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Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 40, 41

Chapitre 40 – Matière des expiations

Manque de charité et de respect envers le prochain

La vraie charité est humble et s’incline devant ses frères, les respectant tous comme s’ils lui étaient supérieurs. Ses paroles toujours amicales et pleines d’égards pour tout le monde, n’ont rien d’amer ni de froid, rien qui sente le mépris, parce qu’elles coulent d’un cœur doux et humble, comme celui de Jésus. Elle évite aussi avec soin tout ce qui pourrait troubler l’union; et si quelque différend se produit, elle fait toutes les démarches, tous les sacrifices, pour amener la réconciliation, selon cette parole du divin Maître: Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre offrande devant l’autel, et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, et alors vous viendrez présenter votre offrande (Matth. V, 23).

Saint Louis Bertrand et le défunt demandant pardon

Un religieux ayant blessé la charité à l’égard de saint Louis Bertrand, en reçut après sa mort un châtiment terrible. Il fut plongé dans le feu du purgatoire, qu’il dut subir jusqu’à ce que la justice divine fût satisfaite; de plus, il ne put être admis au séjour des élus avant d’avoir accompli un acte extérieur de réparation, qui servit d’exemple aux vivants. Voici comment le fait est rapporté dans la Vie du saint (Acta Sanctor. 10 octob).

Quand saint Louis Bertrand, de l’Ordre de saint Dominique, résidait au couvent de Valence, il y avait dans la communauté un jeune religieux, qui attachait trop d’importance à la science humaine. Sans doute, les lettres et l’érudition ont leur prix, mais, comme le Saint-Esprit le déclare, elles le cèdent à la crainte de Dieu et à la science des saints: Non super timentem Dominum (Eccli. XXV, 13). Cette science des saints que l’éternelle sagesse est venue nous enseigner, consiste dans l’humilité et la charité. Or le jeune religieux, dont nous parlons, encore peu avancé dans cette divine science, se permit de reprocher au Père Louis son peu de savoir, et de lui dire: On le voit, mon Père, vous n’êtes pas bien savant ! – Mon frère, répondit le Saint avec une douce fermeté, Lucifer a été fort savant et il n’en est pas moins réprouvé.

Le Frère qui avait commis cette faute ne songea pas à la réparer. Cependant il n’était pas un mauvais religieux; et à quelque temps de là, étant tombé malade, il reçut fort bien tous les sacrements et mourut dans la paix du Seigneur. Un temps assez considérable s’écoula, pendant lequel saint Louis fut nommé Prieur. Alors, étant resté dans le chœur après matines, le défunt lui apparut environné de flammes, et s’inclinant humblement devant lui, il lui dit: « Mon père, pardonnez-moi les paroles blessantes que je vous ai adressées autrefois. Dieu ne permet pas que je voie sa face avant que vous ne m’ayez pardonné cette faute et célébré ensuite pour moi le saint sacrifice de la Messe. » – Le Saint lui pardonna volontiers et offrit le lendemain la Messe pour lui. La nuit suivante, se trouvant encore dans le chœur, il vit de nouveau le défunt lui apparaître, mais glorieux et allant au ciel.

Le Père Nieremberg

Le Père Eusèbe Nieremberg, religieux de la Compagnie de Jésus, auteur du beau livre Différence entre le temps et l’éternité, résidait au collège de Madrid, où il mourut en odeur de sainteté en 1658. Ce serviteur de Dieu, singulièrement dévot aux âmes du purgatoire, priait un jour avec ferveur dans l’église du collège pour un Père récemment décédé. Le défunt qui avait longtemps professé la théologie, ne s’était pas montré moins bon religieux que savant théologien: il avait eu surtout une grande dévotion à la Sainte Vierge; mais un vice s’était mêlé à ses vertus: il manquait de charité dans ses paroles et parlait fréquemment des défauts du prochain.

Or, comme le P. Nieremberg recommandait son âme à Dieu, ce religieux lui apparut et lui révéla son état. Il était livré à de rudes tourments pour avoir souvent parlé contre la charité. Sa langue, en particulier, instrument de ses fautes, était tourmentée par un feu cuisant. La Sainte Vierge, en récompense de la tendre dévotion qu’il avait eue pour elle, lui avait obtenu de venir solliciter des prières; il devait en même temps servir d’exemple à ses frères, pour leur apprendre à veiller avec soin sur toutes leurs paroles. – Le Père Nieremberg ayant prié et fait beaucoup de pénitences pour lui, obtint enfin sa délivrance (Vie du P. Nieremberg).

La Bienheureuse Marguerite-Marie et le religieux Bénédictin.

Le religieux dont il est parlé dans la Vie de la bienheureuse Marguerite, et pour qui cette servante de Dieu souffrit si cruellement pendant trois mois, était aussi puni, entre autres fautes, pour ses péchés contre la charité. Voici comment eut lieu cette révélation.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, lisons-nous dans sa Vie, étant une fois devant le Saint-Sacrement, tout à coup se présenta à elle un homme totalement en feu, et dont les ardeurs la pénétrèrent si fort qu’elle se sentait comme brûler avec lui. L’état pitoyable où elle vit ce défunt lui fit verser des larmes. C’était un religieux bénédictin de la congrégation de Cluni, à qui elle s’était confessée autrefois et qui avait fait du bien à son âme en lui ordonnant de communier. En récompense de ce service, Dieu lui avait permis de s’adresser à elle pour trouver du soulagement dans ses peines.

Le pauvre défunt lui demanda que durant l’espace de trois mois, tout ce qu’elle ferait ou souffrirait lui fût appliqué: elle le lui promit, après en avoir demandé la permission. – Il lui dit alors, que la première cause de ses grandes souffrances était d’avoir cherché son propre intérêt avant la gloire de Dieu et le bien des âmes, par trop d’attache à sa réputation. La seconde, ses manques de charité envers ses frères. La troisième, l’affection naturelle pour les créatures, à laquelle il avait eu la faiblesse de céder, et dont il leur avait donné des témoignages dans les entretiens spirituels, ce qui, ajoutait-il déplaisait beaucoup à Dieu.

Il est difficile de dire tout ce que la Bienheureuse eut à souffrir, l’espace des trois mois qui suivirent. Le défunt ne la quittait pas: du côté où il était, elle se sentait tout en feu, avec de si vives douleurs qu’elle en pleurait toujours. Sa Supérieure, touchée de compassion, lui ordonnait des pénitences et des disciplines, parce que les peines et les souffrances qu’on lui accordait, la soulageaient beaucoup. Les tourments, disait-elle, que la sainteté de Dieu imprimait en elle, étaient insupportables. C’était un échantillon de ce qu’endurent les âmes.

Chapitre 41 – Matière des expiations

Abus de la grâce

Il est un autre dérèglement de l’âme que Dieu punit sévèrement en purgatoire, savoir l’abus de la grâce. On entend par là le manque de correspondance aux secours que Dieu nous accorde et aux invitations qu’il nous fait pour la pratique du bien, pour la sanctification de nos âmes. Cette grâce qu’il nous présente est un don précieux, qu’on ne peut laisser tomber par terre, c’est une semence de salut et de mérite qu’il n’est pas permis de rendre stérile. Or on commet cette faute, quand on ne répond pas avec générosité à l’invitation divine. J’ai reçu de Dieu les moyens de faire l’aumône: une voix intérieure m’invite à la faire; je ferme mon cœur, ou je ne donne que d’une main avare: c’est un abus de grâce. – Je puis entendre la messe, assister au sermon, fréquenter les sacrements: une voix intérieure m’y invite; mais je ne veux pas m’en donner la peine: c’est un abus de grâce. – Une personne religieuse doit être obéissante, humble, mortifiée, dévouée à ses devoirs: Dieu le demande et lui en donne la force en vertu de sa vocation; elle ne s’y applique pas, elle ne travaille pas à se vaincre pour coopérer avec le secours que Dieu lui offre: c’est un abus de grâce.

Sainte Madeleine de Pazzi et la religieuse défunte

Or ce péché, disons-nous, est rigoureusement puni au purgatoire. Sainte Madeleine de Pazzi nous apprend, qu’une de ses sœurs en religion eut beaucoup à souffrir après la mort pour n’avoir pas correspondu à la grâce en trois occasions. Il lui était arrivé, un jour de fête, de sentir l’envie de faire un petit travail: il ne s’agissait que d’un ouvrage de femme, mais il n’était pas nécessaire et il convenait de le remettre à un autre moment. L’inspiration de la grâce lui disait de s’en abstenir, par respect pour la sainteté du jour; mais elle préféra satisfaire l’envie naturelle qu’elle avait de faire cet ouvrage, sous prétexte que c’était une chose légère. – Une autre fois, ayant remarqué qu’un point d’observance était oublié, et qu’en le faisant connaître à ses supérieurs il en résulterait un bien pour la communauté, elle omit d’en parler. L’inspiration de la grâce lui disait d’accomplir cet acte de charité, mais le respect humain l’empêcha de le faire. – Une troisième faute fut un attachement déréglé pour les siens qui étaient dans le monde. Comme épouse de Jésus-Christ, elle devait toutes ses affections à ce divin Époux; mais elle partageait son cœur en s’occupant trop des membres de sa famille. Quoiqu’elle sentît que sa conduite à cet égard était défectueuse, elle n’obéit pas à ce mouvement de la grâce et ne travailla pas sérieusement à se corriger.

Cette sœur, d’ailleurs fort édifiante, étant venue à mourir, Madeleine pria pour elle avec sa ferveur ordinaire. Seize jours se passèrent et elle apparut à la Sainte, lui annonçant sa délivrance. Comme Madeleine s’étonnait de ce qu’elle avait été si longtemps dans les tourments, elle lui fit connaître qu’elle avait dû expier son abus de la grâce dans les trois cas dont nous avons parlé; et elle ajouta que ces fautes l’auraient retenue plus longtemps dans les supplices, si Dieu n’avait eu égard à un côté plus satisfaisant de sa conduite: il avait abrégé ses peines à raison de sa fidélité à garder la règle, de sa pureté d’intention, et de sa charité envers ses sœurs (Cépari, Vie de sainte Madeleine de Pazzi).

Ceux qui ont eu plus de grâces en ce monde et plus de moyens d’acquitter leurs dettes spirituelles, seront traités au purgatoire avec moins d’indulgence, que d’autres qui ont eu moins de facilité à satisfaire pendant la vie.

La Bienheureuse Marguerite et les trois âmes en purgatoire.

La Bienheureuse Marguerite-Marie, ayant appris la mort de trois personnes récemment décédées, deux religieuses et une séculière, se mit aussitôt à prier pour le repos de leurs âmes. C’était le premier jour de l’an. Notre-Seigneur touché de sa charité et usant d’une familiarité ineffable, daigna lui apparaître; et les lui montrant toutes les trois dans ces prisons de feu où elles gémissaient, lui dit: « Ma fille, pour vos étrennes, je vous accorde la délivrance d’une de ces trois âmes, et je vous laisse le choix. Laquelle voulez-vous que je délivre ? – Qui suis-je, Seigneur, répondit-elle, pour désigner celle qui mérite la préférence ? Daignez faire vous-même le choix. » – Alors Notre-Seigneur délivra la séculière, disant, qu’il avait moins de peine à voir souffrir des personnes religieuses, parce qu’elles avaient eu plus de moyens d’expier leurs péchés pendant la vie.v

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 37, 38, 39

Chapitre 37 – Matière des expiations

Intempérance de la langue. – Le religieux dominicain

Nous venons de voir comment on expie en purgatoire l’inconsidération dans les paroles. Le P. Rossignoli parle d’un religieux Dominicain qui encourut les châtiments de la divine justice pour un défaut semblable. Ce religieux, prédicateur plein de zèle, une gloire de son Ordre, apparut après sa mort à un de ses frères à Cologne: il était couvert de vêtements magnifiques, portait une couronne d’or sur la tête; mais sa langue était cruellement tourmentée. Ces ornements représentaient la récompense de son zèle pour les âmes, et de sa parfaite exactitude pour tous les points de sa règle. Cependant sa langue endurait des tourments, parce qu’il n’avait pas assez veillé sur ses paroles, et que son langage n’avait pas toujours été digne des lèvres sacrées d’un prêtre et d’un religieux.

Les sœurs Gertrude et Marguerite

Le trait suivant est tiré de Césaire (Dial. de miraculis). Dans un monastère de l’Ordre de Citeaux, dit cet auteur, vivaient deux jeunes religieuses, nommées sœur Gertrude et sœur Marguerite. La première, quoique d’ailleurs vertueuse, ne veillait pas suffisamment sur sa langue, elle se permettait fréquemment de manquer au silence prescrit, quelquefois même dans le chœur, avant et après l’office. Au lieu de se recueillir avec respect dans le lieu saint et de préparer son cœur à la prière, elle se dissipait en adressant à sœur Marguerite placée à côté d’elle, des paroles inutiles; en sorte que, outre la violation de sa règle et le manque de piété, elle était pour sa compagne un sujet de scandale. Elle mourut étant encore jeune; et voilà que peu de temps après sa mort, sœur Marguerite venant à l’office, la voit venir aussi et s’asseoir dans la stalle qu’elle occupait de son vivant.

A cette vue, la sœur fut près de défaillir. Quand elle eut bien repris ses sens elle raconta à sa Supérieure ce qu’elle venait de voir. La Supérieure lui dit de ne pas se troubler; mais, si la défunte reparaissait, de lui demander au nom du Seigneur le sujet de sa venue.

Elle reparut en effet le lendemain, de la même manière, et, selon l’ordre de la prieure, Marguerite lui dit: « Ma chère sœur Gertrude, d’où venez-vous et que voulez-vous ? – «Je viens, dit-elle, satisfaire à la justice de Dieu dans le lieu où j’ai péché. C’est ici, dans ce lieu saint, consacré à la prière, que j’ai offensé Dieu par des paroles inutiles et contraires au respect religieux, par la mauvaise édification que j’ai donnée à la communauté, et par le scandale que je vous ai donné, à vous en particulier. Oh ! si vous saviez, ajouta-t-elle, ce que je souffre: je suis toute dévorée de flammes, ma langue surtout en est cruellement tourmentée. » – Elle disparut, après avoir demandé des prières.

Saint Hugues de Cluni et l’infracteur du silence

Lorsque saint Hugues (29 avril), qui succéda en 1049 à saint Odilon, gouvernait le fervent monastère de Cluni, un de ses religieux qui avait été peu fidèle à la règle du silence, étant venu à mourir, apparut au saint Abbé pour implorer le secours de ses prières. Il avait la bouche remplie d’affreux ulcères, en punition, disait-il, de ses paroles oiseuses. – Hugues ordonna sept jours de silence à toute sa communauté. On les passa dans le recueillement et la prière. Alors le défunt apparut de nouveau, délivré de ses ulcères, le visage radieux, et témoignant sa reconnaissance pour le charitable secours qu’il avait reçu de ses frères. Si tel est le châtiment des paroles simplement oiseuses, quel sera celui des paroles plus coupables ?

Chapitre 38 – Matière des expiations

Manquements à la justice

Une foule de révélations nous montrent que Dieu punit avec une rigueur implacable tous les péchés contraires à la justice et à la charité. Et en matière de justice, il semble exiger que la réparation se fasse avant que la peine soit remise; comme, dans l’Église militante, ses ministres doivent exiger la restitution pour remettre la coulpe, selon l’axiome: Sans restitution point de rémission.

Le Père d’Espinoza et les payements

Le P. Rossignoli (Merv. 94) parle d’un religieux de sa compagnie, appelé Augustin d’Espinoza, dont la sainte vie n’était qu’un acte de dévouement continuel aux âmes du purgatoire. Un homme riche, qui se confessait à lui, étant mort sans avoir suffisamment réglé ses affaires, lui apparut, et lui demanda d’abord s’il le connaissait ? – « Sans doute, répondit le Père, je vous ai administré le sacrement de pénitence, peu de jours avant votre mort. – Sachez donc, ajouta le défunt, que je viens par grâce spéciale de Dieu vous conjurer d’apaiser sa justice, et de faire pour moi ce que je ne puis plus faire moi-même. Veuillez me suivre. »

Le Père va d’abord trouver son supérieur, lui rend compte de ce qu’on lui demande, et sollicite la permission de suivre son étrange visiteur. La permission obtenue, il sort et suit l’apparition qui, sans prononcer une parole, le mène jusqu’à l’un des ponts de la ville. Là elle prie le Père d’attendre un peu, s’éloigne et disparaît un moment, puis revient avec un sac d’argent qu’elle prie le père de porter, et tous deux rentrent dans la cellule du religieux. Alors le mort lui remet un billet écrit, et montrant l’argent: « Tout cela, dit-il, est à votre disposition. Ayez la charité d’en prendre pour satisfaire mes créanciers, dont les noms sont marqués sur ce billet, avec le montant de ce qui leur est dû. Veuillez prendre ensuite ce qui restera de la somme et l’employer en bonnes œuvres à votre choix, pour le repos de mon âme. » – A ces mots il disparut, et le Père se mit en devoir de remplir toutes ses intentions.

Huit jours s’étaient à peine écoulés qu’il se fit voir de nouveau au Père d’Espinoza. Il remercia cette fois le Père avec effusion: « Grâce à la charitable exactitude, lui dit-il, avec laquelle vous avez payé les dettes que j’avais laissées sur la terre, grâce aussi aux saintes messes que vous avez célébrées pour moi, je suis délivré de toutes mes peines, et admis dans l’éternelle béatitude. »

La Bienheureuse Marguerite de Cortone et les marchands assassinés

Nous trouvons un exemple du même genre dans la Vie de la Bienheureuse Marguerite de Cortone (Voir les Actes des Saints, 22 févr.). Cette illustre pénitente se distinguait aussi par sa charité envers les défunts, et ils lui apparaissaient en grand nombre pour implorer le secours de ses suffrages. Un jour entre autres elle vit devant elle deux voyageurs, qui la supplièrent de les aider à réparer des injustices restées à leur charge. « Nous sommes deux marchands, lui dirent-ils, qui avons été assassinés en chemin par des brigands. Nous n’avons pu nous confesser ni recevoir l’absolution de nos péchés; mais par la miséricorde du Sauveur et la clémence de sa sainte Mère, nous eûmes le temps de faire un acte de contrition parfaite, et nous fûmes sauvés. Mais nos tourments sont affreux au purgatoire, parce que dans l’exercice de notre profession nous avons commis beaucoup d’injustices. Tant que ces injustices ne sont pas réparées, nous n’aurons ni repos, ni soulagement. C’est pourquoi nous vous supplions, servante de Dieu, d’aller trouver tels et tels de nos parents et héritiers, pour les avertir de restituer au plus tôt tout l’argent que nous avons mal acquis. » – Ils donnèrent à la Bienheureuse les indications nécessaires et disparurent.

Chapitre 39 – Matière des expiations

Péchés contre la charité

Il a été dit plus haut que la divine justice se montre aussi particulièrement rigoureuse pour les péchés contraires à la charité du prochain. La charité est, en effet, la vertu qui tient le plus au cœur du divin Maître, et qu’il recommande à ses disciples comme devant les distinguer aux yeux de tous les hommes: La marque, dit-il, à laquelle on reconnaîtra que vous êtes mes vrais disciples, c’est la charité que vous aurez les uns pour les autres (Joan. XIII, 35). Il n’est donc pas étonnant que la dureté pour le prochain et tout autre manque de charité soient sévèrement punis dans l’autre vie.

La Bienheureuse Marguerite-Marie. – Deux personnes de condition dans les peines du purgatoire

En voici d’abord quelques preuves, tirées de l’Histoire de la Bienheureuse Marguerite-Marie. « J’ai appris de la sœur Marguerite, dit la mère Greffier dans son mémoire, qu’elle priait un jour pour deux personnes de grande considération dans le monde, qui venaient de mourir. Elle les vit toutes les deux en purgatoire: l’une lui fut montrée comme condamnée pour plusieurs années à ces peines, nonobstant les services solennels et le grand nombre de messes qu’on célébrait pour elle. Toutes ces prières et ces suffrages étaient appliqués par la divine justice aux âmes de quelques familles de ses sujets, qui avaient été ruinées par son défaut de charité et d’équité à leur égard. Comme il n’était rien resté à ces pauvres gens pour faire prier Dieu pour eux après leur mort, Dieu y suppléait, comme il vient d’être dit. – L’autre était en purgatoire pour autant de jours qu’elle avait vécu d’années sur la terre. Notre-Seigneur fit connaître à sœur Marguerite, qu’entre toutes les bonnes œuvres que cette personne avait faites, il avait eu particulièrement égard à la charité avec laquelle elle avait supporté les défauts du prochain et dissimulé les déplaisirs qu’on lui avait causés. »

Plusieurs âmes punies pour manque de concorde

Une autre fois Notre-Seigneur montra à la Bienheureuse Marguerite une quantité d’âmes du purgatoire, lesquelles pour avoir été désunies durant leur vie d’avec leurs Supérieurs, et pour avoir eu avec eux quelques mésintelligences, avaient été sévèrement punies, et privées après la mort, du secours de la sainte Vierge et des Saints, et de la visite de leurs anges gardiens. Plusieurs de ces âmes étaient destinées à rester longtemps dans d’horribles flammes. Quelques-unes même d’entre elles n’avaient point d’autres marques de leur prédestination que de ne point haïr Dieu. D’autres qui avaient été en Religion, et qui pendant leur vie avaient eu peu d’union et de charité pour leurs sœurs, étaient privées de leurs suffrages, et n’en recevaient aucun secours.

Ajoutons encore un extrait du mémoire de la Mère Greffier. « Il arriva, tandis que la sœur Marguerite priait pour deux religieuses décédées, que leurs âmes lui furent montrées dans les prisons de la divine justice: mais l’une souffrait des peines incomparablement plus grandes que l’autre. Celle-là se plaignait grandement d’elle-même, de ce que par ses défauts contraires à la mutuelle charité, et à la sainte amitié qui doit régner dans les communautés religieuses, elle s’était attirée entre autres punitions, de n’avoir point de part aux suffrages que la communauté offrait à Dieu pour elle; elle ne recevait de soulagement que des seules prières de trois ou quatre personnes de la même communauté, pour lesquelles elle avait eu pendant sa vie moins d’inclination et de penchant. Cette âme souffrante s’accusait encore de la trop grande facilité qu’elle avait eue à prendre des dispenses de la règle et des exercices communs. Enfin elle déplorait les soins qu’elle avait pris sur la terre pour procurer à son corps des soulagements et des commodités. – Elle fit connaître en même temps à notre chère sœur, que pour punition de ces trois défauts, elle avait pendant son agonie soufferte trois furieux assauts du démon; et que chaque fois se croyant perdue, elle s’était vue sur le point de tomber dans le désespoir; mais que la Sainte Vierge, à laquelle elle avait eu grande dévotion pendant sa vie, l’avait tirée toutes les trois fois des griffes de l’ennemi. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 34, 35, 36

Chapitre 34 – Matière des expiations

Négligence dans la sainte Communion – Louis de Blois

A la tiédeur se rattache la négligence à se préparer au banquet Eucharistique. Si l’Église ne cesse d’appeler ses enfants à la Table sainte, si elle désire qu’ils communient fréquemment, elle entend toujours qu’ils le fassent avec la piété et la ferveur que demande un si grand mystère. Toute négligence volontaire dans une action si sainte, est une offense à la sainteté de Jésus-Christ, offense qui devra être réparée par une juste expiation. Le vénérable Louis de Blois, dans son Miroir spirituel, parle d’un grand serviteur de Dieu, qui apprit par voie surnaturelle combien sévèrement ces sortes de fautes sont punies dans l’autre vie. Il reçut la visite d’une âme du purgatoire, implorant son secours au nom de l’amitié qui les avait unis autrefois: elle endurait, disait-elle, de cruels tourments pour la négligence avec laquelle elle s’était préparée à recevoir la sainte Eucharistie, pendant les jours de son pèlerinage. Elle ne pouvait être délivrée que par une communion fervente, qui compensât sa tiédeur passée. – Son ami s’empressa de la satisfaire, fit une communion avec toute la pureté de conscience, avec toute la foi, avec toute la dévotion possible; et alors il vit la sainte âme lui apparaître brillante d’un incomparable éclat, et montant au ciel (Merv. 44).

Sainte Madeleine de Pazzi et la défunte en adoration

L’an 1589, au monastère de Sainte-Marie-des-Anges à Florence, mourut une religieuse très-estimée de ses sœurs; mais qui apparut bientôt à sainte Madeleine de Pazzi, pour implorer son secours dans le rigoureux purgatoire auquel elle était condamnée. La sainte était en prière devant l’autel du Saint-Sacrement, lorsqu’elle aperçut la défunte agenouillée au milieu de l’église, dans l’acte d’une adoration profonde, et dans un état étrange. Elle avait autour d’elle un manteau de flammes qui semblaient la consumer; mais une robe blanche dont son corps était couvert, la protégeait en partie de l’action du feu. Madeleine étonnée, désira savoir ce que signifiait cette apparition, et il lui fut répondu que cette âme souffrait ainsi, pour avoir eu trop peu de dévotion envers l’auguste Sacrement: malgré les prescriptions et les saintes coutumes de son Ordre, elle n’avait communié que rarement et avec négligence; c’est pourquoi la divine justice l’avait condamnée à venir chaque jour adorer la sainte Eucharistie et subir le tourment du feu aux pieds de Jésus-Christ. Toutefois, en récompense de sa pureté virginale, représentée par la robe blanche, le divin Époux avait grandement mitigé ses souffrances.

Telle fut la connaissance que le Seigneur donna à sa servante. Elle en fut profondément touchée et s’efforça d’aider la pauvre âme par tous les suffrages en son pouvoir. Elle raconta souvent cette apparition, et s’en servit pour exhorter ses filles spirituelles au zèle pour la sainte communion (Cepari, Vie de sainte Mad. de Pazzi. Cf. Rossign. Merv. 84.).

Chapitre 35 – Matière des expiations

Manque de respect dans la prière. – La Mère Agnès de Jésus et la sœur Angélique

Nous devons traiter saintement les choses saintes: toute irrévérence dans les exercices religieux déplaît souverainement au Seigneur. Quand la vénérable Agnès de Langeac, dont nous avons parlé plus haut, était Prieure de son couvent, elle recommandait beaucoup à ses religieuses le respect et la ferveur dans tous leurs rapports avec Dieu, leur rappelant cette parole de l’Écriture: Maudit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – Une sœur de la communauté, appelée Angélique, vint à mourir et la pieuse Supérieure priait près de son tombeau, lorsqu’elle vit soudain devant elle la sœur défunte, en habit de religieuse; elle sentit en même temps comme une flamme ardente qu’on lui portait au visage. La sœur Angélique la remercia de ce qu’elle l’avait stimulée à la ferveur, et en particulier de ce que souvent pendant sa vie, elle lui avait répété cette parole des saints Livres: Maudit soit celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ! – « Continuez, ma Mère, ajouta-t-elle, à porter les sœurs à la ferveur: qu’elles le servent avec une diligence suprême et qu’elles l’aiment de tout leur cœur, de toute la puissance de leur âme. Si on pouvait comprendre combien rigoureux sont les tourments du purgatoire, on ne pourrait se laisser aller à la moindre négligence. »

L’avertissement qui précède regarde surtout les prêtres, dont les rapports avec Dieu sont continuels et plus sublimes: qu’ils s’en souviennent toujours et ne l’oublient jamais, soit qu’ils offrent à Dieu l’encens de la prière, soit qu’ils dispensent les trésors divins des sacrements, soit qu’ils célèbrent à l’autel les mystères du corps et du sang de Jésus-Christ. Voici ce que rapporte saint Pierre Damien, dans sa Lettre XIV à Desiderius (Cf. Merv. 37.).

Saint Séverin de Cologne

Saint Séverin, archevêque de Cologne (23 octobre), édifiait son église par l’exemple de toutes les vertus: sa vie tout apostolique, ses grands travaux pour l’accroissement du règne de Dieu dans les âmes, devaient lui mériter les honneurs de la canonisation. Néanmoins, après sa mort, il apparut à un des chanoines de sa cathédrale pour demander des prières. Comme ce digne prêtre ne pouvait comprendre qu’un saint prélat, tel qu’il avait connu Séverin, eût besoin de prières dans l’autre vie: « Il est vrai, répondit le défunt, Dieu m’a fait la grâce de le servir de tout mon cœur, et de travailler longtemps à sa vigne; mais je l’ai offensé souvent par la manière trop pressée dont j’ai récité le Saint-Office. Les affaires et les préoccupations de chaque jour m’absorbaient tellement, que lorsque venait l’heure de la prière, je m’acquittais de ce grand devoir sans assez de recueillement, et quelquefois à d’autres heures que celles fixées par l’Église. En ce moment j’expie ces infidélités, et Dieu me permet de venir réclamer vos prières. » – L’histoire ajoute que Séverin fut six mois au purgatoire pour cette seule faute.

La vénérable Françoise de Pampelune et les prêtres

La vénérable sœur Françoise de Pampelune, mentionnée plus haut, vit un jour au purgatoire un pauvre prêtre dont les doigts étaient rongés d’ulcères hideux. Il était ainsi puni pour avoir fait à l’autel les signes de croix avec trop de légèreté, et sans la gravité nécessaire. – Elle disait que, pour l’ordinaire, les prêtres restent au purgatoire plus longtemps que les laïcs, et que l’intensité de leurs tourments est proportionnée à leur dignité. Dieu lui fit connaître le sort de plusieurs prêtres défunts: l’un d’eux resta quarante ans dans les souffrances pour avoir laissé mourir, par sa négligence, une personne sans sacrements; un autre y resta quarante-cinq ans pour avoir rempli avec une certaine légèreté les sublimes fonctions de son ministère; un Évêque, que sa libéralité avait fait surnommer l’aumônier, y demeura cinq ans pour avoir un peu ambitionné sa dignité; un autre, qui n’était pas si charitable, y demeura quarante ans pour la même cause (Vie de la vénérée Mère Françoise Cf. Merv. 26).

Dieu veut que nous le servions de tout notre cœur et que nous évitions, autant que le comporte la fragilité humaine, jusqu’aux moindres imperfections; mais le soin de lui plaire et la crainte de lui déplaire doivent être accompagnés d’une humble confiance en sa miséricorde. Jésus-Christ nous a recommandé d’écouter ceux qu’il a établis en sa place pour diriger nos âmes, comme nous l’écouterions lui-même, et d’acquiescer à la parole du supérieur ou du confesseur avec une entière confiance. Un excès de crainte devient alors une offense à sa miséricorde.

Le Père Streit S. J.

Le 12 novembre 1643 mourut au noviciat de Brünn en Bohême, le père Philippe Streit, de la Compagnie de Jésus, religieux d’une grande sainteté. Il faisait tous les jours l’examen de sa conscience avec le plus grand soin, et acquit par ce moyen une grande pureté d’âme. Quelques heures après sa mort, il apparut glorieux à un père de son Ordre, le vénérable Martin Strzeda: « Une seule faute, lui dit-il, l’empêcha de monter droit au ciel et le retint huit heures en purgatoire, ce fut de n’avoir pas cru avec un assez plein abandon, les paroles de son supérieur, qui, à son lit de mort, s’efforçait de calmer ses dernières inquiétudes de conscience, et dont il aurait dû regarder plus parfaitement l’assurance comme la voix même de Dieu. »

Chapitre 36 – Matière des expiations et châtiments

L’immortification des sens. – Le Père François d’Aix

Les chrétiens qui veulent éviter les rigueurs du purgatoire doivent aimer la mortification de leur divin Maître et se garder d’être des membres délicats sous un Chef couronné d’épines. Le 10 février de l’an 1656, dans la province de Lyon de la Compagnie de Jésus, le père François d’Aix passa à une vie meilleure. Il porta à un haut degré de perfection la pratique de toutes les vertus religieuses. Pénétré d’une profonde vénération envers la Très-Sainte Trinité, il avait pour intention particulière dans toutes ses oraisons et ses mortifications d’honorer cet auguste mystère. Son attrait particulier le portait à embrasser de préférence les œuvres pour lesquelles les autres montraient moins d’inclination. Il visitait souvent le Saint-Sacrement, même pendant la nuit, et ne retournait jamais de la porte à sa chambre sans aller faire une prière au pied de l’autel. Ses pénitences, en quelque sorte excessives, lui firent donner le nom d’homme de douleurs. Il répondit à quelqu’un qui l’engageait à les modérer: Le jour que j’aurais passé sans répandre quelques gouttes de mon sang pour l’offrir au Seigneur, serait pour moi plus pénible que la plus rude mortification. Puisque je ne puis espérer de souffrir le martyre pour l’amour de Jésus-Christ, je veux au moins avoir quelque part à ses douleurs.

Un autre religieux, Frère coadjuteur du même Ordre, n’imitait pas l’exemple du père d’Aix. Il n’aimait guère la mortification, cherchait au contraire ses aises, ses commodités et tout ce qui flattait les sens. Ce Frère étant venu à mourir, apparut au père d’Aix, quelques jours après sa mort, le corps couvert d’un affreux cilice et souffrant de grands tourments, en punition des fautes de sensualité qu’il avait commises dans le cours de sa vie. Il réclama le secours de ses prières et disparut aussitôt.

Immortification de la langue

Un autre défaut, dont on doit bien se garder parce qu’on y tombe facilement, c’est l’immortification de la langue. Oh ! qu’il est facile de faillir dans les paroles ! Qu’il est rare de parler longtemps sans proférer quelques mots contraires à la douceur, à l’humilité, à la sincérité, à la charité chrétienne ! Les personnes pieuses même sont souvent sujettes à ces fautes: quand elles ont échappé à toutes les autres ruses du démon, elles se laissent prendre, dit saint Jérôme, dans un dernier piège, la médisance. Écoutons ce que rapporte Vincent de Beauvais (Specul. historiale 1. 26. c. 5. Cf. Merv. 37).

Durand

Lorsque le célèbre Durand, qui, au onzième siècle, illustra l’Ordre de saint Benoît, était encore simple religieux, il se montrait un modèle de régularité et de ferveur; mais il avait un défaut. La vivacité de son esprit le portait à trop parler: il aimait à l’excès le mot pour rire, souvent aux dépens de la charité. Hugues, son abbé, lui fit des représentations à cet égard, lui prédisant même, que, s’il ne se corrigeait pas, il aurait certainement à souffrir dans le purgatoire de ces jovialités déplacées.

Durand n’attacha pas assez d’importance à ces avis, et continua à s’abandonner sans beaucoup de retenue au dérèglement de sa langue. Après sa mort, la prédiction de l’abbé Hugues se réalisa. Durand apparut à un religieux de ses amis, le suppliant de l’aider de ses prières, parce qu’il était cruellement puni de l’intempérance de son langage. A la suite de cette apparition, la communauté se réunit, on convint de garder, pendant huit jours, un rigoureux silence, et de pratiquer d’autres bonnes œuvres, pour soulager le défunt. Ces charitables prières produisirent leur effet: à quelque temps de là, Durand apparut de nouveau pour annoncer sa délivrance.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 31, 32, 33

Chapitre 31 – Matière des expiations

Le scandale donné

Ceux qui ont eu le malheur de donner mauvais exemple, et de perdre ou de blesser les âmes par le scandale, doivent prendre garde de tout réparer en ce monde, s’ils ne veulent avoir à subir une terrible expiation en l’autre. Ce n’est pas en vain que Jésus-Christ s’est écrié: Malheur au monde à cause de ses scandales ! Malheur à celui par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII, 7.)

Peinture indécente

Voici ce que rapporte le P. Rossignoli dans ses Merveilles du purgatoire (Merv. 24. p.120 fin p.121). Un peintre de grand talent, d’une vie exemplaire d’ailleurs, avait fait autrefois un tableau peu conforme aux lois sévères de la modestie chrétienne. C’était une de ces malheureuses peintures, que sous prétexte d’art, on trouve quelquefois dans les meilleures familles et dont la vue cause la perte de tant d’âmes. L’art véritable est une inspiration du ciel, qui élève l’âme vers Dieu; le génie réaliste qui ne s’adresse qu’aux sens, qui ne présente aux yeux que des beautés de chair et de sang, n’est qu’une inspiration de l’esprit immonde: ses œuvres, brillantes peut-être, ne sont pas des œuvres d’art, c’est faussement qu’on les décore de ce nom; ce sont des productions infâmes d’une imagination dévergondée. – Le peintre dont nous parlons, avait cédé sur ce point à l’entraînement du mauvais exemple. Bientôt cependant, renonçant à ce mauvais genre, il s’était astreint à ne faire plus que des tableaux religieux ou du moins parfaitement irréprochables.

En dernier lieu, il venait de peindre un grand tableau dans un couvent de Carmes déchaussés, quand il fut atteint d’une maladie mortelle. Se sentant mourir, il demanda au père Prieur la faveur d’être enterré dans l’église du monastère, et légua à la communauté le prix assez élevé de son travail, à la charge de célébrer des messes pour son âme.

Il mourut pieusement, et quelques jours se passèrent, lorsqu’un religieux, qui était resté au chœur après les matines, le vit apparaître au milieu des flammes et poussant des gémissements douloureux. – « Eh quoi ! dit-il, mon frère, vous avez de telles peines à endurer, après une vie si chrétienne et une mort si sainte ? – Hélas ! répondit-il, c’est à cause d’un mauvais tableau que j’ai peint autrefois. Lorsque j’ai comparu au tribunal du Souverain Juge une foule d’accusateurs y sont venus déposer contre moi: ils déclaraient avoir été excités à de mauvaises pensées et à de mauvais désirs par une peinture immodeste due à mon pinceau. Par suite de ces pensées mauvaises les uns étaient au purgatoire, les autres en enfer. Ces derniers demandaient vengeance, disant que, étant cause de leur perte éternelle, je méritais au moins le même châtiment. – Alors la sainte Vierge et les Saints que j’ai glorifiés par mes peintures ont pris ma défense: ils ont représenté au Juge que cette malheureuse toile était une œuvre de jeunesse, dont je m’étais repenti, que je l’avais réparée plus tard par une foule de tableaux religieux, qui avaient été pour les âmes une source d’édification. » En présence de ces raisons de part et d’autre le Souverain Juge a déclaré que, à cause de mon repentir et de mes bonnes œuvres, je serais exempt de la damnation éternelle; mais en même temps il m’a condamné à souffrir dans ces flammes, jusqu’à ce que la maudite peinture soit brûlée, de manière à ne plus scandaliser personne. »

En conséquence, le pauvre patient pria le religieux Carme de faire des démarches pour que le tableau fût détruit. « Je vous en prie, ajouta-t-il, allez de ma part chez un tel, propriétaire du tableau; dites-lui en quel état je me trouve, pour l’avoir peint en cédant à ses instances, et conjurez-le d’en faire le sacrifice. S’il refuse, malheur à lui ! Au reste, pour montrer que tout ceci n’est pas une illusion, et pour le punir lui-même de sa faute, dites-lui qu’avant peu il perdra ses deux enfants. S’il refuse d’obéir aux ordres de Celui qui nous a créés l’un et l’autre, il le payera d’une mort prématurée. »

Le religieux ne tarda pas à faire ce que la pauvre âme lui demandait, et se rendit chez le possesseur du tableau. Celui-ci en apprenant ces choses, saisit la toile et la jeta au feu. Néanmoins, selon la parole du défunt, il perdit en moins d’un mois ses deux enfants. Le reste de ses jours, il s’appliqua à faire pénitence du mal qu’il avait commis en commandant et en conservant chez lui cette mauvaise peinture.

Si telles sont les conséquences d’un tableau immodeste, comment seront punis les scandales, autrement désastreux des mauvais livres, des mauvais journaux, des mauvaises écoles et des mauvaises conversations ? Vœ mundo a scandalis ! Vœ homini illi per quem scandalum venit ! Malheur au monde, à cause de ses scandales ! Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! (Matth. XVIII. 7.)

Le scandale exerce de grands ravages dans les âmes par la séduction de l’innocence. Ah ! les maudits séducteurs ! Ils rendront à Dieu un compte terrible du sang de leurs victimes. Voici ce que nous lisons dans l’historien Daniel Bartoli, de la Compagnie de Jésus, Vie du Père Nicolas Zucchi (Cf. Merv. 97.).

Le Père Zucchi et la novice

Le saint et zélé père Zucchi, qui mourut à Rome le 21 mai 1670, avait engagé dans les voies de la perfection trois jeunes personnes, qui se consacrèrent à Dieu dans le cloître. L’une d’elles, avant de quitter le monde, avait été recherchée en mariage par un jeune seigneur. Après qu’elle fut entrée au noviciat, ce gentilhomme, au lieu de respecter une vocation si sainte, n’en continua pas moins d’adresser des lettres à celle qu’il voulait appeler sa fiancée, l’invitant à quitter, comme il disait, le triste service de Dieu, pour se reprendre aux joies de la vie. Le Père le rencontrant un jour dans la rue, le supplia de cesser de telles poursuites: « Je vous assure, ajouta-t-il, qu’avant peu vous paraîtrez au tribunal de Dieu, et qu’il est grand temps pour vous de vous y préparer par une sincère pénitence. »

En effet, quinze jours après, ce jeune homme mourut, enlevé par une prompte mort, qui lui laissa peu de temps pour mettre ordre à sa conscience, en sorte qu’on devait tout craindre pour son salut.

Un soir que les trois novices s’entretenaient ensemble des choses de Dieu, on vint appeler la plus jeune au parloir. Elle y trouva un homme, enveloppé dans un large manteau, qui se promenait à grands pas. – « Monsieur, dit-elle, qui êtes-vous ? et pourquoi m’avez-vous fait demander ? » – L’étranger, sans répondre, s’approche, et écarte le manteau mystérieux qui le couvre. La religieuse alors reconnaît le malheureux défunt, et voit avec effroi qu’il est tout entouré de liens de feu, qui le serrent au cou, aux poignets, aux genoux et aux chevilles des pieds. Priez pour moi ! s’écria-t-il, et il disparut.

Cette manifestation miraculeuse montrait que Dieu avait eu pitié de lui au dernier moment, qu’il n’était pas damné, mais qu’il payait ses essais de séduction par un horrible purgatoire.

Chapitre 32 -Matière des expiations. – La vie de plaisir, la recherche du bien-être

La vénérable Françoise de Pampelune et l’homme du monde

Il y a de nos jours beaucoup de chrétiens, totalement étrangers à la croix et à la mortification de Jésus-Christ. Leur vie molle et sensuelle n’est qu’un enchaînement de plaisirs; ils ont peur de tout ce qui est sacrifice: à peine observent-ils les strictes lois du jeûne et de l’abstinence prescrites par l’Église. Puisqu’ils ne veulent se soumettre à aucune pénitence en ce monde, qu’ils songent bien à celle qui leur sera imposée en l’autre. Il est certain que dans cette vie mondaine on ne fait qu’accumuler des dettes; la pénitence étant absente, on n’en paye aucune, et l’on arrive à un total qui effraye l’imagination. La vénérable servante de Dieu Françoise de Pampelune, qui fut favorisée de plusieurs visions sur le purgatoire, vit un jour un homme du monde, quoiqu’il eût été assez bon chrétien d’ailleurs, passer cinquante-neuf ans dans les expiations, à cause de sa recherche du bien-être. – Un autre y passa trente-cinq ans pour la même raison; et un troisième, qui avait eu en plus la passion du jeu, y demeura soixante-quatre ans. – Hélas, ces chrétiens malavisés ont laissé subsister toutes leurs dettes devant Dieu, et ce qu’ils auraient pu acquitter facilement avec quelques œuvres de pénitence, ils l’ont dû payer après par des années de supplices.

Si Dieu se montre sévère envers les riches et les heureux du siècle, il ne le sera pas moins envers les princes, les magistrats, les parents, et généralement tous ceux qui ont charge d’âmes et autorité sur les autres. Un jugement sévère, dit-il lui-même, attend les supérieurs (Sap. VI, 6.).

Sainte Élisabeth et la reine sa mère

Laurent Surius rapporte (Cf. Merv. 93.) comment une illustre Reine rendit après sa mort témoignage à cette vérité. Dans la Vie de sainte Élisabeth (19 nov.), duchesse de Thuringe, il est dit que cette servante de Dieu perdit sa mère Gertrude, reine de Hongrie, vers l’an 1220. En fille chrétienne et sainte, elle fit des aumônes considérables, redoubla ses mortifications et ses prières, épuisa toutes les ressources de sa charité pour le soulagement de cette âme si chère. Dieu lui fit connaître qu’elle n’en faisait pas trop. Une nuit la défunte lui apparut, le visage triste et défait: elle se mit à genoux auprès de son lit, et lui dit en pleurant: « Ma fille, vous voyez à vos pieds votre mère accablée de douleur. Je viens vous supplier de multiplier vos suffrages, afin que la divine miséricorde me délivre des tourments épouvantables que j’endure. Oh ! que ceux-là sont à plaindre qui exercent l’autorité sur les autres ! J’expie maintenant les fautes que j’ai commises sur le trône. O ma fille, au nom des angoisses que j’ai endurées pour vous mettre au monde, au nom des soins et des veilles que m’a coûté votre éducation, je vous conjure de me délivrer de mes supplices. » – Elisabeth profondément émue, se lève aussitôt, prend une sanglante discipline et supplie le Seigneur avec larmes de faire miséricorde à sa mère Gertrude, déclarant qu’elle ne cesserait de prier qu’elle n’eût obtenu sa délivrance. – Elle fut exaucée en effet, comme elle en reçut bientôt l’assurance.

Remarquons que dans l’exemple précédent il ne s’agit que d’une reine; combien plus sévèrement seront traités les rois, les magistrats, tous les supérieurs dont la responsabilité et l’influence sont bien plus grandes ?

Chapitre 33 – Matière des expiations

La tiédeur

Les bons chrétiens, les prêtres, les religieux, qui veulent servir Dieu de tout leur cœur, doivent bien se garder de l’écueil de la tiédeur et de la négligence. Dieu veut être servi avec ferveur: ceux qui sont tièdes et nonchalants soulèvent son dégoût; il va jusqu’à menacer de sa malédiction celui qui fait négligemment les choses saintes. C’est assez dire qu’il punira sévèrement en purgatoire toute négligence en son service.

Saint Bernard et le religieux de Citeaux

Parmi les disciples de saint Bernard qui embaumaient par leur sainteté la célèbre vallée de Clairvaux, il s’en trouva un, dont la négligence contrastait tristement avec la ferveur de ses frères. Malgré son double caractère de prêtre et de religieux, il s’était laissé aller à une déplorable tiédeur. Le moment de mourir arriva et il fut appelé devant Dieu, sans qu’il eût donné des preuves d’amendement.

Pendant qu’on chantait la messe de ses funérailles, un religieux de la communauté, vieillard d’une vertu peu commune, connut par une lumière intérieure que son âme, sans être damnée, était dans le plus malheureux état. – La nuit suivante, le défunt lui apparut en personne, dans un extérieur misérable et profondément désolé: « Hier, lui dit-il, vous avez eu connaissance de mon malheureux état, voyez maintenant les tortures auxquelles je suis livré en punition de ma coupable tiédeur. » – II conduisit alors le vieillard au bord d’un puits, large et profond, tout rempli de fumée et de flammes: « Voici le lieu, ajouta-t-il, où les ministres de la divine justice ont ordre de me tourmenter: ils ne cessent de me précipiter dans ce gouffre, et m’en retirent aussitôt après, pour m’y précipiter de nouveau, sans m’accorder un instant de trêve ou de repos. »

Le lendemain matin, ce religieux alla trouver saint Bernard pour lui faire part de sa vision. Le saint abbé, qui avait eu une apparition semblable, y vit un avis du ciel, donné à sa communauté. Il convoqua aussitôt le chapitre, et les larmes aux yeux raconta la double vision, exhortant ses religieux à secourir par de charitables suffrages leur pauvre frère défunt, et à profiter de ce triste exemple pour se conserver dans la ferveur et pour éviter les moindres négligences dans le service de Dieu (Rossign. Merv. 47).

La vénérable mère Agnès et la sœur de Haut-Villars

Le fait suivant est rapporté par M. de Lantages, dans la Vie de la vénérable Mère Agnès de Langeac, religieuse dominicaine (19 octobre). Tandis que cette servante de Dieu priait dans le chœur, une religieuse qu’elle ne connaissait pas parut tout d’un coup devant elle, misérablement habillée et avec un visage fort triste. Elle la considérait avec étonnement, se demandant qui cela pouvait être, lorsqu’elle entendit une voix qui lui dit distinctement: C’est la sœur de Haut-Villars.

Cette sœur de Haut-Villars était une religieuse du monastère du Puy, décédée il y avait plus de dix ans. L’apparition ne disait mot, mais témoignait assez par son triste maintien le grand besoin qu’elle avait d’être secourue. La mère Agnès le comprenait parfaitement, et commença dès ce jour à faire pour elle les plus ferventes prières. La défunte ne se contenta pas de cette première visite: elle continua à lui apparaître durant plus de trois semaines, presque partout et en tout temps, surtout après la communion et l’oraison, marquant toujours ses souffrances par la douloureuse expression de son visage.

Agnès, par le conseil de son confesseur, sans parler à personne de l’apparition, demanda à sa Prieure que la communauté fît des prières extraordinaires pour les défunts à son intention. Comme malgré ces prières l’apparition revenait toujours, elle conçut de grandes craintes que ce ne fût une illusion. Dieu daigna la tirer de cette peine: il fit clairement connaître à sa charitable servante par la voix de son ange gardien que c’était véritablement une âme du purgatoire, et qu’elle souffrait ainsi pour sa tiédeur au service de Dieu. – Depuis le moment de ces paroles, les apparitions cessèrent, et on ne put savoir combien de temps encore cette infortunée demeura au purgatoire.

Le Père Seurin et la religieuse de Loudun

Citons un autre exemple bien propre à stimuler la ferveur des pieux fidèles. Une sainte religieuse, nommée Marie de l’Incarnation, du monastère des Ursulines de Loudun apparut quelque temps après sa mort à sa Supérieure, femme d’intelligence et de mérite, qui en écrivit les détails au Père Surin de la Compagnie de Jésus. Sa lettre se trouve insérée dans la correspondance de ce Père. « Le six novembre, lui écrivait-elle, entre trois et quatre heures du matin, la Mère de l’Incarnation s’est présentée à moi avec un visage très-doux, qui paraissait plus humilié que souffrant: je vis bien cependant qu’elle souffrait beaucoup. »

D’abord, en la voyant auprès de moi, j’eus une grande frayeur; mais comme elle n’avait rien d’effrayant en elle-même, je me rassurai bientôt. Je lui demandai en quel état elle était, et si nous pouvions lui rendre quelque service ? – Elle répondit: « Je satisfais à la justice divine dans le purgatoire. » – Je la priai de me dire ce qui l’y retenait. – Alors, poussant un profond soupir, elle répondit: « Ce sont plusieurs négligences aux exercices communs; une certaine faiblesse que j’ai eue à me laisser entraîner par l’exemple des religieuses imparfaites; enfin et surtout, l’habitude où j’ai été de retenir par-devers moi des choses dont je n’avais pas la permission de disposer, et de m’en servir selon mes besoins et mes inclinations naturelles. Oh! si l’on savait, continua la bonne mère, le mal que l’on fait à son âme en ne s’appliquant pas à la perfection, et combien durement on devra expier un jour les satisfactions qu’on se donne contre les lumières de la conscience; on aurait une autre ardeur à se faire violence pendant la vie ! Ah ! Dieu voit les choses d’un autre œil que nous, il les juge autrement. »

« Je lui demandai de nouveau si nous pouvions lui être de quelque utilité pour abréger ses souffrances ? – Elle me répondit: « Je désire voir et posséder Dieu; mais je suis contente de satisfaire à sa justice, tant qu’il lui plaira.» – Je la priai de me dire si elle souffrait beaucoup ? – « Mes douleurs répondit-elle, sont incompréhensibles à ceux qui ne les sentent pas. » – En disant ces mots, elle s’approcha de mon visage, comme pour prendre congé de moi: or il me sembla que c’était un charbon de feu qui me brûlait, quoique son visage ne touchât point au mien; et mon bras, ayant un peu frisé sa manche, se trouva brûlé: j’y ressentis une vive douleur. »

Un mois après elle apparut de nouveau à cette même Supérieure pour lui annoncer sa délivrance.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 28, 29, 30

Chapitre 28 – Matière des expiations

Nous avons dit que le montant de la dette de peines au purgatoire provient de toutes les fautes non expiées sur la terre, mais surtout des péchés mortels, remis seulement quant à la coulpe. Or les hommes dont la vie entière se passe dans l’habitude du péché mortel et qui remettent jusqu’à la mort de se convertir, supposé que Dieu leur accorde cette grâce exceptionnelle, auront à subir, on le conçoit, des expiations épouvantables.

Le baron Sturton

L’exemple du baron Sturton est de nature à les faire réfléchir.

Le baron Jean Sturton, noble Anglais, était catholique au fond du cœur, bien que, pour garder ses charges à la cour, il assistât régulièrement au service protestant. Il cachait même chez lui un prêtre catholique, au prix des plus grands dangers, se promettant bien d’user de son ministère pour se réconcilier avec Dieu, à l’heure de la mort; mais il fut surpris par un accident, et comme cela arrive souvent, par un juste décret de Dieu, il n’eut pas le temps de réaliser son vœu de conversion tardive. Cependant la divine miséricorde, tenant compte de ce qu’il avait fait pour la sainte Église persécutée, lui avait accordé la grâce de la contrition parfaite, et par suite le salut. Mais il devait payer bien cher sa coupable négligence.

De longues années se passèrent; sa veuve se remaria, eut des enfants, et c’est une de ses filles, lady Arundel, qui raconte ce fait comme témoin oculaire.

« Un jour, ma mère pria le P. Corneille, jésuite de beaucoup de mérite, qui devait mourir plus tard martyr de la foi catholique (Il fut trahi par un serviteur de la famille Arundel et subit la mort à Dorchester en 1594.), de célébrer la messe pour l’âme de Jean Sturton, son premier mari. Il accepta l’invitation, et étant à l’autel, entre la consécration et le Memento des morts, il s’arrêta longtemps, comme absorbé dans l’oraison. Après la messe, dans une exhortation qu’il adressa à l’assistance, il nous fit connaître une vision qu’il venait d’avoir pendant le sacrifice. Il avait vu une forêt immense qui s’étendait devant lui, mais elle était toute en feu et ne formait qu’un vaste brasier: au milieu s’agitait le Baron défunt, poussant des cris lamentables, pleurant et s’accusant de la vie coupable qu’il avait menée dans le monde et à la cour. Après avoir fait l’aveu détaillé de ses fautes, le malheureux avait terminé par les paroles que l’Écriture met dans la bouche de Job: Pitié, pitié ! vous au moins qui êtes mes amis, car la main du Seigneur m’a touché ! Puis il avait disparu. »

Pendant que le P. Corneille racontait ces choses, il pleurait beaucoup, et nous tous, membres de la famille, qui l’écoutions, au nombre de quatre-vingts personnes, nous pleurions tous de même; et tout à coup, pendant que le père parlait, nous aperçûmes sur le mur auquel était adossé l’autel, comme un reflet de charbons ardents. »

Tel est le récit de lady Arundel, que l’on peut lire dans l’Histoire d’Angleterre par Daniel (Liv. V, chap. 7. Cf. Rossign. Merv. 4.).

Sainte Lidvine  – Restes des péchés mortels –  Péchés de luxure incomplètement expiés sur la terre

Sainte Lidvine vit au purgatoire une âme qui souffrait aussi pour des péchés mortels, incomplètement expiés sur la terre. Voici comment ce fait est rapporté dans la Vie de la sainte. Un homme qui avait été longtemps esclave du démon de la luxure, eut enfin le bonheur de se convertir. Il se confessa, en effet, avec une grande contrition; mais prévenu par la mort, il n’eut pas le temps de satisfaire pour ses nombreux péchés par une pénitence équitable. Lidvine, qui le connaissait, priait beaucoup pour lui.

Douze ans après sa mort, elle priait encore, lorsque dans un de ces ravissements où elle était conduite par son ange gardien au purgatoire, elle entendit une voix lugubre qui sortait d’un puits profond. « C’est l’âme de cet homme, dit l’ange, pour lequel vous avez prié avec tant de ferveur et de constance. » – Elle fut étonnée de le trouver encore dans ce lieu si bas douze ans après sa mort. – L’ange voyant qu’elle était profondément affectée, lui demanda si elle voulait souffrir quelque chose pour sa délivrance ? – « De tout mon cœur », répondit cette vierge charitable. – Elle souffrit donc depuis ce moment de nouvelles douleurs et des tourments affreux, qui semblaient surpasser les forces humaines. Elle les supporta cependant avec courage, soutenue par une charité plus forte que la mort; jusqu’à ce qu’il plût à pieu de la soulager. Alors elle respira comme rendue à la vie, et en même temps elle vit cette âme pour laquelle elle avait tant souffert, sortir de l’abîme, blanche comme la neige, et prendre son vol vers le ciel.

Chapitre 29 – Matière des expiations

Mondanité – Sainte Brigitte: la jeune personne, le soldat

Les âmes qui se laissent éblouir par les vanités du monde, si elles ont le bonheur d’échapper à la damnation, auront à subir des expiations terribles. Ouvrons les Révélations de sainte Brigitte (8 octobre), qui jouissent dans l’Église d’une juste considération. On y lit au livre VI, qu’un jour la Sainte se vit transportée en esprit dans le lieu du purgatoire, et que, parmi beaucoup d’autres, elle y aperçut une jeune demoiselle de haute naissance, qui s’était abandonnée autrefois au luxe et à la mondanité. Cette âme infortunée lui fit connaître toute sa vie et sa triste situation.

« Heureusement, dit-elle, qu’avant la mort je me suis confessée en des dispositions suffisantes pour éviter l’enfer; mais combien je souffre ici pour expier la vie mondaine que ma malheureuse mère ne m’a pas empêché de mener ! Hélas ! ajoutait-elle en gémissant, cette tête qui se plaisait aux parures, et qui cherchait à attirer les regards, est maintenant dévorée de flammes au-dedans et au dehors, et ces flammes sont si cuisantes qu’il me semble mourir continuellement. Ces épaules et ces bras que je faisais admirer, sont cruellement étreints dans des chaînes de fer rouge. Ces pieds jadis formés pour la danse, sont maintenant entourés de vipères qui les déchirent de leurs morsures et les souillent de leur bave immonde; tous ces membres que je chargeais de joyaux, de fleurs, de parures diverses, sont maintenant livrés à des tortures épouvantables. Ah ! ma mère, ma mère, ajoutait cette âme, que vous avez été coupable à mon égard ! C’était vous, qui par une funeste indulgence encouragiez mes goûts de parure et de vaines dépenses; c’était vous qui me conduisiez aux spectacles, aux festins, aux bals, à toutes ces réunions mondaines qui sont la ruine des âmes. Si je n’ai pas encouru l’éternelle damnation, c’est grâce à une miséricorde toute spéciale de Dieu, qui a touché mon cœur d’un sincère repentir. J’ai fait une bonne confession et j’ai été ainsi délivrée de l’enfer, mais pour me voir précipiter dams les plus horribles tourments du purgatoire. » – Nous avons dit déjà qu’il ne faut pas prendre à la lettre ce qui est dit des membres tourmentés, puisque l’âme est séparée de son corps; mais Dieu, suppléant au défaut des organes corporels, fait éprouver à cette âme les sensations qui viennent d’être décrites.

L’historien de la Sainte nous apprend qu’elle raconta sa vision à une cousine de la défunte, qui s’abandonnait elle aussi aux illusions de la mondanité. La cousine en fut si frappée, qu’elle renonça au luxe et aux amusements dangereux du monde pour se vouer à la pénitence dans un Ordre austère.

La même sainte Brigitte, dans une autre extase, assista au jugement d’un soldat qui venait de mourir. II avait vécu dans les vices, trop communs dans sa profession, et serait tombé en enfer; mais la sainte Vierge, qu’il avait toujours honorée, le préserva de ce malheur, et lui obtint la grâce d’un sincère repentir. La sainte le vit donc comparaître devant le tribunal de Dieu, et condamner à un long purgatoire pour les péchés de toutes sortes qu’il avait commis. « La peine des yeux, dit le Juge, sera de contempler des objets affreux; celle de la langue, d’être percée de pointes aiguës et tourmentée de la soif; celle du toucher, d’être plongé dans un océan de feu. » – La sainte Vierge intervint alors et obtint quelque adoucissement à la rigueur de cette sentence.

La Bienheureuse Marie Villani et la dame mondaine.

Citons encore un exemple des châtiments réservés aux mondains dans le purgatoire, lorsqu’ils ne sont pas, comme le mauvais riche de l’Évangile, ensevelis dans l’enfer. La Bienheureuse Marie Villani, religieuse dominicaine (Sa Vie, par Marchi, 1. Il, c. 5. Cf. Merv. 41), avait une dévotion très vive pour les âmes, et maintes fois elles se firent voir à elle, soit pour la remercier, soit pour réclamer ses prières et ses bonnes œuvres. Comme elle priait un jour à leur intention avec une grande ferveur, elle fut transportée en esprit au lieu de l’expiation. Parmi les âmes qui y souffraient, elle en vit une plus cruellement tourmentée que les autres, au milieu de flammes horribles qui l’enveloppaient tout entière. Émue de compassion, la servante de Dieu interrogea cette âme. « Je suis ici, répondit-elle, depuis très longtemps, punie pour mes vanités et mon luxe scandaleux. Jusqu’à cette heure, je n’ai pas obtenu le moindre soulagement. Quand j’étais sur la terre, occupée de ma toilette, de mes plaisirs, des fêtes et des joies mondaines, je ne songeais que bien peu à mes devoirs de chrétienne, et ne m’en acquittais qu’avec lâcheté. Ma seule préoccupation sérieuse était d’accroître le renom et la fortune des miens. Or voyez comme j’en suis punie: ils ne m’accordent pas un souvenir: mes parents, mes enfants, mes amis les plus intimes d’autrefois, tous m’ont oubliée. »

Marie Villani pria cette âme de lui faire sentir quelque chose de ce qu’elle endurait; et il lui sembla aussitôt qu’un doigt de feu la touchait au front, la douleur qu’elle en éprouva la fit aussitôt sortir d’extase. Or, la marque lui en resta, si profonde et si douloureuse, que deux mois après on la voyait encore, et que la sainte religieuse en souffrait cruellement. Elle endura cette douleur en esprit de pénitence en faveur de la défunte qui s’était manifestée à elle, et au bout d’un certain temps, cette âme vint annoncer elle-même sa délivrance.

Chapitre 30 – Matière des expiations – Péchés de la jeunesse

Souvent les bons chrétiens ne songent pas assez à faire pénitence pour les péchés de leur jeunesse: il faudra qu’ils les expient un jour par les rigoureuses pénitences du purgatoire. C’est ce qui arriva à la princesse Gida, belle-fille de sainte Brigitte, comme on peut le lire dans les Actes des Saints, 24 mars, Vie de sainte Catherine (Cf. Merv. 85.).

Sainte Catherine de Suède et la princesse Gida

Sainte Brigitte se trouvait à Rome avec sa fille, sainte Catherine, lorsque celle-ci vit lui apparaître l’esprit de Gida dont elle ignorait la mort. Se trouvant un jour en prière dans l’antique basilique du Prince des Apôtres, Catherine aperçut devant elle une femme, vêtue d’une robe blanche et d’un manteau noir, qui venait lui demander des prières pour une défunte. « C’est une de vos compatriotes, ajouta-t-elle, qui a besoin qu’on s’intéresse à son âme. – Son nom ? demanda la sainte. – C’est la princesse Gida, de Suède, femme de votre frère Charles. » – Catherine pria alors l’étrangère de l’accompagner chez sa mère Brigitte, pour lui annoncer cette triste nouvelle. – « Je suis chargée d’un message pour vous seule, dit l’inconnue, et il ne m’est pas permis de faire d’autres visites, car je dois repartir aussitôt. Du reste, vous n’avez pas à douter de la vérité du fait: dans quelques jours arrivera un autre envoyé de Suède, vous apportant la couronne d’or de la princesse Gida. Elle vous l’a léguée par testament, pour s’assurer le secours de vos prières; mais accordez-lui ce charitable secours dès à présent, car elle en a un pressant besoin. » – En achevant ces mots, elle s’éloigna.

Catherine voulut la suivre, mais il lui fut impossible de la retrouver, bien que son costume la fît distinguer facilement; elle interrogea ceux qui priaient dans l’église: personne n’avait vu cette étrangère. – Frappée et surprise de cette rencontre, elle s’empressa de retourner auprès de sa mère et lui raconta ce qui lui était arrivé. – Sainte Brigitte répondit en souriant: « C’est votre belle-sœur Gida elle-même, qui vous est apparue. Notre-Seigneur a daigné me faire tout connaître par révélation. La chère défunte est morte dans des sentiments de piété consolants: c’est ce qui lui a valu la faveur de venir auprès de vous, implorer des prières. Elle a encore à expier les nombreuses fautes de sa jeunesse: faisons donc toutes deux ce qui est en notre pouvoir pour la soulager. La couronne d’or qu’elle vous envoie, nous en fait une obligation plus pressante. »

Quelques semaines après, un officier de la cour du prince Charles arriva à Rome, apportant la couronne, et ce qu’il croyait être la première nouvelle du trépas de la princesse Gida. La couronne qui était fort belle fut vendue, et le prix employé en messes et bonnes œuvres, pour le soulagement de la défunte.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 25, 26, 27

Chapitre 25 – Durée du purgatoire

L’abbaye de Latrobe

Le fait suivant a été rapporté avec preuve authentique par le journal le Monde, numéro du 4 avril 1860. Il s’est passé en Amérique, dans une abbaye de Bénédictins, située au village de Latrobe. Une série d’apparitions y avait eu lieu dans le courant de l’année 1859. La presse américaine s’en était emparée et avait traité ces graves questions avec sa légèreté ordinaire; et pour mettre fin à cette sorte de scandale, l’abbé Wimmer, supérieur de la maison, adressa aux journaux la lettre suivante: « Voici la vérité: dans notre abbaye de Saint-Vincent, près de Latrobe, le 10 septembre 1859, un novice a vu apparaître un religieux bénédictin, en costume complet de chœur. Cette apparition s’est renouvelée chaque jour depuis le 18 septembre jusqu’au 19 novembre, soit de onze heures à midi, soit de minuit à deux heures du matin. Le 19 novembre seulement le novice a interrogé l’esprit en présence d’un autre membre de la communauté, et lui a demandé quel était le motif de ses apparitions. – Il a répondu qu’il souffrait depuis soixante-dix-sept ans, pour avoir omis de célébrer sept messes d’obligation; qu’il était déjà apparu à diverses époques à sept autres bénédictins, mais qu’il n’avait pas été entendu; qu’il serait contraint d’apparaître encore après onze années, si lui, le novice, ne venait pas à son secours. – Enfin, l’esprit demandait que ces sept messes fussent célébrées pour lui; de plus, le novice devait pendant sept jours demeurer en retraite, gardant un profond silence; et pendant trente-trois jours, réciter trois fois par jour le psaume Miserere, les pieds nus et les bras en croix. »

Toutes ces conditions ont été remplies, à dater du 20 novembre jusqu’au 25 décembre: ce jour-là, après la célébration de la dernière messe, l’apparition a disparu.

« Pendant cette période, l’esprit s’était montré encore plusieurs fois, exhortant le novice dans les termes les plus pressants, à prier pour les âmes du purgatoire: car, disait-il, elles souffrent affreusement, et elles sont profondément reconnaissantes envers ceux qui concourent à leur délivrance. – Il ajouta, chose bien triste à dire, que des cinq prêtres déjà décédés à notre abbaye, aucun n’était encore au ciel: que tous souffraient dans le purgatoire. Je ne tire pas de conclusion, mais ceci est exact. »

Ce récit signé de la main de l’abbé est un document historique irrécusable. – Quant à la conclusion que le vénérable prélat nous laisse le soin de déduire de ces faits, elle est évidemment multiple. Qu’il nous suffise, en voyant un religieux souffrir depuis soixante-dix-sept ans en purgatoire, d’apprendre ce qu’il faut penser de la durée des expiations futures, tant pour les prêtres et les religieux, que pour les simples fidèles qui vivent au milieu de la corruption du monde.

Cent ans de supplices pour délai des derniers sacrements.

Une cause trop fréquente de la longue durée du purgatoire, c’est qu’on se prive du grand moyen établi par Jésus-Christ pour l’abréger, en tardant, quand on est gravement malade, à recevoir les derniers sacrements. Ces sacrements destinés à préparer les âmes au dernier passage, à les purifier des restes de leurs péchés et à leur épargner les expiations de l’autre vie, requièrent pour produire leurs effets, que le malade les reçoive avec les dispositions voulues. Or, pour peu qu’on diffère de les recevoir et qu’on laisse affaiblir les facultés de l’infirme, ces dispositions sont défectueuses. Que dis-je ? trop souvent il arrive que, par suite de ces délais imprudents, le malade vient à mourir, totalement privé de ces secours si nécessaires. La conséquence en est, si le défunt n’est pas damné, qu’il descend dans les plus profonds abîmes du purgatoire avec tout le poids de ses dettes.

Michel Alix (Hort. Past. tract. 6. Cf. Rossign. Merv. 86.) parle d’un ecclésiastique qui, au lieu de recevoir promptement les sacrements des infirmes, et de donner le bon exemple aux fidèles, se rendit coupable de négligence à cet égard et en fut puni par cent ans de purgatoire. Se trouvant gravement malade et en danger de mort, ce pauvre prêtre aurait dû s’éclairer sur son état et demander au plus tôt les secours que l’Église réserve à ses enfants pour l’heure suprême. Il n’en fit rien: et, soit que, par une illusion trop commune aux malades, il ne voulût pas s’avouer la gravité de sa situation, soit qu’il fût sous l’empire de ce fatal préjugé qui fait redouter à tant de faibles chrétiens la réception des derniers sacrements; il ne les demandait pas, il ne songeait pas à les recevoir. Mais on connaît les surprises de la mort: le malheureux différa et tarda si bien, qu’il mourut sans avoir le temps de recevoir ni Viatique ni Extrême-Onction. – Or, Dieu voulut en cette circonstance donner un grave avertissement. Le défunt vint lui-même révéler à un confrère qu’il était condamné à cent ans de purgatoire. « Je suis puni ainsi, dit-il, de mes retards à recevoir la grâce de la purification dernière. Si j’avais reçu les sacrements, comme j’aurais dû le faire, j’aurais échappé à la mort par la vertu de l’Extrême-Onction, et j’aurais eu le temps de faire pénitence. »

Chapitre 26 – Durée du purgatoire

La vénérable Catherine Paluzzi et la sœur Bernardine

Citons encore quelques exemples, qui achèveront de nous édifier sur la durée des expiations: nous y verrons que la divine justice se montre relativement sévère pour les âmes appelées à la perfection et qui ont reçu beaucoup de grâces. Au reste, Jésus-Christ ne dit-il pas dans l’Évangile qu’on exigera beaucoup de celui à qui l’on a donné beaucoup, et que l’on demandera plus à celui à qui l’on a plus confié (Luc. XII, 48.) ?

On lit dans la Vie de la vénérable Catherine Paluzzi qu’une sainte religieuse, morte entre ses bras, ne fut admise à l’éternelle béatitude qu’après une année entière de purgatoire. Catherine Paluzzi vécut saintement dans le diocèse de Nerpi, en Italie, où elle fonda un couvent de dominicaines. Là vivait avec elle une religieuse, nommée Bernardine, très avancée aussi dans les voies intérieures. Ces deux saintes âmes rivalisaient de ferveur et s’entraidaient à progresser de plus en plus dans la perfection où Dieu les appelait. L’historien de la vénérable les compare à deux charbons allumés qui se communiquent leurs ardeurs; et encore, à deux lyres accordées pour résonner ensemble et faire entendre un hymne d’amour perpétuel à la gloire du Seigneur.

Bernardine vint à mourir. Une maladie douloureuse, qu’elle supporta chrétiennement, la conduisit au tombeau. Avant d’expirer, elle dit à Catherine qu’elle ne l’oublierait pas devant Dieu, et si Dieu le permettait, qu’elle viendrait lui dire encore des paroles spirituelles, propres à contribuer à sa sanctification.

Catherine pria beaucoup pour l’âme de son amie, suppliant en même temps le Seigneur de lui permettre qu’elle vînt la visiter. Une année entière s’écoula, mais la défunte ne vint point.

Enfin le jour anniversaire de la mort de Bernardine, Catherine étant en oraison, aperçut un puits, d’où s’échappaient des torrents de fumée et de flammes, puis elle vit sortir de ce puits une personne, d’abord tout environnée de ténèbres. Peu à peu l’apparition se dégagea de ces nuages, s’éclaira, et enfin parut brillante d’un éclat extraordinaire. Dans cette personne glorieuse Catherine reconnut alors la sœur Bernardine, et courant à elle: « C’est vous, dit-elle, ma sœur bien-aimée ? Mais d’où donc sortez-vous ? Que signifie ce puits, cette fumée enflammée ? Est-ce seulement aujourd’hui que vous achevez votre purgatoire ? – Vous dites vrai, répondit l’âme: durant toute une année j’ai été retenue dans le lieu des expiations: et ce n’est qu’à cette heure que je vais être introduite dans la céleste Jérusalem. Pour vous, persévérez dans vos saints exercices: continuez à être charitable et miséricordieuse, vous obtiendrez miséricorde (Diario Domenic. Cf. Rossig. Merv. 100.). »

Les Frères Finetti et Rudolfini

Le fait suivant appartient à l’histoire de la Compagnie de Jésus. Deux scolastiques ou jeunes religieux de cet institut faisaient leurs études au collège Romain vers la fin du XVIe siècle, les FF. Finetti et Rudolfini. Tous deux étaient des modèles de piété et de régularité; tous deux aussi reçurent un avis du ciel, qu’ils découvrirent selon la règle au directeur de leur âme, Dieu leur avait fait connaître leur mort prochaine et l’expiation qui leur restait à faire au purgatoire: l’un devait y rester deux ans et l’autre quatre. Ils moururent, en effet, l’un après l’autre.

Leurs frères aussitôt firent pour leurs âmes les plus ferventes prières et toutes sortes de pénitences. Ils savaient que si la sainteté de Dieu impose à ses élus de longues expiations, elles peuvent être abrégées et remises entièrement par les suffrages des vivants.

Saint Pierre Claver et les deux pauvres femmes

Si Dieu est sévère pour ceux qui ont reçu beaucoup de connaissances et de grâces, il est d’autre part fort indulgent envers les pauvres et les simples, pourvu que ceux-ci le servent avec droiture et patience. – Saint Pierre Claver, de la Compagnie de Jésus, apôtre des nègres de Carthagène, connut le purgatoire de deux âmes, qui avaient vécu pauvres et humbles sur la terre: cette expiation se réduisait à quelques heures. Voici ce que nous lisons dans la vie de ce grand serviteur de Dieu (Vie de S. Pierre Claver par le P. Fleurian).

Il avait engagé une vertueuse négresse, nommée Angèle, à retirer chez elle une autre, appelée Ursule, percluse de tous ses membres, et toute couverte de plaies. Un jour qu’il allait la visiter, comme il le faisait de temps en temps, pour la confesser et lui porter quelques petites provisions, la charitable hôtesse lui dit d’un air affligé, qu’Ursule était sur le point d’expirer. Non, non, répondit le père en la consolant, elle a encore quatre jours à vivre, et elle ne mourra que samedi. Le samedi étant arrivé, il dit la messe à son intention, et sortit pour aller la disposer à la mort. Après avoir été quelque temps en prière: Consolez-vous, dit-il à l’hôtesse d’un air assuré, Dieu aime Ursule, elle mourra aujourd’hui; mais elle ne sera que trois heures en purgatoire. Qu’elle se souvienne seulement quand elle sera avec Dieu, de prier pour moi, et pour celle qui jusqu’ici lui a tenu lieu de mère. Elle mourut en effet à midi, et l’accomplissement d’une partie de la prophétie ne servit pas peu à faire ajouter foi à l’autre.

Ayant été un autre jour pour confesser une pauvre malade qu’il avait coutume de visiter, il apprit qu’elle venait d’expirer. Les parents étaient extrêmement affligés, et lui-même, qui n’avait pas cru qu’elle dût si tôt mourir, ne pouvait se consoler de ne l’avoir pas assistée dans ses derniers moments. Il se mit aussitôt en prière auprès du corps, puis se levant tout à coup d’un air serein: Une telle mort, dit-il, est plus digne de notre envie que de nos larmes: cette âme n’est condamnée qu’à vingt-quatre heures de purgatoire. Tâchons d’abréger le temps de ses peines par la ferveur de nos prières.

En voilà assez sur la durée des peines. Nous voyons qu’elles se prolongent pendant des espaces effrayants; les plus courtes même, vu leur rigueur, sont toujours longues. Tâchons donc de les abréger pour les autres, de les adoucir d’avance pour nous-mêmes, ou mieux encore, de les prévenir entièrement. Or, on les prévient en supprimant les causes. Quelles sont les causes ? quelle est la matière des expiations du purgatoire ?

Chapitre 27 – Cause des peines, matière des expiations du purgatoire

Pourquoi les âmes, avant d’être admises à voir la face de Dieu, doivent-elles ainsi souffrir? Quelle est la matière, quel est le sujet de ces expiations ? Qu’est-ce que le feu du purgatoire doit purifier et consumer en elles ? – Ce sont, répondent les docteurs, les souillures provenant de leurs péchés.

Mais que faut-il entendre ici par souillure ? D’après la plupart des théologiens, ce n’est pas la coulpe du péché, mais la peine ou la redevance de la peine, provenant du péché.

Pour le bien comprendre, il faut se rappeler que tout péché produit en l’âme un double effet, qu’on appelle la dette (reatus) de la coulpe et celle de la peine: il rend le pécheur non seulement coupable, mais encore digne d’une peine ou châtiment. – Or, après que la coulpe est pardonnée, d’ordinaire la peine reste à subir, en tout ou en partie, et elle doit être acquittée en cette vie ou en l’autre. – Les âmes du purgatoire n’ont plus aucune souillure de coulpe: ce qu’elles avaient de coulpe vénielle au moment de leur mort, a disparu dans l’ardeur de la pure charité dont elles se sont enflammées dans l’autre vie; mais elles portent toute la dette des peines qu’elles n’ont pas déposée avant de mourir.

Cette dette provient de toutes les fautes commises durant la vie, surtout des péchés mortels, remis, quant à la coulpe, par une sincère confession, mais qu’on a négligé d’expier par de dignes fruits de pénitence extérieure.

Doctrine de Suarez

Telle est la doctrine commune, que Suarez résume ainsi dans son traité du sacrement de Pénitence (Tom. 19 De pœnit. Disput. XI, sect. 4.): « Nous concluons donc, dit-il, que tous les péchés véniels avec lesquels un homme juste vient à mourir, sont remis quant à la coulpe, au moment où l’âme se sépare du corps, en vertu d’un acte d’amour de Dieu, et de contrition parfaite, qu’elle produit alors sur toutes ses fautes passées. En effet, l’âme en ce moment connaît parfaitement son état et les péchés dont elle est coupable devant Dieu, elle est en même temps maîtresse de ses facultés pour agir; d’autre part, du côté de Dieu, le secours le plus efficace lui est donné pour agir selon la mesure de grâce sanctifiante qu’elle possède. Il s’ensuit que, dans cette disposition parfaite, l’âme agit sans le moindre retard, se porte tout entière directement vers son Dieu, et se trouve dégagée, par un acte de souveraine détestation, de tous ses péchés véniels. Cet acte efficace et universel suffit pour les effacer quant à la coulpe. »

Toute souillure de coulpe a donc disparu; mais la peine reste à subir dans toute sa rigueur et pour toute sa durée, à moins que les âmes ne soient aidées par les vivants. Elles ne sauraient plus obtenir aucune remise par elles-mêmes, parce que le temps du mérite est passé: elles ne peuvent plus mériter, elles ne peuvent que souffrir et payer ainsi à la terrible justice de Dieu tout ce qu’elles lui doivent, jusqu’à la dernière obole: Usque ad novissimum quadrantem (Matth. V, 26.).

Sainte Catherine de Gênes

Ces dettes de peine sont des restes du péché, et une sorte de souillure, qui empêche la vision de Dieu et met obstacle à l’union de l’âme avec sa fin dernière. « La tache ou la coulpe du péché n’existant pas dans les âmes du purgatoire, écrit sainte Catherine de Gênes (Traité du purgatoire, chap. III.), il n’y a plus d’autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu’elles sentent en elles, leur cause le supplice du dam dont je viens de parler, et retarde le moment, où l’instinct qui les porte vers Dieu comme leur souveraine béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient clairement ce qu’est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c’est par nécessité de justice qu’il retarde le plein rassasiement de leur instinct béatifique. – De cette vue naît en elles un feu d’une ardeur extrême et semblable à celui de l’enfer, sauf la coulpe du péché. »

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 22, 23, 24

Chapitre 22 – Durée du purgatoire

Sentiment des docteurs

La foi ne nous fait pas connaître la durée précise des peines du purgatoire: nous savons en général qu’elle est mesurée par la divine justice et proportionnée pour chacun à la gravité et au nombre de ses fautes, non encore expiées. Dieu peut cependant, sans préjudicier, à sa justice, abréger ces peines en augmentant leur intensité; l’Église militante aussi peut en obtenir la rémission, totale ou partielle, par le saint Sacrifice de la messe et les autres suffrages offerts pour les défunts. D’après le sentiment commun des docteurs, les peines expiatrices sont de longue durée. « Il est hors de doute, dit Bellarmin (De gemitu, 1. II. c. 9.), que les peines du purgatoire ne sont limitées ni à dix ni à vingt ans, et qu’elles durent quelquefois des siècles entiers. Mais, quand il serait vrai que leur durée ne dépasse point dix ou vingt ans, compte-t-on pour rien d’endurer pendant dix ou vingt ans des peines très-douloureuses, des peines inconcevables, sans aucun soulagement ? Si un homme était assuré que vingt ans durant il devrait souffrir aux pieds, ou à la tête ou aux dents, quelque violente douleur, sans jamais pouvoir dormir ou prendre le moindre repos, n’aimerait-il pas mieux mourir cent fois que de vivre de la sorte ? Et si on lui donnait le choix, ou d’une vie si misérable ou de la perte de tous ses biens, balancerait-il à sacrifier sa fortune pour se délivrer de ce tourment ? Quoi donc ? Pour nous délivrer des flammes du purgatoire, ferons-nous difficulté d’embrasser les travaux de la pénitence ? Craindrons-nous d’en pratiquer les plus pénibles exercices: les veilles, les jeûnes, les aumônes, les longues prières, et surtout la contrition accompagnée de gémissements et de larmes ? »

Calcul du Père de Munford

Ces paroles de Bellarmin résument toute la doctrine des théologiens et des Saints. Le Père de Munford de la Compagnie de Jésus, dans son Traité de la charité envers les défunts, établit la longue durée du purgatoire sur un calcul de probabilité, dont nous donnerons la substance. Il part du principe que, selon la parole de l’Esprit-Saint, le juste tombe sept fois le jour (Prov. XXIV, 16.), c’est-à-dire que ceux-là même qui s’appliquent à servir Dieu parfaitement, malgré leur bonne volonté, commettent encore une foule de fautes aux yeux infiniment purs de Dieu. Nous n’avons qu’à descendre dans notre conscience, à analyser devant Dieu nos pensées, nos paroles et œuvres, pour nous convaincre de ce triste effet de la misère humaine. Oh ! qu’il est facile de manquer de respect dans la prière, de préférer ses aises au devoir à remplir, de pécher par vanité, par impatience, par sensualité, par pensées et paroles peu charitables, par manque de conformité à la volonté de Dieu ! La journée est longue: est-il bien difficile à une personne même vertueuse de commettre, je ne dirai pas sept, mais vingt ou trente de ces sortes de fautes ou imperfections ?

Prenons une estimation modérée et supposons que vous commettiez tous les jours une moyenne de 10 fautes; au bout des 365 jours de l’année vous aurez une somme de 3,650 fautes. Diminuons, et pour la facilité du calcul, mettons 3,000 par an. Au bout de dix ans, ce sera 30,000; au bout de 20 ans, 60,000.

Supposons que de ces 60,000 fautes, vous ayez expié la moitié par la pénitence et les bonnes œuvres; il vous en reste encore 30,000 à acquitter.

Continuons notre hypothèse: vous mourez après ces vingt ans de vie vertueuse et vous paraissez devant Dieu avec une dette de 30,000 fautes, que vous devrez acquitter dans le purgatoire. Combien faudra-t-il de temps pour accomplir cette expiation ?
Supposons qu’en moyenne chaque faute exige une heure de purgatoire. Cette mesure est très modérée, si nous en jugeons par les révélations des saints; mais enfin, mettons une heure par faute, cela vous fait un purgatoire de 30,000 heures. Or 30,000 heures, savez-vous combien elles représentent d’années ? 3 années, 3 mois, et 15 jours.

Ainsi un bon chrétien, qui veille sur lui-même, qui évite tout péché mortel, qui s’applique à la pénitence et aux bonnes œuvres, se trouve au bout de vingt ans de vie, passible de 3 ans, 3 mois, et 15 jours de purgatoire.

Le calcul qui précède est basé sur une estimation bénigne à l’excès. Or, si vous majorez la peine, et qu’au lieu d’une heure, vous mettiez un jour pour l’expiation d’une faute; si au lieu de n’avoir que des péchés véniels, vous apportez devant Dieu une dette de peines provenant de péchés mortels, plus ou moins nombreux commis autrefois; si vous mettez, comme le dit sainte Françoise de Rome, une moyenne de sept années pour l’expiation d’un péché mortel, remis quant à la coulpe; qui ne voit qu’on arrive à une durée terrifiante et que les expiations peuvent facilement se prolonger durant de longues années et durant des siècles ?

Des années et des siècles dans les tourments ! Oh ! si l’on y pensait, avec quel soin on éviterait les moindres fautes, avec quelle ferveur on pratiquerait la pénitence pour satisfaire en ce monde !

Chapitre 23 – Durée du purgatoire

Sainte Lutgarde, l’abbé de Citeaux

Dans la Vie de sainte Lutgarde (16 juin.), écrite par son contemporain Thomas de Cantimpré, il est fait mention d’un religieux, d’ailleurs fervent, mais qui pour un excès de zèle, fut condamné à quarante ans de purgatoire. C’était un abbé de l’Ordre de Citeaux, nommé Simon, qui tenait Lutgarde en grande vénération; la sainte de son côté suivait volontiers ses avis, et de fréquents rapports avaient formé entre eux une sorte d’intimité spirituelle.

Le Pape innocent III

Mais l’abbé n’était pas envers ses subordonnés aussi doux qu’envers la sainte. Sévère à lui-même, il l’était aussi dans son administration, et poussait l’exigence de la discipline jusqu’à la dureté, oubliant trop la leçon du Maître qui nous apprend à être doux et humbles de cœur. Étant venu à mourir, comme sainte Lutgarde priait ardemment pour lui et s’imposait des pénitences pour le soulagement de son âme, il lui apparut et avoua qu’il était condamné à quarante ans de purgatoire. Heureusement il avait en Lutgarde une amie généreuse et puissante. Elle prodigua ses prières et ses austérités; puis, ayant reçu de Dieu l’assurance que le défunt serait délivré prochainement, la charitable sainte répondit: Je ne cesserai de pleurer, Seigneur, je ne cesserai d’importuner votre miséricorde, jusqu’à ce que je le voie libéré de ses peines. Elle le vit en effet lui apparaître bientôt plein de reconnaissance, resplendissante de gloire et au comble du bonheur.
Puisque je viens de citer sainte Lutgarde, faut-il que je parle de la célèbre apparition du Pape Innocent III ? J’avoue que ce fait m’a choqué d’abord, et que j’aurais voulu le passer sous silence. Il me répugnait de penser qu’un Pape et un tel Pape eût été condamné à un long et terrible purgatoire. On sait en effet qu’Innocent III, qui présida le célèbre Concile de Latran en 1215, fut un des plus grands Pontifes qui occupèrent le Siège de saint Pierre: sa piété et son zèle lui firent accomplir les plus grandes choses pour l’Église de Dieu et la sainte discipline. Or, comment admettre qu’un tel homme eût été jugé au tribunal suprême avec une telle sévérité ? Comment concilier cette révélation de sainte Lutgarde avec la divine miséricorde ?

J’aurais donc voulu n’y voir qu’une illusion, et je cher- chai des raisons à l’appui de cette idée. Mais j’ai trouvé, tout au contraire, que la réalité de l’apparition est admise par les plus graves auteurs et qu’aucun ne la rejette. Au reste, l’historien Thomas de Cantimpré est très-affirmatif et en même temps très-réservé: « Remarquez, lecteur, écrit-il en finissant son récit, que j’ai appris de la bouche de la pieuse Lutgarde les fautes mêmes, révélées par le défunt, et que je ne les supprime ici que par respect pour un si grand Pape. »

D’ailleurs, considérant le fait en lui-même, y trouve-t-on une vraie raison qui oblige de le révoquer en doute? Ne sait-on pas que Dieu ne fait aucune acception de personne ? que les Papes paraissent devant son tribunal comme les derniers des fidèles ? que tous, grands et petits, sont égaux devant lui et que chacun reçoit selon ses œuvres ? Ne sait-on pas, que ceux qui gouvernent les autres ont une grande responsabilité et auront à rendre un compte sévère ? Judicium durissimum his qui prœsunt fiet, un jugement très rigoureux est réservé aux supérieurs (Sap. VI, 6.): c’est l’Esprit-Saint qui le déclare. Or, Inno-cent III a régné pendant dix-huit ans, dans des temps très-difficiles. Et, ajoutent les Bollandistes, n’est-il pas écrit que les jugements de Dieu sont insondables et souvent bien différents des jugements des hommes ? Judicia tua abyssus multa (Ps. 35).

La réalité de l’apparition ne saurait donc être raisonnablement révoquée en doute. Dès lors je ne vois aucune raison de la supprimer, puisque Dieu ne révèle ces sortes de mystères qu’afin qu’on les fasse connaître pour l’édification de son Église.
Or, le Pape Innocent III mourut le 16 juillet 1216. Le même jour il apparut à sainte Lutgarde dans son monastère d’Aywières en Brabant. Elle, surprise de voir un fantôme environné de flammes, lui demanda qui il était et ce qu’il voulait. « Je suis, lui répondit-il, le Pape Innocent. – Est-il possible que vous, notre Père commun, vous soyez dans un tel état ? – Il n’est que trop vrai: j’expie trois fautes que j’ai commises et qui ont failli causer ma perte éternelle. Grâce à la sainte Vierge Marie, j’en ai obtenu le pardon, mais il me reste à en subir l’expiation. Hélas ! elle est terrible et elle durera pendant des siècles, à moins que vous ne veniez puissamment à mon Secours. Au nom de Marie, qui m’a obtenu la faveur de venir vous implorer, secourez-moi ! » – Il dit et disparut. Lutgarde annonça la mort du Pape à ses sœurs, et se livra avec elles à des prières et des exercices de pénitence en faveur de l’auguste et vénéré défunt, dont le trépas leur fut annoncée quelques semaines après, par une autre voie.

Jean de Lierre

Ajoutons ici un fait plus consolant, que nous trouvons dans la vie de la même Sainte. Un célèbre prédicateur, appelé Jean de Lierre, homme d’une grande piété, était fort connu de sainte Lutgarde. Il avait fait avec elle un pacte, par lequel ils se promettaient mutuellement que celui des deux qui mourrait le premier, rendrait une visite à l’autre, si Dieu le permettait. – Jean mourut le premier. Ayant entrepris le voyage de Rome pour régler certaines affaires qui intéressaient les religieuses, il trouva la mort dans les Alpes.

Fidèle à sa promesse, il se présenta aux yeux de Lutgarde dans le cloître d’Aywières. La sainte en le voyant, ne se doutant pas qu’il fût mort, l’invita selon la règle à entrer au parloir pour s’entretenir avec lui. « Je ne suis plus de ce monde, répondit-il, et je ne viens ici que pour m’acquitter de ma promesse. » – A ces mots Lutgarde tomba à genoux et demeura quelque temps toute interdite. Puis relevant les yeux sur son bienheureux ami: « Pourquoi, dit-elle, êtes-vous vêtu si splendidement ? Que signifie ce triple vêtement dont je vous vois orné ? – L’habit blanc, répondit-il, signifie l’innocence virginale que j’ai toujours conservée; la tunique rouge marque les travaux et les souffrances qui m’ont consumé avant le temps; le manteau bleu qui recouvre tout, désigne la perfection de la vie spirituelle. » Ayant dit ces paroles, il quitta subitement Lutgarde, qui resta partagée entre les regrets d’avoir perdu un si bon Père, et la joie qu’elle ressentait de son bonheur.

Saint Vincent Ferrier, le célèbre thaumaturge de l’Ordre de saint Dominique, qui prêcha avec tant de force la grande vérité du jugement de Dieu, avait une sœur qui n’était nullement touchée ni des paroles ni des exemples de son saint frère. Elle était remplie de l’esprit du monde, éblouie de ses vanités, enivrée de ses plaisirs, et marchait à grands pas vers sa ruine éternelle. Cependant le saint priait pour sa conversion, et sa prière fut enfin exaucée. La malheureuse pécheresse tomba mortellement malade; et au moment de mourir, rentrant en elle-même se confessa avec un repentir sincère.

Quelques jours après sa mort, tandis que son frère célébrait pour elle le divin sacrifice, elle lui apparut au milieu des flammes, en proie à des maux intolérables. « Hélas ! mon frère, dit-elle, je suis condamnée à ces supplices jusqu’au jour du dernier jugement. Cependant vous pouvez m’aider. La vertu du saint sacrifice est si puissante: offrez pour moi une trentaine de messes, j’en espère le plus heureux effet. » – Le saint s’empressa d’accéder à cette demande; il célébra les trente messes, et le trentième jour, sa sœur lui apparut entouré d’anges et montant au ciel (Bayle, Vie de saint Vincent Ferr.). Grâce à la vertu du divin sacrifice, une expiation de plusieurs siècles se trouva réduite à trente jours.

Ce trait nous montre tout à la fois la durée des peines qu’une âme peut encourir, et l’effet puissant de la sainte messe, lorsque Dieu daigne l’appliquer à une âme. Mais cette application, comme celle des autres suffrages, n’a pas lieu toujours, du moins, ce n’est pas toujours avec la même plénitude.

Chapitre 24 – Durée du purgatoire

L’exemple suivant fait voir non seulement la longue durée des expiations infligées pour certaines fautes, mais en outre la difficulté de fléchir la divine justice en faveur de ceux qui ont commis ces sortes de fautes. L’histoire de la Visitation Sainte-Marie mentionne parmi les premières religieuses de cet institut la sœur Marie Denyse, qui s’était appelée dans le monde Mlle de Martignat. Elle avait pour les âmes du purgatoire la plus charitable dévotion, et se sentait particulièrement portée à recommander à Dieu les défunts qui avaient été grands dans le monde; car elle connaissait par expérience les dangers de leur position. Or un prince, dont on a supprimé le nom, mais que l’on croit appartenir à la Maison de France, était mort en duel, et Dieu permit qu’il apparût à sœur Denyse pour lui demander un secours, dont il avait le plus grand besoin. Il lui déclara qu’il n’était pas damné, malgré son crime qui méritait la damnation. Grâce à un acte de contrition parfaite qu’il avait formé au moment de mourir, il était sauvé; mais en punition de sa vie et de sa mort coupable, il était condamné aux plus rigoureux châtiments du purgatoire, jusqu’au jour du jugement.

La charitable sœur profondément touchée de l’état de cette âme, s’offrit généreusement en victime pour elle. Mais on ne saurait dire ce qu’elle eut à souffrir, durant plusieurs années, en conséquence de cet acte héroïque. Le pauvre prince ne lui laissait aucun repos et lui faisait partager ses tourments. Elle finit par en mourir; mais avant d’expirer, elle confia à sa Supérieure que, pour prix de tant d’expiations, elle avait obtenu pour son protégé une remise de peine de quelques heures.

Comme la Supérieure paraissait étonnée d’un pareil résultat, qui lui semblait tout à fait disproportionné avec ce que la sœur avait souffert: « Ah ! ma Mère, répliqua sœur Marie Denyse, les heures du purgatoire ne se comptent pas comme celles de la terre: des années entières de tristesse, d’ennui, de pauvreté ou de maladie en ce monde, ne sont rien en comparaison d’une heure de souffrances au purgatoire. C’est déjà beaucoup que la divine miséricorde nous ait permis d’exercer quelque influence sur sa justice. – Je suis moins touchée d’ailleurs du lamentable état dans lequel j’ai vu languir cette âme, que de l’admirable retour de la grâce qui a consommé l’œuvre de son salut. L’action dans laquelle le prince est mort, méritait l’enfer; un million d’autres eussent trouvé leur perte éternelle dans l’acte où il a trouvé son salut. Il ne recouvra sa connaissance que pour un instant, juste le temps de coopérer à ce précieux mouvement de la grâce, qui le mit en état de faire un acte sincère de contrition. Ce moment béni me semble un excès de la bonté, de la douceur, de l’amour infini de Dieu. »

Ainsi parla la sainte sœur Denyse: elle admirait tout à la fois la sévérité de la justice de Dieu et son infinie miséricorde. L’une et l’autre, en effet, éclatent dans cet exemple d’une manière saisissante.

Le duelliste – Le Père Schoofs et l’apparition d’Anvers

Au sujet de la longue durée du purgatoire pour certaines âmes, citons ici un trait plus récent et plus rapproché de nous. Le P. Philippe Schoofs, de la Compagnie de Jésus, qui mourut à Louvain en 1878, racontait le fait suivant, arrivé à Anvers dans les premières années de son ministère en cette ville. Il venait de prêcher une mission et était rentré au collège de Notre-Dame, situé alors rue de l’Empereur, lorsqu’il fut averti qu’on le demandait au parloir. Étant descendu aussitôt, il y trouva deux jeunes gens à la fleur de l’âge avec un enfant de neuf ou dix ans, pâle et maladif. « Mon père, lui dirent-ils, voici un enfant pauvre que nous avons recueilli, et qui mérite notre protection, parce qu’il est sage et pieux. Nous lui donnons la nourriture et l’éducation; et depuis plus d’une année qu’il fait partie de notre famille, il a été aussi heureux que bien portant. Depuis quelques semaines seulement, il a commencé à maigrir et à dépérir comme vous voyez. – Quelle est la cause de ce changement ? demanda le père. – Ce sont des frayeurs, répondirent-ils: l’enfant est éveillé toutes les nuits par des apparitions. Un homme, à ce qu’il nous assure, se présente à ses yeux: il le voit aussi clairement qu’il nous voit ici en plein jour. De là des frayeurs, des agitations continuelles. Nous venons, mon Père, vous demander un remède. – Mes amis, répondit le P. Schoofs, il y a remède à toutes choses auprès du Bon Dieu. Commencez, vous deux, par faire une bonne confession et une bonne communion; priez le Seigneur qu’il vous délivre de tout mal, et soyez sans crainte. Pour vous, mon enfant, dit-il au petit, faites bien votre prière, puis endormez-vous si profondément qu’aucun revenant ne puisse vous réveiller. » – Après cela il les congédia en leur disant de revenir, s’il arrivait encore quelque chose.

Quinze jours se passent, et les voilà qui reviennent. « Mon père, disent-ils, nous avons rempli vos prescriptions, et les apparitions continuent comme avant. L’enfant voit toujours apparaître le même homme. – Dès ce soir, répond le P. Schoofs, veillez à la porte de l’enfant, muni de papier et d’encre, pour écrire les réponses. Lorsqu’il vous avertira de la présence de cet homme, approchez, demandez au nom de Dieu qui il est, l’époque de sa mort, le lieu qu’il a habité et le sujet de sa venue. »

Dès le lendemain, ils reviennent, portant le papier où étaient écrites les réponses qu’ils avaient reçues. « Nous avons vu, disaient-ils, l’homme que voyait l’enfant. » Puis ils s’expliquèrent: c’était un vieillard, dont on n’apercevait que le buste et qui portait un costume du vieux temps. Il leur avait dit son nom et la maison qu’il avait habitée à Anvers. Il était mort en 1636, avait exercé la profession de banquier dans cette même maison, laquelle, de son vivant, comprenait aussi les maisons qui aujourd’hui sont attenantes à droite et à gauche. Disons ici en passant qu’on a depuis découvert dans les archives de la ville d’Anvers des documents, qui constatent l’exactitude de ces indications. – Il ajouta qu’il était au purgatoire, qu’on avait peu prié pour lui; et il suppliait les personnes de la maison de faire une communion pour lui; il demandait enfin qu’on fît un pèlerinage à Notre-Dame des Fièvres, à Louvain, et un autre à Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles. – « Vous ferez bien, dit le P. Schoofs, d’accomplir ces œuvres; et, si l’esprit revient encore, avant de le faire parler, exigez qu’il récite le Pater, l’Ave Maria et Credo. »

Ils accomplirent les œuvres indiquées avec toute la piété possible, et des conversions eurent lieu dans cette circonstance. Quand tout fut achevé, les jeunes gens revinrent: « Mon père, il a prié, dirent-ils au P. Schoofs, mais avec un accent de foi et de piété indicible. Jamais nous n’avons entendu prier ainsi: Quel respect dans son Pater ! Quel amour dans son Ave Maria ! Quelle fermeté dans son Credo ! Maintenant nous savons ce que c’est que prier. – Il nous a ensuite remerciés pour nos prières: il en était grandement soulagé; il eût même été délivré entièrement, disait-il, sans la faute de la fille de magasin, qui avait fait une confession sacrilège. – Nous avons, ajoutèrent-ils, rapporté cette parole à la fille; elle a pâli et avoué sa faute, puis, courant à son confesseur, elle s’est empressée de tout réparer. »

Depuis ce jour, ajoutait le P. Schoofs en terminant son récit, cette maison n’a plus été troublée. La famille qui l’habitait a prospéré rapidement et est riche aujourd’hui. Les deux frères continuent à se conduire d’une manière exemplaire, et leur sœur s’est faite religieuse dans un couvent où elle est actuellement supérieure.

Tout porte à croire que la prospérité de cette famille lui est venue du défunt qu’elle a secouru. Celui-ci, après ses deux siècles de purgatoire n’avait plus besoin que d’un reste d’expiation et des quelques œuvres qu’il a demandées. Ces œuvres accomplies, il a été délivré, et il aura voulu témoigner sa gratitude en obtenant les bénédictions de Dieu pour ses libérateurs.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 19, 20, 21

Chapitre 19 – Peines du purgatoire

Sainte Madeleine de Pazzi et la sœur Benoîte

On lit dans la vie de sainte Madeleine de Pazzi, qu’une de ses sœurs nommée Marie-Benoîte, religieuse d’une éminente vertu, mourut entre ses bras. Pendant son agonie, elle aperçut une multitude d’anges, qui l’environnaient d’un air joyeux, attendant qu’elle rendît son âme pour la porter dans la Jérusalem céleste; et, au moment où elle expira, la sainte les vit recevoir cette âme bienheureuse sous la forme d’une colombe, dont la tête était dorée, et disparaître avec elle.

Trois heures après, veillant et priant auprès du saint corps, Madeleine connut que l’âme de la défunte n’était ni en paradis ni au purgatoire, mais dans un lieu particulier où, sans souffrir aucune peine sensible, elle était privée de la vue de son Dieu.

Le lendemain, comme on célébrait la messe pour l’âme de Marie-Benoîte, au Sanctus, Madeleine fut ravie de nouveau en extase, et Dieu lui fit voir cette âme bienheureuse au sein de la gloire, où elle venait d’entrer.

Madeleine se permit de demander au Sauveur Jésus pourquoi il n’avait pas admis plus tôt cette âme chérie en sa sainte présence ? Elle reçut pour réponse que, dans sa dernière maladie, la sœur Benoîte s’était montrée trop sensible aux peines qu’on se donnait pour elle, ce qui avait interrompu quelque temps son union habituelle avec Dieu, et sa conformité parfaite à la divine volonté.

Sainte Gertrude

Revenons encore aux révélations de sainte Gertrude, que nous avons citées plus haut: nous y trouvons un autre trait qui montre comment, pour certaines âmes du moins, le soleil de la gloire est précédé d’une aurore et se lève par degrés. Une religieuse était morte à la fleur de son âge, dans le baiser du Seigneur. Elle s’était fait remarquer par une tendre dévotion au Saint-Sacrement. Après sa mort, sainte Gertrude la vit toute brillante de célestes clartés, agenouillée devant le divin Maître, dont les plaies glorifiées paraissaient comme des foyers lumineux: il s’en échappait cinq rayons enflammés qui allaient atteindre les cinq sens de la défunte. Celle-ci néanmoins gardait sur le front comme un nuage d’ineffable tristesse. « Seigneur Jésus, s’écria la sainte, comment pouvez-vous illuminer de la sorte votre servante, sans qu’elle éprouve une joie parfaite ? – Jusqu’à cette heure, répondit le doux Maître, cette sœur a été digne seulement de contempler mon humanité glorifiée et de jouir de la vue de mes cinq plaies, en récompense de sa tendre dévotion au mystère de l’Eucharistie; mais, à moins de nombreux suffrages en sa faveur, elle ne peut être admise encore à la vision béatifique, à cause de quelques légers manquements dans l’observation de ses saintes règles. »

La Bienheureuse Marguerite-Marie et la Mère de Montoux

Terminons ce que nous avons à dire sur la nature des peines par quelques détails que nous trouvons dans la vie de la Bienheureuse Marguerite Marie de la Visitation. Ils sont tirés en partie du mémoire de la mère Greffier, cette Supérieure qui, sagement défiante au sujet des grâces extraordinaires accordées à la Bienheureuse sœur Marguerite, ne commença à en reconnaître la vérité qu’après mille épreuves. – La mère Philiberte Emmanuel de Montoux, Supérieure d’Annecy, mourut le 2 février 1683, après une vie qui édifia tout l’Institut. La mère Greffier la recommanda particulièrement aux prières de sœur Marguerite. Au bout de quelque temps, celle-ci dit à sa supérieure que Notre-Seigneur lui avait fait connaître que cette âme lui était fort chère, à cause de son amour et de sa fidélité à son service; qu’il lui gardait une ample récompense dans le ciel, après qu’elle aurait achevé de se purifier dans le purgatoire.

La Bienheureuse vit la défunte dans le lieu des expiations: Notre-Seigneur la lui montra dans les souffrances, mais recevant de grands soulagements par l’application des suffrages et des bonnes œuvres, qu’on offrait tous les jours pour elle dans tout l’Ordre de la Visitation. La nuit du jeudi-saint au vendredi, tandis que sœur Marguerite priait encore pour elle, il la lui fit voir comme étant placée sous le calice qui contenait l’hostie, au reposoir de l’Adoration: là elle participait aux mérites de son agonie au jardin des Olives.
Le jour de Pâques, qui cette année tombait au 18 avril, la bienheureuse la vit comme dans un commencement de félicité, désirant et espérant bientôt la vue et la possession de Dieu.

Enfin, quinze jours après, le 2 mai, dimanche du Bon Pasteur, elle la vit comme s’abîmant doucement dans la gloire, chantant mélodieusement le cantique de l’amour divin.

Voici comment la Bienheureuse Marguerite rend compte elle-même de cette dernière apparition dans une lettre adressée ce jour même, 2 mai 1623, à la mère de Saumaise à Dijon ( Écrits et correspondances de la Bienheureuse Marguerite Marie p.82 fin p.83): « Vive Jésus ! Mon âme se sent pénétrée d’une si grande joie, que j’ai peine à la contenir en moi-même. Permettez-moi, ma bonne Mère, de la communiquer à votre cœur, qui ne fait qu’un avec le mien en celui de Notre-Seigneur. Ce matin, dimanche du Bon Pasteur, deux de mes bonnes amies souffrantes, à mon réveil, me sont venues dire adieu: c’était aujourd’hui que le souverain Pasteur les recevait dans son bercail éternel, avec plus d’un million d’autres âmes. Toutes deux, mêlées à cette multitude bienheureuse, s’en allaient avec des chants d’allégresse inexprimables. – L’une est la bonne mère Philiberte Emmanuel de Monthoux; l’autre, ma sœur Jeanne Catherine Gâcon. L’une répétait sans cesse ces paroles: L’amour triomphe, l’amour jouit, l’amour en Dieu se réjouit. L’autre disait: Bienheureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur, et les religieux qui vivent et meurent dans l’exacte observance de leurs règles. – Toutes deux veulent que je vous dise de leur part que la mort peut bien séparer les amis, mais non les désunir.
» Si vous saviez combien mon âme a été transportée de joie ! Car en leur parlant je les voyais peu à peu s’abîmer dans la gloire, comme une personne qui se noie dans un vaste océan. – Elles vous demandent en action de grâces à la très auguste Trinité, un Laudate et trois Gloria Patri. – Comme je les priais de se souvenir de nous, elles m’ont dit, pour dernières paroles, que l’ingratitude n’est jamais entrée dans le ciel. »

Chapitre 20 – Diversité des peines

D’après les révélations des saints, il y a dans les peines afflictives du purgatoire une grande diversité. Bien que le feu soit le supplice dominant, il y a aussi le tourment du froid, il y a la torture des membres, et des supplices appliqués aux différents sens du corps humain. Cette diversité de peines est ordonnée par la divine Justice, et semble surtout répondre à la nature des péchés, qui exigent chacun son châtiment propre, selon cette parole: Quia per quœ peccat quis, per hœc et torquetur, l’homme est puni par où il a péché (Sap. XI, 17.). – Il convient au reste qu’il en soit ainsi pour le châtiment, puisque la même diversité existe pour les récompenses. Chacun reçoit au ciel selon ses œuvres, et, comme dit le vénérable Bède, chacun reçoit sa couronne, son vêtement de gloire: vêtement qui pour le martyr a la splendeur de la pourpre, et pour le confesseur l’éclat d’une blancheur éblouissante.

Le roi Sanche et la reine Gude

L’historien Jean Vasquez (Cf. Merv. 8.), dans sa Chronique, sous l’année 940, rapporte comment Sanche, roi de Léon, apparut à la reine Gude, et fut délivré du purgatoire par la piété de cette princesse. – Sanche avait vécu en excellent chrétien et mourut empoisonné par un de ses sujets. La reine Gude, sa femme, s’occupa de prier et de faire prier pour le repos de son âme; non contente de faire célébrer un grand nombre de messes, elle prit le voile dans le monastère de Castille, où le corps de son mari avait été déposé, afin de pouvoir pleurer et prier auprès de ces chères dépouilles.

Comme elle priait un jour de samedi aux pieds de la Très-Sainte Vierge, pour lui recommander l’âme de son mari, Sanche lui apparut, mais dans quel état, grand Dieu ! il était couvert d’habits de deuil, et portait comme ceinture un double rang de chaînes rougies au feu. Après avoir remercié sa pieuse veuve pour ses suffrages, il la conjura de continuer son œuvre de charité. « Ah ! si vous saviez, Gude, ce que j’endure, lui dit-il, vous feriez bien davantage encore. Par les entrailles de la divine miséricorde, secourez-moi, chère Gude, secourez-moi: ces flammes me dévorent ! »

La reine redoubla de prières, de jeûnes et de bonnes œuvres: elle répandit de royales aumônes dans le sein des pauvres, fit célébrer des messes de toutes parts, et donna au monastère un magnifique ornement pour les offices de l’autel.

Au bout de quarante jours, le roi lui apparut de nouveau: il était délivré de sa ceinture brûlante et de toutes ses souffrances; à la place de ses habits de deuil, il portait un manteau d’une éclatante blancheur, semblable à l’ornement sacré que Gude avait donné pour lui au monastère. « Me voici, chère Gude, dit-il à la reine: grâce à vous, je suis délivré de mes souffrances. Soyez bénie, à jamais ! Persévérez dans vos saints exercices, méditez souvent la rigueur des peines de l’autre vie et les joies du paradis, où je vais vous attendre.»

– A ces mots il disparut, laissant la pieuse Gude inondée de consolation.

Sainte Lidvine et l’âme transpercée

Un jour une femme toute désolée vint annoncer à sainte Lidvine qu’elle venait de perdre son frère. « Mon frère, dit-elle, vient de mourir et je recommande sa pauvre âme à votre charité. Offrez à Dieu pour elle quelques prières et une partie des souffrances de votre maladie. » – La sainte malade le lui promit, et peu de temps après, dans un de ses ravissements si fréquents, elle fut conduite par son ange gardien dans les prisons souterraines, où elle vit avec une extrême compassion les tourments des pauvres âmes plongées dans les flammes. L’une d’elles attira particulièrement son attention: elle la voyait transpercée de part en part par des broches de fer. Son ange lui dit que c’était là le frère défunt de cette femme, qui était venue demander pour lui le secours de ses prières. « Si vous voulez, ajouta-t-il, demander quelque grâce en sa faveur, elle ne vous sera pas refusée. – Je demande donc, répondit-elle, qu’il soit délivré de ces horribles fers qui le transpercent. » – Aussitôt elle vit qu’on les arrachait au malheureux et qu’on le conduisait de cette prison spéciale, dans la prison commune aux âmes qui n’ont encouru aucun supplice particulier.

La sœur du défunt étant revenue peu après auprès de sainte Lidvine, celle-ci lui fit connaître la triste situation de son frère, et l’engagea à l’aider en multipliant pour lui les prières et les aumônes. Elle-même offrit à Dieu ses supplications et ses souffrances, jusqu’à ce que la pauvre âme fût enfin délivrée (Vie de sainte Lidvine).

La Bienheureuse Marguerite et le lit de feu

Nous lisons dans la Vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie, qu’une âme fut torturée dans un lit de tourment, à cause de sa paresse durant la vie; qu’en même temps elle eut à subir un supplice particulier dans son cœur, à cause de ses mauvais sentiments, et dans sa langue, en punition de ses paroles peu charitables. En outre, elle eut à souffrir une peine affreuse d’un genre tout différent, causée, non par le feu ou par le fer, mais par la vue épouvantable d’une damnation. Voici comment la Bienheureuse rapporte elle-même cet événement dans ses écrits: « Je vis en songe, dit-elle, une de nos sœurs décédées depuis quelque temps. Elle me dit qu’elle souffrait beaucoup en purgatoire; mais que Dieu venait de lui faire sentir une douleur qui surpassait toutes ses peines, en lui montrant une de ses proches parentes précipitées dans l’enfer. »

Je me réveillai sur ces paroles, et je sentis tout mon corps comme si brisé, que j’avais peine à me remuer. Comme on ne doit point croire aux songes, je ne fis pas grande réflexion sur celui-là; mais cette religieuse m’en fit bien faire malgré moi. Car, depuis ce moment, elle ne me donna point de repos, et elle me disait incessamment: Priez Dieu pour moi, offrez-lui vos souffrances, unies à celles de Jésus-Christ, pour soulager les miennes, et donnez-moi tout ce que vous ferez jusqu’au premier vendredi de mai, où vous communierez pour moi. » Je le fis avec la permission de ma supérieure.

Cependant la peine que cette fille souffrante me communiquait, s’augmenta si fort, qu’elle m’accablait et me rendait impossible tout soulagement et repos. – L’obéissance me fit retirer pour en prendre dans mon lit; mais, je n’y fus pas plutôt, qu’il me semblait l’avoir proche de moi qui me disait: « Te voilà dans ton lit bien à ton aise; regarde celui où je suis couchée, et où je souffre des maux intolérables. » Je vis ce lit, qui me fait encore frémir toutes les fois que j’y pense. Le dessus et le dessous était de pointes aiguës et enflammées, qui entraient dans la chair: elle me dit alors que c’était à cause de sa paresse et négligence dans l’observance des règles. – « On me déchire le cœur, ajouta-t-elle, ce qui est ma plus cruelle douleur, pour mes pensées de murmure et désapprouvement, dans lesquelles je me suis entretenue contre mes supérieures. – Ma langue est rongée de vermine, et on me l’arrache continuellement, pour les paroles que j’ai dites contre la charité et pour mon peu de silence. – Ah ! que je voudrais bien que toutes les âmes consacrées à Dieu pussent me voir dans ces horribles tourments ! Si je pouvais leur faire voir ce qui est préparé à celles qui vivent négligemment dans leur vocation, elles marcheraient avec une tout autre ardeur dans leurs observances, et se garderaient bien de tomber dans les défauts qui me font maintenant tant souffrir. »

« Je fondis en larmes à ce spectacle. Cependant l’âme souffrante continua: Hélas ! dit-elle, un jour d’exactitude au silence, observé par toute la communauté, guérirait ma bouche altérée; un autre, passé dans la pratique de la sainte charité, guérirait ma langue; un troisième, passé sans aucun murmure ni désapprouvement contre la supérieure, guérirait mon cœur déchiré: mais personne ne pense à me soulager. »

» Après que j’eus fait la communion qu’elle m’avait demandée, elle me dit que ses horribles tourments étaient bien diminués; mais qu’elle était encore en purgatoire pour longtemps, condamnée à souffrir les peines qui sont dues aux âmes tièdes dans le service de Dieu.

«Pour moi, ajoute la Bienheureuse Marguerite, je me trouvai dès lors affranchie de mes peines, lesquelles, m’avait-elle dit, ne diminueraient point qu’elle-même ne fût soulagée (Languet, Vie de la Bienheureuse Marguerite. ). »

Chapitre 21 – Diversité des peines

Blasio ressuscité par saint Bernardin

Le célèbre Blasio Masseï, ressuscité par saint Bernardin de Sienne (20 mai.), vit aussi au purgatoire une grande diversité de peines. Ce miracle se trouve exposé au long dans les Acta Sanctorum, appendice au 20 mai.

Peu de temps après la canonisation de saint Bernardin de Sienne, mourut à Cascia au royaume de Naples, un enfant de onze ans, appelé Blasio Masseï. Ses parents lui avaient inspiré la dévotion qu’ils avaient eux-mêmes à ce nouveau Saint, et celui-ci sut les en récompenser. Le lendemain de la mort, comme on allait l’ensevelir, Blasio se réveilla comme d’un profond sommeil, et dit que saint Bernardin le ramenait à la vie pour raconter les merveilles qu’il lui avait fait voir dans l’autre monde.

On comprend l’étonnement et la curiosité que produisit cet événement. Pendant un mois entier le jeune Blasio ne fit que parler de ce qu’il avait vu, et répondre aux questions que lui faisaient les visiteurs. Il parlait avec une naïveté d’enfant, mais en même temps avec une exactitude d’expression, une connaissance des choses de la vie future, qui était de loin au-dessus de son âge.

Au moment de sa mort, disait-il, saint Bernardin s’était présenté devant lui, et l’avait pris par la main en lui disant: « N’ayez pas peur; mais regardez bien tout ce que je vous montrerai, afin de le retenir et de le raconter après. »

Or le saint conduisit successivement son jeune protégé, dans les régions de l’enfer, du purgatoire, des limbes, et enfin il lui fit voir le ciel.

Dans l’enfer Blasio vit des horreurs inexprimables, et les supplices divers par lesquels les orgueilleux, les avares, les impudiques et les autres pécheurs étaient tourmentés. Parmi eux il en reconnut plusieurs qu’il avait vus durant la vie, et même il en vit arriver deux qui venaient de mourir, Buccerelli et Frascha. Ce dernier était damné pour avoir possédé des biens mal acquis. Le fils de Frascha, frappé de cette révélation comme d’un coup de foudre, connaissant d’ailleurs la vérité des choses, s’empressa de faire une restitution complète; et non content de cet acte de justice, pour ne point s’exposer à partager un jour le triste sort de son père, il distribua aux pauvres le reste de sa fortune et embrassa la vie monastique.

Conduit de là au purgatoire, Blasio y vit aussi des supplices effroyables, diversifiés d’après les péchés dont ils étaient le châtiment. Il y reconnut un grand nombre d’âmes, et plusieurs d’entre elles le prièrent d’avertir leurs parents et proches de leur douloureuse situation, elles leur indiquaient même les suffrages et bonnes œuvres dont elles avaient besoin. – Lorsqu’on l’interrogeait sur l’état d’un défunt, il répondait sans hésiter et donnait les détails les plus précis. « Votre père, dit-il, à un de ses visiteurs, est au purgatoire depuis tel jour; il vous a chargé de distribuer telle somme en aumônes, et vous ne l’avez pas exécuté. – Votre frère, dit-il à un autre, vous avait demandé de faire célébrer autant de messes, et vous en étiez convenu avec lui; mais vous n’avez pas rempli votre engagement: il reste encore autant de messes à acquitter. »

Blasio parlait aussi du ciel où il avait été conduit en dernier lieu; mais il en parlait à peu près comme Saint Paul, qui, ayant été ravi au troisième ciel, avec son corps ou sans son corps, ce qu’il ne savait pas; y avait entendu des paroles mystérieuses qu’une bouche mortelle ne saurait redire. – Ce qui avait surtout frappé les regards de l’enfant, c’était l’immense multitude des anges qui entouraient le trône de Dieu, et la beauté incomparable de la sainte Vierge Marie, élevée au-dessus de tous les chœurs des anges.

La vénérable Françoise de Pampelune et la plume de feu

La vie de la vénérable mère Françoise du Saint-Sacre-ment, religieuse de Pampelune (Sa Vie par le F. Joachim. Cf. Merv. 26.), présente plusieurs faits qui montrent comment les peines sont appropriées aux fautes à expier. Cette vénérable servante de Dieu avait les communications les plus intimes avec les âmes du purgatoire, jusque-là qu’elles venaient en grand nombre et remplissaient sa cellule, attendant humblement, chacune à son tour, qu’elle les aidât par ses prières. Souvent, pour mieux exciter sa compassion, elles lui apparaissaient avec les instruments de leurs péchés, devenus dans l’autre vie des instruments de torture. Elle vit un jour un religieux, entouré d’objets précieux, de tableaux, de fauteuils embrasés. Il avait amassé ces sortes de choses dans sa cellule contrairement à la pauvreté religieuse; après sa mort, elles faisaient son tourment. – D’autres fois c’étaient des prêtres, avec leurs ornements en feu: l’étole transformée en chaîne brûlante, les mains couvertes d’ulcères hideux. Ils étaient ainsi punis pour avoir célébré sans respect les divins Mystères.

Un notaire lui apparut un jour avec tous les insignes de sa profession, lesquels tout en feu et accumulés autour de lui, le faisaient souffrir horriblement. « J’ai employé cette plume, cette encre, ce papier, lui dit-il, à dresser des actes illicites. J’avais aussi la passion du jeu, et ces cartes brûlantes que je suis forcé de tenir continuellement en main, font mon châtiment. Cette bourse embrasée contient mes gains illicites et me les fait expier.»

De tout ceci ressort un grand et salutaire enseignement. Les créatures sont données à l’homme comme moyens pour servir Dieu: il doit en faire des instruments de vertus et de bonnes œuvres; s’il en abuse et en fait des instruments de péché, il est juste qu’elles soient tournées contre lui et deviennent les instruments de son châtiment.

Saint Corprée et le roi Malachie.

La vie de saint Corprée, Évêque d’Irlande, qu’on trouve dans les Bollandistes sous le 6 mars, nous fournit un autre exemple du même genre. Un jour que ce saint Prélat était en prière après l’office, il vit se dresser devant lui un personnage horrible, le visage pâle, un collier de feu autour du cou, et sur les épaules un misérable manteau tout déchiré. – « Qui es-tu ? demanda le saint, sans se troubler. – Je suis une âme passée à l’autre vie. – D’où vient le triste état où je te vois ? – De mes fautes, qui m’ont attiré ces châtiments. Malgré la misère où je me trouve réduit maintenant, je suis Malachie, autre fois roi d’Irlande. Je pouvais dans cette haute position faire beaucoup de bien, c’était d’ailleurs mon devoir; je l’ai négligé: voilà pourquoi je suis puni. – N’as-tu pas fait pénitence de tes fautes ? – Je n’en ai pas fait assez, grâce à la coupable faiblesse de mon confesseur, que j’ai plié à mes caprices en lui offrant un anneau d’or. C’est à cause de cela que je porte maintenant au cou ce collier de flammes. – Je voudrais savoir, reprit l’Évêque, pourquoi vous êtes couvert de ces haillons. – C’est encore un châtiment: je n’ai pas vêtu ceux qui étaient nus, je n’ai pas aidé les pauvres avec la charité, avec le respect et la libéralité que me commandait ma dignité de roi et mon titre de chrétien. C’est pourquoi vous me voyez habillé moi-même en pauvre et couvert d’un vêtement de confusion. »

L’histoire ajoute que saint Corprée, s’étant mis en prière avec tout son chapitre, obtint au bout de six mois, un allègement de peine, et, un peu plus tard, la délivrance entière du roi Malachie.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 16, 17, 18

Chapitre 16 – Peines du purgatoire

Ce qui montre encore la rigueur du purgatoire, c’est que le temps le plus court y paraît très long. Tout le monde sait que les jours de joie passent vite et paraissent courts, tandis que nous trouvons très long le temps de la souffrance. Oh ! combien lentement s’écoulent les heures de la nuit pour les pauvres malades qui les passent dans l’insomnie et les douleurs ! Oh ! combien longue paraîtrait une minute, s’il fallait, pendant cette minute, tenir la main plongée dans le feu ! L’on peut dire que, plus les peines qu’on souffre sont intenses, plus la plus courte durée en paraît longue. Cette règle nous fournit un nouveau moyen d’apprécier les peines du purgatoire.

Saint Antonin, le religieux malade

On trouve dans les Annales des Frères-Mineurs, sous l’année 1285, un fait que rapporte aussi saint Antonin dans sa Somme, partie IV, § 4. Un religieux souffrant depuis longtemps d’une douloureuse maladie, se laissa vaincre par le découragement et supplia Dieu de le laisser mourir afin d’être délivré de ses maux. Il ne songeait pas que le prolongement de sa maladie était une miséricorde de Dieu, qui voulait par-là lui épargner des souffrances plus rigoureuses.

En réponse à sa prière, Dieu chargea son ange gardien de lui offrir le choix, ou de mourir immédiatement et de subir trois jours de purgatoire, ou d’endurer sa maladie pendant une année encore, et d’aller ensuite directement au ciel. Le malade ayant à choisir entre trois jours de Purgatoire et une année de souffrances, ne balança pas et prit les trois jours de purgatoire. Il mourut donc sur l’heure et alla au séjour de l’expiation.

Au bout d’une heure son ange vint le visiter dans ses souffrances. En le voyant, le pauvre patient se plaignit de ce qu’il l’avait laissé si longtemps dans ces supplices. Cependant, ajouta-t-il, vous m’aviez promis que je n’y serais que trois jours. – Combien de temps, demanda l’ange, pensez-vous avoir déjà souffert ? – Au moins plusieurs années, répondit-il, et je ne devais souffrir que trois jours. – Sachez, reprit l’ange, qu’il y a une heure seulement que vous êtes ici. La rigueur de la peine vous trompe sur le temps: elle fait qu’un instant vous paraît un jour, et une heure des années. – Hélas ! dit-il alors en gémissant, j’ai été bien aveugle, bien inconsidéré dans le choix que j’ai fait. Priez Dieu, mon bon ange, qu’il me pardonne et me permette de retourner sur la terre: je suis prêt à souffrir les plus cruelles infirmités, non seulement pendant deux ans, mais aussi longtemps qu’il lui plaira. Plutôt dix ans de maladies affreuses, qu’une seule heure dans ce séjour d’inexprimables angoisses.

Le P. Rossignoli, durée d’un quart d’heure au purgatoire

Le trait suivant est tiré d’un pieux auteur cité par le Père Rossignoli (Merv. 17.). Deux religieux d’éminente vertu s’excitaient mutuellement à mener la vie la plus sainte. L’un d’eux tomba malade et connut par vision qu’il mourrait bientôt, qu’il serait sauvé, et qu’il serait seulement au purgatoire jusqu’à la première messe qu’on célébrerait pour lui. – Plein de joie à cette nouvelle, il s’empressa d’en faire part à son ami, et le conjura de ne pas tarder après sa mort à célébrer la messe qui devait lui ouvrir le ciel.

Il mourut le lendemain matin, et son saint compagnon, sans perdre de temps, alla offrir pour lui le saint sacrifice. Après la messe, comme il faisait son action de grâces et continuait à prier pour le défunt, celui-ci lui apparut rayonnant de gloire; mais d’un ton de plainte amicale, il lui demanda pourquoi il avait tant différé de célébrer cette seule messe dont il avait eu besoin ? – « Mon bienheureux frère, répondit le religieux, j’ai tant différé, dites-vous ? Je ne vous comprends pas. – Eh ! ne m’avez-vous pas laissé souffrir plus d’une année, avant de dire la messe pour moi ? – En vérité, mon frère, j’ai commencé le saint sacrifice aussitôt après votre décès: il n’y a pas eu un quart d’heure d’intervalle. » – Le bienheureux le regardant alors avec émotion, s’écria: « Qu’elles sont donc terribles ces peines expiatrices, puisqu’elles m’ont fait prendre quelques minutes pour une année ! Servez Dieu, mon frère, avec une exacte fidélité afin d’éviter de tels châtiments. Adieu, je vole au ciel, où vous viendrez bientôt me joindre. »

Le Frère Angélique

Cette rigueur de la divine justice à l’égard des âmes les plus ferventes, s’explique par l’infinie sainteté de Dieu qui découvre des taches dans ce qui nous paraît le plus pur. Les annales de l’Ordre de Saint-François (Chronique des Frères Min. p. 2. 1. 4. c. 8. Cf. Rossign. Merv. 36.) parlent d’un religieux que son éminente piété avait fait surnommer l’Angélique. Il mourut saintement dans un couvent de Frères-Mineurs à Paris; et un de ses confrères, docteur en théologie, persuadé qu’après une vie si parfaite il était allé droit au ciel et qu’il n’avait nul besoin de prières, omit de célébrer pour lui les trois messes d’obligation selon l’institut pour chaque défunt. – Au bout de quelques jours, comme il se promenait en méditant dans un endroit solitaire, le défunt se présenta à lui tout environné de flammes et lui dit d’une voix lamentable: « Cher maître, je vous en conjure, ayez pitié de moi. – Eh quoi ! frère Angélique, vous avez besoin de mon secours ? – Je suis retenu dans les feux du purgatoire, et j’attends le fruit du saint Sacrifice que vous deviez offrir trois fois pour moi. – Frère bien-aimé, j’ai cru que vous étiez déjà en possession de la gloire. Après une vie fervente et exemplaire comme la vôtre, je n’ai pu m’imaginer qu’il vous restât quelque peine à subir. – Hélas ! hélas ! reprit le défunt, personne ne croirait avec quelle sévérité Dieu juge et punit sa créature. Son infinie sainteté découvre dans nos meilleures actions des côtés défectueux, des imperfections qui lui déplaisent. Il nous fait rendre compte jusqu’à la dernière obole usque ad novissimum quadrantem. »

Chapitre 17 – Peines du purgatoire

La Bienheureuse Quinziani

Dans la vie de la Bienheureuse Étiennette Quinziani (Auctore Franc. Seghizzo. Cf. Merv. 42. Marchese 2 janv.), religieuse dominicaine, il est parlé d’une sœur, appelée Paule, qui mourut au couvent de Mantoue, après une longue vie, sanctifiée par les plus excellentes vertus. Le corps avait été porté à l’église et placé à découvert dans le chœur, au milieu des religieuses. Pendant l’office, la Bienheureuse Quinziani s’était agenouillée auprès de la bière, recommandant à Dieu la défunte qui lui avait été fort chère; lorsque celle-ci tout à coup, laissant tomber le crucifix qu’on lui avait mis entre les mains, étend le bras gauche, et saisissant la main droite de la bienheureuse, la serre étroitement, comme ferait une malade qui dans les ardeurs de la fièvre demande secours à une amie. Elle la tint serrée pendant un temps considérable, puis retira son bras qui retomba inanimé dans le cercueil. Les religieuses, étonnées de ce prodige, en demandèrent l’explication à la bienheureuse. Elle répondit que lorsque la défunte lui serrait la main, une voix non articulée lui avait parlé au fond du cœur, disant: « Secourez-moi, ma sœur, secourez-moi dans les affreux supplices que j’endure. Oh ! si vous saviez la sévérité du Juge qui veut notre amour, quelle expiation il exige des moindres fautes avant de nous admettre à la récompense ! Si vous saviez combien il faut être pur pour voir la face de Dieu ! Priez, priez et faites pénitence pour moi, qui ne peux plus m’aider. »

La Bienheureuse, touchée de la prière de son amie, se livra à toutes sortes de pénitences et d’œuvres satisfactoires, jusqu’à ce qu’une nouvelle révélation vînt lui apprendre que sœur Paule était enfin délivrée de ses supplices et admise dans la gloire.

La conclusion naturelle qui ressort de ces terribles manifestations de la divine justice, c’est qu’il faut se hâter de satisfaire en cette vie. Certes, un coupable condamné à être brûlé vif, ne refuserait pas une peine plus légère si on lui en laissait le choix. Supposez qu’on lui dise: Vous pouvez vous libérer de ce terrible supplice, à condition que durant trois jours vous jeûniez au pain et à l’eau; s’y refuserait-il ? Celui qui préférerait le tourment du feu à cette légère pénitence, ne serait-il pas regardé comme ayant perdu la raison ? Or, préférer le feu du purgatoire à la pénitence chrétienne en cette vie, est une extravagance incomparablement plus grande.

L’empereur Maurice

L’empereur Maurice le comprit et fut plus sage. L’histoire rapporte (Bérault, Histoire ecclés. année 602) que ce prince, malgré ses bonnes qualités qui l’avaient rendu cher à saint Grégoire-le-Grand, commit sur la fin de son règne une faute considérable, et l’expia par un repentir exemplaire.

Ayant perdu une bataille contre le Kan ou roi des Avares, il refusa de payer la rançon des prisonniers, quoiqu’on ne demandât par tête que la sixième partie d’un sou d’or, ce qui faisait moins de vingt sous de notre monnaie. Ce refus sordide mit le vainqueur barbare dans une telle colère, qu’il fit massacrer sur-le-champ les soldats Romains, au nombre de douze mille. Alors l’empereur reconnut sa faute et la sentit si vivement, qu’il envoya de l’argent et des cierges aux principales églises et aux principaux monastères, afin qu’on y priât le Seigneur de le punir en cette vie plutôt qu’en l’autre.

Ces prières furent exaucées. L’an 602, ayant voulu obliger ses troupes à passer l’hiver au-delà du Danube, elles se mutinèrent avec fureur, chassèrent leur général Pierre, frère de Maurice, et proclamèrent empereur un simple centurion, nommé Phocas. La ville impériale suivit l’exemple de l’armée. Maurice fut obligé de s’enfuir de nuit, après avoir quitté toutes les marques de sa puissance, qui ne faisaient plus que son effroi. Il n’en fut pas moins reconnu.

On l’arrêta avec sa femme, cinq de ses fils et ses trois filles, c’est-à-dire tous ses enfants, excepté l’aîné de ses fils, nommé Théodose, qu’il avait fait déjà couronner empereur, et qui échappa pour lors au tyran. Maurice et ses cinq fils furent impitoyablement égorgés, près de Chalcédoine. Le carnage commença par les jeunes princes, qu’on fit mourir sous les yeux de cet infortuné père, sans qu’il lui échappât un seul mot de plainte. Songeant aux peines de l’autre vie, il s’estimait heureux de pouvoir souffrir dans la vie présente; et durant tout le massacre, on n’entendit sortir de sa bouche que ces paroles du psaume: Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est équitable. Ps. 118.

Chapitre 18 – Peines du purgatoire

Comme nous l’avons dit plus haut, la peine du sens a divers degrés d’intensité: elle est moins terrible pour les âmes qui n’ont pas de péchés graves à expier, ou qui ayant fini déjà cette expiation plus rigoureuse, approchent de leur délivrance. Beaucoup de ces âmes ne souffrent plus alors que la seule peine du dam, même elles commencent déjà à briller des premiers rayons de la gloire et à goûter comme les prémices de la béatitude.

Sainte-Perpétue

Lorsque Sainte-Perpétue (7 mars. – (2) 15 novembre. Revelationes Gertrudianœ ac Mechtildianœ. Henri Oudin, Pictav. 1875.) vit au purgatoire son jeune frère Dinocrate, cet enfant ne semblait pas soumis à de cruelles tortures. L’illustre martyre écrivit elle-même le récit de cette vision, dans sa prison de Carthage, où elle avait été enfermée pour la foi de Jésus-Christ, lors de la persécution de Septime-Sévère, l’an 205. Le purgatoire lui apparut sous la figure d’un désert aride, où elle vit son frère Dinocrate qui était mort à l’âge de sept ans. L’enfant avait un ulcère au visage, et tourmenté par la soif, il cherchait vainement à boire des eaux d’une fontaine, qui était devant lui, mais dont les bords étaient trop élevés pour qu’il y pût atteindre.

La sainte martyre comprit que l’âme de son frère était au lieu des expiations et réclamait le secours de ses prières. Elle pria donc pour lui; et trois jours après, dans une nouvelle vision, elle vit le même Dinocrate au milieu d’un jardin délicieux: son visage était beau comme celui d’un ange, il était revêtu d’une très belle robe, les bords de la fontaine étaient abaissés devant lui, il puisait dans ses eaux vives avec une coupe d’or, et se désaltérait à longs traits. – La sainte connut alors que l’âme de son jeune frère jouissait enfin des joies du paradis.

Sainte Gertrude

Nous lisons dans les révélations de sainte Gertrude (2), qu’une jeune religieuse de son monastère, qu’elle aimait singulièrement à cause de ses grandes vertus, était morte dans les plus beaux sentiments de piété. Pendant qu’elle recommandait ardemment cette chère âme à Dieu, elle fut ravie en extase, et eût une vision. La défunte lui fut montrée devant le trône de Dieu, environnée d’une brillante auréole et couverte de riches vêtements. Cependant elle paraissait triste et préoccupée: ses yeux étaient baissés, comme si elle eût eu honte de paraître devant la face de Dieu; on eût dit qu’elle voulait se cacher et s’enfuir. – Gertrude, toute surprise, demanda au divin Époux des vierges, la cause de cette tristesse et de cet embarras dans une âme si sainte: Très-doux Jésus, s’écria-t-elle, pourquoi dans votre bonté infinie n’invitez-vous pas votre épouse à s’approcher de vous et à entrer dans la joie de son Seigneur ? Pourquoi la laissez-vous à l’écart triste et craintive ? » – Alors Notre-Seigneur, avec un sourire d’amour, fit signe à cette sainte âme de s’approcher ; mais elle, de plus en plus troublée, après avoir hésité un peu, toute tremblante, s’inclina profondément et s’éloigna.

A cette vue sainte Gertrude, s’adressant directement à l’âme: « Eh ! quoi, ma fille, lui dit-elle, vous vous éloignez quand le Seigneur vous appelle ? Vous qui avez soupiré toute votre vie après Jésus, maintenant qu’il vous tend les bras, vous reculez devant lui ! » – « Ah ! ma mère, répondit cette âme, je ne suis pas digne encore de paraître devant l’Agneau immaculé; il me reste des souillures que j’ai contractées sur la terre. Pour s’approcher du soleil de justice, il faut être plus pur que le rayon de la lumière: je n’ai pas encore cette pureté parfaite qu’il veut contempler dans ses saints. Sachez que, si la porte du ciel m’était ouverte, je n’oserais en franchir le seuil, avant d’être entièrement purifiée des plus petites taches; il me semble que le chœur des vierges qui suivent les pas de l’Agneau, me repousserait avec horreur. – Et pourtant, reprit la sainte Abbesse, je vous vois environnée de lumière et de gloire ! – Ce que vous voyez, répondit l’âme, n’est que la frange du vêtement de la gloire: pour revêtir cette robe ineffable du ciel, il faut ne plus avoir une ombre de souillure. »

Cette vision nous montre une âme bien près de la gloire; mais elle indique en même temps que cette âme est éclairée tout autrement que nous sur l’infinie sainteté de Dieu. La connaissance claire de cette sainteté lui fait rechercher, comme un bien, les expiations dont elle a besoin pour être digne des regards du Dieu trois fois saint.

Sainte Catherine de Gênes

C’est, du reste, ce qu’enseigne expressément Sainte-Catherine de Gênes. On sait que cette sainte a reçu de Dieu des lumières toutes particulières sur l’état des âmes dans le purgatoire: elle a écrit un opuscule, intitulé Traité du purgatoire, qui jouit d’une autorité semblable aux œuvres de sainte Thérèse. Or, au chapitre VIII, elle s’exprime ainsi: « Le Seigneur est tout miséricorde: il se tient, vis-à-vis de nous, les bras ouverts pour nous recevoir dans sa gloire. Mais je vois aussi que cette divine essence est d’une telle pureté, que l’âme ne saurait soutenir son regard, à moins d’être absolument immaculée. Si elle trouvait en soi le moindre atome d’imperfection, plutôt que de demeurer avec une tache en la présence de la Majesté infinie, elle se précipiterait au fond de l’enfer. – Trouvant donc le purgatoire disposé pour lui enlever ses souillures, elle s’y élance; et elle estime que c’est par l’effet d’une grande miséricorde, qu’un lieu lui est donné pour se délivrer de l’empêchement au bonheur suprême qu’elle voit en elle. »

Le Frère Jean de Via

L’Histoire de l’origine de l’Ordre séraphique (Partie 4. n. 7. Cf. Merv. 83.) fait mention d’un saint religieux, appelé le Frère Jean de Via, qui mourut pieusement dans un couvent des îles Canaries. Son infirmier, le Frère Ascension, était en prière dans sa cellule et recommandait à Dieu l’âme du défunt, lorsque tout à coup il aperçut devant lui un religieux de son ordre, mais qui paraissait transfiguré: il était tout radieux et remplissait la cellule d’une douce clarté. Le frère tout hors de lui, ne le reconnut pas, mais s’enhardit assez pour lui demander qui il était et quel était le sujet de sa visite. – « Je suis, répondit l’apparition, l’esprit du Frère Jean de Via: je vous rends grâces pour les prières que vous faites monter au ciel en ma faveur, et je viens vous demander encore un acte de charité. Sachez que, grâce à la divine miséricorde, je suis dans le lieu du salut, parmi les prédestinés à la gloire: la lumière qui m’environne en est une preuve. Cependant je ne suis pas digne encore de voir la face du Seigneur, à cause d’un manquement qu’il me faut expier. Durant ma vie mortelle, j’ai omis par ma faute, et cela plusieurs fois, de réciter l’office pour les défunts, lorsqu’il était prescrit par la règle. Je vous conjure, mon frère, par l’amour que vous avez pour Jésus-Christ, de faire en sorte que ma dette soit acquittée en cette matière, afin que je puisse jouir de la vue de mon Dieu. »

Le Frère Ascension courut au Père Gardien, raconta ce qui lui était arrivé, et on s’empressa d’acquitter les offices demandés. Alors l’âme du bienheureux Frère Jean de Via se fit voir de nouveau, mais bien plus brillante encore: elle était en possession de la félicité complète.

Le Dogme du Purgatoire – Première partie – Chapitres 13, 14, 15

Chapitre 13 – Peines du purgatoire

Antoine Pereyra

Aux deux faits qui précèdent ajoutons un troisième, tiré des annales de la Compagnie de Jésus. Nous parlons du prodige arrivé dans la personne d’Antoine Pereyra, frère conducteur de cette Compagnie, qui mourut en odeur de sainteté au collège d’Evora en Portugal, le 1er août 1645. Quarante-six ans auparavant, en 1599, cinq ans après son entrée au noviciat, ce frère fut atteint d’une maladie mortelle dans l’île de Saint-Michel, l’une des Açores; et peu d’instants après qu’il eut reçu les derniers sacrements, sous les yeux de toute la communauté qui assistait à son agonie, il sembla rendre l’âme, et devint bientôt froid comme un cadavre. L’apparence presque imperceptible d’un léger battement de cœur empêcha seule de l’ensevelir sur-le-champ. On le laissa donc trois jours entiers sur son lit de mort, et l’on découvrait déjà dans son corps des signes évidents de décomposition; lorsque tout à coup, le quatrième jour, il ouvrit les yeux, respira et parla.

Il lui fallut alors par obéissance raconter à son supérieur, le P. Louis Pinheyro, tout ce qui s’était passé en lui, depuis les dernières transes de son agonie; et voici l’abrégé de la relation qu’il en écrivit de sa propre main: « D’abord je vis, dit-il, de mon lit de mort, mon Père Saint-Ignace, accompagné de quelques-uns de nos Pères du ciel, qui venait visiter ses enfants malades, cherchant ceux qui lui sembleraient dignes d’être offerts par lui et par ses compagnons à Notre-Seigneur. Quand il fut près de moi, je crus un moment qu’il m’emmènerait, et mon cœur tressaillit de joie; mais bientôt il me signala ce qu’il fallait me corriger avant d’obtenir un si grand bonheur. »

Alors néanmoins, par une disposition mystérieuse de la Providence, l’âme du F. Pereyra se détacha momentanément de son corps; et aussitôt, la vue d’une hideuse troupe de démons, se précipitant vers elle, la remplit d’effroi. Mais en même temps son ange gardien, et Saint-Antoine de Padoue, son compatriote et son patron, descendant du ciel, mirent en fuite ses ennemis, et l’invitèrent à venir, en leur compagnie, entrevoir et goûter un moment, quelque chose des joies et des douleurs de l’éternité. « Ils me conduisirent donc tour à tour, ajoute-t-il, vers un lieu de délices, où ils me montrèrent une couronne de gloire incomparable, mais que je n’avais pas encore méritée; puis, sur les bords du puit de l’abîme, où je vis les âmes maudites tomber dans le feu éternel aussi pressées que les grains de blé, jetés sous une meule tournant sans relâche; le gouffre infernal était comme un de ces fours à chaux, où par moments, la flamme est comme étouffée sous l’amas des matériaux qu’on y précipite, mais pour se relever, en s’en nourrissant, avec une effroyable violence. »

Mené de là au tribunal du souverain Juge, Antoine Pereyra s’entendit condamner au feu du purgatoire; et rien ne saurait ici-bas, assure-t-il, faire comprendre ce qu’on y endure, ni l’état d’angoisse où l’on y est réduit par le désir et le délai de la jouissance de Dieu et de sa bienheureuse présence.

Aussi, lorsque son âme eut été de nouveau réunie à son corps par le commandement de Notre-Seigneur ni les nouvelles tortures de la maladie, qui acheva pendant six mois entiers de faire tomber par lambeaux, avec le secours journalier du fer et du feu, sa chair irrémédiablement attaquée par la corruption de cette première mort; ni les effrayantes pénitences, auxquelles il ne cessa plus de se livrer, autant que l’obéissance le lui permettrait, durant les quarante-six ans de sa nouvelle vie, ne purent apaiser sa soif de douleurs et d’expiations. « Tout cela, disait-il, n’est rien, auprès de ce que la justice et la miséricorde infinies de Dieu m’ont fait, non seulement voir, mais endurer. »

– Enfin comme sceau authentique de tant de merveilles, le F. Pereyra découvrit en détail à son supérieur les secrets desseins de la Providence sur la future restauration du royaume du Portugal, encore éloignée alors de plus d’un demi-siècle. Mais on peut sans crainte ajouter, que la plus irrécusable garantie de tous ces prodiges fut la surprenante sainteté à laquelle Antoine Pereyra ne cessa plus un seul jour de s’élever.

La vénérable Angèle Tholoméi

Citons encore un fait analogue, et qui confirme en tout point ceux qu’on vient de lire. Nous le trouvons dans la vie de la vénérable servante de Dieu, Angèle Tholoméi, religieuse dominicaine. Elle fut ressuscitée de la mort par son propre frère; et rendit à la rigueur des jugements de Dieu un témoignage entièrement conforme à ceux qui précèdent.

Le Bienheureux Jean-Baptiste Tholoméi, que ses rares vertus et le don des miracles ont fait élever sur les autels, avait une sœur, Angèle Tholoméi, dont l’héroïcité des vertus a été aussi reconnue par l’Église. Elle tomba gravement malade et son saint frère demanda sa guérison par d’instantes prières. Le Seigneur lui répondit, comme autrefois aux sœurs de Lazare, qu’il ne guérirait pas Angèle; mais qu’il ferait plus, qu’il la ressusciterait pour la glorification de Dieu et le bien des âmes.

Elle mourut, en effet, en se recommandant aux prières de son saint frère. Comme on portait son corps au tombeau, le Bienheureux Jean-Baptiste, obéissant sans doute à un mouvement du Saint-Esprit, s’approcha du cercueil, et au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, commanda à sa sœur d’en sortir. Aussitôt elle se réveilla comme d’un profond sommeil et revint à la vie.

Cette âme si sainte paraissait toute frappée de stupeur et racontait de la sévérité des jugements de Dieu des choses qui font frémir. Elle commença en même temps à mener une vie qui prouvait bien la vérité de ses paroles. Sa pénitence était effrayante: non contente des exercices ordinaires usités par les saints, tels que les jeûnes, les veilles, les cilices, les disciplines sanglantes; elle allait jusqu’à se jeter dans les flammes, et s’y roulait jusqu’à ce que sa chair fût toute brûlée. Son corps martyrisé était devenu un objet de pitié et d’horreur. On la blâmait hautement, on l’accusait de dénaturer par des excès la vraie pénitence chrétienne; elle n’en continuait pas moins, et se contentait de répondre: « Si vous connaissiez la rigueur des jugements de Dieu, vous ne parleriez point ainsi. Qu’est-ce que mes faibles pénitences, en comparaison des supplices réservés dans l’autre vie aux infidélités qu’on se permet si aisément en ce monde ? Qu’est-ce que cela ? Qu’est-ce que cela ? Je voudrais en faire cent fois davantage. »

Il ne s’agit pas ici, comme on voit, des peines qu’ont à subir au purgatoire les grands pécheurs, quand ils se convertissent avant la mort; mais des châtiments que Dieu inflige à une religieuse fervente pour les fautes les plus légères.

Chapitre 14 – Peines du purgatoire

Apparition de Foligno

La même rigueur se révèle dans une apparition plus récente, où une religieuse, morte après une vie exemplaire, manifesta ses souffrances de manière à jeter l’effroi dans toutes les âmes. L’événement arriva le 16 novembre 1859 à Foligno, près d’Assise, en Italie. Il produisit un grand retentissement dans la contrée; et, outre la preuve sensible qu’il laissa après lui, une enquête faite en due forme par l’autorité compétence en établit la vérité incontestable.

Il y avait au couvent des tertiaires franciscaines de Foligno une sœur, appelée Thérèse Gesta, qui était depuis de longues années maîtresse des novices, et à la fois chargée du pauvre vestiaire de la communauté. Elle était née à Bastia, en Corse, l’an 1707, et était entrée au monastère en février 1826.

La sœur Thérèse était un modèle de ferveur et de charité; il ne faudrait pas s’étonner, disait le directeur, si Dieu la glorifiait par quelque prodige après sa mort. Elle mourut subitement le 4 novembre 1859 d’un coup d’apoplexie foudroyante.

Douze jours après, le 16 novembre, une sœur, nommée Anna-Félicie, qui la remplaçait dans son office, montait au vestiaire et allait y entrer, lorsqu’elle entendit des gémissements qui semblaient venir de l’intérieur de cette chambre. Un peu effrayée, elle s’empressa d’ouvrir la porte: il n’y avait personne. Mais de nouveaux gémissements se firent entendre, si bien accentués, que, malgré son courage ordinaire, elle se sentit envahie par la peur. Jésus ! Marie ! s’écria-t-elle, qu’est-ce que cela ? – Elle n’avait pas fini, qu’elle entendit une voix plaintive, accompagnée de ce douloureux soupir: Oh ! mon Dieu, que je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! – La sœur stupéfaite reconnut aussitôt la voix de la pauvre sœur Thérèse. Alors, toute la salle se remplit d’une épaisse fumée, et l’ombre de sœur Thérèse apparut, se dirigeant vers la porte, en se glissant le long de la muraille. Arrivée près de la porte, elle s’écria avec force: Voici un témoignage de la miséricorde de Dieu. En disant ces mots, elle frappa le panneau le plus élevé de la porte, et y laissa l’empreinte de sa main droite, brûlée dans le bois comme avec un fer rouge; puis elle disparut.

La sœur Anna-Félicie était restée à moitié morte de frayeur. Toute bouleversée, elle se mit à pousser des cris et à appeler au secours. Une de ses compagnes accourt, puis une autre, puis toute la communauté; on s’empresse autour d’elle, et toutes s’étonnent de sentir une odeur de bois brûlé. La sœur Anna-Félicie leur dit ce qui vient de se passer et leur montre sur la porte la terrible empreinte. Elles reconnaissent aussitôt la main de sœur Thérèse, laquelle était remarquablement petite. Épouvantées, elles s’enfuient, courent au chœur, se mettent en prière, passent la nuit à prier et à faire des pénitences pour la défunte, et le lendemain toutes communient pour elle.

La nouvelle se répand au dehors, et les diverses communautés de la ville joignent leurs prières à celles des Franciscaines. – Le surlendemain, 18 novembre, sœur Anna-Félicie étant entrée dans sa cellule pour se coucher, s’entendit appeler par son nom, et reconnu parfaitement la voix de sœur Thérèse. Au même instant, un globe de lumière tout resplendissant apparaît devant elle, éclairant la cellule comme en plein jour, et elle entend sœur Thérèse qui, d’une voix joyeuse et triomphante, dit ces paroles: Je suis morte un vendredi, le jour de la passion; et voici qu’un vendredi je m’en vais à la gloire ! Soyez fortes pour porter la croix, soyez courageuses pour souffrir, aimez la pauvreté. Puis ajoutant avec amour: Adieu, adieu, adieu ! elle se transfigure en une nuée légère, blanche, éblouissante, s’envole au ciel et disparaît.

Dans l’enquête qui fut ouverte aussitôt, le 23 novembre, en présence d’un grand nombre de témoins, on ouvrit le tombeau de sœur Thérèse, et l’empreinte brûlée de la porte se trouva exactement conforme à la main de la défunte. – La porte avec l’empreinte brûlée, ajoute MGR de Ségur est conservée dans le couvent avec vénération. La mère abbesse, témoin du fait, a daigné me la montrer elle-même.

Voulant m’assurer de la parfaite exactitude de ces détails, rapportés par PGR de Ségur, j’en ai écrit à l’évêché de Foligno. On m’a répondu en m’envoyant une relation circonstanciée parfaitement d’accord avec le récit qui précède, et accompagnée d’un fac-similé de l’empreinte miraculeuse. Cette relation expliquait la cause de la terrible expiation que subit la sœur Thérèse. Après avoir dit: Ah ! combien je souffre ! Oh ! Dio, che peno tanto ! elle ajouta, que c’était pour avoir, dans l’exercice de son office du vestiaire, manqué à quelques points de la stricte pauvreté prescrite par la règle.

La divine justice punit donc bien sévèrement les moindres fautes. On pourrait ici demander pourquoi l’apparition, en faisant la mystérieuse empreinte sur la porte, l’appela un témoignage de la miséricorde de Dieu ? C’est parce qu’en nous donnant un semblable avertissement, Dieu nous fait une grande miséricorde: il nous presse d’aider les âmes et de pourvoir à nous-mêmes.

Le religieux dominicain de Zamora

Puisque nous avons parlé d’une empreinte brûlée, rapportons un fait analogue, arrivé en Espagne et qui eut dans ce pays une grande célébrité. Voici comment le raconte Ferdinand de Castille, dans son Histoire de saint Dominique. Un religieux dominicain vivait saintement dans son couvent de Zamora, ville du royaume de Léon. Il était lié d’amitié avec un frère franciscain, comme lui homme de grande vertu. Un jour qu’ils s’entretenaient ensemble des choses éternelles, ils se promirent mutuellement que le premier qui mourrait, si Dieu voulait bien le permettre, apparaîtrait à l’autre pour lui donner des avis salutaires. Le frère mineur mourut le premier; et un jour que son ami, le fils de saint Dominique, préparait le réfectoire, il lui apparut. Après l’avoir salué avec respect et affection, il lui dit qu’il était du nombre des élus; mais qu’avant de pouvoir jouir du bonheur céleste, il lui restait beaucoup à souffrir pour une infinité de petites fautes dont il n’avait pas eu assez de repentir pendant sa vie. Rien sur la terre, ajout a-t-il, ne peut donner une idée des tourments que j’endure, et Dieu me permet de vous en montrer un effet sensible. – En disant ces mots, il étendit la main droite sur la table du réfectoire et la marque en resta empreinte dans le bois carbonisé, comme si l’on y eût appliqué un fer rouge.

Telle fut la leçon de ferveur que le franciscain défunt donna à son ami vivant. Elle profita non seulement à lui, mais à tous ceux qui virent cette marque de feu, si profondément significative. Car cette table devint un objet de piété, qu’on venait contempler de tout part; on la voit encore à Zamora, dit le P. Rossignoli, au moment où j’écris; pour la garantir on l’a recouverte d’une feuille de cuivre. Elle s’est conservée jusqu’à la fin du siècle dernier; depuis, les révolutions l’ont fait disparaître, comme tant d’autres souvenirs religieux.

Chapitre 15 – Peines du purgatoire

Le frère de sainte Madeleine de Pazzi

Sainte Madeleine de Pazzi, dans sa célèbre vision où les différentes prisons du purgatoire lui furent montrées, aperçut l’âme de son frère, qui était mort après avoir mené une vie fort chrétienne. Cependant cette âme était retenue dans les souffrances pour certaines fautes qu’elle n’avait pas expiées sur la terre. « Ce sont, dit la sainte, des souffrances intolérables et cependant supportées avec joie. Que n’est-il donné de les comprendre à ceux qui manquent de courage pour porter leur croix ici-bas ! ». Toute saisie du douloureux spectacle qu’elle venait de contempler, elle courut chez sa prieure, et se jetant à genoux. « O ma Mère, s’écria-t-elle, qu’elles sont terribles les peines du purgatoire ! Jamais je ne les aurais crues telles, si le Seigneur ne me les eût montrées…Et néanmoins je ne puis les appeler cruelles, elles sont plutôt avantageuses, ces peines qui conduisent à l’ineffable félicité du paradis. »

Pour impressionner davantage nos sens, il a plu à Dieu de faire sentir à quelques saints personnages une légère atteinte des peines expiatrices: comme une goutte de la coupe amère que les âmes ont à boire, comme une étincelle du feu qui les dévore.

Stanislas Chocosca

L’historien Bzovius, dans son Histoire de Pologne, sous l’année 1590, rapporte un événement miraculeux, arrivé au vénérable Stanislas Chocosca, l’une des lumières de l’Ordre de saint Dominique en Pologue (Cf. Rossign. Merv. 67). Un jour que ce religieux, plein de charité pour les défunts, récitait le saint Rosaire, il vit apparaître près de lui une âme toute dévorée de flammes. Comme elle le suppliait d’avoir pitié d’elle et d’adoucir les intolérables douleurs, que le feu de la divine justice lui faisait endurer, le saint homme lui demanda si ce feu était plus douloureux que celui de la terre ? – « Ah ! s’écria cette âme, tous les feux de la terre comparés à celui du purgatoire, sont comme un souffle rafraîchissant. Ignes alii levis aurœ locum tenent, si cum ardore meo comparentur. » – Stanislas avait peine à le croire. – « Je voudrais, dit-il, en faire l’épreuve. Si Dieu le permet, pour votre soulagement et pour le bien de mon âme, je consens à endurer une partie de vos peines. – Hélas ! vous ne le sauriez. Sachez qu’un homme mortel ne pourrait sans mourir aussitôt, supporter un tel tourment. Toutefois Dieu vous permet d’en ressentir une légère atteinte: étendez la main. » – Chocosca étendit la main, et le défunt y laissa tomber une goutte de sa sueur, ou du moins d’un liquide qui en avait l’apparence. A l’instant le religieux, poussant un cri perçant, tomba par terre sans connaissance, tant la douleur était affreuse.

Ses frères accoururent et s’empressèrent de lui donner les soins que réclamait son état. Quand il revint à lui, tout plein encore de terreur, il raconta l’effroyable événement qui lui était arrivé et dont tous voyaient la preuve. « Ah ! mes pères, ajouta-t-il, si nous connaissions la rigueur des châtiments divins, jamais nous ne commettrions le moindre péché; et nous ne cesserions de faire pénitence en cette vie, pour ne pas devoir la faire en l’autre. »

Stanislas se mit au lit dès ce moment; il vécut encore une année dans les cruelles souffrances que lui causait l’ardeur de sa plaie, puis, exhortant une dernière fois ses frères à se souvenir des rigueurs de la divine justice dont il avait fait une si terrible expérience, il expira dans la paix du Seigneur. – L’historien ajoute que cet exemple ranima la ferveur dans tous les monastères de cette province.

La Bienheureuse Catherine de Racconiggi

Nous lisons un fait analogue dans la vie de la Bienheureuse Catherine de Racconigi (Diario Domenicano, 4 septemb. Cf. Rossig Merv. 63.). Un jour qu’elle était fort souffrante, au point d’avoir besoin de l’assistance de ses sœurs, elle pensa aux âmes du purgatoire; et, pour tempérer les ardeurs de leurs flammes, elle offrit à Dieu les ardeurs que la fièvre lui faisait éprouver. En ce moment entrant en extase, elle fut conduite en esprit dans le lieu des expiations, où elle vit les flammes et les brasiers où les âmes sont purifiées avec d’immenses douleurs. Pendant qu’elle contemplait pleine de compassion ce lamentable spectacle, elle entendit une voix qui lui dit: Catherine, afin que tu procures plus efficacement la délivrance de ces âmes, tu vas éprouver quelque peu leurs tourments et en faire une expérience sensible. – A l’instant, une étincelle se détache et vient la frapper à la joue gauche. Les sœurs présentes virent très bien cette étincelle, et elles virent aussi avec terreur le visage de la malade s’enfler aussitôt d’une manière prodigieuse. Il demeura plusieurs jours en cet état, et, comme la bienheureuse le racontait à ses sœurs, les souffrances que cette simple étincelle lui avait fait éprouver surpassaient de loin tout ce qu’elle avait souffert dans le cours de plusieurs maladies douloureuses.

Jusque-là Catherine s’était employée avec charité à soulager les âmes du purgatoire; mais à partir de ce moment elle redoubla de ferveur et d’austérités pour accélérer leur délivrance; parce qu’elle savait par expérience le grand besoin qu’elles ont de notre secours.