la dureté pour le prochain et tout autre manque de charité soient sévèrement punis dans l’autre vie.

La Bienheureuse Marguerite-Marie. – Deux personnes de condition dans les peines du purgatoire

En voici d’abord quelques preuves, tirées de l’Histoire de la Bienheureuse Marguerite-Marie. « J’ai appris de la sœur Marguerite, dit la mère Greffier dans son mémoire, qu’elle priait un jour pour deux personnes de grande considération dans le monde, qui venaient de mourir. Elle les vit toutes les deux en purgatoire: l’une lui fut montrée comme condamnée pour plusieurs années à ces peines, nonobstant les services solennels et le grand nombre de messes qu’on célébrait pour elle. Toutes ces prières et ces suffrages étaient appliqués par la divine justice aux âmes de quelques familles de ses sujets, qui avaient été ruinées par son défaut de charité et d’équité à leur égard. Comme il n’était rien resté à ces pauvres gens pour faire prier Dieu pour eux après leur mort, Dieu y suppléait, comme il vient d’être dit. – L’autre était en purgatoire pour autant de jours qu’elle avait vécu d’années sur la terre. Notre-Seigneur fit connaître à sœur Marguerite, qu’entre toutes les bonnes œuvres que cette personne avait faites, il avait eu particulièrement égard à la charité avec laquelle elle avait supporté les défauts du prochain et dissimulé les déplaisirs qu’on lui avait causés. »

Plusieurs âmes punies pour manque de concorde

Une autre fois Notre-Seigneur montra à la Bienheureuse Marguerite une quantité d’âmes du purgatoire, lesquelles pour avoir été désunies durant leur vie d’avec leurs Supérieurs, et pour avoir eu avec eux quelques mésintelligences, avaient été sévèrement punies, et privées après la mort, du secours de la sainte Vierge et des Saints, et de la visite de leurs anges gardiens. Plusieurs de ces âmes étaient destinées à rester longtemps dans d’horribles flammes. Quelques-unes même d’entre elles n’avaient point d’autres marques de leur prédestination que de ne point haïr Dieu. D’autres qui avaient été en Religion, et qui pendant leur vie avaient eu peu d’union et de charité pour leurs sœurs, étaient privées de leurs suffrages, et n’en recevaient aucun secours.

Ajoutons encore un extrait du mémoire de la Mère Greffier. « Il arriva, tandis que la sœur Marguerite priait pour deux religieuses décédées, que leurs âmes lui furent montrées dans les prisons de la divine justice: mais l’une souffrait des peines incomparablement plus grandes que l’autre. Celle-là se plaignait grandement d’elle-même, de ce que par ses défauts contraires à la mutuelle charité, et à la sainte amitié qui doit régner dans les communautés religieuses, elle s’était attirée entre autres punitions, de n’avoir point de part aux suffrages que la communauté offrait à Dieu pour elle; elle ne recevait de soulagement que des seules prières de trois ou quatre personnes de la même communauté, pour lesquelles elle avait eu pendant sa vie moins d’inclination et de penchant. Cette âme souffrante s’accusait encore de la trop grande facilité qu’elle avait eue à prendre des dispenses de la règle et des exercices communs. Enfin elle déplorait les soins qu’elle avait pris sur la terre pour procurer à son corps des soulagements et des commodités. – Elle fit connaître en même temps à notre chère sœur, que pour punition de ces trois défauts, elle avait pendant son agonie soufferte trois furieux assauts du démon; et que chaque fois se croyant perdue, elle s’était vue sur le point de tomber dans le désespoir; mais que la Sainte Vierge, à laquelle elle avait eu grande dévotion pendant sa vie, l’avait tirée toutes les trois fois des griffes de l’ennemi. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 34, 35, 36

Chapitre 34 – Matière des expiations

Négligence dans la sainte Communion – Louis de Blois

A la tiédeur se rattache la négligence à se préparer au banquet Eucharistique. Si l’Église ne cesse d’appeler ses enfants à la Table sainte, si elle désire qu’ils communient fréquemment, elle entend toujours qu’ils le fassent avec la piété et la ferveur que demande un si grand mystère. Toute négligence volontaire dans une action si sainte, est une offense à la sainteté de Jésus-Christ, offense qui devra être réparée par une juste expiation. Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel, parle d’un grand serviteur de Dieu, qui apprit par voie surnaturelle combien sévèrement ces sortes de fautes sont punies dans l’autre vie. Il reçut la visite d’une âme du purgatoire, implorant son secours au nom de l’amitié qui les avait unis autrefois: elle endurait, disait-elle, de cruels tourments pour la négligence avec laquelle elle s’était préparée à recevoir la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage. Elle ne pouvait être délivrée que par une communion fervente, qui compensât sa tiédeur passée. – Son ami s’empressa de la satisfaire, fit une communion avec toute la pureté de conscience, avec toute la foi, avec toute la dévotion possible; et alors il vit la sainte âme lui apparaître brillante d’un incomparable éclat, et montant au ciel (Merv. 44).

Sainte Madeleine de Pazzi et la défunte en adoration

L’an 1589, au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à Florence, mourut une religieuse très-estimée de ses sœurs; mais qui apparut bientôt à sainte Madeleine de Pazzi, pour implorer son secours dans le rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée. La sainte était en prière devant l’autel du Saint-Sacrement, lorsqu’elle aperçut la défunte agenouillée au milieu de l’église, dans l’acte d’une adoration profonde, et dans un état étrange. Elle avait autour d’elle un manteau de flammes qui semblaient la consumer; mais une robe blanche dont son corps était couvert, la protégeait en partie de l’action du feu. Madeleine étonnée, désira savoir ce que signifiait cette apparition, et il lui fut répondu que cette âme souffrait ainsi, pour avoir eu trop peu de dévotion envers l’auguste Sacrement: malgré les prescriptions et les saintes coutumes de son Ordre, elle n’avait communié que rarement et avec négligence; c’est pourquoi la divine justice l’avait condamnée à venir chaque jour adorer la sainte Eucharistie et subir le tourment du feu aux pieds de Jésus-Christ. Toutefois, en récompense de sa pureté virginale, représentée par la robe blanche, le divin Époux avait grandement mitigé ses souffrances.

Telle fut la connaissance que le Seigneur donna à sa servante. Elle en fut profondément touchée et s’efforça d’aider la pauvre âme par tous les suffrages en son pouvoir. Elle raconta souvent cette apparition, et s’en servit pour exhorter ses filles spirituelles au zèle pour la sainte communion (Cepari, Vie de sainte Mad. de Pazzi. Cf. Rossign. Merv. 84.).

Chapitre 35 – Matière des expiations

Manque de respect dans la prière. – La Mère Agnès de Jésus et la sœur Angélique

Nous devons traiter saintement les choses saintes: toute irrévérence dans les exercices religieux déplaît souverainement au Seigneur. Quand la vénérable Agnès de Langeac, dont nous avons parlé plus haut, était Prieure de son couvent, elle recommandait beaucoup à ses religieuses le respect et la ferveur dans tous leurs rapports avec Dieu, leur rappelant cette parole de l’Écriture: Maudit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – Une sœur de la communauté, appelée Angélique, vint à mourir et la pieuse Supérieure priait près de son tombeau, lorsqu’elle vit soudain devant elle la sœur défunte, en habit de religieuse; elle sentit en même temps comme une flamme ardente qu’on lui portait au visage. La sœur Angélique la remercia de ce qu’elle l’avait stimulée à la ferveur, et en particulier de ce que souvent pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole des saints Livres: Maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – « Continuez, ma Mère, ajouta-t-elle, à porter les sœurs à la ferveur: qu’elles le servent avec une diligence suprême et qu’elles l’aiment de tout leur cœur, de toute la puissance de leur âme. Si on pouvait comprendre combien rigoureux sont les tourments du purgatoire, on ne pourrait se laisser aller à la moindre négligence. »

L’avertissement qui précède regarde surtout les prêtres, dont les rapports avec Dieu sont continuels et plus sublimes: qu’ils s’en souviennent toujours et ne l’oublient jamais, soit qu’ils offrent à Dieu l’encens de la prière, soit qu’ils dispensent les trésors divins des sacrements, soit qu’ils célèbrent à l’autel les mystères du corps et du sang de Jésus-Christ. Voici ce que rapporte saint Pierre Damien, dans sa Lettre XIV à Desiderius (Cf. Merv. 37.).

Saint Séverin de Cologne

Saint Séverin, archevêque de Cologne (23 octobre), édifiait son église par l’exemple de toutes les vertus: sa vie tout apostolique, ses grands travaux pour l’accroissement du règne de Dieu dans les âmes, devaient lui mériter les honneurs de la canonisation. Néanmoins, après sa mort, il apparut à un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières. Comme ce digne prêtre ne pouvait comprendre qu’un saint prélat, tel qu’il avait connu Séverin, eût besoin de prières dans l’autre vie: « Il est vrai, répondit le défunt, Dieu m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps à sa vigne; mais je l’ai offensé souvent par la manière trop pressée dont j’ai récité le Saint-Office. Les affaires et les préoccupations de chaque jour m’absorbaient tellement, que lorsque venait l’heure de la prière, je m’acquittais de ce grand devoir sans assez de recueillement, et quelquefois à d’autres heures que celles fixées par l’Église. En ce moment j’expie ces infidélités, et Dieu me permet de venir réclamer vos prières. » – L’histoire ajoute que Séverin fut six mois au purgatoire pour cette seule faute.

La vénérable Françoise de Pampelune et les prêtres

La vénérable sœur Françoise de Pampelune, mentionnée plus haut, vit un jour au purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts étaient rongés d’ulcères hideux. Il était ainsi puni pour avoir fait à l’autel les signes de croix avec trop de légèreté, et sans la gravité nécessaire. – Elle disait que, pour l’ordinaire, les prêtres restent au purgatoire plus longtemps que les laïcs, et que l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Dieu lui fit connaître le sort de plusieurs prêtres défunts: l’un d’eux resta quarante ans dans les souffrances pour avoir laissé mourir, par sa négligence, une personne sans sacrements; un autre y resta quarante-cinq ans pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère; un Évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour avoir un peu ambitionné sa dignité; un autre, qui n’était pas si charitable, y demeura quarante ans pour la même cause (Vie de la vénérée Mère Françoise Cf. Merv. 26).

Dieu veut que nous le servions de tout notre cœur et que nous évitions, autant que le comporte la fragilité humaine, jusqu’aux moindres imperfections; mais le soin de lui plaire et la crainte de lui déplaire doivent être accompagnés d’une humble confiance en sa miséricorde. Jésus-Christ nous a recommandé d’écouter ceux qu’il a établis en sa place pour diriger nos âmes, comme nous l’écouterions lui-même, et d’acquiescer à la parole du supérieur ou du confesseur avec une entière confiance. Un excès de crainte devient alors une offense à sa miséricorde.

Le Père Streit S. J.

Le 12 novembre 1643 mourut au noviciat de Brünn en Bohême, le père Philippe Streit, de la Compagnie de Jésus, religieux d’une grande sainteté. Il faisait tous les jours l’examen de sa conscience avec le plus grand soin, et acquit par ce moyen une grande pureté d’âme. Quelques heures après sa mort, il apparut glorieux à un père de son Ordre, le vénérable Martin Strzeda: « Une seule faute, lui dit-il, l’empêcha de monter droit au ciel et le retint huit heures en purgatoire, ce fut de n’avoir pas cru avec un assez plein abandon, les paroles de son supérieur, qui, à son lit de mort, s’efforçait de calmer ses dernières inquiétudes de conscience, et dont il aurait dû regarder plus parfaitement l’assurance comme la voix même de Dieu. »

Chapitre 36 – Matière des expiations et châtiments

L’immortification des sens. – Le Père François d’Aix

Les chrétiens qui veulent éviter les rigueurs du purgatoire doivent aimer la mortification de leur divin Maître et se garder d’être des membres délicats sous un Chef couronné d’épines. Le 10 février de l’an 1656, dans la province de Lyon de la Compagnie de Jésus, le père François d’Aix passa à une vie meilleure. Il porta à un haut degré de perfection la pratique de toutes les vertus religieuses. Pénétré d’une profonde vénération envers la Très-Sainte Trinité, il avait pour intention particulière dans toutes ses oraisons et ses mortifications d’honorer cet auguste mystère. Son attrait particulier le portait à embrasser de préférence les œuvres pour lesquelles les autres montraient moins d’inclination. Il visitait souvent le Saint-Sacrement, même pendant la nuit, et ne retournait jamais de la porte à sa chambre sans aller faire une prière au pied de l’autel. Ses pénitences, en quelque sorte excessives, lui firent donner le nom d’homme de douleurs. Il répondit à quelqu’un qui l’engageait à les modérer: Le jour que j’aurais passé sans répandre quelques gouttes de mon sang pour l’offrir au Seigneur, serait pour moi plus pénible que la plus rude mortification. Puisque je ne puis espérer de souffrir le martyre pour l’amour de Jésus-Christ, je veux au moins avoir quelque part à ses douleurs.

Un autre religieux, Frère coadjuteur du même Ordre, n’imitait pas l’exemple du père d’Aix. Il n’aimait guère la mortification, cherchait au contraire ses aises, ses commodités et tout ce qui flattait les sens. Ce Frère étant venu à mourir, apparut au père d’Aix, quelques jours après sa mort, le corps couvert d’un affreux cilice et souffrant de grands tourments, en punition des fautes de sensualité qu’il avait commises dans le cours de sa vie. Il réclama le secours de ses prières et disparut aussitôt.

Immortification de la langue

Un autre défaut, dont on doit bien se garder parce qu’on y tombe facilement, c’est l’immortification de la langue. Oh ! qu’il est facile de faillir dans les paroles ! Qu’il est rare de parler longtemps sans proférer quelques mots contraires à la douceur, à l’humilité, à la sincérité, à la charité chrétienne ! Les personnes pieuses même sont souvent sujettes à ces fautes: quand elles ont échappé à toutes les autres ruses du démon, elles se laissent prendre, dit saint Jérôme, dans un dernier piège, la médisance. Écoutons ce que rapporte Vincent de Beauvais (Specul. historiale 1. 26. c. 5. Cf. Merv. 37).

Durand

Lorsque le célèbre Durand, qui, au onzième siècle, illustra l’Ordre de saint Benoît, était encore simple religieux, il se montrait un modèle de régularité et de ferveur; mais il avait un défaut. La vivacité de son esprit le portait à trop parler: il aimait à l’excès le mot pour rire, souvent aux dépens de la charité. Hugues, son abbé, lui fit des représentations à cet égard, lui prédisant même, que, s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à souffrir dans le purgatoire de ces jovialités déplacées.

Durand n’attacha pas assez d’importance à ces avis, et continua à s’abandonner sans beaucoup de retenue au dérèglement de sa langue. Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues se réalisa. Durand apparut à un religieux de ses amis, le suppliant de l’aider de ses prières, parce qu’il était cruellement puni de l’intempérance de son langage. A la suite de cette apparition, la communauté se réunit, on convint de garder, pendant huit jours, un rigoureux silence, et de pratiquer d’autres bonnes œuvres, pour soulager le défunt. Ces charitables prières produisirent leur effet: à quelque temps de là, Durand apparut de nouveau pour annoncer sa délivrance.